Le présent chapitre analyse la manière dont l’essor du numérique modifie les besoins en compétences et les tâches réalisées par les travailleurs. La technologie peut remplacer les travailleurs en ce qui concerne les tâches routinières qui sont facilement automatisables, et elle est complémentaire pour ce qui des tâches plus exigeantes sur le plan cognitif, lesquelles supposent de la créativité ainsi que la capacité de résoudre des problèmes. Pour étudier ces corrélations entre le développement du numérique et les compétences et tâches des travailleurs, un nouvel ensemble d’analyses empiriques basées sur l’Enquête de l’OCDE sur les compétences des adultes (PIAAC) est utilisé. Pour réussir leur transition vers un monde du travail numérique et s’y épanouir, les travailleurs ont besoin non seulement de compétences numériques mais aussi d’un large éventail de compétences, y compris de compétences cognitives et socioémotionnelles. Dans les professions en lien avec les nouvelles technologies, des compétences numériques avancées sont nécessaires. Dans ce chapitre, les incidences de la transformation numérique sur les pays et les professions qui accusent un certain retard sont également évaluées.
Perspectives de l'OCDE sur les compétences 2019
Chapitre 2. Monde du travail numérique : les transformations des métiers et leurs répercussions sur les besoins en compétences
Abstract
L’avènement de la société numérique modifie profondément le monde du travail, notamment ce que les personnes font au travail, leur manière de travailler, l’endroit où elles travaillent, les compétences dont elles ont besoin pour rester sur le marché de l’emploi dans un monde en mutation ainsi que le type d’évolution de carrière qu’elles peuvent envisager. La transformation numérique fait appel à de nombreuses technologies et modifie donc le marché du travail de multiples façons. Le fait que la plupart des travailleurs utilisent internet, le fait que de plus en plus de tâches soient automatisables et la possibilité de proposer ses compétences par le biais de plateformes en ligne ont différentes conséquences sur les travailleurs et nécessitent différents moyens d’action. Les effets de la transformation numérique vont au-delà des secteurs de pointe traditionnels et des secteurs manufacturiers et impliquent de faire bien plus que de s’assurer que tous les travailleurs ou au moins une partie d’entre eux possèdent des compétences en matière de technologies de l’information et de la communication (TIC).
Le présent chapitre examine en quoi la transformation numérique influe sur le monde du travail, en mettant l’accent sur les compétences. Nous analysons comment les nouvelles technologies modifient i) les besoins en compétences et ii) l’utilisation et le développement des compétences. Une grande partie de l’analyse a été effectuée au niveau des professions, car cette approche semble être la plus pertinente pour examiner les effets de la transformation numérique sur les besoins en compétences et, partant, sur les politiques en lien avec les compétences.
La transformation numérique modifie les professions de trois façons, avec des répercussions sur l’offre et la demande de compétences et sur les travailleurs :
Les nouvelles technologies transforment les professions. Certaines tâches sont automatisées, d’autres sont exécutées différemment, car la technologie est alors complémentaire aux travailleurs. Globalement, les tâches qui caractérisent chaque profession évoluent et, par conséquent, les compétences exigées ne sont plus les mêmes. Ces changements concernent la plupart des travailleurs, qui doivent donc adapter leurs compétences.
Les nouvelles technologies font que certaines professions sont moins indispensables à l’économie. Dans certaines professions, la plupart des tâches sont automatisables, ce qui fait que ces professions risquent davantage de disparaître un jour. Les personnes qui exercent ces professions auront peut-être besoin de changer de profession pour rester sur le marché de l’emploi et devront donc alors adapter leurs compétences voire peut-être acquérir de nouvelles compétences et connaissances. Bien que les évaluations du risque d’automatisation soient variables, de même que le nombre d’emplois qui pourraient disparaître, des politiques sont nécessaires pour préparer les travailleurs à ce risque.
Les nouvelles technologies créent de nouvelles professions et de nouvelles façons de proposer ses compétences sur le marché. De nouvelles professions faisant appel directement aux nouvelles technologies se développent (spécialistes du traitement des mégadonnées, par exemple). Les préférences en matière de bien-être et de loisirs peuvent évoluer, entraînant le développement d’autres professions (entraîneurs sportifs, par exemple). Les plateformes en ligne entraînent des transformations majeures dans certains secteurs, mais elles permettent également à un plus large éventail de personnes de travailler plus facilement à leur compte. Les personnes doivent posséder les compétences nécessaires pour tirer profit de ces nouvelles possibilités d’emploi.
Globalement, pour tirer le meilleur parti de la transformation numérique, les politiques doivent être conçues pour veiller à ce que les travailleurs possèdent et développent les compétences nécessaires à la fois pour s’adapter aux changements qui se produisent au sein d’une même profession et d’une profession à l’autre. Autrement dit, les personnes doivent posséder les compétences nécessaires pour être résilientes et mobiles.
Le présent chapitre porte sur les transformations des professions et leurs répercussions sur les besoins en compétences. Dans le chapitre 3, nous examinerons comment les politiques de formation peuvent faciliter la mobilité entre les professions.
Les principales conclusions de ce chapitre sont les suivantes :
La transformation numérique comporte de nombreuses facettes, du développement des robots à l’économie à la demande. Ses effets sur les travailleurs diffèrent selon le pays, le secteur et l’entreprise où ils travaillent. L’adoption des nouvelles technologies donne lieu à la fois à des effets de substitution et de complémentarité. La technologie remplace les travailleurs dans la réalisation de certaines tâches automatisables, comme les tâches routinières (substitution). Les travailleurs ont recours à la technologie (outils TIC, par exemple) pour réaliser leurs tâches différemment et peut-être plus efficacement (complémentarité).
Les travailleurs doivent posséder le bon éventail de compétences pour réussir la transition vers le monde du travail numérique et y prospérer. Cet ensemble de compétences comprend, en premier lieu, de solides compétences cognitives générales à l’écrit et calcul et des compétences de niveau élémentaire en TIC. Il comprend également des qualités d’analyse et toute une gamme de compétences complémentaires telles que la capacité de résoudre des problèmes, la créativité et le raisonnement critique, le sens de la communication et une forte capacité de continuer à apprendre. Pour pouvoir exercer un métier porteur en lien avec les nouvelles technologies, il faut posséder des compétences en TIC de niveau avancé telles que le codage.
Le présent chapitre fournit une série d’arguments qui démontrent la nécessité de posséder un ensemble de compétences, et pas seulement numériques, pour travailler dans un environnement numérique :
Les personnes qui travaillent dans un environnement de travail où le numérique est présent ont tendance à exécuter plus souvent toutes les tâches considérées dans l’analyse – gestion et communication, comptabilité et vente, et tâches impliquant des compétences de niveau avancé en calcul. Les travailleurs plus exposés à la généralisation du numérique utilisent également davantage les compétences cognitives générales et exécutent davantage de tâches basées sur l’écrit et le calcul au travail.
Les personnes qui exercent un métier exposé à la technologie (par exemple, les développeurs de logiciels et d’applications, les spécialistes des bases de données et les techniciens de support informatique) exécutent des ensembles de tâches et possèdent des niveaux de compétences semblables à ceux des personnes qui exercent une autre profession exigeant un niveau d’études similaire, sauf qu’elles ont également besoin en compétences de niveau avancé en TIC telles que le codage.
Dans les secteurs à plus forte intensité numérique, les compétences bénéficient d’une prime salariale par rapport aux autres secteurs, mais cette prime est aussi importante pour les compétences en TIC que pour les compétences en calcul ou en gestion et communication.
Les travailleurs ont davantage de chances d’entretenir leurs compétences sur les lieux de travail les plus exposés à la transformation numérique. La comparaison de travailleurs présentant des caractéristiques similaires mais dont les environnements de travail n’en sont pas au même stade en ce qui concerne le passage au numérique laisse à penser que les environnements numériques aident les travailleurs à conserver leurs compétences en matière résolution de problèmes dans les environnements à forte composante technologique, tandis que les environnements non numériques risquent de rendre leurs compétences obsolètes. La transformation numérique a un impact différent selon les secteurs et les entreprises. Elle risque d’exacerber le déficit de compétences et de creuser les inégalités entre, d’une part, les personnes qui travaillent dans les secteurs et les entreprises (notamment les grandes entreprises) à la pointe de l’adoption des technologies et, d’autre part, celles qui travaillent dans les secteurs et les entreprises qui accusent du retard.
Les plateformes de travail en ligne peuvent donner aux travailleurs des perspectives d’emploi qu’ils n’auraient pas eues autrement, mais les flux sont asymétriques. Les États-Unis constituent le principal pays d’embauche, et l’Asie (Asie du Sud et du Sud-Est) représente un important fournisseur de services. La protection sociale et les droits du travail des travailleurs qui utilisent ces plateformes doivent être respectés. Il importe de veiller à ce que i) les travailleurs de l’économie dite « à la demande » bénéficient également des possibilités de formation et ii) les entreprises qui recherchent des compétences par le biais de plateformes de travail en ligne ne négligent donc pas l’investissement dans la formation des salariés. Le développement des plateformes de travail en ligne peut amener à devoir repenser la répartition des responsabilités en matière de formation des travailleurs entre plateformes, employeurs et salariés.
Les pays vont continuer d’être confrontés à d’importantes mutations du marché du travail, ce qui aura des répercussions sur les compétences. Parmi les pays participant à l’Enquête de l’OCDE sur les compétences des adultes (PIAAC), un groupe de pays (Chili, Grèce et Turquie) accusent du retard, ce qui donne à penser que le contenu des tâches professionnelles des personnes qui y travaillent risque de changer au cours des prochaines années, avec notamment une utilisation beaucoup plus importante de la technologie, et que ces personnes pourraient ne pas avoir les compétences nécessaires pour faire face à cette transformation. À l’inverse, d’autres pays (Danemark, Suède et Pays-Bas) sont à la pointe de la transformation numérique du lieu de travail, la plupart de leurs travailleurs utilisant les TIC de manière intensive et réalisant essentiellement des tâches non routinières.
Les emplois peu qualifiés (personnel des services directs aux particuliers, commerçants et vendeurs ; conducteurs d’installations et de machines, et ouvriers d’assemblage, par exemple) ou les emplois non qualifiés présentent des variations considérables entre les travailleurs quant à leur exposition au développement du numérique, selon les deux indicateurs considérés. Dans certaines de ces professions, les machines peuvent prendre en charge la réalisation des tâches routinières. Dans d’autres professions, les travailleurs qui ne se servent pas d’ordinateurs peuvent être tenus de commencer à les utiliser. La nature de ces emplois peu qualifiés peut donc évoluer. Les personnes qui exercent ces professions devront adapter leur éventail de compétences à l’évolution des besoins. En revanche, pour les professions hautement qualifiées telles que les directeurs, cadres de direction et gérants, les professions intellectuelles et scientifiques et les techniciens, l’exposition à la généralisation du numérique diffère nettement moins d’un travailleur à l’autre, ce qui laisse à penser que ces professions connaîtront probablement moins de changements, à moins que les perturbations technologiques escomptées ne surviennent.
Pour prospérer dans l’économie numérique, les travailleurs auront besoin de plus que de simples compétences en TIC. Ils auront également besoin en compétences complémentaires, à savoir de bonnes compétences à l’écrit et en calcul et les compétences socioémotionnelles requises pour collaborer et faire preuve d’adaptabilité. Cela implique dans un premier temps de veiller à ce que toutes les personnes acquièrent un bon niveau de compétences dans l’enseignement initial afin qu’elles puissent développer davantage ces compétences tout au long de leur vie et acquérir de nouvelles compétences au fil du temps. La réduction de la proportion de jeunes qui quittent l’école avec de faibles compétences de niveau élémentaire est encore plus importante dans un monde du travail numérique. En outre, les programmes d’enseignement et de formation professionnels doivent continuer de développer les compétences cognitives générales en plus des compétences spécifiques liées au travail. Les programmes universitaires doivent permettre aux étudiants de développer un ensemble plus large de compétences, y compris des compétences socioémotionnelles, en plus des compétences propres à leur domaine d’études.
La transformation numérique s’accompagne d’un besoin crucial de formation de qualité et accessible, car les besoins en compétences évoluent rapidement. Ces questions sont approfondies dans le chapitre 3.
Les évolutions récentes du monde du travail
La transformation numérique touche la plupart des travailleurs des pays de l’OCDE. Les dispositifs numériques omniprésents, la connectivité, les logiciels et les données modifient profondément l’organisation de la production, l’organisation intra-entreprises, ce que les personnes font au travail et la façon dont elles travaillent. Un nombre sans cesse croissant de personnes devront travailler avec la technologie.
En 2015, 57 % des travailleurs de l’Union européenne utilisaient régulièrement un ordinateur ou un smartphone au travail, contre 36 % seulement 10 ans auparavant (Eurofound, 2017[1]). L’Enquête de l’OCDE sur les compétences des adultes (PIAAC), qui a été menée en 2012 ou 2015 selon les pays, montre également que la majorité des travailleurs utilisent un ordinateur (Graphique 2.1). Toutefois, elle montre qu’il existe de grandes différences entre les pays en ce qui concerne la proportion de travailleurs utilisant internet, le courrier électronique et les logiciels.
Les travailleurs utilisent de plus en plus la technologie au travail. Même ceux qui n’utilisent pas la technologie peuvent constater que la nature de leur travail change en raison de l’automatisation croissante des tâches. La généralisation du numérique entraîne également des risques de disparition d’emplois. Les progrès de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique permettent d’automatiser certaines parties du processus de production en créant des machines intelligentes qui travaillent, apprennent et réagissent comme les humains. Le déploiement de robots industriels a transformé les processus de production, notamment dans le secteur manufacturier, attirant beaucoup l’attention des médias et du public. Il existe toutefois de grandes variations entre les pays en ce qui concerne l’utilisation des robots, ce qui reflète les différences dans l’adoption de la technologie (Graphique 2.2).
La transformation numérique comporte de multiples facettes qu’il est difficile de résumer en un seul indicateur. Il s’agit d’investir dans les outils « numériques » les plus perfectionnés, de les développer puis de les intégrer dans la production avec l’aide des travailleurs ayant les compétences appropriées et enfin de les utiliser dans les relations avec les clients et les fournisseurs (Calvino et al., 2018[3]). Si l’on tient compte de la nature multidimensionnelle de la transformation numérique, il apparaît clairement que l’adoption des technologies numériques diffère aussi considérablement d’un secteur à l’autre (Graphique 2.3). Les utilisateurs précoces sont non seulement le secteur des TIC, comme on peut s’y attendre, mais aussi certains secteurs des services tels que la finance et l’assurance. En outre, si la plupart des entreprises de l’OCDE ont désormais accès aux réseaux à haut débit, il existe de grandes différences d’une entreprise à l’autre en ce qui concerne l’utilisation des technologies numériques plus avancées, notamment par les PME (Andrews, Nicoletti et Timiliotis, 2018[4]).
L’émergence des plateformes en ligne modifie aussi profondément le monde du travail. Des entreprises comme Amazon, Facebook, Google et Uber ont créé des structures en ligne qui permettent un large éventail d’activités professionnelles. Ces plateformes sont de nature diverse et influent donc différemment sur les marchés du travail. De nombreux travailleurs utilisent Google pour rechercher des informations qui étaient plus difficiles à trouver auparavant. Certaines plateformes (Upwork, Uber) permettent d’offrir ses compétences sur le marché du travail, souvent en dehors des contrats de travail standard et en plus d’autres activités professionnelles. Les personnes utilisent d’autres plateformes pour signaler leurs compétences et se créer des réseaux (LinkedIn, Facebook). Les sites de recherche d’emploi tels que LinkedIn et Monster modifient la façon dont les personnes cherchent du travail et dont les entreprises identifient et recrutent les talents.
Les plateformes numériques entraînent la réorganisation d’un large éventail de marchés, de relations de travail et de contrats et, à terme, la création et la récupération de valeur (Kenney et Zysman, 2016[6]). Ainsi, Uber a profondément modifié l’organisation du secteur des taxis. L’essor de l’économie à la demande soulève des questions sur la protection sociale et les droits des travailleurs en ligne, ainsi que sur leur capacité à accéder à la formation continue et à la financer. Si la part des travailleurs qui exercent leur activité principale sur des plateformes en ligne augmentait, la relation entre les travailleurs et les employeurs deviendrait plus ténue, ce qui réduirait l’implication des employeurs dans les politiques de formation. Dans le même temps, la plupart des travailleurs peuvent accéder à des plateformes de formation en ligne qui proposent des cours gratuits (chapitre 4).
Substitution et complémentarité entre technologie et compétences : comprendre les effets
La technologie permet aux travailleurs d’accomplir certaines tâches plus efficacement, en complétant leurs compétences. Par exemple, les personnels d’encadrement utilisent des logiciels informatiques pour organiser le travail de leur équipe, surveiller les résultats et améliorer leur productivité collective. Les scanners augmentent considérablement la vitesse et l’efficacité des caissiers. Si la technologie permet d’accroître la productivité des travailleurs hautement qualifié et peu qualifiés, elle favorise généralement la main-d’œuvre qualifiée par rapport à la main-d’œuvre non qualifiée en augmentant sa productivité relative (Acemoglu, 1998[7] ; Autor, Katz et Krueger, 1998[8]). Les nouvelles technologies de l’information tendent à venir en complément de la main-d’œuvre qualifiée, un effet connu sous le nom de changement technologique biaisé en faveur des compétences.
La technologie remplace aussi les travailleurs. Les ordinateurs, les logiciels et les robots peuvent réaliser des tâches routinières telles que celles qui impliquent des activités manuelles (assemblage, emballage et tri du courrier) et celles qui peuvent être accomplies en suivant des règles explicites bien précises (Autor, Levy et Murnane, 2003[9]).
Globalement, la généralisation du numérique touche les travailleurs de deux manières :
Un effet de complémentarité : La technologie permet aux travailleurs de réaliser des tâches différemment et peut-être plus efficacement (la recherche d’informations ou la communication avec les collègues ou les clients, par exemple). De plus en plus de travailleurs chargés de résoudre des problèmes et de mener à bien des actions de communication utilisent les outils TIC sur leur lieu de travail.
Un effet de substitution : La technologie remplace les travailleurs dans la réalisation de certaines tâches automatisables. Les tâches routinières étant plus faciles à automatiser, l’effet de substitution diminue le degré d’intensité de la routine au travail.
Avec le développement du numérique, les travailleurs exécutent davantage de tâches non routinières à forte intensité de TIC, et moins de tâches non routinières sans recours la technologie, comme l’illustre le passage de (A) à (B) dans le Graphique 2.4. Les travailleurs peuvent s’aider des ordinateurs pour la réalisation des tâches routinières, bien qu’il soit probable que ces tâches finiront par être entièrement automatisées. De plus en plus, les ordinateurs sont complémentaires aux travailleurs dans leurs tâches non routinières, tandis que certaines tâches routinières qui n’impliquent pas les TIC (celles qui impliquent un contact direct, par exemple) continuent d’être réalisées par les travailleurs. Globalement, les travailleurs ont alors tendance à réaliser plutôt des tâches non routinières à forte intensité de TIC ou bien des tâches routinières à faible intensité de TIC, comme l’illustre le passage de (A) à (C).
La généralisation du numérique au travail modifie les besoins en compétences et le développement des compétences. Certaines tâches étant automatisées (effet de substitution), certaines compétences sont moins nécessaires alors que d’autres gagnent de l’importance. Étant donné que les travailleurs utilisent la technologie (effet de complémentarité), ils travaillent différemment, ce qui influe sur la façon dont ils développent leurs compétences. Il existe une dynamique continue et auto-renforçante entre les compétences des travailleurs et les tâches qu’ils accomplissent (Heckman et Corbin, 2016[10] ; Cavounidis et Lang, 2017[11]). La technologie modifie l’ensemble de tâches que les travailleurs réalisent et vient en complément de leurs compétences uniques, mais elle ne se substitue pas totalement aux humains (Encadré 2.1).
Encadré 2.1. Substitution et complémentarité entre développement du numérique, tâches et compétences : quelques exemples illustratifs
Bien que certaines des technologies les plus avancées comme l’intelligence artificielle (IA) n’en soient qu’à leurs débuts, des exemples allant des professions peu qualifiées aux professions très qualifiées donnent à penser que la technologie a eu des effets de substitution et de complémentarité, mais qu’elle ne remplace pas entièrement les humains. Plutôt, elle modifie le contenu des tâches des travailleurs et vient renforcer et compléter leurs compétences uniques.
Le personnel des entrepôts et de la chaîne de production
Les robots ont été adoptés dans de nombreuses secteurs, mais les systèmes les plus automatisés ont encore tendance à manquer de polyvalence. Les usines automobiles modernes, par exemple, utilisent des robots industriels pour installer des pare-brise sur les nouveaux véhicules à mesure qu’ils avancent sur la chaîne de montage. Pourtant, les entreprises de remplacement de pare-brise emploient des techniciens plutôt que des robots pour remplacer les pare-brise cassés. Amazon a automatisé une partie de son entrepôt, et les robots s’occupent des tâches routinières telles que le déplacement des étagères. Toutefois, l’entreprise continue d’employer de nombreux travailleurs pour localiser et manipuler les marchandises, les étiqueter et les expédier. Dans de nombreuses situations, l’automatisation n’est pas adaptée à un environnement où la polyvalence est de mise, de sorte que la plus grande adaptabilité des travailleurs leur donne un avantage comparatif sur les robots.
Les caissiers
Depuis la mise en place des caisses automatiques, le rôle des caissiers a évolué vers l’assistance à la clientèle. Leur rôle peut désormais consister à aider les clients à utiliser correctement les caisse automatiques ainsi qu’à contrôler le bon fonctionnement des machines (Andrews, 2009[12]). Les caissiers sont également redéployés au sein du magasin vers d’autres tâches telles que le service après-vente et la vente. Cependant, les boutiques continuent généralement de proposer des caisses traditionnelles à côté des caisses automatiques parce que certaines personnes préfèrent interagir avec un être humain plutôt qu’avec une machine. Cette valeur sociétale attachée aux relations humaines donne aux travailleurs un nouveau type d’avantage comparatif sur les machines, même dans les emplois peu qualifiés qui sont techniquement automatisables. Pour des raisons similaires, il est probable que des emplois tels que les soins infirmiers ou les soins aux personnes âgées resteront à forte intensité de main-d’œuvre, même s’ils sont jusqu’à présent moins faciles à automatiser.
Les caissiers de banque
Aux États-Unis, le nombre de guichets automatiques de banque a plus que quadruplé entre 1990 et les années 2010 (Bessen, 2016[13]). Toutefois, cette expansion n’a pas entraîné une diminution du nombre de caissiers de banque. Au lieu de cela, l’automatisation des tâches routinières de traitement des espèces a modifié le rôle des caissiers de banque, qui se concentrent désormais essentiellement sur la promotion des relations avec la clientèle. On attend des caissiers de banque qu’ils soient des vendeurs plutôt que des caissiers (Autor, 2015[14]). L’émergence des guichets automatiques de banque a modifié le contenu du travail des caissiers de banque. La technologie remplace ces travailleurs dans la réalisation des tâches routinières et leur est complémentaire dans la réalisation des tâches non routinières.
Les journalistes
Comme beaucoup de professions, le journalisme a été radicalement transformé par le développement du numérique (Örnebring, 2010[15]). Non seulement la technologie oblige les journaux et les magazines à réinventer leurs modèles économiques, mais elle a aussi modifié la pratique des journalistes eux-mêmes. Ces dernières années, les agences de presse ont recours à des logiciels d’IA sophistiqués pour automatiser la rédaction des articles, pour identifier l’information chaude provenant de témoins oculaires ainsi que pour aider les journalistes dans leurs reportages d’investigation (Carlson, 2015[16]). Ainsi, le Los Angeles Times utilise un programme informatique nommé Quakebot pour rendre compte automatiquement des tremblements de terre, Reuters utilise News Tracer pour donner un avantage à ses journalistes dans l’identification de l’information chaude, et le logiciel Heliograf utilisé par le Washington Post écrit tout seul des articles depuis les Jeux olympiques de Rio de 2016 (Underwood, 2017[17]). Le journalisme automatisé n’en est encore qu’à ses balbutiements, mais les études de cas tendent à montrer que les journalistes humains et les « journalistes robots » peuvent se compléter : les robots peuvent facilement rendre compte d’une multitude d’événements simples (jeux sportifs, résultats de sondage, criminalité, etc.), tandis que les humains peuvent se concentrer sur des histoires créatives et détaillées (Van Dalen, 2012[18]).
Les traducteurs
La traduction automatique existe depuis des décennies. Au cours des cinq dernières années, cependant, les progrès réalisés dans divers domaines de l’IA, et notamment en ce qui concerne les réseaux neuronaux artificiels, ont grandement amélioré la précision des services de traduction (Gideon, 2016[19] ; Larousserie, 2017[20]). Par exemple, la version de Google Translate faisant appel à l’IA lancée fin 2016 a été capable de s’améliorer du jour au lendemain à peu près autant que la version précédente pendant toute son existence (Gideon, 2016[19]). Ces résultats prodigieux risquent de perturber considérablement le travail des traducteurs, peut-être pour le meilleur. Au fur et à mesure que le logiciel gagnera en précision, les traducteurs pourront l’utiliser pour le premier jet et se concentrer sur l’utilisation des compétences linguistiques spécifiques qui font défaut au logiciel (du moins pour le moment) pour améliorer le style ou la fluidité de la traduction, identifier les expressions idiomatiques et les traduire en conséquence, reconnaître l’humour ou le sarcasme et faire en sorte qu’ils soient compris en conséquence.
Les avocats
Certaines des tâches réalisées par les avocats sont d’ores et déjà remplacées ou facilitées par des machines (Williams, 2016[21]). Ainsi, Kira, un programme d’apprentissage assisté par ordinateur qui analyse les contrats juridiques, « réduit de 20 à 60 % le temps nécessaire à la révision des contrats », selon le directeur général de l’entreprise qui le produit (Lohr, 2017[22]). Un autre programme appelé Ross Intelligence, une application juridique développée à partir du Watson d’IBM, est capable de répondre à des questions juridiques avec une note d’information de deux pages du jour au lendemain (Lohr, 2017[22] ; Remus et Levy, 2016[23]). Comme les traducteurs, les juristes humains améliorent la première version produite par la machine. Selon les estimations d’une étude basée sur les données relatives au temps de travail des avocats en 2014 dans les grands cabinets d’avocats, si toutes les technologies existantes étaient immédiatement adoptées par les cabinets d’avocats, le nombre d’heures travaillées serait réduit de 13 % (Remus et Levy, 2016[23]). Une période d’adoption plus réaliste de cinq ans ramène ce pourcentage à 2.5 % par an. Ces estimations sont de portée restreinte, car de nombreuses tâches réalisées par les avocats exigent des connaissances techniques non structurées (rédaction juridique, gestion de documents) ou des compétences interpersonnelles et émotionnelles (conseils aux clients, comparutions en cour). Les gains de temps qu’apporte la technologie ne s’accompagneront probablement que de faibles économies de main-d’œuvre. En fait, l’augmentation de la productivité découlant du recours à l’intelligence artificielle pourrait accroître la demande de conseils juridiques sachant que les coûts diminuent.
Les radiologues
Le diagnostic assisté par ordinateur (DAO) « fait désormais partie du travail clinique de routine pour la détection du cancer du sein par mammographie dans de nombreux centres de dépistage et hôpitaux aux États-Unis » (Shiraishi et al., 2011[24]). Le DAO ne remplace pas les radiologues ni les dermatologues dans la détection des lésions et l’évaluation de l’étendue de la maladie, mais il leur donne un deuxième avis leur permettant d’améliorer et d’ajuster leur diagnostic initial (Deepa et Aruna Devi, 2011[25] ; Doi, 2007[26]). Cette assistance devient de plus en plus fiable avec la disponibilité croissante de grands ensembles de données médicales. En moyenne, un dermatologue à temps plein peut voir environ 200 000 cas au cours de sa carrière. Par comparaison, un algorithme basé sur des réseaux de neurones artificiels conçu par des chercheurs de Stanford a pu analyser près de 130 000 cas en trois mois (Mukherjee, 2017[27]). Cet algorithme s’est révélé aussi performant que les dermatologues dans la détection du cancer de la peau (Esteva et al., 2017[28]). Toutefois, les algorithmes ne remplaceront pas les oncologues dans un proche avenir. On aura toujours besoin des médecins pour comprendre les conclusions du programme, pour évaluer les causes possibles du diagnostic et pour interagir avec les patients. De plus, il est difficile d’ignorer les aspects éthiques du recours exclusif à la technologie : qui serait responsable en cas de diagnostic erroné de la machine ? Les meilleures performances des machines dans certains diagnostics auront probablement pour effet non pas de remplacer les radiologues mais d’améliorer leur jugement.
Source : Andrews, C. (2009[12]) Do-It-Yourself': Self-checkouts, Supermarkets, and the Self-Service Trend in American Business, https://drum.lib.umd.edu/handle/1903/9593?show=full ; Bessen, J. (2016[13]) “How computer automation affects ocupations: Technology, jobs, and skills”, http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.2690435; Autor, D. (2015[14]), “Why are there still so many jobs? The history and future of workplace automation”, http://dx.doi.org/10.1257/jep.29.3.3; Örnebring, H. (2010[15]), “Technology and journalism‑as‑labour: Historical perspectives”, http://dx.doi.org/10.1177/1464884909350644; Carlson, M. (2015[16]), “The robotic reporter”, http://dx.doi.org/10.1080/21670811.2014.976412; Underwood, C. (2017[17]), Automated Journalism - AI Applications at New York Times, Reuters, and Other Media Giants, https://www.techemergence.com/automated‑journalism‑applications/; Van Dalen, A. (2012[18]), “The algorithms behind the headlines”, http://dx.doi.org/10.1080/17512786.2012.667268; Gideon, L. (2016[19]), The Great A.I. Awakening, http://dx.doi.org/10.1002/cne.21974; Larousserie, D. (2017[20]), La traduction dopée par l’intelligence artificielle, http://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/11/27/la‑traduction‑dopee‑par‑l‑intelligence‑artificielle_5221041_1650684.html?xtmc=la_traduction_dopee_par_l_intelligence_artificielle&xtcr=1; Williams, M. (2016[21]), “'Moneyball for lawyers’: How technology will change the practice of law”, https://www.lawsocietysa.asn.au/bulletin/BULL_Moneyball_for_lawyers.PDF; Lohr, S. (2017[22]), A.I. Is Doing Legal Work. But It Won’t Replace Lawyers, Yet, https://www.nytimes.com/2017/03/19/technology/lawyers-artificial-intelligence.html; Remus, D. and F. Levy (2016[23]), “Can robots be lawyers? Computers, lawyers, and the practice of law”, http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.2701092; Shiraishi, J. et al. (2011[24]), “Computer‑aided diagnosis and artificial intelligence in clinical imaging”, http://dx.doi.org/10.1053/J.SEMNUCLMED.2011.06.004; Deepa, S. and B. Aruna Devi (2011[25]), “A survey on artificial intelligence approaches for medical image classification”, http://52.172.159.94/index.php/indjst/article/view/30291/26223 , K. (2007[26]), “Computer-aided diagnosis in medical imaging: Historical review, current status and future potential”, http://dx.doi.org/10.1016/j.compmedimag.2007.02.002; Mukherjee, S. (2017[27]), A.I. Versus M.D., https://www.newyorker.com/magazine/2017/04/03/ai-versus-md; Esteva, A. et al. (2017[28]), “Dermatologist-level classification of skin cancer with deep neural networks”, http://dx.doi.org/10.1038/nature21056.
La façon dont la technologie entre sur le marché du travail dépend des compétences des travailleurs, des pratiques d’encadrement et de plusieurs autres facteurs propres à l’entreprise et à l’industrie qui déterminent l’organisation du travail et de la production, ainsi que la capacité de changement. Les politiques qui influent sur l’organisation de la production contribuent de façon décisive à l’adoption des nouvelles technologies (Milgrom et al., 1990[29]). Il importe également d’adopter la technologie dans le cadre d’une organisation globale (Brynjolfsson, Renshaw et Van Alstyne, 1997[30]). La structure organisationnelle, les compétences et la concurrence ont toutes été suggérées comme étant les facteurs qui jouent le rôle le plus important dans l’adoption de la technologie (Gallego, Gutierrez et Lee, 2015[31] ; Andrews, Nicoletti et Timiliotis, 2018[32]).
Les politiques ont également une influence importante sur la proportion dans laquelle la technologie sera vouée essentiellement à remplacer ou bien à compléter les compétences des travailleurs, et donc sur l’impact de la transformation numérique sur les niveaux d’emploi et la croissance. Les investissements qui viennent compléter la technologie elle-même comprennent les investissements dans les compétences, dans le changement organisationnel, dans les nouveaux processus et modèles économiques, ainsi que dans les actifs immatériels qui aident à créer de la valeur à partir des nouvelles technologies (OCDE, 2018[33]).
Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de consensus sur l’impact global de la transformation numérique sur l’emploi, car il est difficile de rendre compte des multiples aspects de la transformation numérique et parce que des emplois seront créés tandis que d’autres seront détruits (Encadré 2.2.). Toutefois, il apparaît de plus en plus évident que la transformation numérique entraîne une profonde restructuration du marché du travail, affectant ainsi la répartition des emplois, des salaires et des revenus (OCDE, 2018[33]). Les travailleurs hautement qualifiés ont eu tendance à profiter davantage du changement technologique, car ils possèdent des compétences qui viennent compléter la technologie dans la réalisation de tâches non routinières telles que la capacité de résoudre des problèmes ou les activités de communication créatives et complexes. En conséquence, au cours des vingt dernières années, la part des emplois hautement qualifiés (et celle des emplois peu qualifiés dans une certaine mesure) a augmenté dans la plupart des pays de l’OCDE, tandis que la part des emplois moyennement qualifiés a diminué.
Toutefois, à long terme, les travailleurs peu qualifiés sont ceux qui risquent le plus de supporter les coûts de la transformation numérique. Si certaines tâches hautement qualifiées sont également exposées au risque d’automatisation, les travailleurs peu qualifiés semblent le plus exposés au risque de perdre leur emploi, d’être confrontés à une concurrence accrue de la part des travailleurs moyennement qualifiés, de ne pas s’adapter aux nouvelles technologies et pratiques de travail et enfin de ne pas tirer profit des nouvelles possibilités qui découlent de la transformation numérique.
Des disparités existent à l’intérieur même des pays ainsi que d’un pays à l’autre, car de nouveaux emplois apparaissent ailleurs que là où des emplois ont disparu. Les régions ne sont pas toutes aussi préparées à faire face à l’impact de la transformation numérique. Dans les pays présentant d’importants écarts de niveaux de compétence entre les régions, il y a davantage de chances que les entreprises de haute technologie à croissance rapide qui créent des emplois soient concentrées dans des régions hautement qualifiées. Les travailleurs peu qualifiés ont plus de mal à trouver du travail dans ces régions, car ils sont confrontés à la concurrence de travailleurs qui sont davantage qualifiés. Ces inégalités géographiques peuvent exacerber les inégalités globales.
Encadré 2.2. Évaluation de l’impact de la transformation numérique sur l’emploi
La transformation numérique comporte de nombreuses facettes et fait appel à toute une gamme de technologies qui influent différemment sur les besoins en compétences et les emplois. Il est difficile de mesurer l’impact de la transformation numérique sur l’emploi. La plupart des études sont axées sur l’automatisation, qui peut découler non seulement de l’application de l’IA mais aussi d’autres types de technologies qui ne sont pas nécessairement liées à la transformation numérique. Inversement, l’IA va au-delà de l’automatisation, car elle vise à créer des machines intelligentes qui fonctionnent et réagissent comme les humains (via l’apprentissage automatique). La transformation numérique comprend également d’autres aspects – tels que les plateformes en ligne et l’analyse de mégadonnées – qui peuvent avoir des effets sur le marché du travail différents de ceux qui découlent de l’automatisation accrue des tâches.
Par conséquent, les données sur l’incidence nette des robots et d’autres technologies assistées par ordinateur sur l’emploi sont disparates (OCDE, 2016[34]). Ainsi, bien qu’ils soient un vecteur direct de remplacement de la main-d’œuvre, les gains de productivité qu’ils induisent peuvent également accroître l’emploi dans l’entreprise ou permettre l’émergence de nouvelles activités productives, créant ainsi des emplois. Lorsque ces effets positifs du développement du numérique sur l’emploi et les salaires sont pris en compte, on constate que l’adoption des robots entraîne une destruction nette d’emplois aux Etats-Unis (Acemoglu et Restrepo, 2017[35]) alors que les données recueillies dans plusieurs pays montrent que les pertes d’emplois ne concernent que les travailleurs peu qualifiés (Graetz et Michaels, 2018[36]). Selon un indicateur plus large du changement technologique (la croissance de la productivité totale des facteurs), même lorsque l’emploi baisse dans un secteur donné alors que la productivité augmente dans le secteur en question, cette baisse est plus que compensée par des retombées positives dans d’autres secteurs (Autor et Salomons, 2018[37]). Le recours à la délivrance de brevets pour identifier les innovations dans le domaine de l’automatisation montre que l’automatisation stimule l’emploi total comme la croissance de l’emploi dans le secteur des services compense une baisse de l’emploi dans le secteur manufacturier (Mann et Puttmann, 2017[38]).
Source :OECD (2016[34]), « ICTs and Jobs: Complements or Substitutes? », http://dx.doi.org/10.1787/5jlwnklzplhg‑en; Acemoglu, D. and P. Restrepo (2017[35]), « Robots and jobs: Evidence from US labor markets », https://www.nber.org/papers/w23285.ack (consulté le 3 novembre 2017) ; Graetz, G. and G. Michaels (2018[36]), « Robots at work », http://dx.doi.org/10.1162/rest_a_00754; Autor, D. and A. Salomons (2018[37]), « Is automation labor‑displacing? Productivity growth, employment, and the labor share », https://www.brookings.edu/wp‑content/uploads/2018/03/1_autorsalomons.pdf (consulté le 4 juillet 2018); Mann, K. and L. Puttmann (2017[38]), « Benign effects of automation: New evidence from patent texts », http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.2959584.
Évolution des besoins en compétences au travail
À partir de cette section, nous utilisons l’Enquête de l’OCDE sur les compétences des adultes (PIAAC) pour analyser comment le développement du numérique modifie les besoins en compétences sur le lieu de travail. Le propos va au-delà de la distinction habituelle entre les tâches routinières et les tâches non routinières, l’objectif étant de comprendre comment le développement du numérique influe sur les besoins en compétences en changeant la fréquence et la combinaison des tâches réalisées sur le lieu de travail.
Le recours au PIAAC aux fins d’estimation de l’évolution des besoins en compétences sur le lieu de travail
Le PIAAC fournit un large éventail d’informations sur les compétences des adultes et les tâches qu’ils accomplissent au travail, lesquelles peuvent être analysées à l’aide du cadre présenté dans le Graphique 2.4. Ces informations peuvent être utilisées pour la création de deux indicateurs d’exposition au développement du numérique sur le lieu de travail (Encadré 2.3).
L’indicateur de l’intensité d’utilisation des TIC au travail montre dans quelle mesure la technologie est complémentaire aux travailleurs dans l’accomplissement de leurs tâches. Le calcul s’effectue à partir de la fréquence à laquelle les travailleurs réalisent une gamme de tâches telles que la lecture et la rédaction de courriels ou bien l’utilisation de logiciels ou d’un langage de programmation à l’aide d’un ordinateur et d’internet (Grundke et al., 2017[39]). L’indicateur de l’intensité des tâches non routinières reflète comment la technologie remplace les travailleurs dans leurs tâches routinières. Le calcul s’effectue à l’aide de questions sur le degré de latitude dont disposent les travailleurs pour modifier ou choisir l’ordre dans lequel ils vont réaliser les tâches qui leur ont été confiées, sur la façon dont les personnes travaillent et enfin sur la façon dont les personnes planifient et organisent leur travail, ce qui peut se rapprocher de la réalisation de tâches non routinières (Marcolin, Miroudot et Squicciarini, 2016[40]).
Il est difficile de discerner la part de contenu routinier des tâches accomplies au niveau individuel, car elle est en majeure partie inobservable, d’où le recours à une mesure indirecte. Le PIAAC dispose d’informations sur le degré d’indépendance des travailleurs dans la planification et l’organisation de leurs activités et de leur temps, ainsi que sur leur latitude décisionnelle quant au choix des tâches à réaliser et à l’ordre dans lequel les réaliser, ce qui permet d’obtenir une mesure indirecte de la part du contenu routinier des tâches réalisées au niveau individuel. L’analyse repose également sur les informations suivantes (Encadré 2.3) :
les indicateurs de compétences qui reflètent la fréquence de réalisation des tâches faisant appel à des compétences spécifiques (appelés « indicateurs de compétences fonctionnelles ») : les compétences en gestion et en communication, les compétences en comptabilité et en vente, et enfin les compétences de niveau avancé en calcul (Tableau 2.1).
un indicateur de « la maturité pour l’apprentissage » fondé sur les informations issues de l’auto-évaluation.
les compétences cognitives évaluées au moyen de tests dans trois domaines : la lecture et l’écriture, le calcul et enfin la capacité de résoudre des problèmes dans un environnement à forte composante technologique (également appelée « compétences en résolution de problèmes ou en informatique »).
Le PIAAC, qui a été mis en œuvre entre 2012 et 2015 selon les pays, ne peut saisir tous les aspects du développement du numérique dans le monde du travail. Notamment, il ne fournit pas d’informations sur les nouvelles formes de travail (les conducteurs d’Uber, les conducteurs de Deliveroo, les conducteurs de Deliveroo, les bricoleurs de TaskRabbit, par exemple) ni sur la manière dont les travailleurs peuvent utiliser les plateformes et internet pour commercialiser leurs compétences, ni même sur les nouveaux emplois qui ont émergé depuis (le marketing des réseaux sociaux, par exemple). Ces questions sont abordées plus loin dans le chapitre. De plus, étant donné que l’enquête est effectuée à un moment bien précis pour chaque pays, elle ne peut pas fournir une indication sans équivoque de la manière dont le développement du numérique modifie le monde du travail au fil du temps.
Encadré 2.3. Méthodologie : indicateurs de développement du numérique et autres indicateurs pris en compte dans l’analyse
L’Enquête de l’OCDE sur les compétences des adultes (PIAAC) évalue les compétences cognitives des adultes selon trois dimensions : la lecture et l’écriture, le calcul et enfin la capacité de résoudre des problèmes dans un environnement à forte composante technologique. En outre, l’enquête mesure la fréquence à laquelle les personnes exécutent plusieurs tâches, notamment la lecture, l’écriture, le calcul, les TIC et la capacité de résoudre des problèmes, ce qui correspond en partie aux aptitudes cognitives évaluées par les tests. Elle comprend également des informations sur la fréquence à laquelle les travailleurs exécutent d’autres tâches telles que celles relatives à la gestion, à la communication, à l’organisation et à la planification ainsi qu’aux travaux physiques. Les travailleurs font également état de leurs attitudes à l’égard de l’apprentissage, de la confiance, de la santé et d’autres questions.
Intensité des tâches non routinières
L’intensité des tâches de travail routinières/non routinières est calculée selon la méthodologie proposée par Marcolin, Miroudot et Squicciarini (2016[40]). L’indicateur s’appuie sur quatre questions qui permettent de déterminer dans quelle mesure le travail d’une personne est codifiable et séquençable : 1) « Dans quelle mesure pouvez-vous choisir ou modifier l’ordre dans lequel vous allez réaliser les tâches qui vous ont été confiées ? » (séquençabilité) ; 2) « Dans quelle mesure pouvez-vous choisir ou modifier la façon dont vous faites votre travail ? » (flexibilité) ; 3) « À quelle fréquence votre travail actuel implique-t-il la planification de vos activités ? » (planification) ; 4) « À quelle fréquence votre travail actuel implique-t-il l’organisation de votre temps ? » (auto-organisation).
Chaque réponse correspond à une valeur comprise entre 1 et 5 (selon l’échelle de Likert de valeurs entières, 1 correspondant à « pas du tout » ou « jamais » et 5 à « dans une très large mesure » et « chaque jour » selon la question). Pour faire en sorte qu’un individu qui répond « pas du tout » ou « jamais » à chaque question obtienne un score de 0, on soustrait 1 des valeurs attribuées aux réponses (de sorte que les valeurs sont comprises entre 0 et 4). L’indice d’intensité des tâches routinières/non routinières est la moyenne des réponses à ces quatre questions. Il est proche de 0 lorsque le travail est à forte intensité de routine et de 1 lorsque le travail est à faible intensité de routine.
Intensité d’utilisation des TIC au travail et autres indicateurs de compétences fonctionnelles
L’intensité d’utilisation des TIC par les travailleurs ainsi que les autres indicateurs de compétences fonctionnelles utilisés dans cette étude ont été élaborés par Grundke et al. (2017[39]). Dans cette étude, nous avons résumé les 57 questions de l’enquête en six facteurs appelés « compétences fonctionnelles », car ces dernières reflètent les types de tâches que les travailleurs réalisent et, par conséquent, les compétences qu’ils peuvent vraisemblablement acquérir. Ces six compétences fonctionnelles sont les suivantes (Tableau 2.1) :
1. Intensité d’utilisation des TIC. Cet indicateur décrit les tâches associées à l’utilisation des TIC, depuis la lecture et la rédaction de courriels jusqu’à l’utilisation d’un logiciel de traitement de texte, d’un tableur ou d’un langage de programmation. Il est utilisé comme l’un des indicateurs de l’exposition au numérique.
2. Sens de l’auto-organisation. Cet indicateur inclut les questions relatives à l’étendue de la flexibilité au travail et au séquençage des tâches. Étant donné que certaines de ces questions sont utilisées dans l’indice d’intensité des tâches non routinières, ce facteur est exclu de l’analyse.
3. Compétences en matière de gestion et de communication. Cet indicateur regroupe un ensemble d’éléments divers, allant de l’enseignement à la planification des activités d’autres personnes. Toutes ces activités impliquent de communiquer avec d’autres personnes et de gérer d’autres personnes, qu’il s’agisse ou non de collègues de travail.
4. Compétences en comptabilité et en vente. Cet indicateur inclut les questions relatives à la réalisation de tâches telles que la lecture des états financiers, le calcul des coûts ou des budgets, l’utilisation d’une calculatrice et la vente de produits ou de services.
5. Compétences de niveau avancé en calcul. Cet indicateur inclut les questions relatives à la réalisation de tâches numériques telles que l’utilisation de règles d’algèbre ou de formules simples, ou l’emploi de mathématiques ou de statistiques de niveau avancé, des tâches plus complexes et moins spécifiques que celles de l’indicateur précédent.
6. Maturité pour l’apprentissage. Cet indicateur se compose d’éléments conçus pour mesurer cette dimension, à savoir, par exemple, l’établissement d’un lien entre les nouvelles idées et la vie réelle ou le plaisir d’apprendre des choses nouvelles.
Chaque compétence fonctionnelle a un score compris entre 0 et 1 et est calculée au niveau individuel. Un score plus élevé est associé à une plus grande fréquence de réalisation des tâches sur le lieu de travail. La comparaison des intensités entre travailleurs est soumise à une limitation, à savoir que le passage de « jamais » à « moins d’une fois par mois » n’implique pas le même changement que le passage de « au moins une fois par semaine mais pas tous les jours » à « tous les jours ».
Source : Marcolin, L., S. Miroudot and M. Squicciarini (2016[40]), “The Routine Content Of Occupations: New Cross‑Country Measures Based On PIAAC”, http://dx.doi.org/10.1787/5jm0mq86fljg‑en; Grundke, R. et al. (2017[39]); “Skills and global value chains: A characterisation”, http://dx.doi.org/10.1787/cdb5de9b-en.
Tableau 2.1. Indicateurs de compétences impliquées dans la réalisation des tâches (compétences fonctionnelles)
Liste des éléments de l’Enquête de l’OCDE sur les compétences des adultes (PIAAC) inclus dans les indicateurs de compétences fonctionnelles
Indicateurs de compétences fonctionnelles |
Éléments inclus dans l’indicateur |
---|---|
Compétences en TIC |
Fréquence : d’utilisation d’Excel ; d’utilisation du langage de programmation ; des transactions par internet (opérations bancaires, vente/achat) ; d’utilisation du courrier électronique ; de navigation sur internet ; d’utilisation des mots ; de discussions en temps réel par ordinateur TIC ; de lecture de lettres, de courriels, de notes de service ; de rédaction de lettres, de courriels, de notes de service ; de réalisation de travaux physiques sur de longues périodes. Niveau d’utilisation de l’ordinateur exigé pour le poste. |
Maturité pour l’apprentissage |
J’aime aller au fond des choses difficiles ; si je ne comprends pas quelque chose, je cherche des informations supplémentaires y voir plus clair ; lorsque je suis confronté à quelque chose de nouveau, j’essaie de faire le lien avec ce que je sais déjà ; lorsque j’entends ou je lis des idées nouvelles, j’essaie de faire le lien avec des situations réelles auxquelles elles peuvent s’appliquer ; j’aime apprendre des choses nouvelles ; j’aime comprendre comment différentes idées s’articulent. |
Gestion et communication |
Fréquence : des négociations (à l’extérieur ou à l’intérieur de l’entreprise ou de l’organisation) ; de la planification des activités des autres ; de la formation des personnes ; du conseil aux personnes ; de la persuasion ou de l’influence des autres. |
Auto-organisation |
Degré de planification : des séquences de tâches ; du style de travail ; de la vitesse de travail ; des heures de travail. |
Comptabilité et vente |
Fréquence : de la lecture des factures, etc. ; du calcul des prix, des coûts, du budget ; de l’utilisation d’une calculatrice ; de l’interaction avec les clients lors de la vente de produits ou de services. |
Calculs de niveau avancé |
Fréquence : de la création de graphiques et de tableaux ; de l’utilisation de règles d’algèbres et de formules simples ; de l’utilisation de règles d’algèbre et de statistiques complexes. |
Source : Grundke, R. et al. (2017[39]); “Skills and global value chains: A characterisation”, http://dx.doi.org/10.1787/cdb5de9b-en, d’après Enquête de l’OCDE sur les compétences des adultes (PIAAC) (2012[1]) et (2015[2]), www.oecd.org/skills/piaac/publicdataandanalysis.
Comment le développement du numérique modifie le contenu des tâches de travail et les besoins en compétences des travailleurs
L’analyse de la composition des tâches des travailleurs qui appartiennent au même groupe de professions (voir les grands groupes de professions de la CITP-08) mais dont l’exposition au numérique diffère peut indiquer comment le développement du numérique modifie le contenu des tâches de travail. Cependant, les travailleurs décident de travailler dans un environnement numérique ou moins numérique en fonction de leur niveau de compétences. De plus, les données utilisées ne suivent pas les travailleurs dans le temps. Par conséquent, cette analyse ne permet pas d’obtenir des estimations causales de l’effet du développement du numérique sur l’éventail des tâches effectuées au travail et sur les compétences des travailleurs.
Les compétences propres aux tâches réalisées au travail
Pour un groupe donné de professions, l’analyse suppose ici que les personnes travaillant dans les environnements de travail les plus exposés au numérique sont celles qui effectuent des tâches non routinières, et dont le degré d’utilisation des TIC au travail est supérieur à la médiane de leur groupe de professions. À l’inverse, les personnes qui accomplissent davantage de tâches routinières et moins de tâches nécessitant le recours aux TIC que la médiane de leur groupe de professions sont classés comme travaillant dans les environnements les moins exposés au numérique.
Les adultes travaillant sur un lieu de travail numérique exécutent tous les types de tâches considérés dans cette analyse plus souvent que les personnes qui travaillent dans un environnement moins exposé au développement du numérique. Au d’autres termes, ils accomplissent davantage de tâches de gestion et de communication, de tâches de comptabilité et de vente et de tâches nécessitant des compétences de niveau avancé en calcul (Graphique 2.5). C’est le cas pour tous les groupes de professions considérés dans cette analyse, des professions élémentaires aux professions d’encadrement, bien que pour les emplois les moins qualifiés, il n’y ait pas d’augmentation des tâches de niveau avancé en calcul. Dans les environnements davantage exposés au numérique, les directeurs, cadres de direction et gérants semblent accomplir surtout plutôt des tâches nécessitant des compétences de niveau avancé en calcul. Les travailleurs des professions élémentaires accomplissent plutôt des tâches de gestion et de communication, de comptabilité et de vente, tandis que les tâches qui incombent aux salariés de type administratif augmentent toutes dans les mêmes proportions.
Ce résultat, selon lequel un éventail de compétences est plus souvent inhérent à une profession davantage exposée au développement du numérique, s’applique même lorsque l’effet de l’exposition au développement du numérique est indépendant des autres effets si l’on tient compte des caractéristiques du pays, du secteur d’activité et de la profession, ainsi que de l’âge, du niveau d’études et des compétences en lecture et à l’écrit (Graphique 2.6).
Pour mettre en perspective cette différence, si l’intensité d’utilisation des TIC augmentait dans l’environnement professionnel des travailleurs, passant de la médiane au niveau du 75e centile courant, les travailleurs accompliraient en moyenne des tâches de communication un peu plus de 40 % plus intensives, des tâches comptables près de 60 % plus intensives et des tâches de calcul de niveau avancé de plus de 50 % plus intensives. De même, lorsqu’on évalue les différences par rapport à l’intensité des tâches non routinières, si l’intensité des tâches non routinières de l’environnement des travailleurs passait de la médiane au 75e centile, les travailleurs accompliraient, en moyenne, des tâches de communication près de 40 % plus intensives, des tâches comptables près de 30 % plus intensives et des tâches de calcul de niveau avancé 10 % plus intensives.
Les travailleurs qui disposent d’une plus grande souplesse pour planifier leur travail et qui ont davantage recours aux TIC accomplissent plus souvent ces tâches spécifiques non routinières. Ils accomplissent surtout davantage de tâches nécessitant des compétences en communication et en gestion et, dans une certaine mesure, davantage de tâches impliquant des compétences en comptabilité et en vente. Ils accomplissent également davantage de tâches nécessitant un niveau avancé de compétences en calcul, mais dans une moindre mesure, parce que certaines tâches moins complexes nécessitant un niveau avancé de compétences en calcul peuvent être des tâches cognitives routinières. Les TIC tendent à être utilisées davantage pour des tâches nécessitant des compétences en comptabilité et en vente ainsi que des compétences de niveau avancé en calcul et, dans une moindre mesure, pour des tâches impliquant des compétences en communication et en gestion.
Compétences cognitives générales
Comprendre comment le développement du numérique peut influer sur l’utilisation des principales compétences cognitives acquises à l’école, telles que la lecture, l’écriture et le calcul, peut aider les décideurs à améliorer les politiques d’éducation.
Les travailleurs qui occupent des emplois où l’utilisation des TIC et les tâches non routinières sont plus intensives réalisent plus souvent des tâches de lecture, d’écriture et de calcul (Graphique 2.7). La technologie est complémentaire aux travailleurs dans la réalisation de tâches comme la lecture et la rédaction de courriels ou l’utilisation d’un ordinateur pour des tâches de calcul. En facilitant la réalisation de certaines de ces tâches, la technologie peut aider les travailleurs à développer leurs compétences dans ce domaine. De plus, étant donné que les travailleurs accomplissent plus souvent des tâches non routinières, ils ont davantage besoin en compétences cognitives générales.
Il est possible d’évaluer l’importance de cet effet de complémentarité en comparant la façon dont les compétences en lecture, à l’écrit et en calcul sont utilisées par des travailleurs ayant des caractéristiques observables similaires (pays, secteur d’activité, niveau d’études, âge et compétences évaluées en lecture et à l’écrit) et exerçant la même profession mais dont l’intensité d’utilisation des TIC est différente (Graphique 2.8). Lorsque l’environnement de travail devient à plus forte intensité de tâches non routinières, les travailleurs ont également tendance à accomplir davantage de tâches faisant appel à des compétences cognitives, mais dans une moindre mesure que lorsque l’utilisation des TIC augmente. Le fait que l’intensité des tâches non routinières des emplois ne puisse être mesurée qu’indirectement par une série de questions relatives au degré de liberté d’organisation des tâches effectuées peut expliquer pourquoi elle semble moins étroitement liée aux tâches effectuées sur le lieu de travail que l’utilisation des TIC, qui peut être prise en compte précisément.
Dans l’ensemble, ces résultats tendent à montrer qu’il existe des liens de complémentarité importants entre la technologie et les travailleurs. Dans les milieux de travail davantage exposés au numérique, les travailleurs exploitent davantage leurs compétences cognitives en plus d’une utilisation accrue de leurs compétences en gestion et en communication, en comptabilité et en vente, ainsi que de leurs compétences de niveau avancé en calcul. Lorsque les travailleurs acquièrent davantage de liberté pour planifier et organiser leur travail et que l’intensité de leurs tâches routinières diminue, ils ont tendance à utiliser davantage leurs compétences en communication et en gestion, ce qui tend à montrer que les compétences socioémotionnelles gagnent également de l’importance, comme le montrent d’autres analyses récentes (Deming, 2017[41]).
Apprendre par la pratique : le développement des compétences dans un milieu de travail numérique
Les personnes qui travaillent dans un environnement numérique sont plus à même de conserver ou d’améliorer les compétences qu’elles ont acquises au cours de leurs études ou de leurs expériences professionnelles antérieures, car le développement du numérique accroît la variété des tâches qu’ils effectuent. À l’inverse, les travailleurs qui exécutent des tâches spécifiques et techniques au travail peuvent voir les compétences cognitives qu’ils n’utilisent pas s’éroder graduellement avec le temps et peuvent ne pas développer les compétences socioémotionnelles requises. Les différences en ce qui concerne la complexité des tâches professionnelles entraînent des possibilités d’apprentissage différentes (Yamaguchi, 2012[42]). Lorsque la valeur de certaines compétences diminue en raison du développement du numérique, les travailleurs investissent davantage dans les compétences qui sont plus demandées (Cavounidis et Lang, 2017[11]).
Comment les compétences évoluent avec l’expérience
Étant donné que le PIAAC est effectué à un moment bien précis pour chaque individu, il n’est pas possible d’observer directement comment les compétences évoluent avec l’expérience. Toutefois, il est possible de comparer les compétences des travailleurs qui occupent le même emploi depuis le même nombre d’années mais dont les environnements de travail sont différents en matière d’intensité numérique. Cette analyse met en lumière la manière dont les compétences se développent avec l’expérience, en fonction du degré de développement du numérique sur le lieu de travail.
L’analyse porte uniquement sur les personnes qui occupent le même emploi depuis au plus 20 ans, afin d’accroître la probabilité que les personnes travaillant actuellement dans un environnement numérique aient également travaillé dans un environnement relativement numérique lorsqu’elles ont rejoint l’entreprise. Les travailleurs indépendants ont été exclus de l’analyse. On suppose que les personnes qui travaillent pour le même employeur depuis plus d’un an sont représentatives de l’avenir des personnes qui travaillent pour le même employeur depuis un an.
L’exposition du lieu de travail au développement du numérique semble être liée au développement des compétences (Graphique 2.9). S’agissant des compétences moyennes en matière de résolution de problèmes – l’interaction entre la capacité d’utilisation des outils TIC et les compétences en matière de résolution de problèmes – la différence entre les personnes qui travaillent dans un environnement numérique et celles qui travaillent dans un environnement non numérique augmente avec le nombre d’années d’expérience dans l’environnement en question. Les personnes qui travaillent dans un environnement numérique sont, en moyenne, plus compétentes au départ (en matière de résolution de problèmes) que les personnes qui travaillent dans un environnement non numérique, comme en témoigne la différence entre les deux lignes à zéro année d’expérience (c’est-à-dire les personnes qui occupent leur emploi actuel depuis moins d’un an).
La différence en matière de développement des compétences semble être due à l’obsolescence des compétences des personnes qui travaillent dans un environnement non numérique plutôt qu’au relèvement du niveau des compétences des travailleurs exposés au numérique. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les personnes qui travaillent dans un environnement numérique n’utilisent pas nécessairement des outils TIC complexes. Elles ont tendance à utiliser très souvent des logiciels simples (Excel, Word, par exemple), ce qui empêche la dégradation de leurs compétences, tandis qu’une forte proportion de personnes travaillant dans un environnement non numérique n’utilisent pas les TIC (18 % n’ont pas d’expérience en informatique), ce qui entraîne une diminution rapide du niveau de compétences en matière de résolution de problèmes dans les environnements à forte composante technologique. La baisse de niveau d’une personne dans une compétence particulière dépendra beaucoup de la fréquence à laquelle cette personne utilisera la compétence en question. Les compétences en TIC semblent particulièrement sujettes à obsolescence en raison de l’évolution rapide du matériel (smartphones, tablettes) et des logiciels (programmes plus avancés, nouvelles fonctionnalités) (Cedefop, 2012[43]).
Toutefois, ces résultats ne peuvent pas être interprétés comme montrant que l’augmentation de l’intensité du numérique sur les lieux de travail améliore le développement des compétences. Il y a plus de chances que les personnes ayant un meilleur niveau de compétences et une plus grande capacité d’adaptation choisissent de travailler dans un milieu de travail numérique. De même, il y a plus de chances que les personnes moins qualifiées et moins aptes à s’adapter choisissent de travailler sur un lieu de travail moins exposé au développement du numérique. Pour limiter ce biais (sans toutefois l’éliminer complètement), on peut tenir compte de plusieurs facteurs qui influent sur les choix des travailleurs en ce qui concerne les lieux de travail.
L’analyse qui en résulte montre que chaque année supplémentaire d’expérience dans un environnement de travail numérique est associée, en moyenne, à une augmentation de 2.2 points du niveau de compétences des travailleurs en matière de résolution de problèmes par rapport aux personnes qui travaillent dans un environnement non numérique (Graphique 2.10).
L’apprentissage au travail et la maturité pour l’apprentissage
Les personnes qui travaillent dans un environnement numérique peuvent avoir davantage d’incitations, de préférences et de possibilités en ce qui concerne le développement de leurs compétences. Étant donné qu’elles ont tendance à accomplir une plus grande variété de tâches, elles ont davantage de chances d’apprendre à utiliser de nouveaux outils professionnels et à appliquer de nouvelles méthodes de travail au cours de leur carrière. Les travailleurs qui ont davantage recours aux TIC et qui accomplissent plus souvent des tâches non routinières – les deux aspects du développement du numérique examinés dans l’analyse – ont davantage tendance à apprendre de leurs collègues, à apprendre par la pratique et à se tenir au courant (Graphique 2.11). Le développement du numérique peut faciliter le processus d’apprentissage en facilitant la communication au sein des équipes et entre les équipes. Étant donné que la technologie évolue rapidement, le développement du numérique oblige également les travailleurs à se tenir au courant.
La maturité pour l’apprentissage de nouvelles choses est peut-être l’une des compétences les plus importantes à développer dans un environnement de travail en évolution rapide. Par exemple, des entreprises comme Google déclarent qu’elles recherchent des « animaux apprenants » tandis que d’autres disent qu’elles souhaitent des « personnes faisant preuve de curiosité intellectuelle » (The Economist, 2017[44]). La maturité pour l’apprentissage ou la curiosité, tout comme d’autres compétences, peuvent être façonnées par l’éducation et l’expérience.
Les nouvelles possibilités d’emploi et leurs répercussions sur les compétences
Les nouvelles technologies offrent de nombreuses possibilités nouvelles aux travailleurs, y compris des professions nouvelles ou en plein essor, et de nouvelles façons de proposer ses compétences sur le marché. Au fur et à mesure que de nouveaux produits et services voient le jour, parallèlement à de nouveaux modes de production et modèles économiques, des emplois se développent non seulement dans les secteurs de pointe, mais aussi dans les autres secteurs. Les technologies telles que les plateformes en ligne permettent de nouvelles formes d’activité entrepreneuriale. Ces dernières peuvent profiter aux travailleurs des petites entreprises, aux travailleurs indépendants et à d’autres personnes qui souhaitent développer des activités en parallèle à leur emploi principal. Ces nouvelles méthodes de travail suscitent toutefois des inquiétudes quant à la protection sociale des travailleurs concernés. Il est important de comprendre le type de compétences qu’exigent ces nouvelles possibilités pour que les politiques d’éducation et de formation aident les travailleurs et les futures cohortes de travailleurs à tirer profit de ces possibilités.
Les compétences requises dans les professions en croissance et les secteurs en croissance
Le développement du numérique crée des emplois qui n’existaient pas dans le passé. Citons, par exemple, les développeurs d’applications et de systèmes, les spécialistes de l’informatique en nuage, les ingénieurs de réseaux de transport, les consultants en dispositifs médicaux, les analystes de données et les ingénieurs en électricité pour les réseaux intelligents. Ces emplois nécessitent des travailleurs ayant une bonne connaissance des nouvelles technologies et capables de compléter leurs connaissances en la matière par leurs compétences, à savoir la communication, la résolution de problèmes et la créativité, par exemple. De plus en plus, les travailleurs devront utiliser les technologies au travail pour améliorer leurs compétences.
L’Enquête de l’OCDE sur les compétences des adultes (PIAAC) ne prend pas en compte les professions émergentes très récentes, mais inclut certaines professions qui pourraient prendre de l’expansion en raison du développement du numérique. Il est possible de comparer les personnes qui exercent ce type de professions en croissance appartenant au domaine de l’informatique aux personnes qui exercent une profession semblable et à celles qui ont un niveau d’études similaire afin de mettre en évidence les besoins en compétences qui semblent différencier les professions en croissance des professions comparables.
Trois professions en croissance sont analysées :
Les développeurs et analystes de logiciels et d’applications. Avec l’omniprésence des ordinateurs individuels, des smartphones et des tablettes, le développement de logiciels et d’applications occupe souvent une place importante dans la perception qu’ont les personnes des emplois qui ont un avenir. Les développeurs et analystes de logiciels et d’applications comprennent les analystes de systèmes, les développeurs web et multimédias et les programmeurs d’applications.
Les professionnels des bases de données et des réseaux. Sachant que la quantité de données stockées par les entreprises et les gouvernements a connu une croissance exponentielle, les besoins en compétences visant à maintenir, à sécuriser et à faciliter l’accès à ces données a également augmenté. Les professionnels des bases de données et des réseaux comprennent les concepteurs et administrateurs de bases de données ainsi que les professionnels des réseaux informatiques. Ce type de profils va être probablement de plus en plus recherché.
Les techniciens de maintenance informatique et de soutien aux utilisateurs. L’emploi généralisé de la technologie (tant matérielle que logicielle) dans de nombreux domaines de la vie, notamment au travail, accroît les besoins de maintenance, d’installation et d’assistance aux utilisateurs (qu’il s’agisse de clients ou simplement de salariés d’une même entreprise). Les techniciens de maintenance informatique et de soutien aux utilisateurs sont essentiels pour assurer le bon fonctionnement des technologies et leur utilisation appropriée au sein des entreprises et des organisations.
Les compétences cognitives et les compétences fonctionnelles ainsi que la fréquence de la programmation des personnes qui exercent ce type de professions peuvent être comparées à celles des travailleurs qui exercent une profession similaire (les autres professionnels pour les deux premières professions et les techniciens pour la troisième), qui ne sont pas des spécialistes des TIC et qui sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur.
Les travailleurs des trois professions en plein essor ont des compétences légèrement supérieures aux autres à l’écrit, en calcul et en résolution de problèmes dans les environnements à forte composante technologique. Ils réalisent des tâches impliquant l’utilisation des TIC un peu plus souvent et des tâches de gestion et de communication moins souvent. La principale différence entre les deux groupes est la fréquence de programmation : plus de 70 % des développeurs de logiciels et d’applications, 40 % des professionnels des bases de données et des réseaux et 20 % des techniciens de maintenance informatique déclarent utiliser un langage de programmation au moins une fois par semaine, alors que seulement 5 % environ des autres professionnels ou techniciens déclarent la même intensité (Graphique 2.12).
Cette simple analyse fondée sur des exemples précis donne à penser que les professions en plein essor qui appartiennent au domaine de l’informatique exigent des compétences de niveau avancé en TIC ainsi que d’autres compétences cognitives générales et des aptitudes socioémotionnelles.
La transformation numérique a des effets différents non seulement sur les professions mais aussi sur les secteurs. Sachant que la hausse des salaires peut refléter une situation où certains métiers sont en difficulté de recrutement, la comparaison du rendement salarial des compétences dans les secteurs à forte intensité numérique et à faible intensité numérique peut aider à expliquer quelles compétences sont davantage demandées en raison de la transformation numérique. Dans tous les secteurs, le rendement salarial des compétences en TIC est deux fois plus élevé que celui des compétences en calcul, alors que les compétences en gestion et en communication sont récompensées autant que les compétences en calcul (Graphique 2.13). Si l’on tient compte des multiples facettes de la transformation numérique, les compétences induisent une majoration salariale dans les secteurs à plus forte intensité numérique. Cette majoration est aussi importante pour les compétences en TIC que pour les compétences en calcul ou en gestion et en communication. Ces résultats montrent également que les compétences en TIC ainsi que les compétences cognitives (le calcul, par exemple) et les compétences non cognitives (gestion et communication) mises en œuvre dans les tâches effectuées au travail sont particulièrement importantes dans les secteurs à forte intensité numérique.
Les plateformes en ligne
Les plateformes de travail en ligne prolifèrent. Elles permettent à toute personne de proposer de la main d’œuvre et des compétences sur le marché, en plus ou à la place d’un emploi standard. Il existe deux grands types de plateformes (Oyer, 2018[45]). Dans le premier groupe, les plateformes servent d’intermédiaire pour la fourniture de services sur place et en personne en attribuant un prestataire de services à un acheteur de ces services, généralement pour un prix donné du service. Exemples : Uber, Deliveroo et TaskRabbit. Dans le second groupe, les plateformes dédiées aux travailleurs indépendants jouent le rôle d’un marché où les prestataires de services peuvent entrer en contact avec les acheteurs de ces services de partout, avec des prix négociés entre les parties. Exemples : Upwork et les Freelancer.
Grâce à ces plateformes, les recruteurs peuvent communiquer avec des millions de travailleurs indépendants de par le monde (Corporaal et Lehdonvirta, 2017[46]). Les petites et grandes entreprises ont recours à ces plateformes pour accéder à des compétences et à une main-d’œuvre facilement adaptable. Les premières études fournissant des données sur les plateformes d’emploi numériques sont désormais disponibles (Kässi et Lehdonvirta, 2018[47] ; Horton, Kerr et Stanton, 2017[48]). Elles montrent que les flux sont asymétriques entre le Nord et le Sud. Les États-Unis sont le principal pays d’embauche, tandis que l’Asie du Sud et l’Asie du Sud-Est sont les principaux prestataires de services. Hormis aux États-Unis, les flux à l’intérieur des pays sont limités.
Les plateformes de travail en ligne sont essentiellement utilisées pour le développement de logiciels et la technologie, puis pour les activités créatives et multimédias, et enfin pour la rédaction et la traduction, avec des différences entre les pays (Graphique 2.14).
Les travailleurs qui utilisent ces plateformes ont généralement des contrats spécifiques tels que des contrats avec « un nombre d’heures très restreint » ou des missions ponctuelles, y compris des contrats « zéro heure » (sans nombre d’heures minimal garanti). En conséquence, ces plateformes risquent d’engendrer une augmentation de la part des travailleurs sous contrat atypique, avec plus particulièrement des contrats atypiques qui ne sont différents des contrats temporaires classiques. Il n’existe pas de données comparables sur l’étendue de ces formes de travail atypiques. Au Royaume-Uni, 2.5 % des salariés étaient sous contrat « zéro heure » fin 2015 (BIT, 2016[49]). Aux États-Unis, 1.7 % des travailleurs faisaient des missions ponctuelles en mai 2017, et 6,9 % étaient des travailleurs indépendants, contre 7.4 % en février 2005, la dernière fois que l’enquête a été menée (U.S. Bureau of Labor Statistics, 2018[50]). Dans l’ensemble, il est difficile de déterminer à ce stade si ces plateformes sont simplement en train de remplacer les intermédiaires classiques sur le marché du travail par des intermédiaires numériques ou si elles vont entraîner une forte expansion du travail indépendant et des formes de travail atypiques.
On ne sait pas encore très bien comment ces nouvelles formes de travail joueront un rôle dans le développement des compétences des travailleurs et leur participation à la formation. Le développement des plateformes de travail en ligne exacerbe la concurrence entre les travailleurs dans le monde entier. Notamment, il permet aux entreprises des pays de l’OCDE de faire appel à des travailleurs d’autres pays ayant des niveaux de compétences variés, éventuellement au détriment de l’investissement dans les compétences de leurs salariés. Les données tendent à montrer que les entreprises qui ont recours à des travailleurs ponctuellement ont tendance à avoir une plus grande proportion de contrats temporaires que les autres entreprises et à proposer moins de formations (BIT, 2016[49]). Dans l’ensemble, on pourrait réduire la place des entreprises au profit des travailleurs individuels en matière de responsabilité de la formation, parce que les entreprises peuvent rechercher des compétences par le biais de plateformes de travail en ligne plutôt que de former leurs salariés et parce que les salariés qui proposent leurs compétences en ligne ne peuvent pas attendre de leur employeur qu’il investisse dans le développement de leurs compétences. Dans le même temps, comme le travail et la création de valeur peuvent devenir plus dispersés et que les employeurs jouent un rôle moins important, les propriétaires de plateformes centralisent de plus en plus les transactions et peuvent exploiter leur valeur (Kenney et Zysman, 2016[51]). Cela soulève la question de savoir si les plateformes ont la responsabilité de développer les compétences des travailleurs.
Au sein de l’OCDE, les plateformes de travail en ligne peuvent permettre aux travailleurs qui sont en mesure de fournir des services en ligne de trouver des emplois qu’ils n’auraient pas obtenus autrement. Par conséquent, la réglementation ne devrait pas empêcher ces évolutions. Ces travailleurs devraient toutefois être couverts par des mesures de protection sociale et une politique de l’emploi et bénéficier des mêmes incitations et possibilités de participer à la formation que les autres travailleurs, sans que cela donne lieu pour autant à de nouvelles charges administratives et fiscales inutiles. Ces aspects sont examinés plus en détail dans le chapitre 6.
Ce que l’on sait et ce que l’on ignore sur la future demande de compétences
Certains aspects de la future demande de compétences sont prévisibles. Les pays, les entreprises, les secteurs et les professions vont progressivement adopter les technologies existantes, mais à des rythmes différents. La façon dont ces technologies ont modifié la demande et l’utilisation des compétences dans les pays, les secteurs et les entreprises à la frontière de l’adoption des technologies donne une idée des changements auxquels d’autres pays et professions pourraient être confrontés à mesure qu’ils rattrapent leur retard. D’autres aspects de la future demande de compétences sont beaucoup plus difficiles à prévoir, car ils dépendront des futures innovations technologiques. Dans un premier temps, elles auront probablement des répercussions sur les pays et les professions qui ont tendance à être les premiers à adopter les nouvelles technologies.
Ce que l’on sait : effets de rattrapage au sein des pays et des professions
Le développement du numérique a eu des répercussions inégales sur les pays, les secteurs et les professions (Graphique 2.4), ce qui peut donner une idée des répercussions que le développement du numérique aura sur les professions puis sur les pays dans un proche avenir.
Les variations selon les pays
Les pays ont adopté des outils numériques sur le lieu de travail à des vitesses différentes (Graphique 2.15). Le processus de développement du numérique semble avoir bien progressé dans un groupe de pays, dont le Danemark, les Pays-Bas, Singapour et la Suède, les travailleurs effectuant essentiellement des tâches non routinières et ayant recours de manière intensive aux ordinateurs. À l’autre extrémité du spectre, le Chili, la Grèce et la Turquie sont en retard en ce qui concerne l’utilisation des TIC au travail. La position des pays n’est pas la même pour toutes les professions, mais dans l’ensemble, les mêmes pays ont tendance à être bien avancés ou bien à être en retard en matière de développement du numérique.
Les pays en retard de développement pourraient bientôt rattraper les pays frontières. Cependant, les différences entre les pays en matière d’exposition au numérique peuvent également refléter des différences en matière de structures industrielles ou professionnelles, telles que de grandes différences, au sein d’un pays, en ce qui concerne l’exposition des professions ou secteurs au numérique. Il est possible d’évaluer dans quelle mesure divers facteurs expliquent la variation de l’exposition au numérique entre les travailleurs (Graphique 2.16). Les différences entre les travailleurs en ce qui concerne l’intensité d’utilisation des TIC au travail s’expliquent essentiellement par des différences en ce qui concerne la nature des professions (34 %) et par des différences en matière de niveau de compétences en informatique et à l’écrit (14 %), tandis que les pays (2 %), les secteurs (6 %) et la taille des entreprises (2 %) jouent un rôle mineur. Les conclusions sont très semblables pour ce qui est d’expliquer les différences d’intensité des tâches non routinières, bien que les facteurs expliquent beaucoup moins sa variance. Le facteur le plus important qui explique les différences entre travailleurs en ce qui concerne l’exposition au développement du numérique est la profession.
Les variations d’une profession à l’autre et au sein d’une même profession
Les professions sont différentes en matière d’exposition (médiane) au développement du numérique, notamment en ce qui concerne l’intensité d’utilisation des TIC, mais aussi en ce qui concerne l’intensité des tâches non routinières (Graphique 2.17). Il n’est pas surprenant de constater que l’intensité d’utilisation des TIC et l’intensité des tâches non routinières sont plus élevées dans les professions les plus qualifiées (directeurs, cadres de direction et gérants ; professions intellectuelles et scientifiques, par exemple) que dans les professions moins qualifiées. Cela rejoint l’idée que la technologie est complémentaire aux travailleurs hautement qualifiés et augmente leur productivité. Bien que ces professions soient les moins susceptibles de connaître des changements substantiels, les nouvelles technologies peuvent élargir les possibilités d’automatisation, poussant ces professions vers un niveau encore moins important d’intensité des tâches routinières et une utilisation accrue des TIC.
À l’inverse, les professions à faible intensité d’utilisation des TIC et à forte intensité de tâches routinières (professions élémentaires ; conducteurs d’installations et de machines, par exemple) vont très probablement évoluer dans un proche avenir à mesure que l’automatisation, les robots industriels, les ordinateurs et l’intelligence artificielle remplacent les travailleurs dans la réalisation des tâches routinières. Par conséquent, les adultes qui exercent ces professions seront de plus en plus appelés à accomplir des tâches non routinières et des tâches faisant appel aux TIC ou à des compétences socioémotionnelles pour lesquelles ils possèdent un avantage comparatif par rapport aux ordinateurs. Il est donc particulièrement important de s’assurer que ces travailleurs possèdent les compétences nécessaires pour s’adapter à ces évolutions.
Cependant, même au sein d’une même profession, la structure des tâches varie considérablement (Spitz‐Oener, 2006[54]). Au sein d’une même profession (à un chiffre), il existe de grandes différences entre les travailleurs de tous les pays en ce qui concerne l’utilisation des TIC et la réalisation de tâches non routinières (Graphique 2.18). Les variations sont généralement moins importantes au sein des professions hautement qualifiées qu’au sein des professions peu qualifiées. C’est notamment le cas pour l’intensité des tâches non routinières réalisées par les travailleurs : s’il y a peu de variation entre les professions en ce qui concerne le 75e centile, les professions peu qualifiées ont un 25e centile beaucoup plus bas que les professions hautement qualifiées. Ces variations contribuent à expliquer comment le développement du numérique pourrait modifier le contenu des tâches quotidiennes des travailleurs dans un avenir proche. Trois grands scénarios se dégagent :
Dans les professions les plus routinières (professions élémentaires ; conducteurs d’installations et de machines, par exemple), c’est sur le plan de l’intensité des activités non routinières et, dans une moindre mesure, en ce qui concerne l’utilisation des TIC que les travailleurs diffèrent le plus. Le développement du numérique pourrait avoir essentiellement un effet de substitution sur les personnes qui exercent ces professions, les machines prenant en charge la réalisation des tâches routinières.
Dans certaines professions, la variation de l’utilisation des TIC est plus importante que celle de l’intensité des tâches non routinières, avec une forte proportion de travailleurs n’utilisant pas du tout l’ordinateur (les artisans, le personnel des services directs aux particuliers, les commerçants et les vendeurs, par exemple). Le changement le plus important pour certains de ces travailleurs pourrait être l’adoption et le développement de la technologie sur leur lieu de travail. L’automatisation risque d’avoir des effets non négligeables sur ces travailleurs, notamment sur ceux dont l’intensité des tâches non routinières est élevée.
Enfin, les professions qualifiées (directeurs, cadres de direction et gérants ; professions intellectuelles et scientifiques, par exemple) présentent de faibles variations dans les deux dimensions, ce qui tend à montrer que l’impact du développement du numérique sur les personnes qui exercent ces professions pourrait être limité, du moins à court terme. D’autres professions (les employés de type administratif et les techniciens, par exemple) présentent des variations légèrement plus importantes dans ces deux dimensions, ce qui indique que le développement du numérique aura à la fois un effet de substitution et un effet de complémentarité sur les personnes qui exercent ces professions.
Ce que l’on ignore : la frontière technologique
Les pays et les professions à la frontière de l’adoption des technologies risquent également de faire face à d’importants changements au fur et à mesure du développement de nouvelles technologies. Toutefois, les incertitudes sont grandes en ce qui concerne les capacités technologiques requises et la proportion dans laquelle les tâches non routinières seraient automatisables.
L’intelligence artificielle (IA) est l’une des principales technologies qui devrait modifier le monde du travail. L’IA a déjà plusieurs applications aujourd’hui dans les secteurs des transports et de la santé (OCDE, 2017[55]). Cependant, l’IA est dite « appliquée » ou « étroite », c’est-à-dire conçue pour accomplir une tâche précise de résolution de problèmes ou de raisonnement. Dans un scénario hypothétique d’intelligence artificielle générale, les machines autonomes deviendraient capables d’accomplir, comme un être humain, une action intelligente générale, dont la généralisation et l’apprentissage abstrait à travers différentes fonctions cognitives. On a peu de visibilité sur le délai de généralisation de l’IA, car il dépend en partie des progrès de l’apprentissage automatique.
L’IA finira probablement par concerner un plus large éventail d’entreprises et de secteurs. Jusqu’à présent, l’IA était surtout adoptée par des entreprises technologiques comme Amazon, Google et Microsoft, ainsi que par des jeunes pousses (OCDE, 2017[55]). Pour la plupart des entreprises, l’IA est encore trop onéreuse ou trop complexe à adopter, car les entreprises ne possèdent pas les compétences nécessaires. Les outils d’apprentissage automatique « dans le nuage » permettent cependant d’élargir l’audience de l’IA. Ces outils technologiques ainsi que d’autres sont sur le point de changer le monde du travail, selon les experts (Encadré 2.4).
Encadré 2.4. Les technologies de pointe en 2018
Chaque année, le Massachusetts Institute of Technology dresse la liste des dix technologies (ou gammes de technologies) de pointe qui n’ont pas encore été utilisées à grande échelle mais qui vont probablement bouleverser la vie des personnes. Dans la liste de 2018, les technologies qui pourraient changer le monde du travail incluent :
L’impression 3D sur métal
Bien que cette technologie ne soit pas nouvelle, elle est restée du domaine d’un petit groupe d’experts utilisant des prototypes et imprimant essentiellement des objets en plastique. Aujourd’hui, cette technologie est devenue bon marché et suffisamment facile d’utilisation pour être intégrée dans la fabrication des produits. En cas d’adoption à grande échelle, elle pourrait modifier la production, en limitant la nécessité d’avoir des stocks importants et en rendant moins onéreuse l’adaptation des produits aux besoins individuels.
L’IA pour tous
Pour la plupart des entreprises, l’IA demeure trop onéreuse ou trop complexe. L’IA « dans le nuage », qui rend cette technologie plus abordable financièrement et plus facile à utiliser, pourrait accroître considérablement la généralisation de l’IA dans les entreprises et les secteurs d’activité. Pour l’instant, l’IA est surtout utilisée dans le secteur de la haute technologie. D’autres secteurs comme la médecine, la fabrication et l’énergie peuvent être transformés s’ils adoptent cette technologie.
Les réseaux antagonistes génératifs : les progrès de l’apprentissage automatique
La question de l’apprentissage des machines par elles-mêmes est au cœur de nombreuses recherches dans le domaine de l’IA. Les « réseaux antagonistes génératifs » sont considérés comme un grand progrès dans ce sens. L’idée est de s’appuyer sur les interactions de deux systèmes d’IA pour obtenir un résultat sans intervention humaine. Cette technologie pourrait créer des images ou des sons ultra réalistes qui seraient indissociables de ceux qui proviennent du monde réel, par exemple. Cette technologie élargit l’utilisation de l’IA en rendant les machines moins dépendantes des humains.
Les écouteurs Babel-fish
Cette technologie traduit les langues étrangères en temps réel. Facile à utiliser, elle fonctionne désormais pour un grand nombre de langues. Dans un contexte de mondialisation croissante, la langue reste un obstacle à la communication. Au travail, cette technologie peut donner un nouvel élan à la mondialisation de la production.
Source :MIT (2018[56]), 10 Breakthrough Technologies 2018, https://www.technologyreview.com/lists/technologies/2018/ (consulté le 30 août 2018).
Il importe de comprendre comment les progrès technologiques peuvent avoir une incidence sur le monde du travail et les besoins en compétences, mais la faisabilité technique de l’automatisation d’un plus grand éventail de tâches ne se traduira pas automatiquement par une automatisation des emplois. Toutefois, elle continuera de modifier ce que les travailleurs font au travail. La faisabilité technique n’est que l’un des facteurs qui déterminent l’avenir du travail. Parmi les autres facteurs importants, citons : i) le rendement et la fiabilité des technologies futures ; ii) le coût du déploiement et de l’adoption des technologies par rapport au coût des travailleurs et aux autres coûts de production ; iii) les compétences des cadres dirigeants et des salariés et leur capacité à travailler avec les nouvelles technologies. Les politiques peuvent influer sur tous ces facteurs.
Résumé
La transformation numérique comporte de nombreuses facettes qui modifient profondément les marchés du travail. Le débat sur le développement du numérique porte souvent sur les emplois menacés par l’automatisation et sur les risques que la technologie supplante les travailleurs. En fait, les travailleurs, toutes professions confondues ou presque, constatent ou vont constater des changements dans leur travail en raison de la transformation numérique.
Ces changements sont source à la fois de difficultés et de possibilités nouvelles pour les travailleurs. En effet, la technologie peut enrichir le contenu des professions en permettant aux travailleurs de se concentrer de plus en plus sur des tâches non routinières telles que la résolution de problèmes, les activités créatives et les échanges plus complexes tout en développant leurs compétences numériques grâce à l’utilisation des nouvelles technologies. Elle peut également permettre aux travailleurs du monde entier de proposer leurs compétences sur le marché du travail beaucoup plus facilement grâce à des plateformes en ligne, ce qui stimule les possibilités d’entrepreneuriat. Cependant, les travailleurs qui n’ont pas les compétences nécessaires peuvent avoir du mal à s’adapter au changement ou à tirer profit de ces nouvelles possibilités, et peuvent donc être laissés pour compte.
Étant donné que les technologies se propagent à des rythmes différents selon les secteurs d’activité, les entreprises et les professions, leurs effets sont différents selon les travailleurs. Ainsi, les travailleurs moins exposés au développement du numérique sont peut-être moins exposés aux risques de perte d’emploi à court terme, mais ne développent pas les compétences dont ils pourraient avoir besoin pour travailler avec les nouvelles technologies à long terme. Les politiques de formation ont un rôle important à jouer s’agissant de faire en sorte que la transformation numérique ne renforce pas les inégalités en divisant les travailleurs en deux catégories : ceux qui sont calés en TIC et ceux qui sont en retard.
Les politiques de formation doivent être conçues de manière à ce que les travailleurs aient le bon éventail de compétences pour réussir leur transition vers le monde du travail numérique et y prospérer. Ce chapitre montre que les compétences numériques ne sont pas la même chose que les compétences pour un monde du travail numérique. Même les travailleurs exerçant une profession à croissance rapide et exposée à la technologie, qui doivent posséder des compétences en TIC de niveau avancé telles que le codage, ont également besoin de solides compétences cognitives générales, de capacités d’analyse et d’aptitudes à la résolution de problèmes, ainsi que de compétences socioémotionnelles, de compétences en communication et de capacités à gérer le stress et le changement. Les travailleurs qui exercent une profession de niveau moins avancée sur le plan technologique doivent posséder un éventail similaire de compétences, mais avec des compétences en TIC de niveau moins avancé.
Ce chapitre met en lumière l’importance de la coordination des politiques de formation avec les autres politiques, une question examinée plus en détail dans d’autres chapitres. L’émergence des plateformes en ligne soulève la question de la protection sociale des travailleurs présents sur ces plateformes. Une autre conclusion de ce chapitre est que les politiques de formation doivent être davantage tournées vers l’avenir et doivent être coordonnées avec la trajectoire technologique que les pays ont planifiée. Notamment, les pays qui accusent du retard en ce qui concerne l’adoption des nouvelles technologies ont besoin de politiques visant à développer les compétences de la main-d’œuvre, en coordination avec les investissements dans les infrastructures numériques et les politiques de recherche et d’innovation.
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