Ahmed Hussen
Ministre du Développement international, Canada
Coopération pour le développement 2024
11. Point de vue : Une approche féministe de l’aide internationale est fondée sur les droits et pilotée localement
Copier le lien de 11. Point de vue : Une approche féministe de l’aide internationale est fondée sur les droits et pilotée localementÀ quoi ressemble une politique de développement féministe aujourd’hui ? À des mesures qui promeuvent un développement fondé sur les droits humains, axé sur la population, piloté au niveau local et résilient face au changement climatique. À des mesures qui réduisent la pauvreté et qui stimulent une croissance économique inclusive par le biais d’initiatives permettant d’inclure aussi bien les femmes et les filles que les hommes et les garçons. C’est l’approche que le Canada continuera de promouvoir, aujourd’hui et à l’avenir.
En 2017, nous avons lancé notre Politique d’aide internationale féministe en partant du constat suivant : favoriser l’égalité des genres dans les sociétés est l’une des manières les plus efficaces d’améliorer tous les domaines de la vie, du développement économique à l’inclusion sociale, en passant par la santé, l’éducation, la paix et l’environnement. Nous n’œuvrons pas simplement à apporter plus de soutien aux programmes en faveur de l’égalité des genres, mais à placer celle-ci au cœur de tous nos travaux.
Les piliers de la politique d’aide internationale canadienne sont l’élimination de la pauvreté et la promotion des droits humains, de la dignité et de l’égalité. Mais cette nouvelle politique, avec son objectif ambitieux d’intégrer la question de l’égalité des genres dans tous les aspects de notre travail, représente un changement profond. Nous avons affronté de nombreuses épreuves : la pandémie de COVID-19, la guerre, les conflits et les urgences climatiques ont pris une place prioritaire dans le programme de développement mondial. Depuis, le mouvement contre l’idéologie du genre qui divise l’opinion publique a gagné en puissance et pris de l’envergure. Il met à l’épreuve notre politique féministe de façon inédite et souligne qu’il est plus important que jamais d’adopter une approche féministe de l’aide internationale.
Depuis, le mouvement contre l’idéologie du genre qui divise l’opinion publique a gagné en puissance et pris de l’envergure. Il met à l’épreuve notre politique féministe de façon inédite.
La politique étrangère canadienne soutient celles et ceux qui bouleversent et transforment les normes sociales et les systèmes qui empêchent les personnes marginalisées d’avancer. Nous avons appris que l’une des meilleures façons de le faire est de fournir des financements importants et pérennes aux organisations locales de défense des droits des femmes et des personnes LGBTQ2I+ ainsi qu’aux mouvements féministes. Par exemple, les activités du Fonds Égalité regroupent l’investissement à optique de genre, l’octroi de financements, le plaidoyer et la philanthropie, soutenant ainsi plus de 650 organisations féministes et de défense des droits des femmes dans 90 pays. Les participants à notre programme phare Voix et leadership des femmes ont contribué à faire évoluer plus de cent lois et politiques publiques, y compris une loi contre le harcèlement sexuel dans les lieux publics au Pérou, une loi sur la violence domestique à Sainte-Lucie et des lois interdisant les mariages d’enfants, précoces et forcés en République démocratique du Congo. L’Alliance pour les mouvements féministes, que nous avons l’honneur de coprésider, voit des centaines d’administrations, de fonds pour les femmes et d’organisations philanthropiques et de la société civile collaborer sur des problématiques telles que le financement, les ressources et l’obtention d’un soutien politique. Une coopération étroite avec nos partenaires de confiance dans le cadre d’initiatives ancrées au niveau local est déterminante pour produire un effet durable.
Dans le domaine de la santé mondiale, notre approche féministe a guidé nos actions quand nous avons réalisé des investissements importants à l’appui de systèmes de santé plus équitables et résilients. Dans le cadre de ces travaux, nous avons notamment œuvré à promouvoir une couverture santé universelle, des systèmes de soins plus solides, ainsi qu’un cadre global de santé et de droits sexuels et reproductifs, notamment l’accès à un avortement sûr et légal. Dans le cadre de notre Engagement de dix ans en matière de santé et de droits dans le monde, nous sommes devenus l’un des plus grands donneurs du monde en faveur de la santé et des droits sexuels et reproductifs. Là aussi, adopter une approche féministe nous a permis d’atteindre des résultats significatifs. Récemment, alors que j’étais en visite en République-Unie de Tanzanie dans le cadre d’un projet, des jeunes femmes ont raconté comment l’accès à la santé et aux droits sexuels et reproductifs transforme fondamentalement leur vie et leur famille. Autonomiser les femmes de sorte qu’elles planifient elles-mêmes leurs grossesses signifie qu’elles peuvent choisir de poursuivre leur éducation et de fonder une famille plus tard, une décision dont elle sait qu’elle aide à ne pas transmettre la pauvreté aux prochaines générations. Le Guttmacher Institute estime qu’en seulement une année, environ 2.5 millions de femmes et de couples ont pu accéder à des services de contraception, 1.1 million de grossesses non planifiées et 347 000 avortements dangereux ont été prévenus, et 1800 vies ont été sauvées.
Les problèmes environnementaux et climatiques ont des conséquences disproportionnées sur les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre, notamment car ils induisent davantage de déplacements, de violences sexuelles et de maladies. Il est bien sûr primordial de reconnaître les impacts liés au genre qu’entraîne la triple crise planétaire, à savoir le changement climatique, le déclin de la biodiversité et la pollution. Mais il est tout aussi déterminant de soutenir les femmes dans leur rôle essentiel de leaders de la lutte contre le changement climatique, de défenseures de l’environnement et de travailleuses agricoles, ainsi que dans leur rôle de professionnelles de la santé de première ligne, de défenseures des droits humains et de membres de la société détenant une grande expertise. En offrant aux femmes des opportunités de participer de façon significative aux processus décisionnels et en les encourageant à le faire, nous avons rendu nos initiatives pour le climat et la nature plus efficaces et plus durables. C’est ce que nous constatons par exemple au Kenya, où nous aidons les femmes à produire des cultures durables et riches en nutriments qui nourrissent des centaines de personnes et qui créent de nouveaux débouchés commerciaux et économiques. C’est aussi ce que nous voyons en Uruguay, où nous travaillons à ce que davantage de possibilités professionnelles soient offertes aux femmes dans le secteur des énergies renouvelables, pour aider les communautés à se développer tout en luttant contre le dérèglement climatique.
Les faits parlent d’eux-mêmes : éliminer les inégalités entre les genres réduit la pauvreté, augmente les taux de croissance économique, accroît la productivité agricole, renforce la résilience des communautés, améliore la nutrition, assure une meilleure éducation aux enfants et améliore l’action climatique. Pour moi, ces résultats attestent que l’égalité des genres n’est pas seulement un but important en soi, mais qu’elle contribue de façon évidente aux économies et au développement.