Joseph Stead
Centre de politique et d’administration fiscales, OCDE
Coopération pour le développement 2021
14. Imposer les économies numériques
Abstract
La numérisation de l’économie mondiale soulève de grands défis qui concernent aussi bien l'imposition des bénéfices des entreprises que le calcul et le prélèvement de la taxe sur la valeur ajoutée sur les ventes en ligne transfrontières. Les nouvelles règles fiscales internationales qui viennent d’être adoptées pourraient procurer des avantages significatifs aux pays en développement en leur accordant de nouveaux droits d'imposer les bénéfices de source étrangère des entreprises multinationales et en renforçant leur capacité à protéger leur base d’imposition contre l’évasion fiscale. À ceci s'ajoute le potentiel largement inexploité des recettes générées par l’essor rapide du commerce électronique. Les transactions internationales constituent une part importante de ce marché. Constatant que la plupart des pays africains n’ont pas encore actualisé leurs règles relatives à la taxe sur la valeur ajoutée pour pouvoir appréhender les échanges numériques, ce chapitre insiste sur le fait qu’ils se privent ainsi d’importantes recettes fiscales. Si certains pays en développement ont dématérialisé leurs systèmes fiscaux, avec à la clé des gains d’efficacité et une hausse des recettes, beaucoup d’autres ont besoin d’aide pour engager la transformation numérique de leur administration fiscale.
Messages clés
Plus d’une soixantaine de pays en développement ont joué un rôle déterminant lors des négociations des nouvelles règles fiscales internationales destinées à résoudre les défis de la numérisation croissante de l’économie mondiale. Les nouveaux droits d’imposition sur les bénéfices des entreprises multinationales devraient désormais leur procurer des avantages considérables.
En effet, les pays qui ont appliqué aux ventes transfrontières de services numériques les normes reconnues sur le plan international relatives à la taxe sur la valeur ajoutée font état d’une très nette hausse de leurs recettes fiscales.
Les pays en développement auront besoin d’assistance et d’expertise techniques afin d'apporter à leurs législations et à leurs systèmes fiscaux les modifications nécessaires pour tirer parti des réformes internationales, renforcer leurs capacités en matière de politique et d’administration fiscales et relever les nouveaux défis propres à la taxation de l'économie numérique.
La transformation numérique a de profondes incidences sur les recettes fiscales intérieures des pays en développement. Ils doivent impérativement élargirleur base d’imposition pour mobiliser les ressources nécessaires à leurs besoins de développement. En Afrique, par exemple, les impôts représentent en moyenne une part bien moindre du produit intérieur brut (PIB) national que dans les pays de l’OCDE (16.5 % dans le premier cas contre 33.9 % dans le deuxième)1. Globalement, dans les pays à revenu faible et intermédiaire, les principales composantes de la base d’imposition sont généralement l’impôt sur les bénéfices des sociétés et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Néanmoins, avec l’accélération de la numérisation de l’économie depuis le début du XXIe siècle, protéger cette base d’imposition s'avère de plus en plus difficile. Par exemple, les règles datant de plus d'un siècle relatives à l’imposition des bénéfices générés par les activités menées à l'international ne sont plus adaptées : de ce fait, les entreprises multinationales (EMN) ne payent plus leur juste part de l'impôt, en dépit des énormes bénéfices que beaucoup d’entre elles engrangent à la faveur de l'interconnexion croissante de l'économie mondiale. En outre, face à l’essor phénoménal du commerce électronique ces dernières années, il est de plus en plus important de pouvoir percevoir le montant de TVA dû sur les ventes en ligne de biens et de services.
La solution reposant sur deux piliers : réformer les règles fiscales internationales à l'ère du numérique
Après des années d’efforts intenses et de négociations détaillées pour adapter les règles fiscales internationales au XXIe siècle, les membres du Cadre inclusif OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) ont adoptéle 8 octobre 2021 la Déclaration sur une solution reposant sur deux piliers pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie2. Cette solution articulée autour de deux piliers soumettra les EMN à un taux d’imposition minimum de 15 % et réattribuera les bénéfices des EMN les plus importantes et les plus rentables en faveur de pays du monde entier.
En plus de ces modifications apportées à l'impositiondes EMN, le Cadre inclusif a établi une norme claire pour coordonner l’imposition et le recouvrement de la TVA sur les ventes en ligne de biens et de services, qui génère déjà d’importantes recettes fiscales pour de nombreuses juridictions dans le monde entier. Ces améliorations de l’architecture fiscale internationale offrent aux pays en développement des possibilités d’accroître leurs recettes fiscales. Pour en tirer pleinement profit, les administrations fiscales s’orientent vers la dématérialisation de leurs services en vue d’améliorer le respect des règles, l’efficacité et la qualité globale du service rendu aux contribuables. Les pays en développement ont tout à gagner de ces avancées technologiques pour protéger leurs bases d’imposition et ils montrent souvent la voie en devançant des économies plus avancées.
Les nouveaux droits d'imposition doperont les recettes fiscales des pays en développement
La numérisation de l’économie mondiale crée de nouveaux défis pour tous les pays en matière d'imposition des EMN et de fourniture de biens et services numériques, qui nécessitent des solutions à l’échelle mondiale. La réforme à deux piliers qui vient d’être approuvée vise à résoudre deux grands problèmes liés aux règles fiscales internationales actuelles :
1. Souvent, les EMN exercent des activités à grande échelle dans des juridictions où elles ont peu de présence physique, voire aucune. Or, pour l’essentiel, en vertu des règles existantes, les bénéfices d’une entreprise étrangère ne peuvent être imposés dans un autre pays que si celle-ci y a une présence physique. Si ce principe faisait sens au siècle dernier, lorsque l'activité des entreprises s'articulait autour des usines, des entrepôts et des magasins physiques, il n'est plus adapté à l'ère de la transformation numérique.
2. La plupart des pays ne taxent que les bénéfices de source nationale de leurs EMN à l'exclusion de ceux de source étrangère, en partant du principe que les bénéfices réalisés à l’étranger seront imposés là où ils sont perçus. Avec le passage au numérique et l’essor d’actifs incorporels tels que les marques, les algorithmes logiciels, les droits d’auteur et les brevets, il devient plus facile pour les EMN de transférer leurs bénéfices vers des juridictions qui appliquent une charge fiscale faible, voire nulle. En outre, de nombreuses juridictions se livrent à une concurrence fiscale fondée sur des taux d'imposition faibles, voire nuls, dans le but d’attirer des investissements directs étrangers, ce qui constitue un défi supplémentaire.
En vertu du Pilier Un de la solution reposant sur deux piliers, les juridictions où les EMN les plus grandes et les plus rentables ont leur marché, avec ou sans présence physique, ont le droit d’assujettir à l’impôt une partie de ces bénéfices. Grâce à cette réforme, plus de 125 milliards USD de bénéfices devraient être réattribués aux juridictions de marché.
Le Pilier Deux établit un impôt minimum de 15 % sur les bénéfices des entreprises, limitant ainsi la concurrence fiscale. Lorsque le taux effectif d’imposition des EMN en vigueur dans une juridiction donnée est inférieur au taux minimum convenu, elle pourra appliquer un impôt supplémentaire afin de porter le taux au niveau minimum convenu. Cela revient à encadrer la concurrence fiscale par l’application d’un niveau minimum d’imposition partout où une EMN exerce des activités. Le Pilier Deux générera environ 150 milliards USD de recettes fiscales supplémentaires par an.
Un processus de réforme inclusif, attentif aux besoins des pays en développement
Les pays en développement, qui constituent une grande partie des membres du Cadre inclusif, ont participé activement et efficacement aux négociations pour faire entendre leurs voix. Sur les 140 pays et juridictions membres du Cadre inclusif, 68 sont des économies en développement, tout comme 10 des 24 membres du groupe de pilotage3.
Travaillant sur un pied d’égalité avec les autres pays, leur participation a permis de prendre en compte les besoins et les priorités des économies en développement dans les réformes. Au titre du Pilier Un, par exemple, le seuil du nouveau droit d’imposition à appliquer aux EMN est abaissé pour les plus petites juridictions dont le PIB est inférieur à 40 milliards EUR, et des règles spéciales s’appliqueront aux économies en développement pour qu’elles puissent se soustraire dans certaines circonstances aux dispositions sur l'arbitrage obligatoire et contraignant. Au titre du Pilier Deux, les économies en développement seront prioritaires pour exercer le droit de prélever l’impôt supplémentaire surcertains paiements à haut risque. L’OCDE estime qu’en moyenne, tous les pays percevront des recettes supplémentaires grâce au du Pilier Un, quel que soit leur niveau de revenu (faible, intermédiaire ou élevé). Cela étant, ce sont dans les juridictions à faible revenu que ces gains devraient être les plus importants (en proportion des recettes actuelles de l’impôt sur les bénéfices des sociétés). Globalement, les règles du Pilier Deux allègeront les pressions qui s'exercent sur les pays en développement pour offrir des incitations fiscales excessivement généreuses dans le but d’attirer des investissements étrangers. Dans le même temps, des exceptions s'appliqueront aux activités génératrices de substance véritable. L’Encadré 14.1 décrit les avantages que l’Égypte, un participant actif à l’élaboration des nouvelles règles, compte tirer des réformes.
Encadré 14.1. Collaboration entre l’Égypte et l’OCDE en vue d'améliorer le recouvrement de l’impôt
Par Ramy Mohamed Youssef, Chef de l’unité de la politique fiscale et Conseiller auprès du ministre des Finances pour la fiscalité internationale et les réformes fiscales, ministère égyptien des Finances
C’est en 2016 que l’Égypte est devenue membre du Cadre inclusif pour la mise en œuvre du projet BEPS. Avec le soutien d’autres membres et par l’intermédiaire du programme Égypte-OCDE de mobilisation des ressources intérieures adapté au pays, l’Égypte continue de participer activement aux réformes fiscales internationales, et adhère aux exigences des standards minimums du BEPS et aux mesures visant à lutter contre l’évasion fiscale, à améliorer la cohérence du système fiscal international et à renforcer la transparence de l’environnement à l'appui des investissements directs étrangers. L’Égypte constate d’ores et déjà que les réformes en cours destinées à résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l'économie ont des retombées concrètes.
Le Cadre inclusif vise à combler les lacunes du système fiscal international qui peuvent conduire à l’évasion fiscale et à l’érosion de la base d’imposition par des dispositifs de planification fiscale agressive, dont les conséquences ont tendance à affecter de manière disproportionnée les pays en développement. L’Égypte est fortement tributaire de la fiscalité comme source essentielle de recettes : en effet, les impôts génèrent environ 75 % du total de ses recettes pour l’exercice 2020-21. D’où l’importance considérable que revêtent les efforts déployés dans ce domaine pour le pays.
En septembre 2020, l’Égypte a déposé son instrument de ratification de la Convention multilatérale pour la mise en œuvre de mesures relatives aux conventions fiscales, preuve de son soutien à la mise à jour des règles fiscales internationales et à la réduction des possibilités d’évasion fiscale de la part des entreprises multinationales. En 2021, l’Égypte a joué un rôle important dans les négociations ayant abouti à la solution reposant sur deux piliers, qui pourrait augmenter les recettes fiscales du pays d’environ 70 millions USD grâce aux réformes prévues par le Pilier Un et de 130 millions USD au titre des dispositions du Pilier Deux. Ces montants pourraient être encore plus élevés, selon les statistiques récentes qui indiquent que l’Égypte compte aujourd’hui 60 millions d’internautes actifs dans toutes sortes de domaines tels que les voyages, les services et les achats en ligne et que les dépenses publicitaires en ligne se chiffrent désormais à 1.4 milliard USD.
L’Égypte coopère également avec l’OCDE en vue d'appliquer la taxe sur la valeur ajoutée aux échanges électronique et de mettre en œuvre des réformes de la législation fiscale internationale. Dès 2020, ces efforts ont commencé à porter leurs fruits pour l’Égypte, qui a enregistré une augmentation de ses recettes fiscales dont le pays avait tant besoin en pleine pandémie. À titre d’exemple, l’Autorité fiscale égyptienne a réussi à finaliser des ajustements liés aux prix de transfert d’un montant de 685 millions EGP (livres égyptiennes), soit 98 millions USD, qui se sont soldés par le recouvrement de 154 millions EGP (22 millions USD) d'impôts supplémentaires et de 10 millions USD de pénalités connexes. Afin de consolider l’administration fiscale et de renforcer les capacités nécessaires pour mener à bien des réformes législatives, le Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE aide également l’Égypte à mettre sur pied une équipe fiable et techniquement compétente au sein de l’unité de fiscalité internationale de l’Autorité fiscale égyptienne.
Nécessité d’un soutien technique pour aider les pays à adapter leurs systèmes fiscaux aux réformes internationales
Le calendrier convenu pour l’achèvement des travaux techniques sur les deux piliers et leur mise en œuvre ultérieure est ambitieux : la législation type et les orientations nécessaires devraient être achevées en 2022 et la mise en œuvre est prévue en 2023. Les pays en développement auront du mal à faire face à l’ampleur et à la rapidité des modifications à engager. Beaucoup auront besoin d’un soutien important, tant sur le plan technique que politique, pour couvrir l’éventail complet des modifications législatives et administratives exigées par les deux piliers. De surcroît, il est possible que certains pays aient besoin d’une aide pour réformer leur régime actuel d’incitations fiscales afin de garantir l'application de l’impôt minimum mondial. Le soutien au renforcement des capacités pour la mobilisation des ressources intérieures a sensiblement augmenté ces dernières années, passant de 178 millions USD en 2015 à 266 millions USD en 20194. Pourtant, ces montants ne représentent encore qu’environ 0.2 % de l’aide publique au développement et il faudra continuer à les augmenter.
La fourniture d’expertise dans ce domaine aux économies en développement est tout aussi importante. La fiscalité internationale est un domaine hautement spécialisé, d’où la rareté des praticiens qualifiés en la matière. Il est donc indispensable que les pays de l’OCDE mettent à disposition davantage d’experts pour participer à des programmes de renforcement des capacités, notamment aux formations du Programme de relations mondiales5 qui organise des formations intensives dirigées par des spécialistes sur tout un éventail de problématiques de politique et d’administration fiscales. Citons également l’initiative Inspecteurs des impôts sans frontières6, une initiative conjointe de l’OCDE et du Programme des Nations Unies pour le développement, qui détache des experts pour travailler aux côtés d’administrateurs fiscaux sur des cas réels. L’initiative Inspecteurs des impôts sans frontières et des programmes apparentés en partenariat avec le Forum sur l’administration fiscale africaine et le Groupe de la Banque mondiale ont permis à ce jour de générer plus d’un milliard USD de recettes supplémentaires (OCDE, 2021[1]). Le soutien au renforcement des capacités pour la mobilisation des ressources intérieures a sensiblement augmenté ces dernières années, passant de 178 millions USD en 2015 à 266 millions USD en 20197. Pourtant, ces montants ne représentent encore qu’environ 0.2 % de l’aide publique au développement et il faudra continuer à les augmenter.
Le soutien au renforcement des capacités pour la mobilisation des ressources intérieures a sensiblement augmenté ces dernières années, passant de 178 millions USD en 2015 à 266 millions USD en 20198. Pourtant, ces montants ne représentent encore qu’environ 0.2 % de l’aide publique au développement et il faudra continuer à les augmenter.
La TVA sur le commerce électronique, une priorité pour les pays à revenu faible et intermédiaire
Le passage au numérique a considérablement augmenté le volume des ventes de biens et de services sur Internet. Lorsque l’acheteur et le vendeur se trouvent dans deux juridictions différentes, il peut être difficile de déterminer où la TVA doit être calculée et perçue. En moyenne, la TVA représente la source la plus importante de recettes fiscales dans les pays en développement. En 2018, par exemple, la TVA générait 29.7 % du total des recettes intérieures en Afrique et 27.8 % du total en Amérique latine et dans les Caraïbes, contre 20.2 % dans les pays de l’OCDE (OCDE/CUA/ATAF, 2020[2]). Il sera important de garantir le recouvrement efficace de la TVA sur les échanges électroniques afin d’assurer la compétitivité du régime de TVA et la pérennité des recettes qu'il procure. Par exemple, le montant du marché africain du commerce électronique s’élève déjà à 27 milliards USD de dollars et devrait croître d’environ 13 % par an, pour atteindre 46 milliards USD d’ici 2025 (Statista, 2021[3]). Les transactions internationales constituent une part importante de ce marché, et la valeur des importations de services livrables numériquement dans les dix premières économies d’Afrique a augmenté d’une moyenne (non pondérée) de 445 % sur la période 2005-19 (Graphique 14.1) (CNUCED, 2021[4]). Du fait que la plupart des pays africains n’ont pas encore mis en œuvre les nouvelles règles pour faciliter l’application de la TVA au commerce électronique, ils se privent d’importantes recettes de TVA.
Une grande de la croissance prévue du marché africain des échanges électroniques concernera une consommation nouvelle portée par la croissance économique globale. Toutefois, cette hausse reflétera également le passage de transactions physiques au commerce électronique, semblable à celui constaté ailleurs dans le monde. Il est important de faire en sorte que ces ventes en ligne soient effectivement soumises à la TVA, non seulement pour générer des recettes provienant d’activités nouvelles, mais aussi pour préserver celles qui découlent du transfert en ligne d’activités existantes.
Mettre à profit les normes du Cadre inclusif pour améliorer le recouvrement de la TVA
En vertu des règles de TVA classiques, il est difficile et compliqué pour les pays de faire valoir leurs droits d'appliquer la TVA et de prélever des recettes correspondantes sur la vente en ligne de produits et services numériques (par exemple, des applications sur des téléphones mobiles ou des services de diffusion de programmes télévisés à la demande). C’est particulièrement vrai lorsque des fournisseurs situés à l'étranger vendent à des consommateurs privés. Le volume des importations de biens de faible valeur vendus en ligne ne cesse de croître à l’échelle mondiale, ce qui pose des problèmes de recouvrement de la TVA en cas d’application des procédures douanières classiques. Outre les pertes considérables de recettes de TVA qu'elles engendrent, ces difficultés exposent à des pressions concurrentielles inéquitables les entreprises nationales qui, elles, sont contraintes de facturer la TVA sur leurs ventes, tandis que les importations à faible valeur de biens équivalents (par exemple, des t-shirts) bénéficient souvent d’exemptions de TVA. En outre, les articles de plus grande valeur sont vulnérables face aux pratiques frauduleuses de sous-évaluation et aux erreurs délibérées de catégorisation de la part de fournisseurs étrangers désireux de bénéficier d’exemptions de ce type.
Les normes convenues au niveau international par le Forum mondial de l'OCDE sur la TVA fournissent à tous les pays des solutions sur mesure pour assurer le recouvrement effectif de la TVA sur le commerce électronique. Plus de 70 pays (dont plus de la moitié sont des pays en développement) ont soit mis en œuvre, soit annoncé leur intention de mettre en œuvre des normes sur les fournitures internationales de services numériques. L’impact sur leurs recettes est conséquent : depuis leur déploiement en 2014, l’Afrique du Sud a recouvré plus de 15.3 milliards ZAR (rands sud-africains), soit environ 929 millions USD, par exemple. Sachant que les marchés en ligne et/ou les plateformes numériques facilitent une grande partie des ventes en ligne, les normes de l’OCDE préconisent de tirer parti de la puissance des plateformes en leur confiant un rôle central dans le processus de recouvrement de la TVA dans certaines circonstances. Les pays en développement peuvent tirer parti de l’expérience déjà acquise dans la mise en œuvre de ces normes, notamment au regard du fait que la plupart des grandes plateformes numériques (responsables de la majorité des ventes en ligne) ont élaboré les systèmes et les processus nécessaires pour respecter ces normes, et disposent donc des moyens pour se mettre en conformité à mesure que d’autres pays appliquent les normes.
L’OCDE élabore actuellement une série de boîtes à outils numériques régionales sur la TVA en partenariat avec le Groupe de la Banque mondiale et des acteursrégionaux concernés. La première boîte à outils, destinée à la région Amérique latine et Caraïbes et publiée en juin 2021, fournit des orientations détaillées pour la conception, la mise en œuvre et le fonctionnement d’une stratégie globale de TVA qui cible les échanges numériques. Elle comprend des stratégies de renforcement de l’application des obligations de recouvrement de la TVA imposées aux entreprises non résidentes, telles que les plateformes numériques (OCDE et al., 2021[5]). Elle s’appuie également sur l’expertise et les meilleures pratiques de juridictions de la région Amérique latine et Caraïbes, dont les Bahamas, la Barbade, le Chili, la Colombie, le Costa Rica et le Mexique, qui ont mis en œuvre les normes avec succès. Ces premiers pays à avoir adopté la boîte à outils obtiennent d’ores et déjà des résultats très positifs en termes de recettes de TVA recouvrées, de discipline fiscale et de réduction des distorsions concurrentielles entre les magasins physiques traditionnels et les les vendeurs en ligne étrangers. L’OCDE est en train de finaliser ces boîtes à outils pour les régions Asie-Pacifique et Afrique à l’heure de la rédaction de ce document. Celles-ci s’accompagneront de programmes et d’ateliers d’apprentissage en ligne.
Infrastructures numériques et apprentissage par les pairs : des pistes propices à une refonte de l’administration fiscale
Soucieuses à la fois d'améliorer la discipline fiscale et de réduire la charge administrative qui pèse sur les contribuables, les administrations fiscales sont nombreuses à opérer la transition vers l’administration électronique et à adopter de nouvelles technologies afin d'être plus efficaces et efficientes (OCDE, 2019[6]). Des logiciels disponibles dans le commerce sont capables d’accélérer la dématérialisation systèmes fiscaux des pays en développement, par exemple en autorisant les contribuables à télécharger leurs déclarations de revenus électroniques. Des outils numériques plus complexes peuvent permettre le transfert direct d’informations des contribuables vers les administrations fiscales, quoique leur introduction mobilise d'importantes ressources.
Si quelques pays en développement avancent bien dans la numérisation de leur administration fiscale, beaucoup d’autres accusent du retard, comme le montrent les réponses à l’Enquête internationale sur les administrations fiscales de 20209. D'après les résultats de l’enquête, bien que l'enregistrement en ligne des contribuables et le dépôt électronique des déclarations deviennent rapidement la norme à l'échelle mondiale, y compris dans de nombreux pays en développement, en 2019, 36 % des pays en développement ne proposaient toujours pas l’enregistrement des contribuables en ligne. Là où la dématérialisation progresse, les administrations fiscales obtiennent d’excellents résultats. Selon l’enquête, 26 pays en développement ont atteint un niveau de 100 % de dépôt en ligne des déclarations au titre de l'impôt sur les bénéfices des sociétés et 18 ont atteint 100 % de dépôt en ligne des déclarations de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Plus généralement, de nombreux pays en développement ne parviennent toujours pas à faire pleinement usage d’outils numériques plus innovants. Par exemple, en 2019, seulement 24 % de ceuxinterrogés utilisaient, ou étaient en train d’introduire, des outils d’intelligence artificielle et/ou d’apprentissage automatique pour leur administration fiscale, contre 64 % des pays à haut revenu. De tels outils sont capables de traiter des quantités de données beaucoup plus importantes, ce qui facilite l'établissement de profils de contribuables et le repérage des risques, des infractions et des irrégularités. Ils peuvent ainsi améliorer l’efficacité et le recouvrement des recettes des administrations fiscales.
[…] de nombreux pays en développement ne parviennent toujours pas à faire pleinement usage d’outils numériques plus innovants. Par exemple, en 2019, seulement 24 % des pays interrogés utilisaient, ou étaient en train d’introduire, des outils d’intelligence artificielle et/ou d’apprentissage automatique pour leur administration fiscale, contre 64 % des pays à haut revenu.
Le soutien international à l’apprentissage numérique par les pairs est crucial pour les administrations fiscales
L’apprentissage par les pairs peut aider à relever de nombreux défis, qu’il s’agisse de la fiabilité d’Internet, de la disponibilité d’investissements pour des projets à long terme ou encore de la garantie d’accès à des services en ligne pour tous les contribuables, ce qui est particulièrement difficile dans les zones rurales et souffrant d'un déficit de compétences (Wilton Park, 2017[7]). Si bon nombre de ces défis appellent des réponses plus globales, il n’en reste pas moins que l’apprentissage par les pairs offre d’amples opportunités dans l’ensemble des administrations fiscales. Les initiatives des organisations fiscales régionales peuvent apporter un précieux soutien dans ce domaine.
Par exemple, le Forum sur l’administration fiscale africaine fournit à 38 administrations fiscales africaines des formations, des orientations et des études sur tous les aspects de l’administration fiscale, y compris celui du passage au numérique. Les enseignements que les économies en développement peuvent tirer des réussites (et des échecs) d’autres pays peuvent être utiles pour accélérer la transition numérique des administrations fiscales et la rendre plus efficace. L’initiative Administration de l’impôt 3.0 du Forum sur l’administration de l’impôt, réunissant 53 membres, énonce aussi une vision pour la transformation numérique des administrations fiscales selon laquelle la fiscalité devient, au fil du temps, un processus intégré et fluide (OCDE, 2020[8]). L’un des axes de travail de cette initiative vise spécifiquement les difficultés que les pays en développement rencontrent dans leur transformation numérique. Il cherche à leur apporter des solutions, notamment en adaptant le modèle de l'initiative Inspecteurs des impôts sans frontières et en dépêchant des experts dans les administrations fiscales pour accompagner leur transformation numérique.
Les pays en développement auront besoin d’un soutien technique, mais passeulement, pour dématérialiser leur administration fiscale et appliquer les nouvelles normes internationales sur la TVA et l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Pour y parvenir, il sera crucial de faciliter l’apprentissage par les pairs et, plus largement, d’assurer l’accès à l’expertise technique et aux formations requises. Face à la pénurie actuelle d’expertise technique, les partenaires au développement ont n rôle important à jouer pour fournir une expertise technique en matière fiscale et promouvoir l'apprentissage par les pairs.
Références
[4] CNUCED (2021), Commerce international de services livrables numériquement, valeur, parts et croissance, annuel (base de données), https://unctadstat.unctad.org/wds/TableViewer/tableView.aspx (consulté le 17 septembre 2021).
[1] OCDE (2021), « Inspecteurs des impôts sans frontières et ses partenaires ont franchi la barre de 1 milliard de dollars US en recettes fiscales complémentaires pour les pays en développement », page web, https://www.oecd.org/fr/fiscalite/inspecteurs-des-impots-sans-frontieres-et-ses-partenaires-ont-franchi-la-barre-de-1-milliard-de-dollars-us-en-recettes-fiscales-complementaires-pour-les-pays-en-developpement.htm (consulté le 17 septembre 2021).
[8] OCDE (2020), Tax Administration 3.0: The Digital Transformation of Tax Administration, OCDE, Paris, http://www.oecd.org/tax/forum-on-tax-administration/publications-and-products/tax-administration-3-0-the-digital-transformation-of-tax-administration.htm (consulté le 17 septembre 2021).
[6] OCDE (2019), Tax Administration 2019: Comparative Information on OECD and Other Advanced and Emerging Economies, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/74d162b6-en.
[2] OCDE/CUA/ATAF (2020), Statistiques des recettes publiques en Afrique 2020 : 1990-2018, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/14e1edb1-en-fr.
[5] OCDE et al. (2021), VAT Digital Toolkit for Latin America and the Caribbean, OCDE, Paris, https://www.oecd.org/tax/consumption/vat-digital-toolkit-for-latin-america-and-the-caribbean.htm (consulté le 17 septembre 2021).
[3] Statista (2021), Digital Markets: eCommerce – Africa (base de données), https://www.statista.com/outlook/dmo/ecommerce/africa (consulté le 17 septembre 2021).
[7] Wilton Park (2017), Tax Capacity Building for Tomorrow: Digital and Analogue Approaches to Reform, Wilton Park, https://www.wiltonpark.org.uk/wp-content/uploads/WP1566-Report-1.pdf.
Notes
← 1. Voir la base de données mondiale des statistiques des recettes publiques de l’OCDE (données de 2018) à : https://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=RS_GBL#.
← 2. Voir : https://www.oecd.org/fr/fiscalite/beps/declaration-sur-une-solution-reposant-sur-deux-piliers-pour-resoudre-les-defis-fiscaux-souleves-par-la-numerisation-de-l-economie-octobre-2021.htm.
← 3. Comme son nom l’indique, le rôle du groupe de pilotage est d'orienter les travaux du Cadre inclusif et de fournir des conseils pour éclairer ses décisions.
← 4. Les chiffres font référence au total des décaissements par pays au sein du Comité d’aide au développement, total des pays, décaissements, prix constants.
← 5. Pour en savoir plus sur le Programme de relations mondiales en matière fiscale du Centre de politique et d’administration fiscales, voir : https://www.oecd.org/fr/fiscalite/relations-internationales-calendrier-evenements.htm.
← 6. Pour en savoir plus sur l’initiative, voir : www.tiwb.org/fr/.
← 7. Les chiffres font référence au total des décaissements par pays au sein du Comité d’aide au développement.
← 8. Les chiffres font référence au total des décaissements par pays au sein du Comité d’aide au développement.
← 9. Plus de 150 administrations fiscales sont couvertes par l’Enquête internationale sur les administrations fiscales, qui est réalisée conjointement par la Banque asiatique de développement, le Centre interaméricain des administrations fiscales, le Fonds monétaire international, l’Organisation intra-européenne des administrations fiscales et l’OCDE. Hormis la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, l’enquête couvre un vaste territoiregéographique et un large éventail de revenus. Pour en savoir plus : Base de données TAS - Forum sur l’administration de l’impôt (oecd.org)