Nous examinons dans ce chapitre certaines conséquences de l’intégration commerciale fondée sur les chaînes de valeur mondiales (CVM) et mettons en évidence des lacunes dans notre compréhension des risques liés aux CVM. Malgré les progrès importants accomplis récemment, nombre des risques liés aux CVM demeurent en effet inconnus. Nous examinons également dans ce chapitre les avantages et les inconvénients de différentes stratégies envisageables pour réduire au minimum les risques liés aux CVM et de mesures spécifiques qui font débat dans les travaux publiés sur la question. Aucune des stratégies proposées n’est une solution miracle et les mesures optimales varieront probablement suivant les produits et les secteurs. La plupart des interventions destinées à améliorer la résilience relèvent des entreprises, et non des pouvoirs publics. Le fait que ces derniers prennent davantage l’initiative en matière de coordination de la collecte de données, d’analyse des risques liés aux CVM et de collaboration avec les entreprises privées pour promouvoir des normes de conduite ne suscite guère de controverse. En revanche, les avis sont plus partagés sur le fait que les autorités aient recours à des incitations financières, à des prescriptions réglementaires et au contrôle étatique direct pour reconfigurer les CVM. L’intervention des pouvoirs publics risque de créer des distorsions coûteuses sans réduire au minimum la volatilité économique ni améliorer la sécurité nationale, et en affaiblissant la coopération internationale.
Réformes économiques 2023
Objectif croissance
2. Risques présentés et perspectives ouvertes par la reconfiguration des chaînes de valeur mondiales
Abstract
Introduction et principaux points à retenir
L’intégration commerciale et financière grandissante observée au cours des années 1990 et 2000 a profondément affecté le fonctionnement et la structure de l’économie mondiale. La mondialisation a permis de renforcer la spécialisation, la concentration de la production et les échanges d’intrants intermédiaires. Cela a eu de nombreuses retombées positives en termes de gains de productivité, de baisses de prix, d’augmentation de la variété des biens disponibles et d’accélération de la convergence des revenus de nombreuses économies de marché émergentes. Néanmoins, certaines chaînes de valeur mondiales (CVM) sont devenues complexes et sujettes à des perturbations qui se diffusent entre les secteurs et les économies. La crise liée au COVID-19 et la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine ont suscité une nouvelle prise de conscience aiguë de ces risques, même si les échanges internationaux et les CVM se sont avérés bénéfiques dans de nombreux cas.
Des vents contraires politiques soufflent sur la mondialisation. Les fermetures d’usines et le creusement des inégalités de revenu ont contribué à éroder l’adhésion des populations à la mondialisation dans les économies avancées pendant plus d’une décennie. Les considérations de sécurité nationale et d’ordre stratégique sont montées en puissance, ce qui risque d’accentuer la fragmentation de l’ordre économique et politique international. Dans de nombreux pays de l’OCDE, la disponibilité de certains biens essentiels est devenue lourdement tributaire des importations, accentuant les risques géopolitiques. Tous ces facteurs se sont traduits par une multiplication des appels adressés aux pouvoirs publics, leur demandant d’adopter des mesures économiques (en matière d’échanges, d’investissement et de politique industrielle) pour limiter la dépendance à l’égard de certaines économies étrangères.
Dans ce contexte, nous examinons dans ce chapitre certaines caractéristiques de l’intégration commerciale fondée sur les CVM et leurs conséquences, et mettons en évidence des lacunes dans notre compréhension des risques liés aux chaînes de valeur mondiales, en nous appuyant sur les nombreuses analyses de l’OCDE et les travaux universitaires publiés sur la question. L’accent est mis sur les relations de dépendance à l’égard de l’étranger, notamment sur les « dépendances stratégiques », la concentration de la production dans certaines régions géographiques et dans certaines entreprises, les points faibles des chaînes d’approvisionnement et la propagation des chocs. Nous présentons ensuite dans ce chapitre les grandes stratégies envisageables pour circonscrire les risques liés aux CVM identifiés dans les travaux publiés sur la question, qui se multiplient rapidement. Puis nous examinons des mesures spécifiques que pourraient prendre les entreprises privées et les pouvoirs publics, en soulignant leurs avantages et leurs inconvénients. Pour préserver la concision de ce chapitre, nous n’avons pas analysé ici de nombreux autres aspects de la mondialisation, notamment les flux de capitaux, les migrations et les externalités de connaissances, malgré leurs relations étroites avec l’intégration commerciale et les mesures destinées à circonscrire les risques liés aux CVM. Les principaux points à retenir de ce chapitre sont résumés dans l’encadré 2.1.
Encadré 2.1. Principaux points à retenir
L’intégration commerciale croissante et l’émergence des chaînes de valeur mondiales (CVM) ont contribué à renforcer la productivité, à faire baisser les prix et à accroître la variété des biens, ainsi qu’à accélérer la convergence des revenus dans de nombreuses économies de marché émergentes.
Dans le même temps, la dépendance à l’égard des importations – notamment s’agissant des produits pharmaceutiques, des produits sur lesquels reposent les transitions écologique et numérique et de l’énergie – et des exportations s’est accentuée, mais à des degrés divers suivant les pays de l’OCDE et les secteurs. Certaines productions sont devenues très concentrées dans des pays et des entreprises spécialisés dans ces activités. Les CVM sont devenues plus longues et plus complexes.
Ces caractéristiques se traduisent par des gains d’efficience et facilitent la diversification de l’offre et de la demande. Néanmoins, elles peuvent créer des conditions propices à l’apparition de points uniques de défaillance (goulets d’étranglement) ainsi qu’à la propagation et à l’amplification de chocs microéconomiques. Elles peuvent aussi exacerber les risques géopolitiques.
Les liens théoriques entre intégration commerciale et volatilité économique ne sont pas nettement définis, et les données empiriques dont on dispose sur la question sont ambiguës. Même si les échanges accentuent la volatilité, il n’est pas évident que celle-ci soit clairement dommageable et qu’elle doive être limitée. Selon certaines simulations, les effets quantitatifs d’une volatilité accrue ne sont pas garantis et sont modestes au regard des gains d’efficience connexes.
La compréhension des risques liés aux CVM s’est améliorée, mais de nombreuses inconnues subsistent. Les recherches menées sur l’exposition à ces risques au niveau des produits et des entreprises laissent à désirer. De nombreux indicateurs relatifs aux CVM fondés sur des données d’entrées-sorties ne prennent pas explicitement en compte les relations de substituabilité entre fournisseurs, la complémentarité des intrants employés dans le processus de production, les transports internationaux, ni les relations de dépendance à l’égard de l’étranger en matière d’investissement et de technologies.
La possibilité de réduire les risques liés aux CVM sans entamer les gains d’efficience qui en découlent varie selon les produits et les secteurs. Il en va de même pour les stratégies et les mesures spécifiques envisageables. Diversifier les approvisionnements, transférer les activités de production sur le sol national ou sur des territoires plus proches géographiquement (ou plus amicaux) – ce qu’on appelle les relocalisations et les délocalisations de proximité (ou dans des pays amis) – et optimiser la gestion des stocks sont les trois stratégies les plus fréquemment évoquées.
La diversification des approvisionnements est généralement plus efficace que les relocalisations pour assurer la résilience et la robustesse des chaînes d’approvisionnement. Les délocalisations de proximité peuvent réduire les délais liés à la longueur des chaînes d’approvisionnement et les prélèvements à l’importation. Les délocalisations dans des pays amis peuvent faciliter une harmonisation réglementaire plus poussée, présentent des risques plus limités en matière de propriété intellectuelle et contribuent à réduire au minimum les risques géopolitiques. Il est cependant difficile de définir la notion de « pays ami » sur la base de critères clairs et pérennes, sans accentuer l’incertitude à laquelle sont confrontées les entreprises.
Reconfigurer les chaînes d’approvisionnement peut être coûteux, mais une stratégie de diversification pourrait être moins onéreuse que des relocalisations ou des délocalisations de proximité. Il est généralement moins coûteux et plus aisé de diversifier la production de biens qui exigent des technologies simples, se caractérisent par de petites économies d’échelle et sont standardisés. Les stratégies de diversification des approvisionnements et de relocalisation peuvent ne pas être viables ou s’avérer difficiles à mettre en œuvre dans les secteurs caractérisés par des coûts fixes élevés, ainsi que pour de nombreuses ressources naturelles.
Une stratégie d’ajustement des stocks pourrait améliorer la robustesse des CVM pour certains biens et pour certains chocs, mais elle ne constitue pas la panacée pour tous les risques liés aux CVM. Elle peut aussi être coûteuse. La viabilité de cette approche variera non seulement suivant les secteurs, mais aussi selon les produits et les entreprises dans un secteur donné.
La plupart des interventions destinées à améliorer la résilience relèvent des entreprises, et non des pouvoirs publics. Les entreprises privées sont financièrement incitées à réduire les risques de perturbations coûteuses de leur production, mais ces incitations pourraient être amoindries par les coûts d’adaptation des chaînes d’approvisionnement et par les coûts irrécupérables des investissements antérieurs. Les entreprises privées semblent également être les mieux placées pour choisir entre réduire au minimum leur exposition aux risques (robustesse) et améliorer leur capacité de reprendre leurs activités après un choc négatif (résilience).
Les questions fondamentales concernant les arguments qui militent en faveur d’une intervention publique pour réduire les risques liés aux CVM, et la nature de cette intervention, restent entières. Une intervention publique peut se justifier en principe lorsque les intérêts publics et privés divergent, et lorsque les entreprises privées sous-estiment les risques en raison d’un manque d’informations.
Les pouvoirs publics pourraient prendre davantage l’initiative en matière de coordination de la collecte des données et d’analyse des risques liés aux CVM. Ils pourraient aussi collaborer avec les entreprises privées pour promouvoir des normes de conduite destinées à renforcer la robustesse et la résilience des chaînes d’approvisionnement. De tels efforts porteraient davantage leurs fruits s’ils étaient coordonnés à l’échelle internationale. Les autorités peuvent aussi réaliser des tests de résistance pour des chaînes d’approvisionnement essentielles, mais ce type de test continue de soulever des problèmes de faisabilité et de conception.
Les pouvoirs publics peuvent en principe étayer les stratégies de réduction des risques en conjuguant incitations financières, prescriptions réglementaires et contrôle étatique direct. L’efficacité et les effets secondaires de ces mesures sont variables. Elles doivent être adaptées aux différents secteurs et produits, compte tenu de l’hétérogénéité considérable qui caractérise les branches d’activité et les entreprises. La complexité des chaînes d’approvisionnement modernes rend difficile une évaluation complète des politiques publiques destinées à réduire au minimum les risques liés aux CVM et des distorsions qui en découlent.
La principale préoccupation relative aux distorsions résultant des mesures qui visent à réduire l’exposition vis-à-vis de l’étranger a trait à leurs effets en matière d’efficience, étant donné qu’elles peuvent déboucher sur d’importantes pertes de bien-être.
En principe, les menaces pesant sur la sécurité nationale justifient de se prémunir contre des événements géopolitiques négatifs ou d’agir pour empêcher qu’ils se produisent. Néanmoins, les risques géopolitiques et les coûts économiques connexes sont difficiles à évaluer. En outre, certaines mesures peuvent s’avérer inefficaces pour garantir la sécurité. Afin de réduire au minimum les risques que ces mesures soient inefficaces et coûteuses pour les contribuables et les consommateurs, des évaluations objectives et approfondies sont nécessaires.
Jusqu’ici, la plupart des mesures de réduction des risques liés aux CVM prises par les pouvoirs publics ont été axées sur les relocalisations et les délocalisations de proximité ou dans des pays amis, tandis que les initiatives axées sur la diversification des approvisionnements et la gestion des stocks ont été moins nombreuses. Les rares données empiriques sur l’efficacité des mesures prises par les pouvoirs publics pour favoriser les relocalisations et les délocalisations dans des pays amis brossent un tableau contrasté.
Des mesures protectionnistes pourraient entraver la réalisation d’objectifs sociaux et environnementaux à l’échelle mondiale. Des politiques de repli national pourraient aussi réduire les externalités de connaissances, ce qui aurait des conséquences négatives sur le progrès technologique et la croissance de la productivité. Des politiques de représailles protectionnistes pourraient amplifier les pertes de bien-être résultant du recul de l’intégration économique mondiale.
Mondialisation des échanges : évolutions et conséquences
Après une montée en puissance rapide, la mondialisation des échanges a cessé de progresser
Depuis le milieu des années 1980, le commerce mondial, qui consistait essentiellement en des échanges de produits finis entre pays, est devenu un vecteur d’internationalisation des processus de production, de plus en plus scindés entre différentes économies nationales. Cette évolution a changé la nature de la spécialisation : alors qu’elle était précédemment axée sur des produits distincts, elle s’est orientée vers la production de composants et la réalisation de processus spécifiques dans le cadre de chaînes de production mondiales plus vastes. Dans ce modèle de commerce mondial, les matières et les composants traversent à maintes reprises les frontières nationales tandis qu’ils franchissent les étapes de la chaîne de production (Cheng et al., 2015). En conséquence, les échanges de produits intermédiaires sont devenus de plus en plus importants pour le commerce mondial au cours des années 1990 (graphique 2.1, partie A).
Depuis la crise financière mondiale sont apparus des signes de ralentissement ou de repli de la mondialisation des échanges, à tout le moins à l’aune des flux d’exportations et d’importations brutes. Néanmoins, les échanges de biens et de services représentent toujours une part importante de la production mondiale (Jaax, Miroudot et van Lieshout, 2023). La baisse du ratio entre les échanges de biens et le produit intérieur brut (PIB) a été alimentée dans une large mesure – jusqu’à une date récente – par une diminution des prix relatifs de biens faisant l’objet d’un volume d’échanges important, tels que les combustibles et les produits miniers, et par la perte d’importance du secteur manufacturier en tant que composante du PIB (Baldwin (2022) ; graphique 2.1, partie B). Néanmoins, une diminution effective de la fragmentation des processus de production y a également contribué (Jaax, Miroudot et van Lieshout, 2023). Les courants d’échanges mondiaux sont cependant demeurés volumineux, le commerce des services a continué d’augmenter, et le niveau des activités liées aux CVM reste proche de celui auquel il s’établissait au milieu des années 2000 (Antràs, 2020).
Le glissement vers des chaînes de production mondiales fragmentées observé à partir du milieu des années 1980 tient à trois facteurs (OCDE, 2013 ; Antràs, 2020). Premièrement, la diminution des droits de douane ainsi que la baisse du coût et l’amélioration de la fiabilité des transports transfrontaliers ont allégé la charge que représente pour les entreprises manufacturières l’utilisation de sites de production multiples. Deuxièmement, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) ont permis de gérer et coordonner efficacement des sites de production géographiquement dispersés. Troisièmement, la diffusion du système de marché mondial a permis aux entreprises d’avoir accès à une main-d’œuvre abondante à bas coût et à un nombre croissant de clients. Les délocalisations ont non seulement réduit le coût marginal de production, mais aussi incité les entreprises à accroître leur production pour mieux amortir les coûts fixes associés au transfert d’activités de production à l’étranger.
Une des principales tendances qui se dégagent des trois dernières décennies réside dans l’augmentation de l’importance de la chine dans les CVM. La conjonction d’une abondante main-d’œuvre peu coûteuse et d’un environnement réglementaire propice aux échanges s’est traduite par de volumineuses entrées d’investissement direct étranger (IDE) en Chine, qui ont contribué au développement de CVM centrées sur ce pays (Xing, 2022).
La mondialisation des échanges a eu de nombreuses retombées positives, mais elle a aussi créé des difficultés dans certains cas
L’intégration commerciale et l’émergence des CVM ont eu de nombreux effets positifs sur les consommateurs et les entreprises. Le développement du système commercial multilatéral a radicalement fait baisser les prix des biens de consommation et des produits intermédiaires, et s’est traduit par un élargissement de l’éventail de biens disponibles et une augmentation de leur quantité. Ces effets positifs se font également sentir parmi les ménages modestes, qui consacrent une proportion plus importante de leurs revenus à des biens de consommation standardisés (Fajgelbaum et Khandelwal, 2016 ; Jaravel et Sager, 2019). Les échanges vont aussi de pair avec des gains de productivité, réalisés par le biais de transferts de technologie, de la diffusion de connaissances et de l’accès à une plus grande variété d’intrants (Égert, 2017). L’accès à des marchés de plus grande taille a aidé les entreprises très productives à accroître leur production et leurs effectifs. La participation aux CVM a permis aux entreprises et aux travailleurs, souvent dans les économies de marché émergentes, de se spécialiser dans les stades de production où ils sont les plus compétitifs, sans devoir maîtriser toutes les technologies nécessaires pour produire des biens modernes complexes et sans qu’il soit nécessaire de mettre en place sur le territoire national des chaînes d’approvisionnement susceptibles de ne pas être compétitives à l’échelle mondiale (OCDE, 2017).
La fragmentation de la production a aussi facilité l’intégration de nombreuses économies de marché émergentes dans l’économie mondiale, contribuant à un processus de rattrapage technologique rapide et à une réduction sensible de la pauvreté au niveau mondial. L’augmentation du volume d’échanges des économies en développement est associée à une forte croissance économique, par rapport à celle enregistrée par les économies avancées et les économies en développement qui n’ont pas bénéficié des échanges mondiaux ni d’une participation aux stades de fabrication des chaînes de valeur (Dollar et Kraay, 2004). L’exploitation des étapes de la chaîne de production pour lesquelles les économies de marché émergentes disposent d’un avantage comparatif a permis d’améliorer le niveau de vie des travailleurs dans ces pays. La croissance de leurs exportations liées aux CVM s’accompagne d’une augmentation de variables macroéconomiques clés telles que le PIB par habitant, l’investissement et la productivité (Mitra, 2020). Les CVM ont eu des effets positifs directs sur l’emploi et les salaires dans les économies de marché émergentes et, par effet d’entraînement, sur l’économie mondiale. Elles ont également accru la demande de travailleurs qualifiés dans ces pays (OMC, 2019).
L’intégration commerciale a eu des effets perturbateurs sur de nombreuses branches d’activité et collectivité locales dans les économies avancées, contribuant à alimenter un sentiment de rejet à l’égard de la mondialisation (Rodrik, 1998 ; Antràs, 2020 ; Rodrik, 2021). Le renforcement de la mobilité des échanges et des capitaux au cours des années 1990 et 2000 a permis de substituer au travail fourni par d’amples segments de la population des économies avancées celui de personnes résidant dans les économies de marché émergentes. Cela a contribué à affaiblir le pouvoir de négociation des travailleurs, en partie du fait de la segmentation de la main-d’œuvre, et à réduire l’emploi manufacturier (Durant et Milberg, 2019)1. En conséquence, de nombreux travailleurs ont été confrontés à une instabilité de leur rémunération et à la précarité, et la croissance réelle du revenu d’activité médian a été atone (Acemoglu et Autor, 2011). Ces effets ont été plus prononcés aux États-Unis qu’en Europe. Cela tient en partie au fait que la protection sociale y est moins généreuse que dans les pays européens. Cela dit, des gains considérables ont été réalisés par les actionnaires des sociétés qui ont tiré parti de la mondialisation.
La contribution exacte des échanges internationaux et des délocalisations au creusement des inégalités de revenu reste sujette à débat. D’après les conclusions de certains chercheurs, les échanges n’ont joué qu’un rôle mineur dans l’accentuation des inégalités salariales au sein des pays, tandis que le progrès technologique favorable aux travailleurs hautement qualifiés et l’évolution des stratégies des entreprises et des politiques publiques ont eu une influence plus déterminante (Helpman, 2018 ; Heimberger, 2020).
Les normes relatives au travail et à l’environnement généralement moins exigeantes dans les économies de marché émergentes que dans les économies avancées ont nourri un sentiment de concurrence déloyale et conduit à une sous-estimation du coût social total des délocalisations. Selon certaines estimations, les externalités environnementales de la production délocalisée sont considérables, en particulier dans les industries lourdes (Wiedmann et Lenzen, 2018 ; Felbermayr et Peterson, 2020). Indépendamment des normes nationales, le transport international sur longue distance accroît le coût des externalités environnementales. En outre, certains cas d’atteintes aux droits fondamentaux des travailleurs aggravent les externalités sociales de la mondialisation (Union européenne, 2021).
Conséquences de certaines caractéristiques des chaînes de valeur mondiales
Le renforcement de l’intégration commerciale et de la spécialisation a tiré la productivité vers le haut et fait baisser les prix. Ces processus présentent néanmoins plusieurs inconvénients : la dépendance à l’égard des importations, notamment s’agissant des produits sur lesquels reposent les transitions écologique et numérique, et la dépendance à l’égard de la demande étrangère se sont accentuées ; certaines productions sont devenues très concentrées dans des pays et des entreprises spécialisés dans ces activités ; et les CVM sont devenues plus longues et plus complexes. Ces caractéristiques ont créé des conditions propices à l’apparition de points uniques de défaillance (goulets d’étranglement), mais aussi débouché sur des gains de résilience dans certains cas. Un ensemble de fournisseurs ou d’acheteurs peu diversifié peut accentuer le risque de perturbations et amplifier la propagation des chocs, s’il existe peu d’autres possibilités d’acheter ou de vendre les produits considérés à d’autres entreprises ou pays (Arriola et al., 2020 ; Schwellnus et al., 2023).
Dépendance à l’égard des importations et des exportations
Il existe différentes mesures de l’exposition vis-à-vis de l’étranger. Chacune présente des avantages et des inconvénients (Borin, Mancini et Taglioni, 2021 ; Baldwin, Freeman et Theodorakopoulos, 2022). Les mesures fondées sur les échanges bruts, par opposition aux échanges en valeur ajoutée, qui rendent compte à la fois des flux commerciaux directs et des courants d’échanges indirects, via des pays tiers, sont les indicateurs privilégiés pour évaluer l’exposition vis-à-vis des chocs affectant l’offre. Ainsi, la dépendance à l’égard des intrants étrangers (DIE), qui mesure la dépendance à l’égard des fournisseurs (en amont), et la dépendance à l’égard des marchés étrangers (DME), qui mesure la dépendance à l’égard des acheteurs (en aval), permettent d’appréhender les risques qui pèsent sur les CVM tant du fait de l’ampleur des expositions que de la complexité des chaînes de valeur (Schwellnus et al., 2023).
L’analyse des indicateurs de DME et de DIE met en évidence des caractéristiques essentielles des liens de dépendance à l’égard de l’étranger (graphique 2.2, Schwellnus et al. (2023)). Comme on pouvait s’y attendre, les petites économies ouvertes tendent à être plus exposées vis-à-vis des fournisseurs et acheteurs étrangers. Dans plusieurs cas, les liens de dépendance en aval découlent d’une spécialisation dans l’exploitation minière de ressources naturelles (Norvège, Chili et Australie). La plupart des pays de l’OCDE sont essentiellement exposés vis-à-vis d’autres membres de l’Organisation, en particulier au sein de sous-ensembles régionaux : les Amériques, l’Europe et l’Asie. Néanmoins, certains pays d’Asie et d’Amérique du Sud dépendent de manière cruciale de la Chine. En outre, les liens de dépendance varient sensiblement suivant les secteurs. La construction automobile, la fabrication d’autres matériels de transport, l’industrie textile et l’habillement, les TIC et l’électronique ainsi que la fabrication de machines et de matériel sont particulièrement tributaires des intrants étrangers, tandis que les activités extractives, le magasinage et l’industrie chimique sont particulièrement exposés vis-à-vis de la demande étrangère.
La production de plusieurs secteurs et produits est très concentrée dans un très petit nombre de pays. Les secteurs dans lesquels la part de la production brute mondiale représentée par les cinq premiers pays est la plus élevée sont les activités extractives, la fabrication de machines et de matériel, l’industrie textile et l’habillement, la fabrication de matériels électriques, les TIC et l’électronique, la fabrication de produits métallurgiques de base et la pêche (Schwellnus et al., 2023). Il existe une corrélation positive entre cette concentration et la taille des économies, la Chine et les États-Unis dominant le classement. La concentration par pays des exportations de produits intermédiaires dans des secteurs principalement manufacturiers est moindre que celle de la production brute, mais elle reste forte dans certains secteurs (graphique 2.3). Le classement des pays est plus diversifié d’un point de vue géographique, même si la Chine et les États-Unis arrivent toujours en tête dans la plupart des secteurs analysés.
Cette concentration géographique peut être encore plus marquée par produit. Ainsi, pour de nombreux produits électroniques (notamment les circuits électroniques, les machines de traitement de l’information et les parties d’appareils téléphoniques), trois quarts des intrants mondiaux proviennent de deux pays, sachant que la Chine, la Corée, les Philippines et le Viet Nam occupent les premières places du classement (graphique 2.4, partie A ; Arriola et al. (2020)). La production est également très concentrée pour de nombreux produits pharmaceutiques, notamment en ce qui concerne les composants des antibiotiques, dont la Chine et plusieurs pays européens sont les principaux producteurs (graphique 2.4, partie B).
Dépendances stratégiques
Une des formes de dépendance tient aux importations de produits qui revêtent une importance stratégique pour une nation (Bonneau et Nakaa, 2020 ; Commission européenne, 2021 ; The White House, 2022). Une ambiguïté considérable entoure la définition des dépendances stratégiques en droit international. En pratique, divers rapports indiquent généralement que les secteurs stratégiques sont liés à la sécurité, aux soins de santé, à l’énergie, ainsi qu’aux biens, services et technologies qui sont essentiels pour les transitions numérique et écologique2.
La Commission européenne (2021) a identifié 137 produits stratégiques pour lesquels l’Union européenne (UE) dépend fortement d’importations provenant de pays tiers, principalement de la Chine, mais aussi du Viet Nam et du Brésil3. Ces produits correspondent à des matières premières ou transformées et à des produits chimiques à forte intensité énergétique, des principes actifs pharmaceutiques et d’autres produits de santé, et plusieurs produits essentiels aux transitions numérique et écologique. Les importations d’environ un quart de ces produits sont particulièrement vulnérables, compte tenu des possibilités limitées de diversifier ces importations ou d’y substituer une production nationale (en raison de fortes différences de prix dans le second cas). Les dépendances stratégiques des États-Unis à l’égard de la Chine sont similaires à celles de l’UE. Elles ont essentiellement trait à plusieurs produits de santé, certaines matières premières et des produits essentiels pour les transitions écologique et numérique (Commission européenne, 2021 ; The White House, 2022).
Le secteur des semi-conducteurs a gagné en importance stratégique, compte tenu de la vulnérabilité qui découle de sa forte concentration géographique (Haramboure, Lalanne et Schwellnus, 2023). Les semi-conducteurs sont des intrants critiques utilisés dans une large palette de secteurs, notamment ceux des biens liés aux TIC, de l’électronique et de l’automobile (dont la valeur ajoutée représente jusqu’à 8 % de la demande finale) ainsi que du matériel militaire. Les pénuries de semi-conducteurs observées pendant la crise liée au COVID-19 ont montré qu’elles pouvaient perturber la production d’autres secteurs. Les cinq premières économies productrices de semi-conducteurs sont à l’origine d’environ trois quarts de la valeur ajoutée mondiale créée dans ce domaine. Pour l’heure, leur production est dominée par la Chine, la Corée et le Taipei chinois, qui représentent ensemble approximativement 60 % de la valeur ajoutée mondiale dans le secteur des semi-conducteurs.
L’énergie est un secteur critique, et la volatilité des approvisionnements peut influer de manière considérable sur son coût, ce qui est lourd de conséquences sur la qualité de vie des ménages et la compétitivité des entreprises. De nombreux pays de l’OCDE sont très dépendants de sources étrangères pour leur approvisionnement en énergie, en particulier en Europe et en Asie de l’Est (graphique 2.5). En outre, les sources d’énergie restent relativement infongibles à court terme, dans la mesure où des équipements tels que les centrales électriques et les véhicules utilisent des combustibles spécifiques. Cela peut exacerber la dépendance des systèmes énergétiques nationaux. La dépendance à l’égard des importations est particulièrement forte pour le pétrole brut et le gaz naturel. Ainsi, alors que le taux global de dépendance de l’UE vis-à-vis des importations d’énergie s’établissait à 58 % en 2020, son taux de dépendance à l’égard des importations de gaz naturel était de 88 %.
Au cours de la dernière décennie, la production de matières premières critiques est devenue de plus en plus concentrée dans quelques pays (Kowalski et Legendre, 2023), fréquemment considérés comme politiquement instables ou extrêmement instables (BMLRT, 2022)4. En outre, certains des principaux pays producteurs représentent une part importante de la production de plusieurs matières premières critiques (graphique 2.6). La Chine figure parmi les trois premiers producteurs de six des dix matières premières critiques dont la production est la plus concentrée. Le traitement des ressources minérales critiques revêt une grande importance et est généralement davantage concentré que les activités d’extraction (AIE, 2022). Néanmoins, pour certaines ressources minérales, la concentration actuelle des activités extractives est plus forte que celle des réserves naturelles, ce qui implique que la concentration de ces activités pourrait diminuer dans l’avenir5.
La forte concentration de la production s’explique en partie par les conditions géologiques et par l’ampleur des dépenses en capital fixe dans le secteur des activités extractives, mais les politiques industrielles ont également pesé dans la balance. La prédominance de la Chine tient à la position de premier plan qu’elle occupe en tant que détentrice de capacités de raffinage et de ressources minérales à l’étranger.
La concentration de la production est également forte pour plusieurs produits qui jouent un rôle central dans la transition écologique. Ainsi, la Chine domine la production mondiale d’équipements photovoltaïques et de batteries, qui revêtent une importance cruciale pour la réalisation des objectifs de neutralité carbone (AIE, 2022 ; AIE, 2022). La part de la Chine dans la production mondiale de silicium polycristallin, de lingots de silicium et de plaquettes de silicium (qui correspondent aux trois étapes clés du processus de fabrication des équipements photovoltaïques) devrait bientôt atteindre 95 %. Cette production est concentrée dans une seule région et dans quelques usines, ce qui rend la chaîne d’approvisionnement très vulnérable. La Chine produit trois quarts de la totalité des batteries lithium-ion et détient 70 % et 85 % des capacités de production de cathodes et d’anodes, respectivement, qui sont les deux principales composantes de ces batteries. La prédominance de la Chine dans ces domaines tient à la politique industrielle des autorités, qui a permis d’énormes économies d’échelle et une innovation continue dans la chaîne d’approvisionnement.
Centralité et goulets d’étranglement
La structure des réseaux détermine les vulnérabilités potentielles des CVM et leur propension à amplifier les chocs. L’analyse de réseau permet de cerner l’importance d’un pays ou d’un secteur dans un réseau de CVM – ce que l’on appelle sa centralité – en prenant en compte la participation directe des pays aux CVM ainsi que la participation de leurs partenaires dans les chaînes de valeur (Criscuolo et Timmis, 2018 ; Cingolani, Iapadre et Tajoli, 2018 ; Altomonte, Colantone et Bonacorsi, 2018 ; Arriola et al., 2020). Plus l’indicateur de centralité est élevé, plus le pays/secteur considéré revêt de l’importance en tant que fournisseur ou client dans le réseau, et plus le risque de propagation des chocs est grand.
Selon certaines mesures, la Chine et les pays du Groupe des Sept (G7) sont les pays les plus centraux dans les CVM, sachant que la Chine a nettement progressé dans le classement depuis 2005 (graphique 2.7, partie A)6. Si l’on examine le classement des secteurs, les activités juridiques et comptables et le commerce de gros et de détail aux États-Unis sont les plus centraux des secteurs de services, tandis que la fabrication de produits métallurgiques de base en Chine et la construction de véhicules automobiles en Allemagne sont les secteurs d’activités de fabrication les plus centraux (graphique 2.7, partie B).
Un tableau similaire ressort des mesures des goulets d’étranglement en amont (définis comme les fournisseurs les plus importants de produits intermédiaires) et des goulets d’étranglement en aval (c’est-à-dire des acheteurs les plus importants de produits intermédiaires) (Schwellnus et al., 2023)7. Dans les secteurs d’activités de fabrication, la Chine se classe au premier rang dans plusieurs branches, à la fois en tant que fournisseur clé et en tant qu’acheteur clé (les TIC et l’électronique, la fabrication de produits métallurgiques de base, la fabrication de produits chimiques, la fabrication de machines et de matériel, la fabrication de matériels électriques et la construction). La Chine constitue également un goulet d’étranglement important du côté des acheteurs dans le secteur de l’extraction de produits énergétiques, tandis que l’Arabie saoudite, les États-Unis et la Russie y jouent un rôle clé du côté de l’offre. Parmi les pays de l’OCDE, seuls quelques secteurs d’activités de fabrication en Allemagne et aux États-Unis sont identifiés en tant que goulets d’étranglement.
Les vulnérabilités ne sont pas toutes connues
Malgré l’abondance des données et des analyses dont nous disposons sur les dépendances des pays et des secteurs ainsi que sur leur centralité, nous n’appréhendons que partiellement les vulnérabilités correspondantes. Les recherches menées sur l’exposition aux risques par produit et la complexité des réseaux au niveau des entreprises, ainsi que leurs implications macroéconomiques, systémiques et en matière de sécurité, laissent à désirer. De telles analyses microéconomiques pourraient permettre de mieux cerner les risques macroéconomiques et d’élaborer des mesures ciblées.
Les chercheurs et les pouvoirs publics ont du mal à identifier les points faibles, car les données relatives aux chaînes d’approvisionnement appartiennent à des entreprises (Farrell et Newman, 2022). Même les grandes entreprises peuvent avoir des difficultés à comprendre leurs propres réseaux, compte tenu de leur complexité (Baldwin et Freeman, 2022). Leurs fournisseurs de premier rang ne représentent qu’une petite fraction de l’ensemble de leur chaîne de valeur (Lund, 2020)8. Les petites entreprises pourraient avoir des chaînes d’approvisionnement moins complexes, mais elles sont plus susceptibles que les grandes de ne pas avoir des ressources suffisantes pour pouvoir suivre et analyser efficacement le fonctionnement de leurs chaînes d’approvisionnement, et d’être tributaires des chaînes d’approvisionnement d’autres entreprises, sur lesquelles elles n’ont pas accès aux informations.
On ne dispose pas de statistiques commerciales comparables sur des produits spécifiques ou spécialisés correspondant à un grand nombre de pays, ce qui fait obstacle à une analyse plus fine des dépendances (Commission européenne, 2021). Le manque d’informations précises est particulièrement aigu pour les services et les technologies complexes.
De nombreuses évaluations de l’exposition des chaînes de valeur mondiales et des risques liés aux CVM fondées sur des données d’entrées-sorties (goulets d’étranglement ou centralité) ne prennent généralement pas en compte des aspects importants de cette exposition :
Substituabilité. La facilité avec laquelle il est possible de substituer un fournisseur à un autre pour un intrant donné peut influer sur la résilience. Pour un niveau donné d’exposition vis-à-vis d’approvisionnements en intrants étrangers, les risques économiques sont plus faibles (la résilience est plus forte) si l’on peut aisément substituer à ces produits étrangers des intrants achetés à d’autres fournisseurs (dans un autre pays ou sur le territoire national). Dans la mesure où l’évaluation des possibilités de substitution est difficile, ces considérations ne sont généralement pas prises en compte dans l’évaluation de la vulnérabilité des CVM.
Complémentarité. La complémentarité des intrants utilisés dans le processus de production influe également sur la résilience. Les analyses de la propagation des chocs via les CVM reposent généralement sur l’hypothèse que la production d’un secteur donné est affectée par une baisse de la production d’un de ses intrants intermédiaires à proportion du poids relatif de cet intrant dans la production brute dudit secteur. Néanmoins, certains intrants peuvent être très complémentaires, et leur absence peut empêcher toute activité de production (OCDE, 2022). Ainsi, le poids relatif des intrants énergétiques dans la production brute est généralement modeste, mais la plupart des secteurs seraient dans l’incapacité de réaliser la moindre activité de production sans électricité ou gaz. De même, un manque de semi-conducteurs empêcherait la fabrication de nombreux produits.
Transport international. Les chocs subis par les transports ne sont pas inclus dans l’analyse classique des chocs affectant l’offre et la demande. 80 % des échanges sont réalisés par voie maritime. Les réseaux de transport maritime se caractérisent par leur concentration sur un petit nombre de routes de navigation ; la plupart des liaisons maritimes comportent une escale dans au moins un autre pays ; et quelques ports centraux, jouant un rôle de plaque tournante dans un réseau peu dense, traitent une partie considérable du trafic maritime de marchandises (Heiland et al., 2019). Plusieurs événements récents montrent que les chocs subis par les transports peuvent perturber sensiblement les échanges internationaux, même si de telles perturbations sont généralement de courte durée9. Elles sont plus probables dans le cas des transports intercontinentaux, pour lesquels il n’existe pas d’autre possibilité d’acheminement bon marché des produits pondéreux. Néanmoins, des effets négatifs peuvent aussi être induits sur les liaisons routières10.
Investissement : La plupart des analyses des expositions sont axées sur les échanges d’intrants intermédiaires considérés sous l’angle de la production brute ou de la valeur ajoutée. Elles ne tiennent donc pas compte des échanges de biens finals d’investissement considérés sous l’angle de l’investissement total. Or, la dépendance de l’investissement à l’égard des importations peut constituer une autre source d’exposition aux chocs ou aux politiques étrangers. Ainsi, dans le secteur des semi-conducteurs, les machines permettant de fabriquer les puces électroniques sont fabriquées par quelques entreprises11. En conséquence, toute perturbation des livraisons de ces machines pourrait entraver la croissance de la production dans l’avenir.
Propagation des chocs et volatilité économique
Les liens théoriques entre intégration commerciale et volatilité économique ne sont pas nettement définis, et les données empiriques dont on dispose sur la question sont ambiguës. Ces liens dépendent des hypothèses sous-jacentes au modèle utilisé, de la nature du choc ainsi que des caractéristiques des économies et des réseaux considérés. Il est donc difficile de tirer des travaux réalisés sur la question des enseignements universels en matière d’action publique et de proposer des solutions aux pouvoirs publics.
Une spécialisation accrue peut accentuer la volatilité en réduisant la capacité d’absorption des chocs des fournisseurs (Newbery et Stiglitz, 1984). En outre, des chaînes de valeur complexes et longues concernant des intrants intermédiaires peuvent propager des perturbations spécifiques à une entreprise ou à une région aux flux de biens et de services entre une multitude d’entreprises et de secteurs dans divers pays (Levine, 2012). Des chaînes de valeur plus longues impliquent également que les produits franchissent des frontières à maintes reprises, ce qui va de pair avec une plus forte probabilité de perturbation des transports.
Les chocs microéconomiques peuvent être amplifiés au point d’avoir des conséquences macroéconomiques (Carvalho et Tahbaz‑Salehi, 2019)12. En principe, la nature d’une telle amplification dépend de la distribution des entreprises par taille et de la structure des réseaux d’entrées-sorties, sachant que les chocs subis par de grandes entreprises qui fournissent des produits à de nombreux secteurs sont plus susceptibles d’affecter la volatilité macroéconomique (Acemoglu et al., 2012). De tels effets ne peuvent certes se produire que dans un contexte national, mais il est possible que l’intégration dans les CVM ait accentué la spécialisation et l’hétérogénéité des entreprises s’agissant de l’importance qu’elles revêtent en tant que fournisseurs d’intrants, qui constitue un des facteurs clés de transformation des chocs microéconomiques en volatilité macroéconomique.
Néanmoins, le commerce international peut aussi faciliter une diversification de l’offre et de la demande, réduisant l’exposition aux chocs intérieurs. De fait, une diversification plus poussée des fournisseurs au sein des réseaux de production réduit au minimum l’impact macroéconomique des chocs microéconomiques (Carvalho et Tahbaz-Salehi, 2019). En outre, il peut être plus aisé pour une entreprise de gérer ses stocks, d’adapter uniquement un segment d’une chaîne d’approvisionnement, et de changer de fournisseur en cas de choc négatif si elle se caractérise par un vivier mondial de fournisseurs et des chaînes d’approvisionnement fragmentées, plutôt que par une production nationale et relativement peu spécialisée.
Les données empiriques dont on dispose concernant l’influence des échanges sur la volatilité macroéconomique sont ambiguës (D’Aguanno et al., 2021). En ce qui concerne le lien général entre ouverture commerciale et volatilité, certaines études indiquent qu’une intégration commerciale plus poussée peut se traduire par une volatilité plus forte (Rodrik, 1998 ; Easterly, Islam et Stiglitz, 2001 ; Giovanni et Levchenko, 2009), tandis que d’autres montrent le contraire (Bejan, 2011 ; Buch, Döpke et Strotmann, 2021 ; Cavallo, 2009 ; Haddad et al., 2013). Les travaux portant spécifiquement sur les liens d’interdépendance productive montrent systématiquement qu’une diversification des fournisseurs réduit la volatilité économique (Caselli et al., 2020 ; Ardelean, Leon-Ledesma et Puzzello, 2022 ; Todo, Nakajima et Matous, 2015). En revanche, le rôle joué par la spécialisation est ambigu ; d’après les conclusions de certains travaux, une spécialisation plus poussée accentue la volatilité (Caselli et al., 2020 ; D’Aguanno et al., 2021), mais d’autres indiquent au contraire qu’elle entraîne une diminution de la volatilité (Ardelean, Leon-Ledesma et Puzzello, 2022). Cette ambiguïté des travaux empiriques sur le lien entre intégration commerciale et volatilité peut aussi tenir à des différences intrinsèques de volatilité entre pays et entre secteurs (Caselli et al., 2020).
Même si l’intégration commerciale accentue la volatilité, il n’est pas évident que celle-ci soit absolument dommageable et qu’elle doive être limitée (Levine, 2012). Dans le cadre d’une évaluation complète devraient aussi être pris en compte les effets induits sur la productivité et le bien-être (voir ci-avant). Le recours grandissant aux intrants intermédiaires favorisé par l’intégration dans les CVM stimule la croissance économique, entraîne une densification des réseaux de production et fait baisser tous les prix (Acemoglu et Azar, 2020). Selon certaines simulations, les effets quantitatifs d’une volatilité accrue ne sont pas garantis et sont modestes au regard des gains d’efficience connexes (Arriola et al., 2020 ; D’Aguanno et al., 2021).
Par ailleurs, un point important pour évaluer l’articulation entre échanges et volatilité économique réside dans la distinction entre la résilience (c’est-à-dire la capacité de se remettre d’un choc négatif) et la robustesse des CVM (c’est-à-dire la capacité de poursuivre ses activités pendant la durée d’un choc et de réduire au minimum la probabilité de choc) (Miroudot, 2020). Les chocs subis par la production dans des secteurs spécifiques, même s’ils sont fréquents, pourraient être de courte durée et n’avoir que des conséquences macroéconomiques négligeables à long terme13. Autrement dit, même si certaines chaînes de valeur ne sont pas robustes (sont affectées par les chocs), elles peuvent être résilientes, ce qui signifie que leur production peut se redresser rapidement après un choc négatif. Ainsi, après le grand tremblement de terre survenu dans l’est du Japon, les entreprises dotées d’un vaste réseau de fournisseurs ont pu se redresser plus rapidement, en partie grâce au soutien de leurs partenaires commerciaux, à la plus grande facilité avec laquelle elles ont pu rechercher de nouveaux partenaires, et à des avantages d’agglomération (Todo, Nakajima et Matous, 2015). La résilience des CVM pourrait résulter de la capacité des entreprises touchées de résoudre elles-mêmes leurs problèmes, ou de la relative facilité avec laquelle elles peuvent changer de fournisseurs.
En revanche, les expositions vis-à-vis de l’étranger peuvent être conséquentes lorsque la politique commerciale est utilisée à des fins coercitives (par exemple au cours de périodes prolongées de grave conflit géopolitique ou de guerre), et lorsqu’il est difficile et coûteux de trouver des substituts aux importations affectées. La réduction soudaine et marquée des importations de gaz et de pétrole en provenance de Russie qui a fait suite à la guerre déclenchée par celle-ci contre l’Ukraine, et ses répercussions sur l’économie européenne, illustrent bien ces enjeux (OCDE, 2022).
Que peut-on faire pour réduire les risques liés aux CVM ?
Les travaux publiés sur la question et les considérations exposées ci-avant montrent que même si certains risques découlent des CVM, l’intégration commerciale a eu de nombreux effets positifs. La nécessité et l’urgence de réduire ces risques, sans remettre en cause les avantages des CVM en matière économique et de gestion des risques, varient suivant les produits et les secteurs. Il en va de même pour les stratégies et les mesures spécifiques envisageables. En outre, il n’existe pas de consensus sur l’ampleur des interventions publiques qui seraient de mise, ni sur la nature des mesures spécifiques à prendre. Nous examinons dans cette section différentes solutions envisageables pour réduire les risques liés aux CVM, les mesures spécifiques qui pourraient être prises pour atteindre cet objectif et les rôles respectifs que pourraient jouer le secteur privé et les pouvoirs publics.
Grandes stratégies envisageables
Les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales et la montée des tensions géopolitiques au cours de la dernière décennie ont entraîné une multiplication des appels à réduire les vulnérabilités des CVM et à renforcer l’autonomie stratégique. Les trois stratégies évoquées le plus souvent dans les travaux publiés sur la question sont les suivantes : diversifier les sources d’intrants ; transférer la production plus près du territoire national (délocalisation de proximité), en particulier dans des pays avec lesquels existent des relations amicales (délocalisation dans un pays ami), ou dans le pays même (relocalisation) ; et améliorer la gestion des stocks. Chacune de ces stratégies présente des avantages et des inconvénients, et il faudrait choisir l’assortiment de mesures retenu in fine en mettant en balance les coûts et les avantages des différentes options et en tenant compte de leurs interactions.
La diversification des fournisseurs est généralement la solution privilégiée par rapport à la relocalisation ou à la délocalisation de proximité
Pour l’essentiel, les arguments économiques militent en faveur de la diversification, plutôt que de la relocalisation14. La relocalisation est parfois décrite comme une stratégie destinée à réduire la volatilité du PIB. Néanmoins, dans la plupart des cas, l’autosuffisance ou la production intérieure n’est pas synonyme de robustesse des chaînes de valeur (Miroudot, 2020). En outre, plusieurs simulations par modélisation fondées sur différents scénarios de relocalisation montrent que celle-ci de garantit pas la réalisation de cet objectif, contrairement à la diversification, et qu’elle peut se traduire par d’importantes pertes de bien-être. Les relocalisations sont simplement susceptibles de modifier l’importance relative des chocs intérieurs et étrangers. Même dans les économies les plus intégrées aux CVM, les liens intérieurs l’emportent déjà sur les liens avec l’étranger, ce qui laisse entrevoir la possibilité d’une accentuation des risques de concentration. De même, les travaux publiés sur la gestion des risques laissent à penser que les relocalisations et le raccourcissement des chaînes d’approvisionnement ne réduisent pas nécessairement les risques (Miroudot, 2020).
Les problèmes de pertes de bien-être et d’absence de réduction de la volatilité de la production soulevés par les relocalisations semblent moins se poser pour les délocalisations de proximité, en raison d’expositions plus limitées aux chocs intérieurs et, éventuellement, de différences de prix moins marquées. De fait, les délocalisations de proximité peuvent s’inscrire dans le cadre d’une stratégie de diversification. En outre, les délocalisations de proximité peuvent offrir plusieurs autres avantages. L’approvisionnement dans des économies voisines peut réduire les délais liés à la longueur des chaînes d’approvisionnement et les prélèvements à l’importation. Les délocalisations dans des pays amis, qui peuvent consister de fait en des délocalisations de proximité et dont l’attrait politique s’est récemment renforcé15, peuvent favoriser une harmonisation réglementaire plus poussée, présentent des risques plus limités pour la propriété intellectuelle et contribuent à réduire au minimum les risques géopolitiques (voir ci-après).
Reste que les délocalisations dans des pays amis peuvent s’avérer difficiles à réaliser en pratique. Les entreprises risquent d’avoir du mal à savoir quels pays seront considérés comme « amis » sur la base de critères pérennes. L’ambiguïté qui entoure la notion de territoires « sûrs » peut accentuer l’incertitude à laquelle sont confrontées les entreprises, ce qui aurait des conséquences négatives sur l’investissementé16.
Reconfigurer les chaînes d’approvisionnement peut être coûteux, mais une stratégie de diversification pourrait être moins onéreuse que des relocalisations ou des délocalisations de proximité. Trouver d’autres fournisseurs pour certains produits pourrait impliquer de s’approvisionner auprès de producteurs pratiquant des prix plus élevés. Si une diversification de la production implique qu’une entreprise doit déplacer ses propres usines entre différents pays, elle devra également assumer en conséquence les coûts irrécupérables d’investissements antérieurs. Cela sera tout particulièrement le cas pour les secteurs à forte intensité de capital et de savoir. Le niveau exact des effets induits sur les coûts et les bénéfices sera probablement spécifique à chaque entreprise, et il est difficile à évaluer. En principe, les coûts totaux devraient dépendre de l’ampleur de la diversification ou de la relocalisation effectuée, des écarts de prix entre fournisseurs et des éventuelles variations connexes des coûts de transport17. Des études complémentaires concernant les effets induits sur les prix par les mesures de diversification et de relocalisation ou de délocalisation de proximité, même à un niveau global, sont nécessaires. Compte tenu du problème des coûts irrécupérables, il est peu probable qu’une reconfiguration des chaînes d’approvisionnement ait lieu dans une perspective de moyen à long terme sans aides publiques conséquentes (Antràs, 2020 ; Baldwin et Freeman, 2022 ; McIvor et Bals, 2021 ; Union européenne, 2021).
Les délocalisations dans des pays amis peuvent s’accompagner de coûts supplémentaires. Une scission des échanges mondiaux entre deux blocs pourrait avoir un effet sensible sur le PIB mondial, qui subirait une réduction comprise entre 0.6 % et 4.6 % à moyen terme (Javorcik et al., 2022). En outre, une homogénéité des pays amis pourrait se traduire par la perte d’une grande partie des gains découlant des avantages comparatifs et, partant, sur des pertes de bien-être.
La possibilité de diversifier la production et de procéder à des relocalisations ou à des délocalisations de proximité varie sans doute considérablement suivant les produits. Une diversification de la production est probablement moins coûteuse et plus aisée pour des produits qui exigent des technologies simples, se caractérisent par de petites économies d’échelle et sont standardisés, que pour des produits à forte intensité de technologie, qui exigent d’amples économies d’échelle et sont hautement personnalisés (Baldwin et Freeman, 2022). Les économies d’échelle et les contraintes de ressources (concernant le travail, le capital et les technologies) pourraient également davantage entraver les relocalisations ou les délocalisations de proximité que les mesures de diversification, en particulier pour les économies de taille modeste ou moyenne. La capacité des économies nationales et des pays « amis » d’absorber les investissements nécessaires pourrait se heurter à des limites, liées à leurs capacités infrastructurelles et institutionnelles, à la disponibilité d’une main-d’œuvre dotée des compétences requises, ainsi qu’à la base technologique de l’économie (Every et van Harn, 2022). Néanmoins, une stratégie de diversification de la production peut ne pas être viable dans les secteurs caractérisés par des coûts fixes élevés, car l’échelle de production ne serait pas suffisante (Antràs, Fort et Tintelnot, 2017). De même, une diversification de la production peut être difficile à réaliser, et une relocalisation ou une délocalisation de proximité quasiment impossible, pour de nombreuses ressources naturelles qui se caractérisent par une forte concentration géographique, résultant d’une situation de monopole naturel (voir ci-avant).
La faisabilité d’une diversification de la production et d’une délocalisation de proximité dépendra également des infrastructures de transport. Ainsi, de nombreuses économies d’Asie du Sud-Est ne disposent pas de ports aussi grands et efficaces que ceux de la Chine, ce qui pourrait entraver un transfert d’activités productives de la Chine vers d’autres pays d’Asie (Shih, 2020). Par conséquent, en l’absence d’investissements dans les infrastructures de transport, des efforts considérables de diversification et de délocalisation de proximité iraient de pair avec des coûts de transport élevés (allongement des délais de transport) (Iakovou et White III, 2020).
L’optimisation de la gestion des stocks peut contribuer à réduire certains risques liés aux chaînes d’approvisionnement
Créer de la redondance en augmentant les stocks, en particulier d’intrants intermédiaires critiques et de produits finals critiques, est considéré de longue date comme un des moyens d’améliorer la robustesse des chaînes d’approvisionnement dans certaines situations (Shih, 2020). De fait, pendant la crise liée au COVID-19, certains commentateurs ont noté un recul de la gestion des stocks en flux tendus (just-in-time) au profit d’une gestion préventive des stocks (just-in-case), qui a tiré vers le haut le taux d’utilisation des entrepôts (Salomon, 2022). À la mi-2021, une étude de McKinsey menée auprès de cadres responsables de la chaîne d’approvisionnement a montré que la plupart des entreprises industrielles avaient pris des mesures pour améliorer leurs stocks, plutôt que de procéder à des délocalisations de proximité, pour faire face à la crise liée au COVID-19 (Alicke (2021) ; graphique 2.8). Pour la plupart des produits, le coût de stockage peut être faible comparé à celui d’opérations de délocalisation de proximité ou de relocalisation. Néanmoins, pour les produits pondéreux (notamment le pétrole et le gaz), la construction de capacités de stockage peut être coûteuse et prendre du temps.
En tout état de cause, la viabilité d’une telle approche variera non seulement suivant les secteurs, mais aussi selon les produits et les entreprises dans un secteur donné. Ainsi, dans le secteur pharmaceutique, la constitution de stocks régulateurs de médicaments à durée de péremption longue caractérisés par une demande stable est effectivement une option viable. En revanche, tel n’est pas le cas pour les médicaments dont le délai de péremption est court ou pour lesquels l’évolution future de la demande est difficile à prévoir (par exemple en raison de l’incertitude qui entoure les futures crises sanitaires et, partant, les besoins en médicaments et en matériel). En outre, même si l’existence de stocks peut atténuer l’impact de la volatilité dans certaines chaînes d’approvisionnement, ils seront épuisés par des chocs graves ou prolongés et supposent que les parties prenantes déterminent correctement la nature des matières et composants critiques qui pourraient perturber la production, ainsi que la probabilité et la gravité des chocs. L’expérience des pays pendant la pandémie de COVID-19 illustre les avantages et les risques d’une stratégie visant à gérer les perturbations des chaînes d’approvisionnement en s’appuyant sur les stocks. Tandis que certains pays disposaient de stocks importants d’équipements de protection individuelle à utiliser dans le cadre du traitement des patients atteints de COVID-19, d’autres pays étaient dotés de stocks conséquents de matériel médical qui n’était pas adapté aux besoins du personnel soignant chargé des personnes infectées par le coronavirus (Feinmann, 2021). En outre, la conservation de stocks volumineux peut déboucher sur des phénomènes de gaspillage et d’inefficience, qui peuvent également dissuader les entreprises d’investir dans la résilience.
Quel devrait être le rôle des pouvoirs publics ?
La question fondamentale des arguments qui militent en faveur d’une intervention publique pour réduire les risques liés aux CVM, et de la nature de cette intervention, reste entière. Les travaux publiés sur la question portent essentiellement sur des mesures élaborées au niveau des entreprises, et non au niveau national ou mondial (Baldwin et Freeman, 2022). En principe, les entreprises privées sont incitées financièrement à réduire les risques de perturbations coûteuses de la production. Des délais prolongés de livraison des intrants intermédiaires compliquent la production et la vente de produits, ce qui peut conduire à des pertes financières ou à des préjudices réputationnels18. En outre, la résilience d’une entreprise au moment où ses concurrents s’efforcent de reprendre leur production après un choc négatif l’aide à gagner des parts de marché et à accroître ses bénéfices. Les incitations financières à réduire les risques de perturbations sont cependant amoindries par la nécessité d’investir pour adapter les chaînes d’approvisionnement et par les coûts irrécupérables des investissements antérieurs. Les entreprises privées sont également les mieux placées pour décider s’il est plus judicieux de s’attacher en priorité à améliorer leur robustesse (en réduisant au minimum leur exposition aux risques) ou à renforcer leur résilience (c’est-à-dire leur capacité de reprendre leurs activités après un choc négatif). La stratégie idéale diffèrera probablement suivant les secteurs et les entreprises (Miroudot, 2020).
En principe, une intervention des pouvoirs publics pourrait se justifier pour deux raisons.
Premièrement, en cas de divergence entre intérêts publics et privés. Ainsi, si des entreprises ne prennent pas en compte de manière appropriée les coûts sociaux des perturbations de la production, et de l’indisponibilité de certains produits qui en découle, elles risquent de ne pas investir suffisamment dans la résilience d’un point de vue social. Dans ce cas, une intervention publique destinée à mettre en cohérence les incitations privées et sociétales se justifie. Les enjeux de sécurité nationale constituent à cet égard un cas particulier, dans lequel l’indisponibilité de certains composants ou produits finis peut menacer la sécurité économique, sanitaire ou militaire d’un pays (voir ci-après). Il pourrait donc être inopportun de laisser les entreprises privées décider seules de la meilleure façon de garantir la fourniture de biens de ce type. Dans de telles situations, l’enjeu pour les décideurs publics est d’identifier les expositions et les risques, et de concevoir des mesures proportionnées pour les atténuer. Cela peut néanmoins s’avérer difficile en pratique.
Deuxièmement, une intervention publique peut être motivée par un manque d’informations pertinentes conduisant des entreprises privées à sous-estimer des risques. Cela pourrait tenir à la complexité des réseaux d’approvisionnement, aux coûts de collecte et d’analyse des données, et aux défauts de coordination qui empêchent les entreprises d’avoir une perspective mondiale sur un marché ou un produit spécifique. L’assistance des pouvoirs publics pourrait prendre la forme de mesures destinées à s’attaquer aux externalités de l’asymétrie de l’information, mais aussi d’initiatives visant à améliorer la compréhension des risques (voir ci-après).
Ainsi, des interventions publiques directes dans le système commercial mondial peuvent se justifier si elles sont coordonnées et ciblées pour remédier à des défaillances du marché clairement identifiées. Néanmoins, les travaux universitaires publiés sur la question n’offrent guère d’éléments confirmant l’existence de telles défaillances du marché, si bien qu’il est difficile d’élaborer des mesures destinées à améliorer le bien-être (D’Aguanno et al., 2021).
Quelles mesures spécifiques facilitent la mise en œuvre des stratégies de réduction des risques ?
Plusieurs mesures spécifiques peuvent être adoptées, tant par les entreprises privées que par les pouvoirs publics, pour mettre en œuvre les stratégies susmentionnées. Elles sont décrites de manière succincte dans cette section.
Les entreprises privées peuvent réduire les risques qui pèsent sur leurs chaînes d’approvisionnement de nombreuses manières
Dans les travaux publiés sur la gestion des chaînes d’approvisionnement ont été identifiées depuis longtemps de nombreuses mesures que peuvent prendre les entreprises pour réduire les risques auxquels sont exposées leurs chaînes d’approvisionnement (Sáenz et Revilla, 2014 ; Kamalahmadi et Parast, 2016 ; Sá et al., 2020). Elles peuvent notamment consister à prendre en compte les risques géographiques et liés aux fournisseurs lors de la conception d’une chaîne d’approvisionnement, mais aussi la souplesse avec laquelle elle saura réagir aux perturbations. Il est également fréquemment recommandé de renforcer la flexibilité des processus industriels et de s’appuyer sur des intrants standardisés provenant de multiples fournisseurs. Une bonne pratique réside dans la mise en place de capacités de production redondantes. À cet égard, des contrats d’achat à long terme constituent un bon moyen de favoriser chez différents fournisseurs un renforcement des capacités et une réduction des prix (Shih, 2020). Enfin, il est recommandé dans les travaux publiés sur la question d’optimiser la gestion des stocks.
Les entreprises privées devraient s’efforcer de réunir en temps opportun des informations précises et exhaustives, notamment sur les services de magasinage, les stocks et les transports (Kamalahmadi et Parast, 2016 ; Sá et al., 2020). On pourrait classer les processus de production en différenciant ceux qui présentent un risque faible, un risque moyen et un risque élevé, en fonction de critères tels que l’impact qu’aurait sur le chiffre d’affaires la perte d’une source donnée d’approvisionnement, le temps qu’il faudrait à l’usine d’un fournisseur donné pour surmonter une perturbation, et la disponibilité d’autres sources (Shih, 2020). La réussite d’une telle entreprise dépendrait de la coopération des fournisseurs et des clients. La principale difficulté soulevée par cette stratégie tient au fait qu’il est coûteux pour les entreprises de collecter et d’analyser des données, en particulier pour les petites entreprises. En outre, certaines entreprises peuvent ne pas être disposées à partager leurs données, étant donné que certaines informations peuvent influencer les marchés.
Quoique relativement rares, les données disponibles sur l’amélioration de la résilience laissent à penser qu’au cours des dernières années, et en particulier après la crise liée au COVID-19, les entreprises ont exprimé une préférence pour l’amélioration de la gestion de leurs stocks et pour la diversification de leurs fournisseurs, par rapport à la relocalisation ou à la délocalisation de proximité de leur production. Plusieurs enquêtes menées auprès des entreprises ont indiqué que les sociétés résidant dans les économies avancées avaient pour la plupart accru leurs stocks et opté pour une gestion préventive des stocks (just-in-case) en lieu et place d’une gestion en flux tendus (just-in-time) (Alicke, 2021 ; Banque asiatique de développement, 2021 ; Nordström, Elfving et Nilsson, 2021 ; BCI, 2021 ; BERD, 2022) (graphique 2.8)19. Certaines entreprises ont également prévu de diversifier leurs fournisseurs, notamment en se tournant vers des sources d’approvisionnement locales. Néanmoins, peu d’entreprises ont envisagé de relocaliser des usines. Cela pourrait s’expliquer par la nature temporaire du choc lié au COVID-19, la question des coûts irrécupérables et le désir de rester proche des grands marchés émergents, en particulier de la Chine. Ces résultats concordent avec ceux d’une analyse réalisée sur des entreprises multinationales italiennes à la suite du choc lié au COVID-19 (Di Stefano et al., 2022) et une tendance modeste à la relocalisation observée avant la récession provoquée par la pandémie de coronavirus (De Backer et al., 2016). Néanmoins, les relocalisations pourraient s’intensifier compte tenu de la polarisation géopolitique croissante de l’économie mondiale et de la progression de l’automatisation, et il pourrait s’agir d’un processus non linéaire (Every et van Harn, 2022).
Les pouvoirs publics pourraient aussi jouer un rôle
Il est crucial d’améliorer la surveillance des risques et les tests de résistance
L’élaboration de mesures destinées à améliorer la résilience et la robustesse des chaînes d’approvisionnement devrait se fonder sur une analyse coûts-avantages approfondie, exigeant une fine compréhension des risques. Comme indiqué ci-avant, plusieurs dimensions de l’exposition aux risques liés aux CVM ne sont pas encore mesurées de manière complète. Il est donc possible de réaliser des progrès dans ce domaine. Les pouvoirs publics pourraient contribuer à coordonner la collecte des données, à les analyser et à diffuser les résultats obtenus. Plusieurs initiatives de ce type ont déjà été prises ou sont en cours de préparation (encadré 2.2).
Les pouvoirs publics peuvent aussi collaborer avec des entreprises privées pour promouvoir des normes de conduite destinées à faire diminuer les risques de perturbations des chaînes d’approvisionnement (robustesse) et à réduire au minimum les effets négatifs de ces perturbations lorsqu’elles ont lieu (résilience) (OCDE, 2021). Une telle collaboration pourrait se fonder sur le cadre de conduite responsable des entreprises, correspondant aux Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales et au Guide OCDE sur le devoir de diligence pour une conduite responsable des entreprises (OCDE, 2018).
Sur la base de l’expérience acquise dans le secteur financier après la crise financière mondiale, il a été suggéré que les pouvoirs publics pourraient aussi contribuer activement à l’élaboration de tests de résistance pour les chaînes d’approvisionnement essentielles (OCDE, 2020 ; Simchi-Levi et Simchi-Levi, 2020 ; D’Aguanno et al., 2021). De telles initiatives pourraient en principe contribuer à renforcer la transparence des CVM complexes en améliorant l’actualité et la granularité des données nécessaires pour surveiller les vulnérabilités, et en harmonisant les données. Les résultats de tels tests de résistance pourraient être utilisés pour fixer des obligations aux fournisseurs de biens essentiels, en leur imposant de mettre en œuvre un plan d’urgence en cas de perturbation des approvisionnements. Les effets bénéfiques d’un tel exercice pourraient être renforcés par une coopération internationale, dans le cadre de laquelle une organisation multilatérale pourrait jouer un rôle actif20. Néanmoins, compte tenu de l’hétérogénéité considérable des secteurs et des entreprises, ainsi que du grand nombre d’entreprises industrielles non surveillées (par rapport aux établissements financiers), il ne serait pas réaliste de vouloir effectuer des tests de résistance exhaustifs, qui pourraient faire peser sur les entreprises des coûts de conformité élevés. Les autorités pourraient donc sélectionner plutôt quelques secteurs clés et se concentrer sur les principaux producteurs. En outre, un certain flou prévaut concernant la façon dont ces tests de résistance pourraient être conçus, la forme que pourrait revêtir un indicateur pertinent et universel utilisé pour évaluer les performances des entreprises, et la définition des chocs.
Les pouvoirs publics peuvent contribuer à réduire les risques liés aux CVM, mais certaines mesures peuvent être coûteuses et inefficaces
Il est difficile de concevoir une approche universelle pour réduire les risques liés aux CVM, compte tenu de l’hétérogénéité considérable des secteurs et des entreprises. De manière générale, les pouvoirs publics peuvent recourir à trois grands types de mesures directes pour étayer les stratégies de réduction des risques. Elles pourraient s’inscrire dans le cadre des politiques industrielles et d’innovation. La plupart des mesures de ce type sont axées sur les relocalisations, les délocalisations de proximité et les délocalisations dans des pays amis, tandis que les initiatives axées sur la diversification des approvisionnements et la constitution de stocks adéquats sont moins nombreuses. L’efficacité et les effets secondaires de ces mesures sont variables. Elles devraient être adaptées aux différents secteurs et produits.
Incitations financières : les pouvoirs publics pourraient encourager les relocalisations en appliquant des droits de douane à certains produits importés (Dong et Kouvelis, 2020 ; Feng et al., 2022 ; Li et al., 2023) ; en imposant les bénéfices résultant d’activités extraterritoriales ; et/ou en accordant des subventions ou des crédits d’impôt pour soutenir la production intérieure et la diversification (Grossman, Helpman et Lhuillier, 2021 ; Evenett et Fritz, 2021 ; Xie et al., 2022). Des incitations financières pourraient également être axées sur l’innovation intérieure et le développement des capacités de production, ce qui favoriserait indirectement les relocalisations. Les pouvoirs publics pourraient opter pour des mesures horizontales, telles que le prélèvement de taxes sur le carbone et l’application de taux de droits de douane préférentiels aux marchandises dont la production a fait l’objet d’une délocalisation de proximité, qui porteraient sur des catégories plus larges de biens et de services (Union européenne, 2021).
Mesures de réglementation : Les pouvoirs publics pourraient imposer des exigences de contenu local pour favoriser les relocalisations. Ce type de dispositions fait obligation aux entreprises d’utiliser des biens produits ou des services fournis sur le territoire d’une économie pour pouvoir y exercer des activités. Le recours aux exigences de contenu local a nettement augmenté au cours des dernières années, tandis que les pouvoirs publics s’efforçaient d’atteindre divers objectifs, notamment en matière d’emploi ainsi que de développement industriel et technologique (OCDE, 2019)21. Des exigences de contenu local pourraient être utilisées pour conditionner l’obtention de subventions, comme c’est le cas aux termes de la loi sur la réduction de l’inflation (IRA, Inflation Reduction Act) adoptée aux États-Unis (encadré 2.2), ou constituer une composante de la politique relative aux marchés publics. Les autorités pourraient aussi faire obligation aux entreprises privées de conserver des stocks prédéfinis de produits critiques, notamment dans les secteurs pharmaceutique, pétrolier et gazier. Ces obligations de stockage pourraient s’accompagner d’une compensation financière ou faire partie des conditions à satisfaire dans le cadre des procédures de passation des marchés publics (Union européenne, 2021).
Contrôle étatique direct : Les pouvoirs publics peuvent gérer eux-mêmes des stocks stratégiques à des fins économiques et stratégiques. De nombreux États conservent des stocks de produits critiques tels que des combustibles et des fournitures médicales22. Les pays devraient s’efforcer de veiller à ce que leur stratégie nationale en matière de stockage soit compatible avec les exigences de leurs chaînes d’approvisionnement, et à ce que les caractéristiques de ces stocks soient actualisées de manière à correspondre aux besoins des entreprises. Au Japon, l’Organisation japonaise pour la sécurité des approvisionnements en métaux et en énergie (JOGMEC, Japan Organization for Metals and Energy Security) supervise le projet national de stockage de métaux rares en collaboration avec le secteur privé, en vue de se prémunir contre une interruption des approvisionnements. En mars 2020, le gouvernement a annoncé son intention de revoir les modalités de fixation des objectifs de stockage et de les définir désormais exclusivement pour les stocks publics, en excluant de l’exercice les stocks du secteur privé (AIE, 2022). De même, les États‑Unis gèrent leur stock de défense nationale dans l’objectif déclaré de « réduire et prévenir [...] [la] dépendance des États‑Unis à l’égard de sources étrangères ou d’un point unique de défaillance pour les approvisionnements en [matières stratégiques] en période d’urgence nationale ». En mars 2022 a été signé un accord élargissant le périmètre de ce stock aux matières critiques pour les technologies énergétiques propres (AIE, 2022).
Les gouvernements pourraient continuer à utiliser les accords commerciaux régionaux (ACR) pour favoriser les délocalisations de proximité ou dans des pays amis. Les ACR ont été activement utilisés au cours des deux dernières décennies et couvrent plus de la moitié des échanges internationaux (Lee, Mulabdic et Ruta, 2019 ; Mattoo, Rocha et Ruta, 2020 ; OCDE, 2020). Ils se traduisent par l’application de droits de douane préférentiels aux partenaires faisant partie du bloc commercial considéré, mais ils pourraient aussi porter sur diverses questions encore peu traitées concernant les échanges numériques, la lutte contre la corruption, l’investissement, les normes environnementales, les entreprises publiques et les droits de propriété intellectuelle. Ils pourraient ainsi contribuer efficacement non seulement à réduire les coûts des échanges, mais aussi à resserrer les liens de coopération économique fondée sur des règles similaires et, partant, à renforcer l’intégration commerciale et la sécurité nationale. L’application d’un traitement préférentiel dans le cadre de la passation des marchés publics et de dispositifs d’incitation entre alliés pourrait constituer un autre moyen de promouvoir les délocalisations vers des pays amis23.
Encadré 2.2. Sélection d’initiatives publiques motivées par des objectifs de réduction des risques liés aux CVM
Améliorer la surveillance des risques liés aux CVM et les tests de résistance
Des lacunes subsistent dans notre compréhension des risques liés aux chaînes de valeur mondiales (CVM) et les pouvoirs publics peuvent activement contribuer à les combler. Plusieurs initiatives publiques de coordination de la collecte et d’analyse de données ont déjà été prises ou sont prévues.
Le gouvernement des États-Unis a entrepris de réaliser des analyses des risques liés aux chaînes d’approvisionnement en mettant plus particulièrement l’accent sur les semi-conducteurs, les batteries de grande capacité, les ressources minérales critiques, les matières stratégiques ainsi que les produits pharmaceutiques et les principes actifs pharmaceutiques (The White House, 2021). Ces analyses ont permis d’identifier les biens et les services nécessaires au fonctionnement des chaînes d’approvisionnement, de cerner les risques qui pourraient perturber ces chaînes d’approvisionnement, et de déterminer la résilience du secteur manufacturier américain vis-à-vis des risques identifiés. Dans le rapport était également examinée la question des mesures adoptées par les alliés et partenaires des États-Unis, et des recommandations y étaient formulées sur les moyens d’améliorer la résilience des chaînes d’approvisionnement.
L’Union européenne (UE) a également lancé un examen des « dépendances stratégiques », comprenant six analyses approfondies de domaines spécifiques1, dans le cadre de la mise à jour de 2021 de la stratégie industrielle de 2020. Des dépendances commerciales stratégiques ont été mises en évidence au moyen d’une première analyse quantitative ascendante de la totalité des flux commerciaux de l’UE, réalisée afin de cerner les secteurs dans lesquelles l’Union européenne dépendait d’un nombre limité de fournisseurs. Celle-ci a été suivie d’évaluations qualitatives des secteurs et des écosystèmes pouvant revêtir une importance stratégique et des dépendances au sein de ces secteurs qui déterminent cette exposition (Commission européenne, 2021). Des appels ont également été lancés dans l’UE en faveur de la mise place d’un système d’alerte précoce permettant d’anticiper les pénuries d’intrants stratégiques, via l’instauration d’obligations d’échange régulier d’informations, dans le contexte de la préparation du règlement européen sur les matières premières critiques. Le règlement européen sur les semi-conducteurs prévoit un mécanisme de suivi et de réaction en cas de crise concernant l’approvisionnement de l’Europe en semi-conducteurs (voir ci-après).
Renforcer la résilience en diversifiant les fournisseurs locaux et internationaux
Les préoccupations relatives à la résilience des approvisionnements en biens manufacturés constituant des intrants critiques pour l’économie, compte tenu de la forte concentration de leur production à l’étranger, ont conduit certains gouvernements à soutenir la production intérieure.
Les États‑Unis ont adopté la loi sur les puces électroniques et la science (CHIPS and Science Act) afin de favoriser le développement des capacités de production intérieures de semi-conducteurs. Cette loi autorise le déblocage sur dix ans de plus de 52 milliards USD (0.22 % du PIB annuel) d’incitations destinées à renforcer la production de semi-conducteurs et la construction d’installations de fabrication aux États-Unis. Parmi ces incitations figurent des crédits d’impôt pour investissement dans le secteur manufacturier, des financements sectoriels de la recherche-développement (R-D) et des fonds affectés à l’enseignement et au développement des compétences (Cooper, 2022). Outre la loi sur les puces électroniques et la science, les États‑Unis ont aussi adopté la loi sur la réduction de l’inflation (IRA, Inflation Reduction Act), qui vise, entre autres, à réduire les émissions de carbone dans le secteur des transports en subventionnant les achats de véhicules électriques. Pour favoriser une sécurisation des chaînes d’approvisionnement permettant de garantir l’offre de véhicules électriques aux États‑Unis, les autorités ont subordonné l’octroi de l’ensemble des subventions prévues au respect de seuils relatifs à la production ou à l’acquisition en Amérique du Nord, ou auprès de partenaires commerciaux de confiance, du véhicule, de sa batterie et des ressources minérales critiques requises pour la fabrication de cette dernière (The White House, 2023).
De même, la Commission européenne a proposé un règlement européen sur les semi-conducteurs. Cette proposition repose sur une structure à trois piliers : l’initiative « Semi-conducteurs pour l’Europe », qui vise à améliorer les activités relatives aux puces électroniques à toutes les étapes de la chaîne de valeur en Europe ; le pilier de la « sécurité d’approvisionnement », qui est axé sur les installations de fabrication stratégiques ; et le pilier de « suivi et réaction en cas de crise », qui instaure un mécanisme de suivi et de réaction en cas de crise concernant l’approvisionnement de l’Europe en semi-conducteurs. Le règlement prévoit des dérogations aux règles sur les aides d’État pour des installations clés, affecte 3.3 milliards EUR (0.02 % du PIB) de fonds de l’UE à des projets connexes, et vise à rationaliser les investissements des États membres. La Commission européenne entend mobiliser 43 milliards EUR (0.3 % du PIB) de fonds publics et privés par le biais de ce règlement (Ragonnaud, 2022).
La République de Corée a lancé en juillet 2020 sa Stratégie pour les matières, les composants et les équipements 2.0, afin de préparer l’économie à la reconfiguration des chaînes d’approvisionnement mondiales à la suite de la pandémie de COVID-19. Le gouvernement s’est engagé à consacrer 1 500 milliards KRW en cinq ans (0.08 % du PIB annuel) à la R-D et a offert des aides directes aux entreprises pour couvrir leurs coûts de relocalisation, une assistance supplémentaire étant apportée aux entreprises qui relocalisent leurs activités en dehors de la région de Séoul et à celles qui construisent des usines intelligentes (Szczepański, 2021).
Améliorer la sécurité des approvisionnements en ressources minérales critiques
Plusieurs économies ont défini ou prévoient d’élaborer des stratégies pour améliorer la sécurité de leurs approvisionnements en matières critiques.
Aux États‑Unis, ces stratégies visent généralement à : développer les technologies de recyclage et de retraitement ainsi que d’autres technologies permettant de limiter la consommation de matières critiques ; accroître les capacités de production et de traitement ; et améliorer les échanges internationaux et la coopération internationale s’agissant des matières critiques (U.S Department of Commerce, 2019).
Des objectifs similaires figureront probablement dans le futur règlement de l’UE sur les matières premières critiques. L’Union européenne a créé l’Alliance européenne pour les matières premières, qui réunit diverses parties prenantes dans le but de susciter des investissements dans les chaînes d’approvisionnement, ainsi que de favoriser l’innovation, le recyclage et l’économie circulaire.
Le Canada cherche à exploiter ses réserves considérables de ressources minérales de manière durable et responsable. Le Plan canadien pour les minéraux et les métaux est axé sur la promotion de l’investissement, tandis que l’initiative Innovation mines vertes a pour but d’accélérer le développement des technologies minières vertes (AIE, 2021).
Néanmoins, des pays, souvent non membres de l’OCDE, ont aussi mis en œuvre des mesures protectionnistes. Le nombre de restrictions à l’exportation de matières premières critiques a été multiplié par plus de cinq à l’échelle mondiale au cours des dix dernières années (Kowalski et Legendre, 2023). En conséquence, les exportations de matières premières critiques ayant fait l’objet d’au moins une mesure de restriction ces dernières années ont représenté environ 10 % de la valeur mondiale de l’ensemble des exportations de matières premières critiques. Or, il est possible que ce type de mesures ait des effets d’entraînement négatifs (Chen, Hu et Li, 2021).
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1. Il s’agissait des matières premières, des principes actifs pharmaceutiques, des batteries lithium-ion, de l’hydrogène propre, de l’informatique en nuage et de périphérie, et des semi-conducteurs.
Les délocalisations dans des pays amis peuvent être inefficaces. Les stratégies destinées à favoriser ce type de délocalisations peuvent être sapées par des politiques mises en œuvre parallèlement pour encourager les relocalisations, si les partenaires commerciaux de l’économie considérée jugent que les subventions et les obstacles tarifaires mis en place ont une finalité protectionniste et adoptent des mesures correspondantes (Echikson, 2022). En outre, d’après des commentaires concernant les dispositions de la loi sur la réduction de l’inflation (IRA, Inflation Reduction Act) visant à favoriser les délocalisations dans des pays amis (encadré 2.2), les entreprises industrielles devraient avoir du mal à satisfaire les conditions requises pour avoir droit aux crédits d’impôt, et la liste restreinte de pays pouvant en bénéficier limitera leur capacité à en tirer parti (Harput, 2022).
Les rares données empiriques sur l’efficacité des mesures prises par les pouvoirs publics pour favoriser les relocalisations et les délocalisations dans des pays amis brossent un tableau contrasté.
Les politiques de relocalisation mises en œuvre aux États‑Unis, au Royaume‑Uni et au Japon ces dernières années se sont révélées peu efficaces (Union européenne, 2021). Les mesures tarifaires, en particulier, ont probablement une efficacité limitée en termes de promotion des relocalisations, notamment si leur durée et leur ampleur sont incertaines. Bien que certains emplois aient été de fait relocalisés dans le secteur manufacturier et que les dépenses d’investissement aient augmenté, les délocalisations se sont poursuivies et ont joué un rôle prédominant dans les résultats macroéconomiques (De Backer et al., 2016).
Les exigences de contenu local ont un effet essentiellement négatif sur le développement économique et les échanges, même si elles peuvent contribuer à la réalisation d’objectifs à court terme des pouvoirs publics (OCDE, 2019). Elles se traduisent par des problèmes d’inefficience à long terme, non seulement dans le secteur concerné mais aussi dans le reste de l’économie (Stone, Messent et Flaig, 2015). In fine, ces problèmes d’inefficience réduisent la croissance de l’emploi ainsi que les possibilités de réaliser des économies d’échelle et d’innover, ce qui va à l’encontre des objectifs ayant motivé l’instauration des exigences de contenu local.
De même, les variations des prescriptions de teneur en valeur régionale applicables aux constructeurs automobiles qui ont fait suite à l’adoption de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) ont entraîné de fait une augmentation de la proportion de produits concernés importés aux États‑Unis en provenance du Mexique et du Canada (Hsu, Li et Wu, 2022). Néanmoins, les entreprises étaient nettement moins susceptibles de procéder à des délocalisations de proximité pour les technologies de l’information et de la communication (TIC) que pour d’autres éléments de leur production. Cela concorde avec le constat selon lequel la production de TIC se caractérise par une forte intensité capitalistique, si bien qu’elle se prête moins aux délocalisations de proximité.
En principe, les mesures susmentionnées devraient être prises par les pouvoirs publics s’ils s’attendent à ce que leurs coûts soient moindres que leurs avantages en termes de renforcement de la résilience (OCDE, 2020). Néanmoins, compte tenu de la complexité des chaînes d’approvisionnement modernes, il est très difficile pour les autorités d’évaluer de manière exhaustive les mesures destinées à renforcer la résilience et les distorsions qu’elles créent (Grossman, Helpman et Lhuillier, 2021).
La principale préoccupation relative à ces distorsions a trait aux effets induits en matière d’efficience par les mesures qui visent à réduire l’exposition vis-à-vis de l’étranger, étant donné qu’elles peuvent déboucher sur d’importantes pertes de bien-être (Levine, 2012). Comme indiqué précédemment, remplacer des importations par une production nationale peut avoir des effets négatifs sur les prix, la productivité et la variété de l’offre disponible. Il est probable que les mesures protectionnistes visant des secteurs spécifiques seront d’autant plus lourdes de conséquences macroéconomiques que ces secteurs occuperont une place centrale dans une chaîne d’approvisionnement donnée. Cela tient au fait que de nombreuses autres branches d’activité seront alors tributaires des intrants fournis par ces secteurs (Grassi et Sauvagnat, 2019). Ce point est important, dans la mesure où le soutien des pouvoirs publics est réclamé de manière particulièrement vigoureuse dans plusieurs secteurs jouant un rôle central, notamment celui des semi-conducteurs (encadré 2.2). Un renforcement des interventions publiques destinées à réduire la dépendance à l’égard de l’étranger pourrait aussi accentuer l’incertitude à laquelle sont confrontées les entreprises, ce qui aurait des conséquences négatives sur l’investissement et l’emploi. Il est également possible que les mesures prises par les pouvoirs publics débouchent sur un investissement excessif dans la résilience, se traduisant par une baisse du niveau de la production. Un tel résultat est particulièrement probable si les autorités partent du principe que le secteur privé n’investit pas suffisamment sans s’appuyer sur des éléments factuels solides (Grossman, Helpman et Lhuillier, 2021).
Ces motifs de préoccupation existent également pour les mesures motivées par des considérations de sécurité nationale, étant donné que l’évaluation du coût économique et de l’efficacité de ces mesures est délicate. Le discours sur la sécurité nationale exerce une influence grandissante sur la politique économique et dans un nombre croissant de domaines (Murphy et Topel, 2013 ; Heath, 2020)24. La sécurité nationale est devenue plus étroitement liée avec les questions d’économie internationale et de politique étrangère (Lind, 2019), et elle est utilisée comme argument pour justifier la mise en œuvre de politiques industrielles et protectionnistes visant à étayer le contrôle exercé par l’État sur l’économie, son autosuffisance et sa résilience. En principe, des menaces pesant sur la sécurité nationale peuvent justifier l’adoption de mesures pour se prémunir contre des événements géopolitiques négatifs, ou des interventions destinées à empêcher de tels événements indésirables (voir ci-avant). Néanmoins, en pratique, les risques d’événements géopolitiques négatifs et les coûts économiques connexes sont difficiles à évaluer, même si, a posteriori, ces coûts peuvent se révéler très élevés25. En outre, certaines mesures peuvent s’avérer inefficaces pour réaliser les objectifs poursuivis en matière de sécurité, en particulier si elles sont prises de manière unilatérale26. Afin de réduire au minimum les risques que ces mesures soient coûteuses pour les contribuables et les consommateurs, des évaluations objectives et approfondies sont nécessaires.
Des mesures protectionnistes pourraient réduire la coopération internationale et donc entraver la réalisation d’objectifs sociaux et environnementaux à l’échelle mondiale. L’intégration commerciale et financière facilite la coopération internationale. En revanche, si des politiques publiques destinées à favoriser les relocalisations et les délocalisations dans des pays amis débouchaient sur un monde fragmenté sur le plan économique et géopolitique, cela nuirait à la coopération internationale dans plusieurs domaines.
Il pourrait être plus difficile de réagir de manière coordonnée au changement climatique (Rajan, 2022). Il est plus aisé de conclure et d’appliquer des accords internationaux concernant des mesures d’atténuation du changement climatique dans un monde économiquement intégré, où les obstacles aux échanges et à l’investissement sont limités. Des mesures protectionnistes et des sanctions motivées par des considérations géostratégiques sont source de rivalités géopolitiques et de défiance. En outre, une démondialisation pourrait aussi entraver le développement des technologies et la production des biens nécessaires pour accélérer le processus de décarbonation. Une mondialisation ouverte pourrait contribuer à faciliter dans l’avenir le redéploiement de la production des territoires durement touchés par le changement climatique vers ceux qui sont moins affectés.
Des politiques de repli national pourraient aussi réduire les externalités de connaissances et la coopération universitaire, ce qui aurait des conséquences négatives sur le progrès technologique et la croissance de la productivité (Cerdeiro et al., 2021 ; Góes et al., 2022)27. La fermeture d’un pays aux échanges internationaux s’accompagnerait probablement d’une moindre ouverture aux idées et aux personnes (Iakovou et White III, 2020). En conséquence, il pourrait devenir moins attractif en tant que centre d’innovation et en tant que bassin d’emplois pour une main-d’œuvre talentueuse et mobile au niveau international, au bénéfice des autres pays (Kato et Sparber, 2013 ; Glennon, 2020). Cela pourrait être particulièrement lourd de conséquences dans les économies avancées caractérisées par un vieillissement démographique rapide, et donc par une diminution de la population active.
Des mesures protectionnistes prises par un pays ou une zone économique pourraient amener d’autres pays à adopter des mesures similaires, qui pourraient amplifier les pertes de bien-être découlant d’une économie mondiale moins intégrée. Une multiplication des mesures de représailles pourrait bouleverser le système international de commerce et d’investissement qui a été construit au cours des dernières décennies. En outre, il existe un risque que l’adoption de mesures protectionnistes soit de plus en plus réclamée, les politiques de relocalisation réduisant la compétitivité des entreprises nationales (OCDE, 2020).
Compte tenu des nombreux effets secondaires possibles des interventions publiques et des risques qu’elles présentent, il serait bon que ces mesures fassent l’objet d’une évaluation et de consultations complètes, associant organisations internationales, experts universitaires, organismes de réglementation et représentants du secteur des entreprises (Union européenne, 2021).
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Notes
← 1. Ainsi, on estime que l’intégration commerciale avec la Chine a joué un rôle déterminant dans le recul de l’emploi manufacturier aux États-Unis au cours des années 1990 et 2000 (Autor, Dorn et Hanson, 2013 ; Pierce et Schott, 2016).
← 2. La sélection des secteurs stratégiques peut se fonder sur des définitions utilisées pour filtrer les investissements directs étrangers, sur des listes de matières premières critiques, ainsi que sur les industries spatiale et de la défense (OCDE, 2020).
← 3. L’exercice de quantification réalisé pour identifier les produits stratégiques se fonde sur des mesures de la concentration des importations des pays de l’UE en provenance d’économies non membres de l’Union européenne, sur l’importance des importations en provenance d’économies non membres de l’UE dans les importations totales des pays de l’Union européenne, et sur un indicateur représentatif de la substituabilité entre les importations provenant d’économies non membres de l’UE et une production réalisée dans l’Union européenne (assimilée aux exportations de l’UE) (Commission européenne, 2021).
← 4. Notamment en République démocratique du Congo et dans les pays africains de la région des Grands Lacs.
← 5. Ainsi, l’Australie, le Chili et la Chine représentent près de 90 % de la production de lithium, mais 73 % des réserves identifiées et 25 % seulement des gisements estimés ; la Chine produit près de 80 % du graphite mais ne détient que 23 % des réserves mondiales (US Geological Survey, 2022 ; Ritchie, 2023).
← 6. Sur la base de la valeur ajoutée brute des intrants intermédiaires.
← 7. Ces mesures reposent sur les indicateurs de dépendance à l’égard des intrants étrangers et de dépendance à l’égard des marchés étrangers mentionnés précédemment. La mesure des goulets d’étranglement en amont est similaire à celle de la centralité en aval et la mesure des goulets d’étranglement en aval est similaire à celle de la centralité en amont, mais on applique des coefficients de pondération égaux aux liens de proximité et aux liens à distance pour élaborer les mesures des goulets d’étranglement (Criscuolo et Timmis, 2018 ; Schwellnus et al., 2023).
← 8. Ainsi, selon certaines sources, General Motors avait 856 fournisseurs directs (dits « de premier rang »), mais plus de 18 000 fournisseurs de deuxième rang ou de rang inférieur (Lund, 2020).
← 9. Ainsi, pendant la crise liée au COVID-19, les restrictions sanitaires relatives aux changements d’équipage sur les porte-conteneurs ont considérablement perturbé le transport maritime (Heiland et Ulltveit-Moe, 2020). En 2021, un accident maritime a bloqué le canal de Suez, fermant une route de navigation empruntée par 13 % des échanges mondiaux pendant une semaine (Allianz SE, 2021).
← 10. À titre d’exemple, le manque de chauffeurs de camion et les contrôles à la frontière mis en place à la suite du retrait du Royaume‑Uni de l’UE (« Brexit ») ont retardé les livraisons de biens au Royaume‑Uni au cours des dernières années.
← 11. Une seule entreprise domine la production des équipements lithographiques utilisés pour placer les circuits sur les plaquettes de silicium (Lund, 2020).
← 12. Des simulations par modélisation sont généralement réalisées dans un cadre où les entreprises emploient des technologies correspondant à une fonction de production de Cobb‑Douglas à rendements d’échelle constants, pour transformer des intrants intermédiaires et du travail en produits finals. Plusieurs expériences de chocs microéconomiques ayant des effets macroéconomiques sont également décrites dans les travaux publiés sur la question. Ainsi, la diffusion de chocs localisés à la suite du séisme de 2011 au Japon a de fait réduit le niveau global du PIB (Carvalho et al., 2021).
← 13. C’est ce qui a été constaté pendant la crise liée au COVID-19. Ainsi, aux États-Unis, la production, l’emploi et les échanges ont nettement plus diminué dans les secteurs fortement exposés vis-à-vis des importations de produits intermédiaires chinois que dans les autres branches d’activité (Meier et Pinto, 2020). Ces contractions ont cependant été relativement transitoires et étaient devenues négligeables au mois de juillet.
← 14. Une stratégie de diversification peut se fonder sur la relocalisation partielle d’activités de production.
← 15. Cette idée a été mise en avant par un discours de la Secrétaire au Trésor des États-Unis, Janet Yellen, dans lequel elle indiquait que les délocalisations dans des pays amis avaient pour objectif de garantir à la fois la liberté et la sécurité des échanges, et d’empêcher que des pays utilisent leur position sur un marché pour provoquer des perturbations économiques ou exercer des pressions géopolitiques (Yellen, 2022). Elle a ensuite été évoquée par des responsables politiques canadiens et européens (Freeland, 2022 ; von der Leyen, 2022).
← 16. Ainsi, en vertu de la loi sur les puces électroniques et la science (CHIPS and Science Act) adoptée aux États-Unis, l’éventail des destinations potentielles est très large, puisque cette loi spécifie uniquement un certain nombre de « pays sources de préoccupation » (parmi lesquels figurent la République populaire de Chine, la République populaire démocratique de Corée, la Fédération de Russie et la République islamique d’Iran), sans désigner explicitement les pays considérés comme amis (encadré 2.2). Le contraste est très net avec l’approche plus restrictive retenue dans certaines parties de la loi sur la réduction de l’inflation (IRA, Inflation Reduction Act), qui limitent les subventions accordées aux acheteurs de véhicules électriques à ceux qui sont produits en Amérique du Nord et fabriqués avec une certaine proportion de matières premières en provenance de pays avec lesquels les États‑Unis sont liés par un accord de libre-échange. Appliquer des critères larges pour identifier les pays « amis » peut initialement limiter la fragmentation du système commercial mondial. Néanmoins, des exigences réciproques imposées par les pays visés (en particulier concernant les transferts de technologie et les investissements mondiaux) pourraient contraindre à terme des pays ou des entreprises à s’aligner sur un des deux camps dans un contexte de fracture géopolitique.
← 17. Ainsi, selon certaines estimations, le coût d’un retrait des entreprises étrangères de Chine pourrait atteindre un montant conséquent, mais non prohibitif, de 1 000 milliards USD sur cinq ans (Supply Chain Connect, 2020).
← 18. D’après le McKinsey Global Institute, des perturbations importantes des chaînes d’approvisionnement provoqueraient des pertes estimées à 42 % du résultat annuel avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement en moyenne sur une décennie (Lund, 2020).
← 19. D’après le China Business Report 2022 de la Chambre américaine de commerce de Shanghai, 17 % seulement des entreprises interrogées envisageaient de transférer leurs activités hors de Chine au cours des trois années à venir et, parmi elles, 19 % seulement prévoyaient de les relocaliser aux États‑Unis. De même, face à des perturbations importantes, les entreprises interrogées par la Confédération des entreprises suédoises de 2020 à 2022 ont rehaussé le niveau de leurs stocks et se sont efforcées de diversifier leurs fournisseurs, plutôt que de relocaliser leurs activités en Suède ou dans le reste de l’Europe. Selon une enquête réalisée auprès des entreprises dans 15 pays par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, les réactions les plus courantes aux phénomènes d’instabilité des chaînes d’approvisionnement ont consisté à accroître les stocks (pour 55 % des répondants) et à diversifier les fournisseurs (pour 49 % des répondants) (BERD, 2022). Seuls 19 % des entreprises ont relocalisé des activités de production. Cela fait écho aux résultats d’une enquête menée auprès d’entreprises industrielles allemandes, selon laquelle l’augmentation des stocks (dans 68 % des cas) et la diversification des fournisseurs ont été les réactions les plus fréquentes (Aksoy et al., 2022).
← 20. Ainsi, le Système d’information sur les marchés agricoles (AMIS) a été mis en place à la suite des amples fluctuations des prix mondiaux des produits alimentaires observées au cours de la période 2006-11, qui résultaient en partie d’un manque d’informations partagées sur les stocks et les perspectives de production alimentaires (OCDE, 2021). Cette initiative a rassemblé des analystes de marché, des organisations internationales et des experts des administrations publiques provenant des économies qui étaient les principaux acteurs de la production et du commerce de produits agricoles. Son principal objectif est de réunir en temps opportun des informations et des analyses transparentes sur les marchés, les politiques publiques et les stocks s’agissant des cultures vivrières de base (le maïs, le riz, le blé et le soja).
← 21. Depuis la crise financière mondiale, plus de 340 mesures de localisation, dont plus de 145 nouvelles exigences de contenu local, ont été adoptées par les pouvoirs publics, souvent pour renforcer l’emploi et les performances industrielles dans l’économie considérée (OCDE, 2019).
← 22. Ainsi, le stock médical national (NMS, National Medical Stockpile) de l’Australie, la Réserve nationale stratégique d’urgence (RNSU) du Canada et le stock national stratégique (SNS, Strategic National Stockpile) des États-Unis sont des réserves stratégiques de fournitures et de matériel médicaux essentiels. Les États-Unis détiennent une réserve stratégique de pétrole (SPR, Strategic Petroleum Reserve) et l’UE impose à ses États membres de conserver des stocks de pétrole correspondant à 90 jours d’importations.
← 23. On pourrait aussi promouvoir les délocalisations vers des pays amis en mettant en place des dispositifs publics d’incitation destinés à favoriser le développement des capacités intérieures de production dans des secteurs stratégiques, et en accordant un traitement préférentiel aux pays amis dans le cadre de la passation des marchés publics. Ainsi, certains ont appelé à multilatériser la loi sur la réduction de l’inflation (IRA, Inflation Reduction Act) adoptée aux États-Unis (encadré 2.2), en élargissant son champ d’application à leurs partenaires de libre-échange (Noland, 2023).
← 24. La vigueur de l’économie, et en particulier celle du secteur manufacturier, a toujours été étroitement liée à la sécurité nationale, étant donné que de nombreux biens et technologies peuvent être utilisés à la fois à des fins militaires et commerciales. Au cours des dernières décennies, le périmètre des risques pesant sur la sécurité nationale s’est considérablement élargi, puisque sont venus s’ajouter aux considérations purement militaires des domaines tels que les catastrophes naturelles, la cybersécurité, les maladies infectieuses, le changement climatique ainsi que les investissements et les échanges internationaux. La multipolarité croissante de l’économie mondiale, la montée en puissance du capitalisme d’État et les préoccupations grandissantes relatives à la rareté des ressources figurent parmi les principaux facteurs à l’origine de ces évolutions (Thirlwell, 2010).
← 25. Ainsi, les réductions de l’approvisionnement de l’Europe en gaz russe et l’interdiction par l’UE des importations de pétrole russe dans l’Union européenne, à la suite de la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine, ont eu un coût économique considérable, compte tenu de la forte dépendance de l’Europe à l’égard des importations de gaz et de pétrole russes.
← 26. L’histoire de l’utilisation des mesures de contrôle des exportations pendant la guerre froide montre que les efforts non coordonnés déployés pour limiter l’accès d’adversaires géopolitiques à des technologies importantes à des fins militaires ont été vains (Bown, 2023).
← 27. Une division de l’économie mondiale en deux blocs pourrait déboucher sur des pertes de production, qui pourraient aller de 0.4 % du PIB seulement pour certains pays, dans un scénario de découplage très limité, à pas moins de 12 % du PIB pour les pays les plus durement touchés dans un scénario de découplage technologique complet (Góes et al., 2022). D’après des scénarios multiples de découplage technologique simulés à l’aide d’un modèle macroéconomique dynamique mondial, une fragmentation technologique peut conduire à des pertes de l’ordre de 5 % du PIB pour de nombreuses économies, mais de 8.5 % du PIB environ dans les scénarios les plus extrêmes pour les pays les plus durement touchés (Cerdeiro et al., 2021).