Le présent chapitre examine l'évolution des performances des marchés du travail depuis le début de la crise financière mondiale. Dans les pays de l’OCDE, les marchés du travail renouent avec leurs niveaux d’avant la crise en termes de quantité d’emplois, à quelques exceptions près seulement, tandis que la situation est plus mitigée en ce qui concerne la qualité des emplois et l’inclusivité. Pour autant, la croissance des salaires nominaux reste sensiblement inférieure à ce qu’elle était avant la crise pour des niveaux de chômage comparables, et le décalage de la relation entre le chômage et la croissance des salaires s’est poursuivi pendant la reprise. Ce chapitre analyse les déterminants du ralentissement prolongé de la croissance des salaires. Si les anticipations de faible inflation et la décélération de la croissance de la productivité restent les principaux moteurs à l'œuvre, la dynamique des emplois faiblement rémunérés et de leurs salaires a aussi joué un rôle déterminant dans le ralentissement général de la croissance des salaires.
Perspectives de l'emploi de l'OCDE 2018
Chapitre 1. Les salaires restent à la traîne : évolution récente des performances des marchés du travail et des salaires
Abstract
Les données statistiques concernant Israël sont fournies par et sous la responsabilité des autorités israéliennes compétentes. L’utilisation de ces données par l’OCDE est sans préjudice du statut des hauteurs du Golan, de Jérusalem Est et des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie aux termes du droit international.
Principaux résultats
La reprise qui a fait suite à la crise financière mondiale et à la crise de la dette qui a frappé ultérieurement un certain nombre de pays de la zone euro est largement effective. À 2.6 % par an en 2017, et 2.5 % selon les estimations en 2019, la croissance économique dans les pays de l'OCDE, si elle ne bat pas des records, semble stable, et même la zone euro enregistre la plus forte progression du produit intérieur brut (PIB) réel de ces dix dernières années (OCDE, 2018[1]). Le taux d’emploi est, en moyenne, supérieur aux niveaux d’avant la crise, les plus fortes progressions concernant les groupes sous-représentés. Il semble pourtant que la croissance des salaires ne suive pas celle de l’emploi, les signes d’accélération observés dans certains pays n’étant apparus que vers la fin de 2017 ou au cours du premier trimestre de 2018 (OCDE, 2018[2]). Cette croissance modérée des salaires donne à penser que la reprise reste fragile.
Le présent chapitre donne une vue d’ensemble de la dynamique du marché du travail depuis le début de la crise financière mondiale, en s’intéressant tout particulièrement aux raisons pouvant expliquer la croissance étonnamment faible des salaires. Les principales conclusions de ce chapitre sont les suivantes :
Les marchés du travail des pays de l’OCDE reviennent à des niveaux d’avant la crise en termes de quantité d’emplois, à quelques exceptions près seulement. On observe toutefois une situation plus mitigée en ce qui concerne la qualité des emplois et l’inclusivité, qui sont, avec la quantité des emplois, les trois piliers de la Stratégie pour l'emploi de l'OCDE. Ces dix dernières années, la situation s’est améliorée dans de nombreux pays eu égard à l’écart femmes-hommes en matière de revenus du travail, aux perspectives d’emploi des groupes défavorisés et à la tension au travail, causée par l’association de demandes excessives et de ressources insuffisantes. Toutefois, l'insécurité sur le marché du travail – le risque de chômage et son coût économique pour les travailleurs – n'a pas encore rejoint son niveau d'avant la crise, et la pauvreté s’est aggravée parmi la population en âge de travailler.
La croissance des salaires reste aussi très inférieure à son niveau d’avant la crise. Pendant la récession, la moyenne OCDE des taux de croissance des salaires horaires est restée inférieure de 1.5 à 2 points de pourcentage à son niveau antérieur pour des niveaux de chômage comparables, et ce décalage de la relation entre le chômage et la croissance des salaires (ce que l’on appelle la courbe de Phillips) s’est poursuivi pendant la reprise. On observe ce phénomène même dans les pays où la croissance des salaires semble finalement repartir après plusieurs années de reprise économique, comme aux États-Unis.
Somme toute, dans les pays de l'OCDE, la croissance des salaires horaires nominaux est passée de 4.8 % avant la crise à 2.1 % ces dernières années, en moyenne. La croissance des salaires réels a diminué de 1 point de pourcentage sur la même période.
La faible inflation et le ralentissement de la productivité ont tous deux contribué à la forte décélération de la croissance des salaires. En moyenne, la croissance de la productivité horaire du travail a ralenti de 2.3 % avant la crise à 1.2 % dernièrement, tandis que l'inflation a reculé de 2.6 % à 0.8 %, entraînant une baisse des anticipations d'inflation.
La dynamique des emplois mal rémunérés et de leurs salaires a également joué un rôle déterminant dans le ralentissement général de la croissance des salaires. Une baisse importante des revenus moyens a en particulier été observée dans les emplois à temps partiel par rapport aux emplois à temps plein, laquelle s’est associée à une poussée du travail à temps partiel subi dans un certain nombre de pays.
Les conditions de travail comparativement médiocres des travailleurs qui retrouvent un emploi après une période de chômage, conjuguées au nombre important de transitions du chômage à l'emploi dans certains pays, ont conduit à une hausse du nombre de travailleurs à bas salaire, ce qui a freiné la croissance moyenne des salaires.
Introduction
Le présent chapitre offre une vue d’ensemble de la dynamique du marché du travail depuis le début de la crise financière mondiale. Après une présentation de l’évolution des principaux indicateurs des performances du marché du travail, mis au point dans le cadre de la Stratégie pour l’emploi de l'OCDE (2017[3] ; 2018[4]), le chapitre accorde une attention plus particulière à la croissance des salaires, qui semble être la grande absente de la reprise actuelle. En effet, si le chômage recule depuis plusieurs années dans la plupart des pays de l'OCDE (OCDE, 2016[5]), la croissance des salaires demeure largement inférieure à son niveau d’avant la récession pour des niveaux de chômage comparables. Le déplacement vers le bas de la relation salaires-chômage constaté récemment dans plusieurs pays suscite un intérêt, et une inquiétude, de plus en plus grands parmi les universitaires et les responsables de l’action publique (FMI, 2017[6] ; Bulligan et Viviano, 2017[7] ; OCDE, 2016[5] ; BCE, 2016[8] ; Shambaugh et al., 2017[9]). Outre les facteurs traditionnellement évoqués dans les travaux consacrés à ce sujet, comme le ralentissement de la productivité et la baisse des anticipations d’inflation, les emplois faiblement rémunérés sont considérés ici comme un facteur déterminant du ralentissement décevant de la croissance des salaires.
La suite du présent chapitre est organisée comme suit : la section 1.1 examine succinctement l’évolution des performances des marchés du travail, au moyen de divers indicateurs normalisés ; la section 1.2 analyse les facteurs statistiques à l’origine du ralentissement persistant de la croissance des salaires ; et la section 1.3 présente les observations finales.
1.1. Évolution récente des principaux indicateurs de performance du marché du travail
La situation du marché du travail continue de s’améliorer. En 2017, le taux d’emploi moyen était supérieur de près de 2 points de pourcentage à son niveau d’avant la crise dans la zone OCDE (Graphique 1.1, partie A)1. De la même manière, le taux de chômage continue de reculer lentement, même s’il reste légèrement au-dessus du niveau constaté avant la crise dans quelques pays étant donné que l’emploi n’a pas suffisamment progressé pour compenser en totalité la hausse du taux d’activité (Graphique 1.1 partie B). Pourtant, en 2016, le taux de sous-utilisation globale de la main-d’œuvre – qui englobe les inactifs, les chômeurs et les travailleurs à temps partiel subi – était encore, à 28.1 %, supérieur de 1.5 point de pourcentage au niveau de 2006 (Graphique 1.1, partie C).
S’agissant de la quantité des emplois, les performances récentes des pays de l'OCDE sont relativement variables. Ainsi, en Allemagne, en Hongrie et en Pologne, le taux d’emploi était supérieur de plus de 8 points de pourcentage en 2016 à celui constaté en 2006. Dans ces pays, cette embellie sur le front de l’emploi s’accompagne généralement d’une réduction significative du chômage et de la sous-utilisation globale de la main-d’œuvre. À titre de comparaison, dans certains pays durement touchés par la récession et la crise de la dette dans la zone euro (Espagne, Grèce et Irlande) et au Danemark, le taux d’emploi a accusé un repli pouvant aller jusqu’à 2 points de pourcentage ou plus au cours de de cette période. Dans ces pays, cette détérioration de l’emploi s’accompagne d’une forte hausse du chômage et de la sous-utilisation globale de la main-d’œuvre.
Aux États-Unis aussi le taux d’emploi reste largement en deçà de son niveau d’avant la crise, en dépit de la plus longue période de redressement de l’emploi enregistrée depuis la guerre : le taux de chômage est désormais inférieur au niveau d’avant la crise mais la sous-utilisation globale de la main-d’œuvre a augmenté de 3.2 points de pourcentage. En Italie, malgré un taux d’emploi relativement stable, le taux de chômage et le taux de sous-utilisation de la main-d’œuvre en 2016 étaient supérieurs de respectivement 4.6 et 6 points de pourcentage à leur niveau de 2006, en raison des effets opposés de l’accroissement du taux d’activité et de l’envolée du travail à temps partiel subi. Dernier point, mais non le moindre : selon les dernières données disponibles, le taux de sous-utilisation de la main-d’œuvre a aussi fortement augmenté en Islande (+3 points de pourcentage), ainsi qu’au Portugal et en Slovénie (+4 points de pourcentage).
Le cadre d’analyse de la qualité de l’emploi de l’OCDE mesure la qualité des emplois au regard de trois dimensions : i) la qualité des revenus d’activité, qui indique dans quelle mesure la rémunération perçue par un travailleur au titre de son emploi contribue à son bien-être, en tenant compte du revenu moyen d’activité d’une part et de la répartition de ce revenu au sein de la population active d’autre part ; ii) l’insécurité sur le marché du travail, qui correspond à la perte monétaire attendue en proportion des revenus antérieurs sous l’effet de la perte d’emploi et du chômage ; et iii) la qualité de l’environnement de travail, mesurée par la fréquence de la tension au travail, qui correspond à une situation où se conjuguent des exigences professionnelles élevées et des ressources insuffisantes pour y répondre.
L’évolution de la qualité des emplois depuis le milieu des années 2000 est en demi-teinte (Graphique 1.2). D’un côté, la qualité des revenus d’activité s’est améliorée, quoique modérément, tandis que la tension au travail a diminué presque partout. De l’autre, l’insécurité sur le marché du travail en 2016 était encore supérieure aux niveaux relevés en 2006 dans de nombreux pays.
La rémunération horaire brute exprimée en USD de 2010 à parité de pouvoir d’achat (PPA) corrigés des inégalités2 a augmenté légèrement dans la plupart des pays, passant de 15.59 à 16.87 USD entre 2006 et 2015. Cette augmentation tient principalement à la progression limitée des salaires réels (voir section 1.2) et à la très faible diminution des inégalités de revenu. La qualité des revenus d’activité s’est fortement détériorée en Grèce au cours de cette période (avec une chute de 1.39 USD), et dans une moindre mesure aux États-Unis, au Mexique et en Turquie (où la rémunération horaire brute ajustée a baissé de 0.15 à 0.35 USD). La Norvège est le seul pays qui a enregistré une forte amélioration dans ce domaine (supérieure à 3 USD).
Dans les pays pour lesquels on dispose de données, la fréquence de la tension au travail s’élevait à 27.5 % en moyenne en 2015, contre 34.5 % en 2005 (Graphique 1.2, partie C). Le recul le plus marqué, quoiqu’à partir d’un niveau de départ très élevé, a été enregistré en Allemagne (16 points de pourcentage environ), où l’incidence de la tension au travail est désormais proche de la moyenne de l'OCDE. Il n’y a qu’en Suède que la tension au travail s’est accrue (de 2 points de pourcentage environ) ; néanmoins, avec une fréquence de 25.5 % en 2015, le pays reste parmi les mieux classés. Il faut toutefois garder à l’esprit que ces tendances ne sont peut-être pas uniquement liées à une amélioration structurelle mais reflètent aussi des facteurs liés au cycle économique qui influent sur la composition des emplois3.
L’accroissement de l’insécurité sur le marché du travail (Graphique 1.2, partie B) tient en grande partie au fait que, malgré l’amélioration du taux d’emploi, le taux de chômage n’était pas encore retombé à son niveau d’avant la crise dans plusieurs pays en 2016 – voir OCDE (2018[1]). Toutefois, la réduction de la couverture de l’assurance chômage au cours de cette période (voir chapitre 5) a elle aussi joué un rôle à cet égard dans de nombreux pays. La perte de revenu escomptée liée à la perte d’emploi et au chômage prolongé a augmenté de plus d’un point de pourcentage entre 2006 et 2016. C’est en Grèce et en Espagne que l’insécurité s’est accrue le plus sur le marché du travail (avec une hausse de plus de 10 points de pourcentage). À l’inverse, elle a diminué de plus de 1.5 point de pourcentage en Allemagne et en République slovaque.
Le tableau est aussi en demi-teinte en ce qui concerne l’inclusivité sur le marché du travail. D’un côté, la pauvreté a fortement augmenté depuis le début de la crise : en moyenne dans les pays de l'OCDE en 2015, 10.6 % de la population d’âge actif percevait un revenu inférieur à 50 % du revenu disponible équivalent médian des ménages – ce qui correspond au « taux de bas revenus » – contre 9.6 % dix ans plus tôt (Graphique 1.3)4. Il n’y a qu’en Corée, au Mexique et au Chili, quoiqu’à partir de niveaux très élevés dans ces deux derniers pays, que le taux de bas revenu a nettement reculé. À l’inverse, il a augmenté de plus de deux points de pourcentage dans la plupart des pays ayant été durement touchés par la crise de l’euro (Espagne, Grèce, Italie et Slovénie), et dans quelques pays d’Europe de l’Est (Hongrie et République slovaque).
D’un autre côté, les pays de l'OCDE sont clairement parvenus à réduire les disparités entre hommes et femmes sur le marché du travail. Ils ont aussi amélioré l’intégration des groupes défavorisés, comme les jeunes peu qualifiés, les travailleurs âgés, les mères de jeunes enfants, les immigrés et les handicapés. Même si les revenus du travail annuels des femmes restent inférieurs de 39 % en moyenne à ceux des hommes, cet écart a diminué de 4.5 points de pourcentage entre 2006 et 20155. On constate des améliorations dans tous les pays de l'OCDE pour lesquels on dispose de données, à l’exception de la Pologne. Au Luxembourg, en Belgique et en Irlande, l’écart a même diminué de plus de 10 points de pourcentage (voir le chapitre 6 pour une analyse plus fine des disparités entre les sexes sur le marché du travail et de leurs origines). De la même manière, en dépit de l’impact notable de la crise sur certaines catégories de population, l’écart moyen de taux d’emploi des groupes défavorisés6 a diminué dans tous les pays de l'OCDE à l’exception de la Grèce et de la Slovénie, à la faveur également d’une période suffisamment longue de croissance retrouvée. En moyenne, le taux d’emploi de ces groupes était inférieur de 29 % à celui des hommes d’âge très actif en 2006, contre un écart réduit à 25 % dix ans plus tard. Le Chili (10.4 %), la Pologne (9 %) et l’Allemagne (8.4 %) affichent des améliorations record.
1.2. Évolution de la croissance des salaires depuis le début de la crise
La forte poussée du chômage provoquée par la crise financière mondiale a été suivie d’un ralentissement marqué de la croissance des salaires dans plusieurs pays. Cette modération salariale a permis de limiter les pertes d’emplois et d’ouvrir la voie à la croissance de l’emploi pendant la reprise. Néanmoins, une période prolongée de stagnation des salaires pourrait peser sensiblement sur le niveau de vie des travailleurs et les dépenses de consommation, mettant en péril la demande globale et la croissance. C’est pourquoi la contraction du chômage pendant la reprise devrait s’accompagner d’un redressement des salaires afin de pouvoir donner sa pleine mesure.
1.2.1. La croissance des salaires tarde à se redresser alors que la contraction du chômage se poursuit
Si le chômage est orienté à la baisse depuis plusieurs années dans la plupart des pays de l'OCDE (OCDE, 2016[5]), la croissance des salaires demeure largement inférieure à son niveau d’avant la récession pour des niveaux de chômage comparables. Le sous-emploi, le ralentissement de la productivité et les anticipations de faible inflation sont autant d’éléments qui pourraient naturellement expliquer ce déplacement des courbes de Phillips7 (FMI, 2017[6] ; BCE, 2016[8] ; Hong et al., 2018[10]). Certains éléments d’explication supplémentaires propres aux pays ont été avancés, comme une baisse de la rentabilité liée à la dégradation des termes de l'échange ou au taux de change réel élevé en Australie (Bishop et Cassidy, 2017[11] ; Connolly, 2016[12] ; Jacobs et Rush, 2015[13]).
Les courbes de Phillips des salaires présentées au Graphique 1.4 illustrent la covariation des salaires horaires nominaux et du chômage, à la fois pendant le cycle précédent (en gris) et pendant la période qui a suivi la crise (en bleu). Un écart de chômage croissant – défini comme la variation, en points de pourcentage, du chômage depuis le début de la crise financière mondiale – accentue la concurrence entre les travailleurs et permet aux employeurs d’offrir des salaires plus bas8. En l’absence de changement marqué au niveau des anticipations d’inflation, de la croissance de la productivité et de la composition de la population active et dans la mesure où les ajustements de salaires ne sont pas réalisés uniquement à la marge extensive (c’est-à-dire uniquement pour les nouvelles embauches) et où le sous-emploi de la main-d’œuvre est bien reflété par le chômage, la relation entre l’évolution du chômage depuis le début de la crise et celle des salaires devrait être stable, du moins à court terme : la croissance des salaires devrait ralentir à mesure que le chômage augmente, puis revenir à son niveau antérieur à mesure que l’écart de chômage se résorbe.
À l’échelle de l'OCDE, on constate un net déplacement de la courbe de Phillips après la crise (voir la partie en haut à gauche du Graphique 1.4). Pendant la récession, la croissance des salaires horaires moyens était inférieure de 1.5 à 2 points de pourcentage à son niveau d’avant la récession pour des niveaux de chômage comparables. On observe aussi une variation dans la courbe entre la période antérieure à la reprise et la période postérieure, qui montre comment ce déplacement s’est encore accentué pendant la reprise. En moyenne, la croissance des salaires horaires dans les pays de l'OCDE au dernier trimestre 2017 était encore inférieure de 0.4 point de pourcentage à ce qu’elle était fin 2008, contrairement au taux de chômage qui était identique.
Même aux États-Unis, en Irlande et au Royaume-Uni, où la courbe de Phillips n’a pas baissé pendant la phase initiale de la reprise, on constate en 2017 une croissance des salaires plus modérée par rapport aux courbes de Phillips antérieures à la reprise. En Allemagne, le recul constant du chômage depuis 2010 s’est accompagné de déplacements successifs de la courbe de Phillips. Ces tendances montrent que, même dans les pays où la croissance des salaires semble se redresser, la reprise pourrait être fragile.
Dans un certain nombre de pays, la croissance des salaires à temps plein a diminué de manière homogène tout au long de l’échelle des salaires entre le cycle économique précédent et le cycle actuel. Le Graphique 1.5 compare le ralentissement de la croissance des salaires nominaux des salariés à temps plein situés dans le décile inférieur, le décile médian et le décile supérieur de la distribution des revenus entre les périodes 2000‑07 et 2007‑16. La croissance annuelle moyenne des salaires à temps plein a reculé de 1.5 point de pourcentage dans la zone OCDE ; elle a même chuté de plus de 3 points en Irlande, en Grèce et au Portugal, ainsi que dans de nombreux pays d’Europe de l’Est. Il est important de noter que, dans tous les pays où la croissance des salaires médians a ralenti d’au moins un point de pourcentage par an, à l’exception du Mexique, le fléchissement de la croissance des salaires a également été marqué dans le décile supérieur. Par ailleurs, à l’exception supplémentaire de la Lettonie et de la Slovénie, la croissance des salaires a nettement ralenti au bas de l’échelle des revenus. Toutefois, le ralentissement moins prononcé constaté dans le décile inférieur de la distribution dans plusieurs pays est, dans une large mesure, une illusion statistique causée par des effets de composition dans le contexte de la montée du chômage, particulièrement soutenue pour les personnes peu qualifiées ; il ne faut donc pas l’interpréter comme la preuve que les inégalités en matière de revenus du travail ont diminué depuis le début de la crise. En fait, les inégalités de revenu marchand se sont plutôt creusées ces dernières années – voir OCDE (2018[1]).
1.2.2. La faible inflation et le ralentissement de la productivité ont entraîné une baisse de la progression des salaires
Parallèlement au déplacement des courbes de Phillips, le Graphique 1.6 (partie A) montre que la croissance nominale moyenne des salaires horaires dans la zone OCDE a connu un net repli, passant de 4.8 % avant la crise à 2.1 % ces dernières années. Toutefois, ce déclin n’a eu qu’un effet partiel sur le niveau de vie des travailleurs en raison de la faible inflation, qui est descendue de 2.6 % à 0.8 % (partie C). Par conséquent, la croissance des salaires réels a baissé de 1 point de pourcentage au cours de cette période, passant de 2.2 % à 1.2 % (partie B).
La plupart des pays de l’OCDE ont connu un net ralentissement de la croissance des salaires au plus fort de la crise. Les salaires réels ont même chuté dans certains pays, pour la plupart situés dans la zone euro et en particulier ceux qui avaient été durement touchés par la crise de la dette souveraine comme le Portugal, l’Espagne, l’Italie et la Grèce. Dans les États baltes, les réductions considérables des salaires peuvent être expliquées par la forte croissance de ceux-ci avant la crise et par la montée en flèche du chômage au creux de la crise. En dehors de la zone euro, les salaires réels se sont contractés en Israël et au Royaume-Uni, tandis que leur croissance a fortement ralenti aux États-Unis pour se situer en moyenne à 0.3 % entre le quatrième trimestre 2007 et le premier trimestre 2009.
Après le creux de la crise, les salaires réels ont rebondi dans la plupart des pays. Toutefois, à 1.2 % en moyenne, leur croissance a étonnamment stagné après la fin de la récession dans la zone OCDE, malgré la résorption progressive du sous-emploi de la main-d’œuvre. Dans une majorité de pays, la croissance des salaires a peu évolué après 2010. Entre 2009‑12 et 2012‑17, elle a décéléré en Australie, en Norvège, en Suisse, aux Pays-Bas, aux États-Unis et en France, et elle a accéléré de moins de 0.5 point de pourcentage au Japon, en Belgique, en Suède, en Grèce, en Finlande, au Canada et en Autriche. De façon plus surprenante, pendant la reprise, les salaires réels ont baissé non seulement en Grèce, mais aussi aux Pays-Bas et en Australie.
La faible inflation et le fléchissement de la productivité ont participé de cette décélération de la croissance des salaires (FMI, 2017[6] ; Shambaugh et al., 2017[9]) Les anticipations d’inflation ont été revues à la baisse après le ralentissement de celle-ci, entraînant un repli de la croissance des salaires négociés (voir également le chapitre 3). De même, la croissance de la productivité horaire du travail n’a que partiellement récupéré par rapport aux niveaux négatifs qu’elle avait atteint durant la première phase de la crise9 : de 2.3 % en moyenne avant la crise, elle est descendue à 1.2 % dans la période récente (Graphique 1.6, partie D). Dans un contexte où le pouvoir de négociation des travailleurs ne progresse pas et où le capital est substitué au travail (voir les chapitres 2 et 3), la possibilité d’augmenter les salaires est inévitablement limitée.
1.2.3. Les emplois peu rémunérés contribuent à l’atonie de la croissance des salaires
Les travaux de recherche récents laissent aussi entrevoir une explication supplémentaire au déplacement vers la gauche de la courbe de Phillips constaté dernièrement : le sous-emploi de la main-d’œuvre pourrait être plus important que ne le suggère le chômage global en raison d’une augmentation de la sous-utilisation de la main-d’œuvre du fait d’une plus forte inactivité (Blanchflower et Posen, 2014[14]) et de la hausse du travail à temps partiel subi (FMI, 2017[6] ; Smith, 2014[15]), elle-même liée plus particulièrement au travail à temps partiel subi pour des raisons économiques (Altig et Higgins, 2014[16]). Par exemple, le Graphique 1.7 met en évidence une poussée du travail à temps partiel subi dans de nombreux pays après la récession. Les régressions globales semblent confirmer que la proportion de travailleurs à temps partiel subi influe sur la courbe de Phillips (FMI, 2017[6]) ; or cette influence est particulièrement marquée dans les pays où le taux de chômage reste supérieur à son niveau moyen d’avant la crise. D’une manière plus générale, ces capacités inutilisées supplémentaires tiendraient au fait particulièrement révélateur qu’au lendemain de la crise très longue traversée dernièrement, de nombreux chômeurs ont été contraints d’accepter des emplois offrant des conditions de travail inférieures à leurs attentes et à l’emploi qu’ils occupaient avant la crise. Ces travailleurs recherchent encore activement des emplois qui leur conviennent davantage, ce qui accroît le nombre de candidatures pour chaque poste vacant et entraîne des pressions à la baisse sur les salaires.
Ce raisonnement s’appuie sur des hypothèses relatives à un phénomène global, selon lequel les travailleurs qui n’ont pu trouver qu’un emploi faiblement rémunéré (par exemple ceux qui sont contraints de travailler à temps partiel), lorsqu’ils cherchent un emploi mieux rémunéré (par exemple un emploi à temps plein), contribuent à faire baisser les salaires associés à ces emplois du fait d’une offre de main-d’œuvre supérieure à la demande, ce qui aboutit à des salaires moyens plus bas. Il est toutefois possible qu’une partie de la baisse des salaires moyens soit liée uniquement à la dynamique des emplois peu rémunérés et de leurs salaires spécifiques. Cela peut se produire soit parce que les salaires associés à ces emplois augmentent plus lentement que les autres (effet d’hétérogénéité), soit parce qu’ils sont tout simplement plus bas et que la part de ces emplois augmente (effet de composition standard). Contrairement aux premières hypothèses portant sur le phénomène global, ce scénario n’implique aucun impact sur les autres emplois. Par exemple, si les travailleurs à temps partiel sont moins bien payés que les travailleurs à temps plein, l’augmentation de la part de l’emploi à temps partiel dans la composition de l’emploi aboutirait à une croissance globale des salaires plus modeste, même en l’absence d’effet sur la croissance des salaires au sein d’une même catégorie (effet de composition standard). De la même manière, un ralentissement de la croissance moyenne des salaires des emplois à temps partiel déboucherait sur une décélération de la croissance moyenne des salaires, même en l’absence d’effet sur la croissance moyenne des salaires des emplois à temps plein (effet d’hétérogénéité). Un tel effet pourrait aussi être provoqué par une augmentation de la proportion d’emplois faiblement rémunérés dans le total des emplois à temps partiel (par exemple une hausse de la part des emplois à temps partiel subi dans le total des emplois à temps partiel). La somme des effets de composition et d’hétérogénéité (ci-après désignée comme l’effet de composition global) peut être obtenue en calculant la différence entre le taux de croissance des salaires horaires moyens de l’ensemble des travailleurs et de ceux des travailleurs occupant des emplois relativement mieux rémunérés, comme des emplois à temps plein (OCDE, 2018[1]).
Le Graphique 1.8 montre que l’emploi à temps partiel a eu un effet de composition global important sur la croissance des salaires dans plusieurs pays de la zone euro, à savoir les Pays-Bas, la Grèce, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, entre 2006 et 201410. Par exemple, en Allemagne, la croissance annuelle des salaires horaires réels moyens de l’ensemble des salariés aurait été supérieure de 0.67 point de pourcentage si elle avait été identique à celle des salariés à temps plein. D’une manière générale dans ces pays, le différentiel de croissance entre les salaires des travailleurs à temps plein et ceux des travailleurs à temps partiel (effet d’hétérogénéité) a exercé une influence plus importante que l’effet de composition standard – voir OCDE (2018[1]). Cela met en lumière la baisse importante des revenus observée dans les emplois à temps partiel par rapport aux emplois à temps plein. L'Espagne et l’Italie font toutefois exception : l’effet de composition global important constaté dans ces deux pays était, en grande partie, simplement lié à l’accroissement de la part de l’emploi à temps partiel et à la rémunération moyenne inférieure des personnes qui occupent ces emplois. Des effets de composition comparables ont aussi été observés en Islande, en Norvège et en Irlande, même si les effets globaux ont été atténués par des effets d’hétérogénéité très faibles (voire positifs) – c’est-à-dire par une progression relativement dynamique des salaires des emplois à temps partiel.
Le constat est le même si l’on se concentre uniquement sur la phase initiale de la reprise (2010‑14) : l’Allemagne, l'Espagne, la Grèce, l’Italie et les Pays-Bas se caractérisent toujours par des effets de composition globaux importants, principalement causés par la faible progression des salaires des emplois à temps partiel par rapport à ceux des emplois à temps plein (à l’exception de l’Italie), ce qui explique en partie la stagnation de la croissance globale des salaires observée pendant les premières années de la reprise. Ce même type d’effet a joué un rôle déterminant dans le ralentissement de la croissance des salaires constaté pendant la crise (2006‑10) en Belgique, en Grèce, aux Pays-Bas et au Portugal11. En revanche, peu d’éléments indiquent l’existence d’effets de composition globaux importants liés à l’emploi à temps partiel pendant la phase de reprise au cours du cycle économique précédent (2002‑06)12, ce qui souligne l’influence particulière de ces effets sur la croissance atone des salaires après la crise (OCDE, 2018[1]).
Par ailleurs, la contribution du différentiel de croissance entre les salaires des emplois à temps plein et ceux des emplois à temps partiel au ralentissement de la progression des salaires (donc l’effet d’hétérogénéité de l’emploi à temps partiel) semble étroitement associée à l’augmentation de la part du travail à temps partiel subi dans le total de l’emploi à temps partiel au cours de la phase initiale de la reprise (Graphique 1.9). Ainsi, en Autriche, en Belgique, en Estonie, en Lettonie, en Lituanie et en République tchèque, la stabilité ou le recul du travail à temps partiel subi étaient couplés à une hausse de la rémunération des emplois à temps partiel par rapport aux emplois à temps plein. À l’inverse, le travail à temps partiel subi a fortement progressé dans de nombreux autres pays, tandis que les emplois à temps partiel ont vu leur rémunération diminuer. La montée de l’emploi à temps partiel subi pourrait donc avoir joué un rôle dans la contraction relative des salaires des travailleurs à temps partiel qui a pesé sur la croissance globale des salaires entre le déclenchement de la crise et le début de la reprise13.
À l’inverse, il est possible de supposer que l’importance des effets d’hétérogénéité associés aux différences dans la dynamique des salaires des emplois à temps partiel et des emplois à temps plein a diminué ces dernières années, alors que le travail à temps partiel subi recule depuis peu dans de nombreux pays (Graphique 1.7)14. On peut aussi espérer que ce recul du travail à temps partiel subi finisse par entraîner un redémarrage de la croissance des salaires. D’ailleurs, certains signes timides apparus dernièrement donnent à penser que la croissance des salaires commence à se redresser (OCDE, 2018[2])15.
Les effets de la crise financière mondiale – ou de la crise de la dette souveraine ultérieure – ont été singulièrement prolongés dans de nombreux pays. C’est pourquoi une plus grande proportion de travailleurs qui commencent un nouvel emploi étaient auparavant au chômage ou ont connu des épisodes récents de chômage, souvent après la perte de leur emploi qui s’est accompagnée, parfois, d’une succession d’emplois précaires. Dans la mesure où de précédents travaux de recherche ont montré que les travailleurs qui ont connu un épisode de chômage sont susceptibles de voir leur salaire baisser en moyenne lorsqu’ils retrouvent du travail – voir OCDE (2010[17]) et chapitre 4 – ou de se voir proposer davantage d’offres d’emplois atypiques (Katz et Krueger, 2017[18]), on peut supposer que plus la proportion de personnes qui trouvent un emploi après avoir connu le chômage est élevée, plus le taux de croissance des salaires moyens est faible, même en l’absence de ralentissement de la croissance des salaires pour les autres travailleurs (ce qui aboutit à un autre effet de composition standard). Par ailleurs, si les personnes qui trouvent un emploi pendant la reprise acceptent souvent plus volontiers qu’avant la crise des postes moins bien rémunérés, il est probable que la croissance des salaires horaires de ceux qui ont traversé récemment une période de chômage sera plus modeste, ce qui pourrait là encore peser sur la croissance de l’ensemble des salaires, même en l’absence d’effet sur la croissance des salaires moyens des autres travailleurs (effet d’hétérogénéité)16.
Dans quelques pays, le taux de croissance global des salaires mensuels réels entre 2007 et 2014 était sensiblement inférieur à celui des salaires moyens des travailleurs n’ayant pas traversé de période de chômage pendant l’année écoulée (Graphique 1.10)17. Autrement dit, dans ces pays, la croissance des salaires aurait été plus élevée en l’absence d’effets d’hétérogénéité et de composition liés à des transitions plus fréquentes du chômage vers l’emploi et au ralentissement de la progression des salaires moyens des nouvelles recrues après un épisode de chômage18. Ces effets ont été particulièrement importants dans nombre des pays durement touchés par la crise financière mondiale ou la crise de la dette de la zone euro ou les deux, à savoir l'Espagne, l’Estonie, la Grèce, l’Italie, la Lettonie et la Slovénie. Par exemple, en Espagne, la croissance annuelle des salaires mensuels moyens aurait été supérieure de 0.45 point de pourcentage par an sans ce type d’effets. En règle générale, ce sont les effets de composition standard qui ont été les plus influents dans ces pays – voir OCDE (2018[1]) – dans la mesure où le chômage était beaucoup plus élevé en 2014 qu’en 2007. Ils ont aussi été importants aux Pays-Bas. Néanmoins, en Estonie et en Grèce, ces effets de composition ont en grande partie été conditionnés par la contraction relative des salaires des travailleurs ayant traversé récemment une période de chômage, ce qui met en évidence la dégradation relative des conditions de travail acceptées par les demandeurs d’emploi après un épisode de chômage par comparaison avec celles des autres travailleurs. La Finlande et l'Islande se distinguent également par d’importants effets de composition standard, mais leur impact négatif sur la croissance moyenne des salaires a été atténué par une amélioration relative des conditions de travail des personnes ayant connu un épisode de chômage récent.
D’autres types d’effets de composition que ceux présentés ici pourraient aussi avoir joué un rôle. Des analyses complémentaires ont donc été menées pour étudier l’impact de l’évolution de la composition de la population active en termes d’âge, de type de contrat ou de niveau d’études. Il ressort toutefois de ces analyses que toutes ces dimensions supplémentaires n’ont joué qu’un rôle limité dans le ralentissement de la croissance des salaires, en moyenne19, ce qui donne à penser qu’elles n’exercent leur influence que dans certains pays, au mieux 20.
Dans l’ensemble, les effets de composition globaux semblent particulièrement déterminants, surtout dans les pays où le taux de chômage demeure nettement supérieur à ce qu’il était avant la crise. Il s’agit des pays où l’effet supplémentaire joué par la sous-utilisation de la main-d’œuvre est plus important, selon des travaux de recherche existants (FMI, 2017[6]). Comme le laissent penser les données présentées dans ce chapitre, l’effet lié à la sous-utilisation de la main-d’œuvre ne devrait pas – ou du moins pas complètement – être interprété comme un effet global ayant les mêmes répercussions sur tous les salaires. L’incidence accrue des emplois faiblement rémunérés ces dernières années et/ou la croissance moins élevée des salaires associés à ces emplois aboutissent mécaniquement à une croissance moyenne des salaires plus modeste.
1.3. Conclusions
Dans la plupart des pays de l'OCDE, les taux d’emploi se sont hissés à un niveau historiquement élevé, et le taux de chômage moyen a rejoint son niveau d’avant la crise. Pour autant, les effets de la crise financière mondiale sur la qualité des emplois et l’inclusivité sont encore bien visibles. Par ailleurs, la croissance des salaires demeure sensiblement inférieure à ce qu’elle était avant la crise pour des niveaux de chômage comparables ; en d’autres termes, la courbe de Phillips s’est déplacée pendant la récession et la reprise qui a suivi.
Si le déplacement de la courbe de Phillips reste principalement imputable au ralentissement de la croissance de la productivité et à la baisse des anticipations d’inflation notamment, le présent chapitre a mis en évidence le rôle déterminant joué par les emplois peu rémunérés dans la décélération de la croissance des salaires. Les salaires des travailleurs à temps partiel ont plus particulièrement diminué par rapport à ceux des travailleurs à temps plein, comme en témoigne la hausse du travail à temps partiel subi dans un certain nombre de pays. Par ailleurs, les conditions de travail comparativement médiocres des travailleurs ayant retrouvé un emploi après une période de chômage, conjuguées à des taux de chômage toujours élevés dans certains pays, ont conduit à une hausse du nombre de travailleurs à bas salaire, ce qui a freiné la croissance moyenne des salaires. Cette tendance tient probablement au fait que, sous l’effet de la crise économique prolongée, de nombreux travailleurs ont été contraints d’accepter des emplois mal rémunérés.
Dans ces conditions, le ralentissement global de la croissance des salaires masque des disparités importantes entre les travailleurs, et notamment un effet plus marqué sur les personnes vulnérables qui sont plus susceptibles de connaître des épisodes de chômage et/ou d’occuper des emplois précaires. En fait, alors que les salaires des 1 % de travailleurs les mieux rémunérés n’ont jamais été aussi hauts (Schwellnus, Kappeler et Pionnier, 2017[19]), la proportion de ménages situés dans le bas de la distribution du revenu disponible ne cesse d’augmenter21. La croissance économique sans progression des salaires accentue les inégalités déjà présentes sur le marché du travail, rendant d’autant plus nécessaire l’adoption d’une approche plus inclusive en matière de politique de l’emploi, comme le préconise l'OCDE dans sa nouvelle Stratégie pour l’emploi (OCDE, 2018[4]). À cet égard, les politiques relatives aux compétences ont un rôle déterminant à jouer pour veiller à ce que personne ne soit laissé de côté, alors que les besoins de compétences évoluent rapidement. De nombreux travailleurs ne sont pas dotés des compétences de base en traitement de l’information qui sont en forte demande sur tous les marchés du travail de l'OCDE, ce qui les empêche d’accéder à des emplois mieux rémunérés (OCDE, 2017[20]). Dans ce contexte, les pouvoirs publics doivent redoubler d’efforts pour s’assurer que chaque travailleur ait la possibilité de développer, d’entretenir et d’actualiser ses compétences à tout âge, afin de réduire le risque de se trouver piégé dans des emplois de qualité médiocre ou au chômage et de donner les moyens nécessaires pour s’adapter à l’évolution rapide de la demande de compétences dans les emplois qui existent déjà et dans les emplois de demain.
Références
[16] Altig, D. et P. Higgins (2014), The Wrong Question?, Federal Reserve Bank of Atlanta, Macroblog, http://macroblog.typepad.com/macroblog/2014/06/the-wrong-question.html (consulté le 22 janvier 2018).
[23] Bassanini, A. et E. Caroli (2015), « Is Work Bad for Health? The Role of Constraint versus Choice », Annals of Economics and Statistics 119/120, pp. 13-37, http://dx.doi.org/10.15609/annaeconstat2009.119-120.13.
[8] BCE (2016), « Recent wage trends in the euro area », ECB Economic Bulletin 3, pp. 21-23, https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/ecbu/eb201603.en.pdf (consulté le 31 janvier 2018).
[11] Bishop, J. et N. Cassidy (2017), « Insights into Low Wage Growth in Australia », RBA Bulletin March, pp. 13-20, https://www.rba.gov.au/publications/bulletin/2017/mar/pdf/bu-0317-2-insights-into-low-wage-growth-in-australia.pdf (consulté le 31 janvier 2018).
[14] Blanchflower, D. et A. Posen (2014), « Wages and Labor Market Slack: Making the Dual Mandate Operational », Working Paper Series, n° 14-6, Peterson Institute for International Economics, https://ideas.repec.org/p/iie/wpaper/wp14-6.html (consulté le 1 février 2018).
[7] Bulligan, G. et E. Viviano (2017), « Has the wage Phillips curve changed in the euro area? », IZA Journal of Labor Policy, http://dx.doi.org/10.1186/s40173-017-0087-z.
[12] Connolly, G. (2016), « The Effects of Excess Labour Supply and Excess Labour Demand on Australian Wages », Paper presented to the 45th Australian Conference of Economists, Flinders University of South Australia, Adélaïde, http://esacentral.org.au/images/ConnollyG.pdf (consulté le 3 avril 2018).
[22] Daly, M., B. Hobijn et B. Pyle (2016), « What’s Up with Wage Growth? », FRBSF Economic Letter, n° 2016-07, Federal Reserve Bank of San Francisco, San Francisco, CA, https://www.frbsf.org/economic-research/files/el2016-07.pdf (consulté le 30 mars 2018).
[6] FMI (2017), « Recent Wage Dynamics in Advanced Economies: Drivers and Implications », dans Perspectives de l’économie mondiale, Fonds monétaire international, Washington, D.C., https://www.imf.org/fr/Publications/WEO/Issues/2017/09/19/world-economic-outlook-october-2017 (consulté le 14 décembre 2017).
[10] Hong, G. et al. (2018), « More Slack than Meets the Eye? Recent Wage Dynamics in Advanced Economies », IMF Working Papers, n° 18/50, FMI, Washington, D.C., https://www.imf.org/~/media/Files/Publications/WP/2018/wp1850.ashx (consulté le 22 March 2018).
[13] Jacobs, D. et A. Rush (2015), « Why is wage growth so low? », RBA Bulletin, pp. 9-18, https://www.rba.gov.au/publications/bulletin/2015/jun/pdf/bu-0615.pdf#page=11 (consulté le 3 avril 2018).
[18] Katz, L. et A. Krueger (2017), « The Role of Unemployment in the Rise in Alternative Work Arrangements », American Economic Review, Papers and Proceedings, vol. 107/5, pp. 388-392, http://dx.doi.org/10.1257/aer.p20171092.
[21] Nekoei, A. et A. Weber (2017), « Does extending unemployment benefits improve job quality? », American Economic Review, vol. 107/2, pp. 527-561, http://dx.doi.org/10.1257/aer.20150528.
[4] OCDE (2018), Des emplois de qualité pour tous dans un monde du travail en mutation : la stratégie de l’OCDE pour l’emploi, Éditions OCDE, Paris, https://one.oecd.org/document/C/MIN(2018)7/fr/pdf.
[1] OCDE (2018), « Supplementary material for Chapter 1 », dans OECD Employment Outlook 2018, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2018-12-en.
[2] OCDE (2018), Perspectives économiques de l’OCDE, Volume 2018 Numéro 1, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/eco_outlook-v2018-1-fr.
[20] OCDE (2017), Getting Skills Right: Skills for Jobs Indicators, Getting Skills Right, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264277878-en.
[3] OCDE (2017), Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2017, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2017-fr.
[5] OCDE (2016), Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2016, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2016-fr.
[24] OCDE (2014), Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2014, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2014-fr.
[17] OCDE (2010), Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2010 : Sortir de la crise de l’emploi, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2010-fr.
[19] Schwellnus, C., A. Kappeler et P. Pionnier (2017), « Decoupling of wages from productivity : Macro-level facts », Documents de travail du Département des affaires économiques de l’OCDE, n° 1373, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/d4764493-en.
[9] Shambaugh, J. et al. (2017), « Thirteen facts about wage growth », The Hamilton Project - Economic Facts, septembre 2017, The Brookings Institution, Washington, D.C., http://www.hamiltonproject.org/assets/files/thirteen_facts_wage_growth.pdf (consulté le 22 janvier 2018).
[15] Smith, C. (2014), « The Effect of Labor Slack on Wages : Evidence from State-Level Relationships », FEDS Notes, n° 2014-06-02, Board of Governors of the Federal Reserve System, Washington, D.C., https://www.federalreserve.gov/econresdata/notes/feds-notes/2014/effect-of-labor-slack-on-wages-evidence-from-state-level-relationships-20140602.html (consulté le 22 janvier 2018).
Informations complémentaires pour le chapitre 1
Des informations complémentaires pour le chapitre 1 sont disponibles en ligne, en anglais seulement, à l’adresse suivante : http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2018-12-en.
Notes
← 1. Voir OCDE (2018[1]), qui contient un tableau réunissant l’ensemble des indicateurs présentés dans cette section.
← 2. Conformément au cadre d’analyse de la qualité de l’emploi de l’OCDE, les salaires moyens corrigés des inégalités sont calculés comme étant la moyenne généralisée des salaires individuels à laquelle on applique le coefficient ‑3 – selon la formule , où correspond aux salaires moyens corrigés des inégalités, au revenu individuel i et au nombre d’actifs occupés ; voir OCDE (2014[24]) pour de plus amples informations.
← 3. Par exemple, il est possible que les emplois de mauvaise qualité aient été détruits plus rapidement que les autres pendant la récession, et qu’ils aient été créés en plus grand nombre que les autres pendant la première phase de la reprise économique. Par ailleurs, l’intensité du travail d’un emploi donné peut varier tout au long du cycle économique, avec des répercussions sur la tension au travail et la santé – voir par exemple Bassanini et Caroli (2015[23]).
← 4. Voir OCDE (2017[3]) pour un examen des indicateurs portant sur l’inclusivité du marché du travail.
← 5. L’écart de revenus du travail entre hommes et femmes est calculé ici comme la différence entre le revenu du travail annuel moyen des hommes et celui des femmes, en pourcentage de celui des hommes. Le revenu moyen est calculé sur la base de l’ensemble de la population d’âge actif, que les individus considérés travaillent ou non pendant l’année. Par conséquent, une personne qui ne perçoit pas de revenu du travail entre dans le dénominateur du revenu moyen mais pas dans le numérateur (voir aussi chapitre 6).
← 6. Définis ici comme les travailleurs âgés, les mères de jeunes enfants, les jeunes (à l’exclusion de ceux qui poursuivent des études et ne travaillent pas), les immigrés et les handicapés – voir OCDE (2017[3]) pour des informations plus détaillées.
← 7. À long terme, la croissance des salaires tend à s’aligner sur celle de la productivité du travail en l’absence de changement dans les anticipations d’inflation, l’intensité du capital ou le pouvoir de négociation des travailleurs (voir chapitres 2 et 3). Les travailleurs sous-employés peuvent être encore en recherche intensive d’emploi, ce qui accroît le nombre de candidatures par poste vacant et, partant, pèse sur les salaires.
← 8. L’écart de chômage est préféré ici au taux de chômage car il permet de tenir compte des variations du taux de chômage structurel d’un pays à l’autre.
← 9. Seuls quelques pays n’ont pas connu de chute des niveaux de productivité horaire du travail juste après la crise : l’Australie, le Canada, l'Espagne, les États-Unis et la Pologne.
← 10. Les données de l’Enquête de l’Union européenne sur la structure des salaires (ESS) ne sont disponibles que jusqu’à 2014, ce qui ne permet pas d’étudier le rôle des effets de composition globaux au-delà de 2014.
← 11. Cela vaut aussi pour la Lettonie, même si les effets à plus long terme (2006‑14) ont été atténués par une forte progression relative des salaires des emplois à temps partiel par rapport à ceux des emplois à temps plein en 2010‑14.
← 12. Cette analyse est menée sur un nombre restreint de pays, faute de données suffisantes.
← 13. Si le Graphique 1.9 porte uniquement sur la période 2010‑14, on observe une tendance comparable entre 2006 et 2010. Pour autant, quelques pays se situent loin de la ligne de corrélation, ce qui complique l’interprétation du graphique. Il n’est donc pas présenté ici mais peut être fourni sur demande.
← 14. Plusieurs pays, dont l’Allemagne et l’Irlande, sont éloignés de la ligne de corrélation dans le Graphique 1.9, ce qui met en évidence le rôle des contextes institutionnels nationaux dans le différentiel de croissance entre les salaires des emplois à temps plein et les salaires des emplois à temps partiel.
← 15. C’est particulièrement notable en Allemagne, au Canada, aux États-Unis, en Hongrie, en Pologne et en République tchèque. Pour la zone OCDE dans son ensemble, les salaires réels devraient augmenter de 1 % par an en moyenne en 2018 et en 2019 (OCDE, 2018[2]). Néanmoins, cela reste inférieur au niveau constaté avant la crise pour des niveaux de chômage comparables.
← 16. Les demandeurs d’emploi peuvent être davantage prêts à accepter une rémunération moindre (et des conditions de travail moins favorables) lorsqu’ils retrouvent du travail s’ils ne peuvent pas prétendre aux indemnités de chômage ou s’ils approchent de la durée limite d’indemnisation chômage – voir par exemple Nekoei et Weber (2017[21]) et les références citées. L’orientation à la baisse de la couverture de l’assurance chômage pendant la reprise (voir chapitre 5), en limitant le choix des demandeurs d’emploi, pourrait donc être un facteur susceptible d’expliquer la progression des emplois faiblement rémunérés. Pour éviter que les travailleurs licenciés soient exposés à un risque accru de chômage de longue durée, il est crucial d’intervenir dès le début de l’épisode de chômage, en proposant des services de conseil et de reconversion adaptés. Ces questions sont analysées au chapitre 4.
← 17. Les taux de croissance des salaires présentés aux Graphique 1.8 et Graphique 1.10 ne sont pas réellement comparables, compte tenu des différences constatées au regard de la méthodologie d’échantillonnage des données (les données de l’ESS ne portent que sur les entreprises de plus de dix salariés), de la définition des salaires (salaires horaires contre salaires mensuels) et de la période de référence.
← 18. Les statistiques reposent sur des microdonnées issues des enquêtes EU-SILC, CPS et HILDA. Dans la mesure où les informations sur les salaires fournies dans l’enquête EU-SILC se rapportent à une année calendaire complète, il est impossible de calculer directement la croissance des salaires des travailleurs ayant traversé une période de chômage immédiatement avant d’avoir commencé leur nouvel emploi. On utilise donc le fait d’avoir été au chômage au cours de l’année écoulée comme variable de substitution. La moyenne globale des salaires mensuels est couramment définie comme étant égale à la moyenne pondérée des salaires mensuels des travailleurs qui n’ont pas été au chômage et de ceux qui ont connu le chômage.
← 19. Les résultats de ces analyses sont disponibles sur demande auprès du Secrétariat de l'OCDE. Le FMI (2017[6]) aboutit à une conclusion comparable au regard des effets de composition par secteur d’activité. Des analyses complémentaires seront menées dans les prochaines éditions des Perspectives de l’emploi.
← 20. Par exemple, Daly, Hobijn et Pyle (2016[22]) considèrent que l’accroissement des départs en retraite des « baby-boomers » aux salaires élevés a largement contribué à réduire la croissance globale des salaires aux États-Unis ces dernières années.
← 21. Voir par exemple le Graphique 1.3 dans la section 1.1 ci-avant.