Ce chapitre analyse la contribution de la négociation collective au bon fonctionnement du marché du travail dans les pays de l’OCDE. Il se fonde sur la description détaillée des systèmes et des pratiques de négociation collective présentée dans les Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2017. Il s’appuie sur un vaste ensemble de données au niveau des pays, des secteurs, des entreprises et des individus pour examiner le lien entre différents dispositifs de négociation collective et l’emploi, les salaires, les conditions de travail, les inégalités salariales et la productivité. Il analyse ensuite la manière dont les grandes organisations syndicales et patronales, les extensions administratives, les formes organisées de décentralisation et la coordination des salaires peuvent favoriser un meilleur équilibre entre inclusivité et flexibilité du marché du travail.
Perspectives de l'emploi de l'OCDE 2018
Chapitre 3. La contribution de la négociation collective au bon fonctionnement du marché du travail
Abstract
Les données statistiques concernant Israël sont fournies par et sous la responsabilité des autorités israéliennes compétentes. L’utilisation de ces données par l’OCDE est sans préjudice du statut des hauteurs du Golan, de Jérusalem Est et des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie aux termes du droit international.
Principaux résultats
Les systèmes de négociation collective des pays de l’OCDE sont confrontés à des défis de taille face à la concurrence mondiale, aux mutations technologiques et au processus de décentralisation de la négociation collective. Les taux de syndicalisation et de couverture conventionnelle reculent dans de nombreux pays de l’OCDE, et la capacité de la négociation collective à favoriser un meilleur fonctionnement du marché du travail est de plus en plus mise en discussion.
Ce chapitre présente une analyse de la contribution des systèmes de négociation collective à la situation du marché du travail et à la croissance inclusive. Il examine en quoi la négociation collective influe sur certains des objectifs de l’action publique qui revêtent le plus d’importance aux yeux des responsables politiques et des citoyens : l’emploi, les salaires, la qualité de l’environnement de travail, les inégalités et la productivité. Il présente des analyses empiriques fondées sur les meilleures macrodonnées et microdonnées disponibles et sur la description des systèmes de négociation collective figurant dans OCDE (2017[1]), ainsi que des expériences nationales et des études de cas destinées à aider les responsables publics et les partenaires sociaux à définir des orientations de réformes.
L’analyse s’appuie sur une description des systèmes de négociation collective reposant sur quatre composantes principales :
Le taux de couverture conventionnelle – le pourcentage de salariés couverts par des conventions collectives – qui est lié à l’affiliation des organisations patronales et des syndicats signataires, mais aussi à l’extension des conventions à d’autres entreprises et salariés d’un secteur.
Le niveau auquel les conventions collectives sont négociées : celui de l’entreprise, du secteur, ou même du pays. Dans les systèmes multi-niveaux, la négociation collective se déroule à l’échelon des entreprises et à des niveaux plus élevés.
Le rôle de la coordination des salaires entre les accords de branche (ou d’entreprise), par exemple via l’établissement d’objectifs salariaux communs, pour tenir compte de la conjoncture macroéconomique.
Le degré de flexibilité dont disposent les entreprises pour modifier les conditions définies dans les conventions négociées à un niveau plus élevé. Dans les systèmes centralisés, les entreprises n’ont aucune possibilité, ou très peu, d’apporter de telles modifications, alors que dans les systèmes entièrement décentralisés, les négociations collectives ne peuvent intervenir qu’à leur niveau. Entre ces deux extrêmes, les systèmes décentralisés organisés permettent aux accords de branche de définir des conditions-cadre générales, mais laissent aux négociations d’entreprise le soin d’en établir les dispositions précises.
Les principaux résultats empiriques sont les suivants :
Au niveau individuel, les salariés couverts par des accords d’entreprise bénéficient d’un avantage salarial par rapport à ceux qui ne le sont pas, ou qui ne le sont que par des accords de branche. En outre, les entreprises où il existe une forme de représentation des salariés reconnue (syndicat ou comité d’entreprise par exemple) offrent généralement un environnement de travail de meilleure qualité, ce qui tient en grande partie à une moindre intensité de travail, à des possibilités de formation plus nombreuses, et à de meilleures perspectives d’avancement professionnel.
La comparaison des différents systèmes de négociation collective montre que les systèmes coordonnés – y compris ceux relevant de la décentralisation organisée – sont associés à des taux d’emploi plus élevés et des taux de chômage plus faibles (également pour les jeunes, les femmes et les travailleurs peu qualifiés) que les systèmes totalement décentralisés. Les systèmes essentiellement centralisés, non coordonnés, occupent une position intermédiaire.
En général, la négociation collective agit aussi sur la dispersion salariale, celle-ci étant plus prononcée dans les systèmes dont elle est absente ou dans lesquels les entreprises fixent indépendamment les salaires. À l’inverse, la dispersion des salaires est globalement moindre parmi les salariés couverts par des accords de branche. Cela tient en partie au rendement plus faible de l’éducation, de l’ancienneté et de l’expérience potentielle des salariés couverts par ces conventions collectives.
L’effet sur les salaires transparaît aussi dans le lien entre la négociation collective et la croissance de la productivité. Les systèmes de négociation centralisés sont généralement associés à une croissance inférieure de la productivité lorsque le taux de couverture conventionnelle est élevé. Ce résultat semble indiquer que le manque de flexibilité au niveau des entreprises, caractéristique de ces systèmes, compromet la croissance de la productivité. En revanche, une plus forte coordination des systèmes non centralisés ne semble pas avoir d’effets défavorables sur la productivité.
De nombreux pays de l’OCDE se sont engagés sur la voie de la décentralisation au cours des deux dernières décennies. Dans l’ensemble, la décentralisation organisée décrite plus haut se traduit par de bons résultats en termes d’emploi, une hausse de la productivité et une augmentation des salaires pour les salariés couverts. Par contre, d’autres formes de décentralisation, qui remplacent simplement la négociation de branche par la négociation d’entreprise, sans coordination inter ou intrasectorielle, vont généralement de pair avec une dégradation de la situation du marché du travail.
Le chapitre présente aussi une analyse détaillée du fonctionnement de la coordination des salaires et des caractéristiques qui permettent à la décentralisation organisée d’obtenir de bons résultats sur le marché du travail, tout en offrant aux entreprises une certaine flexibilité et en favorisant l’adaptabilité au changement structurel. Les principales conclusions sont les suivantes :
La coordination des négociations salariales permet de prendre en compte les retombées macroéconomiques des accords salariaux en veillant à ce que ces derniers ne nuisent pas à la compétitivité extérieure et soient en harmonie avec la situation conjoncturelle. Elle explique peut-être en partie l’association empirique entre les systèmes coordonnés et un taux d’emploi global plus élevé. Le mécanisme de coordination des salaires le plus solide établit une norme salariale qui fixe un plafond aux augmentations salariales conventionnelles.
Dans les pays où la coordination fonctionne bien, elle bénéficie généralement du ferme soutien des associations patronales (du fait qu’elle modère la croissance des salaires) et des syndicats (parce qu’elle garantit un taux d’emploi élevé). Elle nécessite des partenaires sociaux solides et autoréglementés et des organismes de médiation efficaces pour être véritablement opérante.
La bonne articulation des accords d’entreprise à l’intérieur d’accords-cadres, qui caractérise la décentralisation organisée, est en grande partie fonction du degré de représentation collective des salariés à l’échelon des entreprises.
Dans certains pays, les syndicats et les organisations patronales participent à des initiatives sectorielles destinées à accroître l’adaptabilité du marché du travail en facilitant les reconversions professionnelles et en dotant les salariés des compétences nécessaires dans un monde du travail en mutation.
La négociation collective ne peut favoriser l’inclusivité du marché du travail et avoir une incidence macroéconomique substantielle que si elle couvre une forte proportion des salariés et des entreprises :
Des syndicats et des organisations patronales bien organisés et avec un grand nombre d’adhérents sont généralement le meilleur moyen d’obtenir un taux de couverture élevé. À l’échelon sectoriel, ils garantissent la représentativité des parties aux négociations salariales. À celui des entreprises, ils forment le socle du dialogue social entre les salariés et les employeurs.
La négociation collective se limite souvent aux grandes et moyennes entreprises et aux salariés qui occupent des emplois réguliers. Pour que le dialogue social progresse dans les grandes entreprises comme dans les petites et couvre les formes atypiques d’emploi, le droit de la concurrence et celui du travail, de même que les pratiques de négociation et d’organisation des partenaires sociaux, devront sans doute évoluer.
Dans les systèmes où la négociation s’effectue au niveau sectoriel et où les partenaires sociaux n’ont pas un large nombre d’adhérents, les extensions administratives permettent de couvrir les entreprises et les salariés qui ne participent pas aux négociations collectives. Pour ne pas compromettre les perspectives économiques des entreprises nouvellement créées, des petites entreprises ou des salariés vulnérables, ces extensions doivent être conçues de manière à garantir que les parties qui négocient les conventions représentent l’intérêt collectif d’un vaste groupe d’entreprises et de salariés. Cet objectif peut être atteint en soumettant les demandes d’extension à des critères de représentativité raisonnables et à un critère d’intérêt général incontestable, et en définissant clairement des procédures d’exemption et de non-participation des entreprises en cas de graves difficultés économiques.
Introduction
La négociation collective est en crise dans de nombreux pays de l’OCDE. Depuis le milieu des années 80, le taux de syndicalisation a diminué de moitié (OCDE, 2017[1])1. Le recul de la couverture conventionnelle a été à peine moins prononcé. Dans plus de la moitié des pays, les conventions collectives couvrent désormais moins et, dans certains, sensiblement moins, de 50 % de la main-d’œuvre. Dans les pays où la couverture demeure élevée, on s’inquiète de plus en plus de la capacité de la négociation collective à assurer des emplois de qualité dans un contexte de décentralisation de ses activités, de concurrence mondiale et de mutations technologiques.
Le chapitre apporte des éclairages nouveaux sur la contribution de la négociation collective au bon fonctionnement du marché du travail. Cette analyse alimente également la nouvelle Stratégie de l’OCDE pour l’emploi (OCDE, à paraître[2]), qui définit les trois objectifs principaux de politiques du marché du travail opérantes : i) des emplois plus nombreux et de meilleure qualité ; ii) des marchés du travail inclusifs ; et iii) résilience et adaptabilité. La négociation collective peut jouer un rôle central à l’égard de chacun de ces objets, notamment sur les plans de l’emploi, des salaires, des conditions de travail, des inégalités et de la productivité – la contribution de la négociation collective à la résilience a pour sa part été déjà étudiée dans le rapport OCDE (2017[1]).
Le chapitre utilise plusieurs approches, dont des analyses quantitatives et des études de cas nationales, et fait appel à des sources de microdonnées et de macrodonnées. La section qui suit présente, en guise d’entrée en matière, un cadre permettant d’illustrer la façon dont la négociation collective peut influer sur le fonctionnement du marché du travail et la croissance inclusive. La section 3.2 présente une analyse macroéconomique de son rôle sur le plan de l’emploi et celui des inégalités qui se fonde sur une définition inédite des systèmes de négociation collective. Cette démarche permet d’aller plus loin que les études macroéconomiques antérieures, qui se concentraient habituellement sur le taux de couverture conventionnelle et le niveau de négociation, en tenant compte également de la latitude laissée aux entreprises pour adapter les conditions fixées par les accords de branche à leurs besoins et de la coordination des salaires entre les unités de négociation. La section 3.3 utilise des données relatives aux salariés et aux secteurs pour examiner le lien entre la négociation collective et les salaires, la distribution des salaires et la productivité, et permet ainsi de mieux comprendre certains des mécanismes à l’origine des corrélations observées au niveau macroéconomique. La section 3.4 analyse l’incidence de la représentation des salariés au sein des entreprises sur la qualité de l’environnement de travail. La section 3.5 s’appuie sur une série d’études de cas nationales et sur des études plus générales des relations de travail pour réfléchir aux politiques que les partenaires sociaux et les pouvoirs publics pourraient envisager afin d’accroître la souplesse et l’inclusivité des systèmes de négociation collective.
Ce chapitre s’inscrit dans le cadre d’un projet plus vaste lancé par l’OCDE afin de mieux cerner le rôle de la négociation collective et du dialogue social, aujourd’hui et à l’avenir. Ce projet a déjà donné lieu à un chapitre dans les Perspectives de l’emploi 2017 (OCDE, 2017[1]) qui avait examiné en détail les systèmes de négociation collective dans les pays de l’OCDE et les pays en voie d’adhésion. Des travaux ultérieurs analyseront l’influence de la négociation collective sur la qualité de l’emploi et le monde du travail à venir.
3.1. La contribution de la négociation collective au fonctionnement du marché du travail : vue d’ensemble
Les conventions collectives signées par les employeurs et les syndicats déterminent principalement les niveaux (ou les hausses) de salaire et les conditions de travail autres que salariales, notamment le temps de travail, les régimes de congé, la formation, la protection de l’emploi et les dispositions en matière de santé et de sécurité (Graphique 3.1). La renégociation de contrats par des entreprises ou des employés particuliers peut porter la rémunération à un niveau supérieur au taux de salaire convenu de façon plus centralisée (ou, dans certains cas, la ramener en-deçà du taux négocié). D’autres aspects, comme l’emploi ou la productivité, ne font généralement pas l’objet de la convention collective, bien que les négociations puissent en tenir compte. La manière dont la négociation collective influe sur le fonctionnement du marché du travail dépend des stratégies de négociation des partenaires sociaux, de la structure des marchés des produits et du travail et de la nature des institutions de négociation collective.
Les travaux universitaires existants se concentrent sur deux grandes catégories de stratégies de négociation. Dans le modèle dit du « droit à gérer » (Leontief, 1946[3]), les syndicats négocient exclusivement sur les salaires, ce qui se traduit par un taux d’emploi inférieur au taux de référence de la concurrence parfaite. Leurs membres, généralement désignés sous le nom de « insiders » dans ces études, passent pour obtenir des avantages au détriment des « outsiders », chômeurs ou travailleurs précaires non couverts par une convention collective (Lindbeck et Snower, 1986[4]). L’inefficacité supposée de ce modèle tient à ce que les négociations ne prennent pas l’emploi en compte, ce qui pourrait avoir pour inconvénient supplémentaire de diminuer la résilience du marché du travail face aux chocs macroéconomiques. Dans la pratique, toutefois, les syndicats ne se préoccupent sans doute pas exclusivement des salaires, mais aussi de l’emploi et de la résilience macroéconomique. C’est ce qui a motivé le modèle du « contrat optimal » de McDonald et Solow (1981[5])2.
L’incidence de la négociation collective dépend également de la structure du marché et du degré de concurrence. Sur des marchés de produits et du travail de concurrence parfaite, une augmentation portant les salaires au-dessus du salaire d’équilibre du marché provoque le chômage. En revanche, lorsque la concurrence sur les marchés de produits est imparfaite (lorsque des entreprises détiennent un certain pouvoir de monopole ou d’oligopole), l’augmentation des salaires n’entraîne pas forcément une hausse du chômage, mais tient simplement à ce que les salariés s’approprient une plus grande part des rentes. Qui plus est, sur les marchés du travail de concurrence imparfaite, un pouvoir de négociation et des seuils salariaux plus élevés peuvent accroître l’emploi. Ce serait le cas en présence d’un pouvoir de monopsone, qui permet aux entreprises de proposer des bas salaires, par exemple parce que les travailleurs ont peu de possibilités de changer d’employeur ou parce que cette démarche leur serait coûteuse3.
Enfin, la contribution de la négociation collective à la tenue du marché du travail dépend également du fonctionnement du système institutionnel. Le rapport OCDE (2017[1]) a montré que les systèmes de négociation collective diffèrent considérablement d’un pays de l’OCDE à l’autre, même lorsqu’ils présentent des caractéristiques similaires. Par exemple, les systèmes en vigueur aux Pays-Bas et au Portugal4, ou en Australie et aux États-Unis, bien que de forme semblable à maints égards, se distinguent sensiblement par leur fonctionnement. Les principales composantes des systèmes de négociation collective sont le taux de couverture, le niveau de négociation, le degré de flexibilité et le rôle de la coordination des salaires.
Taux de couverture : le taux de couverture conventionnelle, plutôt que le seul taux de syndicalisation, est l’élément essentiel pour mesurer la pertinence du système. Les conventions collectives qui couvrent une forte proportion des travailleurs peuvent avoir des retombées macroéconomiques plus importantes – positives ou négatives – sur l’emploi, les salaires et d’autres résultats présentant un intérêt, que les accords limités à un petit nombre d’entreprises.
Niveau de négociation : il définit l’unité de négociation des parties et peut renvoyer à l’entreprise, au secteur ou au pays. Les accords de branche ou nationaux devraient logiquement mieux résorber les inégalités salariales que les systèmes décentralisés puisqu’ils réduisent les écarts de rémunération non seulement entre les salariés d’une même entreprise, mais aussi entre ceux d’entreprises et de secteurs différents. Les accords d’entreprise, pour leur part, permettent de se préoccuper davantage de la situation qui prévaut à ce même niveau et peuvent ainsi améliorer la productivité.
Degré de flexibilité : le degré de flexibilité que les accords de branche ou nationaux offrent aux entreprises peut varier sensiblement. Par exemple, la possibilité d’invoquer une clause de non-participation ou le fait de laisser aux partenaires sociaux le soin d’appliquer le principe de faveur peuvent accroître la flexibilité du système et renforcer le lien entre les salaires et les résultats des entreprises, ce qui a pour avantage d’augmenter l’emploi et la productivité, mais pour inconvénient de creuser les inégalités salariales.
Coordination des salaires : la coordination des salaires entre les différents accords de branche (ou, comme dans le cas du Japon, entre les accords d’entreprise) permet aux négociateurs d’internaliser les effets macroéconomiques des conditions définies dans les conventions collectives. Ce résultat est généralement obtenu en alignant les augmentations salariales dans le secteur non-exportateur sur celles que le secteur exportateur peut consentir, ou en renforçant la capacité du système à ajuster les salaires ou le temps de travail en période de ralentissement macroéconomique. La coordination peut donc servir d’instrument de modération salariale et de flexibilisation des revenus tout au long du cycle conjoncturel, ce qui peut présenter des avantages en termes d’emploi et de résilience.
Les partenaires sociaux influent sur le comportement du marché du travail et, par conséquent, sur la croissance inclusive et le bien-être en agissant aussi sur d’autres institutions de ce marché, comme le salaire minimum, la législation du travail (relative à la protection de l’emploi notamment), les prestations de chômage, les politiques actives du marché du travail, les charges sociales et les politiques familiales et de retraite, étant parfois même associés aux négociations ou aux activités de gestion connexes. Par ailleurs, les retombées des systèmes de négociation collective sont également fonction des autres politiques et institutions en place. Par exemple, si la décentralisation accentue les inégalités salariales, les répercussions sur la notion plus large d’inégalité du revenu disponible seront fonction de la correction apportée par le système de prélèvements et de transferts. Ces problèmes, bien que parfois importants, dépassent le cadre de ce chapitre.
3.2. L’influence de la négociation collective sur l’emploi et les inégalités salariales : nouvelles observations à partir des macrodonnées
La littérature économique débat depuis longtemps de l’influence de la négociation collective sur l’évolution du marché du travail, mais ont peu prêté attention au système de négociation collective dans son ensemble. Les études ont essentiellement examiné l’existence ou la pertinence de la négociation collective, et non son fonctionnement. Par exemple, de nombreuses analyses portant sur des pays où les négociations interviennent principalement au niveau des entreprises, comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, s’intéressent à l’incidence du taux de syndicalisation5. Celui-ci est un indicateur raisonnable du taux de couverture conventionnelle dans les pays de ce genre. Il ne permet cependant pas de mesurer le champ d’application de la négociation collective, car de nombreux salariés non syndiqués sont également couverts par les conventions collectives – par le biais de clauses erga omnes et, dans les pays où les négociations ont lieu au niveau sectoriel ou à plusieurs niveaux, par celui des extensions administratives (OCDE, 2017[1])6. La couverture conventionnelle est donc de manière générale un indicateur plus approprié pour juger de l’utilité de la négociation collective7.
Cela dit, pour appréhender l’incidence de la négociation collective sur la performance du marché du travail, il convient de ne pas se limiter à sa couverture, mais d’examiner aussi ses principales caractéristiques et son fonctionnement concret. Le taux de couverture conventionnelle en Italie est comparable à celui des Pays-Bas ou des pays nordiques. L’Allemagne et l’Australie aussi affichent un taux de couverture analogue. Comme le montre OCDE (2017[1]) les systèmes de négociation collective de ces pays sont néanmoins très différents. Il convient donc d’en analyser également les caractéristiques. Cette démarche fait écho à celle adoptée par Aidt et Tzannatos (2008[6]) dans leur examen des syndicats, de la négociation collective et de la performance macroéconomique, qui les a menés à la conclusion selon laquelle l’élément le plus important n’est pas le taux d’affiliation ou la couverture syndicale, mais le fonctionnement du « système dans son ensemble ».
S’agissant des caractéristiques fondamentales, c’est le rôle de la centralisation, c’est-à-dire le niveau de négociation prédominant, qui a mobilisé la plus grande attention. Au début des années 80, la théorie corporatiste estimait que la centralisation, conçue comme une négociation de niveau national, pouvait produire des résultats supérieurs, en termes macroéconomiques et sur le marché du travail, en garantissant le fait que les agents économiques qui fixent les salaires tiennent compte de l’intérêt général (Cameron, 1984[7])8. Ses opposants ont cependant fait valoir que les augmentations de salaires seraient limitées, ou que l’allocation des ressources serait plus efficace si on laissait les forces du marché jouer un plus grand rôle, citant l’exemple des États-Unis ou celui du Royaume-Uni après l’action de Mme Thatcher pour étayer cette thèse.
Pour concilier ces points de vue divergents, Calmfors et Driffill (1988[8]) ont proposé l’hypothèse dite de la « courbe en cloche », qui eut une influence certaine, selon laquelle la centralisation et la décentralisation donnent toutes deux de bons résultats sur le plan de l’emploi, contrairement aux systèmes intermédiaires, c’est-à-dire la négociation de branche. Dans ce dernier cas, les intérêts organisés sont « assez puissants pour créer des perturbations majeures, mais pas assez généraux pour prendre en charge une part un tant soit peu significative des coûts induits pour la société en conséquence des actions qu’ils mènent pour leur propre compte » (Calmfors et Driffill, 1988[8]). L’article de Calmfors et Driffill a eu le mérite de démontrer que la relation entre le degré de centralisation et la performance n’est pas forcément monotone. Cette hypothèse était à l’origine de la position critique de la Stratégie de l’OCDE pour l’emploi de 1994 (OCDE, 1994[9]) à l’égard des systèmes de négociation de branche ; la Stratégie recommandait en effet de décentraliser la négociation collective puisqu’une centralisation complète des systèmes de négociation était impossible9. Les études empiriques ultérieures n’ont cependant guère fourni d’éléments à l’appui de cette hypothèse – voir OCDE (1997[10]), Traxler, Blaschke et Kittel (2001[11]), Aidt et Tzannatos (2002[12]), Bassanini et Duval (2006[13]) et Eurofound (2015[14]).
Une autre caractéristique essentielle des systèmes de négociation collective est le degré de coordination des salaires entre les unités de négociation. Selon Soskice (1990[15]), des systèmes coordonnés de négociation de branche seraient sans doute tout aussi capables de s’adapter à la conjoncture économique globale que les systèmes nationaux. Des études ultérieures ont montré que la coordination contribue de manière déterminante à améliorer les résultats des négociations de branche – voir l’analyse développée par Aidt et Tzannatos (2002[12]) et les données d’observation fournies par Elmeskov et al. (1998[16]), OCDE (2004[17]), Bassanini et Duval (2006[13]), OCDE (2012[18]) et Eurofound (2015[14]). La Stratégie pour l’emploi révisée de l’OCDE (OCDE, 2006[19]) a adopté cette version « augmentée » de l’hypothèse Calmfors‑Driffill selon laquelle les systèmes de négociation décentralisés et centralisés ou coordonnés produisent de meilleurs résultats en matière d’emploi que les systèmes de négociation de branche10.
Plus récemment, Boeri (2014[20]) a relancé le débat en émettant l’idée que les systèmes de négociation « à deux niveaux » (dans lesquels la négociation d’entreprise ne peut venir qu’en complément de la négociation de branche) sont moins efficaces que les systèmes entièrement centralisés et entièrement décentralisés puisqu’ils ne sont pas en mesure de réagir de manière appropriée à un choc micro ou macroéconomique11.
L’un dans l’autre, la caractérisation et l’estimation des effets économiques des systèmes de négociation collective se sont avérées éminemment complexes, et ont donné lieu à l’établissement d’une multitude d’indicateurs de centralisation et de coordination et d’une quantité non moindre de spécifications économétriques.
3.2.1. Nouveaux résultats au niveau macroéconomique à partir d’une taxonomie des systèmes de négociation collective
Pour analyser l’influence de la négociation collective sur le fonctionnement du marché du travail, il convient d’examiner les systèmes de négociation collective dans leur ensemble, et non la simple somme de leurs composantes. Cette section fait donc appel à une nouvelle taxonomie de ces systèmes pour étudier leur corrélation avec l’emploi et les inégalités.
La taxonomie des systèmes de négociation collective est tirée du tableau de bord figurant dans la publication OCDE (2017[1]). Celui-ci proposait un système de classement basé sur deux éléments fondamentaux : i) le degré de centralisation, tel que défini par le niveau dominant de négociation et par les règles applicables, et le recours fait, aux extensions, dérogations, clauses de non-participation et principe de faveur ; et ii) le degré de coordination des salaires entre les accords de branche. OCDE (2018[21]) fournit de plus amples détails. Cinq catégories de systèmes de négociation collective ont été définies12 :
Systèmes de négociation collective essentiellement centralisés et peu coordonnés : les accords de branche jouent un rôle déterminant, le recours aux extensions est relativement répandu, les dérogations aux accords négociés à un niveau plus élevé sont possibles mais généralement limitées ou rares, et la coordination des salaires est en grande partie inexistante. En 2015, la France, l’Espagne, l’Islande, l’Italie, le Portugal, la Slovénie et la Suisse s’inscrivaient dans ce groupe13.
Systèmes de négociation collective essentiellement centralisés et coordonnés : comme dans la catégorie précédente, les accords de branche jouent un rôle de premier plan et les accords conclus aux niveaux inférieurs n’offrent guère de possibilités de déroger à ceux conclus aux niveaux supérieurs. En revanche, la coordination des salaires est forte dans tous les secteurs. En 2015, la Belgique et la Finlande faisaient partie de ce groupe.
Systèmes de négociation collective décentralisés organisés et coordonnés : les accords de branche jouent un rôle important, mais ils laissent également aux accords conclus aux niveaux inférieurs une marge de manœuvre appréciable pour fixer les normes – soit en limitant le rôle des extensions (rares, et jamais automatiques ou quasi-automatiques) et en laissant aux parties à la négociation le soin de définir la hiérarchie des accords, soit en autorisant le recours aux clauses de non-participation. La coordination entre les secteurs et les unités de négociation est généralement forte. En 2015, l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas et la Suède entraient dans ce groupe.
Systèmes de négociation collective fortement décentralisés : la négociation d’entreprise est la forme de négociation dominante, mais la négociation de branche (ou un équivalent fonctionnel) ou la coordination des salaires ont également leur place. Les extensions sont très rares. L’Australie avec ses Modern Awards (voir l’Encadré 3.5 pour une description détaillée) et le Japon avec sa forme particulière de coordination (Shunto) s’inscrivaient dans ce groupe en 2015, de même que la Grèce, le Luxembourg et la République slovaque. Depuis la promulgation de la loi portant réforme des relations professionnelles, en octobre 2015, qui a réintroduit les Sectoral Employment Orders (conventions collectives sectorielles), l’Irlande fait également partie de ce groupe.
Systèmes de négociation collective entièrement décentralisés : la négociation intervient pour l’essentiel au niveau de l’entreprise ou de l’établissement, sans coordination, et les pouvoirs publics n’exercent jamais, le cas échéant, qu’une influence très limitée. En 2015, le Canada, le Chili, la Corée, l’Estonie, les États-Unis, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, la Pologne, la République tchèque, le Royaume-Uni et la Turquie faisaient partie de ce groupe.
Le classement des pays de 2015 a été appliqué rétrospectivement aux années 80 en utilisant les informations contenues dans la base de données ICTWSS (Institutional Characteristics of Trade Unions, Wage setting, State Intervention and Social Pacts)14. La variation dans le temps de la taxonomie des systèmes de négociation collective qui en résulte pour les pays de l’OCDE au cours de la période 1980-2015 est considérable - voir OCDE (2018[21]). Elle tient en grande partie à la décentralisation prononcée de la négociation collective, mais traduit également les nombreuses évolutions des pratiques de négociation collective nationales. L’analyse exploite ces différences pour estimer la relation entre les systèmes de négociation collective et les indicateurs de performance du marché du travail.
L’analyse compare les résultats du marché du travail dans différents systèmes de négociation collective par rapport à un système totalement décentralisé, tout en tenant compte du taux de couverture conventionnelle et du rôle éventuel de la conjoncture, des caractéristiques de la main-d’œuvre et des particularités persistantes des pays (au moyen des effets fixes par pays)15. Les résultats prennent également en considération d’autres réformes intervenues simultanément dans les domaines de la fiscalité du travail, de la réglementation des marchés de produits, de la réglementation des licenciements, des salaires minima et des prestations de chômage. Les relations estimées dans cette section peuvent toutefois être influencées par la conjoncture du marché du travail, indépendamment du cycle économique ou d’autres facteurs éventuellement importants non pris en considération ; il convient donc de ne pas donner aux résultats une interprétation causale stricte.
Les systèmes de négociation coordonnés sont associés à des taux d’emploi plus élevés et des taux de chômage plus faibles que les systèmes entièrement décentralisés (partie A du Graphique 3.2). C’est tout particulièrement le cas des systèmes à dominante centralisée ; en revanche, l’incidence des systèmes décentralisés organisés sur le chômage est légèrement plus restreinte et moins forte. Les systèmes centralisés mais faiblement coordonnés et les systèmes fortement décentralisés occupent une position intermédiaire : ils affichent de meilleurs résultats en matière d’emploi que les systèmes totalement décentralisés, mais des résultats similaires en termes de chômage. L’écart entre les résultats en termes d’emploi et de chômage laisse entendre que ces systèmes sont associés à des taux d’emploi et d’activité plus élevés. Globalement, dans tous les régimes, une couverture conventionnelle plus étendue va de pair avec des taux d’emploi plus bas (OCDE, 2018[21]). Le nombre de salariés couverts étant généralement plus élevé dans les systèmes centralisés et coordonnés, la corrélation entre ces systèmes et de meilleurs résultats en matière d’emploi pourrait donc être légèrement plus faible que ne l’indique le graphique.
La relative sous-performance des systèmes entièrement décentralisés est empiriquement établie à partir des variations observées dans trois pays (Irlande, Nouvelle-Zélande et Royaume-Uni) qui ont procédé à des réformes d’importance de la négociation collective. Le constat ne semble pas spécifique à ces trois pays, car il demeure inchangé lorsque l’on retire les effets fixes par pays de la régression. Dans l’ensemble, les résultats résistent, au plan qualitatif, à deux autres tests de robustesse – voir OCDE (2018[21]) pour de plus amples détails. D’abord, on obtient des résultats similaires lorsque l’on utilise des indicateurs plus traditionnels de centralisation et de coordination de la négociation collective (tirés de la base de données ICTWSS) à la place des nouveaux indicateurs taxonomiques16. Ensuite, les résultats concernant les régimes de négociation collective demeurent inchangés, sur le plan qualitatif, lorsque la couverture conventionnelle n’est pas prise en compte.
Selon certains auteurs, la négociation collective obtient des résultats favorables en matière d’emploi pour les « insiders » (notamment les hommes d’âge très actif, salariés à temps plein au bénéfice d’un contrat à durée indéterminée), aux dépens des « outsiders », comme les jeunes, les femmes et les travailleurs peu qualifiés – voir Saint‑Paul (1996[22]) et Bertola (1999[23]). Par ailleurs, en appuyant les intérêts des premiers, les syndicats pourraient bien accepter, sinon favoriser, la prolifération de l’emploi atypique afin de protéger leurs membres, réduisant ainsi l’inclusivité du marché du travail. Ils risquent notamment, en faisant croître le coût du travail des actifs en place (par exemple en négociant des indemnités de départ ou en prêtant assistance aux travailleurs menacés de licenciement) de rendre par ricochet les contrats temporaires plus intéressants pour les entreprises.
Les données indiquent cependant que, dans la plupart des cas, les systèmes coordonnés ‑ centralisés ou décentralisés organisés – sont corrélés à de meilleurs résultats pour les groupes vulnérables sur le marché du travail (parties B et C du Graphique 3.2). Il apparaît que les taux de chômage des jeunes, des femmes et des travailleurs peu qualifiés sont, dans les systèmes coordonnés, systématiquement inférieurs à ceux observés dans les systèmes décentralisés (ou du moins ne leur sont-ils pas supérieurs). Les systèmes décentralisés coordonnés et organisés vont également de pair avec une plus faible proportion de travailleurs à temps partiel subi. Bien qu’elle ne varie pas selon les différents systèmes de négociation, la part de l’emploi temporaire est plus importante dans les pays où le taux de couverture conventionnelle est plus élevé – voir OCDE (2018[21]). Ce résultat, s’il diffère des conclusions précédentes sur le travail intérimaire aux États-Unis que l’on doit à Gramm et Schnell (2001[24]) et Autor (2003[25]), concorde avec les conclusions de Salvatori (2009[26]) qui montre, d’après l’examen de 21 pays européens, que les établissements tendent plus volontiers à recourir au travail temporaire si un ou plusieurs syndicats sont présents sur le site.
Les systèmes de négociation collective qui ne sont pas entièrement décentralisés sont également corrélés à des inégalités salariales plus faibles pour les salariés à temps plein (Graphique 3.3), mesurées par le ratio D9/D1, à savoir le rapport du neuvième décile au premier décile de la distribution des salaires. Ce lien est observable dans la moitié inférieure comme dans la moitié supérieure de la distribution des salaires17. On obtient des résultats analogues lorsque l’on remplace les indicateurs de la taxonomie par des indicateurs de centralisation et de coordination – voir OCDE (2018[21]).
Le renforcement du pouvoir de négociation de la main d’œuvre à bas salaire étant l’une des missions fondamentales de la négociation collective, il n’est pas surprenant que cette dernière soit empiriquement associée à des niveaux d’inégalité plus faibles. L’introduction de grilles de rémunération détaillées peut comprimer les salaires dans les parties intermédiaire et supérieure de la distribution de manière à compenser un relèvement opéré au bas de l’échelle ; Leonardi, Pellizzari et Tabasso (2015[27]) montre qu’une compression des salaires a bien eu lieu au sein des entreprises italiennes. Ces mécanismes sont particulièrement importants lorsque les conventions couvrent un pourcentage substantiel de la population active. La section 3.3 fournit d’autres preuves de l’incidence positive de la négociation collective sur l’égalité salariale, à partir de données appariées employeurs-employés et de données sectorielles. Les résultats relatifs aux inégalités présentés dans ce chapitre complètent des observations précédentes qui pointent dans la même direction, tirées d’études antérieures de Blanchflower et Freeman (1993[28]), Blau et Kahn (1999[29]), Card, Lemieux et Riddell (2004[30]) et DiNardo et Lee (2004[31]) et d’autres, plus récentes, dont OCDE (2011[32]), BIT (2015[33]) et Jaumotte et Buitron (2015[34]).
En conclusion, si l’on se fonde sur les données nationales concernant les marchés du travail de 35 pays de l’OCDE entre 1980 et 2016 et sur une nouvelle définition des systèmes de négociation collective, on constate que les systèmes coordonnés sont corrélés à un taux d’emploi plus élevé, à un taux de chômage plus bas, à une meilleure intégration des groupes vulnérables, et à des inégalités salariales moins prononcées que les systèmes entièrement décentralisés. Les systèmes centralisés peu coordonnés et les systèmes fortement décentralisés occupent une position intermédiaire : ils obtiennent des résultats similaires à ceux de systèmes totalement décentralisés en termes de chômage, mais aussi bon nombre des effets positifs que les systèmes coordonnés exercent à d’autres égards.
3.3. La contribution de la négociation collective à l’inclusivité et à la flexibilité : nouveaux éléments tirés des microdonnées
En centralisant ou en coordonnant les négociations sur les salaires et les conditions de travail, la négociation collective a généralement pour effet de resserrer les écarts de rémunération entre les salariés. Elle atténue de ce fait le lien entre la performance individuelle, les salaires et les conditions de travail. Dans le contexte de la négociation d’entreprise, le point de référence essentiel des négociations relatives aux augmentations de salaire est forcément la performance globale de l’entreprise, et non celle de l’individu. De même, dans le contexte de la négociation de branche, la tenue globale du secteur devient le facteur contextuel déterminant des augmentations salariales. Dans la même veine, la centralisation et la coordination donnent davantage d’importance aux résultats macroéconomiques et, partant, à la compétitivité et à la résilience.
En définissant des critères communs pour la rémunération des salariés, au niveau des entreprises ou des secteurs, la négociation collective peut réduire la dispersion des salaires. Mais, par le même mécanisme, elle risque aussi d’accroître à la longue la rigidité salariale, car les partenaires aux négociations sont moins disposés à adapter les rémunérations à chaque salarié, entreprise ou secteur. Les effets de ces rigidités seront vraisemblablement fonction du contexte dans lequel elles interviennent. Dans certains cas, ils seront anodins, par exemple lorsqu’ils réduisent les risques de pratiques discriminatoires ou servent un objectif économique précis, comme dans le cas de la coordination ; dans d’autres, en revanche, ils peuvent susciter des inquiétudes, par exemple lorsqu’ils atténuent les incitations à l’acquisition de compétences.
La présente section fait appel à des données relatives aux salariés et aux secteurs pour éclairer la relation entre les institutions de négociation collective, l’égalité salariale, la croissance de la productivité et la façon dont les salaires sont fixés en fonction de la productivité des entreprises et des secteurs. Ce faisant, l’analyse fournit des indications utiles sur les mécanismes qui sont probablement à l’origine de certaines des corrélations macroéconomiques décrites dans la section 3.2.
3.3.1. Négociation collective et dispersion des salaires
Dans de nombreux pays, les salaires de certains employés sont déterminés au premier chef par un accord salarial collectif (négociation collective), ceux des autres ne l’étant pas (négociation individuelle). Ce système peut créer (ou non) des formes d’injustice ou d’inégalité entre les deux catégories de salariés, selon l’action réelle de la négociation collective. Du point de vue empirique, le fait que certains travailleurs soient couverts par des conventions collectives alors que d’autres ne le sont pas permet de comparer le niveau et la dispersion des salaires entre des individus relevant de différents systèmes de négociation, sans avoir à se fonder sur des comparaisons entre pays susceptibles d’être influencées par d’autres éléments que la négociation collective.
Des données relatives à la couverture conventionnelle des salariés sont disponibles pour 20 pays de l’OCDE (plus un pays en voie d’adhésion, la Lituanie). Outre qu’elles distinguent les salariés couverts de ceux qui ne le sont pas, les microdonnées identifient séparément les travailleurs dont le salaire est principalement déterminé par un accord d’entreprise, par opposition à un accord de branche18. Cela permet de distinguer trois niveaux de négociation : i) la négociation individuelle ou l’absence de négociation collective ; ii) la négociation d’entreprise ; et iii) la négociation de branche. Les trois coexistent dans sept des 21 pays du jeu de données ; dans les autres, deux niveaux coexistent. Les revenus du travail sont établis par heure et comprennent les primes. Comme dans la section 3.2, la dispersion est mesurée par le rapport entre les salaires du neuvième décile et ceux du premier décile.
Lorsque l’on compare la dispersion des salaires entre les travailleurs qui bénéficient d’une couverture conventionnelle et les autres, il convient de tenir compte d’un éventuel effet d’échantillonnage. À titre d’exemple, si les conventions collectives couvrent principalement des salariés de sexe masculin ou certains secteurs, elles se traduiront peut-être par une moindre dispersion des salaires, ces derniers étant généralement plus homogènes parmi les employés de sexe masculin ou dans certains secteurs que dans l’ensemble de la population active. Plusieurs techniques empiriques permettent de corriger ces différences de composition entre les groupes prenant part à la négociation. Celle appliquée ici remonte à Juhn, Murphy et Pierce (1993[35]) et a été largement utilisée depuis19. On applique à chaque pays et à chaque niveau de négociation, séparément, une régression classique des salaires horaires avec un grand nombre de variables explicatives : âge, sexe, niveau d’instruction, taille de l’entreprise, type de contrat, ancienneté, secteur et profession. On corrige ensuite les différences de composition en remplaçant les coefficients et les résidus à chaque niveau de négociation par ceux du groupe de travailleurs non couvert. L’Encadré 3.1 présente une description détaillée de la méthode empirique.
Encadré 3.1. Méthode empirique de correction des salaires et de leur dispersion pour tenir compte des différences de composition
Les écarts de salaires et de dispersion des salaires entre les travailleurs couverts par une convention collective et les autres pourraient tenir en partie à des différences de composition. Une méthode établie pour corriger ces dernières nous est fourni par Juhn, Murphy et Pierce (1993[35]). En appliquant cette méthode au contexte qui nous intéresse, à chaque pays et niveau de négociation (absence de négociation collective, négociation d’entreprise, négociation de branche) séparément, on effectue la régression suivante :
Le salaire du travailleur est mesuré par heure, et des coefficients de pondération sont utilisés de manière à mieux faire correspondre l’échantillon à la population active réelle. Les variables de contrôle, , comprennent des variables indicatrices de l’âge, du sexe, du niveau d’instruction, de la taille de l’entreprise, du type de contrat (permanent ou temporaire), de l’ancienneté, du secteur et de la profession. Quelques variables de contrôle ne sont pas disponibles pour certains pays. La comparaison des coefficients estimés, , pour les mêmes variables permet d’examiner, par exemple, les écarts entre les travailleurs bénéficiant d’une couverture conventionnelle et les autres en termes d’inégalités hommes-femmes ou d’avantage salarial lié aux études.
La méthode empirique permettant de corriger une statistique salariale, , comme le salaire moyen ou le rapport D9/D1, pour tenir compte des différences de composition entre les groupes considérés se présente comme suit. Les salariés dont la rémunération n’est pas régie par une convention collective, , servent de référence. Pour la Belgique, l’Espagne et la France, pays pour lesquels on ne dispose pas de données concernant les salariés non couverts par une telle convention, on prend pour référence la négociation d’entreprise. Le salaire contrefactuel du travailleur bénéficiant d’une couverture conventionnelle, , est alors calculé par la formule suivante :
,
la dernière expression représentant le résidu de la régression effectuée pour les travailleurs dépourvus de couverture conventionnelle au même centile que le résidu de la régression pour les travailleurs . L’hypothèse est que si un travailleur venait à être privé de couverture conventionnelle tout en conservant les mêmes caractéristiques, le nouveau résidu appartiendrait au même centile de la distribution des résidus du secteur non couvert que celui auquel appartenait l’ancien résidu dans la distribution du secteur couvert.
L’utilisation des données brutes aboutit à l’écart suivant de la statistique salariale désirée :
,
lequel devient, après correction pour tenir compte des différences de composition :
.
Globalement, la dispersion des revenus d’activité est plus faible en présence de conventions collectives lorsque l’on tient compte des différences de composition (Graphique 3.4). Dans le premier groupe de pays, où les trois niveaux de négociation coexistent, la plus forte dispersion des salaires est observée chez les travailleurs qui ne bénéficient d’aucune couverture conventionnelle, suivie de ceux couverts par des accords d’entreprise, puis par des accords de branche. En revanche, dans le deuxième groupe de pays, où il n’existe pas de négociations de branche, la dispersion des salaires est identique, en moyenne tout au moins. Une comparaison entre pays des moyennes des deux premières catégories indique que les conventions d’entreprise ne réduisent effectivement la dispersion des salaires que lorsqu’elles s’ajoutent aux conventions de branche. Une explication possible en serait que les entreprises qui disposent de conventions collectives internes sont pour la plupart également couvertes par des accords de branche. Les accords d’entreprise n’annuleraient alors pas entièrement la réduction des inégalités résultant des accords de branche. Dans cinq pays (Corée, Hongrie, Mexique, Norvège et Portugal), les résultats vont dans le sens contraire. Néanmoins, dans l’ensemble, ils semblent correspondre à ceux présentés dans la section précédente, qui laissaient entendre que la distribution des salaires dans l’économie est moins équitable dans les systèmes où les accords de branche ou de niveau supérieur sont impossibles (voir le Graphique 3.3).
3.3.2. Pourquoi la dispersion des salaires est-elle plus faible en présence de conventions collectives ?
Sur le plan empirique, deux catégories de facteurs peuvent expliquer la plus faible dispersion des salaires en présence de conventions collectives : les écarts de rendement des caractéristiques (en termes techniques, les coefficients) et les écarts inexpliqués (le résidu). Cette question est examinée ici en axant l’analyse sur les deux plus grands groupes de pays pour lesquels on dispose de données : le premier compte sept pays (où il existe trois catégories de conventions collectives), le second en compte neuf (deux catégories : accords d’entreprise ou absence de couverture conventionnelle).
Quatre caractéristiques sont examinées pour analyser dans quelle mesure la négociation collective comprimerait leurs rendements (Graphique 3.5) : une tranche d’âge supérieure, l’appartenance au sexe masculin, un niveau d’instruction plus élevé, et l’ancienneté (mesurée au nombre d’années dans l’entreprise). Toutes quatre présentent généralement des rendements croissants dans les analyses microéconomiques, ce qui signifie que les travailleurs de sexe masculin, plus âgés, plus instruits et plus expérimentés ont tendance à recevoir des salaires plus élevés.
En comparaison des travailleurs dépourvus de couverture conventionnelle, l’avantage salarial lié à l’âge est plus faible pour les salariés couverts par des accords d’entreprise, et encore plus pour ceux qui sont couverts par des accords de branche. La négociation collective réduit donc les inégalités salariales, en partie en égalisant la répartition des salaires entre individus d’âges différents. En revanche, rien n’indique qu’elle resserre globalement l’écart de rémunération entre hommes et femmes. Au contraire, l’avantage salarial des hommes par rapport aux femmes est légèrement meilleur chez les travailleurs qui disposent d’une couverture conventionnelle que chez les autres.
L’avantage salarial lié à un niveau d’instruction plus élevé est inférieur en présence d’accords d’entreprise, et encore davantage en présence d’accords de branche. Le moindre rendement de l’éducation, bien qu’il réduise les inégalités, peut aussi avoir une incidence négative sur la croissance de la productivité s’il se traduit par une baisse des investissements dans ce domaine. Enfin, les suppléments de rémunération liés à l’ancienneté expliquent aussi pourquoi, dans les pays où il existe des conventions d’entreprise et de branche, la dispersion des salaires est plus faible en présence de conventions collectives qu’en leur absence, bien que la situation inverse soit observée dans le groupe de pays où n’existent que des conventions d’entreprise.
Même si la baisse des rendements liés à l’âge, à l’éducation et à l’ancienneté explique en partie la plus faible dispersion des salaires en présence de conventions collectives, ce sont surtout les facteurs non observés qui, dans l’ensemble, atténuent cette dispersion (Graphique 3.6).
3.3.3. Avantage salarial lié à la négociation collective
La présente section a été consacrée jusqu’ici à la dispersion des salaires observée pour chaque type de couverture conventionnelle, à savoir chez les salariés exclus du champ de la négociation collective et chez les salariés couverts par une convention collective. On peut voir dans les résultats une illustration de ce qu’il adviendrait des inégalités salariales si, dans un pays, la situation évoluait d’une couverture conventionnelle inexistante à une couverture intégrale ou vice-versa. Cette hypothèse semble naturellement extrême. Lorsque l’on examine des scénarios moins extrêmes, il convient également de tenir compte des écarts de salaire susceptibles d’exister entre les travailleurs bénéficiant d’une couverture et les autres. Ces écarts sont parfois qualifiés d’avantage salarial lié à la négociation collective.
Les salaires sont plus élevés lorsque la négociation s’effectue au niveau de l’entreprise ; la négociation de branche n’est en revanche pas corrélée à des rémunérations comparativement plus élevées (Graphique 3.7). Cela n’a rien de surprenant dans la mesure où les négociations d’entreprise ne peuvent souvent que relever les salaires par rapport aux niveaux fixés par les accords de branche. Les écarts de salaires peuvent aussi être signe d’une plus forte productivité dans les entreprises qui pratiquent la négociation interne. Les résultats concordent avec ceux de nombreuses études spécialisées qui constatent que la négociation de branche n’est dans l’ensemble pas corrélée à des salaires plus élevés – voir dell’Aringa et Lucifora (1994[36]), Hartog, Leuven et Teulings (2002[37]), Rycx (2003[38]) et Cardoso et Portugal (2005[39]). Son incidence varie considérablement d’un pays à l’autre : elle est favorable dans certains pays et négative dans d’autres. En revanche, les salaires des travailleurs couverts par des accords d’entreprise sont plus élevés que ceux des travailleurs non couverts dans tous les pays, à l’exception de la Lettonie. Là où la couverture conventionnelle est faible, les inégalités salariales peuvent ainsi se creuser lorsque les accords d’entreprise s’étendent à un nombre croissant de travailleurs, même si la dispersion des salaires est plus faible chez les salariés couverts par de tels accords que chez les autres.
3.3.4. Négociation collective et décalage entre les salaires et la productivité
L’analyse ci-dessus a montré que la négociation collective est généralement corrélée à une plus faible dispersion des salaires. La compression des salaires induite par la négociation collective tient peut-être à un décalage plus prononcé entre les salaires et la productivité d’une entreprise ou d’un secteur car, lorsque les négociations sont centralisées ou coordonnées, les rémunérations sont en partie déterminées par d’autres facteurs que l’entreprise ou le secteur. En ce sens, la moindre flexibilité des salaires au niveau infranational et le resserrement de la dispersion des salaires pourraient être considérés comme les deux faces d’une même pièce20.
Les données disponibles permettent d’estimer dans quelle mesure les salaires d’une entreprise ou d’un secteur particulier correspondent à la productivité de l’entreprise ou du secteur en question. En comparant les pays entre eux, l’analyse qui suit montre que l’alignement des salaires sur la productivité du travail est généralement moindre dans les pays où les institutions de négociation collective jouent un rôle plus important21.
L’analyse s’appuie sur des informations obtenues à partir de données sectorielles pour examiner la corrélation entre les salaires et la productivité dans les différents secteurs. Les données sectorielles présentent l’avantage de couvrir le même nombre d’unités (c’est-à-dire de secteurs) dans de nombreux pays et sur une longue période. Elles sont disponibles pour 27 pays de l’OCDE (plus la Lituanie) de 1980 à 2014, et couvrent 24 secteurs. L’Encadré 3.2 décrit la méthode d’estimation.
Le degré d’alignement des salaires et de la productivité dans les différents secteurs varie sensiblement selon les pays (Graphique 3.8)22. La corrélation est relativement forte dans de nombreux pays d’Europe de l’Est (Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne et République tchèque). Elle l’est également en Corée, en Espagne, au Portugal et au Royaume-Uni. En revanche, les décalages entre les salaires et la productivité semblent prononcés dans certains pays nordiques (Danemark, Finlande, Norvège et Suède), ainsi qu’en Belgique, en Grèce, au Luxembourg et en Slovénie.
Encadré 3.2. Méthode d’estimation empirique de l’influence de la négociation collective sur l’alignement des salaires et de la productivité
L’alignement des salaires sur la productivité est estimé par le degré de corrélation entre le taux de salaire horaire et la productivité horaire du travail. La régression de base se fonde sur des données sectorielles et se présente comme suit :
.
Si les salaires, , et la productivité du travail, , sont positivement corrélés dans les différents secteurs d’un pays , . L’intégration des effets fixes par pays et par année, , permet de comparer le secteur d’un pays donné pour une année précise à d’autres secteurs du même pays et pour la même année. Pour examiner les rôles relatifs de la coordination des salaires, de la centralisation et de la couverture conventionnelle, la productivité est mise en relation avec des indicateurs correspondants.
Cette méthode consiste en fait à étudier l’influence de la négociation collective sur la répartition de la part du travail entre les secteurs, à savoir la part de la valeur ajoutée qui est affectée aux travailleurs. Pak et Schwellnus (à paraître[40]) utilisent des données sectorielles pour examiner l’incidence, entre autres, de la négociation collective sur la part du travail.
Plusieurs composantes de la négociation collective pourraient influer sur la marge de manœuvre dont les entreprises disposent pour fixer les salaires en fonction de la productivité de leur secteur d’activité. La coordination salariale intersectorielle joue à ce titre un rôle important en s’efforçant de limiter les écarts de rémunération entre les secteurs via une norme salariale commune. Les données corroborent cette hypothèse. L’alignement des salaires et de la productivité au niveau sectoriel est plus marqué dans les pays où il n’y a pas de fixation coordonnée des salaires. La différence est flagrante : globalement, dans tous les pays, l’élasticité des salaires par rapport à la productivité est de 0.26 en l’absence de coordination des salaires, et de 0.16 en présence d’une coordination salariale intersectorielle. Autrement dit, si la productivité est 10 % plus élevée dans un secteur, les salaires y seront généralement supérieurs de 2.6 % en cas de non-coordination, et de 1.6 % dans le cas inverse23.
La coordination des salaires est corrélée à d’autres caractéristiques de la négociation collective, comme les taux de couverture et le degré de centralisation. La centralisation peut agir sur l’alignement entre les salaires et la productivité car, dans les secteurs où les syndicats sont puissants, les salariés peuvent s’approprier une part plus élevée des gains de productivité. La couverture peut jouer un rôle puisque, en son absence, la coordination des salaires et la centralisation n’exercent aucune influence. De plus, dans les pays où la coordination des salaires n’est pas explicite mais où le taux de couverture conventionnelle et le degré de centralisation des négociations sont élevés, les négociations menées dans un secteur peuvent malgré tout servir de référence implicite à d’autres. Une certaine coordination intersectorielle peut donc s’opérer, même si elle n’est pas institutionnalisée.
Le décalage entre salaires et productivité sectoriels est plus prononcé dans les systèmes où il existe une coordination salariale intersectorielle, même lorsque les disparités de taux de couverture sont prises en compte ou neutralisées (Graphique 3.9). Comme les taux de couverture sont généralement plus élevés dans les pays qui pratiquent la coordination des salaires, la prise en compte de ces facteurs réduit l’écart de corrélation salaires-productivité entre ces pays et les autres. La centralisation est également liée à un plus faible alignement des salaires et de la productivité dans tous les secteurs – voir (OCDE, 2018[21]) pour les résultats complets des régressions.
Coordination, couverture conventionnelle et centralisation annoncent, ensemble, un alignement plus faible entre les salaires et la productivité. Les données empiriques, qui reposent sur des comparaisons internationales, ne suffisent pas à prouver que ces caractéristiques de la négociation collective sont le déterminant, ou la cause, des divergences entre pays à cet égard. Elles semblent toutefois indiquer que la négociation collective influe substantiellement sur la façon dont les salaires d’un secteur correspondent à la performance de ce dernier.
L’analyse présentée dans cette partie porte sur des données sectorielles. Dans des travaux connexes, venant corroborer les résultats énoncés ici, Berlingieri, Blanchenay et Criscuolo (2017[41]) montrent, à partir de données micro-agrégées au niveau des entreprises couvrant de nombreux pays, que le taux de syndicalisation et la coordination des salaires sont généralement associés à une moindre dispersion des salaires moyens entre les entreprises, et à une corrélation plus faible entre la productivité et la dispersion des salaires moyens entre les entreprises d’un même secteur.
Cette section est étayée par des données sur les salaires réels dans divers secteurs de l’économie. En règle générale, toutefois, la négociation collective fixe des salaires qui peuvent différer des salaires effectifs. Dans la zone euro, les salaires négociés ont enregistré une croissance plus faible depuis 2000 que les salaires réels et la productivité du travail. (Encadré 3.3). Les salaires négociés n’ont, dans l’ensemble, suivi la productivité qu’avec un retard considérable, ce qui semble avoir entraîné un décalage entre les taux de croissance des salaires et ceux de la productivité au niveau macroéconomique à court terme.
Dans l’ensemble, dans les pays où la coordination des salaires joue un rôle important ou bien là où la centralisation des salaires à l’échelon sectoriel est plus forte, la corrélation des salaires avec la productivité au niveau infranational est plus faible. Cela semble indiquer que la coordination des salaires « fonctionne », en ce sens qu’elle coordonne les salaires, et qu’en les dissociant en partie de la productivité, elle peut aboutir à une distribution moins dispersée des rémunérations. La centralisation et la coordination peuvent également influer sur la façon dont les salaires évoluent par rapport aux résultats propres des entreprises. À plus long terme, un tel découplage des salaires et de la productivité pourrait avoir des retombées potentiellement importantes sur la croissance de la productivité. Il pourrait diminuer les incitations des travailleurs à innover, à travailler dur et à évoluer vers un emploi mieux rémunéré. L’accentuation du décalage entre les salaires et la productivité n’aura cependant pas nécessairement de tels effets négatifs ; il pourrait même, par exemple, augmenter les incitations à l’innovation si les entreprises tirent plein avantage des gains de productivité. L’Encadré 3.4 fait le point sur les travaux relatifs à la négociation collective et à la productivité. Il fournit également des données préliminaires montrant que certaines formes de négociation de branche peuvent réduire la croissance de la productivité à l’intérieur des secteurs.
Encadré 3.3. Encadré 3.3. Salaires négociés dans les pays de la zone euro
Les analyses de l’évolution des salaires et de la négociation collective portent presque exclusivement sur les salaires effectifs. Or, les conventions collectives définissent généralement des salaires contractuels qui, dans la plupart des pays, ne s’appliquent qu’à un sous-ensemble de travailleurs. Les salaires effectifs rendent également compte des évolutions chez les salariés dépourvus de couverture conventionnelle ainsi que des compléments de rémunération au niveau des entreprises, des unités de production ou des individus (comme les primes ou les heures supplémentaires). L’écart entre le salaire effectif et le salaire négocié est généralement dénommé « glissement des salaires », c’est-à-dire l’évolution des salaires au-dessus du plancher négocié.
Les données sur les salaires négociés ne sont pas aisément disponibles et, lorsqu’elles sont accessibles, ne sont pas aisément comparables. La Banque centrale européenne (BCE) fournit des statistiques « expérimentales » sur l’évolution des salaires négociés dans l’ensemble de la zone euro (Banque centrale européenne, 2002[42])24, tandis que la base de données Collective Agreed Wages in Europe (CAWIE), établie par le Réseau européen des instituts de recherche liés aux syndicats (TURI), fournit les statistiques nationales sous-jacentes25. Des données similaires sont également collectées et publiées par Eurofound (2017[43]). Le Graphique 3.10, se fondant sur les données de la BCE, montre l’évolution des salaires négociés, des salaires effectifs et de la productivité du travail en termes réels, entre 2000 et 2016, pour l’ensemble de la zone euro. Les données agrégées montrent que, globalement, la croissance des salaires négociés a été relativement limitée, ou tout au moins nettement inférieure à celle de la productivité, avant et après la crise. La croissance des salaires effectifs a dépassé celle des salaires négociés, mais est restée inférieure à celle de la productivité, réduisant ainsi la part du travail. La progression des salaires négociés (et effectifs) n’a dépassé celle de la productivité qu’en 2008-09, en raison du choc déflationniste inattendu créé par la crise et par l’impossibilité de renégocier des accords signés dans une conjoncture économique plus favorable, qui peut amplifier le choc global, comme le montrent Diez‑Catalan et Villanueva (2015[44]) pour l’Espagne.
Les données par pays (OCDE, 2018[21]) montrent que, dans tous les pays (hormis l’Italie, en raison d’une croissance dérisoire de la productivité, et non d’augmentations « excessives » des salaires), la croissance des salaires négociés a suivi celle de la productivité du travail ou, souvent, lui a été inférieure, sauf en 2008‑09. Il est intéressant de constater que les salaires négociés aux Pays-Bas n’ont pour ainsi dire pas évolué depuis 2000 – ils sont en fait quasiment restés stables depuis les années 70 en termes réels (de Beer et Keune, 2017[45]) – mais que, grâce à un glissement appréciable, les rémunérations effectives ont augmenté de concert avec la productivité. En Allemagne, en revanche, la hausse des salaires effectifs a été considérablement inférieure à celle de la productivité, et inférieure à celle des salaires négociés, signe d’un « glissement » négatif. Cette évolution exceptionnelle (tout au moins parmi les pays européens pour lesquels il existe des données) signifie que les salaires effectifs ne sont pas liés aux salaires négociés, ce qui résulte probablement du recul de la couverture conventionnelle en Allemagne et du recours aux clauses d’ouverture qui autorisent les entreprises à déroger aux accords de branche (Schulten, 2013[46]).
3.4. Comment la représentation des salariés dans l’entreprise contribue à la qualité de l’environnement de travail
Si les travaux antérieurs portant sur la négociation collective se sont en grande partie intéressés à son rôle en tant que « mécanisme de fixation des salaires », le contenu des conventions collectives est consacré dans une large mesure aux conditions de travail autres que le salaire, comme la protection de l’emploi, le temps de travail, la santé et la sécurité, la formation et la protection sociale. Cette section présente des données empiriques relatives à l’incidence de la représentation des salariés dans l’entreprise sur la qualité de l’environnement de travail tel que défini par le Cadre d’analyse de la qualité de l’emploi de l’OCDE/G20 (OCDE, 2014[47]).
Depuis l’ouvrage fondateur de Freeman et Medoff (1984[48]), What do unions do?, sinon avant, les syndicats et la négociation collective ne sont plus seulement considérés comme les relais institués des attentes et revendications salariales, mais comme des instruments de communication collective et de dialogue entre les salariés et leur employeur. Les syndicats peuvent influer sur la qualité de l’emploi de manière directe (en négociant des conditions de travail autres que salariales dans le cadre des conventions collectives) ou indirecte (en offrant aux salariés une tribune où exprimer leurs préoccupations et leurs demandes).
Encadré 3.4. Négociation collective et croissance de la productivité
En quoi la négociation collective influe-t-elle sur la productivité ? En théorie, son action peut être à double sens. D’une part, elle peut augmenter la productivité globale en fixant des seuils salariaux plus élevés (et en limitant la possibilité de réduire les coûts par la baisse des salaires), ce qui risque de contraindre les entreprises improductives à sortir du marché (Braun, 2011[49]). Une plus grande rigidité des salaires peut aussi inciter les propriétaires des entreprises à innover, car ils tireraient ainsi pleinement parti des gains de productivité. – voir Acemoglu et Pischke (1999[50]) et Haucap et Wey (2004[51]). La négociation collective est également susceptible de favoriser la croissance de la productivité en augmentant les salaires « d’efficience », en améliorant les conditions de travail non salariales et en donnant aux salariés la possibilité d’exprimer leurs préoccupations.
À l’inverse, une structure salariale plus comprimée peut réduire les incitations à travailler dur et à trouver un emploi dans une entreprise plus productive, ce qui nuit à la productivité des entreprises et à la réaffectation efficace des travailleurs. Le pouvoir syndical pourrait aussi permettre aux salariés de s’approprier les avantages des investissements effectués par les employeurs, par une forme de « hold-up » (Malcomson, 1997[52]) à même de décourager l’investissement des entreprises. En outre, les restrictions aux aménagements de l’organisation du travail (comme le temps de travail, les roulements ou les congés) pourraient diminuer la productivité. Enfin, la décentralisation de la négociation peut favoriser la productivité par un recours plus fréquent aux mécanismes d’incitation (comme la rémunération au rendement).
Les travaux empiriques ont abondamment examiné l’incidence de la couverture syndicale sur la productivité. Selon une méta-analyse (Doucouliagos, Freeman et Laroche, 2017[53]), les données indiquent globalement que la couverture syndicale augmente la productivité dans les secteurs non manufacturiers, mais pas dans les secteurs manufacturiers. Quelques articles ont étudié empiriquement le rapport entre négociation collective et « hold-up » et entre négociation collective et investissement, et aboutissent dans l’ensemble à des résultats peu concluants. Card, Devicienti et Maida (2014[54]), qui font appel à des données appariées employeurs/salariés à l’échelle de la Vénétie (Italie), n’obtiennent guère de preuves d’un « hold-up ». Se fondant sur des données sectorielles pour les pays de l’OCDE, Cardullo, Conti et Sulis (2015[55]) constatent que la couverture syndicale diminue davantage l’investissement dans les secteurs où il se fait essentiellement à fonds perdus que dans les autres.
Les résultats présentés ici laissent entendre que certains systèmes de négociation collective seraient associés à de plus grands décalages entre les salaires et la productivité, avec des conséquences possibles sur la croissance de cette dernière. Or, peu d’études ont directement examiné l’incidence des différentes caractéristiques des systèmes de négociation, comme la centralisation ou la coordination, sur la productivité, en partie par manque de données s’y prêtant. Andreasson (2017[56]) constate qu’en Suède, les entreprises dont les salaires sont définis à un niveau plus décentralisé affichent une plus grande valeur ajoutée par employé et une productivité plus élevée. De même, Garnero, Rycx et Terraz (2018[57]) obtiennent, à partir de données d’entreprises belges, une corrélation positive entre négociation décentralisée et productivité. S’agissant des pays en développement, Lamarche (2013[58] ; 2015[59]) soutient que les accords d’entreprise pourraient engendrer des gains de productivité par rapport aux accords de branche. Hibbs et Locking (2000[60]) établissent toutefois que la décentralisation intervenue en Suède dans les années 80 a diminué la croissance de la productivité globale en freinant la sortie des entreprises inefficientes. À en juger d’après l’ensemble des données présentées dans ces études, la décentralisation améliorerait la productivité des entreprises, mais freinerait l’effet assainissant qu’exercent des salaires plus élevés, et donc, en raison des effets de composition, n’intensifierait pas la croissance de la productivité globale.
Pour étudier le lien entre la centralisation et la coordination d’une part et la croissance de la productivité d’autre part, la variante suivante de l’approche sectorielle de Rajan et Zingales (1998[61]) est utilisée. La prémisse est que les réformes de la négociation collective ont généralement un plus grand retentissement dans les secteurs où le taux de couverture conventionnelle est élevé et que, par conséquent, elles devraient davantage y influer sur la croissance de la productivité. L’équation d’estimation est :
La variable dépendante, , indique la croissance de la productivité dans le secteur et le pays pour l’année . Le niveau de productivité retardé, , rend compte de la convergence. Des régressions sont effectuées pour la productivité totale des facteurs et la productivité du travail. L’estimation des coefficients qui nous intéressent, , suppose des taux de couverture différents selon les secteurs ainsi qu’une centralisation ou une coordination à des périodes différentes. C’est le cas dans les sept pays pour lesquels il existe des données : l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France et les Pays-Bas.
La centralisation est corrélée à une croissance plus faible de la productivité, tant pour la productivité totale des facteurs que pour celle du travail - le jeu complet des résultats empiriques est publié dans OCDE (2018[21]). Là où la négociation collective est plus décentralisée, la hausse de la productivité est plus forte dans les secteurs qui affichent un taux de couverture élevé que dans ceux où il est bas. Aucune association n’est estimée pour la coordination des salaires. L’estimation, qui repose sur des comparaisons sectorielles, ne permet pas vraiment de tirer des conclusions sur la croissance globale de la productivité. Elle n’exclut pas non plus des problèmes d’endogénéité, bien que reposant uniquement sur des variations nationales. Les résultats suggèrent néanmoins que la négociation centralisée serait préjudiciable à la croissance de la productivité ; une analyse dépassant ces explorations empiriques s’impose toutefois pour examiner plus précisément les liens entre les régimes de négociation et la productivité.
Les études spécialisées se sont surtout intéressées à la satisfaction au travail, notamment pour comprendre l’énigme apparente, mise en évidence par Freeman et Medoff, d’une corrélation négative entre satisfaction au travail et syndicalisation. Des travaux ultérieurs ont confirmé ce lien négatif, mais ont conclu qu’il s’agit d’un effet de sélection plutôt que de causalité – voir Doucouliagos, Freeman et Laroche (2017[53]) qui passent en revue 59 études à ce sujet. Les travailleurs adhèrent à un syndicat parce qu’ils sont peu satisfaits ; ce ne sont pas les syndicats qui les rendent malheureux : la piètre qualité de l’emploi et de l’encadrement est fortement corrélée au désir de représentation syndicale aux États-Unis et au Royaume-Uni (Bryson et Freeman, 2013[62]). Par ailleurs, comme le remarquent Bryson et Green (2015[63]), les salariés insatisfaits sont moins enclins à quitter l’entreprise s’ils sont syndiqués, puisque la négociation et la représentation offrent aux travailleurs la possibilité d’agir pour améliorer la qualité de l’emploi – voir également l’Encadré 4.6 dans OCDE (2017[1]). En revanche, l’influence des syndicats et de la négociation collective sur les mesures intrinsèques de la qualité de l’emploi demeure relativement mal connue. Green et Whitfield (2009[64]) constatent que, dans les entreprises où des syndicats agréés sont présents, les salariés déclarent plus volontiers manquer de temps pour accomplir leurs tâches et avoir peu d’influence sur les cadences et modalités d’exécution. Bryson et Green (2015[63]) estiment que les travailleurs syndiqués jouissent d’une moindre latitude de décision, mais exploitent davantage leurs compétences et se trouvent plus souvent dans la nécessité de suivre une formation.
L’analyse présentée ici fait usage des informations fournies par l’enquête européenne sur les conditions de travail portant sur 25 pays de l’OCDE (plus la Lituanie) pour étudier le lien entre la présence d’une forme reconnue de représentation des salariés (syndicat, comité d’entreprise ou autre instance représentative) et la qualité de l’environnement de travail, l’une des trois dimensions du Cadre d’analyse de la qualité de l’emploi de l’OCDE/G20. La qualité de l’environnement de travail renvoie aux aspects non économiques de la qualité de l’emploi, notamment la nature et le contenu du travail effectué, l’organisation du temps de travail et les relations professionnelles. Elle est mesurée par le niveau de tension au travail, qui correspond à une situation où se conjuguent des exigences professionnelles élevées et de faibles ressources. Les exigences considérées sont les suivantes : i) l’exigence physique ; ii) l’intensité de travail ; et iii) la rigidité des horaires de travail ; les ressources professionnelles sont quant à elles : i) la latitude de décision et l’autonomie ; ii) la formation ; et iii) les possibilités perçues d’évolution professionnelle.
Les résultats montrent que la présence d’une forme reconnue de représentation des salariés est globalement corrélée à un plus faible niveau de tension au travail et, partant, à un environnement professionnel de meilleure qualité (Graphique 3.11). Cet effet résulte en particulier d’un lien négatif entre la présence d’une forme reconnue de représentation des salariés et l’intensité de travail (longues journées) et d’une corrélation positive avec le nombre de journées consacrées à la formation au cours des 12 derniers mois et les perspectives perçues d’évolution professionnelle. Aucun lien significatif n’est observé avec les contraintes physiques (la probabilité de porter ou de déplacer de lourdes charges), la rigidité des horaires de travail et l’autonomie d’organisation. Ces régressions neutralisent les variables relatives à l’âge, au niveau d’instruction, au sexe, au caractère temporaire des contrats, à la profession, à l’ancienneté, à la taille de l’établissement, au secteur et au pays. Les variables indicatrices du secteur garantissent que les résultats ne tiennent pas à la meilleure qualité de l’environnement professionnel des secteurs fortement syndiqués, indépendamment de la représentation des employés.
Ces résultats, s’ils n’établissent pas nécessairement l’existence d’un lien de causalité, indiquent que la représentation des salariés dans l’entreprise peut sensiblement contribuer à améliorer la qualité des emplois, notamment en réduisant l’intensité de travail et en augmentant les possibilités de formation et les perspectives d’évolution professionnelle. En effet, dans tous les pays, même ceux où les accords de branche occupent encore une place prépondérante, la négociation et la concertation au sein de l’entreprise sont un moyen primordial d’exprimer les préoccupations des salariés et de trouver des solutions viables et pragmatiques pour améliorer la qualité de l’environnement de travail. Ces résultats confirment également qu’il ne faut pas seulement voir dans la négociation collective un « mécanisme de fixation des salaires ». Néanmoins, de nouvelles études s’imposent dans ce domaine, et les travaux ultérieurs de l’OCDE analyseront plus en détail la contribution de la négociation collective à la qualité de l’emploi.
3.5. Concilier inclusivité et flexibilité dans les systèmes de négociation collective
L’avenir de la négociation collective, son utilité et sa fonction dépendront de la façon dont elle s’adaptera aux évolutions du marché du travail. Les partenaires sociaux et les pouvoirs publics doivent s’efforcer de l’utiliser au profit de l’emploi et de l’inclusion et d’éviter dans le même temps qu’elle ne devienne un carcan en veillant à ce que les entreprises aient la possibilité d’ajuster les salaires et les horaires de travail quand leur situation économique l’exige.
Ce chapitre a présenté de nouveaux éléments fondés sur diverses sources de données (relatives aux pays, aux secteurs, aux entreprises et aux salariés) qui laissent entendre que, dans une certaine mesure, la négociation collective a toujours supposé un arbitrage entre inclusivité et flexibilité. En moyenne dans les pays OCDE depuis 1980, là où la négociation collective existe et n’est pas limitée à l’entreprise, les inégalités salariales sont moins prononcées et le taux d’emploi est plus élevé, y compris pour les catégories vulnérables. La coordination des salaires peut aussi avoir pour avantage de renforcer la résilience de l’économie face aux ralentissements conjoncturels (OCDE, 2017[1]). Cela dit, le chapitre et les études spécialisées ont également démontré qu’une plus forte centralisation de la négociation collective au niveau sectoriel ou national peut diminuer les possibilités d’adapter les salaires et les conditions de travail à la situation économique d’un secteur ou d’une entreprise, ce qui peut avoir des conséquences défavorables sur la productivité.
Cette section est consacrée aux moyens d’aller plus loin, qu’il s’agisse d’outils propres à promouvoir l’inclusivité (section 3.5.1) ou d’instruments favorisant la flexibilité (section 3.5.2). L’inclusivité dans ce contexte est dans une large mesure liée à la représentation ; une place particulière est donc faite à la négociation collective et au dialogue social à grande échelle. La flexibilité peut être obtenue par de nombreux moyens, mais la gageure consiste à l’intégrer à des systèmes qui assurent une large couverture. La décentralisation organisée (qui permet de définir les conditions d’emploi par des accords d’entreprise s’inscrivant dans le cadre plus large des accords de branche), des taux de représentation élevés au niveau local et une coordination salariale intersectorielle comptent parmi les éléments les plus prometteurs pour concilier inclusivité et flexibilité.
3.5.1. Encourager la négociation collective et le dialogue social à grande échelle
Des organisations patronales et syndicales avec un grand nombre d’adhérents offrent généralement aux pays le meilleur moyen d’assurer un taux de couverture conventionnelle élevé
Pour avoir de véritables retombées macroéconomiques, la négociation collective doit mobiliser et couvrir une forte proportion des salariés et des entreprises. Des partenaires sociaux bien organisés – syndicats et organisations patronales bénéficiant d’un vaste soutien – sont souvent la condition nécessaire à l’obtention d’un taux de couverture élevée. La baisse des taux de couverture dans plusieurs pays a atténué le rôle que pourrait jouer la négociation collective à l’appui de l’égalité des salaires et de la cohésion sociale. Dans les pays où la couverture s’est maintenue mais où le taux de syndicalisation a fléchi, la légitimité et la représentativité des syndicats sont parfois remises en question.
Actuellement, le taux de syndicalisation ne dépasse 50 % que dans les pays de l’OCDE qui appliquent le système dit « de Gand », en vertu duquel le versement des allocations de chômage est régi par des mécanismes relevant des syndicats (Danemark, Finlande, Islande, Suède et en partie Belgique), et en Norvège. En réalité, ce système lui-même s’est progressivement affaibli face au développement des fonds d’assurance privés (OCDE, 2017[1]). Il se peut que le recours aux extensions administratives et aux clauses erga omnes, qui étendent les conventions collectives à des travailleurs non syndiqués et à des entreprises non couvertes, ait émoussé les incitations à s’affilier à un syndicat (les salariés non syndiqués jouissant des mêmes droits que les syndiqués). Plusieurs pays utilisent les incitations fiscales pour encourager l’adhésion syndicale. La Norvège, par exemple, la subventionne par le biais d’allégements fiscaux. Barth, Bryson et Dale Olsen (2017[65]) montrent que l’augmentation de la subvention, passée de 7 % du droit d’adhésion moyen en 2001 à 21 % en 2012, a sensiblement freiné le déclin de l’implantation syndicale. D’autres exemples nous sont fournis par la Suède, qui vient de rétablir une subvention destinée aux membres des syndicats abolie en 2007, et la Finlande, où les cotisations aux organisations syndicales et patronales sont déductibles des impôts.
L’affiliation aux organisations patronales est sensiblement plus élevée (50 % en moyenne) ; elle est en outre restée assez stable ces dernières décennies, contrairement à l’affiliation syndicale, qui marque un repli prononcé. Un cas extrême est celui de l’Autriche où l’adhésion aux organisations de branche de la chambre de commerce (Wirtschaftskammer Österreich ou WKÖ) est obligatoire pour toutes les entreprises dans chaque région (Bundesland). Les accords de branche conclus au niveau régional ou, dans certains cas, national couvrent donc forcément toutes les entreprises du secteur, ce qui évite aux autorités de devoir prendre des mesures d’extension explicites. Après examen des évolutions dans 13 pays européens, Brandl et Lehr (2016[66]) font valoir que c’est parce qu’elles ont adapté leurs structures organisationnelles et leurs activités aux besoins nouveaux des entreprises que les organisations patronales ont pu rester relativement puissantes. De plus, le recours aux extensions administratives des conventions collectives dans de nombreux pays encourage l’affiliation aux organisations patronales puisque les conditions des accords s’appliquent également aux non-membres (dont les objectifs peuvent être différents de ceux des membres).
Même dans les pays où elle joue un rôle important, la négociation d’entreprise est souvent limitée aux grandes et moyennes structures. Pour élargir le dialogue social à tous les segments de la société, certains gouvernements se sont efforcés de l’encourager dans les petites entreprises. C’est notamment le cas de la réforme du marché du travail de 2017 en France qui a donné aux entreprises de moins de 20 salariés la possibilité de conclure un accord d’entreprise même en l’absence de délégué syndical pourvu que les deux tiers au moins des employés y soient favorables. Elle a également permis aux entreprises de 20 à 50 salariés de négocier avec un représentant élu, même si celui-ci n’est pas mandaté par les syndicats. Les syndicats craignent que ces mesures destinées à favoriser le dialogue social dans les petites entreprises ne donnent lieu à des abus de la part des employeurs, qui disposent d’un pouvoir de négociation supérieur à celui des salariés. Le rôle de la négociation d’entreprise en France demeure toutefois très étroitement défini par les accords de branche qui, très souvent (tout au moins jusqu’à la réforme de 2017), font explicitement obstacle, sur la plupart des thèmes, aux renégociations et aux dérogations au niveau de l’entreprise. Un autre exemple nous vient d’Italie où, en 2017, les autorités ont augmenté les incitations fiscales pour encourager les négociations sur la rémunération liée aux résultats et sur les prestations sociales à l’échelon de l’entreprise, l’objectif déclaré étant d’élargir la négociation aux petites et moyennes entreprises et de renforcer le lien entre productivité et augmentation des salaires à ce niveau (d’Amuri et Nizzi, 2017[67]).
Le développement de formes d’emploi atypiques et nouvelles représente un défi majeur pour les systèmes de négociation collective. La signification des termes « employeur », « employé » et « lieu de travail » devient de plus en plus floue, ce qui compromet les modes de négociation traditionnels entre patrons et salariés. Les syndicats s’efforcent d’étendre leurs services aux travailleurs qui relèvent de ces nouvelles formes d’emploi26. Des mouvements non syndicaux de défense des intérêts des travailleurs font également leur apparition27. Les technologies et les médias sociaux, qui facilitent la construction de communautés et la participation à des manifestations, des boycotts et des pétitions, aident les travailleurs à s’organiser. Par ailleurs, des formes directes de représentation – réunions périodiques, réunions d’équipe et groupes de résolution de problèmes – peuvent compléter l’action des syndicats et les organismes représentatifs (Bryson, Forth et George, 2012[68] ; Bryson et al., 2017[69]).
Ces autres formes d’organisation collective sont un moyen de préserver une certaine représentation des travailleurs à un moment où les relations professionnelles évoluent rapidement. Or, souvent, ces nouveaux organismes n’ont pas le droit d’engager des négociations directes avec les employeurs, et ne le souhaitent parfois même pas. Certains employeurs craignent donc qu’elles ne constituent une menace pour les formes traditionnelles de négociation collective fondées sur le dialogue et la paix sociale. Par ailleurs, certaines restrictions à l’organisation des uns et des autres dérivent parfois du droit du travail et de la concurrence, qui s’en tiennent souvent aux notions classiques d’« employeur » et de « salarié ». Ainsi, dans le cas des travailleurs de plateformes en ligne mais aussi, plus largement, des travailleurs indépendants, un problème crucial tient à ce que la négociation collective de leur rémunération irait à l’encontre de l’interprétation habituelle des règles de concurrence qui assimilent généralement ces travailleurs à des « entreprises » (Daskalova, 2017[70]). D’où l’importance d’une réforme juridique qui définisse clairement le champ de la négociation collective et favorise l’émergence de nouvelles formes de dialogue social.
Les extensions offrent un autre moyen d’assurer une vaste couverture des conventions collectives lorsque les partenaires sociaux sont faibles, mais elles doivent être bien réglementées
En l’absence de partenaires sociaux représentatifs, le recours aux extensions administratives offre un autre moyen d’élargir la couverture de la négociation collective au plus grand nombre. Celles-ci l’étendent en effet à tous les travailleurs et entreprises d’un secteur, au-delà des membres des syndicats et des organisations patronales signataires. Elles mettent les entreprises d’un même secteur sur un pied d’égalité et diminuent la charge que supposent des négociations longues et approfondies, ce qui peut présenter un intérêt particulier pour les petites entreprises. Elles favorisent en outre la pérennité des « biens publics », notamment les programmes sectoriels de formation et de mobilité financés par les conventions collectives. Cela posé, elles peuvent aussi présenter des inconvénients dans la mesure où elles sont parfois utilisées aux fins de concurrence déloyale et peuvent compromettre les perspectives économiques de ceux qui ne sont pas représentés à la table de négociation, comme les entreprises en phase de démarrage, les petites entreprises ou les travailleurs vulnérables – voir Haucap, Pauly et Wey (2001[71]), Magruder (2012[72]) et Hijzen et Martins (2016[73]).
Pour éviter ou limiter les éventuelles retombées négatives, il importe que les parties négociatrices de l’accord représentent les intérêts d’un large éventail d’entreprises et de salariés et prévoient des « soupapes de sécurité » pour des cas spécifiques. Pour ce faire, il est possible d’imposer des critères de représentativité raisonnables et un critère d’intérêt général valable, et d’établir en parallèle des procédures bien définies d’exemption et de non-participation en cas de difficultés économiques graves (OCDE, 2017[1])28.
Comme indiqué plus haut, les extensions risquent de diminuer les incitations à adhérer à un syndicat, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur la qualité des relations professionnelles, mais aussi faire obstacle à l’assouplissement du système que l’organisation décentralisée pourrait favoriser (voir Section 3.5.2). Les extensions peuvent donc jouer un rôle utile pour assurer une couverture à tous les employés d’un secteur, mais ne remplacent pas parfaitement l’organisation collective.
Les extensions de conventions collectives ne peuvent être utilisées que dans des pays où les accords de branche existent, sous une forme ou sous une autre. Le cas de l’Australie, où un organisme public définit des normes minimales pour chaque secteur, représente un autre moyen d’assurer des conditions d’emploi de base dans toutes les entreprises d’un secteur (Encadré 3.5). Le principal handicap de ce système tient à la difficulté d’établir des normes sectorielles appropriées, car cela suppose une connaissance approfondie du secteur et, par conséquent, requiert souvent une forte participation des partenaires sociaux.
3.5.2. Veiller à ce que les systèmes de négociation collective soient en mesure de réagir à des problèmes nouveaux et inattendus
La négociation collective et le dialogue social doivent également venir à l’appui de solides résultats économiques, ce qui exigera éventuellement de veiller à ce que les conditions de travail soient suffisamment en phase avec la conjoncture. Cet objectif peut être atteint en assurant une certaine marge de manœuvre au niveau de l’entreprise ou des salariés, ou en faisant appel à des mécanismes permettant de coordonner les résultats des négociations entre les différents secteurs et entreprises de manière à privilégier la performance macroéconomique. Les partenaires sociaux peuvent par ailleurs jouer un rôle essentiel en favorisant les transitions vers de nouveaux emplois et en veillant à ce que les travailleurs soient dotés des compétences nécessaires.
Il n’est pas obligatoire de renoncer aux négociations de branche pour faire une plus grande place aux négociations d’entreprise
Les débats sur la négociation collective se sont en grande partie focalisés sur le niveau de négociation. On a donc souvent estimé que pour instaurer la flexibilité dans les systèmes où la négociation intervient essentiellement au niveau des branches, celle-ci devait céder la place à la négociation d’entreprise. Une telle évolution offrirait certes une plus grande marge de manœuvre aux entreprises, mais pourrait aussi amener une baisse du taux de couverture, ce qui porterait atteinte au caractère inclusif du système29. L’expérience de plusieurs pays montre cependant qu’il existe des solutions moins radicales, généralement désignées sous le terme de « décentralisation organisée » (Traxler, 1995[74]). Elles présentent l’avantage de préserver la négociation de branche tout en permettant d’opérer un rapprochement entre la productivité et les conditions de travail au niveau de l’entreprise.
La décentralisation organisée intervient dans le cadre des accords de branche, et autorise en parallèle explicitement la négociation ou la définition de certains aspects des conditions de travail et de l’organisation du travail à l’échelon de l’entreprise voire, dans certaines conditions et moyennant des procédures particulières, de l’employé. En principe, le cadre sectoriel devrait préserver la couverture conventionnelle et donner aux entreprises et aux travailleurs plus de liberté pour fixer les conditions de travail. La décentralisation s’effectue d’ordinaire au travers de conventions collectives conclues avec les syndicats mais aussi, dans certains cas, par le biais d’accords entre la direction et des représentants non syndicaux (comme les comités d’entreprise) ou entre la direction et les salariés pris individuellement. Pour Traxler (1995[74]), qui a forgé le terme, la décentralisation organisée s’oppose à la « décentralisation désorganisée », un système dans lequel les accords d’entreprise se substituent intégralement aux accords de branche et qui laisse de nombreux travailleurs sans représentation.
La décentralisation organisée peut revêtir plusieurs formes – voir Ibsen et Keune (à paraître[75]) pour de plus amples détails. Selon un premier modèle, les accords de branche établissent un cadre général mais laissent la place à des accords de niveau inférieur afin d’adapter les conditions d’emploi. Cette approche repose donc sur une négociation à plusieurs niveaux et une forte représentation locale (ou des extensions) ; elle est par exemple pratiquée au Danemark, en Norvège et en Suède. Dans ces pays, le principe de faveur n’est pas fixé par la loi mais relève entièrement des parties à la négociation qui décident s’il s’applique et dans quel cas.
Encadré 3.5. Une alternative à la négociation de branche ? Le cas des Modern Awards en Australie
L’Australie1 ne pratique pas la négociation de branche, mais applique un mode de réglementation à l’échelon des secteurs ou des professions appelé Modern Awards, qui définit des planchers salariaux sectoriels variant selon le niveau de qualification. Si quelque 36 % des salariés sont directement couverts par des conventions collectives, 23 % ne le sont que par ces réglementations. Autrement dit, trois cinquièmes environ des employés perçoivent des salaires qui ne sont pas déterminés par leur employeur et eux, mais par la négociation collective ou par un organisme de réglementation externe. Ce taux est nettement supérieur au taux de couverture conventionnelle moyen dans les pays de l’OCDE. Le système existe depuis plusieurs décennies, et un dispositif analogue était en place en Nouvelle-Zélande jusqu’en 1991.
En Australie, les Awards fixent des minima salariaux sectoriels qui varient selon le niveau de qualification de l’emploi et prévoient des dispositions concernant les primes pour le travail de nuit et de week-end (les « penalty rates »), la rémunération des heures supplémentaires, le temps de travail et d’autres aspects des conditions de travail. Un Modern Award couvre un secteur entier dans la plupart des États et territoires (certains États ont conservé leurs pratiques en matière de relations professionnelles). L’Australie établit également un « salaire minimum national », mais celui-ci est généralement fixé au taux le plus bas de tous les accords existants et ajusté chaque année, en même temps que le reste de la grille salariale.
Les Awards sont établis par un tribunal fédéral, la Fair Work Commission, dont les membres sont choisis par le gouvernement parmi des organismes patronaux, des syndicats, des juristes et des responsables publics. Les syndicats et les employeurs soumettent des propositions quant au contenu des Modern Awards, et la Fair Work Commission arrête ensuite sa décision. La Commission est également chargée de réviser, après consultations, les taux de rémunération (dernièrement, tous les quatre ans). En dehors de ces révisions, le rapport entre les Awards est assez stable, et il est rare que les salaires augmentent plus rapidement ou plus lentement dans un secteur que dans les autres.
Avec l’aval des salariés, les employeurs peuvent s’écarter des conditions fixées par les Awards, notamment celles concernant les horaires de travail, moyennant des procédures précises, mais la situation des salariés devrait dans tous les cas s’en trouver globalement améliorée. Il existe des mécanismes permettant de s’adapter à des circonstances provisoires particulières, mais ils ne sont guère utilisés.
Les Modern Awards ne sont pas assimilables à une négociation de branche, mais ils établissent un ensemble de salaires planchers sectoriels variant selon les qualifications, que l’on peut rapprocher, nonobstant de sensibles différences, des extensions administratives dans les pays qui pratiquent la négociation de branche.
Note :
1. Cet encadré a été rédigé en collaboration avec David Peetz (Griffith University).
Dans cette première forme de décentralisation organisée, les accords de branche peuvent revêtir les formes suivantes ou les combiner :
Accords minimaux : ils fixent des normes minimales mais laissent aux accords d’entreprise le soin de définir les salaires effectifs et les conditions de travail, à condition qu’ils respectent les normes minimales.
Accords tunnel : ils fixent les limites (inférieure et supérieure) aux conditions d’emploi que peuvent définir les accords d’entreprise.
Accords par défaut : ils fixent les salaires et les conditions de travail, mais ceux-ci n’entrent en vigueur que si les parties locales ne parviennent pas à un accord. En conséquence, les accords d’entreprise peuvent aussi définir des salaires et des conditions de travail inférieurs aux niveaux par défaut.
Accords non chiffrés : ils ne fixent aucune norme salariale, sa détermination étant entièrement laissée au niveau de l’entreprise.
Dans la pratique, il existe peu d’accords « purs », car même les accords par défaut comportent parfois des normes qui s’appliquent à tout le monde.
Les accords de branche peuvent également donner lieu à une forme de décentralisation différente lorsque les conditions de travail ne sont pas définies par un accord d’entreprise mais par les employés. Ces accords « à la carte » offrent aux salariés la possibilité de négocier, dans des limites préétablies, les salaires, le temps de travail et le temps libre. Dans certains cas, les accords d’entreprise prévoient cette option pour le personnel (système « à la carte » obligatoire). Dans d’autres, cette possibilité est prévue dans l’accord sectoriel, indépendamment d’un accord d’entreprise (système « à la carte » facultatif). Les accords « à la carte » occupent une place importante aux Pays-Bas où, en dehors de certains secteurs et grandes entreprises, les possibilités de négocier des compléments aux accords de branche au sein des entreprises sont limitées compte tenu des niveaux relativement faibles de représentation locale (Visser, 2016[76]).
Selon un deuxième modèle de décentralisation organisée, présent notamment en Allemagne et en Autriche, les accords de branche déterminent des conditions d’emploi standards et autorisent des exemptions au principe de faveur moyennant des clauses de dérogation ou de non-participation. Ces clauses, également dénommées clauses de concurrence, de sauvegarde ou d’ouverture, permettent aux accords d’entreprise de revoir à la baisse les salaires et les conditions de travail définis dans un accord de branche. Elles étaient d’ordinaire destinées aux entreprises confrontées à de graves problèmes économiques et devaient s’appliquer pendant une période donnée dans des conditions prédéfinies30. En Allemagne, depuis 2004, les entreprises y ont plus généralement recours pour abaisser les coûts de main-d’œuvre. Certaines clauses les autorisent à reporter ou annuler des éléments de l’accord de branche, les augmentations de salaires notamment, en fonction de leur catégorie ou de leur situation économique.
En Allemagne, les clauses d’ouverture sont généralement subordonnées à un accord initial entre les partenaires sociaux signataires du secteur d’activité ou de la région. Les parties disposent d’une certaine latitude pour définir les questions de fond couvertes par ces clauses (salaires, temps de travail, garanties d’emploi, etc.) et les conditions et procédures auxquelles les dérogations sont soumises. Selon Schulten et Bispinck (2017[77]), les parties négociatrices de l’entreprise (direction et comité d’entreprise) soumettent généralement une demande commune aux parties signataires au niveau du secteur, qui arrêtent la décision finale. Il est toutefois également possible de déroger et de laisser cette décision aux parties en présence au sein de l’entreprise. Selon une étude récente (Amlinger et Bispinck, 2016[78]), les accords dérogatoires concernent essentiellement le temps de travail (14 % des entreprises couvertes par une convention collective), les salaires (10 %), les indemnités (10 %), les primes annuelles (10 %) et la rémunération de l’apprentissage (3 %). Les clauses des accords de branche définissent principalement les règles et conditions qui gouvernent les dérogations, notamment les suivantes :
Les entreprises doivent communiquer leurs informations financières pour justifier une dérogation.
Les parties intéressées au niveau de l’entreprise et du secteur doivent disposer du temps nécessaire pour examiner la situation financière de l’entreprise et les mesures adoptées.
La durée de la dérogation doit être limitée afin de garantir le retour aux normes définies dans l’accord de branche.
Les dérogations sont subordonnées à la sauvegarde des emplois ou à des plans d’investissement destinés à renforcer la viabilité de l’entreprise.
Outre ces procédures bipartites, les syndicats ont établi leurs propres règles de procédure pour éviter que des dérogations soient convenues entre les parties locales sans que les salariés obtiennent quelque chose en échange. Selon Haipeter et Lehndorff (2014[79]) et Schulten et Bispinck (2017[77]), les procédures de cette nature ont permis de limiter le recours aux clauses de non-participation. Baccaro et Benassi (2017[80]) sont moins optimistes, car le contrôle exercé au moyen de procédures internes n’est efficace que dans certains secteurs, notamment la métallurgie où les syndicats sont encore puissants à l’échelon local. Dans le secteur du commerce de détail allemand, en revanche, la décentralisation a été moins « organisée » car les syndicats et les comités d’entreprise sont moins omniprésents et les employeurs ont plutôt opté pour une adhésion non contraignante à l’association patronale, ou choisi de ne pas s’y affilier. Ajouté à l’usage limité des extensions, cela s’est traduit par un recul substantiel de la couverture conventionnelle.
Si des conditions d’utilisation rigoureuses des clauses d’ouverture permettent de préserver le caractère organisé du processus de décentralisation, elles risquent également de diminuer considérablement leur rôle. Lorsque des clauses d’ouverture sont en place, les clauses de non-participation sont surtout utilisées par les grandes entreprises, qui ne sont pas nécessairement celles qui en ont le plus besoin. Souvent, les petites entreprises ne sont pas en mesure de faire appel aux dérogations ou aux clauses de non-participation parce qu’elles n’en ont pas la capacité ou ne disposent pas de représentation syndicale. Dans un scénario peut-être extrême, mais pas totalement improbable, les clauses de non-participation assorties de conditions très rigoureuses peuvent être utilisées à des fins anticoncurrentielles : les grandes entreprises pourraient dans un premier temps négocier des conditions relativement généreuses dans le cadre d’accords de branche, puis s’en retirer afin d’obtenir des conditions plus avantageuses pour elles-mêmes, laissant les concurrents assumer la charge des conditions généreuses qu’elles ont négociées (OCDE, 2017[1])31.
Globalement, la décentralisation organisée semble propre à augmenter l’adaptabilité du système, dans une certaine mesure au moins, sans pour autant s’accompagner d’une baisse substantielle du nombre de travailleurs représentés. C’est le cas dans les pays où des extensions bien réglementées permettent d’assurer un taux de couverture conventionnelle élevé (comme aux Pays-Bas), dans ceux où le taux de syndicalisation est important (comme dans les pays nordiques), et dans ceux où le taux d’adhésion aux organisations patronales est haut (comme en Autriche). En Allemagne, l’instauration des clauses d’ouverture est allée de pair avec une réduction du recours aux extensions et une baisse du taux de couverture conventionnelle. Des formes particulières d’affiliation aux associations patronales (dites Ohne Tarifbindung Mitgliedschaft), qui ne lient pas les entreprises à des conventions collectives, ont favorisé le désengagement des employeurs de la négociation. L’expérience de l’Allemagne illustre les problèmes auxquels se heurte la décentralisation organisée dans un contexte où le degré de représentation locale est relativement faible. Dans ce contexte, les possibilités de non-participation sont limitées pour certaines entreprises, ce qui les incite d’autant plus à se retirer complètement des associations d’employeurs, et contribue au repli du taux de couverture conventionnelle. En fin de compte, la décentralisation en Allemagne associe des composantes des systèmes organisés et désorganisés, ainsi que l’ont également noté Visser (2016[76]) et Oberfichtner et Schnabel (2017[81]).
Plusieurs pays, notamment dans le sud de l’Europe après la crise de la zone euro, ont adopté des réformes visant à assouplir leurs systèmes de négociation collective dans l’esprit du modèle allemand. On citera pour exemples l’Espagne (OCDE, 2014[82]), le Portugal (OCDE, 2017[83]) et, à un degré différent, la Grèce (OCDE, 2018[84]). Il conviendra, dans les années à venir, d’évaluer attentivement les clauses d’ouverture mises en place dans les pays qui n’en avaient pas et leur éventuelle interaction avec d’autres éléments du système de négociation collective. Faute d’une forte représentation des travailleurs à l’échelon local, sous forme de syndicats ou de comités d’entreprise, la portée de ces réformes est limitée, ce qui risque d’inciter les entreprises à quitter les associations patronales en l’absence d’extensions ou à opter pour des formes moins organisées de négociation collective.
La coordination des salaires peut renforcer l’adaptabilité à la conjoncture macroéconomique
Les rapports OCDE (2012[18]) et OCDE (2017[1]) constataient que la coordination des salaires dans les différents secteurs peut favoriser la résilience du marché du travail au lendemain d’un ralentissement économique grâce à la plus grande flexibilité des revenus d’activité (via la modulation du temps de travail ou des salaires) et aux meilleurs résultats en termes d’emploi dérivant de la modération salariale. Les nouveaux éléments présentés à la section 3.2 concernant le lien entre les systèmes de négociation collective et l’emploi viennent étayer ces observations.
La coordination passe soit par l’adoption d’accords de branche ou d’entreprise suivant des directives établies par des organisations centrales ou un pacte social, soit par la désignation d’un chef de file (secteur ou groupe de sociétés) qui indique aux autres la voie à suivre (« négociations pilotes »).
Les directives des organisations centrales définissent des normes ou des objectifs à respecter dans le cadre des négociations aux niveaux inférieurs. Elles existent dans plusieurs pays, mais ne sont contraignantes que dans ceux où les principaux syndicats ou organisations patronales sont relativement puissants et centralisés (dans les pays nordiques et, à un degré nettement moindre, en France et en Italie).
Un pacte social est un accord conclu au plus haut niveau, qui porte sur un ensemble complet de mesures et qui est négocié entre le gouvernement, les syndicats et les organisations patronales. En réunissant toutes les parties à une même table, au niveau national, il permet de formuler une riposte consensuelle, notamment face aux chocs macroéconomiques. Il constitue donc un mode de coordination efficace. Comme indiqué dans OCDE (2017[1]), la coordination au sommet et les pactes sociaux peuvent diminuer les coûts de transaction liés à la négociation de réductions temporaires des salaires et du temps de travail et à mieux les faire accepter par les travailleurs en veillant à ce qu’elles soient équitables.
Les négociations pilotes ont pour objectif de favoriser la performance macroéconomique via la compétitivité internationale, en période de croissance comme en période de crise. Un exemple concret nous est offert par la Suède, où le secteur exportateur (principalement le secteur manufacturier) fixe chaque année un « taux de revalorisation » (l’augmentation admissible de la masse salariale) en fonction de l’évolution de la productivité et des salaires dans d’autres pays. Ce taux constitue un plafond de référence pour les autres secteurs. Dans ce cas, la négociation d’entreprise intervient essentiellement pour décider de la répartition des augmentations salariales à l’intérieur de l’entreprise (avec des exceptions)32. Les négociations pilotes, sous différentes formes, existent aussi en Allemagne, en Autriche, au Danemark, au Japon, en Norvège et aux Pays-Bas.
La présence d’organisations patronales et de syndicats puissants et représentatifs est une condition préalable au bon fonctionnement de la négociation salariale. La coordination des salaires suppose un degré de confiance élevé chez les partenaires sociaux et entre eux, et l’existence d’informations objectives et communes sur la situation du marché du travail. Il n’est pas facile de faire appliquer des objectifs de salaire-plafond, surtout si certains secteurs non exportateurs peuvent se permettre des revalorisations supérieures au taux convenu. Ibsen (2016[85]) met en évidence le rôle des organismes de médiation dans le fonctionnement des négociations pilotes au Danemark et en Suède. Au Danemark, l’organisme médiateur peut demander l’approbation de tous les accords en un seul scrutin majoritaire, ce qui oblige concrètement ceux qui auraient fait défection à y adhérer. En Suède, le processus de médiation opère plutôt par la persuasion et la stigmatisation des récalcitrants. À l’inverse, l’absence d’organismes de médiation efficaces serait l’une des raisons à l’origine du déclin de la négociation collective en Allemagne. Le degré exceptionnel d’autoréglementation des partenaires sociaux fait que la coordination y est fondamentalement différente de la centralisation qui est généralement inscrite dans les lois ou les règlements.
À cela, il faut ajouter que la part de l’industrie manufacturière dans l’emploi total et le PIB a reculé dans la plupart des pays, ce qui remet en question son rôle prépondérant dans les négociations pilotes et la pérennité de la coordination dans ce cadre. Dans le contexte suédois, le Conseil du marché du travail a attiré l’attention sur le fait que, si cette situation persistait, le système de coordination actuel risquait de s’effondrer (Arbetsmarknadsekonomiska rådet, 2017[86]), et qu’il serait alors plus difficile d’assurer la modération salariale. Un moyen de prévenir cette situation consisterait à fixer le « taux de revalorisation » en tenant compte de l’évolution de la productivité et des prix dans tous les secteurs exportateurs, et pas seulement dans le secteur manufacturier33.
L’un dans l’autre, la coordination continue d’offrir un moyen hors pair de renforcer la résilience du marché du travail et l’inclusivité de la négociation collective tout en préservant la compétitivité de l’économie nationale. Elle suppose toutefois des partenaires sociaux puissants aux niveaux national et local, et se heurte par ailleurs à des difficultés toujours croissantes pour conserver son efficacité dans une structure économique en mutation.
Les partenaires sociaux peuvent jouer un rôle majeur à l’appui des transitions et de l’adaptabilité du marché du travail
Dans plusieurs pays, les partenaires sociaux jouent un rôle important en prêtant appui aux travailleurs en reconversion professionnelle, rôle qui peut s’avérer déterminant dans les périodes de mutation structurelle liées à la mondialisation et à la transformation numérique. Le chapitre 4 de cette édition des Perspectives de l’emploi examine en détail le rôle des politiques publiques et des partenaires sociaux dans la gestion des transitions sur le marché du travail. Il présente, par exemple, le cas des Conseils de sécurité de l’emploi en Suède, auxquels les organisations patronales et les syndicats participent conjointement (les pouvoirs publics en sont totalement absents) et qui jouent un rôle décisif en cas de fermeture d’usines et autres licenciements massifs. Les Outplacement Labour Foundations en Autriche fournissent également une assistance, des conseils, des dispositifs de reconversion, des formations pratiques et une aide directe aux travailleurs victimes de licenciements économiques, mais elles offrent en outre des prestations de chômage de longue durée, notamment aux travailleurs les plus démunis. L’Autriche dispose aussi de Inplacement Labour Foundations, au rôle plus prospectif, qui aident les entreprises à se procurer du personnel qualifié en cas de pénurie.
Dans certains pays qui pratiquent la négociation de branche, les syndicats et les organisations patronales investissent ensemble dans les compétences de la main-d’œuvre. Aux Pays-Bas, par exemple, les fonds sectoriels de formation et de perfectionnement O & O (Opleidings en Ontwikkelingsfonds) sont des programmes mis en place par les partenaires sociaux et principalement financés par un prélèvement sur les salaires dont le montant est déterminé dans les conventions collectives. Ils offrent aux travailleurs des possibilités d’apprentissage pour actualiser leurs compétences et les préparer à trouver un nouvel emploi ultérieurement. Des échanges constants entre les partenaires sociaux permettent aux fonds O & O d’anticiper les besoins en matière de qualifications. Mais ces dispositifs eux-mêmes sont confrontés à des défis et doivent s’adapter au nouveau monde du travail. Ainsi, la structure sectorielle des fonds O & O pourrait perdre de sa pertinence dans un monde où les changements d’emploi risquent de plus en plus de s’accompagner d’un changement de secteur.
3.6. Conclusions
Les systèmes de négociation collective se trouvent à la croisée des chemins dans de nombreux pays de l’OCDE. Les mutations technologiques et organisationnelles, la concurrence mondiale et la décentralisation de la négociation amorcée par les réformes des années 90 et pendant la crise financière mondiale ont affaibli le rôle des syndicats et des organisations patronales et réduit la portée de la négociation collective.
Ce chapitre a jeté un éclairage nouveau sur la contribution que la négociation collective peut apporter au bon fonctionnement du marché du travail. Il a fait appel à un éventail de données micro et macroéconomiques internationales pour démontrer en quoi la négociation collective influe sur l’emploi, les salaires, les conditions de travail, les inégalités et la productivité. Il en ressort que les systèmes coordonnés de négociation collective sont associés à des taux d’emploi plus élevés, à des taux de chômage plus faibles, à une meilleure intégration des groupes vulnérables et à des inégalités salariales moins prononcées que les systèmes entièrement décentralisés. Des travaux précédents ont également montré que ces systèmes renforcent la résilience de l’économie face aux ralentissements conjoncturels. Les systèmes centralisés non coordonnés occupent une position intermédiaire : ils obtiennent des résultats similaires à ceux des systèmes entièrement décentralisés en termes de chômage, mais montrent aussi bon nombre des effets positifs des systèmes coordonnés à d’autres égards. Les systèmes centralisés risquent toutefois de réduire la marge de manœuvre des entreprises pour adapter les rémunérations et les conditions de travail à la situation conjoncturelle et de faire obstacle à la réaffectation de la main-d’œuvre entre les entreprises et les secteurs, ce qui peut avoir des retombées négatives sur la productivité.
Le monde du travail évolue rapidement ; de plus en plus, les travailleurs exercent différents métiers et mènent même différentes carrières au cours de leur vie active, et occupent plusieurs emplois en même temps. Dans ce contexte, il faut repenser le rôle de l’organisation et de l’action collectives. Ces mutations du monde du travail mettent à rude épreuve le dialogue social et la négociation collective qui, plus que d’autres institutions du marché du travail, sont profondément ancrés dans le tissu social de chaque pays et fondés sur des décennies de pratiques et de traditions. Néanmoins, une comparaison avec des pays confrontés à des défis similaires peut être source d’inspiration pour les décideurs politiques, les syndicats et les organisations patronales qui envisagent d’adapter leurs systèmes.
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[102] OCDE (2016), « Promouvoir la productivité et l’égalité : un double défi », dans Perspectives économiques de l’OCDE, volume 2016, numéro 1, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/eco_outlook-v2016-1-3-fr.
[47] OCDE (2014), Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2014, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2014-fr.
[82] OCDE (2014), The 2012 Labour Market Reform in Spain : A Preliminary Assessment, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264213586-en.
[18] OCDE (2012), Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2012, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2012-fr.
[32] OCDE (2011), Toujours plus d’inégalité : Pourquoi les écarts de revenus se creusent, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264119550-fr.
[19] OCDE (2006), Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2006 : Stimuler l’emploi et les revenus, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2006-fr.
[17] OCDE (2004), Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2004, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2004-fr.
[10] OCDE (1997), Perspectives de l’emploi de l’OCDE 1997 : juillet, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-1997-fr.
[9] OCDE (1994), La stratégie de l’OCDE pour l’emploi, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/20743653.
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Informations complémentaires pour le chapitre 3
Des informations complémentaires pour le chapitre 3 sont disponibles en ligne, en anglais seulement, à l’adresse suivante : http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2018-13-en.
Notes
← 1. Voir OCDE (2017[1]) pour une description détaillée de l’évolution des taux d’affiliation aux syndicats et organisations patronales et de la couverture conventionnelle dans les pays de l’OCDE au cours des trois dernières décennies.
← 2. Dans les modèles de « contrat optimal », les employeurs et les syndicats négocient ensemble sur les salaires et l’emploi de manière à optimiser l’excédent après déduction des options extérieures.
← 3. Selon des données récentes des États-Unis, le pouvoir de monopsone serait plus important qu’on ne le pensait auparavant – voir Azar, Marinescu et Steinbaum (2017[101]) et Benmelech, Bergman et Kim (2018[100]).
← 4. Voir Hijzen, Martins et Parlevliet (2018[92]) pour une analyse comparative détaillée des systèmes de négociation collective dans ces deux pays.
← 5. Pour les pays de l’OCDE, Freeman (1988[94]) n’a constaté aucun effet du taux de syndicalisation sur le chômage, alors que Nickell (1997[88]) et Nickell et Layard (1999[89]) ont observé une corrélation positive. D’après Scarpetta (1996[87]), un taux de syndicalisation élevé renforce généralement la persistance du chômage. D’autres études ont utilisé les réformes menées dans certains pays pour analyser le lien entre affiliation syndicale et emploi : Blanchflower et Freeman (1993[28]) se sont servi des celles conduites par Mme Thatcher au Royaume-Uni, et ont conclu à l’absence d’effets sur le chômage et sur la probabilité de sortie du chômage. Maloney (1997[91]) a en revanche constaté que la réforme menée en Nouvelle-Zélande, qui s’est traduite par une forte baisse du taux de syndicalisation, a entraîné une augmentation substantielle de l’emploi.
← 6. Une clause erga omnes (locution latine qui signifie, littéralement, « à l’égard de tous ») désigne l’extension des accords à tous les salariés d’une même entreprise, et pas seulement aux membres des syndicats signataires. La clause erga omnes diffère de l’extension administrative d’une convention collective, qui se rapporte à l’extension d’un accord de branche aux salariés d’entreprises non signataires ou non affiliées à une organisation patronale signataire.
← 7. Nickell et Layard (1999[89]), par exemple, concluent à un effet positif de la couverture sur le chômage, et à un effet négatif sur l’emploi ; d’après Baker et al. (2005[105]), par contre, les effets sont insignifiants. Au niveau de l’OCDE, de Serres et Murtin (2014[99]) constatent que la couverture conventionnelle, surtout si elle est supérieure à la couverture syndicale, peut donner lieu à des ajustements rigides des salaires et être préjudiciable à l’emploi. Plusieurs études ont également utilisé l’écart entre la couverture conventionnelle et le taux de syndicalisation, appelé « excédent de couverture conventionnelle », pour examiner l’effet des extensions administratives, alors qu’en fait cette mesure mêle clauses erga omnes et extensions administratives. Murtin, de Serres et Hijzen (2014[90]), par exemple, étudient l’interaction des extensions et du coin fiscal et constatent un effet négatif de ce dernier sur le chômage dans les pays où « l’excédent de couverture » est plus élevé. Gal et Theising (2015[93]) observent un effet négatif de « l’excédent de couverture » sur l’emploi, mais celui-ci semble déterminé essentiellement par l’Allemagne, l’Espagne et la Nouvelle-Zélande. Égert et Gal (2017[96]) constatent également qu’un « excédent de couverture » plus élevé est corrélé à des taux d’emplois plus faibles.
← 8. Le corporatisme est un « système d’organisation sociale qui a pour base le regroupement des hommes selon la communauté de leurs intérêts naturels et de leurs fonctions sociales ; en tant qu’organes véritables et propres de l’État, ils orientent et coordonnent le travail et le capital dans des domaines d’intérêt commun » (Cameron, 1984[7]).
← 9. La version originale de la Stratégie pour l’emploi portait un jugement plus favorable sur les accords de négociation centralisés ou coordonnés que sur la négociation de branche, mais ne les préconisait pas explicitement. Alors que les pays dotés de tels systèmes parvenaient généralement à maintenir des niveaux d’emploi relativement élevés, les preuves empiriques fournies par les panels de pays étaient jugées faibles. Par ailleurs, les bons résultats en matière d’emploi de ces pays tenaient, dans une large mesure, davantage aux évolutions du secteur public qu’à celles du secteur privé. Plus fondamentalement, la possibilité de promouvoir des systèmes de négociation entièrement centralisés ou des systèmes bien coordonnés de manière à favoriser la résilience et à contenir les spirales salariales était mise en doute.
← 10. La Stratégie pour l’emploi révisée a également reconnu que les conventions collectives sont profondément ancrées dans le tissu social des pays, et estimé que c’était sans doute là la raison essentielle au peu de progrès accomplis depuis la première Étude sur l’emploi de 1994.
← 11. Il est toutefois difficile de déterminer si le résultat de Boeri (2014[20]) tient à la structure « à deux niveaux » du système ou à l’absence de coordination des salaires dans les pays dotés d’une telle structure.
← 12. Il va de soi que certaines simplifications s’imposent pour classer les pays dans ces catégories de systèmes de négociation collective. Il convient donc de garder à l’esprit l’analyse détaillée présentée dans OCDE (2017[1]) lorsque l’on compare et que l’on évalue le fonctionnement des différents systèmes de négociation en place.
← 13. Dans les Perspectives de l’emploi 2017 (OCDE, 2017[1]), l’Espagne et la Suisse figuraient dans un groupe intermédiaire, à mi-chemin entre les systèmes essentiellement centralisés et les systèmes décentralisés organisés. Le nombre d’observations entre 1980 et 2015 est cependant trop faible pour que ce groupe puisse être utilisé à des fins économétriques.
← 14. La base de données ICTWSS peut être consultée à l’adresse suivante : http://www.uva-aias.net/en/ictwss.
← 15. Pour éviter une réduction de la taille de l’échantillon, les valeurs manquantes parmi les variables de contrôle ont été redéfinies à zéro et des variables muettes ont été intégrées à ces dernières pour les observations manquantes.
← 16. On aboutit à des résultats similaires, en termes qualitatifs, lorsque l’on neutralise séparément les degrés de centralisation et de coordination (OCDE, 2018[21]). La centralisation est associée à des taux d’emploi plus faibles (la relation n’étant cependant pas monotone, car elle s’atténue pour les formes extrêmes de centralisation) et n’est pas corrélée au taux de chômage. La coordination des salaires va de pair avec des taux d’emploi plus élevés et des taux de chômage inférieurs.
← 17. La négociation collective, si elle diminue les inégalités salariales chez les travailleurs à temps plein, risque de creuser les inégalités de revenus d’activité entre les salariés à temps plein et les autres, suivant le modèle « travailleurs installés, travailleurs en marge ». Comme les données de cette analyse se fondent sur les salaires horaires de ceux qui travaillent à temps plein, elles ne peuvent être utilisées pour étudier les effets sur l’inégalité globale des revenus d’activité de l’ensemble des salariés.
← 18. Pour les pays européens, la variable de négociation indiquée dans les données est une caractéristique associée à l’entreprise et non à l’individu. Par conséquent, tous les salariés d’une entreprise sont classés dans la même catégorie, qu’ils relèvent individuellement de ce type de négociation ou pas. Les données indiquent seulement l’accord le plus pertinent, même dans les cas où il existe à la fois un accord de branche et un accord d’entreprise. Pour quelques autres pays, même si la variable n’est pas manquante, les données n’enregistrent pas de variation interne, et ne sont donc pas utilisées.
← 19. En comparaison à une régression MCO, qui comprend une ou deux variables indicatrices de négociation collective, la décomposition de Juhn-Murphy-Pierce (JMP) présente l’avantage de réunir toutes les parties de l’analyse présentée dans cette section. Il est possible de substituer à la décomposition JMP des méthodes de repondération, comme celles que DiNardo, Fortin et Lemieux (1996[97]) ont fait largement connaître. Ces méthodes sont cependant particulièrement sensibles au problème de l’absence de base commune, à savoir que des caractéristiques courantes dans un système de négociation collective ne se retrouvent pas dans un autre. C’est pourquoi elles ne peuvent être utilisées dans ce contexte.
← 20. Le décalage entre les salaires et la productivité peut avoir un coût en termes d’efficience, une croissance plus faible de la productivité notamment. Le lien éventuel entre efficience, alignement des salaires et de la productivité, et dispersion des salaires peut donner à la négociation collective un rôle central dans l’articulation productivité-inégalités – voir OCDE (2016[104]) et OCDE (2016[102]).
← 21. Dans une économie sans frictions, les salaires en vigueur dans un secteur devraient correspondre à la productivité marginale de ce dernier. L’analyse utilise la productivité moyenne, plutôt que marginale, car la productivité marginale est plus difficile à mesurer. Dans le cas d’une fonction de production Cobb-Douglas classique, la productivité marginale est égale à la productivité moyenne. Dans la pratique, toutefois, les paramètres de la fonction de production peuvent ne pas être constants dans tous les secteurs, la concurrence peut être imparfaite et la distribution des salaires sectoriels peut ne pas être en phase avec celle de la productivité moyenne pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la négociation collective (parfois en raison d’écarts d’intensité capitalistique entre les secteurs et dans le temps ; voir par exemple le chapitre 2).
← 22. L’analyse des corrélations intersectorielles utilise les effets fixes par pays pour prendre en compte le niveau de productivité global de l’économie.
← 23. L’analyse des taux de croissance annuels des salaires et de la productivité, au lieu de leurs niveaux, aboutit à des résultats similaires. Comme les taux de croissance rendent davantage compte des ajustements de court terme, il semblerait donc que la négociation collective influe sur la manière dont les salaires sont fixés, à court comme à long terme.
← 24. Les statistiques agrégées de la zone euro sont basées sur des données non harmonisées portant sur dix pays – à savoir tous les grands pays, et couvrant plus de 95 % de la zone (Schulten, 2013[46]). La BCE qualifie « d’expérimentales » ces données qui supposent des compromis en termes d’harmonisation, de couverture et de solidité méthodologique des données sources.
← 25. Pour une note méthodologique sur les données de la base CAWIE, voir van Gyes et Vandekerckhove (2015[106]) ; pour des analyses des politiques, voir Schulten (2013[46]) et Delahaie, Vandekerckhove et Vincent (2015[98]). En comparaison de l’analyse présentée dans ce chapitre, Schulten (2013[46]) examine également les évolutions sectorielles des salaires négociés mais ne constate aucune ligne de force claire dans les pays européens.
← 26. En Allemagne, le syndicat des métallurgistes IG Metall s’est ouvert aux travailleurs indépendants en 2016 et a créé un site internet, http://faircrowd.work/, qui permet aux travailleurs de plateformes en ligne de se connecter entre eux, d’évaluer les plateformes et d’adhérer au syndicat. IG Metall a également mis en place un service de médiation pour régler à l’amiable les différends entre ces travailleurs, les clients et les plates-formes. Les syndicats de plusieurs autres pays ont pris des initiatives similaires.
← 27. Les « work centers » aux États-Unis en sont un exemple (Fine, 2006[95]) : il s’agit d’organisations locales à but non lucratif et non de syndicats. Cette structure laisse une plus grande marge de liberté pour participer à des actions collectives et à des boycotts, réduit le nombre de formalités à accomplir et permet de recourir à d’autres sources de financement (dont les fondations et les pouvoirs publics). Les « work centers » mènent des actions de sensibilisation et ambitionnent d’améliorer les conditions de travail moyennant des réformes plutôt que des négociations. Un autre modèle est celui des coopératives qui organisent les travailleurs indépendants et leur fournissent toute une gamme de services. On citera pour exemple SMart, une coopérative créée à l’origine pour soutenir les artistes en Belgique, mais qui offre maintenant des services à d’autres travailleurs atypiques et opère dans neuf pays. SMart offre aux travailleurs indépendants un large éventail de services : aide à la facturation et à la déclaration de revenus ; octroi du statut de salarié (ce qui leur permet de bénéficier de la protection sociale) ; recouvrement de créances ; avances de salaire (grâce à un fonds de garantie mutuelle) ; et mise à disposition d’espaces de formation et d’espaces de travail partagés.
← 28. Voir les pages 154 à 159 des Perspectives de l’emploi 2017 (OCDE, 2017[1]) pour une analyse détaillée des avantages et des inconvénients des différentes options, et OCDE (2017[103]) pour une application dans le contexte de la France, où les extensions étaient, jusqu’à la réforme récente, quasi automatiques.
← 29. Les Perspectives de l’emploi de l’année dernière (OCDE, 2017[1]) montraient qu’en Europe, la proportion de travailleurs représentés par des délégués du personnel, des représentants syndicaux, des comités d’entreprise ou d’autres formes de représentation des salariés est plus faible dans les pays où la négociation d’entreprise est prédominante. En revanche, elle est généralement élevée dans les systèmes multi-niveaux où accords de branche et accords d’entreprise sont complémentaires.
← 30. Une catégorie particulière de clauses d’ouverture s’applique au régime de chômage partiel Kurzarbeit qui permet aux entreprises, en période de crise économique, de faire provisoirement bénéficier une partie de leurs effectifs des indemnités de chômage. Ce dispositif a pour objectif de permettre à l’entreprise en crise de conserver une main d’œuvre précieuse. Il diffère des clauses d’ouverture « normales » en ce sens que le gouvernement remplit une fonction essentielle, puisqu’il réglemente le régime de prestations de chômage.
← 31. Dans quelques autres pays (dont la France, tout au moins jusqu’à la réforme de 2017 -, l’Italie et le Portugal), la négociation d’entreprise joue parfois un rôle important mais, sous l’effet de l’application stricte du principe de faveur ou de la pratique des partenaires sociaux consistant à « verrouiller » le contenu des accords de branche, les accords d’entreprise ne peuvent qu’améliorer les normes fixées au niveau national ou sectoriel. En principe, ces structures à deux niveaux devraient néanmoins permettre de concilier un taux de couverture élevé, la stabilité macroéconomique et quelques marges d’ajustement au niveau des entreprises. En effet, le principal avantage de ce système est qu’il ne repose pas sur la représentation locale dans les petites entreprises ou dans les entreprises moins productives. Boeri (2014[20]) affirme toutefois que ces régimes « associent à la rigidité salariale des systèmes centralisés la non-prise en compte des contraintes macroéconomiques » des systèmes décentralisés (Boeri, 2014, p. 17[20]). Cela tient peut-être à ce que ceux qui peuvent offrir des accords plus favorables au niveau de l’entreprise imposent aux autres des conditions de travail généreuses au travers de leur participation à la négociation d’accords sectoriels. Mais cela pourrait aussi tenir à l’absence dans ces pays d’un système approprié de coordination des salaires dont il a été démontré qu’il était un facteur déterminant de la souplesse macroéconomique (OCDE, 2017[1]).
← 32. Au cours du cycle de négociations de 2016, par exemple, la « revalorisation » a été fixée à environ 2,5 %, mais les infirmières auxiliaires ont bénéficié d’une augmentation de salaire d’environ 3,5 %. Tous les partenaires sociaux se sont prononcés en faveur de cette exception en raison des hausses de salaire comparativement faibles accordées aux infirmières auxiliaires pendant de nombreuses années malgré les pénuries de main-d’œuvre dans cette profession.
← 33. Le FMI (2017[107]), dans son examen au titre de l’article IV de la Suède, a appelé les partenaires sociaux à trouver les moyens de permettre aux salaires de mieux s’adapter à la conjoncture nationale, au niveau macroéconomique comme au niveau sectoriel.