Pour compléter les conclusions sur le financement climatique fourni et mobilisé présentées dans OCDE (2022) et dans les chapitres précédents du présent rapport, ce dernier chapitre résume les principaux défis et opportunités liés à la mesure et à l’évaluation de l’efficacité du soutien fourni, ainsi que les informations et l’expérience disponibles à ce jour.
Financement climatique fourni et mobilisé par les pays développés en 2016-2020
Considérations relatives à la transparence, aux impacts et à l’efficacité
Abstract
La mesure des niveaux de financement climatique fourni et mobilisé par les pays développés dans le contexte de l’Objectif des 100 milliards USD a été jusqu’à présent l’un des axes de travail de nombreuses parties prenantes et organisations, dont l’OCDE. Toutefois, le financement climatique étant un moyen d’atteindre un objectif, il est également important d’évaluer son efficacité à l’appui des mesures d’atténuation et d’adaptation des pays en développement. En outre, les pays développés se sont engagés à atteindre l’objectif de 100 milliards USD dans le contexte de « mesures d’atténuation concrètes et de transparence sur la mise en œuvre ». Il est essentiel de comprendre les efforts déployés par les pays en développement pour créer ce contexte, ainsi que les impacts et les utilisations du financement climatique fourni et mobilisé, pour maximiser in fine l’efficacité de ce financement.
L’efficacité du financement climatique peut être comprise comme sa capacité globale à atteindre ses objectifs déclarés. Ces objectifs déclarés peuvent varier considérablement, si bien que l’efficacité peut avoir des significations différentes selon les contextes et les communautés (OCDE, 2019[43] ; Banque mondiale, 2020[44] ; Ellis, Caruso et Ockenden, 2013[45] ; Ye Zou et Ockenden, 2016[46] ; CIF et Itad, 2020[47]). Par exemple, les spécialistes du climat et du développement peuvent souligner l’importance pour le financement climatique de répondre aux besoins urgents et immédiats des pays vulnérables au changement climatique, ce qui n’est peut-être pas une priorité pour le secteur privé. Les questions relatives aux moyens d’assurer l’efficacité du financement du développement ont été au cœur des débats internationaux sur la coopération pour le développement. Dans ce contexte, le Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement, approuvé par 162 pays et territoires et auquel adhèrent 52 organisations internationales, définit quatre principes fondamentaux de ce qui constitue une coopération efficace : 1) adhésion ; 2) accent sur les résultats ; 3) partenariats ; et 4) transparence et responsabilité partagée (Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement, 2011[48]).
Il n’est pas simple de mesurer l’efficacité du financement climatique fourni/mobilisé et reçu – même une fois que les objectifs déclarés ont été convenus. Cette difficulté à mesurer l’efficacité tient principalement aux limites inhérentes à l’établissement de liens de causalité entre les résultats au niveau des pays et le soutien international, car les premiers dépendent d’une multitude de facteurs différents, comme les choix stratégiques nationaux et les conditions macroéconomiques plus larges. Un autre défi majeur concerne les aspects temporels de la mesure de l’efficacité. Certaines interventions en faveur du climat donneront des résultats immédiats, tandis que d’autres aboutiront à des résultats qui se concrétiseront après un délai plus long. Il peut donc être particulièrement complexe de déterminer un point précis dans le temps pour évaluer l’efficacité des interventions de financement climatique visant des impacts à long terme (Ellis, Caruso et Ockenden, 2013[45] ; OCDE, 2019[43] ; Ye Zou et Ockenden, 2016[46]). Ce problème est particulièrement aigu lorsque le financement climatique n’est pas fourni pour produire des résultats directs, mais plutôt pour permettre aux acteurs locaux d’agir, par exemple en renforçant leurs capacités.
Malgré ces difficultés, il est possible de produire des données probantes utiles pour évaluer l’efficacité de certaines interventions d’atténuation et d’adaptation en s’appuyant sur des critères de référence et des indicateurs de performance. Les interventions d’atténuation visent généralement à réduire les émissions de GES, et plusieurs indicateurs de substitution pour mesurer l’efficacité de ces interventions sont facilement identifiables et utilisés dans de nombreux cas, par exemple les émissions de gaz à effet de serre (GES) évitées ou les tonnes de CO2 (équivalent) réduites ou évitées. De nombreux fournisseurs publics multilatéraux et bilatéraux de financement climatique incluent désormais ces informations dans leurs rapports annuels et dans les documents d’évaluation des projets. Cependant, l’agrégation de ces informations reste difficile car les différents fournisseurs déclarent utiliser des méthodologies, des approches et des indicateurs différents.
Il est plus difficile de mesurer directement l’impact final des mesures d’adaptation, ainsi que des mesures d’atténuation axées sur des résultats immatériels comme les interventions des pouvoirs publics ou le renforcement des capacités. Il est, de ce fait, généralement évalué à l’aide d’indicateurs de résultats plus larges (Ellis, Caruso et Ockenden, 2013[45] ; OCDE, 2019[43] ; Assouyouti, 2021[49] ; Vallejo, 2017[50] ; Lamhauge, Lanzi et Agrawala, 2013[51]). Les fournisseurs internationaux de financement climatique utilisent une série d’indicateurs dans ce contexte, notamment :
le nombre de bénéficiaires (nombre de personnes aidées à se préparer à s’adapter, à anticiper ou à absorber les chocs et tensions liés au climat, par exemple) ;
l’amélioration des infrastructures matérielles et des actifs (par exemple, kilomètres de routes rendues résilientes au changement climatique) ;
l’utilisation accrue des outils, instruments et stratégies de résilience par les acteurs publics et privés.
Au-delà de ces indicateurs généraux, l’évaluation des progrès en matière d’adaptation nécessite également des indicateurs sectoriels, principalement parce que les résultats concrets de l’adaptation diffèrent selon les secteurs ou les domaines d’action. Par exemple, la Commission mondiale sur l’adaptation a proposé une série de mesures de ce type, notamment la proportion de la superficie agricole bénéficiant d’une agriculture productive et durable, la proportion de la population rurale vivant à moins de 2 km d’une route praticable toute l’année, ou encore l’amélioration de la productivité humaine face à la variabilité croissante du climat (Leiter et al., 2019[52]).
La disponibilité des données et des informations nécessaires pour mesurer l’efficacité et les progrès au regard d’indicateurs définis demeure toutefois un défi majeur. Le cadre actuel de notification de la CCNUCC, qui restera en place jusqu’en 2024 avant d’être remplacé par le Cadre de transparence renforcé de l’Accord de Paris (voir ci-après), demande aux pays ne figurant pas à l’Annexe I1 d’inclure dans leurs rapports biennaux actualisés (RBA)2 un certain nombre d’éléments qui peuvent être particulièrement utiles pour suivre et évaluer l’efficacité du soutien international. Ces éléments comprennent des informations sur les mesures d’atténuation mises en œuvre et leurs effets, ainsi que sur le soutien financier reçu des pays développés (CCNUCC, 2012[53]). Ces rapports réguliers sur les mesures d’atténuation mises en œuvre pourraient aider à mieux comprendre leurs impacts, par exemple sur les émissions nationales de GES. En outre, la notification au niveau des activités des informations sur le soutien financier reçu peut être particulièrement utile pour suivre l’utilisation des apports globaux de financement climatique dans un pays en développement donné.
À ce jour, les informations sur les mesures d’atténuation mises en œuvre et le soutien financier reçu ne sont que partiellement disponibles. Elles sont communiquées par les pays ne figurant pas à l’annexe I avec des niveaux de détail variables (Falduto et Ellis, 2019[54] ; Ellis et al., 2018[55]). Cela peut s’expliquer par la difficulté d’évaluer les impacts (en particulier des projets d’adaptation) et par l’absence d’obligation de déclaration pour les pays en développement au titre de la CCNUCC sur ces questions. En outre, les lignes directrices actuelles de la CCNUCC concernant l’établissement des rapports biennaux actualisés n’établissent pas de lien explicite entre la notification du soutien financier reçu et celle des mesures d’atténuation mises en œuvre, c’est-à-dire qu’elles ne donnent aucune indication sur la question de savoir si les pays en développement doivent ou devraient indiquer comment les mesures d’atténuation notifiées ont été financées (CCNUCC, 2012[53]). C’est pourquoi les RBA ne constituent pas une base complète permettant d’évaluer l’utilisation et les impacts du soutien financier au titre de la CCNUCC.
De nombreuses Parties non visées à l’annexe I se heurtent à d’importantes contraintes de capacités pour suivre, collecter et rassembler les informations nécessaires à la préparation des rapports au titre de la CCNUCC. Sur le terrain, le financement climatique est dirigé vers de multiples acteurs aux niveaux national et infranational. Dans la pratique, ce sont les administrations nationales qui communiquent ces informations. Cela rend le suivi détaillé particulièrement complexe et difficile en l'absence de systèmes de suivi sophistiqués (Ellis et al., 2018[55]). Si un soutien international a été apporté à certains pays en développement pour la préparation des RBA3, de nombreux pays indiquent dans ces rapports qu’ils ne disposent pas des ressources techniques, humaines et financières nécessaires pour pouvoir compiler les informations demandées. En août 2022, 75 pays non visés à l’annexe I n’avaient pas encore soumis un RBA (CCNUCC, 2022[56]).
Le Cadre de transparence renforcé (CTR) de l’Accord de Paris, qui fournit de nouvelles lignes directrices relatives à l’élaboration des rapports aux Parties à la CCNUCC à compter de 2024, peut jouer un rôle important pour encourager les efforts déployés par les pays développés et les pays en développement en faveur de la transparence. En particulier, dans le cadre des nouvelles lignes directrices sur la notification des informations sur le soutien financier reçu, les pays en développement seront invités à inclure dans leurs rapports biennaux sur la transparence des informations sur l’état d’avancement de l’activité soutenue par le financement reçu (par ex. « en cours », « terminé », etc.), ainsi que sur ses impacts et ses résultats estimés.
Dans le même temps, il est probable que les rapports des pays en développement à la CCNUCC continueront de ne fournir qu’une image indicative et limitée du soutien reçu et de son utilisation en raison de la complexité du suivi des flux financiers, et de la nature non obligatoire de la communication de cet élément d’information dans le cadre du CTR. De nombreux pays en développement doivent développer ou renforcer leur capacité à suivre et à communiquer efficacement les informations sur le financement climatique reçu et sur la mise en œuvre des actions que ce financement soutient (CCNUCC CPF, 2021[9]). Néanmoins, ces informations, même si elles sont limitées, permettront de mieux comprendre le « contexte dans lequel s’inscrivent des mesures d’atténuation efficaces et la transparence de la mise en œuvre » de l’objectif de 100 milliards USD, et de mieux appréhender l’efficacité du financement climatique à des fins nationales et internationales. Plus généralement, les efforts accrus déployés par les fournisseurs et les bénéficiaires de financement climatique pour rendre compte de manière plus exhaustive des effets du soutien international peuvent grandement contribuer à la réalisation de ces objectifs.
Il est important de renforcer la communication d’informations sur l’utilisation, les impacts et les résultats des interventions de financement climatique, et pas seulement pour la redevabilité. Elle peut également aider à identifier les priorités des pays en développement et les défis à relever, ce qui peut à son tour contribuer à mieux cibler le soutien international pour y faire face. Dans l’ensemble, il est de plus en plus admis que l’action internationale doit aller au-delà des résultats directs, et être axée sur le soutien, la facilitation et l’accélération de la transition vers un développement à faibles émissions de gaz à effet de serre et résilient au changement climatique (OCDE/La Banque mondiale/ONU Environnement, 2018[39]), ce qui a un impact sur les méthodes d’évaluation des résultats. Les actions requises pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sont intrinsèquement liées aux plans et processus de développement nationaux globaux des pays. De fait, le Programme d’action d’Addis-Abeba adopté par les Nations Unies souligne que chaque pays est responsable au premier chef de son propre développement économique et social et souligne le rôle des politiques et des stratégies de développement nationales (DAES de l’ONU, 2015[57]). Conformément à cette vision, l’intégration des considérations et politiques relatives au changement climatique des pays en développement dans les stratégies, plans et processus de développement est une condition fondamentale et un levier pour une action climatique efficace et propre aux pays (OCDE, 2019[58]).
Notes
← 1. Les Parties à la CCNUCC ne figurant pas à l’annexe I sont les pays qui ne figurent pas à l’annexe I de la Convention, et sont principalement des pays en développement. La liste des pays en développement pris en compte pour l’analyse quantitative menée dans les trois premiers chapitres de ce rapport comprend plus de pays que ceux ne figurant pas à l’annexe I.
← 2. Les rapports biennaux actualisés (RBA) sont des rapports soumis par des Parties à la CCNUCC ne figurant pas à l’annexe I. Les lignes directrices relatives à l'établissement des RBA sont énoncées dans la décision 2/CP.17 (CCNUCC, 2012[53])
← 3. Notamment via le Programme-cadre du Fonds pour l’environnement mondial pour la préparation des communications nationales et des rapports biennaux actualisés à la CCNUCC.