Même si nous craignions le pire, les dernières données relatives à la pauvreté ont fait l’effet d’un choc. La pandémie de COVID-19, les chocs économiques et le surendettement qui se sont ensuivis, la guerre et les conflits ainsi que, conformément aux prévisions, les graves effets du changement climatique ont mis à mal trente ans de progrès sur la voie de l’élimination de l’extrême pauvreté.
Selon les sources et les modes de calcul, entre 700 millions et 2 milliards de personnes vivent dans une situation d’extrême pauvreté, de pauvreté absolue ou de pauvreté multidimensionnelle dans des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire. Les ménages pauvres ne disposent pas de ressources suffisantes pour assurer leur subsistance. Sans assurance, protection sociale ni éducation de qualité, confrontées aux maladies et l’augmentation du coût de la vie, des milliards de personnes pourraient de nouveau basculer dans la pauvreté.
Parallèlement, les images d’une planète « en feu » ou « sous l’eau » diffusées par les médias montrent combien il est urgent d’agir pour lutter contre le changement climatique. D’ici à 2030, si aucune mesure n’est prise, les chocs climatiques aggraveront encore le sort de centaines de millions de ménages pauvres dans des régions vulnérables comme l’Afrique subsaharienne ou l’Asie du Sud, où se concentre l’extrême pauvreté.
Les fournisseurs de coopération pour le développement ont entrepris de relever le défi en intensifiant leur soutien financier et technique à l’appui des transitions écologiques dans les pays partenaires, afin d’instaurer des économies bas carbone et résilientes au changement climatique. Cependant, ils doivent faire face aux coûts croissants de l’adaptation au changement climatique et aider les pays à gérer les risques de perturbation inhérents aux transitions écologiques, notamment les pertes d’emplois dans les secteurs polluants ou à forte intensité de carbone, ou encore les conséquences que l’exploitation de ressources minérales critiques peut avoir sur la santé et l’environnement des populations locales.
L’OCDE s’est toujours fait le porte-drapeau de politiques meilleures pour une vie meilleure partout dans le monde, notamment en œuvrant à la réalisation des Objectifs de développement durable. Notre cap pour concrétiser cette ambition a toujours été le même : améliorer la vie des plus pauvres et des plus vulnérables, favoriser la transparence et rendre des comptes. Pourtant, face aux défis environnementaux pressants, nos partenaires soulèvent des questions difficiles : qu’en est-il de l’engagement inébranlable à réduire la pauvreté et les inégalités ? Quid du soutien annoncé face à l’aggravation de la crise climatique ? Comment les transitions écologiques peuvent-elles profiter à tous, y compris aux plus pauvres et vulnérables ?
En réponse à ces interrogations, l’édition 2024 du rapport Coopération pour le développement donne un cadre pour placer l’élimination de la pauvreté et la réduction des inégalités au cœur de toutes les actions en faveur du développement et du climat. L’accroissement de la part des financements concessionnels à l’appui du développement destinée à soutenir les secteurs qui ciblent la pauvreté et les inégalités dans les pays et les régions qui en ont le plus besoin constituera une véritable pierre de touche pour les membres du Comité d’aide au développement de l’OCDE et les autres fournisseurs de coopération pour le développement et de coopération Sud-Sud. Ces acteurs devront notamment créer des synergies entre tous les secteurs de la transition écologique et les politiques socio-économiques complémentaires, améliorer l’accès à un soutien financier sur mesure en adéquation avec les plans nationaux des partenaires en matière de développement et de transitions écologique et énergétique justes, permettre aux communautés de faire entendre leur voix et d’exercer leur pouvoir d’agir, et veiller au respect rigoureux des droits humains et des normes environnementales et sociales.
Si elle est bien gérée, la transition écologique offre la perspective d’un développement socio-économique durable dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. La transition vers des énergies renouvelables, des technologies vertes, la protection de la biodiversité et une agriculture et des infrastructures climato-intelligentes peut créer de nouveaux emplois et permettre un accès universel à une énergie abordable. Cet aspect est particulièrement important dans un monde où, selon l’Agence internationale de l’énergie, 760 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité. Les technologies vertes peuvent favoriser la création d’emplois dans divers secteurs, qu’il s’agisse de la production d’énergie renouvelable ou de l’agriculture durable, ou encore de modes de construction respectueux de l’environnement. En préservant la biodiversité et en encourageant une agriculture climato-intelligente, nous pouvons assurer la résilience des écosystèmes dont dépendent tant de personnes pour vivre, en particulier dans les zones rurales.
Dans les pays partenaires, les fournisseurs de coopération pour le développement doivent mieux prendre en compte les liens indissociables qui existent entre pauvreté, inégalités et changement climatique. Comme l’illustrent les nombreux exemples présentés dans le rapport, c’est en s’attaquant à ces enjeux interdépendants qu’ils pourront obtenir des résultats résilients face au changement climatique, en ne laissant personne de côté et en faisant en sorte que chacun récolte les fruits de la transition écologique. Une attention particulière doit être accordée aux répercussions des transitions énergétiques sur les marchés du travail, car elles peuvent se traduire par de nouvelles inégalités. Les femmes, notamment, se trouvent à un moment charnière mais délicat : en raison de disparités historiques en matière d’instruction et de la ségrégation qu’elles subissent sur les marchés du travail, elles sont surreprésentées dans les emplois informels faiblement rémunérés – généralement dans l’agriculture –, qui sont les plus susceptibles de pâtir des transitions. Pour être équitables, ces transitions devront donc aussi poursuivre des objectifs ambitieux en matière de formalisation des économies et de correction des déséquilibres entre les genres.
Alors que la coopération pour le développement est appelée à relever un nombre croissant de défis, réaffirmons notre engagement sans faille à placer la lutte contre la pauvreté et les inégalités au premier plan du programme d’action en faveur du développement durable. Soutenir des transitions écologiques justes qui ne laissent personne de côté n'est pas seulement un impératif moral, c’est un investissement stratégique dans un avenir stable, prospère et équitable pour tous.
María del Pilar Garrido Gonzalo,
Directrice,
Direction de la coopération pour le développement, OCDE
Carsten Staur
Président,
Comité d’aide au développement