Amitabh Behar
Oxfam International
Coopération pour le développement 2024
13. Point de vue : Mettre fin aux inégalités est un choix politique, et l’aide peut jouer un rôle essentiel à cet égard
Copier le lien de 13. Point de vue : Mettre fin aux inégalités est un choix politique, et l’aide peut jouer un rôle essentiel à cet égardDepuis 2020, les cinq hommes les plus riches du monde ont doublé leur fortune, alors que 5 milliards de personnes ont vu leur situation empirer. C’est la première fois en 25 ans que les disparités entre les pays riches et le reste du monde s’accroissent. Les tensions entre les pays du Sud et ceux du Nord sont vives. Quatre ans après l’amorce des années 2020, cette décennie se présente déjà, et de plus en plus, comme la décennie des divisions.
Les inégalités menacent tous les aspects d’un développement réussi. Ceci est un fait, et pas seulement l'avis d'Oxfam ou de la société civile. Ce constat se fonde sur des données claires et probantes émanant des Nations Unies, de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et de travaux de recherche universitaire approfondis. Nous savons que les sociétés plus égalitaires connaissent une croissance plus dynamique, font plus rapidement reculer la pauvreté et sont plus heureuses, en meilleure santé, plus sûres et moins polarisées politiquement. Nous savons que les plus riches figurent parmi les principaux émetteurs de carbone et qu’il est essentiel de réduire les inégalités si nous voulons mettre un terme à la crise climatique. Nous savons également qu’il est parfaitement possible de réduire les inégalités ; de nombreux pays y sont parvenus. Par conséquent, les niveaux extrêmes d'inégalités que le monde connaît aujourd'hui sont le résultat d’un choix politique, et non pas une fatalité.
L’Objectif de développement durable (ODD) 10, axé sur la réduction des inégalités, est l’un des ODD qui accusent le plus de retard (Martin, 2023[1]). Les membres du Comité d’aide au développement de l’OCDE ont tardé à prendre les mesures concrètes nécessaires, pourtant éprouvées, pour aider les pouvoirs publics à réduire rapidement l’écart entre les plus riches et le reste de la population. Heureusement, la situation est en train de changer. Pour la première fois dans l’histoire, la Banque mondiale s’est fixé un objectif en matière de réduction des inégalités, et plusieurs pays donneurs ont entrepris de mettre en commun leurs bonnes pratiques sur la manière dont leurs activités de coopération pour le développement peuvent servir cette ambition. Il reste toutefois beaucoup à faire.
Tout d’abord, en leur qualité de donneurs bilatéraux, les pays riches doivent commencer par mesurer pleinement la gravité du problème des inégalités. Pour cela, ils doivent doter leur personnel politique et technique des outils et des compétences spécialisées nécessaires pour que cette problématique soit systématiquement prise en compte. Tous les organismes de coopération pour le développement devraient disposer d’une équipe d’experts qui aide l’ensemble du personnel à intégrer la question de la réduction des inégalités dans la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des programmes. Certains œuvrent déjà dans ce sens, à l'instar de la Commission européenne, qui a nommé un Conseiller ODD et Inégalités.
Tous les organismes de coopération pour le développement devraient disposer d’une équipe d’experts qui aide l’ensemble du personnel à intégrer la question de la réduction des inégalités dans la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des programmes.
Ensuite, les donneurs devraient s’attacher en priorité à aider les pays à définir des objectifs clairs, ambitieux et assortis de délais en matière de réduction des inégalités. Pour soutenir ces efforts, une révolution des données relatives aux inégalités est nécessaire afin de cerner les évolutions survenant en haut mais aussi en bas de l'échelle économique. Les inégalités de revenu et de patrimoine doivent être régulièrement mesurées et rendues publiques de façon à ce que les responsables publics puissent prendre des décisions éclairées quant à l’incidence des réformes sur la distribution des revenus et que les citoyens puissent leur demander des comptes.
Enfin, nous avons besoin d’investissements beaucoup plus importants dans des secteurs qui ont prouvé leur efficacité pour réduire rapidement les inégalités (santé, éducation et autres services publics universels), ainsi que dans des programmes de protection sociale de grande envergure destinés à l’ensemble des citoyens. Qu’il s’agisse de salles de classe, de centres médicaux, de robinets d’eau ou de toilettes, les services fournis par le secteur public font toute la différence pour réduire les disparités. À l’inverse, les données nous montrent que les systèmes de santé et d’enseignement privés ne sont pas une solution (Seery, 2014[2]) ; ils accentuent les inégalités en permettant aux seules personnes qui en ont les moyens d’avoir accès à la santé ou à éducation.
Nous avons besoin d’investissements beaucoup plus importants dans des secteurs qui ont prouvé leur efficacité pour réduire rapidement les inégalités (santé, éducation et autres services publics universels), ainsi que dans des programmes de protection sociale de grande envergure destinés à l’ensemble des citoyens.
La fiscalité progressive constitue un autre domaine clé. Les États ont besoin de recettes supplémentaires, mais celles-ci doivent être collectées d'une manière qui, plutôt que d’accroître la pauvreté et les inégalités, garantisse que les plus riches paient davantage. Il faut élever les taux d'imposition sur le revenu au sommet de l'échelle. Dans de nombreux pays, le patrimoine, les plus-values ou les successions ne sont pas imposés. Des mesures doivent être prises pour mettre fin à l’ampleur colossale du contournement des règles fiscales par des riches particuliers et des sociétés. Invitons tous les pays à imposer plus lourdement les plus riches au cours des prochaines années afin de contribuer à réduire les disparités.
Dans le cadre de leur action par le truchement des instances multilatérales, les donneurs disposent de tout un éventail d’enceintes au sein desquelles ils peuvent unir leurs efforts pour agir en faveur de la réduction des inégalités. Prenons l’exemple de l’Association internationale de développement, dont la reconstitution des ressources est en cours de négociation. Son action pourrait avoir un impact optimal si elle avait pour objectif principal la réduction des inégalités.
Des plateformes comme la Communauté de pratique de l’OCDE sur la pauvreté et les inégalités jouent un rôle essentiel. Les donneurs doivent impérativement continuer de leur apporter leur soutien tout en créant de nouvelles plateformes au sein de chaque organisation qui œuvre à la coopération pour le développement.
Nous exhortons les donneurs à faire de cette année celle d’un investissement réel dans la lutte contre les inégalités. Le processus relatif au financement du développement, qui aura pour point d’orgue la conférence de Madrid, en 2025, et dont le Sommet de l’avenir, en septembre 2024, constitue une échéance majeure, offre une occasion précieuse de forger un consensus à l’échelle mondiale sur la lutte contre les inégalités économiques et les inégalités de pouvoir à l’appui de la réalisation des ODD. Bâtissons un Consensus de Madrid sur les inégalités, en vertu duquel les pays donneurs riches conviendraient de soutenir et d’entériner une initiative historique des nations du monde en faveur de sociétés plus égalitaires. Il s’agirait d’une avancée extraordinaire.
Références
[1] Martin, M. (2023), Policy Briefing: A Call to action to save SDG10, Development Finance International/Oxfam International/Center for International Cooperation, https://www.development-finance.org/files/SDG10_policy_brief_English.pdf.
[2] Seery, E. (2014), Working for the Many: Public services fight inequality, Oxfam International, https://policy-practice.oxfam.org/resources/working-for-the-many-public-services-fight-inequality-314724/.