Ce document de travail a été rédigé conjointement par le Secrétariat de l’OCDE et l’Internationale de l’Éducation, initialement dans le cadre des discussions du Sommet international de la profession enseignante 2023. Il traite de l’utilisation de l’IA et des technologies numériques dans le contexte de l’enseignement et de l’apprentissage. Son contenu a été peaufiné après consultations auprès des pays, des experts et des parties prenantes. Il a pour but de faciliter la collaboration entre les autorités chargées de l’éducation et le corps enseignant, et de poser un premier jalon qui pourra guider les discussions à venir et les lignes directrices sur ce sujet.
Perspectives de l’OCDE sur l’éducation numérique 2023
16. Perspectives, lignes directrices et garde-fous pour une utilisation efficace et équitable de l'IA dans l’éducation
Copier le lien de 16. Perspectives, lignes directrices et garde-fous pour une utilisation efficace et équitable de l'IA dans l’éducationAbstract
Introduction
Copier le lien de IntroductionCe chapitre sur les « Perspectives, lignes directrices et garde-fous pour une utilisation efficace et équitable de l'IA dans l’éducation » (lignes directrices) expose les prises de position conjointes du Secrétariat de l’OCDE et de l’Internationale de l’Éducation sur l’évolution et l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) et de l’éducation numérique. Ces lignes directrices visent à orienter les autorités et organisations responsables de l’éducation, représentant les enseignants comme les professionnels de l’éducation, face à la rapide évolution de l’IA. Une première version a été transmise aux ministres de l’Éducation et aux dirigeants des syndicats d’enseignants lors du Sommet international de la profession enseignante en 2023. Ces lignes directrices s’inspirent des Recommandations du Conseil de l’OCDE sur l’intelligence artificielle (2019) et sur la connectivité à haut débit (2021). Elles s’appuient également sur les dix principes pour une reprise efficace et équitable de l’éducation (Effective and Equitable Educational Recovery - 2021) rédigés par le Secrétariat de l’OCDE et l’Internationale de l’Éducation en 2021.
Dans l’éducation, la pandémie de COVID-19 a eu pour conséquence majeure d’accroître l’attention portée aux technologies numériques et à leur utilisation. La plupart des systèmes d’éducation ont eu recours à des méthodes d’enseignement et d’apprentissage à distance à un moment ou un autre de la crise sanitaire, ce qui a suscité une prise de conscience des enseignants, des apprenants et des familles, du potentiel des technologies numériques pour la pédagogie et de leurs limitations. Le passage généralisé à l’apprentissage numérique à distance a également mis en lumière les inégalités persistantes d’accès aux technologies et à la connectivité, ainsi que le rôle crucial que jouent les établissements en tant qu’espace physique d’interactions sociales pour l’apprentissage, mais également pour le bien-être, des élèves.
L’essor de la technologie numérique s’est poursuivi en 2022-23 avec l’émergence soudaine des applications d’IA générative (notamment celles basées sur les grands modèles de langage comme ChatGPT ou SAGE). Ces avancées ont permis au grand public de découvrir la puissance de l’IA et suscitent des interrogations fondamentales sur la façon dont elle pourrait compléter les tâches et compétences humaines ou s’y substituer. Comment l’IA renforce-t-elle les capacités humaines ? Pourrait-elle entraîner un « délestage cognitif » dans les domaines où les capacités de l’IA sont supérieures ou égales à celles des humains ? Ce délestage ne risque-t-il pas d’aboutir à une perte de compétences humaines dans ces domaines ? Dans l’éducation, l’IA bouleverse certaines pratiques pédagogiques habituelles comme les modèles traditionnels fondés sur les devoirs à la maison et les évaluations. Cette technologie générique a le pouvoir de générer une nouvelle « révolution industrielle » qui ne laissera pas les modèles éducatifs intacts.
Ces deux événements récents ont attiré l’attention sur l’importance croissante de la transformation numérique de l’éducation (et de nos sociétés) et ont mis au jour les débouchés de l’IA et les défis que pose son intégration dans l’éducation, ainsi que le potentiel perturbateur pour le corps enseignant du recours aux technologies numériques générique comme l’IA générative.
Possibilités de l’IA et de la technologie numérique
Copier le lien de Possibilités de l’IA et de la technologie numériqueLes différents usages qu’offrent les technologies numériques dans l’éducation sont très prometteurs. Appliquées à l’éducation, les technologies comme l’IA, l’apprentissage automatique et la robotique offrent le potentiel d’améliorer la qualité et l’équité de l’apprentissage, de libérer les enseignants de certaines tâches pour qu’ils puissent se concentrer sur l’enseignement et proposer à leurs élèves de nouvelles voies d’apprentissage. Ces objectifs éducatifs peuvent se concrétiser grâce aux technologies, à condition que les enseignants et les apprenants bénéficient de conditions d’utilisation qui y soient propices.
Tout d’abord, les outils d’apprentissage adaptatif basés sur l’IA peuvent aider à suivre les progrès des élèves, à valoriser les atouts d’un apprenant et à comprendre ses faiblesses pour y remédier. Grâce à l’IA, les enseignants peuvent proposer des pratiques d’enseignement et d’apprentissage en classe plus personnalisées, tout en favorisant une autonomie et une meilleure implication des élèves dans leur travail sous leur supervision. Certains de ces outils peuvent aider les élèves à maintenir leur niveau de motivation à l’égard de l’apprentissage. Les robots sociaux peuvent également soutenir les enseignants et d’autres professionnels de l’éducation en endossant le rôle de tuteurs, de pairs ou d’instructeurs. L’analyse de l’apprentissage en classe fournit aux enseignants des indications en temps réel sur la gestion de leur classe et des retours d’information sur leur enseignement qui contribuent à améliorer leurs pratiques pédagogiques et l’apprentissage des élèves. Les simulateurs, basés sur les technologies de réalité virtuelle ou augmentée, peuvent être utiles aux élèves, en particulier ceux qui suivent des programmes d’enseignement ou de formation professionnels, pour développer des compétences axées sur la pratique dans un environnement sûr qui reproduit des conditions de travail réelles.
Ensuite, les technologies basées sur l’IA peuvent également favoriser une éducation plus inclusive et équitable. Les outils d’accessibilité basés sur l’IA, tels que la synthèse vocale et le sous-titrage automatique, peuvent aider les apprenants malvoyants ou malentendants à participer davantage aux activités en classe. En s’appuyant à la fois sur les technologies et les interventions humaines, on peut détecter plus tôt des troubles de l’apprentissage comme la dyslexie, la dyscalculie ou la dysgraphie et y remédier rapidement. Certains pays de l’OCDE ont mis (ou sont en train de mettre) ces applications à la disposition des établissements scolaires et d’enseignement supérieur, pour aider les élèves et étudiants ayant des besoins spécifiques. Dans les pays dotés de systèmes d’information avancés, des mécanismes d’alerte précoce utilisant l’IA peuvent contribuer à détecter les élèves qui risquent de décrocher, qui sont souvent issus de milieux défavorisés, et peuvent aider les enseignants et les administrateurs à proposer des interventions adéquates. Lorsque les élèves disposent d’une connexion à Internet et d’ordinateurs, les technologies peuvent faciliter l’accès aux ressources d’apprentissage et aux connaissances à un public plus large, notamment dans les pays à faible revenu, et contribuer à développer les compétences sociales et collaboratives chez les élèves comme chez les enseignants.
Pour utiliser efficacement les outils d’IA dans l’éducation, il est nécessaire de pouvoir compter sur des enseignants formés et qualifiés, qui ont la confiance et l’autonomie nécessaires pour choisir les outils numériques et la manière de les utiliser en classe. Certaines applications technologiques sont actuellement conçues dans l’objectif de soutenir la profession enseignante. Utilisées efficacement, elles peuvent contribuer à personnaliser davantage leur enseignement et leur fournir des commentaires sur leurs pratiques, ainsi que prendre en charge une partie des tâches administratives chronophages, voire les supprimer, et libérer ainsi du temps pour que les enseignants puissent se consacrer davantage à la conception et à la mise en pratique d’activités pédagogiques.
Au-delà de leur utilité individuelle pour les élèves et les professionnels de l’éducation, les technologies peuvent contribuer à consolider les communautés d’apprenants et le caractère collaboratif de l’apprentissage, en offrant des moyens inédits pour améliorer la motivation, la persévérance et le développement de stratégies pédagogiques efficaces et orientées vers des objectifs. Les technologies peuvent par ailleurs offrir des espaces où les professionnels de l’éducation peuvent collaborer, partager et mettre en commun des ressources et activités pédagogiques pour enrichir et développer leurs propres pratiques professionnelles tout en contribuant à leur institutionnalisation. Elles peuvent également servir aux responsables des systèmes et aux pouvoirs publics à définir les meilleures pratiques en matière de conception de programmes d’enseignement, de politiques et de pédagogies, et à donner un coup d’accélérateur sans précédent à certains travaux de recherche.
Les applications d’IA générative (comme les grands modèles de langage) offrent à la fois des perspectives prometteuses, mais également une part d’inconnu et de danger. Elles peuvent aider les enseignants à concevoir des plans de cours et offrent des occasions de développer la pensée critique des élèves en classe. Ces applications ouvrent également la voie à un changement de paradigme en pédagogie, qui consisterait moins à enseigner les bonnes réponses aux élèves qu’à leur apprendre à poser les bonnes questions, à orienter leur pensée parmi des propositions concurrentes et ambiguës et à distinguer les faits des opinions. Au fil de leur évolution, ces technologies pourraient non seulement devenir un puissant outil en faveur de l’apprentissage et une aide précieuse pour les enseignants, mais pourraient aussi contribuer à enrichir la gamme de solutions technologiques spécialisées, comme les systèmes d’apprentissage adaptatif ou de réponses personnalisées aux questions des élèves en fonction de leur parcours d’apprentissage. Toutes ces évolutions dépendent de la capacité des enseignants comme des élèves à faire le tri et à adapter les productions de l’IA.
Risques de l’IA et des technologies numériques
Copier le lien de Risques de l’IA et des technologies numériquesL’utilisation des technologies numériques dans l’éducation comporte également certains dangers. Celles-ci risquent de creuser les inégalités en raison de leur accès inéquitable ou de la meilleure qualité des outils dont disposent les élèves plus favorisés ; d’être moins utilisées par certains élèves et enseignants qu’elle intimide ; de créer des disparités dans la capacité des professionnels de l’éducation ou des apprenants à exploiter pleinement leur potentiel ; et de ne pas pouvoir garantir la qualité des ressources numériques.
Des inquiétudes pèsent également sur le respect de la vie privée, la sécurité et l’utilisation des données et des informations personnelles concernant les enseignants et les apprenants, ou encore sur le risque de passer trop de temps sur les écrans, en particulier pour les jeunes enfants. Le recours aux algorithmes pour prendre des décisions automatisées relatives à des interventions éducatives (p. ex. détecter des élèves présentant un risque de décrochage scolaire), aux progrès scolaires ou aux admissions pourrait, comme pour les décisions humaines de même nature, comporter des risques de biais émanant de la société, des développeurs, ou des jeux de données antérieurs à l’encontre de certains groupes d’élèves, qui peuvent entraîner des pratiques discriminatoires, voire les aggraver en les systématisant, par rapport à la prise de décision classique dans l’éducation assurée par des humains. L’identification de ces dangers expose au risque d’entraîner des comportements humains contraires à l’éthique, qui consisteraient par exemple à exclure les élèves qui risquent de décrocher ou à stigmatiser des élèves ayant des besoins spécifiques plutôt que de leur apporter un soutien.
L’efficacité de nombre d’outils basés sur l’IA et leur capacité réelle à favoriser la réussite scolaire ou à réduire la charge de travail des enseignants ne sont pas toujours démontrées. Certaines disciplines se prêtent davantage à l’utilisation des outils d’IA que d’autres, en raison de la nature des connaissances ou des procédés d’apprentissage utilisés, plus ou moins transférables dans un format numérique. Cette différence pourrait privilégier certaines formes d’apprentissage plus faciles à numériser et mettre en péril la diversité des matières enseignées et, en fin de compte, la qualité de l’éducation. L’utilisation accrue de la technologie pourrait aussi atrophier certaines compétences et capacités d’agir humaines en créant une dépendance à l’égard de l’IA et d’autres technologies, notamment pour les compétences qui sont indispensables à la réussite et au bien-être. C’est particulièrement vrai dans le cas de L’IA générative qui comporte d’autres risques en lien avec la fiabilité et la traçabilité des informations ou les biais culturels, et qui pose de nouveaux défis aux évaluations traditionnelles.
La pandémie a mis en lumière l’importance de la relation entre les élèves et l’enseignant, et la dimension sociale de la scolarité. L’usage intensif de la technologie peut conduire à un isolement social des élèves (ou des adultes) et nuire à leur santé mentale, ainsi qu’à leurs résultats scolaires, en particulier pour les plus jeunes. Dans certains cas, l’utilisation de l’IA alourdit la charge de travail des enseignants plutôt que de l’alléger, notamment lorsque les outils ne sont pas conçus spécifiquement pour la profession enseignante et pour travailler de concert avec elle.
Les enseignants sont également exposés à des risques nouveaux, notamment en termes d’accès aux technologies, de bien-être, de possibilités de développement professionnel et d’utilisation de leurs données. L’un des dangers potentiels réside dans l’utilisation contraire à l’éthique des données collectées sur la performance des enseignants en classe.
Pour y faire face, des efforts coordonnés doivent être entrepris à tous les niveaux d’enseignement et dans tous les domaines politiques – allant des investissements dans l’infrastructure numérique et le matériel informatique pour les établissements, les élèves et les enseignants, à l’élaboration de réglementations solides qui répondent aux problématiques de respect de la vie privée et de protection des données, de cybersécurité, des compétences numériques des professionnels de l’éducation, des programmes intégrant les technologies numériques et d’assurance qualité.
Comme souvent avec l’émergence de nouvelles technologies, l’IA et d’autres types d’applications recentrent le débat sur l’importance de l’éthique concernant leur utilisation et leur conception, dans le respect des droits humains et du droit du travail. Cette dimension est importante dans l’éducation, où le développement des compétences cognitives, sociales et émotionnelles est essentiel pour une éducation globale de l’enfant.
Les orientations proposées ci-après ont pour objectif de promouvoir l’engagement des pouvoirs publics, des syndicats d’enseignants, des enseignants eux-mêmes et d’autres professionnels de l’éducation dans un dialogue constructif visant à tirer parti des perspectives qu’offrent l’IA et d’autres technologies avancées tout en atténuant les risques qui pèsent sur les objectifs éducatifs communs à toute la communauté éducative, que sont l’égalité, la qualité et l’efficience.
1. Égalité d’accès à une connexion abordable et de haute qualité. Les autorités responsables de l’éducation devraient mettre en place des infrastructures numériques pour l’apprentissage au niveau du système qui soient accessibles à tous les apprenants et professionnels de l’éducation en milieux scolaire et extrascolaire. Ces infrastructures physiques stratégiques devraient permettre une transition rapide et équitable vers un apprentissage à distance le cas échéant.
La pandémie a mis en lumière les inégalités d’accès à Internet et à des ordinateurs de qualité, même dans les pays et entités les plus prospères. Pour pouvoir généraliser l’utilisation des technologies avancées pour l’apprentissage, les pouvoirs publics devraient garantir l’existence d’une infrastructure physique fiable et complète dans tous les établissements pour que l’ensemble des apprenants aient accès à une connexion à Internet de qualité, à l’école et à la maison. En effet, la disponibilité, la qualité et l’accessibilité de la connectivité et des ordinateurs contribuent à garantir l’équité.
La transformation numérique risque de creuser les inégalités existantes si l’accès à Internet et donc aux outils et ressources d’apprentissage n’est pas garanti équitablement pour tous les apprenants. Certaines solutions expérimentées pendant la pandémie pourraient être poursuivies, comme la mise à disposition de sites Internet consacrés à l’éducation ou de ressources pédagogiques gratuites via les données mobiles, ou encore le prêt de matériel aux familles qui en ont besoin. Ces initiatives pourraient permettre de mieux affronter l’éventualité d’une nouvelle crise, quelle qu’en soit sa nature, motivant un retour à l’éducation à distance, mais aussi de faire évoluer le modèle scolaire actuel.
Parallèlement, les inégalités en matière de répartition de la connectivité et du matériel ne devraient pas empêcher de profiter des avantages qu’offrent des technologies, dans la mesure du possible. Comme pendant la crise sanitaire, il est possible de concevoir des solutions innovantes pour rendre les technologies numériques accessibles à la majorité des enseignants et des apprenants. Il pourrait également être intéressant de développer des plateformes et des outils susceptibles de fonctionner malgré une connexion à Internet instable, intermittente ou faible. Si l’accès à une connectivité de bonne qualité pour tous les membres de la société est devenu une priorité centrale des pouvoirs publics, les outils basés sur l’IA peuvent être utilisés même lorsque cet objectif n’est pas pleinement atteint.
2. Égalité d’accès et d’utilisation des ressources numériques d’apprentissage. Les autorités responsables de l’éducation devraient offrir aux enseignants et aux élèves un ensemble de ressources numériques d’apprentissage de qualité, accessibles aussi bien de l’école que de la maison. Les enseignants devraient pouvoir les utiliser quand ils le souhaitent dans le cadre des politiques de l’établissement et de celles des instances publiques qui les régissent. Les autorités devraient donner des directives relatives aux usages attendus, en consultation avec les enseignants et d’autres acteurs de l’éducation, afin que tous les apprenants, y compris les professionnels, bénéficient des mêmes chances de développer leurs compétences numériques. Ces infrastructures immatérielles, c’est-à-dire les ressources et outils pédagogiques numériques, pourraient offrir les conditions propices à une transition rapide et équitable vers un apprentissage à distance en cas de besoin.
Les pouvoirs publics devraient garantir, en plus de la connectivité et du matériel informatique, que les enseignants et les apprenants aient un accès de qualité aux ressources pédagogiques numériques qui faciliteront leur enseignement et leur apprentissage, en milieu scolaire et extrascolaire. Un accès facile aux plateformes et ressources d’apprentissage numérique sur les appareils mobiles pourrait encourager leur utilisation. La pandémie a obligé de nombreux pays à développer davantage leurs plateformes de ressources d’apprentissage numérique ou à acquérir de nouvelles licences auprès d’éditeurs de ressources éducatives. L’un des objectifs majeurs est de fournir un accès convivial et facile aux ressources numériques et de proposer une gamme diversifiée de ressources pour que les enseignants puissent sélectionner celles qui répondent le mieux à leurs préférences didactiques, et que les apprenants aient également le choix.
Pour ces derniers, on pourrait envisager de mettre à leur disposition des systèmes d’apprentissage adaptatif pouvant être utilisés à l’école et à la maison, ce qui leur permettrait de pallier les éventuelles pertes d’occasions d’apprentissage à domicile. Nombre d’exemples et d’études démontrent l’utilité des outils numériques spécifiques pour les apprenants ayant des besoins spécifiques, dont il faudrait généraliser le déploiement à toutes les plateformes de ressources pédagogiques numériques.
Pour les enseignants, il est facile d’intégrer de petites vidéos, des simulations ou d’autres types de supports à leur plan de cours et des outils qui leur proposent des scénarios d’apprentissage. D’autres outils numériques pourraient également s’avérer utiles pour concevoir leurs cours et pour créer facilement des contenus pédagogiques.
En ce qui concerne les ressources d’apprentissage qui restent onéreuses, comme celles de réalité virtuelle ou augmentée, la solution pourrait consister à les mutualiser dans les établissements.
Outre les ressources d’apprentissage, les outils numériques qui soulagent les enseignants dans leurs tâches administratives leur permettent de se consacrer davantage à la préparation de leurs cours et à l’enseignement en classe, mais également au soutien scolaire et au développement socio-émotionnel des élèves.
L’égalité d’accès aux ressources d’apprentissage de qualité doit être un objectif prioritaire, la variabilité et les disparités en la matière peuvent naître de l’usage qui en est fait dans les établissements et en classes. Dans le respect de l’autonomie pédagogique des enseignants, les autorités devraient donner des directives claires sur les types de compétences numériques que les élèves doivent acquérir et la façon de les acquérir. Ces directives devraient porter sur l’ensemble des matières scolaires et non se concentrer uniquement sur l’enseignement des « technologies » ou de « l’informatique ». Les enseignants et leurs organisations syndicales pourraient élaborer de concert les programmes d’enseignement et autres directives destinés aux enseignants. La formation des enseignants à l’utilisation de l’IA générative est une étape importante permettant de prévenir le risque de créer de nouvelles inégalités, en raison du manque de confiance de certains dans l’usage de ces applications ou de différents niveaux de maîtrise.
3. Capacité d’agir des enseignants et formation professionnelle. Les usages pédagogiques et critiques des ressources numériques à jour devraient devenir une partie intégrante des compétences professionnelles des enseignants, chefs d’établissement et autres professionnels de l’éducation, à la fois au niveau de la formation initiale, mais également dans le cadre des offres de formation continue et de collaboration professionnelle. La reconnaissance de l’importance de la capacité d’agir, de l’efficacité et du leadership des enseignants est essentielle si on veut leur donner les moyens d’utiliser de façon critique les ressources numériques pédagogiques et d’imaginer des scénarios d’apprentissage enrichissants.
La rapidité des évolutions technologiques de l’IA fait naître de nouveaux défis pour les professionnels en général et pour les enseignants et les acteurs de l’éducation en particulier. Les autorités devraient prendre conscience qu’une bonne utilisation de l’IA dépend de la formation et des qualifications du corps enseignant, à qui l’on fait confiance et que l’on soutient pour appliquer les outils d’IA au fur et à mesure que ce corps enseignant renforce son enseignement et améliore l’expérience sociale et relationnelle de l’apprentissage.
Même si la plupart des programmes de formation initiale des enseignants comportent une forme d’introduction aux outils pédagogiques numériques, l’utilisation des ressources numériques dans l’enseignement et le discernement critique qui doit l’accompagner devraient être généralisés à l’ensemble des disciplines de leur formation initiale afin que les futurs enseignants puissent recourir facilement à ces technologies pour créer les scénarios d’apprentissage qu’ils proposeront dans leur cours. Il convient de cultiver les connaissances des enseignants en matière d’IA pour qu’ils comprennent son fonctionnement, qu’ils puissent poser un regard critique sur les productions et recommandations de l’IAet en faire un usage créatif dans leur enseignement.
La formation continue des enseignants devrait également comprendre l’utilisation de la technologie dans l’enseignement et l’apprentissage, car, si la formation initiale est importante, c’est par la pratique qu’un enseignant apprend à se perfectionner. Il faudrait proposer aux enseignants des formations accessibles, adéquates et pérennes, tout en envisageant d’autres solutions. Certaines entités proposent avec succès aux enseignants de développer des compétences numériques avancées et de devenir « accompagnateur » ou « ambassadeur du numérique » au sein d’un établissement ou à l’échelle régionale. Au niveau de l’établissement, le rôle de ces enseignants peut être d’aider leurs pairs à mieux utiliser les technologies dans leur enseignement ou dans certains types d’établissement (ou groupement d’établissements). Il est important d’encourager les possibilités de collaboration professionnelle et d’apprentissage par les pairs, ainsi que les programmes de tutorat. Au niveau régional, des enseignants spécialisés pourraient sélectionner et diffuser auprès de leurs pairs des idées sur l’utilisation efficace de la technologie dans l’éducation. Il faudrait favoriser des conditions de travail qui permettent aux enseignants de mettre en place des réseaux d’apprentissage professionnel et d’encourager le leadership des enseignants dans les établissements, afin d’évaluer la qualité des applications d’IA et de donner des conseils sur celles qui seraient les plus utiles à l’avenir. Enfin, les enseignants devraient disposer d’un espace pédagogique pour pouvoir sélectionner les ressources numériques qu’ils souhaitent utiliser en classe.
Tous les enseignants devraient pouvoir suivre des activités de formation et de développement professionnels cohérentes et de qualité pour être capables d’utiliser les technologies de l’information et de la communication de façon efficace et en toute confiance. Ils devraient également être libres de choisir quel type d’apprentissage professionnel ils souhaitent suivre. Nombre de syndicats d’enseignants proposent des formations dans ce domaine, et ceux qui ne le font pas encore devraient être soutenus et encouragés à le faire.
Les principaux dangers de la technologie peuvent résulter d’un manque de discernement dans l’utilisation des ressources numériques. Les enseignants ont besoin de temps, de développement professionnel et de conditions de travail adéquates pour concevoir et associer différentes ressources numériques pour un usage en milieux scolaire et extrascolaire. Sans devenir des spécialistes des données, ils doivent être à l’aise avec les informations quantitatives et les tableaux de bord, et avoir connaissance des autres types d’informations générées par l’IA et d’autres technologies. D’autre part, les tableaux de bord et les informations générées par les technologies numériques doivent être conçus de façon à être plus conviviaux et faciles à utiliser pour les enseignants.
Les technologies numériques sont un outil puissant permettant de promouvoir la collaboration et l’apprentissage mutuel entre les enseignants, au moyen de plateformes publiques (et privées) à cet effet. Les autorités devraient proposer des plateformes en code source ouvert conçues par et pour les enseignants, qui leur permettent de mettre en commun leurs supports, leurs idées, leurs commentaires avec d’autres établissements durant leur journée de travail. Les contributions des enseignants doivent être reconnues d’une façon ou d’une autre. La formation des enseignants et des autres professionnels de l’éducation par le biais des communautés d’apprentissage professionnel est souvent le moyen le plus efficace.
4. Bien-être des élèves et des enseignants. L’utilisation et le développement des technologies basées sur l’IA devraient s’accompagner d’une meilleure prise en compte des questions de bien-être et de santé mentale des enseignants et des apprenants, notamment en gardant à l’esprit la nécessité de trouver un bon équilibre entre les activités numériques et non numériques. Il faudrait élaborer, en partenariat avec les enseignants et leurs organisations professionnelles, des orientations éthiques relatives aux communications numériques qui mettent en avant la nature sociale et relationnelle de l’apprentissage impliquant des interactions humaines.
Même si les technologies numériques ont le potentiel d’améliorer l’enseignement et l’apprentissage, notamment en diversifiant les scénarios pédagogiques ou en adaptant davantage l’éducation aux enjeux de la société contemporaine, une utilisation excessive de ces technologies et les possibilités accrues de diffusion de contenus contraires à l’éthique ne sont pas cependant sans risques pour le bien-être des apprenants comme des enseignants. La pandémie a mis en lumière le caractère profondément relationnel de l’éducation. Des études ont en effet démontré qu’une large majorité des élèves et des enseignants privilégient l’enseignement et l’apprentissage en présentiel et qu’ils apprécient les interactions émotionnelles et sociales qui se produisent en classe.
L’utilisation excessive d’appareils numériques peut être corrélée à un recul des résultats scolaires. Même si cette corrélation n’a pas été formellement démontrée, il est raisonnable de limiter le temps passé sur les écrans, notamment pour s’assurer que les jeunes générations continuent de profiter d’activités appréciées par les humains depuis des siècles et qui contribueront à leur apprendre à valoriser et à perpétuer le patrimoine humain et culturel. Les activités pédagogiques non numériques doivent demeurer une part substantielle du développement des enfants et de l’éducation formelle des élèves, même si l’exposition aux technologies est devenue inévitable dans la société actuelle comme dans les systèmes d’éducation. Moduler le choix des technologies en fonction du profil des apprenants est un élément déterminant pour choisir la meilleure approche. Les enseignants ne devraient pas consacrer la majeure partie de leur temps à travailler devant un écran à analyser des données, à gérer des tâches administratives ou à répondre à des demandes de parents.
L’utilisation des technologies numériques peut cependant être un outil au service du bien-être des enseignants et des élèves, notamment grâce à leur capacité à détecter les élèves présentant un risque de décrochage scolaire ou les enseignants ayant besoin d’un soutien émotionnel ou psychologique, à condition qu’elle soit assortie de programmes ou de politiques solides œuvrant en ce sens. Des outils spécifiques peuvent être conçus pour aider à détecter le harcèlement (ou cyberharcèlement). L’IA peut également contribuer au bien-être des élèves grâce à l’analyse des données en lien avec les outils numériques et les services humains en matière d’apprentissage émotionnel. Elle peut servir à fournir aux enseignants des commentaires sur la façon de répondre aux besoins socio-émotionnels de leurs élèves dans le milieu scolaire et extrascolaire. Plus généralement, pour garantir des environnements sûrs et propices à l’apprentissage, les enseignants et les élèves doivent adopter une approche volontariste en matière de maîtrise de l’IA, en faisant de la compréhension de ses atouts et de ses limitations en constante évolution un élément fondamental de l’éducation moderne.
5. Cocréation d’outils pédagogiques numériques basés sur l’IA. Les pouvoirs publics devraient encourager la participation des enseignants, des apprenants et d’autres utilisateurs finaux au processus de recherche et de développement technologique en tant que co-concepteurs afin de garantir l’utilité et l’utilisation des outils numériques basés sur l’IA. Un écosystème propice à l’innovation, qui stimule une culture de l’amélioration permanente, devrait donner la possibilité aux développeurs d’expérimenter certains outils avec l’aide des enseignants et des élèves.
Les technologies peuvent parfois être « en avance » sur les attentes des parties prenantes ou encore manquer de pertinence. Les citoyens devraient avoir leur mot à dire sur l’usage des solutions qui leur sont destinées.
Même si de nouvelles entreprises technologiques ont vu le jour et se spécialisent dans l’éducation, la plupart des solutions qui ont été déployées par le passé dans l’éducation n’étaient que des dérivés d’applications développées pour d’autres secteurs. Certains outils génériques comme l’IA générative se sont révélés extrêmement efficaces sans avoir été conçus spécifiquement à des fins « éducatives ».
Les entreprises de technologies éducatives disposent de compétences technologiques différentes de celles du corps enseignant. C’est pourquoi il serait utile et souhaitable d’établir un dialogue constructif entre ces divers acteurs. Le développement d’outils utiles aux enseignants par les entreprises de technologies éducatives nécessite que ceux-ci participent au processus de conception, aux phases d’expérimentation, de suivi et d’évaluation. Un tel processus de cocréation avec les enseignants garantirait le développement d’outils pédagogiquement fiables et adaptés culturellement. Pour ce faire, certaines compétences restent à développer parmi les enseignants. Le renforcement des compétences des enseignants permettrait à la fois d’accroître l’utilisation de ces outils et d’être aussi en adéquation avec les incitations économiques des développeurs. Par ailleurs, les autorités devraient définir des règles pour que les enseignants ne soient pas utilisés à des fins d’expérimentation de produits inadaptés.
Les programmes institutionnels financés par des fonds publics doivent impliquer l’administration, les chercheurs universitaires, l’industrie, les enseignants et les autres parties prenantes de l’éducation dans la définition du type d’outils auxquels il faudrait accorder la priorité et dans l’évaluation de leur efficacité en milieu scolaire – ce que certains pays ont déjà fait. Ces programmes de développement et de recherche axés sur la pratique doivent dépasser la simple définition des fonctionnalités de la technologie pour analyser son utilisation en conditions réelles et ses implications en termes d’égalité et de qualité. Ces programmes devraient aussi réfléchir aux ajustements sociaux et juridiques nécessaires à l’utilisation à grande échelle des solutions qu’ils proposent. Ce principe de « cocréation » doit s’appliquer même lorsqu’il est compliqué d’impliquer les utilisateurs finaux, par exemple les élèves ayant des besoins spécifiques.
Ces programmes pourraient en parallèle être utiles pour mieux comprendre et donner forme au contexte social dans lequel l’utilisation des technologies basées sur l’IA serait optimale (en classe, à la maison, etc.) et pour faciliter la négociation et l’acceptation sociales de ces outils au sein de la profession enseignante et de la société.
6. Innovation maîtrisée au service de la recherche et de la cocréation de données probantes. Les autorités devraient favoriser la recherche sur les utilisations efficaces des outils numériques dans l’éducation, y compris les projets de recherche axés sur la pratique qui offrent aux enseignants la possibilité d’innover dans la salle de classe et de concevoir de nouveaux usages technologiques en partenariat avec les chercheurs pour mesurer et observer les conditions réelles dans lesquelles les solutions technologiques fonctionnent et qui peut en bénéficier. Les travaux dirigés par des chercheurs peuvent mettre en lumière les usages les plus efficaces des technologies basées sur l’IA. En principe, la transformation numérique permet des boucles de rétroaction et d’amélioration plus rapides, ce qui serait profitable aux systèmes d’éducation grâce à une approche active axée sur la recherche.
La pandémie a démontré la capacité des systèmes d’éducation à être innovants lorsqu’il le faut et comment les enseignants et les chefs d’établissement sont capables de développer leurs propres « micro-innovations ». Les autorités responsables de l’éducation devraient poursuivre leurs efforts, au-delà des décisions relatives aux usages attendus des outils numériques dans les salles de classe, pour offrir aux enseignants la possibilité de cocréer de nouveaux outils pédagogiquement fiables et adaptés culturellement. Les syndicats d’enseignants devraient également participer à ce processus.
La cocréation est ainsi indispensable pour doter le secteur de l’éducation d’outils numériques utiles pour l’enseignement et l’apprentissage, mais les enseignants peuvent également contribuer à la production de données probantes pour la recherche en collaborant avec des chercheurs afin d’en optimiser les usages. Seul un climat dominé par la confiance peut favoriser l’innovation et encourager les acteurs à tirer des enseignements de leurs échecs sans craindre d’être sanctionnés, car le risque d’échec doit être toléré dans la mesure du raisonnable. Les enseignants devraient ainsi être en position de pouvoir proposer une évaluation de leurs pratiques et idées dans une perspective de recherche.
Les travaux de recherche sur les usages du numérique définis et développés par les chercheurs universitaires sont également pertinents et méritent d’être encouragés. Les autorités devraient soutenir les chercheurs pour qu’ils entreprennent de tels projets et qu’ils partagent les résultats de leurs travaux menés en collaboration avec des enseignants pour évaluer comment les technologies numériques peuvent être efficacement intégrées dans leur enseignement et être profitables à l’apprentissage des élèves comme à leur développement socio-émotionnel. Les autorités responsables de l’éducation devraient donc encourager et rendre possible la participation des enseignants à des travaux de recherche qui permettent au corps enseignant de prendre conscience de ces usages. L’objet de ces travaux ne devrait pas se limiter, dans la plupart des cas, aux technologies elles-mêmes, mais bien porter sur leurs utilisations potentielles et sur les avantages que peuvent en tirer les apprenants ou les enseignants, ainsi que les conditions de ces utilisations.
Le recours aux plateformes numériques permet de concevoir des études donnant des résultats et des solutions améliorées beaucoup plus rapides que les méthodes « analogiques » classiques. Il faudrait encourager ces travaux de recherche à condition que leurs conclusions soient diffusées publiquement au profit de l’ensemble de la communauté éducative.
Les études sur la sécurité, l’efficacité et les implications en termes d’égalité des outils basés sur l’IA devraient être mises en avant, notamment concernant leur impact sur le développement cognitif de l’enfant.
7. Éthique, sécurité et protection des données. Les politiques de protection des données devraient garantir que la collecte des données contribue à assurer la sécurité de manière efficace et équitable dans l’éducation, tout en protégeant la vie privée des élèves et des enseignants. Les autorités responsables de l’éducation devraient donner aux établissements et aux enseignants des directives claires en matière de protection des données et éventuellement fournir des modèles de contrats ou de lignes directrices applicables aux solutions commerciales. Elles devraient s’assurer que des tests sont effectués pour vérifier la sécurité et l’absence de biais algorithmiques, et que ces aspects sont pris en compte dans leurs politiques. Des lignes directrices claires et éthiques devraient également être définies. L’utilisation éthique des données relatives aux enseignants devrait être négociée avec eux et leurs représentants dans le cadre des conventions collectives.
L’utilisation des technologies basées sur l’IA soulève de nouvelles préoccupations en matière de respect de la vie privée et de protection des données. De nombreux pouvoirs publics disposent de réglementations solides dans le domaine de la protection des données, qui s’appliquent notamment à l’éducation et régissent l’accès aux données des enseignants et des élèves. Certaines se sont dotées de politiques de protection des données spécifiques au secteur de l’éducation. L’accès aux données administratives, en particulier, a tendance à être strictement réglementé. L’existence de mécanismes fiables de cybersécurité sous-jacents est indispensable à la protection des données. L’essor de l’IA générative engendre de nouvelles formes de risque pour la protection des données, en raison de l’absence de protection juridique des « données des enfants » interdisant leur réutilisation et revente. Les politiques de protection des données devraient, quand ce n’est pas encore le cas, couvrir les données biométriques.
Les autorités devraient également envisager d’adopter des réglementations et des politiques relatives à la sécurité, à l’efficacité et aux risques de biais des outils numériques avant leur introduction dans les systèmes d’éducation. Parce qu’ils peuvent mieux reconnaître les formes et permettent une plus grande automatisation que d’autres technologies, les outils numériques basés sur l’IA font naître de nouvelles formes de préoccupations, qui dépassent les questions de protection des données, de la vie privée et de la sécurité. Les politiques devraient de la même façon aller au-delà des seules questions de protection et de sécurité des données pour intégrer des mécanismes institutionnels visant à surveiller les impacts de l’utilisation de l’IA et d’autres outils numériques sur l’égalité et la qualité dans l’éducation.
Il faudrait trouver la juste mesure entre la protection des données et de la vie privée et d’autres objectifs éducatifs importants comme l’égalité ou l’efficacité, qui peuvent demander de collecter des données personnelles, potentiellement sensibles. Il est par exemple préférable d’éviter que les algorithmes d’IA soient paramétrés en fonction de caractéristiques démographiques lorsque cela est possible, tout en sachant que la possibilité de détecter et de remédier aux biais algorithmiques, et donc d’en améliorer l’équité, repose justement sur la collecte de données personnelles. Les biais algorithmiques constituent l’un des nouveaux dangers liés à l’émergence de l’IA dans l’éducation, certains groupes risquant de faire l’objet de discrimination en raison de données anciennes, du modèle d’entraînement des algorithmes ou parce que ces derniers fonctionnent mieux pour certains groupes que pour d’autres. Les pays devraient donc s’assurer que les nouveaux outils numériques sont testés en vue d’éliminer les biais potentiels. Même en l’absence de tels biais, étant donné que l’efficacité de l’IA se fonde en grande partie sur l’analyse de « profils », le risque de stigmatisation humaine d’élèves (ou d’enseignants) devrait être pris en compte. De façon générale, il est important d’opérer un suivi et d’évaluer l’efficacité des outils numériques en fonction de divers critères.
Dans de nombreux cas, en ce qui concerne l’utilisation en milieu scolaire des outils numériques, les conseils d’établissements, les chefs d’établissement ou même les enseignants se voient confier la responsabilité d’interpréter ou de mettre en œuvre les réglementations en matière de protection des données et d’autres politiques, souvent avec peu de directives, par exemple lors de la passation de marchés pour certains outils numériques. Il faudrait que les autorités fournissent des directives claires et aident les chefs d’établissement et les enseignants à appliquer ces règles d’une façon qui n’alourdisse pas les tâches des enseignants.
Les utilisations réglementaires et éthiques des données des enseignants par leurs employeurs devraient être définies et négociées avec les syndicats et d’autres parties prenantes concernées. Par principe, l’usage éthique des données collectées sur les enseignants devrait promouvoir la qualité, l’efficacité et l’équité de leurs pratiques d’enseignement et de l’apprentissage de leurs élèves, quelles que soient leurs caractéristiques personnelles.
8. Transparence, explicabilité et négociation. Lorsque des outils numériques basés sur des technologies avancées sont utilisés pour des étapes à forts enjeux pour les élèves, les enseignants ou les établissements d’enseignement, comme les évaluations sous forme numérique, les autorités responsables de l’éducation devraient être transparentes sur les objectifs et les procédures qui sous-tendent les recommandations formulées par les algorithmes. Ainsi, le recours à des outils numériques à forts enjeux devrait faire l’objet de discussions et de négociations avec l’ensemble des acteurs de l’éducation.
L’une des difficultés des technologies basées sur l’IA est que la plupart des membres de la société ne comprennent pas la façon dont elles fonctionnent ou les résultats que l’on peut en attendre. L’IA générative en est un exemple frappant, car il est difficile actuellement d’expliquer dans le détail son mode de fonctionnement.
La transparence est un principe essentiel de l’utilisation des technologies éducatives, en particulier lorsqu’elle comporte des enjeux élevés (le cas échéant), tout comme la vérification de l’exactitude de leurs résultats pour tous les sous-groupes de populations cibles de l’éducation. Les enseignants, les élèves et leurs familles devraient recevoir des informations et des formations pour comprendre leur fonctionnement. A minima, il est indispensable d’expliquer les critères ou les facteurs pris en compte pour décrire leurs objectifs et leur fonctionnement. Les responsables politiques devraient trouver un équilibre entre l’efficacité escomptée de ces outils et les principes d’explicabilité et de transparence.
Les pouvoirs publics devraient, en toutes circonstances, demeurer transparents sur les objectifs, le fonctionnement et les limitations éventuelles des outils numériques qu’ils (ou les établissements) utilisent lorsqu’ils comportent des enjeux élevés. L’introduction d’outils numériques à fort impact devrait faire l’objet d’un dialogue institutionnalisé, permanent et constructif entre l’administration, les syndicats d’enseignants et les autres acteurs concernés dans le respect des valeurs démocratiques, de façon à faciliter leur utilisation en toute confiance.
9. Assistance et alternative humaines. Étant donné que les outils numériques basés sur l’IA vont conduire à un accroissement des processus automatisés dans les processus éducatifs, c’est-à-dire dans les pratiques administratives comme pédagogiques, les autorités devraient s’assurer que les apprenants, les enseignants et les autres acteurs de l’éducation peuvent profiter d’une assistance humaine lorsqu’ils en ont besoin et, si nécessaire, d’une solution humaine alternative à utilisation de l’outil d’IA.
Parce que le recours à des outils basés sur l’IA par les administrateurs, les enseignants et les autres professionnels de l’éducation se généralise, les humains pourraient avoir tendance, par défaut, à se fier toujours plus aux processus de décisions basés sur des diagnostics et suggestions de l’IA. Les processus automatisés risquent de rendre plus difficiles le questionnement et la compréhension des raisons qui sous-tendent les décisions affectant les acteurs de l’éducation. Dans ce contexte, les autorités (ou d’autres instances concernées) devraient pouvoir fournir une assistance humaine de façon opportune lorsque les acteurs de l’éducation ont un problème, s’ils estiment, par exemple, que le processus automatisé a entraîné une erreur (dans le cas d’une évaluation ou d’une procédure d’admission p. ex.) ou s’ils ont besoin de conseil sur la façon dont les informations saisies dans le système seront utilisées (dans le cadre d’une candidature à un établissement p. ex.). Les outils d’IA sont plus fiables si l’on maintient le principe de « l’humain dans la boucle ».
Il n’est pas forcément possible ni souhaitable que certaines personnes renoncent à l’utilisation des outils numériques. En effet, l’utilisation des données dans un but d’amélioration de l’éducation, en particulier en ce qui concerne les groupes défavorisés, dépend de la participation de tous à la collecte de données. Le choix éventuel des familles de renoncer individuellement à l’utilisation des solutions numériques sélectionnées par les institutions éducatives pour soutenir l’apprentissage de leurs enfants n’est également pas évident à respecter. Pour autant, il faut continuer à tenir compte des solutions humaines alternatives. Par exemple, une telle alternative est indispensable dans le cadre des évaluations à forts enjeux pour les apprenants ou les enseignants. Si la pandémie a permis de prendre conscience que la surveillance à distance basée sur l’IA peut être utile pour organiser des examens ou de tests à distance lorsque leur tenue en présentiel est très compliquée, leur utilisation au jour le jour doit être assortie d’une possibilité de surveillance humaine en raison des différences en matière de connectivité des ménages, d’espaces de vie et de conditions d’examen au domicile. Les autorités devraient donc veiller à ce que des solutions humaines alternatives soient proposées, le cas échéant.