La confiance est un indicateur important pour mesurer la façon dont les gens perçoivent la qualité des institutions gouvernementales dans les pays démocratiques et la façon dont ils s'y associent. Ce chapitre présente une vue d'ensemble du rapport « Instaurer la confiance pour renforcer la démocratie ». Il comprend une présentation des motivations derrière la première enquête de l'OCDE sur les déterminants de la confiance dans les institutions publiques (enquête sur la confiance), présente le cadre de l'OCDE sur les déterminants de la confiance dans les institutions publiques et résume les principales conclusions du rapport.
Instaurer la confiance pour renforcer la démocratie
1. Mesurer la confiance à l’égard des pouvoirs publics pour renforcer la démocratie
Abstract
La confiance dans les pouvoirs publics est fondamentale.
S’ils bénéficient de la confiance du public, ils peuvent gouverner au quotidien et relever les grands défis d’aujourd’hui et de demain : les crises sanitaires et économiques actuelles, l’accroissement persistant des inégalités, le vieillissement de la population, les progrès technologiques et la menace existentielle que pose le changement climatique. Un degré de confiance suffisamment élevé à l’égard des institutions peut aider les pays à réduire les coûts de transaction – dans la gouvernance, la société et l’économie – et à garantir le respect des politiques publiques. En outre, la confiance peut favoriser les investissements publics dans des réformes et des programmes ambitieux qui s’avéreront plus fructueux. Dans les pays démocratiques, une confiance modérée, ainsi qu’un contrôle public équilibré, peuvent contribuer à renforcer l’importance des normes et des institutions démocratiques.
Néanmoins, tout comme la confiance de la population intervient en amont dans la gouvernance comme un moyen – qui favorise ou entrave la mise en œuvre des politiques –, elle en est également un résultat tout aussi important en aval. Elle est l’expression de la façon dont les citoyens perçoivent leurs institutions publiques et de ce qu’ils attendent de leur pays.
Bien entendu, une grande confiance dans les institutions n’est pas une résultante nécessaire de la gouvernance démocratique. En effet, si l’on observe dans les démocraties de faibles niveaux de confiance, c’est uniquement parce que les citoyens, dans les systèmes démocratiques, ont une liberté plus grande de faire part de leur manque de confiance envers l’État, ce qui leur est interdit dans les systèmes autocratiques. Les avis critiques et les commentaires constructifs peuvent même être le signe d'une saine démocratie. La confiance demeure toutefois un indicateur important pour mesurer la façon dont la population perçoit la qualité des institutions publiques dans les pays démocratiques et le lien qu’elles entretiennent avec elles.
Du point de vue de l’action publique, il est donc important que les pays démocratiques aient une réflexion globale sur ces deux dimensions, moyen et résultat : quelle influence a la confiance sur les résultats et, à l’inverse, comment la confiance est-elle impactée par les processus des politiques publiques.
Ce rapport étudie la relation entre la gouvernance et la confiance en analysant les données initiales issues de l’enquête de l’OCDE sur les déterminants de la confiance dans les institutions publiques (ci-après « enquête sur la confiance »). Couvrant vingt-deux pays de l’OCDE, cette enquête représente à ce jour le bilan inter-pays le plus approfondi sur la relation complexe existant entre la confiance des citoyens et la gouvernance démocratique. Des pistes d’action sont proposées afin de renforcer les institutions et les cultures démocratiques.
Il ressort que la plupart des pays de l’OCDE obtiennent des résultats satisfaisants en ce qui concerne la perception par la population de la fiabilité des institutions, de la prestation de services et de l’ouverture des données, même si des efforts pour améliorer les résultats dans ces domaines seraient nécessaires. Cependant, les pays s’en sortent beaucoup moins bien pour ce qui est de la perception des composantes essentielles du modèle avancé de gouvernance démocratique. Peu de personnes considèrent que leurs gouvernements sont à l’écoute de leurs souhaits et de leurs besoins, et beaucoup considèrent que les hauts responsables publics sont faciles à corrompre. Les groupes défavorisés, à savoir les jeunes, les femmes, les personnes ayant de faibles revenus, et celles avec un plus faible niveau d’éducation, sont moins susceptibles de faire confiance à leurs institutions et sont souvent sceptiques quant au fait que celles-ci leur prêtent attention.
Les pays doivent adopter une approche plus globale pour instaurer la confiance, en tenant compte à la fois des processus et des résultats. Pour cela, ils doivent particulièrement réfléchir à la manière de corriger ce sentiment de manque de réactivité et d’intégrité des pouvoirs publics, afin de consolider le fonctionnement des sociétés démocratiques. Ainsi, ils pourront plus facilement se relever de la pandémie et affronter les grands défis politiques qui se présentent à eux.
1.1. Préambule : un moment singulier, mais des problèmes structurels de longue date
L’enquête sur la confiance a été menée à une période éprouvante pour la plupart des pays couverts par l’enquête, aux mois de novembre et décembre 2021, soit près de deux ans après le début de la pandémie de COVID-19. Alors que la majorité des pays de l’OCDE avaient vu la confiance dans leurs institutions s’améliorer en 2020, au début de la propagation du virus – amélioration due à l’effet de « ralliement au drapeau » –, cette confiance s’était érodée dans de nombreux pays mi-2021 (Brezzi et al., 2021[1]). Dans 13 des 22 pays participant à l’enquête, des personnes ont été interrogées à la période où la cinquième vague de la pandémie débutait en Europe, coïncidant avec l’augmentation du nombre de cas et les mesures d’intervention telles que la fermeture de lieux publics et l’instauration des certificats de vaccination. En effet, dans plusieurs pays européens, le début des entretiens de l'enquête sur la confiance a coïncidé avec de nouvelles mesures nationales de confinement.
Il est possible que cela joue un rôle dans le fait que de nombreux pays européens sont regroupés dans les résultats de l’enquête avec des niveaux de confiance modérés à faibles (Graphique 1.2). De plus, une « lassitude vis-à-vis de la pandémie » s’est installée dans tous les pays , peut-être surtout en Asie, où le COVID-19 sévit depuis le plus longtemps1. L’enquête sur la confiance présente par conséquent une estimation ponctuelle2 de la perception des autorités, à une période qui, pour certaines questions, a rendu particulièrement difficile l’auto-évaluation. Ces perceptions peuvent aussi être influencées, à des degrés divers selon les pays, par des résultats économiques ou sociaux plus « objectifs » de la gouvernance, ainsi que par des différences culturelles ou sociétales sous-jacentes entre les pays.
Cela dit, la grande majorité des questions posées portent sur des composantes structurelles et constantes de la gouvernance qui existaient avant la pandémie (et qui sont probablement peu influencées par celle-ci). Les participants à l’enquête ont, par exemple, été interrogés sur le sentiment qu’ils éprouvent à l’égard de l’intégrité des fonctionnaires, de l’équité des programmes publics, de la réactivité des administrations aux avis exprimés par la population et de la fiabilité des services publics. Cela relève de particularités structurelles des pays de l’OCDE qui étaient présentes bien avant la crise actuelle, et qui subsisteront bien après. Ces questions s’inspirent des concepts fondamentaux du cadre de l'OCDE pour l’analyse de la confiance (Encadré 1.2), qui a été développé au cours de la dernière décennie avec les commentaires des administrations des pays de l'OCDE.
La participation des pays membres de l’OCDE à l’enquête sur la confiance était facultative. Les vingt-deux pays qui se sont portés volontaires pour y participer se sont placés sous ce microscope afin de mieux comprendre ce qui influence la confiance envers les institutions de leur pays et des autres, et d’utiliser les éléments recueillis afin de déterminer quelles politiques permettraient de renforcer cette confiance, de la préserver ou de la restaurer. Pour ce faire, différents leviers peuvent être actionnés : un meilleur dialogue avec les diverses populations, une réponse plus efficace aux besoins des citoyens et à leurs attentes grandissantes, des améliorations dans l’élaboration et la mise en œuvre des programmes publics, la prise en compte des questions d’intégrité et l’adoption de réformes du secteur public favorisant des engagements plus fermes et à long terme envers les citoyens. Ces efforts devraient contribuer à améliorer la confiance de la population à l’égard des institutions publiques. Compte tenu de l’ampleur des défis auxquels sont confrontées les démocraties à l’aube de la troisième année de la pandémie, l’OCDE est fermement résolue à aider les pays à rebâtir la confiance.
La participation des pays à l’enquête sur la confiance témoigne, en soi, d’un haut degré de transparence et d’intégrité démocratique, et de leur impressionnante détermination à s’engager envers la population.
Encadré 1.1. Première enquête de l’OCDE sur les déterminants de la confiance dans les institutions publiques
Dans son enquête sur la confiance, l’OCDE étudie la relation entre la confiance et la gouvernance à l’aide d’un ensemble original et complet de données d’enquête représentatives auprès de vingt-deux pays. Dans la lignée des travaux menés depuis longtemps par l’OCDE sur ce sujet, ce projet représente la première enquête internationale approfondie consacrée exclusivement à la mesure de la confiance dans les institutions et de ses déterminants. Les questions de l’enquête s’inspirent des concepts fondamentaux du cadre de l’OCDE pour l’analyse de la confiance (Encadré 1.2) ; élaboré sous la direction du Comité de la gouvernance publique de l’OCDE, il décrit les principaux facteurs qui influencent la confiance dans les institutions.
Compte tenu de l’importance que revêt la perception des citoyens pour la viabilité et la mise en œuvre réussie de l’action publique, les mesures à l’aide d’enquêtes de la confiance de la population devraient avoir toute leur place, en tant qu’instruments modernes de la gouvernance publique dans les pays de l’OCDE, aux côtés des mesures traditionnelles des résultats, comme les dépenses publiques, la couverture des programmes, le revenu national et les taux de pauvreté. Parmi le grand nombre de mécanismes et d’initiatives visant à impliquer les citoyens, les enquêtes auprès de la population jouent un rôle important pour consulter celle-ci et lui permettre d’exprimer son opinion. Menées régulièrement, ces enquêtes permettent aux pays de recueillir des informations, d’être à l’écoute des citoyens et d’intégrer leurs points de vue dans leurs politiques. L’enquête sur la confiance, en particulier, permet d’examiner attentivement les déterminants de la confiance et les niveaux de confiance à l’égard des différentes institutions publiques.
Un bref aperçu de la méthode d'enquête et de la documentation
Réalisée par la Direction de la gouvernance publique de l’OCDE, l’enquête sur la confiance couvre un très grand nombre de pays (généralement 2 000 répondants par pays), vingt-deux au total : Australie, Autriche, Belgique, Canada, Colombie, Corée, Danemark, Estonie, Finlande, France, Irlande, Islande, Japon, Lettonie, Luxembourg, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni et Suède. Ces grands échantillons facilitent l’analyse des sous-groupes et permettent de garantir la fiabilité des résultats.
Ces enquêtes ont été réalisées en ligne par YouGov, par des offices nationaux de statistiques (dans le cas de la Finlande, de l'Irlande, du Mexique et du Royaume-Uni), par des instituts de recherche nationaux (Islande) ou par des sociétés d'enquête (Nouvelle-Zélande et Norvège). Les sondages en ligne de YouGov utilisent une méthodologie d’échantillonnage non probabiliste avec des quotas pour garantir des échantillons représentatifs au niveau national selon les critères suivants : âge, sexe, grande région et éducation. La majorité des sondages effectués par YouGov ont eu lieu en novembre et décembre 2021. Les autres ont été réalisés dans les pays mêmes en un an (soit avant, soit après cette période). Le Mexique a mené des entretiens en face à face, principalement en zones urbaines. Pour une brève description de la façon dont les différentes questions ont été adaptées aux différents contextes nationaux, voir l’Encadré 2.1 au chapitre 2.
Pour une description plus détaillée de la méthodologie et de la mise en œuvre de l’enquête, consulter le document de référence méthodologique détaillé à l’adresse https://oe.cd/trust.
Le processus de l’enquête et sa mise en œuvre ont été pilotés par un groupe consultatif, rassemblant des fonctionnaires de pays membres de l’OCDE, des représentants des offices nationaux de statistiques et des experts internationaux. L’OCDE a l’intention de continuer à améliorer et mener régulièrement cette enquête dans les années à venir, afin d’aider les pays à mieux gouverner, à suivre les résultats au fil du temps et à mieux prendre en compte les opinions de la population.
1.2. Favoriser la confiance dans les pouvoirs publics et renforcer la démocratie
L’objectif qui a motivé la conduite de l’enquête de l’OCDE sur la confiance est de comprendre les déterminants de la confiance dans les institutions publiques. Dans quelle mesure la compétence et les valeurs d’un pays influencent-elles la confiance dans les institutions publiques ? Les questions de l’enquête visant à mesurer la fiabilité, la réactivité, l’intégrité, l’équité et l’ouverture sont étroitement liées aux composantes clés du cadre de l’OCDE pour l’analyse de la confiance (Encadré 1.2).
Cependant, à mesure que les données de l’enquête étaient rassemblées et analysées, il est apparu que les résultats ne se limitaient pas à faire ressortir les points forts et les points faibles des pays à travers la grille du cadre. Les résultats, fondés sur des données, livrent un message important : la nécessité de renforcer la démocratie dans les pays de l’OCDE.
Les pays de l’OCDE présentent des résultats satisfaisants à l’aune des mesures que l’on peut considérer comme des références pour une gouvernance efficace dans les pays développés. 65.1 % des répondants, en moyenne, déclarent pouvoir trouver facilement des informations relatives aux procédures administratives (Graphique 1.1). Une légère majorité (51.1 %) estiment que les administrations publiques utilisent leurs données personnelles de manière sûre. Dans la plupart des pays, une majorité de personnes se disent satisfaites de leur système national de santé (61.7 % en moyenne) et d'éducation (57.6 % en moyenne). Environ la moitié des personnes interrogées (49.4 %), à l'échelle internationale, pensent que leur pays sera prêt à faire face à la prochaine pandémie (chapitre 4).
Des progrès considérables sont encore à faire en matière de prestation de services, d’accès à l’information et de préparation à l’avenir, mais surtout, certains pays affichent de bien meilleurs résultats que d’autres. En général, tous s’en sortent relativement bien pour ces mesures de fiabilité, de prestation de services et d’accès à l’information.
Pour faire simple, les pays de l’OCDE fonctionnent comme on l’attend.
Cela dit, la démocratie se distingue des autres formes de gouvernement par un élément crucial : l’égalité des chances en matière de représentation dans la gouvernance. Comme le montrent les données de l’enquête sur la confiance, les citoyens des pays de l'OCDE considèrent que ces aspects démocratiques de la gouvernance, en particulier, ne répondent pas à leurs attentes, tant dans les procédures bureaucratiques des décisions publiques que dans les processus démocratiques plus explicitement politiques. Le mécontentement constaté a probablement plusieurs explications, notamment des résultats socioéconomiques qui ne correspondent pas aux attentes des citoyens vis-à-vis des démocraties avancées.
Le résultat le plus marquant de l’enquête sur la confiance est un indice révélateur de ce mécontentement. Seules quatre personnes interrogées sur dix (41.4%), en moyenne sur tous les pays, font confiance à leur gouvernement national (Graphique 1.2). Bien entendu, cette moyenne cache d’importantes variations. Cela représente plus de 60 % de la population dans des pays comme la Finlande et la Norvège, mais ces taux sont inférieurs à 30 % dans environ un quart des pays3.
Si moins de la moitié des personnes interrogées font confiance à leur gouvernement national en moyenne, il convient de noter que cela ne signifie pas qu’une majorité s’en défie. En fait, les proportions sont réparties de manière pratiquement égale entre qui a confiance et qui n’a pas confiance : 41.1 % en moyenne indiquent ne pas faire confiance à leur gouvernement national.
Surtout, dans certains pays, il existe également un haut degré de neutralité et d’incertitude autour de la question de la confiance. En moyenne, 14.8 % des personnes interrogées adoptent une position neutre (elles n’ont ni confiance ni défiance à l’égard de leur gouvernement national), et environ 3 % n’ont pas pu se prononcer. Ce groupe peut avoir son importance, car il pourrait possiblement être davantage sollicité et convaincu par le gouvernement national.
Les différences culturelles entre les pays peuvent également expliquer les parts relatives des réponses neutres et incertaines aux questions sur la confiance dans les différentes institutions. Au Japon par exemple, les personnes interrogées expriment, dans une proportion élevée, un avis neutre quant à la confiance dans le gouvernement ou ont indiqué « Ne sait pas », réponse qui n’est pas associée à une valeur numérique sur l’échelle. Au total, au Japon, les catégories des personnes qui font confiance à leur gouvernement national, qui ont une opinion neutre ou qui déclarent ne pas savoir si elles font confiance à leur gouvernement national représentent une forte majorité des personnes interrogées (60.2 %). En parallèle, la part des personnes interrogées qui ne font pas confiance au gouvernement national au Japon est inférieure à la moyenne des personnes, pour cette même catégorie, dans les pays de l'OCDE. Cela suggère une neutralité relativement élevée et une flexibilité importante en termes de confiance dans le gouvernement national au Japon. Ces résultats moyens pour le Japon se retrouvent dans plusieurs résultats de l'enquête (Encadré 2.1).
Ces constatations sont dues, en grande partie, à un manque de confiance dans la réactivité et l’intégrité des institutions publiques et dans l’égalité des chances de représentation auprès de celles-ci. Les résultats obtenus pour plusieurs questions de l’enquête montrent systématiquement que les gouvernements sont considérés comme peu réceptifs aux demandes des citoyens, tant dans les décisions publiques que dans les processus plus explicitement démocratiques. Seul un tiers des personnes interrogées (32.9 %) pensent que les pouvoirs publics tiendraient compte des avis exprimés lors d’une consultation de la population, par exemple (Graphique 1.3). Et seulement moins de quatre personnes interrogées sur dix, en moyenne tous pays confondus, déclarent que leur gouvernement améliorerait un service peu performant, mettrait en œuvre une idée innovante ou modifierait une politique nationale pour répondre aux souhaits de la population (chapitre 5). En ce qui concerne les processus démocratiques plus clairement politiques, à peine trois personnes sur dix considèrent que le système politique de leur pays leur permet d’avoir voix au chapitre.
Les résultats concernant la façon dont est perçue l’intégrité publique sont tout aussi préoccupants. Ainsi, l’intégrité des décideurs suscite largement le scepticisme : en moyenne tous pays confondus, près de la moitié des personnes interrogées (47.8 %) pensent qu’un haut responsable public accorderait une faveur politique en contrepartie d’un emploi bien rémunéré dans le secteur privé, et plus d’un tiers (35.7 %) des répondants, en moyenne tous pays confondus, considèrent qu’un fonctionnaire accepterait probablement de l’argent de la part d’un citoyen ou d’une entreprise en contrepartie d’une prestation de service accélérée (chapitre 5).
Ce sentiment d’aliénation de la population, face à des responsables politiques prisonniers d’une influence indue et à des décisions publiques dans lesquelles leur voix ne compte pas est aggravé par des inégalités tenaces et latentes dans la société.
Chez les plus vulnérables, c’est-à-dire les jeunes et les personnes ayant de faibles revenus, peu instruites ou qui se sentent en situation d’insécurité financière, les niveaux de confiance dans les institutions sont toujours plus faibles. Le sentiment général est que les pays démocratiques fonctionnent pour certains, mais certainement pas pour tous.
Encadré 1.2. Le cadre de l’OCDE sur les déterminants de la confiance dans les institutions publiques
L’enquête sur la confiance est le reflet de la priorité accordée depuis longtemps par l’OCDE à la question de la confiance dans les pouvoirs publics. Compte tenu de l’érosion de cette confiance provoquée par la crise financière mondiale de 2008, et de ses graves répercussions sur leurs fondements démocratiques, les pays ont appelé, lors de la réunion du Conseil au niveau des Ministres de 2013, à « renforcer les efforts visant à approfondir les questions de la confiance à l’égard des institutions publiques et de son influence sur les performances économiques et le bien-être ». Pour répondre à cet appel, l’OCDE a élaboré un cadre conceptuel, le Cadre de l’OCDE sur les déterminants de la confiance dans les institutions publiques, ainsi qu’un document de lignes directrices relatives à la mesure statistique de ces déterminants. Tous deux ont été testés dans quelques pays via le projet TrustLab de l’OCDE (OCDE, 2018[2] ; OCDE, 2017[3] ; OCDE, 2017[4] ; González et Smith, 2017[5]).
À la suite d’examens par pays en Corée (OCDE/KDI, 2018[6]), en Finlande (OCDE, 2021[7]) et en Norvège (OCDE, 2022[8]), le Comité de la gouvernance publique de l’OCDE a approuvé, en 2021, la réalisation d’une enquête internationale visant à faire le point sur la confiance à l’égard des institutions publiques, appliquer les fondements théoriques du cadre pour l’analyse de la confiance et à mieux appréhender les déterminants qui influencent cette confiance. C’est ainsi qu’est née l’enquête de l’OCDE sur la confiance.
Définir la confiance et ses déterminants
L’OCDE définit la confiance comme étant « la conviction d’un individu qu’une autre personne ou une institution adoptera systématiquement le comportement positif qu’il escompte ». La confiance donne aux individus l’assurance que les autres personnes ou les institutions agiront comme attendu, dans le cadre d’une action particulière ou d’un ensemble d’actions (OCDE, 2017[4]). Bien qu’elle soit influencée par des expériences et des faits réels, la confiance relève souvent d’un phénomène subjectif fondé sur des interprétations ou des perceptions (OCDE, 2021[7]). La définition qu’en donne l’OCDE s’appuie sur plus d’un demi-siècle de recherches universitaires dans des disciplines telles que l’économie, les sciences politiques, la psychologie et la sociologie (Levi et Stoker, 2000[9] ; Norris, 2022[10]).1
Le cadre identifie cinq principaux déterminants de la confiance dans les institutions publiques. Ils reflètent la mesure dans laquelle les institutions sont réactives et fiables dans la mise en œuvre des actions et des services, et agissent conformément aux valeurs d'ouverture, d'intégrité et d'équité. Depuis le début de la pandémie, le cadre de l’OCDE a été réexaminé via un processus consultatif axé sur la création d’un nouveau paradigme en matière de confiance de la population. Y ont participé plus de 800 personnes – décideurs, fonctionnaires, chercheurs, fournisseurs de données et représentants des secteurs privé et sans but lucratif –, à l’occasion de six webinaires organisés en 2020 et 2021 (OCDE, 2021[11]). Une révision du cadre a ensuite eu lieu, afin d’orienter les efforts visant à rétablir la confiance des citoyens à l’égard des pouvoirs publics, pendant et après la crise, en privilégiant une reconstruction plus inclusive, notamment par la prise en compte des différences socioéconomiques, politiques et culturelles, et l’obtention de l’adhésion nécessaire pour aborder des défis à long terme et intergénérationnels comme le changement climatique. Ces déterminants interagissent pour influencer la confiance des gens dans les institutions publiques et sont aggravés par la situation économique, sociale et institutionnelle des pays.
Tableau 1.1. Cadre de l’OCDE sur les déterminants de la confiance dans les institutions publiques
Niveaux de confiance à l’égard des différentes institutions publiques |
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Confiance dans les autorités nationales et locales, la fonction publique, le parlement, la police, les partis politiques, les tribunaux, les systèmes juridiques et les organisations intergouvernementales |
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Déterminants de la confiance dans les institutions publiques liés à la gouvernance publique |
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Compétences |
Réactivité |
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Fiabilité |
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Valeurs |
Ouverture |
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Intégrité |
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Équité |
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Déterminants de la confiance dans les institutions publiques liés aux aspects culturels, économiques et politiques |
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Perception de l’action publique concernant les défis intergénérationnels et mondiaux |
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Source : (Brezzi et al., 2021[1])
1. De nombreuses définitions théoriques de la confiance incluent une composante de vulnérabilité ou d’incertitude de la part du mandant dans une relation mandant/mandataire (où le mandant est le citoyen et le mandataire, l’institution publique/l’acteur public). Cette composante est implicite, et non explicite, dans le cadre de l’OCDE de mesure des déterminants de la confiance dans les institutions publiques.
Principales conclusions du rapport et points d'attention
Afin de renforcer la démocratie dans les pays de l’OCDE et d’assurer une reprise inclusive au sortir de la pandémie, il est impératif de renforcer la confiance de la population dans les pouvoirs publics. Le présent rapport préconise que ces objectifs soient poursuivis ensemble. Les pays ne peuvent s’attacher uniquement aux résultats de leur action ; ils doivent se concentrer aussi sur les processus.
Alors que la crise s’achève et que les pouvoirs publics se concentrent, à raison, sur les objectifs sociaux, économiques et environnementaux, il est plus important que jamais qu’ils travaillent à renforcer les valeurs et institutions démocratiques qui font aujourd’hui la force des pays de l’OCDE. En faisant du renforcement de la confiance entre la population et ses institutions un objectif explicite de l’action publique, les pays peuvent renforcer les processus démocratiques sous tous leurs aspects de gouvernance, et dans tous leurs domaines d’action, tout en répondant à l’évolution des attentes des citoyens. Il leur faut privilégier une approche impliquant l’ensemble des administrations, à tous les niveaux, des fonctionnaires aux hauts responsables.
Les personnes interrogées ont un niveau raisonnable de confiance dans la fiabilité de leurs pouvoirs publics. Par exemple, seul un tiers (32.6 %) des personnes interrogées affirment que leur pays ne serait pas prêt à répondre à une future pandémie, ce qui est plutôt appréciable si l’on considère les coûts humains et économiques engendrés par le COVID-19 (chapitre 4).
La plupart des personnes, dans la plupart des pays, se disent satisfaites de leur système national de santé (61.7 %) et d'éducation (57.6 %), même en temps de crise (chapitre 4).
Une majorité est satisfaite des services administratifs (63.0 %). Plus de la moitié des personnes interrogées (51.1 %) fait confiance à l’administration nationale pour utiliser leurs données personnelles de manière sûre (chapitre 4), et 65.1 %, en moyenne, disent pouvoir trouver aisément des informations sur les processus administratifs (chapitre 5). Les personnes qui pensent que les informations sont ouvertes et transparentes affichent également des niveaux de confiance plus élevés vis-à-vis de ces autorités.
Malgré ces bons résultats, et alors que les pays luttent pour sortir de la plus grande crise sanitaire, économique et sociale depuis des décennies, les niveaux de confiance ont diminué en 2021, tout en restant légèrement plus élevés qu'ils ne l'étaient après la crise économique de 2008 (OCDE, 2021[12]). L'enquête sur la confiance révèle que la confiance des citoyens est répartie de manière égale entre les personnes qui disent faire confiance à leur gouvernement national et celles qui ne le font pas. Les données montrent qu'il faut beaucoup de temps pour rétablir la confiance lorsqu'elle est diminuée; il a fallu environ une décennie pour que la confiance se rétablisse après la crise de 2008. C’est pourquoi les pays doivent urgemment investir dans le rétablissement de la confiance afin d’être en mesure de relever les défis de politique publique à venir.
La confiance varie selon les institutions. La police (67.1 %), les tribunaux (56.9 %) et la fonction publique (50.2 %) et les autorités locales (46.9 %) recueillent des niveaux de confiance des citoyens plus élevés que les gouvernements nationaux (41.4 %) et que les organes législatifs nationaux comme les congrès et les parlements (39.4 %).
Les pouvoirs publics peuvent faire mieux pour répondre aux préoccupations de la population. Moins de la moitié des personnes interrogées, en moyenne tous pays confondus, s’attendent à que leur gouvernement améliore un service peu performant, mette en œuvre une idée innovante ou modifie une politique nationale pour répondre aux souhaits de la population (chapitre 4). Moins d’un tiers pensent que leur gouvernement prendrait en compte les avis exprimés lors d’une consultation publique (chapitre 5).
La perception de l’intégrité des pouvoirs publics est un point d’attention. Un tout petit peu moins de la moitié des personnes interrogées, en moyenne tous pays confondus, pensent qu’un haut responsable politique accorderait une faveur politique en contrepartie d’un poste lucratif dans le secteur privé (chapitre 6). Environ un tiers d’entre elles estiment qu’un fonctionnaire accepterait de l’argent en échange d’un accès plus rapide à un service public (chapitre 5).
Les écarts de confiance entre les générations, les niveaux d'éducation, les revenus, les sexes et les régions illustrent que des progrès peuvent être réalisés pour améliorer la participation et la représentation de tous. On observe en effet chez les jeunes, les personnes ayant un faible niveau d’éducation et celles qui ont de faibles revenus des niveaux de confiance inférieurs à ceux des autres groupes. Les perceptions ont aussi leur importance : la confiance dans les institutions publiques est sensiblement plus faible pour les personnes qui ressentent un sentiment d'insécurité financière ou qui sont privées de voix politique (chapitre 3). C’est peut-être pour cela que la confiance dans les institutions publiques, même apolitiques, est beaucoup plus faible chez les personnes qui n'ont pas voté pour les partis au pouvoir que chez celles qui ont voté en leur faveur, ce qui suggère une polarisation profondément ancrée.
Renforcer la confiance dans la capacité du gouvernement à relever les défis mondiaux est une priorité. Les pouvoirs publics font face à de nouvelles menaces : la désinformation et la mésinformation, l’inégalité des chances de représentation et de participation, sans compter les crises intergénérationnelles, mondiales et existentielles comme celle liée au changement climatique. Alors qu’en moyenne, dans tous les pays, la moitié des personnes interrogées pensent que les pouvoirs publics devraient faire davantage pour réduire la contribution de leur pays au changement climatique, seuls 35.5 % sont convaincus que les pays parviendront effectivement à réduire leur contribution au changement climatique (chapitre 6). Pour tous les pays de l’OCDE, y compris les plus réactifs, il s’agira de s’assurer, au moyen d’outils modernes et fondés sur les données, que leurs citoyens ont foi dans leur détermination à s’attaquer à ces problématiques majeures, et ce sera une tâche difficile.
Les données de l'enquête de l’OCDE sur la confiance peuvent aider les pouvoirs publics à mieux agir. L’enquête sur la confiance dresse, et c’est inédit, un tableau complet couvrant 22 pays de l’OCDE de ce qu’attendent les citoyens des institutions publiques et de l’image qu’ils en ont. Elle offre ainsi aux pays des éléments concrets leur permettant de voir ce qui fonctionnent ou non dans leurs efforts pour renforcer la confiance des citoyens. Ces résultats constituent un appel à l'action pour les gouvernants de l'OCDE. Les autorités publiques doivent continuer à améliorer leur fiabilité et leur préparation aux crises futures, à élaborer des politiques et des services publics avec et pour les gens, et à renforcer la transparence et la communication avec les citoyens concernant les engagements et les résultats, car il y a matière à amélioration et à enrichissement des connaissances au sein des pays et entre eux.
Les autorités doivent faire mieux en matière de lien et d’engagement avec la population en matière de conception, de mise en œuvre et de réforme des politiques, mais aussi pour préserver et renforcer la capacité des citoyens à faire entendre leur voix, pour garantir l'intégrité des élus, pour évaluer et améliorer en permanence la prestation des services publics et pour garantir l'inclusion des groupes vulnérables et marginalisés.
Références
[1] Brezzi, M. et al. (2021), « An updated OECD framework on drivers of trust in public institutions to meet current and future challenges », OECD Working Papers on Public Governance, n° 48, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/b6c5478c-en.
[13] Gaigg, V. (2021), « Mehr als 40.000 Teilnehmer und einige Festnahmen bei Demos gegen Corona-Maßnahmen in Wien », Der Standard, https://www.derstandard.at/story/2000131661460/auch-dieses-wochenende-zig-demos-gegen-corona-massnahmen-und-impfpflicht (consulté le 9 March 2022).
[5] González, S. et C. Smith (2017), « The accuracy of measures of institutional trust in household surveys : Evidence from the oecd trust database », OECD Statistics Working Papers, n° 2017/11, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/d839bd50-en.
[15] Henley, J. (2021), « Violence in Belgium and Netherlands as Covid protests erupt across Europe », The Guardian, https://www.theguardian.com/world/2021/nov/21/netherlands-arrests-second-night-covid-protests (consulté le 9 March 2022).
[14] Kihara, L. et D. Leussink (2021), « Pandemic fatigue complicates Japan’s COVID fight, risks recovery delay », Reuters, https://www.reuters.com/world/asia-pacific/pandemic-fatigue-complicates-japans-covid-fight-risks-recovery-delay-2021-08-18/ (consulté le 14 février 2022).
[9] Levi, M. et L. Stoker (2000), « Political Trust and Trustworthiness », Annual Review of Political Science, vol. 3, pp. 475-508, https://doi.org/10.1146/ANNUREV.POLISCI.3.1.475.
[10] Norris, P. (2022), In praise of skepticism: Trust but verify, Oxford University Press, New York, https://www.pippanorris.com/forthcomingbooks (consulté le 11 février 2022).
[8] OCDE (2022), Drivers of Trust in Public Institutions in Norway, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/81b01318-en.
[7] OCDE (2021), Drivers of Trust in Public Institutions in Finland, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/52600c9e-en.
[12] OCDE (2021), Panorama des administrations publiques 2021, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9556b25a-fr.
[4] OCDE (2017), OECD Guidelines on Measuring Trust, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264278219-en.
[3] OCDE (2017), Trust and Public Policy : How Better Governance Can Help Rebuild Public Trust, OECD Public Governance Reviews, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264268920-en.
[6] OCDE/KDI (2018), Understanding the Drivers of Trust in Government Institutions in Korea, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264308992-en.
[11] OECD (2021), « Building a New Paradigm for Public Trust », Webinar Series, https://www.oecd.org/fr/gov/webinar-series-building-a-new-paradigm-for-public-trust.htm (consulté le 10 mars 2022).
[2] OECD (2018), OECD Trustlab Initiative, https://www.oecd.org/wise/trustlab.htm (consulté le 9 mars 2022).
Notes
← 1. Les articles publiés dans les médias quant à l’ampleur de la « lassitude vis-à-vis de la pandémie » et les protestations contre les mesures liées au COVID-19 concernent un grand nombre de pays : l’Autriche (Gaigg, 2021[13]), la Belgique, le Japon (Kihara et Leussink, 2021[14]), les Pays-Bas (Henley, 2021[15]), ainsi que de nombreux autres pays dans lesquels l’enquête a été menée.
← 2. D'autres facteurs peuvent également influencer la confiance à un moment précis, comme celui où l'enquête s'inscrit dans un cycle politique/électoral (par exemple, le début ou la fin du mandat du gouvernement) ou l'actualité. L'Autriche, par exemple, a vu deux chanceliers fédéraux prêter serment entre octobre et décembre 2021. Cela a probablement affecté les résultats de l'Autriche et complique la comparabilité. L'enquête portugaise a été réalisée en 2022, juste après une élection parlementaire nationale.
← 3. Les résultats concernant la confiance dans le gouvernement national concordent globalement avec ceux issus d’autres enquêtes, notamment en termes de classement des pays. Les estimations de l’OCDE concernant la confiance sont légèrement inférieures à celles d’autres enquêtes parce que l’OCDE utilise une catégorie « Neutre » dans son échelle continue, plutôt qu’une option de réponse dichotomique « Confiance/Manque de confiance ».