Chiara Criscuolo
Antton Haramboure
Alexander Hijzen
Michael Koelle
Cyrille Schwellnus
Chiara Criscuolo
Antton Haramboure
Alexander Hijzen
Michael Koelle
Cyrille Schwellnus
Un tiers environ de l’ensemble des inégalités salariales s’explique par les pratiques différentes des entreprises en matière de fixation des salaires plutôt que par les différences de niveau et de rendement des qualifications des travailleurs. Les écarts de rémunération des travailleurs sont quant à eux liés aux écarts de productivité des entreprises, mais aussi à des disparités en termes de pouvoir de fixation des salaires. Pour faire face au creusement des inégalités salariales, les politiques centrées sur les travailleurs (éducation, formation des adultes, par exemple) doivent être complétées par des politiques axées sur les entreprises. Cette stratégie vise notamment à : (1) favoriser le rattrapage par les entreprises à la traîne de leur déficit de productivité, ce qui ferait non seulement augmenter la productivité globale et les salaires mais aussi reculer les inégalités salariales ; (2) promouvoir la mobilité professionnelle, laquelle réduirait les inégalités salariales à un niveau donné de dispersion de la productivité tout en améliorant la répartition des emplois entre les entreprises ; et (3) limiter le pouvoir de fixation des salaires dont jouissent les entreprises qui occupent une position dominante sur les marchés du travail locaux, ce qui ferait augmenter les salaires et comblerait les inégalités salariales sans avoir d’effets négatifs sur l’emploi et la production.
Le présent chapitre analyse le rôle des performances des entreprises et des pratiques de fixation des salaires dans les inégalités salariales, y compris les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, et examine les implications pour l’action des pouvoirs publics. Les travaux, qui se fondent sur un nouvel ensemble harmonisé de données employeur-employé couplées se rapportant à 20 pays de l’OCDE, représentent l’initiative la plus ambitieuse à ce jour visant à utiliser des données administratives dans un contexte international dans ce domaine. S’appuyant sur des données détaillées, le chapitre montre que les entreprises disposent en général d’une grande latitude pour fixer des niveaux différents de rémunération pour des travailleurs ayant les mêmes qualifications, ce qui a des implications importantes pour les politiques publiques en faveur d’une croissance économique largement partagée. Le principal message à retenir, c’est que si l’on complète les stratégies de compétences axées sur les travailleurs par des stratégies centrées sur les pratiques de fixation des salaires dans les entreprises, on peut largement contribuer à la réduction des inégalités salariales tout en favorisant la croissance économique.
Les principales conclusions qui se dégagent de ce chapitre sont les suivantes :
En moyenne, dans les 20 pays étudiés, les pratiques différentes des entreprises en termes de fixation des salaires, qui se retrouvent dans les avantages salariaux (écarts de rémunération des travailleurs entre les entreprises indépendamment de la composition de la main-d’œuvre), expliquent environ un tiers des inégalités salariales globales (écarts de salaires pour l’ensemble des travailleurs). De plus, les différences dans les pratiques en termes de fixation des salaires expliquent un quart des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes (différence de salaire moyen entre hommes et femmes ayant des qualifications comparables). Ces résultats laissent penser que les entreprises disposent d’une grande latitude pour fixer les salaires, indépendamment des pratiques de leurs concurrentes, et que les salaires ne sont pas exclusivement déterminés par les compétences. Le niveau de rémunération des travailleurs dépend notamment de l’entreprise qui les emploie.
Si les entreprises disposent d’un pouvoir de fixation des salaires, celles qui sont peu productives sont en mesure de rivaliser en s’appuyant sur de bas salaires sans perdre tous leurs salariés, tandis que celles qui sont très productives proposent des salaires plus élevés que les entreprises peu productives pour attirer des travailleurs et se développer. En moyenne, dans les pays étudiés, un sixième environ des écarts de productivité interentreprises se traduit par des écarts d’avantages salariaux. Les travailleurs hautement qualifiés et les hommes tirent davantage profit des bons résultats des entreprises en termes de salaires plus élevés que les travailleurs peu qualifiés et les femmes de façon générale.
La répercussion des écarts de productivité sur les écarts de rémunération interentreprises est particulièrement prononcée lorsque la mobilité professionnelle (changement d’emploi volontaire de la part des travailleurs) est faible. Dans une telle situation, les entreprises qui rémunèrent peu ont moins de risques de voir leurs employés partir travailler dans des entreprises qui offrent des salaires élevés. Une hausse de la mobilité professionnelle, en passant du taux d’un pays à faible mobilité comme l’Italie, au taux d’un pays à forte mobilité comme la Suède, entraînerait une baisse de 15 % des inégalités salariales globales. En outre, la mobilité professionnelle limitée des femmes creuse l’écart de rémunération avec les hommes en limitant l’accès à des emplois dans les entreprises qui versent des rémunérations élevées et en affaiblissant leur pouvoir de négociation.
Des systèmes plus centralisés de négociation collective et des salaires minimums plus élevés atténuent la répercussion de la productivité sur les avantages salariaux en limitant la possibilité pour les entreprises peu performantes d’entrer en concurrence sur la base de bas salaires, et réduisent donc la dispersion des salaires entre les entreprises.
Remédier aux inégalités salariales suppose de compléter les stratégies de compétences centrées sur les travailleurs par des stratégies axées sur les pratiques de fixation des salaires des entreprises. Cela implique :
Les stratégies qui réduisent les écarts de productivité interentreprises pourraient réduire de manière significative les inégalités salariales. Cet objectif pourrait être atteint en aidant les entreprises peu performantes à adopter de nouvelles technologies, des modèles économiques s’appuyant sur le numérique et des méthodes de gestion hautement performantes.
Réduire les obstacles à la mobilité professionnelle permettrait de combler les écarts entre les entreprises en termes de rémunération versée aux travailleurs en limitant la capacité des entreprises peu performantes à se livrer concurrence par les bas salaires. Consolider les politiques d’activation et de formation des adultes, modifier la réglementation du marché du travail et faciliter la mobilité géographique (par exemple via les politiques des transports et du logement) ainsi que le télétravail, sont autant de stratégies qui permettraient de favoriser la mobilité professionnelle.
Les minima salariaux légaux ou fixés collectivement constituent une mesure complémentaire dont disposent les pouvoirs publics – à condition que ces minima salariaux ne soient pas trop élevés, parce qu’ils limitent la faculté des entreprises à tirer parti des conséquences d’une mobilité professionnelle limitée en rivalisant sur la base de bas salaires.
De nombreux pays de l’OCDE sont aux prises depuis plusieurs dizaines d’années avec une faible croissance de la productivité et un creusement des inégalités de revenus1. Dans le même temps, les écarts de performance entre les entreprises se sont accentués, un petit nombre d’acteurs très performants continuant d’enregistrer une forte croissance de leur productivité tandis que les retards s’accumulaient pour les autres (Andrews, Criscuolo et Gal, 2016[1] ; Berlingieri, Blanchenay et Criscuolo, 2017[2]). En outre, les entreprises les plus performantes se détachent également en termes de chiffre d’affaires et de rentabilité, et la concentration sectorielle progresse dans de nombreux pays (Bajgar et al., 2019[3]). La crise du COVID‑19 risque de renforcer ces tendances, étant donné que des entreprises non rentables ont été maintenues à flot et que la transformation numérique des modèles économiques s’est accélérée. Une nouvelle série de données indique que le creusement des écarts de productivité entre les entreprises explique, du moins en partie, la faible croissance de la productivité globale (Berlingieri, Blanchenay et Criscuolo, 2017[2]), mais les travaux empiriques étudiant ses effets sur les inégalités salariales restent limités. Si les inégalités salariales peuvent être, dans une certaine mesure, le simple résultat de différentes incitations au travail, à l’acquisition de compétences et à la mobilité professionnelle, des écarts trop marqués peuvent à l’inverse entraver la cohésion sociale en creusant les inégalités globales de revenus et en sapant l’égalité des chances2.
Jusqu’à récemment, les recherches menées sur les causes des inégalités salariales étaient concentrées, pour la plupart, sur les écarts de compétences entre les travailleurs dans un cadre analytique qui ne tenait pas compte des différences entre les entreprises. Dans le modèle classique de l’offre et de la demande de compétences, le creusement des inégalités salariales s’explique dans une large mesure par une augmentation de la demande de compétences, qui est elle‑même induite par le progrès technologique, notamment l’automatisation et la transformation numérique, ainsi que la mondialisation. Les marchés du travail sont censés être parfaitement concurrentiels et les salaires des travailleurs hautement qualifiés augmentent quelle que soit l’entreprise dans laquelle ils travaillent. En cohérence avec ce modèle, l’action publique s’est principalement attachée à faire en sorte que les travailleurs possèdent les compétences recherchées par les employeurs en investissant dans l’éducation et la formation des adultes. Si ce modèle classique reste très utile, il fait abstraction d’un certain nombre de faits empiriques. Premièrement, les inégalités salariales sont fortes même au sein de catégories de compétences bien circonscrites, y compris entre les femmes et les hommes ayant les mêmes qualifications (Autor, Katz et Kearney, 2008[4] ; Goldin, 2014[5] ; Lemieux, 2006[6]). Deuxièmement, la rémunération moyenne des travailleurs ayant des des qualifications similaires varie considérablement selon les entreprises (Card, Heining et Kline, 2013[7] ; Song et al., 2019[8]). Troisièmement, les décisions des travailleurs en termes de mobilité sont assez peu sensibles aux salaires, ce qui permet aux employeurs de les faire baisser (Sokolova et Sorensen, 2020[9]), en particulier sur les marchés du travail caractérisés par une forte concentration des employeurs (voir le chapitre 3) ou pour certains groupes de travailleurs, notamment les femmes, qui sont confrontées à un choix réduit d’emplois leur permettant de concilier vie professionnelle et responsabilités familiales.
Le présent chapitre place l’entreprise au cœur de l’analyse des causes des inégalités salariales en prenant explicitement en considération les différentes pratiques de fixation des salaires des entreprises. Les pratiques de fixation des salaires font ici référence à la faculté et aux incitations des entreprises à fixer des salaires différents pour des travailleurs ayant des qualifications similaires, par exemple au regard de leur performance, de leur pouvoir de fixation des salaires, et de la nature des mécanismes institutionnels de fixation des salaires. Le cadre analytique prend explicitement en compte les frictions sur le marché du travail et l’hétérogénéité des entreprises. Dans ce cadre, les entreprises disposent en effet d’une certaine latitude pour fixer les salaires, en ce sens que les écarts de rémunération ne sont pas immédiatement neutralisés par une situation de concurrence entre des entreprises embauchant des travailleurs parfaitement mobiles. Il en résulte que les écarts de résultats interentreprises sur les marchés de produits ainsi que certaines caractéristiques du marché du travail, telles que la concentration des employeurs et les disparités sur le plan de la mobilité entre telle ou telle catégorie de travailleurs, notamment entre les femmes et les hommes, peuvent donner lieu à des écarts de rémunération entre travailleurs possédant des compétences analogues. Du point de vue de l’action publique, le fait de placer l’entreprise au cœur de l’analyse élargit le champ des mesures pouvant être prises pour lutter contre les inégalités salariales ; l’idée est en effet d’associer des mesures centrées sur les travailleurs, par exemple des politiques éducatives et de formation des adultes, à des mesures axées sur les entreprises, notamment des dispositifs visant à réduire les écarts de productivité, à promouvoir la mobilité professionnelle et à limiter le pouvoir de fixation des salaires dont jouissent les entreprises.
Le chapitre apporte trois contributions essentielles. D’abord, il évalue dans quelle mesure les différentes pratiques des entreprises en termes de fixation des salaires contribuent aux inégalités salariales dans un contexte international, à l’aide d’un nouvel ensemble harmonisé de données employeur-employé couplées qui renseigne sur les profils des travailleurs et sur les entreprises pour lesquelles ils travaillent. Les pratiques de fixation des salaires des entreprises sont représentées de façon empirique par les avantages salariaux, c’est-à-dire la part de la rémunération moyenne versée par l’entreprise qui n’est pas due à la composition de la main-d’œuvre. Les études précédentes qui ont exploité de telles données se sont généralement concentrées sur un seul pays à la fois. Comparer des résultats tirés d’études par pays n’est pas une méthode fiable dans la mesure où les écarts entre les pays peuvent être davantage liés à des disparités en termes de traitement des données (par exemple, les procédures d’échantillonnage des données ou les définitions des variables) et de méthodes empiriques qu’à de véritables différences au niveau des cadres institutionnels et conditions structurelles. Le présent chapitre harmonise autant que possible le traitement des données et utilise une méthode empirique uniformisée pour que les résultats des pays soient directement comparables. Ensuite, le chapitre analyse les déterminants politique, de marché et d’entreprise des pratiques de fixation des salaires des entreprises en termes de performance de l'entreprise, du degré de mobilité de l'emploi et de la nature des institutions de fixation des salaires en tirant parti de la dimension internationale des données. Enfin, à partir des données empiriques, le chapitre tire des conclusions pour l’action des pouvoirs publics, en soulignant la nécessité de compléter les politiques centrées sur les travailleurs par des stratégies axées sur les entreprises afin de stimuler la productivité et de partager les gains de productivité avec l’ensemble des travailleurs par le biais de salaires plus élevés.
La suite de ce chapitre s’articule de la manière suivante. La section 4.1 présente le cadre conceptuel, la méthodologie empirique ainsi que la série harmonisée de données couplées employeurs-employés utilisées pour analyser le rôle des entreprises dans les inégalités salariales. La section 4.2 présente les résultats de l’analyse. La section 4.3 expose les implications pour l’action des pouvoirs publics. La section 4.4 conclut.
Le niveau global des inégalités salariales résulte des écarts salariaux entre les entreprises, et des écarts salariaux internes aux entreprises (Graphique 4.1). Dans une certaine mesure, les écarts salariaux entre les entreprises peuvent s’expliquer par les différences de compétences présentes dans la main-d’œuvre. Par exemple, les entreprises qui emploient une part supérieure à la moyenne de travailleurs hautement qualifiés verseront en général des salaires plus élevés qu’une entreprise moyenne. Mais les écarts salariaux entre les entreprises sont aussi le résultat de différences dans leurs pratiques habituelles de fixation des salaires. Celles-ci peuvent résulter de différences de performance entre les entreprises, de différences dans les salaires fixés unilatéralement par les employeurs (comme dans les modèles de monopsone ou d’annonce des salaires) ou de différences dans leur pouvoir de négociation (comme dans les modèles de négociation des salaires et de partage de la rente). Par exemple, les entreprises à bas salaires pourraient être en mesure de rivaliser sur la base de bas salaires sans risquer de perdre tous leurs employés, tandis que les entreprises très productives pourraient proposer des salaires plus élevés pour attirer des travailleurs et développer leurs activités. Les écarts de rémunération internes aux entreprises traduisent des écarts en termes de compétences des travailleurs, notamment le niveau d’études et l’expérience. Cependant, même en interne, les écarts salariaux peuvent dans une certaine mesure s’expliquer par des pratiques de fixation des salaires par les entreprises qui n’ont aucun lien avec les qualifications des travailleurs. Par exemple, les entreprises rémunèrent différemment les hommes et les femmes ayant des qualifications similaires. Cela peut tenir à des différences de pouvoir de négociation des femmes par rapport aux hommes, mais aussi aux perceptions de l’employeur quant aux écarts de productivité, ou à ses biais conscients et inconscients, qui entraînent des comportements discriminatoires.
Compte tenu des compétences et des conditions de travail non salariales, les différences de salaires entre les entreprises ne peuvent apparaître que sur des marchés du travail présentant des frictions. Sur un marché du travail sans frictions – dans lequel la recherche d’emploi, la mobilité professionnelle et le recrutement n’ont aucun coût – un travailleur possédant un ensemble donné de caractéristiques (par exemple, ses qualifications formelles, son expérience, sa motivation, etc.) changerait immédiatement d’emploi si une entreprise concurrente lui offrait un salaire plus élevé dans des conditions de travail non salariales similaires. Dans ce cas, les salaires des travailleurs sont entièrement déterminés par leurs compétences spécifiques, les entreprises faisant monter les salaires jusqu’à ce qu’ils correspondent à la productivité marginale des travailleurs. Les entreprises dont la productivité moyenne est élevée emploient plus de travailleurs que leurs concurrents à faible productivité, mais étant donné que la productivité marginale a tendance à diminuer avec l’emploi et à s’uniformiser entre les entreprises, elles ne versent pas de salaires plus élevés compte tenu des compétences des travailleurs et des conditions de travail non salariales. Par conséquent, les différences de rémunération dans le cas d’un marché du travail sans friction reflètent entièrement des différences dans la composition des compétences ou des écarts de rémunération liés à des différences dans les conditions de travail non salariales. Par exemple, il est possible qu’une entreprise emploie principalement des travailleurs hautement qualifiés à des taux de salaires élevés, tandis qu’une autre emploie principalement des travailleurs peu qualifiés à des taux de salaires faibles, parce qu’elles exercent des activités économiques différentes ou utilisent des technologies exigeant des compétences différentes.
Sur un marché du travail dans lequel la recherche d’emploi, la mobilité professionnelle et le recrutement ont un coût (ou si les travailleurs n’ont pas tous les mêmes préférences concernant les aspects non salariaux de leur emploi), les écarts de productivité marginale persistent entre les entreprises, et il est possible que des travailleurs similaires reçoivent un salaire différent selon l’entreprise. Cela peut être le cas lorsque les salaires sont égaux à la productivité marginale mais que celle‑ci n’est pas uniforme d’une entreprise à l’autre (fixation concurrentielle des salaires), lorsque les salaires sont fixés unilatéralement par les employeurs et minorés en fonction de la productivité marginale (effet monopsone sur la fixation des salaires) ou lorsque les travailleurs et les entreprises négocient les rentes associées à l’emploi prévu (négociation de salaire ou partage de la rente). La taille des entreprises faiblement productives a tendance à être trop importante du point de vue de l’efficacité, dans le sens où même en versant de faibles salaires, elles ne perdent pas tous leurs travailleurs. Inversement, la taille des entreprises très productives a tendance à être trop petite, puisqu’elles ont besoin d’offrir des salaires plus élevés pour attirer suffisamment de travailleurs et atteindre leur taille optimale. Par conséquent, une mobilité professionnelle limitée est susceptible d’accroître les différences de salaires entre les entreprises, contribuant ainsi à une plus grande inégalité des salaires, tout en réduisant l’efficacité de la réaffectation des emplois entre les entreprises3. De plus, dans un marché du travail avec des frictions, il devient possible pour les entreprises de définir des salaires différenciés pour des groupes de travailleurs aux qualifications similaires au sein de l’entreprise, si les coûts de recherche d’emploi et de mobilité des travailleurs diffèrent et donc leur position de négociation, comme cela peut être le cas, par exemple, pour des hommes et des femmes aux qualifications similaires.
Les divergences dans les pratiques de fixation des salaires des entreprises ont un impact immédiat sur les inégalités salariales, tandis que les différences dans la composition des compétences entre les entreprises n’ont pas d’impact direct sur l’inégalité salariale globale. Par exemple, pour une composition donnée des compétences, il importe peu, pour l’inégalité salariale globale, que les travailleurs hautement qualifiés soient regroupés dans les mêmes entreprises (ce qui entraînerait une forte inégalité salariale interentreprises et une faible inégalité salariale interne) ou qu’ils soient répartis uniformément entre les entreprises (ce qui entraînerait une faible inégalité salariale interentreprises et une forte inégalité interne). Par contre, les différences dans les pratiques de fixation des salaires des entreprises accroissent directement l’inégalité salariale globale, même entre des travailleurs ayant des niveaux de compétences similaires. Les divergences dans les pratiques de fixation des salaires peuvent également conduire à des différences dans la composition des compétences, ce qui a un impact indirect sur l’inégalité salariale globale si les travailleurs à rémunération élevée se retrouvent dans des entreprises qui appliquent des salaires élevés. Cette situation se produit le plus souvent lorsque les entreprises très productives utilisent des technologies qui s’appuient sur des compétences spécifiques.
L’analyse porte sur le rôle de la performance des entreprises et des pratiques de fixation des salaires des entreprises sur les inégalités salariales (y compris les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes) en examinant certains de leurs principaux déterminants – à savoir la productivité des entreprises, le degré de mobilité professionnelle et la nature des mécanismes institutionnels de fixation des salaires. Les facteurs qui déterminent le rendement des compétences, la composition des compétences et les écarts de productivité entre les entreprises n’entrent pas dans le cadre du présent chapitre et ont été analysés en détail dans des travaux antérieurs (Encadré 4.1).
Bien que ce chapitre s’intéresse au lien entre politiques publiques et pratiques de fixation des salairesdes entreprises, de nombreux travaux analysent l’effet des politiques publiques sur le rendement des compétences, le profil de compétences et les écarts de productivité entre les entreprises.
Rendement des compétences. Pour un profil donné de compétences de la main-d’œuvre, les inégalités internes de salaires reflètent la dispersion du rendement des compétences. Par exemple, les inégalités internes de salaires ont tendance à augmenter lorsque l’avantage salarial associé à un diplôme de l’enseignement supérieur augmente. De nombreux travaux ont analysé les principaux facteurs structurels et liés à l’action publique du rendement des compétences dans le cadre de la course entre niveau d’études et technologie (Katz et Murphy, 1992[10] ; Autor, Goldin et Katz, 2020[11]). Le rôle principal des politiques publiques dans ce cadre est de soutenir l’apport de compétences pour répondre à la demande croissante induite par les évolutions technologiques. En effet, il apparaît qu’une offre plus abondante de compétences par rapport à la demande réduit réduit les avantages salariaux associés, et donc les inégalités salariales (OCDE, 2015[12]). Il semble néanmoins que le cadre d’offre et de demande soit moins pertinent aux extrémités de la distribution des salaires. Au bas de la distribution des salaires, les politiques et les institutions peuvent jouer un rôle plus important que les forces du marché dans la fixation des salaires des travailleurs peu qualifiés, tandis qu’au sommet, les effets des superstars peuvent être particulièrement importants (Autor, Goldin et Katz, 2020[11]).
Composition des compétences Un nouvel ensemble de données analyse l’effet des politiques publiques sur la structure des compétences présentes dans les entreprises. Un volet des travaux a porté sur la sélection croissante des travailleurs dans les entreprises entre collègues similaires, qui peut être liée à l’externalisation nationale, y compris vers des entrepreneurs indépendants de plateformes en ligne (Goldschmidt et Schmieder, 2015[13] ; OCDE, 2021[14] ; Weil, 2014[15]), et au fait que les entreprises ont de plus en plus recours à des agences spécialisées pour la prestation de services nécessitant une main-d’œuvre peu qualifiée, tels que le nettoyage, la sécurité et la restauration. Cette sélection entre travailleurs n’a pas d’effet direct sur les inégalités salariales, puisqu’une hausse des inégalités interentreprises et compensée par une baisse des inégalités internes. Mais elle peut affaiblir la position de négociation et la mobilité ascendante des travailleurs moins qualifiés, et donc accroître la persistance des inégalités tout au long de la vie. Les politiques visant à renforcer les négociations collectives et la formation dans les entreprises fournissant des services externalisés pourraient réduire les effets négatifs de la sélection entre travailleurs. Un autre volet de travaux a été consacré aux complémentarités entre les compétences des travailleurs et les technologies, qui peuvent conduire à la sélection des travailleurs les plus qualifiés dans les entreprises les plus rémunératrices (Card, Heining et Kline, 2013[7]). Cette sélection entre travailleurs et entreprises peut améliorer l’efficacité, mais directement augmenter les inégalités salariales.
Écarts de productivité. Les écarts de productivité entre les entreprises ont eu tendance à se creuser dans plusieurs pays de l’OCDE (Andrews, Criscuolo et Gal, 2016[1] ; OCDE, 2015[16]), ce qui a contribué à accroître les écarts salariaux interentreprises (Berlingieri, Blanchenay et Criscuolo, 2017[2]) et à augmenter les inégalités salariales. Les politiques publiques peuvent influencer directement l’ampleur des écarts de productivité interentreprises et l’ampleur des écarts salariaux pour un niveau donné d’écarts de productivité.
Le rôle des entreprises dans les inégalités salariales (mesurées à l’aide de la variance des logarithmes des salaires) s’analyse en trois étapes. Dans un premier temps, la contribution des entreprises à l’inégalité salariale globale est mesurée en examinant le rôle de l’avantage salarial des entreprises, c’est-à-dire la partie des salaires qui est déterminée par les caractéristiques de l’entreprise plutôt que par celles de ses travailleurs. Dans un deuxième temps, le rôle de la performance des entreprises est analysé en étudiant le lien entre la productivité de la main-d’œuvre et l’avantage salarial accordé au niveau de l’entreprise. Dans un troisième temps, on analyse le rôle des facteurs structurels et de ceux liés à l’action publique dans le lien entre la performance de l’entreprise et l’avantage salarial accordé. Voir Encadré 4.2 pour le détail technique.
Pour mesurer la composante des inégalités salariales qui est due aux entreprises, l’analyse se penche sur l’avantage salarial des entreprises, c’est-à-dire la part des salaires moyens versés par l’entreprise qui n’est pas liée aux caractéristiques de sa main-d’œuvre. L’avantage salarial de l’entreprise est représenté par les effets fixes estimés de l’entreprise dans une équation par ailleurs classique du salaire du capital humain avec des contrôles pour le sexe, l’âge et le niveau d’études/la profession4. L’inégalité salariale globale est ensuite décomposée en trois éléments : (i) la contribution des différences dans les pratiques de fixation des salaires des entreprises, mesurée par la dispersion de l’avantage salarial des entreprises ; (ii) la contribution de la sélection des travailleurs, mesurée par la dispersion des salaires moyens des entreprises qui peut être attribuée aux différences dans la composition de la main-d’œuvre, y compris les compétences des travailleurs ; (iii) la contribution de l’inégalité interne aux entreprises, mesurée par la dispersion moyenne des salaires au sein des entreprises, qui traduit les rendements des compétences et éventuellement aussi les différences internes de pratiques de fixation des salaires entre des travailleurs aux qualifications équivalentes (par exemple, entre femmes et hommes).
Le lien entre la productivité et les salaires au niveau de l’entreprise (transmission de la productivité) est analysé empiriquement en établissant un lien direct entre l’avantage salarial et la productivité de la main-d’œuvre de l’entreprise5. Cette approche est utilisée pour documenter les différences de transmission entre les pays ainsi que les différences entre les différents groupes de travailleurs, tels que les travailleurs peu ou très qualifiés ou les hommes et les femmes. L’inconvénient de cette approche est qu’elle n’est réalisable que pour le sous-ensemble de pays couverts par ce chapitre pour lesquels des informations sur la productivité des entreprises sont disponibles dans les données relatives aux travailleurs, ce qui rend difficile l’établissement d’un lien systématique entre le degré de transmission et les caractéristiques du secteur et du pays. L’approche au niveau de l’entreprise est donc complétée par une approche au niveau sectoriel qui établit un lien entre la dispersion interentreprises des avantages salariaux dans les secteurs et la dispersion interentreprises de la productivité de la main-d’œuvre, utilisant des sources de données externes sur la dispersion de la productivité issues de la base de données MultiProd de l’OCDE (Berlingieri et al., 2017[17]). Étant donné les variations importantes entre les pays, les secteurs et dans le temps, l’approche par secteur est utilisée pour analyser les facteurs structurels et institutionnels de la transmission de la productivité sur les salaires au niveau de l’entreprise.
L’analyse des facteurs structurels et liés à l’action publique qui déterminent la transmission des salaires au niveau de l’entreprise est axée sur le rôle : i) de la mobilité professionnelle, qui représente la réactivité de la mobilité volontaire des travailleurs aux salaires de l’entreprise et fournit donc une mesure du pouvoir de fixation des salaires des entreprises ; et ii) des institutions de fixation des salaires, sous la forme de salaires minimums légaux et de régimes de négociation collective, qui tendent à limiter la mesure dans laquelle les écarts de productivité entre les entreprises se traduisent par des écarts de salaires entre les entreprises. La mobilité professionnelle est représentée par la part des changements d’emploi annuels dans l’emploi total en utilisant les données externes par pays et par secteur d’activité de l’enquête européenne sur les forces de travail construite par Causa et al. (2021[18]). L’avantage de privilégier les changements d’emploi directs plutôt que les changements de l’ensemble des travailleurs est que ces changements d’emploi sont plus susceptibles d’être volontaires, et le passage au non-emploi, qui est plus susceptible d’être involontaire, est exclu6. Le rôle des négociations collectives est analysé en examinant le niveau de décentralisation des régimes de négociation collective, en distinguant d’une part les régimes totalement ou largement décentralisés basés sur la négociation au niveau de l’entreprise et d’autre part les régimes décentralisés organisés ou plus centralisés mettant davantage l’accent sur la négociation au niveau sectoriel ou national. (OCDE, 2019[19])7. Le niveau du salaire minimum légal est exprimé en pourcentage du salaire médian des travailleurs à temps plein.
L’inégalité salariale est mesurée comme la variance totale du logarithme des salaires1, qui peut être décomposée en variance des salaires moyens interentreprises et variance des salaires individuels internes aux entreprises :
dans laquelle V est la variance, le logarithme des salaires des travailleurs i dans l’entreprise j et le logarithme moyen des salaires dans l’entreprise j.
Pour distinguer le rôle joué par l’avantage salarial et la composition de la main-d’œuvre dans la dispersion des salaires entre les entreprises, l’avantage salarial de l’entreprise est estimé à l’aide d’une équation traditionnelle des revenus du capital humain, augmentée des effets fixes de l’entreprise (Barth et al., 2016[20]):
dans laquelle est le logarithme des salaires des travailleurs i dans l’entreprise j, représente un vecteur des caractéristiques observables des travailleurs ; est le rendement moyen estimé sur ces caractéristiques ; r présente les effets fixes de l’entreprise ; et est le terme d’erreur. Les caractéristiques observables des travailleurs prises en compte dans le modèle empirique comprennent généralement le niveau d’études et/ou la profession, l’âge, le sexe, les indicateurs du travail à temps partiel et les conditions d’interaction entre ces variables. L’équation est estimée séparément pour chaque pays et chaque année. Les effets fixes estimés des entreprises fournissent une mesure de l’avantage salarial des entreprises.
D’après Équation 4.2, en notant les coefficients et variables estimés en exposant ^ et en définissant (salaires prévus des travailleurs au regard des caractéristiques observables des revenus), la variance totale de peut s’écrire comme suit :
dans laquelle est la variance des salaires prévus au regard des caractéristiques observables des revenus ; est la variance de l’avantage salarial spécifique à l’entreprise ; est la covariance des salaires prévus et de l’avantage salarial spécifique à l’entreprise et est la variance des salaires résiduels.
Ainsi que le proposent Barth et al. (2016[20]), en définissant et , dans laquelle est la moyenne de tous les travailleurs individuels dans l’entreprise, la variance totale de peut être réécrite comme suit :
dans laquelle est une mesure de la similarité entre les salaires prévus des travailleurs sur la base des caractéristiques observables des revenus et des effets fixes estimés liés à l’entreprise (une mesure de la sélection entre travailleurs et entreprises), et une mesure de la similarité entre les salaires prévus des travailleurs et le salaire moyen prévu dans leur entreprise (une mesure de la sélection entre les travailleurs).
La variance interentreprises peut ainsi se décomposer entre contributions de l’avantage salarial (variance de l’avantage salarial spécifique à l’entreprise ) et composition de la main d’œuvre (sélection entre travailleurs et sélection entre travailleurs et entreprises ). La variance au sein de l’entreprise peut se décomposer entre les contributions des rendements par rapport aux caractéristiques des revenus observées et non observées moins celles provenant de la sélection entre travailleurs. .
Équation 4.2 Afin de tester la robustesse, Annex 4.C présente les résultats de la décomposition basée sur une version de Équation 4.2 qui inclut en plus les effets fixes liés aux travailleurs, suivant Abowd et al. (1999[21]). Cela permet de s’assurer que l’avantage salarial des entreprises ne prend pas en compte des différences non observées dans la composition des travailleurs entre les entreprises, liées à des caractéristiques invariables dans le temps telles que les compétences ou les aptitudes.
Lorsque des informations sur la productivité sont disponibles, la transmission de la productivité sur les salaires au niveau de l’entreprise peut être estimée à l’aide de l’équation suivante au niveau de l’entreprise :
dans laquelle désigne l’estimation de l’avantage salarial de l’entreprise j, et l’année t ; le logarithme de la productivité de la main-d’œuvr ; le param tre estimé de transmission ; et les effets fixes liés au secteur et à l’année ; et le terme d’erreur. Note : La productivité de la main-d’œuvre est mesurée soit par la valeur ajoutée par travailleur, soit, si les informations sur la valeur ajoutée ne sont pas disponibles, par les ventes par travailleur. Cette équation est estimée à l’aide de pondérations de l’emploi pour chaque pays et groupe de travailleurs au sein de ces pays (par compétence et par sexe)2. Une relation significative entre l’avantage salarial et la productivité au niveau de l’entreprise suggère que l’avantage salarial ne correspond pas seulement à des écarts de rémunération mais qu’il traduit aussi le rôle des frictions sur le marché du travail.
Lorsqu’il n’y a pas d’informations sur la productivité dans les données employeur-employé couplées mais qu’il existe des données externes sur la dispersion de la productivité par industrie et par année, une autre solution consiste à estimer la transmission de la productivité sur les salaires au niveau de l’entreprise en utilisant des données sectorielles regroupées entre les pays. Plus précisément, en supposant que la transmission de la productivité sur les salaires n’est pas nulle, en prenant la variance de Équation 4.5 et en regroupant tous les pays, on obtient les résultats suivants :
dans laquelle représente la variance de l’avantage salarial entre les entreprises, pondérée en fonction de l’emploi ; l’élasticité de la transmission au carré ; , et représentent les e fets fixes liés au pays, au secteur et au temps ; et le terme d’erreur.
Pour identifier les facteurs associés à la transmission de la productivité sur les salaires, on permet au coefficient de dispersion de la productivité de varier en fonction des caractéristiques structurelles et institutionnelles :
dans laquelle le paramètre exprime l’association entre la dispersion des avantages salariaux et les caractéristiques structurelles et institutionnelles , tandis que le paramètre sur les conditions d’interaction entre les caractéristiques structurelles et institutionnelles et la variance de la productivité de l’entreprise exprime l’association avec l’élasticité de la transmission au carré. Les caractéristiques structurelles et institutionnelles sont mesurées à l’aide de variables indicatrices afin de limiter le rôle des valeurs extrêmes3.
1. La variance en tant que mesure de l’inégalité possède plusieurs propriétés utiles dans le présent contexte, notamment le fait qu’elle est additivement décomposable, indépendante de l’échelle et plus complète que d’autres mesures de l’inégalité, telles que le rapport entre le 90e et le 10e centile.
2. Cette spécification utilise efficacement la variation des avantages salariaux et de la productivité de la main-d’œuvre au sein des entreprises dans le temps ainsi qu’entre les entreprises à un moment donné (et dans un secteur donné) pour estimer la transmission. L’avantage d’utiliser une variation transversale en plus de la variation interne à l’entreprise est que la transmission estimée permet de saisir le lien à long terme entre les avantages salariaux et la productivité plutôt que la réponse à court terme des avantages salariaux aux chocs de productivité. La productivité de la main-d’œuvre étant un résultat d’équilibre, il existe un problème potentiel d’endogénéité, qu’il faut garder à l’esprit lors de l’interprétation des résultats.
3. Plus précisément, si la variable sous-jacente est continue, elle est fixée à un lorsque sa valeur dépasse la médiane de l’échantillon et à zéro sinon. Les résultats utilisant des variables continues donnent des résultats très similaires (OCDE, 2021[22]).
Pour distinguer empiriquement les effets de la performance des entreprises et de leurs pratiques en matière de fixation des salaires de ceux de la composition des compétences, il faut utiliser des données employeur-employé couplées. Les données employeur-employé couplées utilisées dans ce chapitre sont tirées de registres administratifs conçus à des fins fiscales ou de sécurité sociale ou, dans quelques cas, d’enquêtes obligatoires auprès des employeurs. Elles sont par conséquent très complètes, puisqu’elles couvrent en général l’ensemble des personnes et des entreprises d’un pays, et de très bonne qualité – ce qui s’explique par les conséquences financières de la déclaration de données erronées pour les régimes d’imposition et de sécurité sociale.
L’analyse présentée dans ce chapitre est fondée sur les données employeur-employé couplées de jusqu’à 20 pays de l’OCDE (voir Annex 4.B pour le détail des données utilisées)8. Les régimes d’imposition et de sécurité sociale des pays étant soumis à des exigences administratives variables, qui peuvent avoir des conséquences importantes en termes de comparabilité, des efforts considérables ont été déployés pour harmoniser les données (voir Encadré 4.3). L’ensemble de données harmonisées qui en résulte couvre généralement les deux dernières décennies, sauf pour le Costa Rica, la Hongrie, le Japon, la Norvège et la République slovaque, pour lesquels la période d’échantillonnage est d’environ une décennie. En outre, cet ensemble est très cohérent avec d’autres sources de données nationales et internationales en termes de niveaux et de changements dans les inégalités salariales globales (OCDE, 2021[22])9.
Le niveau d’inégalité salariale et sa dynamique dans le temps varient considérablement entre les pays couverts par ce chapitre. L’échantillon comprend des pays à faible inégalité (par exemple, la Suède) et des pays à forte inégalité (par exemple, les États-Unis), des pays où l’inégalité salariale a fortement augmenté (par exemple, l’Allemagne) et des pays où elle a fortement baissé (par exemple, l’Estonie). Voir Annex 4.B pour plus de détails sur l’évolution des inégalités salariales au cours de la période analysée.
Des efforts considérables ont été déployés pour harmoniser les données nationales employeur-employé utilisées dans ce chapitre et améliorer leur comparabilité internationale.
L’analyse se limite aux travailleurs salariés des entreprises de deux salariés ou plus du secteur privé. Les travailleurs indépendants sont exclus directement lorsque cela est possible, tandis que les personnes qui travaillent pour leur propre compte sont exclues en ciblant les entreprises de deux employés ou plus. Les entreprises du secteur public sont exclues sur la base de leur statut public ou, lorsqu’aucune information de ce type n’est disponible, en excluant les secteurs « administration publique et défense » et « éducation ». L’inclusion des indépendants et des entreprises du secteur public augmenterait l’importance de l’inégalité salariale entre entreprises au détriment de la composante interne, étant donné que les indépendants constituent en grande majorité des entreprises à salarié unique et que la distribution des salaires du secteur public est généralement très comprimée.
L’analyse privilégie les revenus mensuels totaux, car les informations sur le temps de travail ne sont pas disponibles dans plusieurs pays. Pour tenter d’exclure les travailleurs à temps partiel de manière cohérente, tous les travailleurs dont les revenus mensuels sont inférieurs à 90 % du salaire minimum à temps plein sont éliminés et, en l’absence de salaire minimum, ceux dont les revenus sont inférieurs à 45 % du salaire médian à temps plein. L’utilisation des salaires horaires pour le sous-ensemble de pays où cela est possible ne remet pas en cause les résultats qualitatifs de ce chapitre. Les informations sur les revenus sont présentées en termes bruts, c’est-à-dire le coût total de la main-d’œuvre moins les cotisations de sécurité sociale de l’employeur et sur la base de la totalité des revenus imposables, y compris les heures supplémentaires et autres primes. Pour traiter le problème du regroupement des valeurs extrêmes supérieures (top coding) au seuil de cotisation dans les données de sécurité sociale, les salaires censurés sont imputés sur la base des méthodes développées par Dustmann et al. (2009[23]) et Card, Heining et Kline (2013[7]).
L’analyse tend à privilégier l’entreprise, le niveau auquel les salaires sont généralement fixés, plutôt que les établissements. Si la plupart des ensembles de données relient les travailleurs à leur entreprise, certains les relient à leur établissement (Vilhuber, 2007[24]). Bien que cela puisse être important pour décomposer la dispersion des salaires en composantes inter- et intra‑employeurs, les travaux empiriques suggèrent qu’en pratique, l’unité d’observation n’a qu’un impact limité, en partie parce que la plupart des entreprises n’ont qu’un seul établissement (Barth, Davis et Freeman, 2018[25] ; Skans, Edin et Holmlund, 2009[26] ; Song et al., 2019[8]).
Les données couvrent généralement la totalité des travailleurs et de leurs employeurs, mais il peut arriver qu’elles représentent de grands échantillons représentatifs de travailleurs ou d’entreprises. Les échantillons basés sur les travailleurs ne couvrent qu’une fraction des travailleurs d’une entreprise, ce qui introduit une erreur de mesure dans les salaires moyens des entreprises. Cela tend à minorer la dispersion des salaires en interne par rapport à la dispersion des salaires entre les entreprises. L’analyse rectifie l’erreur d’échantillonnage dans les échantillons basés sur les travailleurs en utilisant la correction proposée par (Håkanson, Lindqvist et Vlachos, 2015[27]).
L’inégalité salariale entre les entreprises représente une composante importante de l’inégalité salariale globale et reflète principalement les différences de rémunération interentreprises pour des travailleurs ayant des niveaux de compétences similaires plutôt que des différences dans la composition des travailleurs (Graphique 4.2). En moyenne, dans les 20 pays étudiés dans cette partie de l’analyse, l’inégalité salariale interentreprises représente environ la moitié de l’inégalité salariale globale. La dispersion des avantages salariaux des entreprises explique à son tour environ les deux tiers de l’inégalité salariale interentreprises. Le tiers restant de l’inégalité salariale interentreprises s’explique par les différences de composition de la main-d’œuvre, c’est-à-dire par le fait que les entreprises qui versent des salaires moyens plus élevés emploient généralement aussi des travailleurs plus qualifiés et plus expérimentés10. Dans leur ensemble, les résultats suggèrent que les entreprises disposent d’une grande latitude pour fixer les salaires, indépendamment des pratiques de leurs concurrentes, les pratiques de fixation des salaires des entreprises étant responsables d’environ un tiers de l’inégalité salariale globale. Par conséquent, il est essentiel d’identifier et de quantifier les principaux facteurs qui déterminent les pratiques de fixation des salaires des entreprises afin de concevoir des politiques publiques visant à lutter contre les inégalités salariales. Une décomposition similaire des écarts salariaux femmes-hommes est présentée dans Encadré 4.4.
Ce chapitre est en grande partie consacré aux différences dans les pratiques de fixation des salaires entre les entreprises, c’est-à-dire les différences de salaire moyen entre les entreprises pour des travailleurs ayant des qualifications similaires. Dans la mesure où les hommes et les femmes se répartissent dans des entreprises ayant des pratiques de fixation des salaires différentes, cela peut également avoir des conséquences importantes sur l’écart salarial entre les sexes. En outre, il peut également y avoir des différences importantes de rémunération entre des hommes et des femmes ayant des qualifications similaires au sein d’une même entreprise. En effet, des études récentes ont montré que la majeure partie de l’écart salarial entre les hommes et les femmes persiste même après avoir tenu compte des écarts de compétences (Goldin, 2014[5]). Les différences systématiques de rémunération entre les hommes et les femmes ayant des compétences similaires au sein des entreprises correspondent à des différences de tâches et de responsabilités, ou à des disparités de rémunération pour un travail identique, qui peuvent être dues, entre autres, à une discrimination de la part des employeurs ou, plus généralement, à une inégalité des chances de progression de carrière.
Pour analyser le rôle des entreprises dans les disparités hommes-femmes, l’écart salarial entre les hommes et les femmes ayant des qualifications similaires est décomposé au sein des entreprises et entre elles (Graphique 4.3), de la même manière que pour l’inégalité salariale globale mentionnée dans le corps du texte. Trois quarts environ des écarts salariaux entre les femmes et les hommes dotés de qualifications similaires correspondent à des différences de rémunération au sein des entreprises. Comme le montre l’OCDE (2021[22]), cela tient essentiellement aux différences de tâches et de responsabilités (à savoir que les hommes sont plus susceptibles d’avoir une fonction d’encadrement ou de supervision), mais aussi, dans une moindre mesure, aux disparités de rémunération pour un travail de même valeur (par exemple, négociations ou discrimination). Un quart de l’écart salarial entre hommes et femmes est dû à des différences de rémunération entre les entreprises, en raison de la part plus importante des femmes dans les entreprises à bas salaires. Cet aspect témoigne à la fois des différences dans les pratiques de fixation des salaires entre les entreprises d’un même secteur et des différences dans les pratiques de fixation des salaires entre les secteurs. La concentration des femmes dans les entreprises à bas salaires peut résulter de différents facteurs, notamment de pratiques de recrutement discriminatoires de la part des employeurs ou d’une nécessité pour les femmes de travailler dans des entreprises offrant des horaires de travail flexibles en dépit de salaires plus faibles. La concentration des femmes dans certains secteurs à bas salaires peut aussi refléter l’influence des choix d’études passés et d’une socialisation sexuée précoce.
Dans la majorité des pays, l’écart salarial entre les hommes et les femmes, entre les entreprises et au sein de celles-ci, augmente tout au long de la vie professionnelle (OCDE, 2021[22]). Cela dénote d’importantes différences entre les sexes quant aux possibilités de progression de carrière, notamment à l’âge où de nombreuses femmes deviennent mères (voir Encadré 4.6), mais aussi le rôle des interruptions de carrière autour de l’âge de la naissance des enfants. Les interruptions de carrière à la suite d’une naissance sont souvent associées à des pertes de salaire importantes et représentent par conséquent une fraction importante de la « pénalité de maternité », c’est-à-dire le ralentissement de la croissance du salaire après la naissance d’un enfant.
Les données descriptives suggèrent que les écarts de productivité des entreprises sont un facteur déterminant des écarts d’avantages salariaux des entreprises et que ceux-ci sont plus élevés dans les pays présentant une plus grande dispersion de la productivité (Graphique 4.4). Le graphique montre que les entreprises à forte productivité ont tendance à consentir des avantages salariaux plus élevés. Il montre également que dans les pays où les écarts de productivité sont plus importants (points bleu foncé) – les déciles de la distribution de la productivité sont plus dispersés – les avantages salariaux entre les entreprises présentent des écarts plus marqués – les déciles des avantages salariaux sont plus dispersés.
Des analyses plus détaillées montrent qu’en moyenne dans les pays considérés, un sixième environ des écarts de productivité interentreprises se répercute en écarts d’avantage salarial, ce qui correspond à un coefficient de transmission d’environ 0.15 (Graphique 4.5). Ce chiffre se situe dans la fourchette des estimations de la transmission de la productivité aux salaires au niveau de l’entreprise obtenue dans les recherches précédentes (Card et al., 2018[28])11. Ces estimations suggèrent que l’avantage salarial ne correspond pas seulement à des écarts de rémunération liés aux différences des conditions de travail non salariales, mais aussi au rôle des frictions du marché du travail, en créant un lien entre rémunération et productivité au niveau de l’entreprise. Dans ce contexte, les entreprises à faible productivité peuvent se permettre de payer des salaires plus bas tout en conservant leurs travailleurs et en restant sur le marché, tandis que les entreprises à forte productivité doivent offrir des salaires plus élevés que celles à faible productivité pour attirer le nombre souhaité de travailleurs et surmonter les obstacles à la mobilité professionnelle. Contrairement à ce qui se passe sur un marché du travail parfaitement concurrentiel, les écarts de productivité entre les entreprises ne se traduisent pas seulement par des différences d’emploi mais aussi, dans une certaine mesure, par des avantages salariaux.
L’une des interprétations d’un coefficient de transmission inférieur à un est que les entreprises à forte productivité minorent les salaires plus fortement par rapport à la productivité marginale que les entreprises à faible productivité (Manning, 2020[29]). Les entreprises à plus forte productivité peuvent avoir un plus grand pouvoir de fixation des salaires du fait qu’elles détiennent une plus grande part du marché ou parce que la concurrence pour les travailleurs avec les autres entreprises est moins vive (Berger, Herkenhoff et Mongey, 2022[30] ; Card et al., 2018[28]). Il est important de noter que cela entraîne non seulement des minorations salariales plus importantes dans les entreprises à plus forte productivité, mais aussi moins d’emplois dans ces entreprises, et donc une affectation moins efficace de l’emploi entre les entreprises.
Il existe d’autres différences significatives entre les pays quant à la mesure dans laquelle les écarts de productivité se traduisent par des écarts d’avantages salariaux, plus d’un cinquième des écarts de productivité étant transmis dans certains pays (par exemple en Hongrie) mais moins d’un dixième dans d’autres (par exemple aux Pays-Bas), ce qui indique que les caractéristiques nationales liées à la structure des produits et au marché du travail ainsi qu’aux actions publiques et aux dispositifs institutionnels pourraient jouer un rôle explicatif important. La sous-section suivante analyse dans quelle mesure les différences de mobilité professionnelle et de mécanismes institutionnels de fixation des salaires peuvent contribuer à expliquer les différences entre pays de la dispersion des avantages salariaux et les différences entre pays du lien entre la performance de l’entreprise et les avantages salariaux, telles que celles documentées dans le graphique ci-dessous. Un autre facteur potentiellement important est le degré du pouvoir de fixation des salaires dû à la concentration des marchés du travail à l’échelle locale. Ceci est analysé dans le chapitre 3 de cette publication ainsi que par l’OCDE (2021[22]).
Dans les entreprises d’un même secteur, la transmission productivité-salaire tend à être plus élevée pour les travailleurs hautement qualifiés que pour les travailleurs peu qualifiés, et plus élevée pour les hommes que pour les femmes (Encadré 4.5). Les écarts de transmission entre les différents groupes de travailleurs contribuent à la fois à l’inégalité salariale entre les entreprises, et au sein de celles-ci. Avec une transmission homogène entre les différents groupes de travailleurs, une plus grande dispersion de la productivité ne fait qu’accroître l’inégalité des salaires entre les entreprises. Au contraire, lorsque la transmission est hétérogène, elle peut également accroître l’inégalité des salaires au sein de l’entreprise si la transmission est plus importante pour les travailleurs hautement qualifiés et les hommes, qui gagnent généralement au départ des salaires plus élevés.
La transmission est en général plus élevée pour les travailleurs très qualifiés de sexe masculin (Graphique 4.6). Globalement, dans les pays analysés, la transmission pour les travailleurs hautement qualifiés est d’environ 15 %, contre environ 10 % pour les travailleurs peu qualifiés. De même, la transmission est de 15 % pour les hommes contre 13 % pour les femmes. Ces moyennes cachent des disparités importantes entre les pays, notamment dans le cas des différences hommes-femmes puisque la tendance est inversée au Costa Rica, en France et au Portugal.
Les différences de transmission entre les groupes de travailleurs peuvent être en partie dues à des différences dans la réactivité de la demande et de l’offre de main-d’œuvre aux salaires. Par exemple, un certain nombre d’études empiriques suggèrent que les travailleurs peu qualifiés et les femmes sont moins mobiles (Matsudaira, 2014[31]). Les travailleurs moins mobiles bénéficient d’une plus grande minoration de salaire liée à la productivité, et bénéficient également moins des augmentations de productivité, car celles-ci sont partagées de manière disproportionnée avec les groupes de travailleurs les plus mobiles de l’entreprise1.
La transmission plus élevée pour les travailleurs qualifiés et les hommes pourrait également traduire des complémentarités entre la technologie et les compétences ou la flexibilité des travailleurs. Par exemple, des données récentes suggèrent que l’écart salarial entre les hommes et les femmes tend à être plus important dans les entreprises exportatrices (qui ont tendance à être plus productives) que dans les entreprises non exportatrices (Bøler, Javorcik et Ulltveit-Moe, 2018[32]). Une explication pourrait être que les travailleurs hautement qualifiés et les hommes ont une position de négociation plus forte et peuvent être en mesure de négocier des salaires plus élevés dans les entreprises à forte productivité.
1. Une faible mobilité est associée à une moindre transmission dans l’analyse par groupe, mais à une plus grande transmission lorsqu’on observe les écarts de productivité entre les entreprises. La mobilité professionnelle réduit la transmission des écarts de productivité entre les entreprises aux écarts de salaires entre les entreprises, car elle réduit les écarts de productivité marginale de la main-d’œuvre entre les entreprises. Ce canal est neutralisé lorsqu’on se concentre sur les écarts d’avantages salariaux des entreprises pour différents groupes de travailleurs au sein des entreprises. Au contraire, les entreprises ont tendance à aligner les salaires sur les options extérieures des différents groupes de travailleurs et sur la facilité avec laquelle ils changent d’emploi d’une entreprise à l’autre.
Les nouvelles indications sur la transmission des écarts de productivité aux écarts des avantages salariaux des entreprises présentées dans ce chapitre sont particulièrement pertinentes au regard des recherches antérieures qui montrent que la dispersion de la productivité a eu tendance à augmenter dans de nombreux pays de l’OCDE (Andrews, Criscuolo et Gal, 2016[1] ; OCDE, 2015[16]). Les travaux de recherche de l’OCDE réalisés par Berlingieri et al. (2017[2]) mettaient déjà en évidence une relation entre la dispersion de la productivité et des salaires, sans toutefois pouvoir établir si cela est dû au fait que les entreprises à forte productivité ont tendance à employer des travailleurs plus qualifiés ou au fait qu’elles versent des salaires plus élevés à tous les travailleurs. Les nouvelles données présentées dans ce chapitre suggèrent que les écarts de productivité et les écarts dans les pratiques de fixation des salaires des entreprises sont directement liés, ce qui implique que l’augmentation des écarts de productivité entre les entreprises contribue à l’augmentation des inégalités salariales.
La forte relation entre la performance et la rémunération des entreprises présente des implications importantes pour les mesures qui visent à favoriser une croissance inclusive. Avant la crise du COVID‑19, l’augmentation des écarts de productivité entre les entreprises reflétait principalement la stagnation de la croissance de la productivité dans les entreprises à faible productivité plutôt qu’une croissance exceptionnellement élevée de la productivité parmi les entreprises à forte productivité. Par conséquent, les initiatives visant les entreprises pour aider les entreprises en retard à rattraper les entreprises leaders, ou les entreprises leaders à se développer et à créer de nouveaux emplois, soutiendraient la croissance de la productivité globale et des salaires. De telles initiatives peuvent être particulièrement importantes à la suite de la crise du COVID‑19, qui a pu creuser les écarts de productivité entre les entreprises qui n’ont pas le même accès aux technologies numériques ni les mêmes modèles commerciaux. En réduisant directement les différences de pratiques de fixation des salaires des entreprises, de telles initiatives contribueraient également à réduire les inégalités salariales.
La présence de différences significatives entre les pays dans la contribution de la dispersion des avantages salariaux des entreprises à la dispersion globale des salaires soulève d’importantes questions sur le rôle des mesures publiques et des dispositifs. À un niveau donné de frictions sur le marché du travail, les actions publiques et les dispositifs institutionnels peuvent façonner la dispersion de la productivité des entreprises et, par conséquent, la dispersion des avantages salariaux des entreprises (Andrews, Criscuolo et Gal, 2016[1]). Mais l’action publique et les dispositifs institutionnels peuvent également orienter la transmission de la productivité aux avantages salariaux des entreprises vers un niveau donné de dispersion de la productivité, soit en modifiant le niveau des frictions sur le marché du travail, soit en établissant des limites institutionnelles à la dispersion des avantages salariaux. La transmission des écarts de productivité entre les entreprises aux écarts de salaires pourrait être plus prononcée sur les marchés du travail qui connaissent des frictions réduisant le taux de mobilité professionnelle. Dans ce contexte, les entreprises à faible productivité ont plus de latitude pour proposer des salaires plus bas que leurs concurrents tout en retenant leurs travailleurs, et les entreprises à forte productivité doivent offrir des avantages salariaux plus élevés que les entreprises à faible productivité pour surmonter les obstacles à la mobilité professionnelle et atteindre leur taille optimale. Toutefois, la mesure dans laquelle les avantages salariaux varient d’une entreprise à l’autre, et dans laquelle les entreprises à faible productivité peuvent consentir des avantages salariaux plus faibles, dépend également de la présence de dispositifs institutionnels de fixation des salaires sous la forme de négociations collectives ou de salaires minimums.
Afin de disposer d’une première indication du rôle possible de l’action publique et des dispositifs institutionnels dans la dispersion des avantages salariaux des entreprises, Graphique 4.7 compare la contribution de la dispersion des avantages salariaux des entreprises à l’inégalité salariale globale dans différents groupes de pays en fonction du degré de mobilité professionnelle entre les entreprises et du degré de centralisation de leurs régimes de négociation collective. Cela suggère que la mobilité professionnelle – qui est principalement volontaire puisqu’elle exclut les licenciements suivis d’un non-emploi – et les régimes de négociation collective caractérisés par des négociations essentiellement sectorielles et une couverture relativement élevée, sont associés à une moindre contribution de la dispersion des avantages salariaux à la dispersion globale des salaires (parties A et B). De plus, en fonction du régime de négociation collective, la part de la dispersion des avantages salariaux des entreprises a tendance à être plus élevée dans les pays à faible mobilité professionnelle (partie C)12. Ceci est en accord avec l’idée que les entreprises à faible productivité peuvent survivre en offrant des salaires plus bas que les entreprises à forte productivité sans risquer de perdre tous leurs travailleurs et que les entreprises à forte productivité offrent des salaires plus élevés que leurs homologues à faible productivité afin de surmonter les obstacles à la mobilité professionnelle qui les empêcheraient d’attirer le nombre de travailleurs souhaité. Les résultats sont qualitativement similaires lorsqu’on utilise le niveau de dispersion des avantages salariaux au lieu de sa part dans la dispersion globale des salaires.
Le rôle de la mobilité professionnelle et des dispositifs institutionnels de fixation des salaires est analysé plus en détail en combinant les données sur la dispersion des avantages salariaux des entreprises avec les données sur la dispersion de la productivité au niveau du secteur dans un cadre de régression. Cela permet de déterminer si les statistiques descriptives présentées ci-dessus correspondent au rôle de la mobilité professionnelle et des négociations collectives dans la transmission des différences de productivité aux avantages salariaux ou plutôt à l’ampleur des différences de productivité en premier lieu. L’utilisation d’un cadre de régression permet également de tenir compte d’un certain nombre de facteurs de confusion et peut donc apporter une crédibilité supplémentaire aux associations présentées.
Plus la transmission de la productivité aux salaires est faible, plus la mobilité professionnelle augmente (Graphique 4.8, partie A). Si la mobilité professionnelle des travailleurs n’est pas aisée, les employeurs à faible productivité peuvent se permettre de verser de faibles salaires par rapport aux employeurs à forte productivité. Inversement, les employeurs à forte productivité doivent augmenter les salaires bien au-delà de ceux que proposent les employeurs à faible productivité pour attirer les travailleurs. Renforcer la mobilité professionnelle a un effet quantitativement significatif sur l’inégalité salariale globale via la canal de la transmission : accroître la mobilité professionnelle de la moyenne des pays à faible mobilité professionnelle pour atteindre la moyenne des pays à forte mobilité – ce qui correspond à peu près à un passage du 2 e centile de la mobilité professionnelle (Italie) au 80e centile (Suède) – peut réduire l’inégalité salariale globale jusqu’à 15 %. Pour mettre cette réduction en perspective, il convient de préciser que l’augmentation médiane de l’inégalité salariale dans les pays sur la période 1995‑2015 a été d’environ 10 % (OCDE, 2021[22])13.
L’importance de la mobilité professionnelle pour la transmission de la productivité est confirmée par plusieurs tests de sensibilité. Premièrement, les changements d’emploi peuvent être positivement corrélés avec le cycle économique, de sorte qu’il peut capter les effets d’un faible taux de chômage plutôt que le degré de frictions du marché du travail (biais de variable omise). Cependant, si le coefficient estimé de l’interaction entre la dispersion de la productivité et le chômage est effectivement statistiquement significatif, le taux de changement d’emploi continue à présenter une relation négative avec la transmission de la productivité (partie B). Deuxièmement, les changements d’emploi peuvent être endogènes à la structure des salaires (biais d’endogénéité). Pour un niveau donné de dispersion de la productivité, une structure salariale plus comprimée peut réduire les incitations à la mobilité professionnelle. Pour remédier à l’endogénéité, on adopte une approche de variable instrumentale qui utilise comme instrument le produit de la mobilité professionnelle moyenne dans tous les autres secteurs du même pays et de la mobilité professionnelle moyenne dans le même secteur dans tous les autres pays. Cet instrument peut raisonnablement être considéré comme exogène à la structure des salaires dans un secteur et un pays spécifiques. Les résultats utilisant cette approche par variable instrumentale sont à nouveau qualitativement inchangés (partie C)14.
La décentralisation des négociations collectives tend à accroître la transmission de la productivité au niveau de l’entreprise aux salaires (Graphique 4.9, partie A)15. Les régimes de négociation collective caractérisés par une prédominance de la négociation collective au niveau du secteur (qualifiés de « décentralisés organisés ou centralisés ») s’intéressent à la productivité de l’ensemble du secteur pour la fixation des salaires, tandis que les régimes basés sur une prédominance de la négociation collective au niveau de l’entreprise (qualifiés de « totalement ou largement décentralisés ») permettent une plus grande différenciation des salaires en fonction de la productivité spécifique de l’entreprise16.
Les observations spécifiques à un pays sur la décentralisation des négociations collectives en Allemagne confirment les observations internationales sur le lien positif entre la décentralisation et la transmission de la productivité aux salaires au niveau de l’entreprise. En Allemagne, la tendance est à une plus grande flexibilité dans la fixation des salaires au niveau de l’entreprise au cours des trois dernières décennies, sous l’effet d’une plus grande possibilité de différenciation au niveau de l’entreprise dans le cadre des accords sectoriels et d’un déclin du taux de couverture conventionnelle. Cela a généralement conduit à accroître la transmission de la productivité au niveau de l’entreprise aux salaires (Criscuolo et al., 2021[33]).
Inversement, des salaires minimums légaux relativement élevés (par rapport au salaire médian) ont tendance à réduire la transmission de la productivité au niveau de l’entreprise (Graphique 4.9, partie B). Un argument majeur en faveur du recours au salaire minimum est qu’il permet de restreindre le pouvoir de fixation des salaires des employeurs sur des marchés du travail imparfaitement concurrentiels. Cela garantit des salaires équitables aux travailleurs ayant des compétences limitées ou une faible position de négociation et, s’il n’est pas trop élevé, cela peut également avoir un effet positif sur l’emploi – voir le chapitre 317. Les résultats présentés dans le graphique suggèrent que l’impact des salaires minimums sur la dispersion globale des salaires, tel que documenté par exemple dans l’OCDE (2019[34]), est en partie dû à une réduction de la dispersion des salaires entre les entreprises pour un niveau donné de dispersion de la productivité.
Si des dispositifs institutionnels forts de fixation des salaires sont susceptibles de réduire les inégalités salariales entre les entreprises, ils peuvent également avoir des inconvénients. Si les minima salariaux sont trop élevés, ils peuvent réduire l’emploi en excluant du marché les travailleurs peu qualifiés. Ils risquent également de détériorer l’efficacité de la répartition de la main-d’œuvre en freinant la mobilité professionnelle entre les entreprises. En supprimant les signaux salariaux sur un marché du travail frictionnel, il peut être plus difficile pour les entreprises à forte productivité d’attirer des travailleurs et de créer des emplois. Toutefois, des données récentes concernant l’Allemagne et Israël suggèrent que ce n’est pas nécessairement le cas. Des salaires minimums plus élevés peuvent obliger les entreprises à faible productivité à augmenter leur productivité ou à sortir du marché, réduisant ainsi la dispersion de la productivité, sans pour autant nuire à l’emploi global (Drucker, Mazirov et Neumark, 2019[35] ; Dustmann et al., 2021[36]).
Bien que la mobilité professionnelle soit déterminée par une série de facteurs, dont certains ne relèvent pas du champ d’action des politiques publiques (examiné en détail dans la section suivante), ces résultats suggèrent néanmoins que les actions publiques visant à promouvoir la mobilité professionnelle pourraient contribuer de manière significative à réduire les écarts dans les politiques salariales des entreprises, ce qui renforcerait encore l’importance de la mobilité professionnelle dans la reprise consécutive à la crise du COVID‑19. En permettant aux entreprises à forte productivité de se développer plus facilement, cela améliorerait également l’efficacité de la répartition de la main-d’œuvre et donc le niveau global de la productivité, de l’emploi et des salaires. Cependant, certains obstacles à la mobilité professionnelle peuvent subsister même après avoir remédié aux distorsions induites par l’action publique Les travailleurs ont des préférences d’emploi différentes face à des entreprises, des secteurs et des zones géographiques différentes, ainsi que des aptitudes hétérogènes pour effectuer les tâches correspondantes, et les entreprises se différencient par leurs conditions de travail non salariales et leurs exigences en matière de compétences, ce qui crée des obstacles inhérents à la mobilité professionnelle. C’est pourquoi les politiques en faveur de la mobilité ne doivent pas être considérées comme une solution miracle, mais s’inscrire en complément des actions publiques qui visent directement à réduire les écarts de productivité entre les entreprises et des politiques de fixation des salaires telles que les négociations collectives ou les salaires minimums légaux.
Au cours de leur carrière, les femmes ont tendance à changer d’entreprise moins souvent que les hommes. Les écarts femmes-hommes en matière de mobilité professionnelle augmentent sensiblement autour de l’âge de la maternité, et deviennent négligeables après 45 ans. À l’âge de 32 ans, lorsque l’écart de mobilité est le plus élevé, la probabilité que les femmes changent d’entreprise est inférieure de plus de 10 % à celle des hommes. En outre, lorsque les femmes changent d’entreprise, il est moins probable que cela prenne la forme de promotions. Par rapport aux hommes, les changements d’emploi des femmes semblent moins souvent motivés par des augmentations de salaire et plus souvent par des raisons personnelles (par ex., bénéficier d’horaires de travail plus souples, travailler près de chez elles, suivre leur conjoint). Ces différences dans l’incidence et la nature de la mobilité professionnelle expliquent une part importante de l’augmentation de l’écart salarial hommes-femmes entre les entreprises au cours de la vie active (OCDE, 2021[22]).1
1. La moindre sensibilité des femmes aux salaires peut, à son tour, induire une discrimination selon le sexe liée au pouvoir de monopsone, en raison des différences de pouvoir de négociation entre hommes et femmes au sein d’une même entreprise (voir également le chapitre 3).
Les résultats de ce chapitre suggèrent qu’une stratégie globale pour lutter contre une inégalité salariale excessive nécessite de compléter les mesures axées sur les travailleurs par des mesures axées sur les entreprises. En réduisant les écarts de productivité entre les entreprises, en favorisant la mobilité des travailleurs entre elles et en limitant le pouvoir de fixation des salaires des entreprises occupant une position dominante sur les marchés du travail locaux, on réduirait les écarts dans les pratiques de fixation des salaires entre les entreprises, les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, et les inégalités salariales globales, tout en augmentant probablement aussi la productivité, les salaires et l’emploi.
Les actions publiques centrées sur les entreprises qui réduisent l’écart de productivité entre les entreprises à la traîne et les entreprises en tête renforceraient non seulement la croissance de la productivité globale, mais contribueraient également à atténuer les inégalités salariales en réduisant les différences de rémunération entre les entreprises. La crise du COVID‑19 a mis en évidence l’importance de ces mesures, car les entreprises disposant de modèles commerciaux numériques ont pu se distancer de celles qui n’avaient pas un accès suffisant aux technologies et aux compétences numériques. Les mesures qui encouragent les investissements dans les actifs incorporels, favorisent les conditions nécessaires à l’ère du numérique et améliorent l’accès aux infrastructures numériques peuvent contribuer à combler les écarts de productivité et de salaires, tout en soutenant la transformation numérique (OCDE, 2021[37]).
Soutenir l’investissement, en particulier dans les actifs incorporels (par exemple, compétences d’encadrement, logiciels et R-D) qui sont complémentaires aux nouvelles technologies. En atténuant les imperfections des marchés financiers, en accélérant le développement des marchés des actions et en apportant un soutien plus généreux et plus ciblé à l’investissement dans les actifs incorporels, un plus grand nombre d’entreprises, notamment de petite taille, pourront saisir les opportunités offertes par la transformation numérique (Bajgar, Criscuolo et Timmis, 2021[38] ; Nicoletti, von Rueden et Andrews, 2020[39] ; Demmou et Franco, 2021[40]). L’augmentation de l’aide publique à l’innovation, par exemple par le biais de marchés publics, de subventions, de prêts et de garanties de prêts, peut bénéficier de manière disproportionnée aux entreprises en retard (Berlingieri et al., 2020[41]).
Promouvoir un environnement de conditions de marché Cela consiste à réduire les obstacles à l’entrée sur le marché et à renforcer l’application de la politique de concurrence pour contrer le déclin généralisé du dynamisme des entreprises et la montée de la concentration du marché, notamment dans les secteurs à forte intensité numérique où les incitations à l’adoption du numérique sont essentielles (Nicoletti, von Rueden et Andrews, 2020[39] ; Berlingieri et al., 2020[41]). Cela peut également porter sur une harmonisation des règles du jeu entre les multinationales et les entreprises nationales sur le plan des politiques fiscales et d’une réduction des possibilités d’optimisation fiscale à l’international (Johansson et al., 2017[42]). Des régimes d’insolvabilité conçus de manière appropriée peuvent faciliter la restructuration ou la sortie ordonnée des entreprises peu performantes (Adalet McGowan et Andrews, 2018[43]), en favorisant leur rattrapage ou la réaffectation de leurs ressources aux entreprises performantes. (Adalet McGowan et Andrews, 2016[44]).
Améliorer l’accès aux infrastructures numériques Les infrastructures numériques sont une nécessité pour exploiter les opportunités offertes par l’innovation numérique, un puissant facteur des gains de productivité (Gal et al., 2019[45]). L’accès aux réseaux de communication reste toutefois inégal, ce qui entrave l’adoption des technologies numériques et la diffusion des technologies. Des incitations fiscales visant à encourager l’investissement privé dans les zones mal desservies, à orienter l’investissement public lorsque l’investissement privé n’est pas commercialement viable et à garantir la concurrence sur les marchés des télécommunications amélioreraient et élargiraient l’accès aux réseaux de communication et soutiendraient la transformation numérique des entreprises en retard (OCDE, 2020[46]).
Les actions publiques qui encouragent la mobilité professionnelle entre les entreprises réduisent les écarts salariaux interentreprises tout en favorisant la répartition de l’emploi dans les entreprises. Consolider les politiques d’activation et de formation des adultes, modifier la réglementation du marché du travail et les politiques du logement et favoriser le télétravail, sont autant de stratégies qui seraient favorables à la mobilité professionnelle. L’amélioration de la mobilité professionnelle est particulièrement importante pour la reprise qui suit la crise du COVID‑19 afin d’atténuer les pénuries de main-d’œuvre et de soutenir la réaffectation des emplois des entreprises en perte de vitesse ou non viables vers celles qui ont de meilleures perspectives de croissance.
Consolider la formation des adultes et adopter une approche plus globale de l’activation allant au-delà de la promotion de l’accès à l’emploi présenterait un double avantage, celui d’aider les travailleurs à trouver de meilleurs emplois dans d’autres entreprises, tout en réduisant les écarts de productivité entre entreprises (OCDE, 2021[14]). Par exemple, les services publics de l’emploi, sous forme d’aide à la recherche d’emploi, de formation et d’orientation professionnelle, pourraient être mis à la disposition des travailleurs qui souhaitent évoluer dans leur carrière mais qui se heurtent à des obstacles importants pour accéder à de meilleurs emplois, notamment les personnes qui occupent des formes de travail atypiques, les travailleurs qui sont actuellement employés mais qui manquent de compétences pertinentes ou qui vivent dans des régions en retard et les travailleurs qui occupent des emplois soutenus par des dispositifs de maintien dans l’emploi. Cela nécessiterait un rôle plus actif des services publics de l’emploi pour conseiller les travailleurs sur les possibilités de formation des adultes et suivre l’évolution des besoins en compétences, ainsi qu’une meilleure coordination entre les prestataires publics et privés des services de l’emploi (Langenbucher et Vodopivec, 2022[47]). Parallèlement, il est nécessaire de poursuivre les investissements pour améliorer l’infrastructure de formation, notamment par le biais de comptes individuels de formation, et promouvoir plus généralement une culture de l’apprentissage.
Limiter les obstacles réglementaires à la mobilité professionnelle sur les marchés du travail et du logement peut favoriser les transitions entre entreprises, professions et régions. Cela suppose notamment de réformer les réglementations trop restrictives en matière d’accès aux professions (Bambalaite, Nicoletti et von Rueden, 2020[48]) ; de promouvoir la portabilité des prestations sociales et des droits aux indemnités de licenciement (Kettemann, Kramarz et Zweimüller, 2017[49]) ; de limiter l’utilisation inappropriée des clauses de non-concurrence ou de non-sollicitation (Krueger et Ashenfelter, 2018[50] ; OCDE, 2019[51]) (voir le chapitre 3).
La mobilité entre les zones géographiques pourrait être encouragée en réformant les politiques de logement, notamment en repensant les politiques d’aménagement du territoire et de planification qui amplifient les écarts de prix de l’immobilier d’un endroit à l’autre, en réduisant les taxes sur les transactions liées à la vente et à l’achat d’un logement et en assouplissant les réglementations trop strictes en matière de location (Causa et Pichelmann, 2020[52]). Les politiques sociales sous forme de transferts monétaires et de dépenses en nature pour le logement pourraient également soutenir la mobilité résidentielle en rendant le logement plus abordable pour les ménages à faibles revenus, surtout si ces dépenses sont conçues de manière à ce que les avantages soient entièrement transférables d’une zone géographique à l’autre.
Une augmentation du télétravail pourrait compenser en partie la mobilité géographique limitée. Une part importante des emplois peut potentiellement être exercée à distance – entre un quart et un tiers de tous les emplois selon certaines estimations (Dingel et Neiman, 2020[53] ; Boeri, Caiumi et Paccagnella, 2020[54] ; OCDE, 2020[55]) – ce qui peut élargir les possibilités d’emploi pour les travailleurs et réduire les coûts pour passer d’un emploi à un autre. Encourager le télétravail suppose de réglementer le droit à demander de pratiquer le télétravail – lorsqu’il n’existe pas – et les conditions dans lesquelles les accords de télétravail sont mis en œuvre ; il faut également renforcer les infrastructures numériques afin que l’ensemble des travailleurs aient accès aux réseaux et que ceux-ci soient plus rapides, et q e les entreprises adoptent le numérique ; il faut également améliorer les compétences des travailleurs en technologies de l’information et de la communication (TIC) par le biais de la formation, et renforcer les capacités de gestion des employeurs par la diffusion des meilleures pratiques d’encadrement (Nicoletti, von Rueden et Andrews, 2020[39] ; OCDE, 2020[55]). Le recours au télétravail pendant la pandémie a été sensiblement plus répandu dans les pays où il existait un droit opposable au télétravail, et au plus haut dans les pays où ce droit était accordé par la négociation collective (OCDE, 2021[56]).
Si la suppression des obstacles à la mobilité professionnelle peut réduire les inégalités salariales tout en améliorant la répartition des emplois entre les entreprises, certains obstacles à la mobilité professionnelle sont susceptibles de subsister même après avoir remédié aux distorsions induites par l’action publique. Les emplois se différencient par les compétences qu’ils requièrent et la manière dont ils sont organisés. Parallèlement, les travailleurs ont des préférences différentes face aux différents emplois et des aptitudes hétérogènes pour effectuer les tâches correspondantes, ce qui crée des obstacles inhérents à la mobilité professionnelle. C’est pourquoi les politiques en faveur de la mobilité doivent être complétées par des actions publiques qui visent directement à contenir le pouvoir excessif de fixation des salaires des entreprises dominantes (voir aussi la discussion au chapitre 3).
Les dispositifs institutionnels de fixation des salaires sous forme de salaires minimums et de minima salariaux négociés collectivement pourraient contribuer à contenir le pouvoir de fixation des salaires des entreprises sur les marchés du travail présentant une mobilité professionnelle limitée. (OCDE, 2019[19]). Dans les domaines et les professions où les salaires sont bien inférieurs à la productivité des travailleurs, cela pourrait même accroître l’emploi en augmentant le taux d’activité des personnes qui ne sont pas disposées à travailler aux salaires actuels18. Il est cependant important de fixer les minima salariaux à des niveaux compatibles avec la productivité des travailleurs, afin d’éviter les effets de désemploi. Il est possible de réduire ce risque en combinant des négociations collectives centralisées avec une marge de manœuvre suffisante pour des négociations supplémentaires au niveau de l’entreprise, et en autorisant une variation régionale des salaires minimaux et des minima spécifiques pour les très jeunes travailleurs. Des recherches en cours basées sur une comparaison entre la Norvège et les États-Unis suggèrent en outre que la compression des salaires entre les entreprises ne réduit pas nécessairement l’efficacité de la répartition de la main-d’œuvre entre les entreprises (Hijzen, Zwysen et Lillehagen, 2021[57]). Pour atteindre une productivité élevée par le biais d’une répartition efficace de la main-d’œuvre, il faut compléter les dispositifs institutionnels de fixation des salaires qui limitent la faculté des entreprises à verser des salaires différents à des travailleurs comparables par des mesures qui encouragent l’innovation dans les entreprises à faible productivité et renforcent la mobilité professionnelle.
Les autorités de la concurrence pourraient intensifier leurs efforts pour lutter contre les accords anticoncurrentiels sur les marchés du travail, notamment en matière de fixation des salaires, et de clauses de non-sollicitation et de non-concurrence. (OCDE, 2019[51]). Ces accords anticoncurrentiels limitent les possibilités de mobilité professionnelle et accroissent le pouvoir de fixation des salaires des entreprises. La fixation des salaires représente une forme de collusion dans laquelle les employeurs s’entendent sur les salaires et les avantages non salariaux de groupes spécifiques de travailleurs. Il peut s’agir d’un accord explicite ou d’une coordination tacite, basée sur l’échange d’informations sur la rémunération avec des concurrents potentiels. Une autre forme d’entente entre employeurs est de convenir de ne pas solliciter les travailleurs de l’autre. Une troisième forme de collusion entre employeurs est l’utilisation de clauses de non-concurrence dans les contrats de travail qui empêchent les employés de travailler pour les concurrents de leur employeur, généralement pour une durée limitée ou dans une zone géographique spécifique. Ces questions sont examinées plus en détail au chapitre 3.
Le pouvoir excessif de fixation des salaires des entreprises dominantes sur un marché du travail local pourrait également être abordé en intégrant explicitement des considérations sur le pouvoir du marché du travail dans le contrôle des fusions. Si les autorités de contrôle des fusions s’intéressent exclusivement à l’évolution du marché des produits, cela peut s’avérer insuffisant pour limiter le pouvoir de fixation des salaires des employeurs lorsqu’il n’y a pas de correspondance parfaite entre la définition du marché du travail concerné et celle du marché des produits concernés. Par exemple, une autorité de la concurrence qui conclut qu’une fusion entre deux entreprises ne constitue pas une menace pour la concurrence parce qu’il existe un nombre suffisant de concurrents (y compris de l’étranger) risque de ne pas repérer le fait que ces deux entreprises recrutent sur le même marché du travail local.
Ce chapitre examine le rôle des différences de performance et de pratiques de fixation des salaires entre les entreprises dans les inégalités salariales Il en ressort principalement que, en moyenne dans les 20 pays couverts par l’analyse, les différences dans les pratiques de fixation des salaires des entreprises expliquent environ un tiers de l’ensemble des inégalités salariales et un quart de l’écart salarial entre les femmes et les hommes. Dans une certaine mesure, les écarts dans les pratiques de fixation des salaires des entreprises reflètent des écarts de productivité qui se répercutent sur les salaires lorsque les frictions empêchent les travailleurs de se déplacer sans coût d’une entreprise à une autre. Mais ils reflètent également les différences en termes de pouvoir de fixation des salaires des entreprises opérant sur des marchés du travail présentant des environnements concurrentiels et des mécanismes institutionnels de fixation des salaires différents.
Du point de vue de l’action publique, la principale conclusion est que les mesures axées sur les entreprises doivent constituer un pilier de toute stratégie globale visant à promouvoir une croissance économique largement partagée. Soutenir le rattrapage de productivité des entreprises à la traîne permettrait non seulement d’augmenter la productivité et les salaires, mais aussi de réduire les inégalités salariales. Encourager la mobilité des travailleurs entre les entreprises permettrait de réduire les inégalités salariales à tous les niveaux de dispersion de la productivité, tout en améliorant la distribution de l’emploi entre les entreprises. En limitant le pouvoir de fixation des salaires des entreprises occupant une position dominante sur les marchés du travail locaux, on réduirait les écarts dans les pratiques de fixation des salaires entre les entreprises, les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, et les inégalités salariales globales, tout en augmentant probablement aussi la productivité, les salaires et l’emploi.
En plaçant les entreprises au centre de l’analyse, ce chapitre contribue à élargir le débat politique sur les inégalités salariales et favorise ainsi une approche de ces inégalités et, plus généralement, de la croissance inclusive, qui mobilise l’ensemble des pouvoirs publics. Si les politiques en matière de compétences restent décisives pour garantir une bonne adéquation entre l’offre et la demande de compétences, de nombreuses autres mesures peuvent avoir des répercussions importantes sur les inégalités salariales et doivent être prises en compte lors de la conception de politiques visant à promouvoir une croissance inclusive.
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[9] Sokolova, A. et T. Sorensen (2020), « Monopsony in Labor Markets: A Meta-Analysis », ILR Review, vol. 74/1, pp. 27-55, https://doi.org/10.1177/0019793920965562.
[8] Song, J. et al. (2019), « Firming Up Inequality », The Quarterly Journal of Economics, vol. 134/1, pp. 1-50, https://doi.org/10.1093/qje/qjy025.
[24] Vilhuber, L. (2007), Adjusting Imperfect Data: Overview and Case Studies, National Bureau of Economic Research, Cambridge, MA, https://doi.org/10.3386/w12977.
[15] Weil, D. (2014), The Fissured Workplace: Why Work Became So Bad for So Many and What Can Be Done to Improve it, Harvard University Press, Cambridge, MA.
Dans un marché du travail parfaitement concurrentiel, il n’y a pas de frictions liées aux coûts de recherche et de changement d’emploi qui limitent les choix d’emploi possibles pour les travailleurs en dehors de leur entreprise. Dans un tel contexte, toutes les entreprises paient le salaire du marché unique, quelle que soit leur productivité, car aucun travailleur n’accepterait un salaire inférieur et payer un salaire plus élevé réduirait les bénéfices des entreprises. D’un point de vue formel, cela signifie que les entreprises sont des preneurs de prix sur les marchés du travail, et que la courbe d’offre de main-d’œuvre à laquelle l’entreprise est confrontée est plate (« parfaitement élastique »). Les travailleurs reçoivent un salaire égal au salaire du marché, qui est lui-même égal au produit marginal des travailleurs et uniformisé entre les entreprises. Il est important de noter que les écarts de productivité entre les entreprises ne se traduisent pas par des écarts de salaires entre les entreprises.
Sur des marchés du travail en concurrence imparfaite avec des frictions liées au coût de la recherche et du changement d’emploi, ou des préférences hétérogènes des travailleurs sur les caractéristiques non salariales des emplois, les choix d’emploi possibles pour les travailleurs en dehors de leur entreprise sont limités. Par conséquent, tous les travailleurs ne démissionnent pas lorsqu’ils sont payés moins que leur produit marginal et les entreprises sont chacune confrontées à une courbe d’offre de main-d’œuvre à pente ascendante, qui décrit les salaires de réserve des travailleurs marginaux (Graphique d’annexe 4.A.1)19. De même, il est possible que les travailleurs acceptent un emploi même si le salaire est inférieur à leur produit marginal. En supposant que les entreprises ne sont pas en mesure d’observer les choix extérieurs des travailleurs individuels (c’est-à-dire qu’elles ne peuvent pas opérer de discrimination par les prix entre eux), le coût pour attirer des travailleurs supplémentaires (c’est-à-dire le coût marginal de la main-d’œuvre) dépasse généralement leur salaire de réserve20. Les entreprises fixent les salaires de telle sorte que l’offre de main-d’œuvre à l’entreprise corresponde aux niveaux d’emploi maximisant le profit, c’est-à-dire lorsque le produit de revenu marginal de la main-d’œuvre (MRP) et le coût marginal de la main-d’œuvre (MCL) sont identiques. Le niveau d’emploi est inférieur à celui qu’ils auraient choisi en cas d’offre de main-d’œuvre parfaitement élastique, et les salaires sont revus à la baisse par rapport à la productivité marginale de la main-d’œuvre. Les travailleurs gagnent moins dans le modèle de concurrence imparfaite que dans le modèle de concurrence parfaite21.
Une entreprise plus productive, dont la productivité est plus élevée, est prête à payer un salaire plus élevé à chaque niveau d’emploi (c’est-à-dire que la demande de main-d’œuvre se déplace vers l’extérieur) que les entreprises à faible productivité, car une productivité plus élevée lui permet d’absorber des coûts de main-d’œuvre plus élevés. Ainsi, les salaires au niveau de l’entreprise évoluent en parallèle avec la productivité, même pour les travailleurs présentant des caractéristiques de revenus identiques. La demande de main-d’œuvre de l’entreprise à forte productivité (entreprise 1) est supérieure à celle de l’entreprise à faible productivité (entreprise 0), ce qui entraîne un écart salarial positif entre l’entreprise à forte productivité et l’entreprise à faible productivité (w1 – w0). En d’autres termes, il existe une transmission positive de la productivité aux salaires au niveau de l’entreprise, ce qui entraîne une dispersion des salaires proportionnelle à la dispersion de la productivité.
Le degré de transmission de la productivité (i) diminue avec l’élasticité de l’offre de travail ; (ii) diminue avec le niveau des minima salariaux institutionnels.
1. Une baisse de l’élasticité de l’offre de travail fait tourner la courbe d’offre de main-d’œuvre dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, de sorte qu’une différence de productivité totale des facteurs entre les entreprises se traduit par une différence de salaire d’équilibre plus importante. L’élasticité de l’offre de travail augmente avec la mobilité professionnelle, qui est à son tour partiellement déterminée par les frictions du marché du travail.
2. Les minima salariaux convenus collectivement au niveau du secteur ou les salaires minimums légaux peuvent augmenter les salaires des entreprises à faible productivité au-dessus de leurs niveaux de maximisation des profits, ce qui réduit les différences de salaires entre les entreprises pour une différence de productivité donnée.
Une baisse de l’élasticité de l’offre de travail fait tourner la courbe d’offre de main-d’œuvre dans le sens inverse des aiguilles d’une montre et donne lieu à une courbe d’offre de main-d’œuvre à pente ascendante (Graphique d’annexe 4.A.2). La différence de productivité totale des facteurs entre une entreprise 0 moins productive et une entreprise 1 plus productive (comme en témoigne la distance verticale entre leurs courbes de demande de travail, LD0 et LD1) se traduit par une différence dans les avantages salariaux des entreprises (w1(B)-w0(B)). La transmission de la productivité aux salaires (et la dispersion des salaires à un niveau donné de dispersion de la productivité) diminue avec l’élasticité de l’offre de travail, c’est-à-dire plus la courbe d’offre de main-d’œuvre est plate.
La dépendance de la transmission productivité-salaire à l’élasticité de l’offre de travail repose sur la priorité accordée à la productivité totale des facteurs en tant que facteur de déplacement de la courbe de demande de main-d’œuvre. Si l’on se tourne plutôt vers la productivité de la main-d’œuvre, comme on le fait dans l’analyse empirique de ce chapitre, la transmission productivité-salaire dans ce modèle sera égale à un, quelle que soit l’élasticité de l’offre de travail (Manning, 2020[29]). C’est le cas parce que la réaction de l’écart salarial entre les entreprises à un écart de productivité totale des facteurs correspondra parfaitement à la réaction endogène de l’écart de productivité de la main-d’œuvre. Un coefficient de transmission inférieur à un n’est obtenu que lorsque des entreprises plus productives et donc plus grandes font face à une offre de main-d’œuvre moins élastique. Cela peut être le cas lorsque l’élasticité de l’offre de travail est une fonction du surplus de l’appariement comme dans Card et al. (2018[28])ou de la part de marché de l’entreprise comme dans Berger et al. (2022[30]). Le renforcement du pouvoir de marché des grandes entreprises est quant à lui susceptible d’être plus important sur des marchés du travail moins concurrentiels, caractérisés par une plus faible élasticité moyenne de l’offre de main-d’œuvre entre les entreprises.
L’élasticité (moyenne) de l’offre de travail à une entreprise donnée est en partie déterminée par la mobilité professionnelle, qui dépend elle‑même, entre autres, de la concentration du marché du travail local, du nombre d’emplois vacants par entreprise, des coûts d’embauche et de licenciement (par exemple, la protection de l’emploi), de la disponibilité d’informations facilement accessibles sur les offres d’emploi (par exemple, les plateformes en ligne, les services publics de l’emploi) et des obstacles réglementaires à la mobilité tels que les licences professionnelles ou les distorsions sur le marché du logement (par exemple, les taxes élevées sur les transactions immobilières). Dans certains cas, la mobilité professionnelle peut également être freinée par des accords tacites entre les entreprises qui interdisent le recrutement mutuel de travailleurs (accords de non-sollicitation) ou par des clauses contractuelles qui empêchent les travailleurs de rejoindre des entreprises concurrentes pendant une certaine période (clauses de non-concurrence) – voir le chapitre 3.
Les minima salariaux convenus collectivement à l’échelle sectorielle ou les salaires minimums légaux peuvent entraîner une hausse les salaires des entreprises à faible productivité au-dessus de leurs niveaux de maximisation du profit. Cela réduirait la dispersion des avantages salariaux entre les entreprises à tout niveau donné de dispersion de la productivité, c’est-à-dire que cela affaiblirait le degré de transmission de la productivité aux salaires dans l’entreprise. La coordination des résultats des négociations collectives intersectorielles au moyen de normes ou de plafonds salariaux aurait également tendance à réduire les écarts d’avantages salariaux, mais principalement entre les secteurs plutôt qu’entre les entreprises (OCDE, 2019[19]). Au contraire, la décentralisation de la négociation collective de la branche d’activité à l’entreprise est susceptible d’augmenter la transmission de la productivité aux salaires de l’entreprise par rapport à une négociation collective sectorielle ou nationale.
Nom |
Sources des données sur les revenus |
Structure de l’échantillon |
Longitudinale |
Salaires horaires |
Compétences des travailleurs |
Productivité de l’entreprise |
Période couverte |
|
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Allemagne |
LIAB apparié avec BHP (appariement de biographies du marché du travail et panel d’établissements) |
Administration de la sécurité sociale |
Tous les travailleurs ayant été à un moment donné employés par les env. 16 000 établissements BHP |
Oui |
Non |
Niveau d’études et profession |
Oui |
1996‑2016 |
Integrierte Erwerbsbiographien (IEB) |
Administration de la sécurité sociale |
Totalité (échantillonnage en raison de contraintes de calcul) |
Oui |
Non |
Niveau d’études et profession |
Non |
1996‑2016 |
|
Administration de la sécurité sociale |
1,5 % échantillon aléatoire d’établissements |
Oui |
Non |
Niveau d’études et profession |
Oui |
2002‑18 |
||
Autriche |
AMS-BMASK Arbeitsmarktdatenbank |
Administration de la sécurité sociale |
Totalité |
Oui |
Non |
Pas d’information |
Non |
2002‑17 |
Canada |
Fichier de données longitudinales sur la main-d’œuvre (FDLMO) |
Administration fiscale |
Totalité |
Oui |
Non |
Pas d’information |
Non |
1991‑2016 |
Base de données canadienne sur la dynamique employeurs-employés (BDCEE) |
Administration fiscale |
Totalité |
Travailleurs uniquement, pas d’entreprises |
Non |
Pas d’information |
Oui |
2001‑15 |
|
Costa Rica |
Registre des variables économiques (REVEC) de la Banque centrale du Costa Rica (BCCR) |
Administration de la sécurité sociale combinée aux données de registre |
Totalité |
Oui |
Non |
Profession |
Oui |
2006‑17 |
Danemark |
IDA, IDAN, UDDA |
Administration fiscale combinée aux données de registre |
Totalité |
Oui |
Oui |
Niveau d’études et profession |
Oui |
2001‑17 |
Espagne |
Muestra Continua de Vidas Laborales con Datos Fiscales (MCVL-CDF) |
Sécurité sociale et administration fiscale |
4 % échantillon aléatoire de travailleurs |
Oui |
Non |
Niveau d’études et profession |
Non |
2002‑17 |
Estonie |
Données du Registre de l’Office des impôts et des douanes |
Administration fiscale |
Totalité |
Oui |
Non |
Pas d’information |
Non |
2003‑17 |
États-Unis |
Base de données longitudinale des entreprises (LBD) |
Registre des entreprises, recensement économique et autres enquêtes |
Totalité |
Entreprises uniquement, pas de travailleur |
Non |
Non |
Non |
1976‑2015 |
Finlande |
Données sur l’emploi de FOLK provenant de Statistics Finland, rapport sur la masse salariale des employeurs provenant de l’administration fiscale. |
Administration fiscale |
Totalité |
Oui |
Non |
Niveau d’études |
Oui |
2004‑18 |
France |
Déclaration annuelle des données sociales unifiée (DADS), panel apparié avec le fichier FARE/FICUS |
Enquête obligatoire auprès des employeurs |
Échantillon aléatoire de travailleurs 1/12e |
Oui |
Oui |
Profession |
Oui |
2002‑17 |
Hongrie |
ADMIN II – Panel de données administratives (OEP, ONYF, NAV, NMH, OH) |
Administration de la sécurité sociale |
50 % échantillon aléatoire de la population, pris en 2003 |
Oui |
Oui |
Profession |
Oui |
2003‑18 |
Italie |
Échantillon longitudinal de la sécurité sociale INPS (LoSai) |
Administration de la sécurité sociale |
Échantillon aléatoire de travailleurs 1/15e |
Oui |
Oui |
Mesure limitée de la profession |
Non |
2002‑15 |
Japon |
Enquête de base sur la structure des salaires, Enquête de base sur la structure et les activités des entreprises japonaises |
Enquête. |
Échantillon stratifié par préfecture et par branche d’activité |
Établissements uniquement, pas de travailleur |
Oui |
Niveau d’études |
Oui |
2001‑16 |
Norvège |
Données relatives aux revenus (Registre fiscal) augmentées de l’historique d’emploi (base de données de l’Éducation nationale) |
Administration fiscale |
Totalité |
Oui |
Oui |
Profession |
Oui (mais actuellement indisponible dans LinkEED) |
2004‑14 |
Nouvelle‑Zélande |
Infrastructure intégrée de données (IDI) – Trésor public (IR) et données du registre des entreprises |
Administration fiscale |
Totalité |
Oui |
Non |
Non |
Oui (mais actuellement indisponible dans LinkEED) |
2000‑17 |
Pays-Bas |
SPOLIS, POLIS, GBA, ABR et Hoogsteopltab. |
Administration de la sécurité sociale |
Totalité |
Oui |
Oui |
Niveau d’études (pour environ la moitié de l’échantillon) |
Oui |
2010‑19 |
Portugal |
Quadros de Pessoal |
Enquête obligatoire auprès des employeurs |
Totalité |
Oui |
Oui |
Niveau d’études et profession |
Oui |
2002‑17 |
République slovaque |
Base de données appariée employeur-employé |
Administration de la sécurité sociale |
Totalité |
Oui |
Non |
Niveau d’études |
Non |
2014‑19 |
Royaume‑Uni |
Enquête annuelle sur le temps de travail et les revenus (ASHE) |
Enquête obligatoire auprès des employeurs |
1 % échantillon aléatoire des registres de l’assurance nationale |
Oui |
Oui |
Profession |
Oui (mais actuellement indisponible dans LinkEED) |
1997‑2019 |
Suède |
RAMS, LISA, Registre des emplois SSE |
Administration fiscale |
RAMS : Totalité SSE : 100 % du secteur public, échantillon stratifié couvrant 50 % de toutes les entreprises du secteur privé |
Oui |
Non, utilisation d’un équivalent de temps plein |
Niveau d’études et profession |
Oui (mais actuellement indisponible dans LinkEED) |
2001‑15 |
Lors de l’estimation des avantages salariaux des entreprises, seules les caractéristiques observées des travailleurs sont prises en compte. Cependant, les travailleurs peuvent également opérer une sélection entre les entreprises sur la base de caractéristiques non observées, ce qui entraîne une corrélation entre l’effet fixe de l’entreprise et la variable omise. Si tel est le cas, les avantages salariaux de l’entreprise estimés à l’aide de Équation 4.2 pâtissent d’un biais de variable omise et reflètent en partie les caractéristiques moyennes non observées de la main-d’œuvre de l’entreprise. Dans notre échantillon de pays, le biais devrait être plus important dans les pays pour lesquels aucune information sur la profession et l’éducation n’est disponible. Pourtant, en fin de compte, l’importance quantitative du biais et son effet sur la variance des avantages salariaux des entreprises présentés dans ce document est une question empirique.
Comme test de robustesse, cette annexe présente, pour un sous-ensemble de pays, les résultats d’un autre modèle travailleur-entreprise qui tient compte des caractéristiques inobservées des travailleurs dans le temps (Abowd, Kramarz et Margolis, 1999[21]) :
dans laquelle est le logarithme des salaires des travailleurs i dans l’entreprise j, représente un (ecteur des caractéristiques observables des travailleurs variant dans le temps /par exemple, âge, temps partiel) ; est le rendement moyen estimé sur ces caractéristiques ; rep ésente les effets fixes de l’entreprise ; et est le terme d’erreur. L’équation est estimée par bloc de 4 à 5 ans pour chaque pays. Comme elle ne peut être estimée que sur le sous-ensemble d’observations inclus dans l’ensemble associé des entreprises, les résultats présentés dans le chapitre principal et dans l’annexe reposent sur des échantillons un peu différents.
Le fait de tenir compte des caractéristiques non observées des travailleurs réduit la variance estimée associée aux avantages salariaux des entreprises (Tableau d’annexe 4.C.1, partie A), en particulier dans les pays pour lesquels aucune information sur le niveau d’études ou la profession n’est disponible (Tableau d’annexe 4.C.1, partie B). Comme prévu, pour les deux ensembles de pays, la variance des avantages salariaux des entreprises est réduite en termes absolus et par rapport à la fois à la variance totale des salaires et à la variance entre les entreprises. Dans les pays où les informations sur le niveau d’études ou la profession sont disponibles, la variance des avantages salariaux des entreprises est inférieure de près de 30 %. En comparaison, il est réduit de plus de 45 % dans les pays qui ne disposent pas de ces informations. Dans l’ensemble, les résultats montrent que, bien que le rôle direct de l’entreprise dans l’explication des inégalités salariales soit réduit lorsqu’on tient compte des caractéristiques non observées des travailleurs, il reste important. En outre, cette réduction est entièrement compensée par une augmentation de la répartition des travailleurs dans les entreprises offrant des avantages salariaux élevés (appariement sélectif), ce qui met en évidence le rôle indirect des entreprises dans les inégalités salariales entre elles.
A. Pays avec informations sur le niveau d’études et/ou la profession |
|||
---|---|---|---|
|
|
Spécification |
|
1 – Barth et al. |
2 – AKM |
||
PRT |
a – Variance du salaire total |
0.260 |
0.260 |
a – Variance du salaire entre entreprises |
0.130 |
0.140 |
|
a – Variance de l’avantage salarial des entreprises |
0.080 |
0.050 |
|
c/a |
33 % |
21 % |
|
c/b |
64 % |
39 % |
|
FRA |
a – Variance du salaire total |
0.190 |
0.220 |
a – Variance du salaire entre entreprises |
0.070 |
0.110 |
|
a – Variance de l’avantage salarial des entreprises |
0.040 |
0.020 |
|
c/a |
22 % |
10 % |
|
c/b |
57 % |
20 % |
|
ITA |
a – Variance du salaire total |
0.230 |
0.250 |
a – Variance du salaire entre entreprises |
0.145 |
0.160 |
|
a – Variance de l’avantage salarial des entreprises |
0.076 |
0.070 |
|
c/a |
33 % |
28 % |
|
c/b |
52 % |
45 % |
|
Moyenne |
a – Variance du salaire total |
0.227 |
0.243 |
a – Variance du salaire entre entreprises |
0.115 |
0.137 |
|
a – Variance de l’avantage salarial des entreprises |
0.065 |
0.047 |
|
c/a |
29 % |
20 % |
|
c/b |
58 % |
35 % |
|
B. Pays sans informations sur le niveau d’études et/ou la profession |
|||
EST |
a – Variance du salaire total |
0.290 |
0.290 |
a – Variance du salaire entre entreprises |
0.157 |
0.150 |
|
a – Variance de l’avantage salarial des entreprises |
0.150 |
0.090 |
|
c/a |
52 % |
30 % |
|
c/b |
96 % |
60 % |
|
AUT |
a – Variance du salaire total |
0.126 |
0.120 |
a – Variance du salaire entre entreprises |
0.059 |
0.060 |
|
a – Variance de l’avantage salarial des entreprises |
0.055 |
0.020 |
|
c/a |
44 % |
13 % |
|
c/b |
94 % |
30 % |
|
Moyenne |
a – Variance du salaire total |
0.208 |
0.205 |
a – Variance du salaire entre entreprises |
0.108 |
0.105 |
|
a – Variance de l’avantage salarial des entreprises |
0.103 |
0.055 |
|
c/a |
48 % |
22 % |
|
c/b |
95 % |
45 % |
Note : Ce tableau présente les estimations des avantages salariaux des entreprises en utilisant deux méthodes d’estimation différentes (Barth et al. et AKM).
Dans la colonne (1 – Barth et al.), la variance des avantages salariaux de l’entreprise est calculée en utilisant les effets fixes de l’entreprise obtenus à partir de Équation 4.2, dans laquelle le logarithme du salaire est régressé sur les caractéristiques observées du travailleur et les effets fixes de l’entreprise en utilisant l’échantillon complet d’observations. Dans la colonne (2 – AKM), la variance des avantages salariaux des entreprises est calculée en utilisant les effets fixes de l’entreprise récupérés à partir de l’estimation de Équation 4.8, dans laquelle le logarithme du salaire est régressé sur les caractéristiques des travailleurs variant dans le temps, les effets fixes des travailleurs et les effets fixes des entreprises à l’aide de l’ensemble associé. Les variances sont calculées pour la dernière année de données disponibles dans chacun des pays.
Sur la base de l’équation 4.7,1995‑2015
Variable dépendante : Var(Avantage salarial de l’entreprise) |
||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Modèle : |
(1) |
(2) |
(3) |
(4) |
(5) |
(6) |
(7) |
(8) |
MCO |
MCO |
MCO |
MCO |
IV‑2SLS |
MCO |
MCO |
MCO |
|
Var(Productivité de l’entreprise) |
0.06*** |
0.06*** |
0.05*** |
0.07*** |
0.05*** |
0.08*** |
0.01 |
0.01 |
|
(0.01) |
(0.01) |
(0.01) |
(0.02) |
(0.01) |
(0.01) |
(0.01) |
(0.01) |
Var(Prod) x Taux élevé de changement d’emploi dans la branche d’activité |
‑0.06*** |
‑0.06** |
‑0.04*** |
‑0.07*** |
‑0.04*** |
‑0.02** |
||
|
(0.01) |
(0.01) |
(0.01) |
(0.01) |
(0.01) |
(0.01) |
||
Var(Prod) x Taux de chômage |
‑0.33** |
|||||||
|
(0.16) |
|||||||
Var(Prod) x Taux d’emploi |
‑0.33*** |
|||||||
|
(0.09) |
|||||||
Var(Prod) x Pays à négociation collective décentralisée |
0.07*** |
0.07*** |
||||||
|
(0.02) |
(0.01) |
||||||
Var(Prod) x Salaire minimum élevé en proportion du salaire médian |
‑0.05*** |
‑0.01 |
||||||
|
(0.02) |
(0.01) |
||||||
Effets fixes par pays |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
||
Effets fixes par branche d’activité |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
||
Effets fixes de l’année |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
||
Effets fixes du pays |
OUI |
OUI |
||||||
Effets fixes du secteur-pays |
OUI |
OUI |
||||||
Déterminant non mis en interaction |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
Observations |
2 823 |
2 823 |
2 823 |
2 823 |
2 823 |
2 823 |
2 823 |
2 823 |
R2 ajusté |
0.72 |
0.74 |
0.74 |
0.74 |
0.78 |
0.78 |
0.80 |
0.81 |
Note : Les variances de la productivité et des avantages salariaux des entreprises dans chaque cellule secteur-pays-année sont pondérées par l’emploi de chaque entreprise. La productivité est définie comme la valeur ajoutée par travailleur. L’équation est estimée par la méthode des moindres carrés ordinaires et contient une interaction complète avec un indicateur pour toute valeur manquante sur les variables indépendantes. Erreurs-types regroupées au niveau du pays-secteur entre parenthèses. *, ** et *** correspondent à une signification statistique au seuil des 1 %, 5 % et 10 %. D’après Équation 4.7, la transmission implicite de la productivité peut être calculée à partir de ces coefficients comme pour le groupe de référence, et pour la différence à l’égard du groupe de référence.
← 1. Le présent chapitre fait fond sur le projet LinkEED de l’OCDE qui vise à faire mieux comprendre le rôle des politiques publiques dans la productivité et les inégalités à l’aide de données employeur-employé couplées. Il s’agit d’une initiative conjointe de la Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales (ELS), de la Direction de la science, de la technologie et de l’innovation (STI) et du Département des affaires économiques (ECO). Le chapitre donne un aperçu des principales conclusions du rapport de l’OCDE « Le rôle des entreprises dans les inégalités salariales : Enseignements d’une étude internationale à grande échelle », publié en décembre 2021 (OCDE, 2021[22]). Il a été bénéficié de la contribution de : Erling Barth (Institute for Social Research Oslo, Norvège), Antoine Bertheau (Université de Copenhague, Danemark), Wen-Hao Chen (Statcan, Canada), Richard Fabling (indépendant, Nouvelle‑Zélande), Priscilla Fialho (OCDE, Portugal), Katarzyna Grabska-Romagosa (Université de Maastricht, PAYS-BAS), Antton Haramboure (OCDE), Ryo Kambayashi (Université Hitotsubashi, Japon), Valérie Lankester et Catalina Sandoval (Banque centrale du Costa Rica, Costa Rica), Balázs Murakőzy (Université de Liverpool, Hongrie), Andrei Gorshkov et Oskar Nordström Skans (Université d’Uppsala, Suède), Satu Nurmi (Statistics Finland/VATT, Finlande), Vladimir Peciar (ministère des Finances, République slovaque), Agnès Puymoyen (OCDE), Duncan Roth (IAB, Allemagne), Nathalie Scholl (OCDE), Richard Upward (Université de Nottingham, Royaume‑Uni) et Wouter Zwysen (Institut syndical européen, anciennement OCDE).
← 2. Il n’est pas simple de déterminer quel niveau d’inégalité salariale peut être considéré comme acceptable ou excessif. Un rapport récent de l’OCDE (OCDE, 2022[58]) donne à penser que de plus en plus de personnes sont préoccupées par le niveau des revenus. Les avis sont toutefois très partagés sur les mesures que devraient prendre les responsables publics à ce sujet.
← 3. Ces effets sur le bien-être viennent s’ajouter aux effets négatifs potentiels d’une mobilité professionnelle limitée sur les salaires et l’emploi en cas de fixation unilatérale des salaires, comme analysé au chapitre 3. Pour une analyse graphique du rôle des performances des entreprises et du pouvoir de fixation des salaires sur l’emploi, les salaires et la dispersion des salaires dans un modèle de monopsone statique basé sur Card et al., (2018[28])voir Annex 4.A.
← 4. Afin de tester la robustesse, Annex 4.C complexifie l’équation des revenus du capital humain en incluant les effets fixes des travailleurs en plus de ceux de l’entreprise (Abowd, Kramarz et Margolis, 1999[21]). Cela permet de contrôler les caractéristiques non observées telles que les compétences ou les aptitudes.
← 5. Une relation significative entre l’avantage salarial et la productivité au niveau de l’entreprise suggère que l’avantage salarial des entreprises ne reflète pas seulement les écarts de rémunération liés aux différences des conditions de travail non salariales, mais qu’il est également utilisé comme un signal salarial par les entreprises pour attirer les travailleurs sur un marché du travail comportant des frictions.
← 6. La mobilité professionnelle étant susceptible d’être endogène par rapport à la dispersion des avantages salariaux, une approche par variable instrumentale est utilisée pour tenter de résoudre ce problème dans l’une des spécifications.
← 7. Plus précisément, la distinction entre les deux grandes familles de régimes de négociation collective est basée sur la taxonomie des régimes de négociation collective de l’OCDE qui se compose de trois éléments principaux (OCDE, 2019[19]) : i) le niveau de négociation auquel les conventions collectives sont négociées (par exemple, au niveau de l’entreprise, du secteur ou même du pays) ; ii) le rôle de la coordination des salaires entre les accords sectoriels (ou au niveau de l’entreprise) pour tenir compte des conditi ns macroéconomiques ; iii) le degré de flexibilité des entreprises pour modifier les conditions définies par les accords de niveau supérieur.
← 8. Pour surmonter les problèmes de confidentialité qui limitent l’accès direct aux données dans de nombreux pays, l’analyse présentée dans ce chapitre repose en partie sur une approche de « microdonnées distribuées » qui s’appuie sur un réseau de partenaires basés dans les pays participants qui fournissent des agrégats pertinents de données au niveau individuel en utilisant un code statistique harmonisé.
← 9. Au Costa Rica, en Hongrie, au Japon, en Norvège et en République slovaque, la période d’échantillonnage est nettement inférieure à deux décennies, ce qui implique que les changements globaux en matière d’inégalité salariale peuvent ne pas être directement comparables dans tous les pays.
← 10. Note : ces estimations reflètent une limite supérieure de l’importance de la dispersion des avantages salariaux des entreprises pour la dispersion globale des salaires, en raison du rôle des différences non observées dans la composition des travailleurs. Le contrôle des différences non observées entre les travailleurs réduit le rôle de la dispersion des avantages salariaux dans l’inégalité salariale globale, mais ne remet pas en cause le constat principal que les entreprises déterminent dans une large mesure l’évolution de l’inégalité salariale (voir Annex 4.C). La dispersion des avantages salariaux est réduite d’environ un tiers dans les pays disposant d’informations sur le niveau d’études/la profession et un peu plus dans les pays où ces informations ne sont pas disponibles. La composante interentreprises globale de la dispersion des salaires est largement inchangée, car la réduction de la dispersion des avantages salariaux des entreprises se traduit désormais par un rôle plus important de la sélection entre les entreprises (composition des travailleurs).
← 11. Étant donné que la plupart des études examinées dans Card et al. (2018[28]) tiennent compte du rôle des caractéristiques inobservables des travailleurs en incluant les effets fixes liés aux travailleurs, il est peu probable que les résultats présents changent beaucoup si l’on en tient compte dans l’estimation des avantages salariaux. Cependant, on pourrait s’attendre à ce que les résultats obtenus ici surestiment légèrement le lien entre la productivité et les avantages salariaux en raison de la tendance des entreprises les plus productives à employer des travailleurs ayant des compétences inobservables plus élevées.
← 12. En outre, la différence de dispersion des avantages salariaux entre les pays à forte mobilité et les pays à faible mobilité est souvent particulièrement prononcée lorsque la dispersion de la productivité est élevée. Par conséquent, une plus grande mobilité professionnelle peut jouer un rôle important dans la réduction des inégalités salariales, notamment lorsque la dispersion de la productivité est élevée (par exemple, en Allemagne, en Hongrie et au Portugal).
← 13. Le taux annuel moyen de changements d’emploi est d’environ 5.8 % lorsque la mobilité professionnelle est faible (ce qui correspond approximativement aux chiffres de la Grèce), contre environ 0 % lorsque la mobilité professionnelle est élevée (ce qui correspond approximativement aux chiffres de la Suède).
← 14. Voir OECD (2021[22]) pour des tests de robustesse supplémentaires.
← 15. Les associations sont effectivement basées sur des comparaisons du degré moyen de transmission de la productivité au sein des secteurs dans des groupes de pays ayant des régimes de négociation collective différents. Les régimes de négociation collective ayant tendance à être profondément ancrés dans le cadre institutionnel plus large d’un pays, il est difficile d’isoler l’impact de régimes de négociation collective spécifiques dans le présent cadre.
← 16. Aux fins de l’analyse économétrique sous-jacente au Graphique 4.9, les régimes de négociation collective « centralisés » et « décentralisés organisés » sont regroupés. Les pays centralisés incluent France, Italie et Portugal ; les pays décentralisés organisés incluent Autriche, Allemagne, Pays-Bas, Norvège et Suède, et les pays totalement ou largement décentralisés incluent Canada, Costa Rica, Hongrie, Japon et Nouvelle‑Zélande.
← 17. L’adoption de salaires minimums a également été justifiée par les arguments suivants : i) promouvoir les incitations au travail en rendant le travail rémunérateur ; ii) augmenter les recettes fiscales et/ou la conformité fiscale en limitant la possibilité de sous-déclaration des salaires ; et iii) ancrer les négociations salariales.
← 18. Cela peut par exemple être le cas sur un marché du travail local fortement concentré. Voir le chapitre 3 pour une description détaillée.
← 19. L’élasticité de la main-d’œuvre au niveau de l’entreprise et celle au niveau global sont des concepts fondamentalement différents. Les élasticités au niveau de l’entreprise représentent le degré de concurrence entre les entreprises pour les travailleurs (ou les opportunités des travailleurs en dehors de l’entreprise) tandis que les élasticités globales représentent la décision d’entrer sur le marché du travail.
← 20. L’incapacité ou la réticence des entreprises à pratiquer une discrimination par les prix entre les travailleurs implique que les travailleurs existants reçoivent le même salaire que les travailleurs nouvellement embauchés. Cela signifie que les coûts de la main-d’œuvre augmentent plus rapidement lors de la progression de l’emploi que ne le suggère la courbe d’offre de main-d’œuvre. Si les entreprises pouvaient parfaitement observer les salaires de réserve des travailleurs, le coût marginal de la main-d’œuvre et la courbe d’offre de main-d’œuvre coïncideraient.
← 21. La minoration du salaire en dessous du produit de revenu marginal de la main-d’œuvre (c’est-à-dire que les salaires sont « minorés ») augmente proportionnellement à l’élasticité de l’offre de travail à l’entreprise. Si les entreprises pouvaient parfaitement observer les salaires de réserve des travailleurs, les salaires d’équilibre seraient égaux au produit de revenu marginal de la main d’œuvre mais, comme les produits de revenu marginal ne sont pas uniformisés entre les entreprises, les salaires seraient néanmoins proportionnels à la productivité moyenne de l’entreprise. En d’autres termes, la transmission de la productivité aux salaires au niveau de l’entreprise ne repose pas sur l’hypothèse de salaires de réserve non observables et de salaires minorés, mais sur une courbe d’offre de main-d’œuvre à pente ascendante.