Les Perspectives de l’OCDE sur l’éducation numérique 2023 offrent, pour la première fois, une fenêtre sur la manière dont les pays et les économies partenaires de l’OCDE gèrent la transition numérique ainsi que sur leur degré de préparation à la transformation numérique.
La transition numérique dans le secteur de l’éducation est en cours depuis des décennies, mais elle s’est considérablement accélérée dans le contexte de la pandémie de COVID-19 qui a incité de nombreux systèmes d’éducation à passer à l’enseignement à distance. Cette transition se caractérise par l’adoption de systèmes d’information de gestion de l’éducation, de plateformes d’apprentissage en ligne et l’utilisation d’outils numériques dans les salles de classe.
Cette transition n’est toutefois pas synonyme de transformation numérique. La transformation numérique impliquerait la modification fondamentale de certains processus éducatifs, en intégrant les technologies non seulement comme outil, mais aussi comme moyen de repenser les méthodologies d’enseignement, les processus d’apprentissage et l’écosystème éducatif dans son ensemble, afin de le rendre plus efficace. Actuellement, l’intégration des technologies dans le secteur de l’éducation se contente souvent de calquer les méthodes traditionnelles au lieu de les réinventer. Le principal avantage de la transformation numérique est qu’elle permet de personnaliser l’éducation, tant en termes d’apprentissage que de soutien aux élèves.
On constate que 65 % des pays de l’OCDE disposent d’un système d’information au niveau central. L’État américain du Colorado, par exemple, gère un site Web public appelé SchoolView qui fournit des informations et des analyses à partir de sa base de données longitudinales sur l’éducation. Le portail propose un réseau social pour les enseignants, un centre d’apprentissage et une banque de ressources, des tableaux interactifs sur les performances des établissements ainsi qu’un accès aux données et aux rapports sur les performances.
Toutefois, le Colorado fait figure d’exception. En réalité, peu de juridictions ou de pays relient leurs systèmes d’information scolaire aux résultats des évaluations individuelles et fournissent des tableaux de bord ou des outils de visualisation pour faciliter l’utilisation des données en temps réel. Les problèmes de confidentialité et l’absence de liens entre les données dans de nombreux pays constituent un obstacle à la conversion des données recueillies sur les élèves, les enseignants et les établissements en données exploitables pour améliorer le monde de l’éducation.
Prenons par exemple les systèmes de gestion de l’apprentissage (ou LMS), qui permettent de gérer l’assiduité des élèves, les cours, les contacts et les contenus. La plupart des établissements d’enseignement des pays de l’OCDE utilisent des systèmes de gestion de l’apprentissage à tous les niveaux d’enseignement, mais peu d’entre eux sont interopérables avec les systèmes centraux d’information scolaire ou avec les autres outils numériques utilisés à l’échelle du système.
L’interopérabilité est essentielle. À défaut, la collecte et l’analyse des données à l’échelon national ou local sont à la fois limitées et inefficientes, car les données sont saisies manuellement d’un système et d’une juridiction à l’autre. Les pays qui mettent à la disposition de leurs établissements un système national de gestion de l’apprentissage sont en mesure d’exploiter les fonctionnalités du système tout en collectant les données nécessaires pour superviser et améliorer le système éducatif. En Islande, par exemple, le système INNA est à la fois un système de gestion de l’apprentissage pour les établissements du deuxième cycle de l’enseignement secondaire, favorisant la gestion du suivi des élèves, des emplois du temps, de la communication avec les élèves et les parents et des frais de scolarité, et un système d’information scolaire pour les pouvoirs publics.
À un niveau plus fondamental, la transformation numérique ne peut avoir lieu qu’en assurant un accès universel à une connexion Internet stable et à haut débit. Une connectivité fiable est essentielle pour que les élèves puissent profiter pleinement de l’apprentissage numérique, personnalisé et attrayant grâce à des solutions numériques, pour qu’ils puissent communiquer avec leurs enseignants ou leurs tuteurs, et pour qu’ils reçoivent en temps utile des retours sur leurs activités.
L’accès à une connexion plus rapide et de meilleure qualité à tous les niveaux d’enseignement figure au rang des priorités politiques dans la quasi-totalité des pays. Toutefois, la manière dont les outils et les ressources numériques sont utilisés dans les établissements nécessite également d’être prise en compte. Les résultats de l’enquête PISA 2022 montrent que les élèves qui consacrent jusqu’à une heure par jour à l’apprentissage sur des appareils numériques obtiennent des résultats supérieurs de 14 points à ceux qui ne le font pas, même après contrôle du milieu socio-économique. Dans le même temps, de nombreux élèves ont déclaré avoir été distraits par des appareils numériques en classe, ce qui a eu un impact négatif sur leur performance.
Le rôle des enseignants reste donc central dans toute transformation numérique. Ils sont les agents du changement qui aideront les élèves à naviguer dans le monde numérique, non seulement du point de vue de l’adoption des technologies, mais aussi en matière de transmission des comportements et des valeurs nécessaires pour réguler l’utilisation des appareils numériques et s’adapter à un monde de plus en plus axé sur les données.
Or, de nombreux enseignants ne se sentent pas préparés à endosser ce rôle. Dans les pays de l’OCDE, environ 20 % des enseignants en poste dans l’enseignement secondaire déclarent avoir besoin d’une formation supplémentaire, bien que 60 % d’entre eux aient suivi une formation à l’enseignement numérique au cours de l’année écoulée. Dans le cadre des avancées rapides de l’IA et d’autres technologies numériques, ces déclarations apparaissent légitimes. Pourtant, la plupart des directives sur les normes professionnelles relatives aux compétences numériques restent générales et théoriques, ce qui laisse une importante marge d’interprétation sur la manière dont les systèmes comprennent, développent et évaluent ces compétences dans la pratique.
Des systèmes comme le modèle autrichien Digi.kompP, à l’inverse, ont élaboré un cadre de référence clairement défini pour huit domaines de compétences numériques et un modèle de progression pour orienter les enseignants tout au long de leur développement professionnel. De même, les systèmes de micro-crédits, comme celui mis en place par Digital Promise aux États-Unis, proposent un modèle alternatif avec une offre de formations certifiées dans un large éventail de compétences numériques.
Les récentes et rapides avancées dans le domaine de l’intelligence artificielle générative vont probablement bouleverser de nombreux aspects de l’éducation numérique. Cette technologie novatrice a la capacité de démocratiser les expériences d’apprentissage autonome, de fournir un soutien adapté aux besoins individuels des apprenants et de redéfinir comment, où et ce que les élèves apprennent.
Or, rares sont les pays de l’OCDE qui sont aujourd’hui préparés pour comprendre ou encadrer l’utilisation de l’IA générative dans le secteur de l’éducation. Si tous les pays et juridictions répondants ont indiqué que l’utilisation de l’IA générative était déjà répandue, aucun des 18 pays pour lesquels des données comparables sont disponibles n’a adopté de réglementation sur l’utilisation de l’IA générative dans le domaine de l’éducation, et seuls neuf pays ou juridictions ont adopté des orientations non contraignantes.
La présente édition des Perspectives de l’OCDE sur l’éducation numérique décrit un ensemble d’opportunités, de lignes directrices et de garde-fous pour une utilisation efficace et équitable de l’IA dans le secteur de l’éducation. Ces lignes directrices ont été élaborées en collaboration avec l’Internationale de l’Éducation (la fédération syndicale mondiale des enseignants), afin d’orienter les pays et les entités dans leur décision d’intégrer ou non l’IA générative dans leurs systèmes éducatifs, et de quelle manière procéder.
Ces lignes directrices sont essentielles pour garantir l’utilisation responsable et éthique des outils axés sur l’IA, afin d’éviter la génération de contenus biaisés, les atteintes à la confidentialité des données et le renforcement involontaire des stéréotypes. Elles soulignent la nécessité d’un dialogue efficace entre les autorités éducatives et les professionnels de l’éducation afin que les enseignants puissent conserver leur rôle de guide dans le processus d’apprentissage des élèves tout en exploitant le potentiel de l’IA dans le secteur de l’éducation.
Avant tout, pour que la transition vers l’éducation numérique devienne une réelle transformation, les pouvoirs publics doivent adopter une approche systémique qui renforce la cohérence des outils, des technologies, des acteurs et des entités dans l’ensemble de leur système éducatif. J’espère que l’analyse et les observations offertes par les Perspectives de l’OCDE sur l’éducation numérique 2023 fourniront aux membres de l’OCDE des ressources utiles à cet égard.