Au cours des vingt dernières années, dans de nombreux pays de l’OCDE, la croissance des salaires médians réels s’est dissociée de celle de la productivité du travail, en partie sous l’effet de la contraction de la part du travail. Le présent chapitre analyse les déterminants de l’évolution de la part du travail dans le revenu des facteurs à partir de données recueillies à la fois au niveau des secteurs et au niveau des entreprises. Les progrès technologiques enregistrés dans le secteur des biens d’équipement et la participation accrue aux chaînes de valeur mondiales ont contribué au déclin de la part du travail. Toutefois, les effets des innovations technologiques sont nettement moins marqués pour les travailleurs hautement qualifiés. Dans les pays où la part du travail recule, on observe à la fois un déclin à la frontière technologique et une redistribution des parts de marché au profit des entreprises « superstars » à faible intensité de travail (conformément à une dynamique de « winner-takes-most »). Le déclin constaté à la frontière technologique tient davantage à l’arrivée à cette frontière d’entreprises à moindre intensité de travail qu’à une contraction de la part du travail dans les entreprises déjà situées à la frontière technologique, ce qui donne à penser que jusqu’à présent, ce processus est principalement déterminé par le dynamisme technologique plutôt que par le jeu des forces anticoncurrentielles.
Perspectives de l'emploi de l'OCDE 2018
Chapitre 2. L’évolution de la part du travail au cours des deux dernières décennies : l’influence du progrès technologique, de la mondialisation et de la dynamique du « winner‑takes‑most »
Abstract
Les données statistiques concernant Israël sont fournies par et sous la responsabilité des autorités israéliennes compétentes. L’utilisation de ces données par l’OCDE est sans préjudice du statut des hauteurs du Golan, de Jérusalem Est et des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie aux termes du droit international.
Principaux résultats
Un découplage s’est opéré, à l’échelle de la zone OCDE, entre les salaires réels médians et la productivité au cours des deux dernières décennies. En effet, si les salaires réels médians avaient évolué parfaitement à l’unisson de la productivité sur la période 1995-2014, leur niveau aurait été supérieur de 13 % à celui relevé au terme de cette période. L’évolution de la part du travail – soit la part des revenus, salaires et autres formes de rémunération du travail dans le revenu national – est responsable pour moitié environ de l’écart qui s’est ainsi ouvert, le reste tenant au creusement des inégalités salariales mis en évidence par le déclin du ratio entre salaire médian et salaire moyen. À partir de ce constat, le présent chapitre est dédié à l’analyse des causes de l’évolution récente de la part du travail dans le revenu des facteurs. Les principaux résultats de cette analyse sont exposés ci-après :
La part du travail accuse un net recul sur les deux dernières décennies. Au niveau agrégé, pour les 24 pays de l’OCDE étudiés aux fins du présent chapitre, ce recul est de l’ordre de 3.5 points de pourcentage entre 1995 et 2013 (de 71.5 % environ à 68 %).
La part du travail a évolué de manière très différente selon les pays. Elle a ainsi perdu quelque 8 points de pourcentage aux États-Unis tandis qu’elle est restée relativement stable, voire a augmenté, dans environ la moitié des pays de l’OCDE étudiés, parmi lesquels la France, l’Italie et le Royaume-Uni. Ces disparités reflètent en partie celles que l’on peut observer au niveau du cycle conjoncturel.
En accord avec les résultats de OCDE (2012[1]), le progrès technologique et la mondialisation peuvent expliquer en grande partie pourquoi la part du travail se contracte. La technologie, qui tire vers le bas les prix relatifs de l’investissement, et, dans une moindre mesure, la participation croissante aux chaînes de valeur mondiales (soit la répartition des différentes étapes de la production entre divers pays ou régions) sont responsables des deux tiers environ de la contraction observée dans l’OCDE.
La substitution du capital au travail consécutive aux baisses des prix relatifs de l’investissement est particulièrement marquée dans les secteurs où les tâches fortement répétitives sont prépondérantes.
La présence d’une proportion importante de travailleurs très qualifiés freine la substitution du capital au travail, y compris dans les secteurs où les tâches répétitives occupent une place relativement importante. Il est possible que, par rapport aux individus peu qualifiés, ces travailleurs, à commencer par les plus qualifiés en calcul et en résolution de problèmes, soient plus difficiles à remplacer par des machines ou que leur réaffectation à d’autres tâches, non répétitives, soit plus aisée.
Les baisses des prix relatifs de l’investissement agissent sur la part du travail au niveau agrégé principalement à travers la diminution de la part du travail au niveau des entreprises (soit le coût du travail exprimé en proportion de la valeur ajoutée totale créée par une entreprise).
Le développement des chaînes de valeur mondiales est sans incidence sur la part du travail au niveau des entreprises, ce qui tend à indiquer que son action sur la part du travail résulte d’une diminution de la proportion d’entreprises où le facteur travail est prépondérant.
Dans les pays où la part du travail diminue, on constate à la fois un recul de la part du travail au niveau de la frontière technologique et une redistribution des parts de marché au profit d’entreprises « superstars », à forte intensité capitalistique et à faible intensité de main-d’œuvre (on parle en ce cas d’une dynamique du « winner‑takes‑most »).
La contraction de la part du travail au niveau de la frontière technologique s’explique par l’arrivée de nouvelles entreprises à forte intensité capitalistique et à faible intensité de main-d’œuvre davantage que par une diminution de l’intensité de travail dans les entreprises en place, ce qui incite à penser que, jusqu’ici, la dynamique du « winner–takes–most » procède principalement du progrès technologique et non du jeu de forces anticoncurrentielles.
Quant à l’avenir, les progrès actuels de l’automatisation et de l’intelligence artificielle pourraient non seulement faire diminuer encore le prix relatif des biens d’équipement mais aussi faciliter radicalement la substitution du capital au travail. Certaines entreprises pourraient en profiter pour prendre temporairement une longueur d’avance sur les autres. S’il faudra que la réglementation des marchés de produits et les politiques de la concurrence empêchent ces nouveaux acteurs dominants de se livrer à des pratiques anticoncurrentielles, il ressort du présent chapitre que les politiques relatives aux compétences seront déterminantes pour aider les travailleurs à tirer le meilleur parti des progrès accomplis aujourd’hui par la technologie.
Introduction
La progression du salaire réel constitue le mécanisme permettant de faire profiter le plus directement aux travailleurs des gains de productivité réalisés, or, les deux décennies écoulées ont vu s’opérer, dans la plupart des pays de l’OCDE, une dissociation entre la croissance du salaire réel médian et celle de la productivité du travail. Cette dissociation tient à la fois au recul de la part du travail (découplage entre le salaire moyen et la productivité) et au creusement des inégalités salariales (découplage entre le salaire médian et le salaire moyen). Il semble que les gains de productivité ne se traduisent plus comme par le passé par des gains salariaux partagés largement entre l’ensemble des travailleurs (Schwellnus, Kappeler et Pionnier, 2017[2]). Les salaires constituant généralement la principale source de revenu marchand des ménages modestes – et des ménages de la classe moyenne également – cette dissociation tend en outre à creuser les inégalités de revenu marchand (soit l’ensemble des revenus avant imposition, à l’exclusion des revenus redistribués par les administrations publiques). Sachant que la redistribution assurée par l’intermédiaire des prélèvements et prestations est corsetée par des considérations d’efficience et faiblit dans de nombreux pays, le découplage des salaires réels médians et de la productivité du travail pose un problème majeur aux pouvoirs publics.
Le présent chapitre est consacré au découplage des salaires réels moyens d’avec la productivité à travers l’analyse de l’évolution suivie par la part du travail dans le revenu des facteurs, analyse fondée à la fois sur des données agrégées et sur des données désagrégées1, les premières servant à décrire cette évolution au cours de la période récente tandis que les secondes, ventilées par secteur d’activité et au niveau des entreprises, permettent une analyse du rôle tenu par le progrès technologique et le développement des chaînes de valeur mondiales (CVM) dans cette même évolution globale. L’étude des données désagrégées renseigne par ailleurs sur les mécanismes sous-jacents à l’œuvre dans la modification de la part globale du travail, notamment l’influence exercée par la substitution du capital au travail (ou substitution capital-travail) et par les dynamiques d’entreprise.
Outre l’extension de la période considérée aux années d’après-crise, voici quelles innovations majeures ont été apportées au présent chapitre par rapport à l’analyse développée précédemment sur le même thème dans les Perspectives de l’emploi de l’OCDE (OCDE, 2012[1]). Pour commencer, on privilégie ici l’évolution des prix relatifs de l’investissement, en tant qu’indicateur de progrès technologique spécifique à la production de biens d’équipement, à la productivité multifactorielle qui renseigne, elle, sur le progrès technologique de manière globale. Sur la période considérée, les avancées technologiques dans la production de biens d’équipement se traduisent principalement par une diminution du prix des équipements TIC, lesquels peuvent se substituer facilement à la main-d’œuvre humaine dans certains types d’activités. En deuxième lieu, on analyse dans le présent chapitre les différents effets qui résultent de ces avancées pour les travailleurs, qu’ils soient employés ou non à des tâches répétitives, ainsi que le rôle modérateur des compétences sur la substitution capital-travail. Troisièmement, il s’agit de voir dans quelle mesure l’évolution de la part du travail au niveau agrégé entretient une relation avec la dynamique du « winner‑takes‑most » – qui conduit les entreprises les plus performantes sur un marché à s’y tailler la part du lion – et d’apporter des indices éloquents permettant de déterminer si cette dynamique procède de l’essor technologique ou de l’action de forces contraires à la concurrence.
La suite du présent chapitre se structure de la manière suivante : la section 2.1 décrit le cadre théorique utilisé pour étudier le découplage des salaires médians et de la productivité de manière y distinguer ce qui est le fait de l’évolution de la part du travail de ce qui tient aux inégalités salariales. On y trouve également des données descriptives permettant de retracer l’évolution de la part du travail dans les pays de l’OCDE considérés. La section 2.2 est dédiée à l’analyse, à partir de données recueillies au niveau sectoriel et au niveau des entreprises, des effets que le progrès technologique et le développement des CVM produisent sur la part du travail, l’accent étant mis plus particulièrement sur les dynamiques observées de manière récente dans les entreprises. La section 2.3 viendra élucider le rôle des compétences quant à favoriser un meilleur partage des gains de productivité avec les travailleurs.
2.1. Lien entre productivité et salaires au cours des deux dernières décennies
Théoriquement, le découplage au niveau macroéconomique entre le taux de croissance de la rémunération du travailleur type et le taux de croissance de la productivité du travail peut se décomposer en deux éléments qui sont l’écart de croissance entre la rémunération moyenne du facteur travail et la productivité du travail et l’écart de croissance entre la rémunération médiane et la rémunération moyenne. Dans le présent chapitre, rémunération et valeur ajoutée sont déflatées par le même indice des prix de la valeur ajoutée de sorte que le découplage de la rémunération moyenne d’avec la productivité du travail rende compte de la diminution de la part du travail (Encadré 2.1)2. Le découplage des rémunérations réelles médiane et moyenne reflète le déclin du ratio entre la première et la seconde, qui est une mesure partielle des inégalités salariales.
À l’échelle des pays de l’OCDE considérés, on constate un net découplage des salaires réels médians d’avec la productivité du travail au cours des deux dernières décennies, les premiers ayant eu un rythme de croissance inférieur à celui de la seconde (Graphique 2.1). Pour l’ensemble de l’économie, la rémunération médiane aurait dû être supérieure de 13 % à celle observée en 2013 si elle avait suivi au plus près l’évolution de la productivité du travail depuis 1995. Si l’on exclut le secteur primaire, le secteur du logement et le secteur non marchand, le manque à gagner qui en résulte pour le travailleur médian sur la période 1995-2013 est de 12 %.
Encadré 2.1. Rapport entre le découplage salaires médians-productivité et la part du travail
La notation étant utilisée pour indiquer le taux de croissance en pourcentage de X, le découplage des salaires médians réels et de la productivité du travail étudié dans le présent chapitre est défini comme suit :
(1)
où Y indique la valeur ajoutée nominale, le prix de la valeur ajoutée, L l’effectif de travailleurs et le salaire horaire médian. Le premier terme du membre de droite représente la croissance de la productivité du travail, le second la croissance du salaire réel médian rapportée au prix de la valeur ajoutée. Si l’on soustrait la croissance du salaire réel moyen, notée , on obtient alors l’équation suivante :
(2)
où le premier terme entre crochets indique l’écart de taux de croissance entre la productivité du travail et le salaire réel moyen et le second l’écart de taux de croissance entre les salaires réels moyen et médian.
L’écart de taux de croissance entre la productivité du travail et le salaire réel moyen peut être représenté par , soit le recul en pourcentage de la part du travail. L’écart de taux de croissance entre les salaires réels moyen et médian peut encore être noté comme suit : , soit l’augmentation en pourcentage du rapport du premier sur le second. Ce rapport, lorsqu’il est élevé, est signe en général de rémunérations importantes au sommet de l’échelle des salaires et peut donc être interprété comme une mesure partielle de l’inégalité salariale.
Source : Les données sur lesquelles se fonde la décomposition ci-dessus au niveau des pays sont présentées dans Schwellnus, Kappeler et Pionnier (2017[2]), « Decoupling of wages from productivity: Macro-level facts » http://dx.doi.org/10.1787/18151973.
La dissociation des salaires médians réels de la productivité du travail signale à la fois un recul de la part du travail et un creusement des inégalités salariales. Dans le prolongement de travaux antérieurs sur le sujet (Pessoa et van Reenen, 2013[3] ; Bivens et Mishel, 2015[4] ; Sharpe et Uguccioni, 2017[5]), le présent chapitre se fonde sur la rémunération et la valeur ajoutée considérées à l’échelle de l’économie dans son ensemble (Graphique 2.1, Partie A). Cette mesure suppose que le recul de la part du travail et l’aggravation des inégalités de salaire contribuent de manière égale au découplage. Cependant, il existe dans l’économie des secteurs où la part du travail est largement tributaire du cours des matières premières et des actifs, comme le secteur primaire ou celui du logement, ou dépend de choix d’imputation, comme dans le secteur non marchand. Les fluctuations de la part du travail peuvent y avoir des conséquences en termes de redistribution qui sont différentes de celles observées dans le secteur productif. Une fois ces trois secteurs – qui représentent en moyenne 30 % environ de la valeur ajoutée des pays de l’OCDE – exclus de l’analyse, l’influence de la part du travail dans le découplage apparaît moindre (Graphique 2.1, Partie B).
La part du travail au niveau agrégé, dans les pays couverts par l’analyse, a reculé d’environ 3.5 points de pourcentage durant les deux dernières décennies, un recul qui a coïncidé avec celui des prix relatifs de l’investissement et avec l’expansion des CVM (Graphique 2.2). Si cette coïncidence ne signifie pas nécessairement qu’il y ait un lien de causalité, elle est conforme aux résultats d’études précédentes qui donnaient des raisons de penser que le recul des prix relatifs de l’investissement avait peut-être déclenché la substitution capital-travail (Karabarbounis et Neiman, 2014[6] ; FMI, 2017[7]) et la participation accrue aux CVM la délocalisation des tâches réclamant le plus de main-d’œuvre (Elsby, Hobijn et Sahin, 2013[8] ; FMI, 2017[7]). Si le capital et le travail sont facilement substituables, il s’ensuit que l’intensité capitalistique peut augmenter au détriment de la part du travail.
Si la part du travail au niveau agrégé à l’échelle de la zone OCDE s’est contractée ces vingt dernières années, son évolution n’a pas pour autant été uniforme dans tous les pays (Graphique 2.3). Le repli a été très net dans certains grands pays comme le Japon et les États-Unis. Dans ce dernier pays, par exemple, il a été d’environ 8 points de pourcentage pour la période considérée, comptant approximativement pour 0.6 points de pourcentage, sur un total de 1.3, dans le découplage observé chaque année entre les salaires réels médians et la productivité. En plusieurs autres endroits, la part du travail est demeurée constante dans l’ensemble, voire a progressé, ainsi dans de grands pays comme la France, l’Italie et le Royaume-Uni.
Les importantes disparités observées entre les pays dans l’évolution de la part du travail s’expliquent en partie par les différences qui existent au niveau du cycle conjoncturel ainsi que dans l’action des pouvoirs publics et sur le plan institutionnel. D’après l’analyse de fond réalisée aux fins du présent chapitre, lorsque l’écart entre la production effective et la production potentielle augmente de 1 %, la part du travail diminue de 0.5 point de pourcentage (Schwellnus et al., 2018[9]). La réforme de différents aspects des politiques applicables aux marchés de produits et aux marchés du travail ainsi que les modifications intervenues au niveau des mécanismes de négociation collective se révèlent elles aussi avoir une incidence notable sur l’évolution de la part du travail (Pak et Schwellnus, à paraître[10]) – nous y reviendrons au chapitre 3. Cependant, il est possible que les divergences marquées que l’on peut constater entre les pays sur ce dernier plan tiennent aussi à des différences dans la nature et le rythme du progrès technologique et dans l’intégration aux CVM, différences qui se répercutent sur la dynamique des entreprises.
2.2. Progrès technologique, mondialisation et émergence d’une dynamique du « winner-takes-most »
2.2.1. Progrès technologique et mondialisation
Le progrès technologique entraînant une augmentation de la productivité du capital ou les baisses des prix relatifs de l’investissement dues à la technologie pourraient donner lieu à une contraction de la part du travail sous l’effet de l’accroissement de l’intensité capitalistique. Même si les prix des facteurs sont déterminés de manière concurrentielle, la part du travail diminue avec l’intensité capitalistique dès lors que l’élasticité de la substitution du capital au travail est supérieure à l’unité3.
La plupart des estimations de l’élasticité de la substitution se fondent sur les variations temporelles de la part et des prix des facteurs au sein des pays. Ce qui donne généralement une élasticité de substitution inférieure à 1 (Chirinko, 2008[11]). Karabarbounis et Neiman (2014[6]) utilisent quant à eux les variations, entre les pays et entre les secteurs, de la part du travail et des prix relatifs de l’investissement pour obtenir une élasticité de substitution dans une fourchette allant de 1.2 à 1.5. Selon leurs estimations, les fortes chutes des prix de l’investissement dans un large éventail d’économies à revenu élevé et émergentes expliquent environ 50 % du recul de la part du travail à l’échelle mondiale.
Il se peut que le capital et le travail soient devenus plus facilement interchangeables avec le temps. D’une part, les nouvelles technologies contribuent à élargir l’éventail de tâches existantes susceptibles d’être exécutées par des machines, entraînant des suppressions d’emplois et une contraction de la part du travail (Acemoglu et Restrepo, 2018[12]). D’autre part, elles ouvrent la voie à la création de nouvelles tâches qui ne peuvent être réalisées par des machines. À mesure que la nature du progrès technologique évolue, l’équilibre entre les suppressions d’emplois et la création de tâches liées aux nouvelles technologies peut se déplacer. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, par exemple, les faits montrent que l’élasticité de la substitution du capital TIC au travail est très supérieure à celle observée pour d’autres biens d’équipement, et bien au-delà de l’unité (Tevlin et Whelan, 2003[13] ; Bakhshi, Oulton et Thompson, 2003[14]). Dans la droite lignée de ce constat, des données récentes sur l’évolution de la part du travail aux États-Unis révèlent que le progrès technologique a entraîné au fil du temps davantage de suppressions d’emplois, avec des effets particulièrement notables dans les années 2000 (Autor et Salomons, 2018[15]).
Des travaux de recherche antérieurs montrent que la substitution du capital au travail consécutive à la baisse des prix de l’investissement s’avère particulièrement marquée pour les travailleurs peu qualifiés. Krusell et al. (2000[16]) observent qu’aux États-Unis, l’élasticité de la substitution du capital au travail peu qualifié avoisine 1.7, bien au-delà de l’élasticité estimée du capital au travail hautement qualifié, qui s’établit à 0.7. Ce constat vient confirmer les données internationales exposées dans FMI (2017[7]), qui attestent des effets négatifs particulièrement prononcés de la chute des prix relatifs de l’investissement sur la part du travail dans les pays affichant une part initialement élevée d’emplois répétitifs. Qui plus est, l’utilisation de données couvrant plusieurs pays et secteurs, dans FMI (2017[7]), révèle que l’élasticité de la substitution du capital au travail augmente avec la proportion des tâches répétitives dans les secteurs, et est supérieure à l’unité dans environ la moitié des secteurs couverts par l’analyse.
La mondialisation, avec le renforcement de l’intégration commerciale, pourrait avoir des effets comparables sur la part du travail, dans la mesure où elle accroît l’intensité capitalistique (Acemoglu et Autor, 2010[17]). Par exemple, la délocalisation des étapes de production à plus forte intensité de main-d’œuvre ou la concurrence accrue des importations pourraient conduire à des suppressions d’emplois et un accroissement de l’intensité capitalistique. Une élasticité globale de la substitution du capital au travail supérieure à l’unité entraînerait un recul de la part du travail. Les données internationales exposées dans Harrison (2005[18]) et les données intersectorielles relatives aux États-Unis citées dans Elsby et al. (2013[8]) corroborent cette hypothèse. Dans l’étude FMI (2017[7]), qui porte sur différents pays et secteurs, on observe que la participation accrue aux CVM a donné lieu à une contraction de la part du travail dans les pays à faible revenu, mais n’a eu aucun effet dans les pays à revenu élevé4.
L’analyse du rôle du progrès technologique et de l’expansion des CVM dans l’évolution de la part du travail proposée dans ce chapitre se fonde sur une approche sectorielle (Encadré 2.2). D’un point de vue conceptuel, le fait que les variations de la part globale du travail reflètent très largement l’évolution au sein des secteurs plutôt qu’une redistribution intersectorielle justifie que l’on se concentre sur la part du travail au niveau sectoriel pour expliquer les évolutions globales (Schwellnus et al., 2018[9])5. D’un point de vue économétrique, l’approche sectorielle présente l’avantage de permettre une prise en compte des tendances propres aux pays et aux secteurs par le biais d’une structure d’effets fixes adaptée.
L’analyse empirique révèle que la baisse des prix relatifs de l’investissement et la hausse de la participation aux CVM se traduisent par un recul de la part du travail. Que l’on utilise un modèle tenant compte des effets fixes par pays permettant d’estimer l’incidence du cycle conjoncturel sur la part du travail, ou un modèle intégrant une structure d’effets fixes par pays et par période plus contraignante, la semi‑élasticité estimée de la part du travail par rapport au prix relatif de l’investissement est de 0.19, ce qui laisse à penser qu’en moyenne, dans les différents secteurs, un recul des prix relatifs de l’investissement de 10 % (soit à peu de choses près la baisse moyenne observée dans la zone OCDE au cours de la période 1995‑2013, voir Graphique 2.2) induit une contraction de la part du travail d’environ 1.8 point de pourcentage. La semi-élasticité estimée de la part du travail par rapport à la participation aux CVM s’établit aux alentours de ‑0.1, ce qui signifie qu’une augmentation des liens en amont et en aval de 10 points de pourcentage de la valeur ajoutée se traduit par une diminution de la part du travail d’un point de pourcentage (la hausse moyenne observée dans la zone OCDE au cours de la période 1995‑2013 avoisinait les 6 points de pourcentage de valeur ajoutée, voir Graphique 2.2)6.
Encadré 2.2. Méthodologie utilisée à l’appui de l’analyse sectorielle
La spécification empirique de départ s’appuie sur le modèle théorique exposé dans Schwellnus et al. (2018[9]), qui lie le coût du capital, la délocalisation et la part du travail. Le modèle ajoute le capital au modèle bifactoriel de délocalisation présenté dans Grossman et Rossi‑Hansberg (2008[19]) et opère une modélisation explicite des parts des facteurs selon l’hypothèse d’une élasticité de la substitution du capital au travail répétitif supérieure à l’unité. Les principales prédictions sont les suivantes : i) une baisse des prix relatifs de l’investissement se traduit par un recul de la part du travail, avec une réduction plus marquée dans les secteurs affichant une proportion plus importante de travail répétitif ; et ii) la diminution du coût de délocalisation a un effet ambigu sur la part du travail.
La spécification empirique de départ estimée est la suivante :
où les indices i, j et t renvoient respectivement au pays, au secteur et à la période ; représente la variation à moyen terme (à 5 ou 6 ans) de la part du travail ; , l’intensité initiale en tâches répétitives ; , la variation à moyen terme des prix relatifs de l’investissement ; , la variation à moyen terme de la participation aux CVM ; , les variables de contrôle qui varient au niveau pays‑secteur‑période, notamment l’intensité initiale en tâches répétitives ; et , les effets fixes par pays et par période, et les effets fixes par secteur et par période. Dans la mesure où le modèle est estimé en différences, les effets fixes reflètent les tendances spécifiques par pays et par période, et par secteur et par période.
Le modèle économétrique est estimé sur un échantillon de 20 pays de l’OCDE et 19 secteurs, sur la période 1995‑2011, pour lequel les variables dépendantes et toutes les variables explicatives peuvent être construites1, 2. Pour concentrer l’analyse sur les évolutions à moyen terme, l’échantillon est scindé en trois périodes d’environ cinq ans (1995‑2000, 2000‑05 et 2005‑11). L’analyse des variations à moyen terme, plutôt qu’à long terme sur l’ensemble de la période, permet une estimation plus précise des effets des facteurs structurels et des leviers d’action agissant sur la part du travail, tout en laissant à cette dernière un temps d’ajustement suffisant, sachant que l’élasticité de la substitution du capital au travail est susceptible d’être plus marquée sur le moyen terme que sur le court terme. Selon la spécification, les effets conjoncturels sont pris en compte via l’intégration des effets fixes par pays et par période, ou des variations de l’écart de production en tant que variables explicatives.
Notes :
1. L’analyse sectorielle porte sur les pays suivants : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Corée, Danemark, Espagne, Estonie, États-Unis, Finlande, France, Irlande, Italie, Japon, Norvège, Pays-Bas, République slovaque, République tchèque, Royaume-Uni et Suède. Le Canada, la Hongrie, Israël, la Nouvelle-Zélande et la Pologne sont couverts par l’analyse agrégée proposée dans la section 2.1 du présent chapitre, mais les données afférentes à la part du travail, aux prix relatifs de l’investissement ou à l’intensité en tâches répétitives ne sont pas disponibles au niveau de désagrégation requis pour l’analyse sectorielle. L’Estonie n’est pas prise en compte dans l’analyse agrégée présentée dans la section 2.1 du présent chapitre, faute de données sur la distribution globale des salaires ; en revanche, on dispose de données sectorielles sur la part du travail, les prix relatifs de l’investissement et l’intensité en tâches répétitives, de sorte que le pays a pu être inclus dans l’analyse sectorielle.
2. Les secteurs pris en compte dans l’analyse sectorielle sont les suivants (Classification internationale type, par industrie, de toutes les branches d’activité économique, CITI, rév. 4) : fabrication de produits alimentaires (CA), de textiles (CB), d’articles en bois et en papier (CC), de produits chimiques, et de produits pharmaceutiques de base et de préparations pharmaceutiques (CE+CF), de produits minéraux non métalliques (CG), de produits métallurgiques (CH), de matériel électrique (CI+CJ), de machines et de matériel (CK), de matériel de transport (CL) ; autres activités de fabrication (CM), services d’utilité publique (D+E), construction (F), commerce (G), transports (H), activités d’hébergement (I), services TIC (J), activités financières (K), services spécialisés (M+N) et autres services (R+S). Le secteur primaire et ceux de la cokéfaction et la production de produits pétroliers raffinés, du logement et des activités non marchandes ne sont pas pris en compte car la part du travail y est largement déterminée par les fluctuations des prix des matières premières et des actifs ou les choix d’imputation, plutôt que par les évolutions structurelles telles que le progrès technologique et la mondialisation.
Source : La description détaillée des données utilisées à l’appui de l’analyse sectorielle et les résultats de la régression sont exposés dans Schwellnus et al. (2018[9]), Labour share developments over the past two decades: The role of technological progress, globalisation and “winner-take-most” dynamics.
Les résultats économétriques concordent avec les données macroéconomiques montrant que la part du travail est contracyclique. Le coefficient de variation de l’écart de production – à savoir la différence entre les conditions conjoncturelles de la première année et de la dernière année de chaque période quinquennale – est négatif et statistiquement significatif au seuil de 1 %, la semi-élasticité estimée révélant qu’une hausse d’un point de pourcentage de l’écart de production (la croissance du PIB observé dépassant la croissance du PIB potentiel d’un point de pourcentage) induit une diminution de la part du travail de 0.5 point de pourcentage.
Si l’on considère les élasticités estimées du modèle de référence à leur valeur nominale, les variables observables incluses dans le modèle peuvent représenter l’essentiel de la baisse de la part globale du travail dans les pays de l’OCDE concernés, sur la période étudiée. La baisse moyenne des prix relatifs de l’investissement observée dans les différents pays et secteurs au cours de la période examinée était d’environ 10 % et la hausse moyenne de la participation aux CVM, autour de 7 points de pourcentage (voir Graphique 2.2). En supposant que les élasticités estimées au niveau sectoriel sont comparables aux chiffres agrégés, au cours de la période 1995‑2013, les résultats du modèle de référence laissent à penser que la baisse des prix de l’investissement a contribué à réduire la part du travail d’environ 1.8 point de pourcentage et accroître la participation aux CVM de quelque 0.7 point de pourcentage7. Au cours de la même période, les effets conjoncturels ont entraîné une augmentation de la part du travail d’environ 0.3 point de pourcentage, tandis que l’écart de production moyen a reculé d’environ 0.7 point de pourcentage. L’effet net des variations des prix relatifs de l’investissement, de la participation aux CVM et de la conjoncture s’est établi autour de ‑2 %, soit approximativement 65 % de la baisse observée de la part du travail (Graphique 2.4).
L’analyse au niveau des entreprises menée à l’appui du présent chapitre révèle que la baisse des prix relatifs de l’investissement influe sur la part du travail à l’échelon sectoriel au moins partiellement sous l’effet des évolutions au sein des entreprises (Encadré 2.3). La semi-élasticité moyenne estimée au niveau des entreprises de la part du travail par rapport aux prix relatifs de l’investissement est d’environ 0.15, soit un chiffre très similaire à la semi-élasticité estimée au niveau sectoriel, proche de 0.19. La semi-élasticité estimée est très supérieure dans les entreprises affichant une forte productivité (autour de 0.3), qui peuvent s’avérer plus à même d’adopter les nouvelles technologies intégrées dans les biens d’équipement si cette adoption requiert un savoir-faire complémentaire. En revanche, les résultats au niveau des entreprises et des secteurs ne sont pas directement comparables, dans la mesure où les entreprises à forte productivité sont surreprésentées dans l’ensemble de données au niveau entreprise utilisé dans ce chapitre et l’analyse au niveau des entreprises se fonde sur un échantillon plus restreint de pays et d’années8. En conséquence, la similitude des semi-élasticités estimées dans les analyses au niveau des entreprises et des secteurs ne saurait être considérée comme un facteur d’exclusion des effets de composition.
Contrairement aux effets des prix relatifs de l’investissement sur la part du travail au niveau sectoriel, ceux de la hausse de la participation aux CVM semblent se manifester essentiellement au travers d’une redistribution de la production des entreprises où la part du travail est élevée vers celles affichant une faible part du travail. L’influence non significative du coefficient estimé de participation aux CVM au niveau des entreprises concorde avec le modèle théorique exposé dans Schwellnus et al. (2018[9]), qui montre que l’expansion des CVM a des effets compensatoires sur la part du travail au niveau des entreprises. D’un côté, la baisse du coût de délocalisation conduit à la substitution des biens intermédiaires importés au travail répétitif sur le territoire national et, par ricochet, à une réduction de la masse salariale nationale en pourcentage de la production brute. D’un autre côté, la délocalisation de la production de biens précédemment fabriqués sur le marché intérieur mène à une réduction de la valeur ajoutée nationale en pourcentage de la production brute.
En résumé, l’analyse économétrique révèle que le progrès technologique et – dans une moindre mesure – l’expansion des CVM tendent à se traduire par un recul de la part du travail. Ce constat va globalement dans le sens des conclusions exposées dans OCDE (2012[1]), qui font état des effets négatifs des évolutions technologiques et de la délocalisation intrasectorielle sur la part du travail dans les pays où les salaires sont élevés9. Les effets des avancées technologiques semblent se manifester en partie par une réduction de la part du travail au niveau des entreprises, avec des différences notables entre les entreprises à faible et à forte productivité. À l’inverse, l’expansion des CVM semble se traduire exclusivement par une évolution de la composition des entreprises vers les structures où la part du travail est la plus faible.
Encadré 2.3. Méthodologie et données utilisées à l’appui de l’analyse au niveau des entreprises
Pour déterminer si les variations des prix relatifs de l’investissement et de la participation aux CVM à l’échelle sectorielle ont des effets sur la part du travail au sein des entreprises, l’équation de référence suivante a été estimée :
où les indices c, j, i, t représentent respectivement le pays, le secteur, l’entreprise et la période ; , la différence longue annualisée de la part du travail au niveau des entreprises, les différences longues étant calculées sur la période la plus longue pendant laquelle une entreprise est observée, et l’échantillon, limité aux entreprises observées pendant une durée d’au moins huit ans au cours de la période 2001‑13 ; , la différence longue annualisée des prix relatifs de l’investissement en logarithme ; , l’évolution annualisée de la participation aux CVM ; , un ensemble de valeurs de contrôle au niveau des entreprises comprenant : les valeurs initiales de l’ancienneté de l’entreprise et de sa taille (mesurée à l’aide du nombre d’employés), et la part initiale du travail1 ; , les effets fixes par pays et par secteur, et , les effets fixes par période couvrant toutes les permutations des années de début et de fin possibles sur la période 2001‑13.
Le modèle est estimé à l’aide des données au niveau des entreprises issues d’Orbis – un ensemble de données fourni par Bureau van Dijk – et d’indices sectoriels des prix relatifs de l’investissement pour neuf pays pour lesquels des différences longues de la part du travail peuvent être calculées pour un nombre suffisant d’entreprises2. L’ensemble de données Orbis contient des informations issues des comptes de résultats et des bilans des entreprises, notamment sur les revenus, la valeur ajoutée, les emplois et la rémunération. Pour limiter les incidences des comportements erratiques ou aberrants d’entreprises, l’ensemble de données est nettoyé de manière à supprimer les valeurs extrêmes selon la procédure décrite dans Andrews et al. (2016[20]). Aux fins de l’analyse de la part du travail dans le présent chapitre, il est ensuite nettoyé afin de supprimer les observations présentant des valeurs de part du travail extrêmes. Les entreprises à forte productivité correspondent aux 5 % d’entreprises qui, dans un secteur donné, affichent les chiffres de productivité les plus élevés dans les pays concernés par l’analyse.
Notes :
1. Étant donné que la spécification des régressions au niveau des entreprises exposée ci-dessus prend en considération une seule différence longue par entreprise, les effets fixes par entreprise ne peuvent être intégrés. L’inclusion des valeurs initiales de la variable dépendante permet de tenir compte des caractéristiques non observées des entreprises en l’absence d’effets fixes par entreprise (Angrist et Pischke, 2009[21]).
2. Le champ de l’analyse se limite aux mêmes secteurs que ceux pris en compte dans l’analyse sectorielle. Les pays concernés sont l’Allemagne, la Belgique, la Corée, l’Espagne, la Finlande, la France, l’Italie, le Royaume-Uni et la Suède. Pour garantir que les résultats ne sont pas influencés par les entreprises présentant des valeurs extrêmes pour ce qui est des différences longues de la part du travail, les entreprises affichant des différences longues en dehors de l’intervalle [‑40, +40] points de pourcentage sont exclues de l’analyse effectuée au titre de cette section. L’analyse est en outre limitée aux cellules pays‑secteur comptant plus de 30 entreprises, afin de faire en sorte que les variables sectorielles soient identifiées par un nombre suffisant d’entreprises. Les résultats restent inchangés si l’on a recours à d’autres critères de limitation d’échantillonnage.
Source : La description détaillée des données utilisées à l’appui de l’analyse au niveau des entreprises et les résultats de la régression sont exposés dans Schwellnus et al. (2018[9]), Labour share developments over the past two decades: The role of technological progress, globalisation and “winner-take-most” dynamics.
Dans l’ensemble, ces résultats concordent avec la dynamique du « winner‑takes‑most », dans le sens où seul un sous-ensemble d’entreprises à forte productivité (dites « entreprises superstars ») présentant une faible part du travail pourrait être à même de tirer parti des avantages conférés par les nouvelles technologies et la mondialisation.
2.2.2. Dynamique au niveau des entreprises : le gagnant rafle-t-il la mise ?
Technologies et mondialisation accentuent les économies d’échelle du côté de l’offre et de la demande, ce qui peut, par ricochet, favoriser l’émergence d’une dynamique du « winner‑takes‑most » – processus par lequel les entreprises les plus productives capturent une part considérable du marché, voir Rosen (1981[22]) ; Frank et Cook (1995[23]) ; et Autor et al. (2017[24]). Si par le passé, les meilleures entreprises manufacturières opéraient avant tout sur le marché national ou régional, la chute des coûts de transport et des droits de douane leur permet aujourd’hui de s’imposer comme des acteurs majeurs du marché mondial, ce qui contribue à accentuer les économies d’échelle du côté de l’offre. L’accroissement de la taille des marchés a été renforcé par la progression rapide des technologies de l’information et des communications (TIC), qui facilitent la mise en relation de vendeurs et d’acheteurs géographiquement distants10. La généralisation des TIC a également ouvert la voie au développement de marchés de taille mondiale dans un certain nombre de secteurs de services traditionnels, comme le commerce de détail et les transports, et donné naissance à de nouveaux services TIC capables d’opérer à grande échelle à un coût marginal quasi nul11. Dans certains de ces secteurs, notamment les services TIC, le commerce de détail et les transports, les externalités de réseau (à savoir les économies d’échelle du côté de la demande) favorisant l’émergence d’un acteur dominant ont gagné en importance12.
Selon la théorie économique traditionnelle, la dynamique du « winner‑takes‑most » implique à la fois un recul de la part du travail dans les entreprises les plus à la pointe du progrès technologique et la redistribution des parts de marché en faveur de ces entreprises. Dans un modèle standard comprenant des entreprises hétérogènes, les meilleures entreprises affichent une faible part du travail puisque les coûts fixes de main-d’œuvre nécessaires à la production sont dilués du fait de volumes de production plus importants et/ou parce que les parts de marché élevées permettent à ces entreprises de dégager des marges commerciales plus élevées (Autor et al., 2017[24]). La dynamique du « winner‑takes‑most » suppose qu’à mesure que les technologies et la mondialisation contribuent à l’augmentation de la taille des marchés concernés, les meilleures entreprises se développent, et, par là même, i) la part du travail dans ces entreprises recule puisque la part de la valeur ajoutée des coûts fixes de main-d’œuvre diminuent et/ou leurs marges commerciales augmentent ; et ii) la production est redistribuée vers les entreprises où la part du travail est faible à mesure que la part de marché des meilleures entreprises progresse.
L’analyse ci-après apporte des éléments descriptifs probants à l’appui de ces hypothèses en se fondant sur l’ensemble de données Orbis. L’échantillon sur lequel porte l’analyse couvre les entreprises des secteurs non primaire et non financier de 17 pays de l’OCDE comptant un nombre d’entreprises suffisant. Pour minimiser les problèmes liés à la sous-représentation des petites entreprises dans l’ensemble de données, l’analyse se limite ici aux structures de plus de 20 salariés.
Découplage entre salaires et productivité : l’apanage des entreprises superstars ?
Dans les pays ayant enregistré un recul de la part du travail au cours de la période 2001‑13, un découplage s’est opéré, dans les entreprises à la pointe de la technologie, entre les salaires et la productivité, contrairement aux autres entreprises où l’évolution des salaires a suivi de près celle de la productivité (Graphique 2.5). Par conséquent, dans ces pays, la part du travail s’est contractée au sein du groupe des entreprises de pointe, alors qu’elle est restée stable ailleurs, ce qui concorde avec la dynamique du « winner‑takes‑most »13. Les meilleures entreprises de ces pays divergent des autres entreprises en termes à la fois de productivité et de salaires, mais la divergence salariale est bien moins prononcée que celle de la productivité14.
Dans les pays n’ayant pas enregistré de baisse de la part du travail, la croissance des salaires réels a dépassé celle de la productivité du travail, dans les entreprises de pointe comme dans les autres. La productivité et les salaires dans les entreprises de pointe ont divergé de ceux des autres entreprises, mais la part du travail est restée globalement stable avant la crise de 2008‑09, avant de croître par la suite dans les deux groupes. Ce qui laisse supposer que dans les pays où la part du travail a progressé au cours de la période 2001‑13, l’hétérogénéité des tendances en la matière dans les différentes entreprises a été moins marquée. Ce constat pourrait notamment s’expliquer par le moindre dynamisme technologique observé dans les pays où la part du travail a progressé, ce qui est cohérent avec le fait que la croissance de la productivité des entreprises de pointe dans ces pays a été comparable à celle des entreprises non leaders dans les pays ayant enregistré un recul de la part du travail.
Le découplage entre les salaires et la productivité dans les entreprises à la pointe de la technologie s’explique dans une très large mesure par l’arrivée, à la frontière technologique, d’entreprises à forte intensité capitalistique présentant une part du travail peu élevée (Graphique 2.6). Ce découplage se partage entre les contributions des entreprises qui demeurent à la frontière technologique (soit les « leaders en place ») et celles qui y arrivent ou qui la quittent (« arrivées nettes »). Alors que la productivité et les salaires sont restés étroitement corrélés chez les leaders technologiques en place, les arrivées nettes à la frontière ont eu pour effet de creuser un large écart entre la croissance des salaires et celle de la productivité, de sorte que la part du travail dans les entreprises arrivant à la frontière technologique s’est révélée très inférieure à celle des entreprises qui la quittaient. Par conséquent, le recul de la part du travail à la frontière technologique n’est pas imputable à la majoration des prix ou à l’intensité capitalistique dans les entreprises en place, mais à l’arrivée d’acteurs affichant des marges commerciales ou une intensité capitalistique plus importantes. L’analyse empirique révèle que les entreprises accédant à la frontière technologique affichent une intensité capitalistique supérieure d’environ 60 % à celle des entreprises qui la quittent (Schwellnus et al., 2018[9]).
Part du travail et redistribution : les entreprises superstars gagnent-elles des parts de marché ?
Dans les différents pays et secteurs, la part du travail dans les entreprises de pointe est plus faible qu’ailleurs (Graphique 2.7). Si son évolution varie dans les pays où la part du travail a reculé et ceux où elle a progressé, les chiffres observés dans les entreprises de pointe n’en restent pas moins systématiquement en deçà de ceux relevés dans les autres entreprises et ce, dans les deux groupes de pays. Ce fait stylisé vaut également pour les activités manufacturières et les services, avec des différences limitées entre les secteurs à un niveau de désagrégation plus élevé (Schwellnus et al., 2018[9]). Par conséquent, la redistribution de la production vers les entreprises à la frontière technologique tend à se traduire par un recul de la part du travail.
Dans les pays où la part du travail a diminué, la valeur ajoutée enregistrée dans les entreprises de pointe diverge fortement de celle des autres entreprises, ce qui laisse entrevoir une augmentation de la part de marché des entreprises à la frontière technologique (Graphique 2.8). Étant donné que la part du travail dans les entreprises de pointe est très inférieure à celle des autres entreprises, dans ces pays, la redistribution de la valeur ajoutée exerce une pression à la baisse sur la part du travail.
L’effet, sur la part du travail, de la redistribution de la production vers les entreprises à la frontière technologique concorde avec la dynamique du « winner‑takes‑most », mais ne résulte pas nécessairement du jeu des forces anticoncurrentielles, tel que l’augmentation des barrières à l’entrée. L’émergence des nouvelles technologies pourrait permettre aux entreprises innovantes de prendre temporairement une longueur d’avance. Autor et al. (2017[24]) démontrent que la concentration croissante des marchés aux États-Unis intervient avant tout dans des secteurs aux prises avec des évolutions technologiques rapides, ce qui corrobore l’hypothèse selon laquelle la logique du « winner‑takes‑most » reflète davantage le dynamisme technologique des entreprises que l’action des forces anticoncurrentielles. Néanmoins, à terme, les leaders en place à la frontière technologique risquent de chercher à limiter les tentatives d’entrée sur le marché au moyen de pratiques anticoncurrentielles, telles que la fixation de prix d’éviction, ou des fusions et acquisitions d’entreprises concurrentes.
Dans les pays où la part du travail a progressé, le schéma de hausse des parts de marché des entreprises à la frontière technologique s’est avéré moins marqué. Ce constat va dans le sens de l’hypothèse exposée plus haut, selon laquelle, dans les pays concernés, la dynamique du « winner‑takes‑most » est moins prégnante.
En résumé, l’analyse au niveau des entreprises révèle que la dynamique du « winner‑takes‑most » a contribué à réduire la part du travail, sous l’effet à la fois d’une contraction de la part du travail dans le groupe des entreprises à la pointe de la technologie et de la redistribution des parts de marché au profit de ces entreprises. Les résultats montrent par ailleurs que, jusqu’à présent, le découplage entre les salaires et la productivité à la frontière technologique n’est pas tant le fait de l’hégémonie d’un petit nombre d’entreprises superstars augmentant leurs marges commerciales que de l’arrivée d’entreprises affichant une part du travail moindre, qui supplantent les acteurs en place. Si la faible part du travail dans les entreprises arrivant à la frontière technologique peut, dans une certaine mesure, refléter des marges commerciales importantes, le fait que ces entreprises prennent le pas sur les acteurs en place laisse à penser que ces marges élevées traduisent vraisemblablement plutôt des rentes d’innovation que l’absence de barrières à l’entrée. Cette interprétation concorde d’ailleurs avec le fait que la proportion de jeunes entreprises de petite taille est sensiblement supérieure parmi les entrants à la frontière technologique que parmi les entreprises qui sont déjà en place ou qui la quittent15. L’un des enjeux phares de la réglementation des marchés de produits et de la politique de la concurrence sera donc d’éviter que des acteurs dominants émergents ne s’adonnent à des pratiques anticoncurrentielles, de manière à préserver la contestabilité des marchés.
2.3. Influence décisive des compétences dans le partage des gains de productivité
De nombreux éléments tirés de l’observation semblent indiquer que la répétitivité des tâches et l’intensité de qualification déterminent pour l’essentiel la substituabilité du capital au travail. À titre d’exemple, des études internationales montrent que les reculs de la part du travail consécutifs à la baisse des prix relatifs de l’investissement sont plus importants dans les pays où les emplois répétitifs sont nombreux en proportion (FMI, 2017[7]). On estime, en règle générale, que l’élasticité de substitution est sensiblement plus forte en présence de travailleurs peu qualifiés qu’en présence de travailleurs très qualifiés (Duffy, Papageorgiou et Perez-Sebastian, 2004[26] ; Krusell et al., 2000[16]). Cela conduit à penser que si les travailleurs acquièrent des compétences les rendant aptes à exécuter des tâches non répétitives, leur remplacement par du capital sera alors moins aisé et ils pourront ainsi tirer le meilleur parti des progrès technologiques actuels.
Afin d’apprécier le rôle de la répétitivité des tâches et de l’intensité de qualification dans la substitution capital-travail provoquée par le progrès des technologies, l’analyse sous-jacente au présent chapitre, développée dans Schwellnus et al. (2018[9]), s’appuie sur des mesures sectorielles effectuées spécialement pour l’occasion à partir des résultats de l’Enquête de l’OCDE sur les compétences des adultes réalisée dans le cadre du PIAAC (Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes). Ces mesures révèlent que les emplois fortement répétitifs – se caractérisant par une autonomie et une liberté restreintes dans la planification et l’organisation des tâches à accomplir – sont particulièrement nombreux en proportion dans des secteurs comme les transports et la fabrication de produits minéraux non métalliques, et beaucoup plus rares au contraire dans les services TIC et les activités financières (Graphique 2.9). Quoiqu’il existe dans tous les secteurs d’activité une corrélation entre répétitivité des tâches et intensité de qualification, la présence d’un fort pourcentage de travailleurs peu qualifiés n’implique pas nécessairement celle d’une proportion élevée de travailleurs exerçant un emploi à forte intensité répétitive, ce qui permet de distinguer de manière empirique les effets dus aux tâches répétitives de ceux dus aux compétences. L’hébergement et la construction, par exemple, comptent de nombreux travailleurs peu qualifiés mais relativement peu de travailleurs qui exercent une activité ayant un caractère répétitif prononcé.
Il ressort de l’analyse empirique conduite au niveau des secteurs d’activité que le recul des prix relatifs de l’investissement a moins d’incidence sur la part du travail là où l’intensité répétitive était initialement faible. La semi-élasticité est estimée à 0.1 dans ces secteurs – définis comme ceux où l’intensité répétitive initiale est inférieure à celle du secteur médian – contre 0.22 environ pour ceux où l’intensité répétitive est élevée (Schwellnus et al., 2018[9]). De même, elle est généralement beaucoup plus faible qu’ailleurs dans les secteurs où l’intensité de qualification est élevée, en particulier dans ceux qui font tout spécialement appel aux compétences en résolution de problèmes et en calcul.
Même à un niveau donné d’intensité répétitive, les contractions de la part du travail consécutives aux baisses des prix relatifs de l’investissement sont plus mesurées dans les pays et les secteurs d’activité qui comptent une proportion importante de travailleurs très qualifiés. Si des compétences élevées en compréhension de l’écrit ne semblent pas freiner de manière notable la substitution capital-travail lorsque les prix relatifs de l’investissement fléchissent, les compétences en calcul et en résolution de problèmes ont en revanche une incidence statistiquement significative lorsqu’elles sont ajoutées séparément à la spécification de référence. À en juger par les coefficients estimés, quand bien même un secteur d’activité comporte un part importante de tâches répétitives, le recul des prix relatifs de l’investissement n’aura qu’un effet réduit sur la part du travail dès lors qu’il se trouve dans ce secteur une proportion importante de travailleurs ayant de solides compétences dans l’un ou l’autre de ces deux domaines (Graphique 2.10). Lorsque l’on ajoute simultanément l’ensemble des indicateurs de compétences à la spécification de référence, seules les compétences en calcul se révèlent statistiquement significatives16.
Pris dans leur ensemble, ces résultats indiquent que les travailleurs très qualifiés, et surtout ceux qui disposent de solides compétences en mathématiques, seront plus difficiles à remplacer par des machines ou s’adapteront plus facilement à des tâches non répétitives que d’autres moins qualifiés (chapitre 4). Les compétences élémentaires en compréhension de l’écrit, en mathématiques et en résolution de problèmes demeurent l’objet d’une forte demande dans les pays de l’OCDE et sont indispensables aux travailleurs pour tirer le meilleur parti des défis et des opportunités offerts par le progrès technologique et par la mondialisation (Vignoles, 2016[27] ; OCDE, 2017[28]). L’enjeu des politiques des compétences sera de faire acquérir un bagage solide aux jeunes tout en favorisant dans le même temps l’apprentissage tout au long de la vie, au moyen notamment de solides systèmes de validation et de certification des compétences (OCDE, à paraître[29]).
2.4. Conclusions
Nous avons vu dans le présent chapitre que l’évolution des technologies et la participation aux chaînes de valeur mondiales font apparemment diminuer la part du travail, notamment en accentuant la dynamique du « winner-takes-most » : dans les pays où la part du travail diminue, on constate à la fois un recul de la part du travail au niveau de la frontière technologique et une redistribution des parts de marché vers des entreprises « superstars » dont l’intensité de travail est moindre. Néanmoins, la substitution capital-travail induite par le progrès technologique a été sensiblement moins importante à l’égard des travailleurs très qualifiés, ce qui tend à montrer qu’un effort sur les compétences s’impose pour arrimer de nouveau les salaires réels médians à la productivité.
La technologie qui poursuit ses progrès va probablement tirer encore vers le bas la part du travail et mettre de nouveaux obstacles à une large répartition des gains de productivité. Les innovations dans le domaine des TIC continueront d’accroître le rendement des biens d’équipement, faisant ainsi diminuer les prix relatifs de l’investissement et accentuant le remplacement du travail par le capital. Mais les avancées de la technique peuvent aussi modifier du tout au tout les conditions de ce remplacement. À titre d’exemple, les progrès de l’intelligence artificielle et de la robotique feront peut-être que davantage de tâches humaines – y compris intellectuelles – pourront être confiées à des machines dans l’avenir. Bien que l’on observe que le développement des chaînes de valeur mondiales s’est enlisé au lendemain de la crise de 2008-09 (Haugh et al., 2016[30]), le progrès technologique pourrait amener de nouvelles délocalisations de services à forte intensité de main-d’œuvre.
Les avancées de la technologie pourraient renforcer encore la dynamique du « winner‑takes‑most » en accentuant le découplage des salaires et de la productivité au niveau de la frontière technologique et en mettant les parts de marché aux mains d’une poignée d’entreprises « superstars » à faible intensité de main-d’œuvre. Comme nous l’avons vu dans le présent chapitre, rien ne permet de dire que l’émergence de ces entreprises est due à la montée de forces anticoncurrentielles plutôt qu’à la vigueur du progrès technologique. Il n’empêche que les autorités compétentes devront concilier lutte contre les pratiques anticoncurrentielles des entreprises de pointe et promotion de l’innovation, laquelle suppose que les nouveaux arrivants sur la frontière technologique puissent recueillir les fruits de leurs efforts. Quelle que soit la cause de la dynamique du « winner‑takes‑most », les mesures de renforcement du capital humain par l’enseignement et la formation se révèleront indispensables à un plus large partage des gains de productivité en ce qu’elles permettront aux travailleurs de tirer le meilleur parti des progrès technologiques actuels.
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[1] OCDE (2012), Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2012, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2012-fr.
[29] OCDE (à paraître), Des emplois de qualité pour tous dans un monde du travail en mutation : La stratégie de l’OCDE pour l’emploi, Éditions OCDE, Paris.
[10] Pak, M. et C. Schwellnus (à paraître), « Labour share developments over the past two decades: The role of public policies », Documents de travail du Département des affaires économiques de l’OCDE, Éditions OCDE, Paris.
[3] Pessoa, J. et J. van Reenen (2013), « Decoupling of Wage Growth and Productivity Growth? Myth and Reality », CEP Discussion Papers, n° 1246, http://cep.lse.ac.uk/pubs/download/dp1246.pdf.
[22] Rosen, S. (1981), « The Economics of Superstars », The American Economic Review, vol. 71/5, pp. 845-858, http://dx.doi.org/10.2307/1803469.
[2] Schwellnus, C., A. Kappeler et P. Pionnier (2017), « Decoupling of wages from productivity: Macro-level facts », Documents de travail du Département des affaires économiques de l’OCDE, n° 1373, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/18151973.
[31] Schwellnus, C., A. Kappeler et P. Pionnier (2017), « The Decoupling of Median Wages from Productivity in OECD Countries », International Productivity Monitor, vol. 32, http://www.csls.ca/ipm/32/Schwellnus_Kappeler_Pionnier.pdf.
[9] Schwellnus, C. et al. (2018), « Labour share developments over the past two decades : The role of technological progress, globalisation and “winner-takes-most” dynamics », OECD Economics Department Working Papers, n° 1503, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/3eb9f9ed-en.
[5] Sharpe, A. et J. Uguccioni (2017), « Decomposing the Productivity- Wage Nexus in Selected OECD Countries, 1986-2013 », International Productivity Monitor, vol. 32, pp. 25-43, http://www.csls.ca/ipm/32/Uguccioni_Sharpe.pdf.
[13] Tevlin, S. et K. Whelan (2003), « Explaining the Investment Boom of the 1990s », Journal of Money, Credit and Banking, vol. 35/1, http://www.jstor.org/stable/3649843.
[27] Vignoles, A. (2016), « What is the economic value of literacy and numeracy? », IZA World of Labor 229, http://dx.doi.org/10.15185/izawol.229.
Notes
← 1. Les résultats empiriques rapportés dans le présent chapitre se fondent sur les travaux de Schwellnus et al. (2017[2] ; 2017[31] ; 2018[9]).
← 2. Il convient de noter que l’indice du prix de la valeur ajoutée diffère de l’indice des prix du PIB. Le PIB intègre les impôts diminués des subventions sur la production, ce qui n’est pas le cas de la valeur ajoutée qui se révèle de ce fait plus appropriée à l’étude de la relation qui unit la productivité du travail aux salaires.
← 3. Si les prix des facteurs sont déterminés de manière concurrentielle, les salaires réels équivalent à la productivité marginale du travail ; cela n’implique pas pour autant une égalité entre les salaires réels et la productivité moyenne du travail. Il peut en effet y avoir un découplage entre les salaires réels et la productivité moyenne du travail, y compris lorsque les prix des facteurs sont déterminés de manière concurrentielle, si l’élasticité de la substitution du capital au travail n’est pas unitaire.
← 4. La participation aux chaînes de valeur mondiales équivaut à la somme de la part de la valeur ajoutée étrangère incorporée dans les exportations brutes (participation en amont) et de la part des exportations correspondant à des facteurs intermédiaires utilisés par les partenaires commerciaux pour la production de leurs exportations vers des pays tiers (participation en aval).
← 5. Au niveau de désagrégation sectorielle utilisé dans le présent chapitre, l’évolution de la part du travail au sein des secteurs explique environ 80 % des variations de la part globale du travail, ce qui concorde peu ou prou avec les études précédentes (Bassanini et Manfredi, 2012[33] ; Karabarbounis et Neiman, 2014[6] ; FMI, 2017[7]). Étant donné que la redistribution entre les secteurs n’explique qu’une petite partie de l’évolution de la part globale du travail, la pondération des chiffres sectoriels au moyen de la part de la valeur ajoutée globale dans l’analyse de régression permet de dégager des conclusions directes sur les effets agrégés.
← 6. Le déflateur de la valeur ajoutée entre implicitement à la fois au dénominateur de la part du travail et au dénominateur des prix relatifs de l’investissement. Différents tests de robustesse dont il est fait état dans Schwellnus et al. (2018[9]) révèlent que l’endogénéité potentielle des prix relatifs de l’investissement n’altère pas les résultats exposés ici. L’évolution de la participation aux CVM pourrait être influencée en partie par les variations de la part du travail, par exemple si la hausse de la part du travail entraîne la délocalisation de la production de biens intermédiaires. En réalité, cela peut certes infléchir à la hausse le coefficient de participation aux CVM, mais ne remet pas pour autant en question le fort coefficient négatif de la participation aux CVM.
← 7. On peut raisonnablement penser que les élasticités au niveau sectoriel sont comparables aux élasticités agrégées, dans la mesure où l’évolution de la part du travail intrasectorielle explique les variations globales (Schwellnus et al., 2018[9]) et dans l’analyse de régression, la part des secteurs dans la valeur ajoutée est utilisée à des fins de pondération.
← 8. Qui plus est, afin de couvrir un nombre maximum d’entreprises, l’analyse au niveau des entreprises se fonde sur une différence unique de huit ans ou plus, contre trois différences de cinq ou six ans qui ne se chevauchent pas dans l’analyse sectorielle.
← 9. Il concorde également avec des études internationales plus récentes, telles De Serres et Schwellnus (2018[32]), FMI (2017[7]) et Karabarbounis et Neiman (2014[6]).
← 10. Par exemple, l’internet a ouvert la voie à la création de places de marché en ligne internationales sur lesquelles les vendeurs proposent une grande variété de produits et les acheteurs peuvent comparer les prix à l’échelle mondiale.
← 11. Par exemple, le coût marginal de réplication et de fourniture de biens informationnels fournis par les plateformes électroniques est proche de zéro.
← 12. Les externalités de réseau concernent certes les plateformes numériques (grâce notamment à une mise en relation plus optimale des fournisseurs et des acheteurs), mais aussi le commerce de détail (via un meilleur accès aux réseaux de fournisseurs) et les transports (grâce à une logistique plus efficiente). Dans certains secteurs, elles se manifestent par des canaux plus détournés. Par exemple, l’utilisation des systèmes de réservation des compagnies aériennes privées par les agents de voyages contribue à l’émergence d’acteurs dominants (Frank et Cook, 1995[23]).
← 13. Les entreprises de pointe sont les 5 % d’entreprises présentant la plus forte productivité du travail dans chaque groupe de pays, pour chaque secteur et année, ce qui signifie que la composition des entreprises à la frontière technologique peut varier dans le temps.
← 14. Le découplage entre les salaires et la productivité dans les entreprises de pointe ne semble pas refléter un accroissement de la rémunération sous forme d’options d’achat d’actions. Ce type de rémunération paraît particulièrement courant dans les secteurs de la finance et des services TIC (Elsby, Hobijn et Sahin, 2013[8]). Étant donné que le secteur financier n’entre pas dans le champ de l’ensemble de données Orbis, le rôle du recours croissant à la rémunération sous forme d’options d’achat d’actions peut être évalué en excluant le secteur des TIC de l’analyse dans le Graphique 2.5. Étant donné que le graphique demeure inchangé tant qualitativement que quantitativement, il est peu probable que la hausse de la rémunération non numéraire soit le principal facteur de découplage entre les salaires et la productivité dans les entreprises de pointe des pays dans lesquels la part du travail a reculé (Schwellnus et al., 2018[9]).
← 15. La part des entreprises employant moins de 100 salariés et comptant moins de cinq ans d’ancienneté s’élève à 14 % pour les entrants à la frontière technologique, contre 8 % pour les entreprises qui demeurent à la frontière ou qui la quittent (Schwellnus et al., 2018[9]).
← 16. Si les données d’observation indiquent que les compétences en calcul entretiennent un lien particulièrement étroit avec la substitution capital-travail résultant de la baisse du prix de l’investissement, il n’est pas exclu que l’insignifiance des indicateurs relatifs aux compétences en compréhension de l’écrit et en résolution de problèmes tienne dans une certaine mesure à une forte colinéarité entre les trois indicateurs. Les trois coefficients mesurés sont conjointement significatifs au seuil de 5 %.