Stéphan Vincent-Lancrin
OCDE
Perspectives de l’OCDE sur l’éducation numérique 2023
1. Vers une transformation numérique de l'éducation : chemin parcouru et prochaines étapes
Copier le lien de 1. Vers une transformation numérique de l'éducation : chemin parcouru et prochaines étapesAbstract
Ce chapitre offre une vision de ce à quoi pourrait ressembler une transformation numérique de l'éducation et aborde certains des avantages et défis qu’elle représente. Il défend l’idée que les technologies numériques, y compris l'IA, pourraient améliorer l'efficacité et la qualité de l'éducation grâce à leur capacité de personnalisation, qu'il s'agisse d'enseignement, d'apprentissage ou de tout autre service éducatif, en les rendant plus inclusifs et potentiellement plus équitables tout en améliorant le rapport coût-efficacité du secteur. La transformation numérique de l'éducation comporte également des risques qu’il faut atténuer. Les conclusions du rapport sur la situation dans les différents pays leur recommandent d’axer les efforts dans certains domaines afin d’accélérer leur programme actuel de numérisation dans l’éducation en vue d’une véritable transformation numérique. Il faudrait, en outre, qu’ils redoublent d’efforts pour tirer parti des possibilités qu’offrent les collectes de données à grande échelle et l’utilisation des outils et ressources numériques avancées pour résoudre les problèmes éducatifs.
Introduction
Copier le lien de IntroductionLa transformation numérique ouvre de nouveaux horizons en éducation. Si ce secteur n’a jamais manqué de données, qu’il s’agisse des notes des élèves ou de renseignements administratifs, leur utilisation au service d’un meilleur apprentissage, d’un meilleur enseignement et d’une prise de décisions mieux étayées au sein des systèmes d’éducation – de la part des parents, des élèves ou des administrateurs scolaires – reste récente. Les technologies numériques et, plus particulièrement, les technologies intelligentes basées sur l’intelligence artificielle (IA), l’analyse de l’apprentissage ou encore la robotique, peuvent-elles transformer l’éducation de la même façon qu’elles révolutionnent le reste de la société ? Et, dans ce cas, à quoi pourrait ressembler cette transformation numérique et comment les pays pourraient-ils l’exploiter ?
Ce chapitre commence par récapituler ce que les technologies numériques actuelles peuvent apporter à l’éducation, en s’inspirant de travaux antérieurs sur les tendances et limites de la technologie éducative (OECD, 2021[1]). Les Perspectives de l'OCDE sur l’éducation numérique 2021 avaient présenté les différents usages des outils et ressources numériques susceptibles d‘améliorer l’enseignement et l’apprentissage, ainsi que l’administration des établissements et des systèmes éducatifs. La pandémie de COVID-19 a accéléré l’expérimentation et l’adoption des technologies numériques dans l’enseignement et l’apprentissage, mais a également mis en lumière le manque relatif de ressources et d’outils numériques dans le domaine, ainsi que leur caractère assez rudimentaire (OECD, 2022[2] ; Vincent-Lancrin, 2022[3]).
Les Perspectives de l'OCDE sur l’éducation numérique 2023 arrivent à des conclusions similaires, et mettent en exergue la lenteur de la pénétration des outils numériques dans l’éducation, leur usage se limitant principalement à numériser des processus éducatifs existants. L’émergence notable de l’IA générative a servi d’électrochoc aux responsables politiques dans le domaine de l’éducation, ceux-ci ayant pris conscience de la nature disruptive des technologies avancées, mais également de l’imminence de leur impact sur la société. Alors que l’horizon de ces technologies, évoqué dans les Perspectives de l'OCDE sur l’éducation numérique 2021, semblait alors encore lointain, leur déploiement semble désormais très près de se concrétiser. Cependant, malgré un chapitre entier consacré à l’IA générative (Vidal, Vincent-Lancrin et Yun, 2023[4]), à ce jour la majeure partie de l’IA utilisée dans l’éducation n’est pas générative. Quand l’IA est utilisée, elle est seulement intégrée dans des systèmes qui établissent un diagnostic à partir de grandes quantités de données et proposent des décisions, ou qui recoupent des informations sur les apprenants ou les enseignants et leur fournissent des commentaires ou des propositions. L’un des défis majeurs de la transformation numérique de l’éducation est de permettre aux responsables politiques et aux enseignants de mieux appréhender les outils et les ressources d’IA existants destinés au secteur éducatif et de mieux utiliser les données collectées par divers systèmes numériques, dans le but d’améliorer l’efficacité et la personnalisation de l’éducation pour tous les étudiants. La transformation numérique de l’éducation pourrait consister à aider les élèves et les enseignants à prendre des décisions basées sur des observations qui ne leur sont pas directement accessibles, ainsi qu’à concevoir des réformes politiques fondées sur une quantité d’informations sans précédent, pouvant être réutilisées et analysées.
Les conclusions présentées dans le présent ouvrage se fondent sur des recherches combinant différentes méthodes : l’OCDE a mené une enquête sur les infrastructures et la gouvernance de l’éducation numérique dans les pays membres, doublée d’une série d’entretiens et de recherches documentaires. La présente analyse comparative s’appuie sur l’analyse descriptive de la gouvernance et de l’écosystème de l’enseignement numérique de chaque pays, celle-ci étant présentée de façon détaillée dans un rapport connexe (OECD, 2023[5]). L’ensemble des données et analyses comparatives présentées dans ces rapports et, plus particulièrement, les tableaux et les exemples, ont fait l’objet d’une double vérification par les pays en décembre 2023.
Après un rappel de certains atouts et défis qui sous-tendent la transformation numérique, ce chapitre présentera un rapide bilan des avancées de chaque pays et montrera comment la plupart en sont encore à concevoir un écosystème d’éducation numérique qui offre aux élèves comme aux enseignants les outils adéquats pour améliorer leurs pratiques d’apprentissage et d’enseignement tout en permettant de collecter des données qui soient réutilisables à l’aide d’une variété d’outils numériques pour répondre aux grands objectifs éducatifs, et de renforcer l’autonomie des enseignants dans leur travail et des élèves tout au long de leur parcours éducatif. De nombreuses pierres manquent encore à l’édifice pour qu’un tel écosystème fonctionne. Il faudra mettre davantage l’accent sur : la formation professionnelle des enseignants ; la disponibilité et l’interopérabilité de certains outils numériques clés ; l’investissement dans le matériel informatique et la connectivité lorsque leur qualité n’est pas suffisante ; et l’instauration d’un nouveau type d’institutions pouvant soutenir la mise en œuvre des stratégies numériques, qu’il s’agisse d’« organismes de soutien » ou de « laboratoires d’innovation » capables de créer des ressources utiles pour les systèmes éducatifs et garantir leur utilisation responsable en accord avec toutes les parties prenantes.
Le potentiel de la transformation numérique
Copier le lien de Le potentiel de la transformation numériquePersonnalisation de l’apprentissage et de l'éducation
La personnalisation de l’éducation représente l’un des potentiels majeurs de la numérisation. Cette approche n’implique en aucun cas la disparition du caractère collectif et social de l’éducation ; elle fait référence à la façon dont l’enseignement est transmis individuellement aux apprenants tout au long de leur parcours scolaire. Quel que soit le contexte, la personnalisation de l’éducation et de l’apprentissage repose sur les mêmes principes : saisir et détecter les informations qui sont spécifiques à un élève ou qui peuvent être déduites d’informations obtenues sur des élèves « similaires ». Ces informations servent ensuite à établir un diagnostic, par exemple une recommandation et, dans certains cas, planifier une intervention en se fondant sur ce diagnostic, sous la supervision d’un être humain (OECD, 2021[1]). Ces principes pourront servir à prendre des décisions d’ordre éducatif en donnant des conseils en matière d’orientation pédagogique et professionnelle, à concevoir des interventions éducatives ciblées, etc. La phase de diagnostic nécessite généralement une grande quantité de données ou d’observations afin de rendre possibles des comparaisons entre une personne donnée et d’autres ayant des caractéristiques similaires.
Nous présentons ci-dessous trois exemples de la façon dont les outils numériques (et notamment les outils basés sur l’IA) peuvent contribuer à personnaliser l’apprentissage ou l’éducation.
En classe, les applications de l'IA servant directement à l’apprentissage des élèves sont prometteuses, notamment grâce au développement de systèmes d'apprentissage adaptatif, y compris des systèmes de tutorat intelligent. L’apprentissage personnalisé vise à proposer à tous les élèves un programme d'enseignement ou une tâche adaptée à leurs besoins, et à les guider dans la résolution de problèmes spécifiques, en fonction d’un diagnostic de leurs connaissances et de leurs lacunes. De plus en plus cet apprentissage personnalisé peut compter sur des outils numériques qui ne définissent pas seulement les prochaines étapes du travail des élèves, mais qui prennent également en considération la façon dont les élèves apprennent et des facteurs comme l’autorégulation, la motivation et l’effort (OECD, 2021[1]). Le recours à ces ressources d'apprentissage numérique peut se faire et s’avérer utile en dehors de la salle de classe, que ce soit pour les devoirs, sous la forme d’un tutorat particulier automatisé ou d’entraînement pratique, ou encore pour l’apprentissage tout au long de la vie. S’ils restent à ce jour trop onéreux pour être intégrés à l’éducation, les robots sociaux pourront à l’avenir accomplir des tâches similaires de différentes manières : ils pourront utiliser l’apprentissage adaptatif pour encadrer les élèves en langage naturel, mais ils pourront aussi leur enseigner ou les motiver à apprendre en jouant le rôle d’un condisciple (Belpaeme et Tanaka, 2021[6]).
Tandis que les données de l’apprentissage adaptatif sont généralement collectées lorsque les élèves interagissent avec un logiciel, l’IA dans l’éducation peut également fournir des informations de diagnostic à l’intention des enseignants et des chefs d’établissement en se fondant sur les données collectées à des fins administratives. Là où les pays ont jusqu’ici collecté des données d’évaluation standardisées pour chaque élève tout au long de son cursus ou simplement les notes attribuées par les enseignants, les modèles d’IA sont en mesure de déduire progressivement un modèle d’évolution ou de développement de l’apprentissage des élèves en s’appuyant sur leur parcours passé et sur la comparaison de ces données avec celles d’élèves possédant les mêmes caractéristiques. Cette méthode ouvre la voie à une grande variété d’outils de recommandations. Les données collectées sont souvent utilisées au niveau des établissements sous la forme d’un tableau de bord : les données y sont interprétées et servent à prendre des décisions afin d’améliorer les résultats des élèves (si nécessaire). Dans certains cas, des modèles prédictifs sont élaborés pour suivre les progrès des élèves, permettant d’alerter les enseignants ou autres professionnels de l’éducation lorsque certains élèves n’obtiennent pas les résultats attendus. Différents types d’interventions peuvent en découler. Les modèles d’alerte précoce basés sur des algorithmes d’IA reposent sur le même modèle (Bowers, 2021[7]). Recourant à différents types de données (comme la fréquence des absences par exemple), ils indiquent aux établissements qu’un élève en particulier présente un risque de décrochage scolaire, et détectent notamment des élèves que le personnel éducatif n’aurait pas soupçonnés d’être en situation de risque. Dans ce cas également, une fois le diagnostic établi, l’intervention d’êtres humains est requise (pour valider ou ignorer la recommandation).
Le troisième exemple concerne l’orientation pédagogique et professionnelle d’un élève. En raison de la variété et de la complexité des cursus (et des carrières qui s’ensuivent), les pays proposent des services d’orientation professionnelle et pédagogique. Ces services présentent aux élèves le système éducatif et les différentes voies possibles (le cas échéant), et les aident à définir leurs attentes en vue de leur entrée sur le marché du travail. Certains fonctionnent à l’aide de plateformes numériques comportant des services interactifs : ils proposent généralement de passer un test de personnalité pour déterminer les goûts et les préférences des élèves afin de leur proposer des professions qui leur correspondent et les services dont ils peuvent avoir besoin. Si ces services offrent un certain niveau de personnalisation, certains aspects pourraient être améliorés, en se fondant non seulement sur les préférences des élèves, mais également sur des observations concernant leurs atouts et leurs intérêts au sein du système éducatif, ce qui permettrait de prodiguer un conseil plus individualisé.
Ces trois cas présentent différents modes de personnalisation (ou d’individualisation) de l’éducation et montrent la façon dont la transformation numérique peut y parvenir. Dans tous les cas, c’est un processus qui requiert la collecte de données relatives non seulement à l’individu qui bénéficie de conseils pédagogiques, mais également à d’autres personnes. Il nécessite également de relier les données entre elles et de construire des systèmes numériques capables de réutiliser les informations pertinentes à cette fin.
Inclusion et équité
La numérisation des outils et ressources d’apprentissage peut améliorer l’accès au matériel pédagogique et didactique et, ainsi, élargir les perspectives éducatives. Les plateformes éducatives proposant des ressources pédagogiques ouvertes ou des cours en ligne ouverts à tous (MOOC) constituent de bons exemples de ces technologies. Dans certaines régions du monde au moins, elles permettent aux apprenants d’accéder à des ressources pédagogiques d’une qualité généralement supérieure à ce qu’ils peuvent obtenir localement. Lorsqu’elles sont systématiquement disponibles, des ressources dont l’accès est limité aux élèves inscrits au sein du système d’éducation peuvent également offrir de meilleures perspectives d’apprentissage. Contrairement aux manuels imprimés, les ressources numériques peuvent être utilisées à grande échelle. Lorsqu’elles sont mises à disposition par les institutions nationales, la totalité des élèves du système d’éducation peut y avoir accès et apprendre sous la supervision de leurs enseignants (ou de façon autonome). En termes analogiques, l’équivalent serait de fournir aux élèves l’ensemble des manuels existants et leur donner la possibilité de choisir ceux qui leur correspondent le mieux, ce qui n’est pas envisageable aujourd’hui étant donné les contraintes du secteur public.
Certains outils de personnalisation cités ci-dessus peuvent également contribuer à renforcer l’égalité entre les élèves. Peu d’études ont démontré que la technologie adaptative (ou l’apprentissage personnalisé) peut réduire les écarts en termes de réussite scolaire entre les élèves ayant plus de connaissances scolaires initiales et ceux en ayant moins. Les systèmes de tutorat intelligent doivent être plus efficaces auprès des élèves ayant des difficultés pour pouvoir réduire les écarts de réussite scolaire. À la suite d’un essai contrôlé randomisé, une expérience menée dans l’État nord-américain du Maine a montré que cela pourrait être le cas (Murphy et al., 2020[8] ; Roschelle et al., 2016[9]). Dans le cadre de cette expérience, les enseignants ont utilisé un logiciel d’apprentissage adaptatif pour donner à leurs élèves des devoirs de mathématiques. Le système fournit un retour d’informations aux élèves lorsqu’ils résolvent des problèmes de mathématiques et envoie automatiquement des rapports aux enseignants sur les résultats des élèves à leurs devoirs quotidiens. Les enseignants participant à l’étude avaient reçu au préalable une formation et un accompagnement en matière d’évaluation formative. L’étude a révélé que les élèves des établissements qui ont utilisé ce logiciel ont appris davantage que leurs camarades des établissements témoins, avec des effets de grande ampleur, et que l’impact était plus important pour les élèves ayant des résultats antérieurs plus faibles en mathématiques. Il est donc possible de réduire les écarts de niveau entre différents groupes d’élèves.
De la même manière, les technologies numériques peuvent réduire les inégalités en facilitant l’inclusion des étudiants ayant des besoins spécifiques et en adaptant les ressources pédagogiques à des styles d’apprentissages variés. La technologie a, par exemple, permis de faciliter le diagnostic des difficultés d’apprentissage telles que la dysgraphie, et des solutions numériques de remédiation ont également été développées. Diverses technologies intelligentes permettent également aux étudiants malvoyants ou aveugles, ainsi qu’aux étudiants malentendants ou sourds, d’avoir accès à du matériel d’apprentissage et d’accomplir aisément les tâches demandées à leurs condisciples. L’intelligence artificielle qui permet de convertir la parole en texte (et vice versa) ou les sous-titres automatiques en sont les exemples les plus évidents. Les technologies d’apprentissage peuvent également offrir des solutions à des situations d’inclusion plus complexes, comme l’accompagnement de l’apprentissage socio émotionnel chez les enfants autistes (OECD, 2021[1]).
Bien d’autres usages de ces technologies permettent d’améliorer l’équité et de soutenir la mise en œuvre d’initiatives politiques nationales en faveur de l’équité. Si les systèmes d’alerte précoce offrent un bon exemple des recommandations basées sur l’IA offrant un accompagnement pédagogique personnalisé aux élèves présentant un risque de décrochage, nombre d’autres interventions peuvent contribuer à la lutte contre les inégalités. La numérisation facilite l’individualisation des services fournis par les pays et les régions en ciblant les élèves présentant des caractéristiques identifiées localement. Dans certains pays, elle a permis de faire évoluer les politiques en faveur de l’égalité centrées sur l’établissement ou le quartier vers des politiques individualisées.
Un enseignement de meilleure qualité
L’enseignement étant un élément central de la réussite scolaire des élèves, et les professionnels de l’éducation représentant la clé de voûte du bien-être et de l’éducation globale des enfants scolarisés, les technologies numériques qui aident les enseignants et autres professionnels offrent de nouvelles perspectives d’amélioration de la qualité de l’éducation. Les pratiques éducatives personnalisées abordées ci-dessus fournissent aux enseignants des suggestions, des recommandations et des éléments de réflexion sur des élèves en particulier, sauf si les informations sont anodines. Ces outils peuvent aider les enseignants à prendre conscience des élèves nécessitant davantage d’attention, dont on aurait pu attendre de meilleurs résultats ou présentant un risque de décrochage. Les informations provenant de points de données antérieurs auxquels ils n’ont généralement pas accès, ou tirées de comparaison avec d’autres élèves scolarisés, permettent aux enseignants de réfléchir à leurs propres pratiques et à la façon de les adapter à un élève en particulier ou à une classe donnée. Dans certains cas, ces outils numériques ne se limitent pas à fournir des informations aux enseignants, mais proposent aussi, par exemple, des idées de ressources pédagogiques et didactiques. Si les enseignants peuvent ne pas les prendre en compte, à l’instar des médecins avec les informations fournies par leurs « systèmes experts », on peut espérer que ces outils leur donneront des idées pour améliorer leur pratique d’enseignement en fonction d’un contexte spécifique.
La numérisation permet de mettre à disposition des élèves comme des enseignants une plus grande variété de ressources d’apprentissage. Les enseignants peuvent non seulement bénéficier de ressources pédagogiques en libre accès ainsi que de diverses plateformes de ressources d’apprentissage numérique, mais peuvent également disposer de plateformes consacrées aux ressources d’enseignement numérique. Cette diversité des ressources peut les aider à concevoir leurs leçons en y intégrant des éléments numériques, ainsi qu’à échanger avec des pairs responsables de classes de même niveau ou enseignant la même discipline. À nouveau, le coût quasiment nul de reproduction et le caractère non rival des ressources numériques permettent de proposer aux enseignants une plus grande variété de ressources pédagogiques, provenant d’institutions nationales, des pouvoirs publics locaux, de leur établissement ou d’autres organismes culturels nationaux ou internationaux.
Enfin, l’analyse de l’apprentissage en classe, même si elle reste en cours de développement et généralement absente des établissements de l’OCDE, peut contribuer à renforcer l’efficacité de l’enseignement. Au lieu de considérer l’élève comme l’unité d’analyse, elle englobe l’ensemble des effectifs et fournit ainsi aux enseignants des retours d’information en temps réel et a posteriori sur la façon d’améliorer ou « d’orchestrer » leur enseignement. De nombreuses applications montrent déjà comment diverses solutions pourraient aider les enseignants à mieux utiliser leur temps en classe, par exemple en leur suggérant le moment opportun pour passer à l’activité suivante après avoir donné des exercices individualisés aux élèves, en identifiant ceux qui requièrent davantage leur attention, ou en indiquant la manière dont ils pourraient faire participer l’ensemble de la classe à des activités d’apprentissage collaboratif. Si certaines solutions d’orchestration de la classe peuvent aider les enseignants en temps réel, elles sont également conçues pour fournir un retour d’information sur leur propre pratique, par exemple sur leur temps de parole (par rapport aux élèves) et sur les personnes auxquelles ils s’adressent, ou encore sur la manière dont ils répartissent leur temps entre différents types d’activités (Dillenbourg, 2021[10]). Les retours d’information en temps réel et a posteriori représentent ainsi des occasions d’apprentissage professionnel pour l’enseignant, tout en permettant d’améliorer le programme de personnalisation, puisque ces retours concernent l’enseignant qui a été observé (numériquement) plutôt que la pratique d’enseignement théorique ou général. En offrant aux enseignants la possibilité de réfléchir à leurs propres pratiques pédagogiques, et donc des possibilités d’apprentissage professionnel, les technologies numériques peuvent contribuer à améliorer à la fois le bien-être et les résultats scolaires des élèves.
Une plus grande efficience
Pour de nombreux domaines des secteurs publics et privés, l’une des principales justifications de la numérisation est, au-delà de l’efficacité, d’atteindre une plus grande efficience. De nombreux pays ont mis en œuvre des stratégies nationales pour le numérique en ce sens, principalement pour rendre les processus plus efficients et plus faciles d’utilisation pour les usagers. L’OCDE a élaboré des recommandations et principes soulignant ces différents objectifs (OECD, 2020[11]).
Il existe différentes façons dont les technologies numériques peuvent contribuer à améliorer le rapport coût-efficacité dans l’éducation. Les procédures de candidature des élèves (et d’admission) dans les établissements en sont un exemple concret. Ces candidatures sont parfois traitées par des plateformes numériques, notamment lors du passage vers l’enseignement supérieur, où un processus de « mise en correspondance » (ou de sélection) est souvent nécessaire. Dans les établissements qui n’opèrent aucune sélection en dehors des critères prédéfinis, l’application de processus automatisés transparents devient même possible. On estime que le déploiement du système national d’information sur l’éducation en Corée, un système d’administration en ligne qui permet, entre autres choses, le transfert numérique des dossiers scolaires des étudiants d’un établissement à l’autre (ainsi que du lycée à l’université), a permis d’économiser 237 millions USD par an, selon une analyse coût-avantages menée en 2010.
Le recours à la technologie de la blockchain, par exemple, pourrait aussi réduire certains coûts en facilitant la délivrance de diplômes et autres titres de compétences vérifiables (Smolenski, 2021[12]). Le développement progressif d’une infrastructure pour les titres et diplômes sous format numérique et l’adoption de normes ouvertes pourront permettre de délivrer et de certifier autrement les diplômes, les individus pouvant gérer eux-mêmes leurs titres/qualifications.
La collecte d’informations statistiques au niveau des systèmes est le troisième domaine où la réduction des coûts est enclenchée. Alors que les données statistiques reposaient souvent par le passé sur la mise en place de panels statistiques (dans le cas d’échantillons représentatifs d’individus ou d’institutions) et impliquaient souvent le traitement multiple des mêmes données, l’utilisation de données administratives combinée à l’interopérabilité de divers systèmes permet aujourd’hui d’obtenir beaucoup plus facilement des informations statistiques en provenance des services opérationnels en quasi-temps réel. Cette méthode permet essentiellement aux responsables scolaires de ne pas saisir plusieurs fois les mêmes informations.
Mais l’efficience repose également sur la façon dont les enseignants utilisent leur temps. Grâce aux technologies numériques, les enseignants peuvent consacrer plus de temps aux aspects les plus stimulants de leur travail. L’un des exemples les plus parlants est celui de l’évaluation formative, ou le développement de la notation automatisée des dissertations, la notation et la conception de ces évaluations s’avérant très chronophages lorsqu’elles sont effectuées manuellement. Ces technologies pourraient par ailleurs effectuer certaines tâches administratives qui incombent jusqu’à présent aux enseignants. En libérant du temps pour les enseignants, les technologies intelligentes leur permettent de consacrer davantage de temps aux élèves qui en ont le plus besoin et à leur propre développement professionnel, ou sur des aspects plus complexes de l’apprentissage, notamment l’acquisition de compétences socio émotionnelles ou de haut niveau.
Renforcement de la recherche et de l’innovation
La numérisation contribue à promouvoir un autre aspect lié à l’efficience et l’efficacité : l’amélioration de la conception des politiques et des réformes fondées sur des éléments probants, de la recherche et de l’innovation rapides (OECD, 2019[13]). Dans un secteur de l’éducation ayant opéré sa transformation numérique, la quantité sans précédent de données collectées permettra aux chercheurs et aux pouvoirs publics de conduire des études sur les systèmes d’éducation afin de les réformer et d’atteindre leurs objectifs.
Si les outils numériques présentent un intérêt pratique, leur développement peut également permettre de mettre au jour des schémas éducatifs qui restaient jusque-là invisibles. Ils aident à mieux comprendre les systèmes d’éducation, le comportement des acteurs, et donc à concevoir des politiques plus adaptées et des interventions plus efficaces. La recherche sur les systèmes d’alerte précoce n’a pas seulement permis d’élaborer des outils prédictifs, mais a également permis aux chercheurs de comprendre que les élèves ayant un risque de décrochage pouvaient présenter différents profils nécessitant différents types d’intervention. Bowers et Sprott (2012[14]) ont ainsi montré que la majorité des décrochages au niveau de l’enseignement secondaire ne correspondaient pas à l’idée courante que l’on peut s’en faire et que les élèves concernés avaient ainsi de grandes chances de ne pas être repérés par les différents acteurs de l’éducation. Ce résultat constitue l’un des nombreux exemples de l’intérêt de la collecte et de l’analyse de données robustes, ainsi que de l’existence d’une infrastructure solide de données pour améliorer la conception des politiques.
Un système d’éducation mieux adapté à l’époque actuelle
Quels que soient les avantages de la personnalisation et d’un meilleur rapport coût-efficience, l’acquisition de compétences numériques par les apprenants constitue un argument de poids en faveur d’une utilisation accrue des outils et ressources numériques dans l’éducation. Il s’agit en effet de l’un des grands objectifs des pays, puisqu’il est aujourd’hui admis que le système d’éducation doit refléter la société moderne et y préparer les élèves. Si, par le passé, la plupart des évaluations des technologies numériques dans l’éducation ont porté presque exclusivement sur leur impact sur les résultats scolaires des élèves, la pandémie de COVID-19 et la transformation numérique actuelle de la société ont démontré, généralement en mathématiques ou en langues, que l’intégration du numérique dans l’éducation présentait bien d’autres intérêts. Même si l’utilisation des technologies numériques ne devait pas améliorer significativement l’efficacité de l’éducation par rapport à un système équivalent non numérisé, il serait important d’utiliser des outils numériques pour développer les compétences des élèves dans ce domaine, afin qu’ils maîtrisent mieux les technologies numériques, qu’ils s’y habituent et comprennent bien leur fonctionnement. Dans de nombreux pays, les « compétences numériques » ont été qualifiées de compétences transversales, même si leur définition diffère, tandis que les « sciences informatiques et/ou la pensée computationnelle » occupent désormais une part plus importante des programmes d’enseignement.
L’IA générative présente des avantages à cet égard. Si beaucoup ont considéré son émergence comme révolutionnaire et l’ont qualifiée de « tricherie », elle peut être l’occasion de préparer les élèves aux enjeux contemporains. Si l’IA générative s’impose sur le marché du travail et dans nos vies dans un futur proche, il faudra familiariser les élèves à son utilisation, les former à rédiger des « prompts », apprendre ce que l’on peut (ou non) en attendre, autant d’aspects qui doivent être développés en tant que compétence numérique. De plus, en tant qu’outil de production, elle offre la possibilité aux enseignants comme aux élèves d’en faire beaucoup plus qu’avant : rédiger plus de textes, créer et peaufiner des images plus rapidement alors que cela peut être très chronophage, aider à la composition de musique et de chansons, etc.
Les défis de la transformation numérique
Copier le lien de Les défis de la transformation numériqueToute opportunité s’accompagne de défis et d’inconnus, en particulier lorsque ces technologies sont récentes et évoluent très vite. Pour que les promesses de la transformation numérique se réalisent, il faut à la fois prendre conscience de ces risques et les atténuer, ainsi que procéder à une analyse prudente du rapport coût-avantages. Si certains risques sont nouveaux et spécifiques à la numérisation, d’autres sont déjà connus, et les dangers du numérique doivent être comparés aux risques existants au sein d’une éducation qui n’a pas opéré de transformation numérique.
Fractures numériques
En dépit des avantages potentiels que comportent les outils numériques pour l’équité, la pandémie de COVID-19 a mis en exergue les inégalités en termes d’accès à une connexion Internet et aux outils numériques dans les systèmes d’éducation et, plus particulièrement d’accès à des appareils informatiques connectés (Thorn et Vincent-Lancrin, 2021[15] ; Vincent-Lancrin, 2022[3]). Tant que l’accès à une connexion Internet de haute qualité et à des appareils informatiques suffisamment récents n’est pas systématique, la numérisation continuera de poser des problèmes d’équité et d’égalité des chances. Comme l’a montré Fragoso (2023[16]), la disponibilité d’un matériel informatique adapté est un prérequis de la transformation numérique de l’éducation ; la plupart des pays en ont pris conscience et axent leurs investissements et stratégies dans le domaine numérique. L’apprentissage à distance durant la pandémie a mis en lumière le fait que l’enseignement scolaire ne se limitait pas à l’enceinte de l’école, mais se poursuivait à la maison. Le manque d’appareils disponibles et de connectivité à domicile représente un véritable problème pour l’éducation numérique. La fourniture d’un accès à une connexion Internet rapide et abordable, à haut débit ou via les données mobiles, à l’échelle du pays, ne fait généralement pas partie des prérogatives du ministère de l’Éducation. De nombreux pays ont lancé des initiatives intéressantes durant la pandémie de COVID-19 afin de créer des conditions plus équitables. La plupart d’entre elles, cependant, comme l’offre de plateformes numériques d’éducation gratuites pour les utilisateurs finaux, ont été abandonnées depuis. D’autres initiatives pertinentes pour atténuer les inégalités d’accès à des appareils informatiques connectés se poursuivent néanmoins, notamment au Japon, au Luxembourg, dans la Communauté flamande de Belgique, ou encore aux États-Unis en matière de connectivité (OECD, 2023[5]).
Le deuxième défi de l’adaptation numérique porte sur la disponibilité de technologies avancées dans certains pays. Quel que soit leur degré de centralisation, tous les pays disposent d’un système d’éducation décentralisé. Le transfert des compétences peut revêtir différentes formes selon les pays, mais les pouvoirs publics régionaux et locaux, ainsi que les établissements eux-mêmes, ont un rôle à jouer dans le choix des ressources et des outils numériques. De plus, en fonction des mécanismes de financement des établissements scolaires, le budget des établissements publics peut varier sensiblement selon la région si bien que les élèves et les enseignants n’ont pas accès à la même offre d’outils et de ressources numériques d’une région à l’autre. Ainsi, certaines collectivités locales situées dans une localité plus riche fournissent à leurs établissements et élèves davantage d’outils basés sur l’IA et de meilleure qualité que d’autres (par exemple des systèmes de tutorat intelligent), ce qui creuse les écarts de réussite scolaire et d’égalité des chances par rapport aux élèves (et aux enseignants) des localités et établissements plus défavorisés. Les différences de coût (et de budget alloué) des manuels et autres ressources pédagogiques imprimées entre les établissements ont tendance à être moins marquées. En fonction de l’efficacité comparée des outils d’apprentissage numériques et des manuels ou autres ressources pédagogiques traditionnelles, l’adaptation numérique peut accroître les inégalités à moins que les pouvoirs publics ne s’attaquent au problème et garantissent une accessibilité minimale aux outils et ressources numériques dans tous les établissements du pays (comme dans le cas de la France, voir (OECD, 2023[5])).
Le troisième défi, qui est lié au précédent, concerne les inégalités en termes de compétences numériques des enseignants dans les différents pays. Même si la pandémie de COVID-19 a imposé l’utilisation des outils numériques et a forcé les enseignants à se familiariser aux ressources et outils d’enseignement et d’apprentissage numériques, il subsiste d’importantes différences dans le niveau de confiance et d’intérêt des enseignants à intégrer ces ressources numériques à leurs pratiques pédagogiques. Quand ces ressources sont indisponibles, les chances de développer des compétences sont moindres.
Le débat reste ouvert quant à savoir si la transformation numérique permettra de réduire, ou au contraire risque d’aggraver, les écarts observés en termes de réussite scolaire entre les pays à faible et à haut revenu (ou entre les régions à haut et à faible revenu à l’intérieur d’un même pays). D’une part, la transformation numérique requiert des investissements permanents dans le matériel informatique (connexion et appareils), dont l’accès reste encore aujourd’hui limité dans certains pays. Elle nécessite également de disposer d’outils et de ressources d’enseignement et d’apprentissage adaptés au contexte local et donc d’une certaine expertise au niveau national. D’autre part, la transformation numérique permet de diffuser des connaissances dans des pays où il est difficile d’y avoir accès, et des versions allégées d’IA générative pouvant fonctionnant sur un téléphone mobile équipé d’une connexion à bas débit peuvent être utilisées par des enseignants et des élèves dans le monde entier, quel que soit le niveau de revenu du pays. Certains pays ou régions à revenu intermédiaire ont démontré que la transformation numérique pouvait contribuer à améliorer les performances du système sans avoir à intégrer des services ou produits technologiques avancés dans l’école. La transformation numérique est un processus progressif et tous les pays peuvent en tirer profit en identifiant clairement les objectifs et les moyens d’utilisation de la numérisation pour résoudre un problème. Au Gujarat (Inde), par exemple, où l’absentéisme des enseignants comme des élèves posait problème, la surveillance numérique du taux de présence à l’école, combinée à la dotation en services et ressources humaines à cette fin, a permis de réduire significativement ce problème (Vincent-Lancrin et González-Sancho, 2023[17]).
Performance des technologies numériques
Si les outils numériques ouvrent des perspectives prometteuses pour le renforcement de l’efficacité dans le secteur éducatif, leur fonctionnement n’est pas encore actuellement optimal, contrairement aux calculateurs, par exemple. Il est possible que des défauts soient inhérents à certains outils parmi les plus avancés, comme c’est le cas pour l’intelligence humaine, individuelle et collective. Comme ils peuvent faire des erreurs dans les conseils ou recommandations formulées aux élèves, enseignants, parents, etc., il est important de comprendre leurs limitations et la nécessité d’une supervision par des êtres humains compétents.
Par exemple, alors que certains systèmes d’alerte précoce offrent désormais un très bon pouvoir prédictif, Bowers (2021[7]) explique qu’un grand nombre d’entre eux reposent sur des variables prédictives qui ne sont pas meilleures qu’une hypothèse aléatoire. D’Mello (2021[18]) fait état de nouvelles approches qui ont recours à l’analyse faciale et à d’autres moyens pour mesurer l’implication des élèves dans le processus d’apprentissage. Cependant, il relève aussi le faible niveau de fiabilité de nombreux indicateurs utilisés dans ces analyses. Dans le cadre de l’analyse des données de la salle de classe, Dillenbourg (2021[10]) remarque que certaines solutions parviennent à déterminer avec un très haut niveau de précision (90 %) si les apprenants travaillent individuellement ou en groupe, mais l’identification du type d’activité pédagogique reste plus difficile à déterminer (67 % de précision). Ce ne sont là que trois exemples qui démontrent que les niveaux de précision peuvent être très élevés, mais que cela n’est pas forcément le cas pour toute application éducative qui repose sur l’IA. Malgré leur impressionnant pouvoir de production de langage naturel, les générateurs de texte par IA peuvent également être sujets à des « hallucinations » et présenter des informations erronées en dépit d’une syntaxe parfaite.
La plupart du temps, ces défauts restent négligeables, car les enjeux sont faibles : les systèmes d’IA formulent des recommandations qui peuvent être plus ou moins correctes, mais qui font l’objet d’une vérification et qui peuvent être rejetées par un être humain. Ces derniers peuvent aussi commettre des erreurs et donner des conseils qu’il ne vaut mieux pas toujours suivre. Si les outils numériques basés sur l’IA doivent satisfaire à un certain niveau de performance pour être mis sur le marché, un certain degré d’erreur n’est pas forcément problématique dans la mesure où elles n’ont pas de conséquences graves pour les utilisateurs. Nous sommes habitués à rencontrer des erreurs, qu’elles soient commises par des humains ou des machines.
Par exemple, un système d’alerte précoce capable de proposer des prédictions correctes sept ou huit fois sur dix peut être très utile, dans la mesure où il permet de détecter des signes ou un schéma de décrochage que les enseignants et les chefs d’établissement ne distinguent pas par eux-mêmes. Dans les deux ou trois cas où ce système se trompe, les professionnels de l’éducation peuvent se rendre compte qu’il s’agit d’une fausse alerte et l’intervention mise en place n’aura probablement pas d’effet préjudiciable pour les élèves qui ne sont pas vraiment exposés au risque. Le coût de ces erreurs (par manque d’efficacité et en raison des désagréments causés par les « faux positifs ») doit être comparé à l’aune des avantages de ce système (par rapport à une détection purement humaine des cas potentiels de décrochage).
Cependant, lorsqu’un système présent des enjeux importants pour les personnes, notre tolérance à l’égard des erreurs devrait être minimale, et ce système devrait donc fonctionner parfaitement ou présenter un très haut niveau de performance. Si les systèmes d’alerte précoce n’étaient pas destinés à apporter un soutien aux élèves afin d’éviter que leur situation se dégrade, mais entraînaient plutôt une intervention extrêmement coûteuse et risquée pour ces élèves, il serait contraire à l’éthique de s’appuyer sur un tel outil numérique aux performances insatisfaisantes (même s’il arrive aux humains de prendre des décisions imparfaites).
Biais nouveaux ou aggravés
Des études ont montré que certains outils numériques basés sur l’IA fonctionnaient mieux avec certaines catégories de personnes qu’avec d’autres. Un système de tutorat intelligent qui peut être utilisé pour tous les élèves peut, par exemple, mieux fonctionner avec les filles qu’avec les garçons. En fonction de la situation de départ, l’utilisation de cet outil pourrait améliorer ou aggraver l’écart de réussite scolaire entre les filles et les garçons. Un logiciel de retranscription de la parole en texte peut par exemple fonctionner beaucoup mieux pour les anglophones blancs que noirs, limitant les avantages de cet outil à une partie seulement de la population. Si ces questions posent des problèmes de « performance », elles relèvent également du principe d’équité et ne sont pas toujours faciles à discerner dans les résultats d’ensemble d’un outil ou d’une ressource numérique ; un outil d’IA peut bien fonctionner pour l’ensemble de la population, mais présenter des lacunes pour certaines minorités qui peuvent être alors fortement désavantagées.
Certains outils numériques ont été conçus pour mieux fonctionner auprès de catégories spécifiques de la population, comme c’est le cas des technologies d’assistance aux élèves en situation de handicap ou ayant des besoins spécifiques. On ne peut donc pas partir du principe que l’ensemble des outils numériques doit fonctionner de la même façon pour tous. Le véritable problème se pose lorsqu’un tel outil avantage involontairement certaines catégories de personnes et aggrave ainsi les biais sociétaux, comme le racisme, le sexisme ou les préjugés anti-migrants au lieu de les réduire. Les êtres humains ont des préjugés et sont à l’origine des biais sociétaux ; les machines qui sont développées en fonction de ces biais les reproduiront de façon systématique et automatique, ce qui peut avoir pour conséquence d’en aggraver les effets par rapport aux biais humains.
Ces types de biais algorithmiques aux conséquences extrêmes ont été étudiés (principalement) dans des secteurs autres que l’éducation (par ex. la finance ou la justice) (O’Neil, 2016[19]). Même si le secteur éducatif n’a pas recours à des outils d’aide à la prise de décision qui offrent des conseils automatisés, Baker (2023[20]) a montré que les outils pédagogiques pouvaient également présenter des différences de performances involontaires en fonction des groupes ciblés. Si cela devait arriver pour des décisions concernant le droit à certaines aides, dans le cadre de procédures d’admission dans des établissements scolaires ou universitaires, ou encore des sanctions disciplinaires, cela serait extrêmement problématique. Il s’agit d’un nouveau défi de taille qui comporte des risques importants auxquels les pays doivent faire face.
Manque d’efficience d’un écosystème numérique
La mise en place par le passé d’outils numériques dans le secteur éducatif, notamment d’ordinateurs, n’a pas été concluante en termes de rapport coût-efficacité, simplement parce que les ordinateurs n’étaient pas utilisés. Les cas de non-utilisation des technologies de l’éducation et leur manque d’utilité ont entraîné des critiques récurrentes (Cuban, 1986[21] ; Reich, 2020[22]). De nombreux responsables du secteur considèrent la pandémie de COVID-19 comme un signal d’alarme pour le personnel éducatif, qui n’utilisait pas ou n’avait parfois même pas connaissance du matériel fourni par les pouvoirs publics. Parallèlement, l’utilisation accrue de la technologie dans l’enseignement représente l’un des plus grands changements dans les salles de classe des années 2010 (Vincent-Lancrin et al., 2019[23]), qui a été précipité par la nécessité de recourir à l’apprentissage à distance et à des modes de scolarisation alternatifs pendant la pandémie. L’inutilisation peut parfois s’expliquer par le faible niveau de qualité des outils numériques proposés dans le secteur éducatif. Il peut arriver que des solutions technologiques éducatives soient conçues et proposées simplement parce qu’elles sont techniquement en mesure de l’être plutôt qu’en raison de leur utilité et des avantages évidents qu’elles apportent à leurs utilisateurs. La plupart des produits technologiques éducatifs sont de simples dérivés éducatifs de solutions conçues au départ pour d’autres domaines. Même lorsque les applications technologiques sont utiles et bénéfiques, certains enseignants, apprenants et utilisateurs peuvent n’avoir aucun intérêt à les utiliser. Le risque est donc réel que des ressources d’enseignement et d’apprentissage numériques soient mises à disposition, mais soient inexploitées par les acteurs du secteur, ce qui entraîne une hausse des coûts sans produire de changement.
Le manque d’efficience peut également provenir de la fragmentation de l’écosystème numérique dans l’éducation, qui est toujours composé d’un ensemble hétérogène d’outils et de ressources. Si ce fonds n’est pas bien géré, cette variété d’outils peut alourdir la charge de travail des enseignants et des responsables scolaires, les obligeant à saisir un grand nombre de données similaires dans divers logiciels. Comme nous le verrons plus loin, l’une des solutions pour remédier à ce manque d’efficience consisterait à améliorer l’interopérabilité.
Protection des données et vie privée
La transformation numérique amène de nouvelles problématiques (et de nouveaux coûts) en matière de protection des données et de respect de la vie privée. Elle s’accompagne également de nouveaux risques tels que celui de l’exposition des enfants à des contenus inappropriés ou violents. Les nouveaux enjeux en matière de protection de la vie privée apparaissent à mesure qu’un nombre croissant de données sont collectées, en particulier lorsqu’elles peuvent être reliées entre elles. Le défi est d’autant plus grand que la plupart des gens publient des informations personnelles sur Internet, ce qui permet de les identifier facilement à partir d’un jeu de données pseudonymisées. À mesure que les fournisseurs de technologie et de services collectent et traitent des quantités croissantes d‘informations pour le compte des établissements et organismes du secteur éducatif, de plus en plus de données échappent au contrôle direct de ces organismes, ce qui suscite des inquiétudes quant à une éventuelle utilisation abusive des données personnelles des élèves et des enseignants ou des atteintes au respect de la vie privée. Ces dernières peuvent toucher des individus ou des pans entiers de la société, leurs dommages pouvant être objectifs ou subjectifs, et s'accompagner de préjudices économiques, juridiques ou psycho-émotionnels ou encore d’atteintes à la réputation. La protection des données et de la vie privée est devenue un axe majeur de la gouvernance de l’éducation numérique, comme nous le verrons à la section suivante de ce chapitre.
Éthique de l'IA
Les enjeux éthiques que soulève l’IA dans le secteur de l’éducation (et ailleurs) sont devenus des préoccupations politiques majeures. Les questions éthiques sont particulièrement notables en l’absence de réglementation. Face à une question épineuse, la réglementation devrait primer sur le comportement éthique des parties prenantes. L’excès de réglementation peut également comporter un risque, en particulier lorsqu’elle concerne une technologie mal connue et en pleine évolution, mais il ne serait pas raisonnable de laisser des individus prendre des décisions pouvant nuire gravement à l’éthique des personnes.
La numérisation présente deux types de risques éthiques : le premier concerne ce que les algorithmes ont le droit de faire. Par exemple, si certaines personnes sont mal à l’aise à l’idée de suivre l’état émotionnel des élèves, que ce soit directement ou indirectement, même si une telle mesure permet de détecter et de lutter contre le cyberharcèlement ou d’aider les élèves dans leur apprentissage, la réglementation représente la bonne solution. La réglementation ne doit pas empêcher de chercher des moyens moins contraignants d’équilibrer les coûts et les avantages, par exemple exiger la suppression des données immédiatement après leur traitement, ce qui permet d’éviter de conserver des archives portant sur l’état émotionnel des élèves sans nuire aux avantages de ce suivi (en partant du principe que les résultats sont fiables et contribuent à mieux protéger les enfants ou à améliorer leurs résultats). Des recommandations récentes, et un projet de réglementation (au sein de l’Union européenne), répondent à ces enjeux en proposant ou prévoyant d’imposer des limites à l’utilisation de l’IA.
Le deuxième type de risque (découlant du premier) concerne les usages de l’IA par des humains. La détection des élèves présentant un risque de décrochage scolaire dans l’enseignement secondaire pourrait entraîner leur stigmatisation, voire leur expulsion de l’établissement si les chefs d’établissement étaient tentés d’utiliser ces résultats pour conserver le taux de réussite de leur établissement, par exemple ; un tel usage des outils numériques contreviendrait à l’éthique, car il pourrait nuire aux élèves que l’algorithme a considérés comme ayant le plus besoin de soutien. L’utilisation de l’analyse de l’apprentissage en classe, conçue pour aider les enseignants à améliorer leurs pratiques pédagogiques, à des fins d’« évaluation des performances » de ces derniers pourrait également poser des problèmes d’ordre éthique. Les enjeux éthiques dans ces deux cas ne concernent pas les capacités de cette technologie en elle-même, mais bien les usages que peuvent en faire les êtres humains. Il est donc crucial d’imposer des garde-fous aux utilisations humaines de l’IA et d’autres technologies avancées pour pouvoir profiter de ses avantages.
Enfin, de nombreux observateurs et parties prenantes s’inquiètent fortement de la transformation des formes d’apprentissage non numériques que risque d’entraîner la numérisation. L’une de ces préoccupations concernait le temps excessif passé devant les écrans, mais étant donné que les technologies numériques supposent de nombreuses activités hors écran, il faudrait plutôt parler du temps consacré aux technologies numériques. L’éducation reposant par nature sur une grande variété d’activités pédagogiques, il semble difficile d’imaginer une éducation totalement numérique qui ne permettrait pas aux élèves de développer leurs perceptions et leurs connaissances sans l’expérience directe et l’usage de leurs cinq sens. La transformation numérique de l’éducation ne signifie pas que toutes les activités pédagogiques se feront via le numérique, comme le prétendent parfois les adversaires de la numérisation. Il reste difficile de déterminer le nombre de dispositifs informatiques nécessaires à cette transformation de l’éducation, mais il est clair que l’éducation formelle doit continuer à ancrer l’apprentissage des élèves dans les interactions avec leurs pairs et le monde réel, sans médiation de la technologie. Il n’y a aucun sens à présenter ce problème comme un choix entre deux options s’excluant mutuellement.
Acceptation sociale
Les enjeux de la transformation numérique de l’éducation sont en partie d’ordre technique, comme nous l’avons vu précédemment. Cependant, le plus grand défi de cette transformation est probablement de nature sociétale. Les décideurs politiques, les enseignants, les parents et même les élèves sont habitués à évoluer dans un système d’éducation ne faisant que peu, voire pas du tout, appel à la technologie. L’une des conséquences de la transformation numérique sera la remise en question des pratiques actuelles, qui ont parfois mis plusieurs décennies à être acceptées comme normales et justes.
L’évaluation adaptative en est un bon exemple. Dans certains pays, les parents, les enseignants et les organisations qui les représentent, ainsi que les élèves se sont opposés à l’adoption de cette pratique. On peut comparer cette pratique à celle des ophtalmologues qui ont recours aux évaluations adaptatives pour déterminer quel type de lunettes un patient doit porter : à l’aide de leurs machines, ils posent une série de questions pour affiner leur diagnostic et prescrire les lentilles les plus adaptées au patient. Ce praticien ne pose pas toujours les mêmes questions, car celles-ci dépendent du niveau de vision du patient, de sa netteté de loin ou de près, etc. Les évaluations adaptatives en mathématiques ou en lecture suivent plus ou moins la même logique : elles visent à établir des évaluations plus précises en proposant des questions ou des exercices plus adaptés aux connaissances et au niveau de compréhension des élèves. Le critère actuel d’une évaluation équitable étant que tous les élèves soient soumis (et évalués) aux mêmes questions, l’évaluation adaptative est jugée injuste.
Si l’opposition à toute utilisation des technologies dans l’éducation (alors qu’elle est bien acceptée dans d’autres secteurs comme celui de la santé) pose problème, l’adoption des technologies sans réflexion préalable devrait également être remise en question. Les technologies numériques, même si elles recèlent de nombreuses possibilités de faire progresser les objectifs éducatifs, ne doivent être considérées ni comme la panacée ni comme un mal en soi. Pour les pouvoirs publics, les principaux défis à relever sont la transparence quant aux usages possibles de ces technologies, ainsi que leur co-création et la négociation de leur utilisation, la manière de communiquer sur leurs avantages et de répondre aux dangers qu’elles peuvent générer.
Écosystèmes d’éducation numérique : où en sommes-nous et comment aller plus loin ?
Copier le lien de Écosystèmes d’éducation numérique : où en sommes-nous et comment aller plus loin ?Au vu des opportunités et des défis que nous avons exposés ci-dessus, les pouvoirs publics et les autres parties prenantes qui souhaitent encourager la numérisation des systèmes d’éducation doivent s’attaquer à plusieurs objectifs. Le premier est d’améliorer l’écosystème numérique actuel au sein de l’éducation. Cette section présente un aperçu des principales conclusions abordées dans cet ouvrage, tandis que la suivante se penche sur la nécessité de définir la gouvernance de l’éducation numérique afin de répondre aux défis existants et de pouvoir profiter des avantages de la transformation numérique de l’éducation.
Les écosystèmes éducatifs numériques sont de nature hybride, combinant l’humain et la technologie. Ils reposent sur une combinaison de compétences humaines, de matériel informatique, de connexion et de deux types de logiciels : d’une part les outils numériques pour la gestion des systèmes et des établissements, et d’autre part, les ressources numériques pour l'enseignement, l'apprentissage et l'évaluation en classe. La pandémie a soulevé une question fondamentale : quelle infrastructure minimale un pays devrait-il mettre à la disposition de ses établissements d’enseignement, de ses enseignants et de ses élèves pour que l'apprentissage puisse se poursuivre en cas de perturbation, mais aussi d'une manière générale ? Elle a également mis en évidence l'écart entre ce qu'il serait possible de faire pour rendre l'éducation plus efficace et plus équitable si les enseignants et les élèves bénéficiaient d’outils éducatifs numériques, notamment ceux basés sur l’IA, et ce que les pays, les institutions de l’éducation ou les établissements proposent actuellement.
Disposer d’une infrastructure physique numérique solide est l’un des prérequis pour l’éducation numérique. L’un des objectifs, qui nécessite des investissements continus, est d’équiper les élèves et les enseignants d’une connexion à Internet de haute qualité et d’appareils en bon état. En effet, l’amélioration de la qualité des connexions dans les établissements et à l’échelle nationale ainsi que de la disponibilité d’appareils informatiques sont les deux grandes priorités de nombreux pays de l’OCDE (Fragoso, 2023[16]). Même si ces efforts sont indispensables, il ne suffit pas de fournir des outils numériques et une connexion de qualité pour rendre possible la transformation numérique de l’éducation.
En supposant que le matériel informatique fourni soit de bonne qualité, les responsables politiques devraient se poser deux grandes questions :
1. Quels sont les outils et ressources numériques qui contribuent à rendre plus efficaces l’enseignement et l’apprentissage dans la classe et à atteindre certains objectifs du secteur (comme renforcer l’inclusion et l’égalité, améliorer l’attractivité de la profession d’enseignant, offrir une éducation holistique, etc.) ?
2. En se basant sur leurs objectifs politiques, quel type d’écosystème numérique devraient-ils promouvoir dans l’éducation et, en particulier, comment réutiliser et partager les données collectées pour qu’elles servent à atteindre ces objectifs politiques ?
En bref, les écosystèmes numériques d’outils et de ressources pédagogiques, ainsi que la disponibilité et l’utilisation de l’infrastructure globale de données au sein du système éducatif doivent être au cœur des préoccupations. S’il n’y a pas de matériel informatique de bonne qualité, il faut y remédier et, en même temps, analyser comment utiliser l’infrastructure actuelle en dépit de ses défauts.
Imaginons un pays qui chercherait à réduire son taux de décrochage scolaire dans l’enseignement secondaire. Les responsables politiques pourraient faire connaître cet objectif politique et laisser les professionnels de l’éducation s’en occuper sans avoir recours à des solutions technologiques. En utilisant les technologies et les données collectées par le biais de leur infrastructure numérique, ils pourraient cependant envisager différents moyens d’aider les professionnels de l’éducation à atteindre cet objectif (même si ces derniers devront quoi qu’il arrive prendre part à ces efforts). La première façon consiste à créer des outils numériques intégrant des mécanismes de signalement des absences déclenchant une intervention humaine (par ex. quelqu’un se rend au domicile de l’élève pour essayer de le convaincre de revenir en classe). Il s’agit d’une approche réactive : la technologie permet une réponse humaine plus rapide qu’auparavant. Une autre solution possible, plus proactive, est de chercher à détecter les risques de décrochage avant qu’il ne se produise (et d’intervenir de façon préventive). C’est l’objectif des systèmes d’alerte précoce. Que faut-il pour que cela fonctionne ? Il faut généralement que les pays disposent de données sur les élèves ayant abandonné la scolarité par le passé, ainsi que sur les élèves actuels. En s’appuyant sur ces données, ils doivent comprendre comment concevoir des indicateurs d’alerte précoce et indiquer aux enseignants et chefs d’établissement les données pertinentes en temps réel. L’un des défis éventuels de ce scénario est le risque que ces données visant à anticiper les possibles décrochages soient traitées par différents systèmes d’information (par exemple le système de l’établissement où sont consignées le taux de présence et les notes, le système d’évaluation national où sont consignés les résultats standardisés, ou encore le système régional d’information de la juridiction où sont consignées des données sur les caractéristiques du foyer ou de l’établissement). Or une alerte précoce n’est possible qu’à condition d’avoir accès aux données pertinentes, de pouvoir les corréler et de transmettre les conclusions utiles en temps voulu aux acteurs concernés qui doivent prendre en charge les élèves à risque. La troisième approche, qui peut (et souvent doit) compléter les deux premières, consiste à commander une étude fondée sur les données collectées sur le décrochage scolaire pour mieux comprendre les sujets à risque et les circonstances favorisant ce phénomène. Si une telle étude permet d’affiner les politiques et de mieux comprendre le décrochage, elle ne permet pas d’aider un élève en difficulté en temps réel.
L’une des leçons que l’on peut tirer de ce scénario est que les systèmes administratifs peuvent servir à d’autres fins éducatives que les besoins administratifs pour lesquels ils ont été développés, à condition que les données qu’ils collectent soient utilisées à ces fins – et que les politiques humaines soient développées en vue d’atteindre cet objectif (OECD, 2023[24]).
Outils numériques de gestion au niveau national et de l’établissement
Cet ouvrage offre une vue d’ensemble exhaustive des infrastructures numériques mise en place par les pays pour assurer la gestion des établissements et des systèmes d’éducation.
La pierre angulaire d'une infrastructure d'éducation numérique au niveau national réside dans l’existence d’un système d’information longitudinale sur les élèves. Les systèmes d’information scolaire collectent des données sur le parcours scolaire de tous les élèves scolarisés au sein du système d’éducation d’un pays et offrent ainsi la possibilité que ces informations, collectées à l’échelle nationale ou de la juridiction, profitent à l’ensemble du système. Il s’agit de l’un des outils numériques les plus utiles pour traduire les données en informations ayant une utilité pratique en temps réel pour les acteurs locaux. En 2024, la plupart des pays de l'OCDE ont mis en place un système d’information longitudinal sur les élèves, mais ceux-ci sont encore principalement utilisés à des fins statistiques plutôt que pour fournir des informations en temps réel aux acteurs de l’éducation. Une autre possibilité est de disposer d’un registre national des élèves avec des identifiants longitudinaux uniques pour chaque élève (et éventuellement chaque enseignant). Les données collectées permettront de générer des données probantes susceptibles d'éclairer les politiques d’éducation au niveau national, mais celles-ci ne permettront pas d’être utilisées rapidement pour répondre à la situation d’un élève en particulier (Vincent-Lancrin et González-Sancho, 2023[17]).
Les systèmes d'information longitudinale actuels se classent selon quatre modèles :
L'approche axée sur la recherche et la diffusion de données. Les données longitudinales ont permis aux pays d’enrichir leurs fiches de performance, mais les données et rapports produits visent principalement à soutenir la planification des politiques et à informer le public. Dans certains cas, les bases de données visent également à renforcer les capacités de recherche sur des questions liées à l'éducation. La plupart des systèmes d’information scolaire remplissent cette fonction, mais s’y limitent également.
L'approche axée sur l’administration en ligne. Ces systèmes d’information scolaire ont été conçus pour améliorer l'efficience des procédures administratives (par exemple les transferts scolaires, le choix d'établissement, la demande d'admission à l'université, les dotations budgétaires aux établissements). Ils comprennent plus de données et de possibilités de croisement que les autres modèles, mais sont moins axés sur les fonctionnalités visant à améliorer l’enseignement, à personnaliser l’éducation et à diffuser les données auprès des enseignants.
L'approche axée sur l'amélioration des établissements. Plaçant l'amélioration des établissements au centre de leur mission, ils sont parfois similaires aux systèmes d'information utilisant l'approche axée sur la recherche et la diffusion de données, mais communiquent généralement leurs données aux établissements au moyen d'un outil de visualisation. Ils essaient de fournir des informations au niveau individuel et avec un degré de détail qui permet leur utilisation par les enseignants (comme les relevés d’évaluations au niveau des items).
L'approche du système expert. Inspirés par les « systèmes experts » facilitant la prise de décision, ils offrent généralement un retour d'information rapide et précis aux enseignants, élèves et chefs d'établissement, ainsi que des documents pédagogiques permettant de renforcer l'apprentissage. Au-delà de la simple production de rapports, ils reposent sur des modèles prédictifs et formulent des recommandations, qui peuvent être suivies ou non.
Si les systèmes d’information scolaire constituent probablement le meilleur point de départ des pays voulant mettre en place une infrastructure d’éducation numérique, au fur et à mesure du développement de leur écosystème numérique, ceux-ci peuvent en devenir une simple composante sans jouer un rôle central. S’il est recommandé que les pays passent d’une simple approche « de recherche et de diffusion de données » à une approche « expert », celle-ci ne doit pas seulement caractériser le système d’information scolaire en place, mais plutôt la totalité de l’écosystème numérique éducatif. Tout dépend de la possibilité de partager et d’échanger des données entre les outils numériques coexistant au sein de l’écosystème (interopérabilité). L’existence d’un système d’information scolaire solide à l’échelle du système d’éducation permet de recevoir et d’envoyer des informations globales aux acteurs de l’éducation (si cela est adapté, en fonction de certains objectifs). Ces échanges d’informations peuvent être menés de différentes manières, mais c’est souvent plus compliqué, c’est pourquoi il s’agit initialement de la composante la plus importante d’un écosystème numérique éducatif à l’échelle d’un pays.
En effet, un tel écosystème est composé de nombreux outils de gestion numériques utilisés à l’échelle du système ou de l’établissement. Au niveau des établissements d’enseignement, on parle de systèmes de gestion de l’apprentissage : ces systèmes permettent aux établissements de gérer et de suivre les données individuelles des élèves, les cours auxquels ils assistent et les enseignants qui les assurent, voire, dans certains cas, d'accéder à des contenus numériques destinés à l'enseignement et à l'apprentissage. Dans l’idéal, ils devraient être en mesure d’« envoyer » et de « recevoir » des données vers et depuis le système d'information scolaire de la juridiction. Si la majorité des pays indiquent que la plupart de leurs établissements utilisent des systèmes de gestion de l’apprentissage, au moins pour certains niveaux, environ la moitié d'entre eux ne sont pas interopérables avec les systèmes d’information scolaire au niveau du système. Les établissements doivent alors fournir manuellement des informations aux institutions ou à leurs ministères, et ne sont pas en mesure d'obtenir des informations à partir des données collectées au niveau de la juridiction (Vincent-Lancrin, 2023[25]).
Le rapport montre que la plupart des pays fournissent des données sur l'orientation pédagogique et professionnelle par des moyens numériques, même si peu d'entre eux proposent des outils pour des demandes plus personnalisées, et que la plupart des évaluations nationales sont désormais numérisées ou en passe de l’être. La transition vers une version informatisée des évaluations à enjeu élevé représente une tout autre problématique, et si quelques pays de l'OCDE explorent cette voie, peu d'entre eux ont réellement franchi le pas (c’est le cas de la Finlande, par exemple). Quelques pays ont numérisé certains aspects de l'administration de leurs examens sur papier ainsi que leurs processus de sélection dans l'enseignement supérieur (et parfois dans l'enseignement secondaire) (Vidal, 2023[26]).
Le Graphique 1.1 offre un aperçu de la fourniture publique (et de l’utilisation) de divers outils numériques de gestion au niveau du système et de l’établissement.
Malgré les débats actuels sur l’IA dans l’éducation, il convient de noter que relativement peu d’outils numériques de gestion au niveau du système et de l’établissement ont recours à la technologie de l’IA, telle que l’analyse de l’apprentissage ou les systèmes de recommandation. L’utilisation la plus poussée en matière de technologie consiste à présenter des données sous forme de tableaux de bord ou d’utiliser des algorithmes basés sur des règles, notamment pour les mécanismes de financement ou la gestion des inscriptions et des candidatures des établissements.
Le Graphique 1.2 montre que l’utilisation d’outils numériques est relativement peu fréquente, même ceux qui ne font pas appel à des algorithmes basés sur l’IA, comme les tableaux de bord et les modèles de prise de décision ou adaptatifs. Pratiquement aucun pays n’a indiqué utiliser des techniques d’IA dans leurs outils au niveau du système ni les utiliser habituellement pour les outils au niveau des établissements. Les outils de prise de décision ou de suggestion automatisés sont quasiment absents du secteur éducatif. Ainsi, alors que la plupart des pays ont mis en place des évaluations standardisées nationales informatisées, voire parfois les examens eux-mêmes, pratiquement aucun n’utilise les fonctionnalités numériques des tests informatisés (ayant recours à des vidéos, des simulations ou des tests adaptatifs). De plus, la plupart des pays proposent des plateformes d’orientation pédagogique et professionnelle aux élèves, mais très peu font appel aux fonctionnalités adaptatives qui permettraient de faire des propositions individualisées de cursus ou de formation professionnelle.
Écosystèmes numériques pour l’enseignement et l’apprentissage
La question de l’accessibilité des ressources d'apprentissage numériques pour les enseignants et les apprenants constitue une autre question que la pandémie a mise en évidence, et qui a donné lieu à nombre de nouvelles initiatives prometteuses au sein des pays. Quel est le niveau minimum de ressources numériques d’apprentissage qui devrait être mis à disposition de tout élève (ou enseignant) au sein d’un système d’éducation ? Étant donné les possibilités offertes par l’éducation numérique, quelles sont les ressources numériques d’apprentissage de nouvelle génération qui aideront les élèves à réussir leurs études ?
Imaginons un pays où la lutte contre le décrochage scolaire est une priorité. En plus de la collecte de données à l’échelle du système qui permet d’alimenter des systèmes d’alerte précoce ou de déclencher des interventions, il existe de nombreuses mesures éducatives pour maintenir la motivation des élèves. Certains pays et juridictions peuvent être tentés d’investir dans des outils qui aident les élèves à réussir et leur permettent de poursuivre leur apprentissage ou leur pratique en dehors de l’école, comme des systèmes d’apprentissage adaptatif par exemple. Les logiciels qui aident les élèves à maintenir leur motivation à l’égard de l’apprentissage peuvent également avoir un intérêt. Ces outils offrent en effet une diversité de ressources pouvant aider les élèves à définir leurs intérêts et aider les enseignants à développer les compétences de leurs élèves dans ce domaine, même s’il ne s’agit pas de mathématiques ou de littératie. Les enseignants peuvent également y puiser des ressources pour mieux comprendre ce qui intéresse leurs élèves, concevoir des leçons plus attrayantes, etc. Toutes ces ressources partent du principe qu’un enseignement motivant, axé sur des sujets qui intéressent les élèves, peut contribuer à maintenir les élèves à l’école s’ils se sentent soutenus et obtiennent de bons résultats. Les enseignants appliquent déjà ces idées, mais les outils numériques peuvent les aider à diversifier et à personnaliser leur enseignement. Un pays qui souhaite appliquer une telle stratégie pourra envisager de mettre en place un écosystème numérique proposant certains des outils et ressources d’enseignement et d’apprentissage cités ci-dessus. Comme l’illustre le Graphique 1.3, la plupart des pays ont déjà commencé à équiper les élèves et les enseignants de ressources numériques d’enseignement et d’apprentissage (Yu, Vidal et Vincent-Lancrin, 2023[27]).
L'OCDE, ainsi que d'autres organisations internationales telles que l'UNESCO, encourage depuis longtemps les pays à développer des plateformes de ressources éducatives libres (REL). Les REL présentent en effet l’avantage d’être accessibles à tous et gratuites, et peuvent donc être utiles non seulement aux élèves et aux enseignants, mais également au grand public et dans le cadre de la formation tout au long de la vie. Les plateformes de cours en ligne ouverts à tous (MOOC) ont également élargi cette offre, tout comme c’est le cas de l’enseignement à la télévision et à la radio, ainsi que via des chaînes de réseaux sociaux dans certains pays. La plupart de ces offres ont été dopées par la pandémie de COVID‑19 et sont toujours disponibles dans certains pays. Certaines de ces ressources ont même été intégrées aux programmes d’enseignement nationaux ou des juridictions. Les ressources éducatives libres sont importantes, notamment pour fournir le même matériel de référence à tous, mais elles risquent d’être rapidement dépassées si elles ne sont pas mises à jour et modernisées régulièrement. Ces ressources sont généralement de bonne qualité lorsqu’elles sont sélectionnées par les pouvoirs publics. De nombreux pays ont recours à des REL développées par des enseignants, des ONG ou des universités, en complément des plateformes fournies par l’institution.
Une autre façon pour les pays de soutenir les enseignants et les élèves est d’accorder des licences à des éditeurs éducatifs pour la fourniture de ressources d'apprentissage numériques, ou de permettre aux municipalités d’acquérir ces ressources auprès de ces prestataires avec leur propre budget. Dans ce cas, les ressources et outils d’apprentissage numériques ne sont pas en libre accès, et ne peuvent donc être utilisés que par les enseignants et les élèves accrédités ou inscrits dans le système d’éducation.
L'avantage d'une offre centralisée est que les institutions nationales disposent, en principe, d’une plus grande capacité à assurer la qualité des ressources éducatives et que celles-ci sont accessibles aux enseignants et aux élèves à l’échelle du système d’éducation, quelles que soient les préférences des chefs d’établissement ou des instances régionales. Dans les pays où la répartition des ressources d’apprentissage numériques est très inégale, cette solution peut être efficace pour rééquilibrer les dotations. L’inconvénient d’une offre centralisée est que les ressources risquent de ne pas être utilisées. En effet, les établissements ou les pouvoirs publics locaux peuvent être mieux à même de choisir ce qui convient ou non à leurs élèves. Quoiqu’il en soit, s'il est important de disposer d'une base de ressources « gratuites » ou en accès libre pour permettre à tous les citoyens de bénéficier de l'enseignement public, il n’en demeure pas moins que les fournisseurs privés restent dans l’ensemble mieux placés pour maintenir les ressources d'apprentissage à jour et qu’ils devraient certainement continuer à faire partie de l’équation de l’offre et de la demande dans le secteur de l’éducation.
En 2024, la majorité des ressources numériques d’apprentissage et d’enseignement fournies par les pouvoirs publics et utilisées en classe sont de type statique, comme les manuels scolaires numériques (non interactifs), les contenus vidéo et les questions des précédents examens, et ne sont souvent qu'une transposition de méthodes d'enseignement classiques en format numérique. Les ressources numériques statiques auront toujours leur utilité dans le processus éducatif, à l'instar des ressources physiques non numériques. Toutefois, le manque d’intérêt des pouvoirs publics dans le domaine des ressources d'apprentissage numériques basées sur l’IA pourrait s’avérer une occasion manquée de proposer un apprentissage et un enseignement plus personnalisés. La plupart des ressources d'apprentissage numériques fournies et utilisées dans les établissements des pays de l'OCDE ne sont pas de nature adaptative. Parmi les ressources d'apprentissage numériques « avancées », les manuels scolaires numériques interactifs sont les plus courants : ils sont plus interactifs et comportent des exercices en lien avec les leçons enseignées, sans pour autant être adaptatifs. Les systèmes de tutorat intelligent, qui pourraient permettre aux élèves de remettre en cause certaines de leurs idées reçues et de maîtriser des connaissances procédurales, ne sont aujourd'hui encore que très peu répandus et utilisés – sans parler d'autres types de technologie intelligente (OECD, 2021[1]). La plupart des systèmes d’IA utilisés en éducation sont basés sur l’IA générative, qui est l’une des fonctions de l’IA les plus couramment utilisées dans tous les pays et juridictions, bien au-delà de l’école.
Comment ces ressources d’enseignement et d’apprentissage numériques s’intègrent-elles dans un écosystème numérique existant ? Chacun de ces outils ou ressources numériques a une valeur et une utilité pour l’enseignement et l’apprentissage et leur fragmentation ne pose pas forcément problème. Il est plus facile pour les élèves et les enseignants d’accéder à ces outils sans multiplier leur accès à différentes plateformes ; ainsi l’existence d’un accès unique à partir du système de gestion de l’apprentissage de l’établissement représente un intérêt pratique. Cependant, cela n’est pas toujours possible, car les élèves et les enseignants doivent parfois accéder à ces outils par le biais d’une plateforme commerciale (quand ils ne sont pas fournis directement par les pouvoirs publics). Un nombre croissant de pays proposent une solution d’« identifiant unique » pour éviter de multiplier les codes d’accès que les élèves doivent utiliser (et à des fins de protection de la vie privée des élèves vis-à-vis des fournisseurs privés).
La plupart des outils numériques d’apprentissage et d’enseignement les plus avancés collectant des données d’utilisation des élèves (et des enseignants), on peut imaginer qu’une partie au moins des données collectées au moyen de financement public et souvent dans des établissements publics, pourront être réutilisées et reliées à l’écosystème global des données d’éducation. Il est également possible que des données collectées par un outil d’apprentissage en particulier soient utiles à un autre outil, ce qui rendrait intéressante la possibilité d’échanger des informations. Il reste à imaginer dans quels cas et de quelle façon un tel échange d’informations pourrait être mis en œuvre.
Compétences numériques
Comme nous l’avons déjà indiqué, un écosystème d'éducation numérique solide repose sur un fonctionnement hybride entre l’humain et la machine, et sur la capacité des élèves et des enseignants à utiliser les outils et les ressources numériques mis à leur disposition. Il offre également des retours d’information permettant de s’améliorer en permanence ou d’appliquer efficacement les réglementations relatives au numérique. Cela vaut également pour les chefs d’établissement ou responsables scolaires en raison de l’utilisation de plus en plus répandue des outils numériques de gestion au niveau des établissements et du système. En effet, il est inutile de fournir des ressources qui ne sont pas utilisées efficacement par les enseignants et les élèves, qui devraient être considérés comme des composants essentiels de l’écosystème d’éducation numérique. Il convient de noter que les compétences numériques ne concernent pas uniquement la capacité à utiliser des appareils informatiques ou à consulter des ressources numériques. Ces compétences technologiques sont importantes, mais lorsque l’on parle de compétences numériques, on fait principalement référence à la capacité des enseignants à utiliser les ressources et outils numériques dans le cadre de leur enseignement, y compris les technologies avancées comme l’IA. De nombreux pays mettent l’accent sur la « maîtrise de l’IA » dans la formation des enseignants, ce qui inclut à la fois la compréhension du fonctionnement de base des modèles et outils d’IA et la capacité de les utiliser (notamment les outils d’IA spécifiques à l’éducation ou les outils plus généralistes comme les générateurs d’image ou de texte).
Certains pays encouragent les enseignants à développer leurs compétences pédagogiques numériques de différentes façons. La plupart des pays (24 sur 29) ont élaboré des règles ou directives nationales en matière de compétences pédagogiques numériques, mais celles-ci varient considérablement d’un pays à l’autre ; 14 d’entre eux disposent de règles pour les futurs enseignants en formation, tandis que seulement 3 pays imposent des règles aux enseignants en exercice (ces dernières relevant généralement plutôt des prérogatives des instances publiques locales). La plupart des règles applicables à la formation des futurs enseignants correspondent à des normes qui guident les programmes de formation des enseignants dans la conception de leur cursus : leur application peut être vérifiée lors de l’accréditation ou de la reconnaissance de ces programmes, ou encore, plus rarement, testée ou vérifiée dans le cadre de la certification, de l’autorisation d’enseigner ou du recrutement des enseignants. Ces normes applicables à la formation des futurs enseignants sont souvent considérées comme des directives pour l’exercice de la profession d’enseignants, en leur indiquant dans quelle direction ils doivent orienter leurs efforts de développement professionnel. Comme nous l’avons déjà indiqué, de nombreux pays fournissent à leurs enseignants des ressources numériques d’enseignement et d’apprentissage qui permettent d’intégrer l’utilisation de ressources et d’outils numériques à leur enseignement. En général, ces règles et directives restant définies au niveau politique et peu de pays vérifiant activement leur application en évaluant les compétences numériques acquises par les enseignants ou en utilisant le processus d’accréditation pour l’acquisition de ces compétences, on peut se demander dans quelle mesure celles-ci sont réellement intégrées.
Presque tous les pays disposent de règles et directives nationales concernant l’acquisition des compétences numériques des élèves. Dans la plupart des cas, elles concernent l’ensemble des niveaux d’enseignement (hors formation professionnelle) et sont intégrées aux programmes pédagogiques. Pour que les élèves acquièrent des compétences numériques dans le cadre de leur enseignement obligatoire et dans toutes les matières, il vaut mieux que les enseignants soient eux-mêmes formés et compétents dans ce domaine. Cependant, très peu de pays ont mis en place une évaluation de l’acquisition de ces compétences par les élèves, et les incitations sont donc faibles.
Les pays et juridictions peuvent envisager différentes méthodes pour inciter davantage les enseignants à acquérir et consolider ces compétences numériques. Il est possible d’intégrer une évaluation formelle des compétences numériques des enseignants dans le cadre du processus de qualification (par exemple par le biais d’examens), dans le cadre d’évaluations de stagiaires, de la certification obligatoire ou complémentaire, ou en renforçant leur importance dans les critères d’accréditation interne des enseignants ou des évaluations scolaires externes.
Lorsque cela n’existe pas encore, les pays peuvent lier les attentes en matière de compétences numériques à des procédures d’accréditation concrètes au sein des programmes de formation des futurs enseignants de l’enseignement supérieur (qui peuvent intégrer des critères d’évaluation des compétences numériques). Cela permettrait de garantir l’intégration de contenus pertinents au sein de la formation initiale des enseignants et de favoriser l’égalité des chances des futurs enseignants en matière d’acquisition de compétences numériques, tout en laissant une certaine souplesse et autonomie aux établissements d'enseignement supérieur (et autres organismes de formation des enseignants).
La conception de structures incitatives solides favorisant la participation à des activités de perfectionnement professionnel ciblées intégrées au parcours d’évolution de carrière peut constituer un moyen efficace d’encourager les enseignants à mettre à jour et à perfectionner leurs compétences numériques. Ces structures peuvent prévoir des récompenses ou des possibilités de mobilité à l’intérieur de la profession liées aux compétences numériques, que ce soit au niveau vertical (avancement) ou horizontal (par ex. la reconnaissance d’un statut de spécialiste numérique associé à des responsabilités spécifiques). La reconnaissance formelle de l’acquisition de compétences numériques, au moyen d’une certification ou d’une microcertification, peut également contribuer à encourager les enseignants motivés à poursuivre leur perfectionnement professionnel, même si ces incitations ont peu de chances d’avoir un impact si elles ne sont pas associées à un mécanisme formel de décharge ou de validation des obligations de formation continue qui ont une incidence sur l’avancement professionnel ou à la rémunération (Foster, 2023[28]).
Gouvernance de la transformation numérique dans l’éducation
Copier le lien de Gouvernance de la transformation numérique dans l’éducationUne gouvernance qui permette de garantir une transformation numérique efficace et équitable nécessite de définir à la fois les moyens pour l’atteindre et des mesures d’atténuation des risques et des défis y afférant. L'innovation ou l’adaptation numérique n’est pas une fin en soi. Ce sont des moyens d’atteindre divers objectifs éducatifs : la personnalisation, l’inclusion des élèves en situation de handicap ou ayant des besoins spécifiques, la mixité sociale à l’école, etc. La première étape importante est de définir ces objectifs au niveau national et de comprendre comment les technologies numériques, ainsi qu’une infrastructure de données solide, peuvent contribuer à les atteindre, dans la mesure du possible. Si la majeure partie des pays (23 sur 29) ont déjà publié une nouvelle stratégie pour le numérique dans l’éducation, ou une actualisation, depuis 2020, la plupart d’entre elles ne sont pas suffisamment axées sur les objectifs éducatifs et la façon de les atteindre grâce aux outils numériques, mais sont plutôt articulées autour de grandes thématiques comme les compétences, l’infrastructure, les ressources d’enseignement et d’apprentissage, etc. La transformation numérique de l’éducation requiert cependant que les pays définissent plus précisément les objectifs de cette transformation.
Une fois ces objectifs définis, la gouvernance d’une telle transformation consiste à donner accès à un écosystème numérique permettant d’atteindre ces objectifs et qui donne aux acteurs de l’éducation les moyens de maîtriser les outils numériques. Elle suppose également de mettre en place des règles de protection des données et de respect de la vie privée permettant l’utilisation de ces données en toute confiance, ainsi que des mesures de soutien pour les professionnels concernés, afin d’atténuer les éventuelles inégalités que pourrait générer le numérique et de remédier à d’éventuels biais systémiques. Enfin, elle nécessite des mesures incitatives destinées aux développeurs de technologies éducatives afin qu’ils continuent à concevoir des outils et ressources utiles et abordables pour le secteur éducatif. Plusieurs leviers politiques peuvent être activés afin d’atteindre ces objectifs : des incitations visant à stimuler l’interopérabilité à l’intérieur du système, l’adoption d’approches de gestion du risque en matière de protection des données et de respect de la vie privée, avoir recours à la passation de marchés publics et créer des agences chargées de faciliter la mise en œuvre des politiques numériques pour l’éducation. Ces leviers peuvent être utilisés pour renforcer les mesures incitatives et répondre à plusieurs problèmes en même temps au lieu d’être considérés comme une solution à un problème spécifique.
Interopérabilité
L’interopérabilité désigne la possibilité de combiner et d’utiliser des données provenant de différents outils facilement, de façon cohérente et efficiente. Elle permet de garantir l’échange et la cohérence des données collectées et conservées dans différents systèmes, tout en réduisant la nécessité de traiter les données adéquates pour les saisir à nouveau, les reformater ou les transformer. Les données peuvent ainsi être utilisées de façon plus efficace, moins coûteuse et plus rapide pour soutenir les mesures et les décisions. En l’absence d’outils numériques interopérables, le croisement et l’échange de données restent possibles, mais ces processus prennent beaucoup de temps et de ressources, et le risque d’erreur est plus important. L’interopérabilité renforce donc l’efficience et le fonctionnement général de la numérisation (Vincent-Lancrin et González-Sancho, 2023[29]).
Certains exemples de personnalisation ci-dessus requièrent l’échange d’informations entre différents systèmes. La conservation des évaluations standardisées sur une plateforme différente de celle où sont stockées les données sur les élèves ne posera pas de problème si ces systèmes sont en mesure de communiquer et d’échanger facilement des informations entre eux. Dans le cas contraire, il est préférable de stocker toutes les informations au sein d’un même système (généralement le système d’information scolaire au niveau du système).
Au niveau systémique, l’interopérabilité requiert également l’adoption généralisée de normes communes, y compris des spécifications techniques des outils et applications informatiques, la définition des données et de l’ensemble des codes d’accès, ainsi que des modèles communs pour l’architecture du système. Dans certains cas, l’interopérabilité peut nécessiter une plus grande harmonisation des processus organisationnels et un cadre juridique favorable à des méthodes d’utilisation innovantes et légitimes des données sur l’éducation.
La transition d’un écosystème de données basé sur des technologies pédagogiques fragmenté à un écosystème interopérable doit s’appuyer sur plusieurs mesures politiques importantes. Il s’agit notamment de tenir compte des précédents systèmes utilisés (puisqu’à tout moment, un écosystème doit pouvoir faire fonctionner des technologies développées à différentes époques et basées sur des normes différentes), de sensibiliser davantage aux atouts de l’interopérabilité, de mettre en place une combinaison de mesures incitatives et obligatoires pour l’adoption de normes, de garantir la durabilité et la capacité d’adaptation à l’évolution des besoins et de tirer profit des initiatives internationales dans ce domaine.
Cet ouvrage présente de nombreuses initiatives intéressantes pour améliorer l’interopérabilité d’un système au niveau national. Il met également en lumière les progrès qui restent à faire à cet égard. S’il est difficile de se faire une idée précise en l’absence d’enquête représentative en milieu scolaire, il est certain que seule une minorité de pays disposent de règles imposant certaines normes d’interopérabilité (impliquant généralement un ou plusieurs systèmes de gestion administrative au niveau du système) ou exigeant un certain niveau d’interopérabilité sémantique pour les ressources numériques pédagogiques. De facto, dans moins d’un tiers des pays observés, les fonctionnaires signalent que la plupart des systèmes de gestion de l’apprentissage scolaire utilisés par les établissements sont interopérables avec les systèmes de gestion au niveau du système ou d’autres outils numériques au niveau de l’établissement. Il reste encore beaucoup de progrès à faire pour garantir une totale interopérabilité permettant un fonctionnement optimal d’un écosystème d’éducation numérique.
Si le recours à la réglementation pour garantir l’interopérabilité technique n’est pas forcément une bonne idée, il existe de plus en plus de solutions techniques permettant de faciliter l’interopérabilité. Les pouvoirs publics pourraient faire beaucoup plus pour encourager l’interopérabilité sémantique, que ce soit pour les données administratives ou les ressources pédagogiques numériques. Environ les deux tiers des pays et juridictions font des recommandations en matière de taxonomie des mots-clés (« tags ») pour classer les ressources pédagogiques, mais il reste des progrès à faire pour élaborer des normes internationales en matière de contenus (plutôt qu’en termes de type de ressources).
Une autre piste permettant d’obtenir le même résultat est de fusionner la plupart des systèmes numériques en un seul. Dans certains pays (notamment les plus petits), certains outils numériques intègrent de fait des fonctionnalités typiques d’un écosystème d’éducation numérique (le système d’information scolaire au niveau du système étant également un système de gestion de l’apprentissage, une plateforme de ressources numériques, etc.) Ces outils numériques sont généralement fournis directement par l’administration centrale. Ils ont l’avantage de faciliter le croisement des données et l’interopérabilité, mais peuvent présenter l’inconvénient de ne pas laisser de choix aux établissements, ni d’offrir d’incitation pour une industrie locale du numérique éducatif. Même s’il est légitime de penser qu’un système intégré facilite la gestion du point de vue de la protection des données puisque seules quelques personnes expérimentées peuvent s’en occuper, la vulnérabilité majeure d’une telle organisation réside dans la cybersécurité et la protection des données et de la vie privée (parce que toutes les données sont conservées au « même endroit »).
Gouvernance des données
Un mécanisme solide de protection des données et de la vie privée constitue un autre levier puissant de la transformation numérique, qui doit permettre de faire face à la fois aux risques objectifs que comporte cette transformation et de susciter la confiance dans l’utilisation des données et de l’IA dans l’éducation. Il est en effet indispensable que les données à caractère personnel puissent être traitées en toute confiance pour permettre un partage sûr et légitime des données, ce qui est une condition requise pour exploiter les possibilités qu’offre la numérisation. La protection des données et de la vie privée est une question complexe. Dans cet ouvrage, nous considérons deux dimensions comme évidentes, mais elles nécessitent des compétences techniques, une infrastructure et des connaissances humaines solides, ainsi qu’une vigilance sans faille afin de garantir que les données à caractère personnel sont bien protégées, notamment face au risque de piratage (cybersécurité), que les enfants et les élèves ne puissent pas être exposés à des contenus ou des interactions inappropriés dans le cadre de l’utilisation des ressources et outils publics en milieu scolaire (Hooft Graafland, 2018[30] ; Ronchi et Robinson, 2019[31]).
Nombre des grands avantages que procure la transformation numérique reposent sur la promesse de parcours éducatifs plus personnalisés et de création de bases de connaissances plus étoffées pour concevoir les politiques d’éducation et les pratiques pédagogiques. Cet objectif implique d’avoir recours au stockage des données en silos (si elles ont des identifiants communs). Pour tirer profit des avantages de l’éducation numérique, il est indispensable de pouvoir partager et mettre en lien les dossiers scolaires entre différents outils technologiques, mais cette interopérabilité des systèmes éducatifs et administratifs décuple les risques en matière de sécurité et de confidentialité.
Le droit et les réglementations concernant la protection des données et la confidentialité sont déterminants pour éviter toute atteinte à la vie privée ou tout usage abusif des données à caractère personnel. Tous les pays disposent aujourd’hui de réglementations pour protéger les données et la vie privée dans le domaine de l’éducation. La plupart de ceux qui ont mis en place des systèmes d'information longitudinaux ont également introduit des règlements pour la protection des données spécifiques à l’éducation. Un cadre de gestion du risque prenant en compte la diversité des utilisations des données personnelles en éducation, leurs avantages potentiels ainsi que les risques pour la vie privée qui y sont associés, semble plus à même de concilier les préoccupations légitimes concernant le respect de la vie privée et les avantages d'une utilisation des données sur l’éducation pour améliorer les résultats éducatifs.
Une étape importante dans la mise en place d’un tel cadre consiste à renoncer à éliminer totalement le risque lié à l'utilisation des données sur l’éducation. Dans la mesure où il existe un intérêt à conserver la valeur analytique des données collectées, les scénarios ne prévoyant aucun risque pour le respect de la vie privée ne sont pas réalistes. Un autre changement requis consiste à abandonner les contrôles en matière de respect de la vie privée au moment de la collecte des données et de leur transformation pour les renforcer lors de l’accès aux données, de leur partage et de leur utilisation. La protection de la vie privée devrait s'accompagner de stratégies complémentaires centrées sur les données et centrées sur la gouvernance ; les premières consistent à opérer un traitement des données avant de les partager ou de les diffuser, tandis que les stratégies centrées sur la gouvernance visent à limiter les interactions des dépositaires et des utilisateurs avec les données, à la fois en réglementant les conditions d'accès aux données et de leur utilisation tout en renforçant les connaissances et les capacités à gérer les risques en matière de vie privée. Si la plupart des pays ont publié des directives pour l’application de règles de protection des données et de la vie privée, très peu opèrent un réel suivi de leur mise en œuvre dans le milieu scolaire. Les pays organisent de plus en plus des campagnes de sensibilisation au respect de la vie privée et des programmes de formation pour renforcer les garde-fous humains et assurer la confidentialité des données personnelles. En Europe, par exemple, le règlement général pour la protection des données impose aux instances nationales chargées de la protection des données de mener des activités d'information à l'intention des responsables du traitement des données, des sous-traitants et des individus, notamment des enfants (article 57). L’offre de formation sur la sécurité des données et la vie privée peut également contribuer à mettre en place une culture du respect de la vie privée et des données et renforcer la confiance dans le partage des données.
Un nombre croissant de fournisseurs privés de service sont amenés à collecter des données sur les élèves et les enseignants au sein de l’éducation formelle. Leur traitement des données entre généralement dans le champ d’application des réglementations nationales en matière de données et de vie privée, qui sont assorties de restrictions particulières pour le traitement des données des enfants. L’un des aspects qui restent largement sous-estimés dans les politiques d’éducation actuelles est la possibilité de réutiliser et de partager certaines données collectées par des fournisseurs privés, comme c’est le cas de celles collectées par des organismes publics de l’éducation. De nombreux secteurs cherchent à encourager les entreprises à partager une partie des données qu’elles collectent (dans le respect des réglementations de protection des données) dans le but d’offrir des outils et ressources numériques plus attrayants et davantage de solutions innovantes. Une partie des informations collectées par les systèmes d’apprentissage adaptatif intéresse par exemple d’autres organismes et entreprises dans le but de développer plus rapidement de nouveaux types d’outils numériques pédagogiques et didactiques.
Gouvernance technologique
Les technologies avancées permettant d’accroître l’automatisation et la systématisation des décisions humaines, ainsi que de capturer un nombre croissant de données sensibles comme les données biométriques, la gouvernance technologique devient à elle seule un nouvel enjeu de taille. Elle consiste, par exemple, à imposer certaines obligations dans le cadre de l’utilisation des décisions automatisées, interdire certaines technologies ou certaines modalités d’utilisation, exiger de rendre publique l’utilisation de processus d’automatisation, et d’expliquer la façon dont fonctionnent les algorithmes ou qu’ils soient « libres d’accès » et qu’ils puissent faire l’objet d’un examen par des experts, etc.
En 2024, pratiquement aucun pays de l’OCDE ne dispose d’une réglementation applicable à l’utilisation des algorithmes ou d’autres technologies dans le secteur de l’éducation. Seule la France fait figure d’exception, car les algorithmes utilisés dans la prise de décision publique y sont soumis à des obligations de transparence et de redevabilité, et certaines utilisations y sont interdites en conditions normales. L’organisme chargé d’équiper les établissements d’outils et de ressources numériques est par exemple responsable des résultats produits, mais, en 2024, aucun pays n’a signalé recourir à l’automatisation sans supervision dans le secteur de l’éducation, encore moins concernant la prise de décisions à forts enjeux. L’émergence de l’intelligence artificielle générative a obligé les pays à publier des directives dans ce domaine ; deux pays ont des règles en attente d’adoption concernant leur utilisation dans l’éducation (la France et la Corée) (Vidal, Vincent-Lancrin et Yun, 2023[4]). L’Union européenne est également en passe d’adopter un règlement en matière d’IA visant à réguler l’utilisation des outils d’IA, interdire certains de ses usages ou en restreindre l’usage dans certains secteurs à « haut risque » comme l’éducation en les soumettant à des conditions particulières. La plupart des pays ont publié des directives en matière de technologies avancées, certains au cours de ces dernières années.
L’un des points communs de ces directives est la nécessité de garantir le maintien d’une présence humaine dans le processus. L’IA permettant d’accroître le recours à l’automatisation dans les prises de décision, il est indispensable de garantir que la décision finale revient aux humains et que le rôle de l’IA se limite à formuler des recommandations ou des propositions. Cet aspect est particulièrement important lorsque les outils d’IA en sont encore à la phase de perfectionnement, comme c’est le cas le plus souvent dans le secteur de l’éducation, même s’il existe des règles pour éviter les écueils. Ces règles impliquent également que des méthodes non numériques soient proposées lorsque cela est possible, à la fois à des fins d’inclusion, mais également pour permettre à ceux qui le souhaitent de ne pas y participer (si possible et approprié) (Vincent-Lancrin et González-Sancho, 2023[32]).
Le deuxième aspect de la gouvernance technologique consiste à éviter tout biais algorithmique, ce qui est particulièrement important dans l’éducation. On parle de biais algorithmique lorsqu'un algorithme fonctionne mieux pour certains groupes de la population ou les avantage plus que d'autres (en termes de sexe, de race, d'origine ethnique, de statut migratoire, etc.). Le potentiel de l’éducation numérique ne pourra pas être pleinement exploité si les algorithmes qui sous-tendent le processus de personnalisation de l’éducation reproduisent ou même aggravent les préjugés répandus dans la société et dans le monde. Les recherches menées sur les biais algorithmiques portent surtout sur le fonctionnement des modèles d’IA auprès de différents groupes sociaux, mais il existe d’autres formes de biais. Jusqu’à présent, la majeure partie de ces recherches ont été menées aux États-Unis, y compris celles concernant les algorithmes et les systèmes opérant en dehors du territoire américain. Elles ont mis au jour l’existence de biais algorithmiques basés sur plusieurs caractéristiques des élèves, mais on ne les comprend pas encore très bien en raison de la rareté des recherches internationales. Les responsables politiques devraient financer ce type de recherche à l’échelle internationale afin de comprendre les différentes dimensions de ce phénomène dans différents contextes. Enfin, ils devraient soutenir le développement de boîtes à outils qui permettraient d’identifier les biais à moindre coût. Le point essentiel à retenir est que la protection des données et de la vie privée doit tenir compte de la nécessité et de l’importance de collecter des données personnelles (et parfois sensibles) afin d'être en mesure de détecter (et donc de corriger) les biais algorithmiques et les pratiques technologiques injustes. Il existe diverses dispositions permettant d’atteindre cet objectif (Baker, Hawn et Lee, 2023[20]).
Marchés publics
Étant donné que les systèmes d’éducation sont principalement publics dans les pays de l’OCDE, la commande publique représente un levier très puissant pour inciter les fournisseurs commerciaux de produits et de services à se conformer à certaines règles ou lignes directrices. En 2021, les marchés publics du secteur de l’éducation représentaient en moyenne 10.7 % de l’ensemble des achats publics, soit 1.4 % du PIB dans les pays de l’OCDE. Ils représentent donc une part considérable du budget de l’État. Si la part que représentent les outils et ressources numériques dans les marchés publics de l’éducation n’est pas connue, les outils et appareils numériques sont, pour certains au moins, plus coûteux que le matériel pédagogique traditionnel comme les manuels. Le fait que ces achats soient négociés par un pouvoir adjudicateur unique constitue donc un avantage.
Les pays ont déjà recours à la passation de marchés publics comme levier politique pour édifier leur écosystème numérique et encourager la protection des données et la sécurité, l’interopérabilité, l’inclusivité et, dans une certaine mesure, son efficacité. Certains pays pourraient cependant avoir une approche plus volontariste à cet égard. Il existe de nombreuses façons, qui ne s’excluent pas mutuellement, de recourir à la passation de marchés publics. Dans la plupart des pays, les pouvoirs publics jouent un rôle dans la commande publique d’outils et de ressources numériques, que ce soit pour la gestion ou pour l’enseignement et l’apprentissage. Tous les pays font l’acquisition d’outils numériques de gestion au niveau du système. Certains pays procèdent à leurs achats publics principalement de façon centralisée (comme la Tchéquie, la Hongrie, la Corée et la Türkiye), tandis que d’autres laissent aux établissements le soin d’acheter la majeure partie des services et ressources pédagogiques numériques dont ils ont besoin (comme au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas). En France et en Nouvelle-Zélande, par contre, les achats publics combinent les deux approches. La commande publique centralisée garantit des conditions d’accès équitable à tous les établissements d’un pays ou d’une juridiction, un pouvoir de négociation plus important (en raison des économies d’échelle) et, en principe, la possibilité de s’appuyer sur de meilleures compétences techniques. La passation de marchés publics plus décentralisée permet cependant aux établissements (ou aux instances locales responsables de l’éducation) de choisir les outils et ressources numériques qui répondent le plus à leurs besoins, même si cela peut signifier des coûts plus élevés.
Pour les entreprises, la commande publique décentralisée est moins intéressante, car elle requiert une force de vente plus importante, rend le processus d’achat plus varié et complexe et offre moins de possibilités d’élargir leur offre. De plus, elle limite l’accès des petites entreprises à ce type de contrats. En même temps, l’attribution centralisée de contrats publics limite le nombre d’entreprises et les opportunités de pénétrer un marché. Ainsi, la combinaison de différentes approches peut représenter la meilleure solution, car elle permet aux pouvoirs publics d’équilibrer l’accès aux contrats tout en améliorant le rapport coût-efficacité, et de maîtriser la qualité des achats sur des fonds publics tout en créant des incitations commerciales pour les fournisseurs de technologies éducatives.
Sans être responsables de la décision finale d’achat, les pays et juridictions peuvent aider les établissements et les instances locales à mener leur procédure de passation de marchés publics grâce à plusieurs mécanismes (Graphique 1.7). Ainsi, dans 15 pays, les prix de certains outils sont négociés auprès des fabricants ; 9 autres proposent aux établissements de choisir des outils et des ressources dans une liste pré-autorisée, ce qui leur donne la possibilité de vérifier la qualité et l’efficacité de ces ressources s’ils le souhaitent ; enfin, dans 7 autres pays, l’autorisation est accordée au cas par cas, ce qui permet d’enrichir l’offre. En intégrant certains critères aux cahiers des charges des produits et services, les pouvoirs publics peuvent favoriser la mise en place d’un écosystème cohérent. En 2024, huit pays avaient intégré des critères prédéfinis aux achats publics d’outils et de ressources numériques, qui concernent généralement des aspects précis de cybersécurité et, plus rarement, d’interopérabilité et de durabilité environnementale (Vidal, 2023[33]).
Les pays peuvent imposer des règles plus strictes de mise sur le marché des outils d’éducation numérique, qui vont au-delà des exigences de protection des données et de cybersécurité. Ils peuvent par exemple exiger des tests d’efficacité, la vérification de l’absence de biais algorithmiques, imposer des critères d’interopérabilité pour certains outils, l’utilisation de taxonomie prédéfinies le cas échéant, etc. Cependant, la réglementation n’est pas toujours la meilleure solution, car il est nécessaire d’équilibrer l’imposition de règles et la création d’incitations commerciales pour favoriser le développement de ressources et outils numériques. Malgré l’importance de ce marché, l’éducation n’est pas toujours considérée comme un secteur rentable par les entreprises technologiques, qui ont plus tendance à cibler le marché des particuliers que le secteur formel.
Cocréation et relations multipartites
Les pouvoirs publics doivent répondre à l’exigence de maintenir des incitations commerciales sur ce marché pour garantir le développement de ressources et d’outils de haut niveau dans le secteur de l’éducation, mais ils doivent également garantir l’utilité, l’efficacité et la qualité de ces outils. Les acteurs traditionnels de l'éducation ne disposent pas souvent des compétences nécessaires au développement d’outils numériques en éducation. Ceux-ci sont généralement développés par des entreprises de technologies pédagogiques à but lucratif, parfois spécifiquement pour le secteur de l'éducation, la plupart du temps en adaptant à l'éducation des outils développés pour d'autres secteurs. Il est rare que les ministères de l’Éducation soutiennent directement les entreprises commerciales, bien que les technologies éducatives pourraient bénéficier de programmes d’innovation publics (par exemple pour les start-ups, la recherche et le développement expérimental). Si les pouvoirs publics qui soutiennent le secteur des technologies éducatives de leur pays au niveau du commerce international sont rares, beaucoup ont néanmoins engagé un dialogue avec les acteurs du secteur, par exemple, en soutenant des conférences autour de ces technologies. Par ailleurs, les instances responsables de l’éducation collaborent relativement peu avec les acteurs de l’éducation tels que les parents ou les élèves lorsqu'elles développent ou introduisent de nouveaux outils et ressources numériques.
Les spécialistes de l'éducation et de l'informatique, les entreprises de technologies éducatives et les pouvoirs publics travaillent souvent en vase clos, le corps enseignant participant peu à la conception et au développement des produits axés sur l’IA. Il faudrait donc élaborer de nouveaux modèles de recherche et développement de la technologie numérique pour changer la donne. Plusieurs modèles de recherche et de développement expérimental ont fait l’objet d’un soutien des pouvoirs publics qui cherchent à promouvoir l’implication des utilisateurs finaux ainsi qu’une approche transdisciplinaire du développement des outils et ressources numériques dans l’éducation (Molenaar et Sleegers, 2023[34]). L’un de ces modèles consiste à transposer l’approche linéaire à l’innovation : la recherche scientifique est traduite et adaptée à des fins de développement de produits et de débouchés commerciaux. Il existe de plus en plus d’initiatives impliquant les utilisateurs finaux, même s’ils ne sont pas toujours associés dès le début. Un autre modèle est axé sur le développement industriel afin d’aider les start-ups à améliorer des produits (propositions) en se fondant sur des connaissances scientifiques et de stimuler un écosystème favorable à la croissance des entreprises. Ce modèle fait appel à diverses activités de développement commercial, de l’aide au développement de prototypes, en passant par l’optimisation de produits dans plusieurs établissements et la diversification dans différentes branches de l’éducation, jusqu’à la validation de l’efficacité des produits en vue de favoriser le développement d’outils de ressources de technologies éducatives fondées sur des techniques éprouvées dans les établissements. D’autres modèles insistent davantage sur la collaboration internationale, par le biais de projets similaires dans plusieurs pays de façon coordonnée, ou sur les liens entre les enseignants et le développement professionnel.
Le laboratoire d’IA de l’éducation nationale (NOLAI) des Pays-Bas a, par exemple, débuté son processus de développement en interrogeant les professionnels de l’éducation sur leurs besoins, et y apporte ensuite une réponse technique en se fondant sur les connaissances scientifiques actuelles et les récentes évolutions industrielles. Par exemple, le projet intitulé « Happy readers » (heureux lecteurs) a été lancé à la suite d’une demande d’enseignants du primaire qui voulaient mieux suivre le processus d’acquisition des compétences techniques en lecture de leurs élèves. En se fondant sur les connaissances des chercheurs universitaires et des partenaires privés sur la recherche en matière de lecture et les capacités technologiques actuelles, comme les algorithmes de reconnaissance vocale automatisée, ce projet a permis de développer une nouvelle approche de l’apprentissage de la lecture améliorée par la technologie numérique.
Ces modèles de cocréation visent principalement à développer des outils et des ressources numériques en fonction des besoins et usages des enseignants et des apprenants, plutôt que selon ce qui est réalisable du point de vue technologique.
Organismes de soutien
Les pouvoirs publics ne devraient pas se limiter à financer ou à mettre en place de nouvelles entités de R&D pour encourager les partenariats multipartites dans le développement d’outils et de ressources numériques. En effet, l'un des défis que doivent relever ces derniers dans la mise en œuvre de leurs stratégies numériques réside dans la difficulté de s'assurer que le personnel possède les compétences numériques nécessaires à la gestion de l'infrastructure physique ainsi que les outils et ressources numériques pour la gestion, les connaissances pédagogiques générales inhérentes à l’utilisation des ressources et outils d'apprentissage numériques, et la capacité d'aider les enseignants à développer les compétences pédagogiques adéquates pour intégrer l'utilisation de ces outils et ressources à leurs pratiques d’enseignement. Ces exigences requièrent différents types d’expertise que ceux dont disposent habituellement les ministères nationaux et infranationaux de l’éducation, dans la mesure où elles nécessitent l’instauration de partenariats multipartites, ainsi que leur gestion et leur suivi.
Quelles leçons peut-on tirer des évolutions récentes en matière d’organismes de soutien mises en œuvre par les pays pour soutenir la transformation numérique de l’éducation ? Dellagnelo (2023[35]) a procédé à l’analyse des avantages et des inconvénients des différents modèles et a conclu que si la meilleure solution pouvait être de favoriser la transformation numérique en s'appuyant sur le ministère de l’Éducation dans certains pays, d’autres ont choisi de déléguer cette fonction à un organisme public (ou parfois privé), car cela leur laisse plus de souplesse pour réunir les compétences nécessaires. Le rôle que peuvent jouer ces organismes de soutien doit être adapté au contexte national, car il peut varier considérablement en fonction de la taille du pays, du degré de centralisation du système d’éducation et de l’existence d’acteurs publics et privés au sein de l’écosystème d’éducation numérique.
Pour pouvoir mettre en œuvre leur stratégie numérique, les pouvoirs publics doivent mettre en place la structure organisationnelle nécessaire, en mobilisant et en adaptant généralement des organismes ou entités déjà existants. Cependant, bien qu’il n’y ait pas de conclusion préétablie, ils peuvent également envisager de créer un organisme de soutien externe spécifique. Les exemples passés de tels organismes de soutien montrent que leur externalisation lors des premières phases comporte des avantages, et qu’ils peuvent ensuite être intégrés au ministère. Cependant, ce choix dépend des actions effectivement prévues dans le cadre de la stratégie numérique, ainsi que des compétences et capacités déjà existantes au sein du ministère de l’Éducation.
Suivi
Les pouvoirs publics commandent parfois des recherches sur l'éducation numérique à leurs universités ou font de l'éducation numérique une priorité manifeste de leur programme de recherche, mais il est frappant de constater que très peu de pays contrôlent et évaluent réellement leurs investissements dans les outils et les ressources d'éducation numérique. Les données sur l'infrastructure physique disponible dans les établissements font défaut, sans parler des informations sur l'utilisation des technologies numériques, que ce soit comme outil de gestion ou comme outil d'enseignement et d'apprentissage. Les pays ne disposent généralement pas non plus de données probantes pour évaluer l’efficacité de l’utilisation des technologies numériques au niveau du système, des établissements et des classes. Il est temps d’entreprendre des efforts dans ce domaine (OECD, 2023[36]).
Prochaines étapes de la transformation numérique
Copier le lien de Prochaines étapes de la transformation numériqueCette présentation des principales conclusions des Perspectives de l'OCDE sur l’éducation numérique 2023 montre que les pays ont accompli des progrès notables dans la numérisation de leurs systèmes d’éducation, mais en sont encore à une phase de transition, plutôt qu’à l’aube d’une réelle transformation numérique. La plupart des pays disposent aujourd’hui de systèmes d’information scolaire longitudinaux, qui servent principalement à produire des statistiques, ainsi que d’autres systèmes de gestion au niveau du système pour soutenir les processus éducatifs, comme des dispositifs de suivi de l'obligation d'assiduité scolaire, le passage au numérique de l’administration des examens (mais non les examens eux-mêmes), la numérisation des évaluations nationales, etc. Ils accompagnement ou assurent également la fourniture de ressources numériques d’enseignement et d’apprentissage par le biais de plateformes ou services d’assistance divers à la passation de marchés publics. De plus, ils encouragent l’utilisation d’outils et de ressources numériques en offrant des formations et un soutien directs aux acteurs de l’éducation, notamment en instaurant des normes de compétences pour les futurs enseignants en formation et en imposant l’acquisition de compétences numériques comme objectif transversal des programmes pédagogiques.
Cependant, la plupart d’entre eux n’exploitent pas encore pleinement le potentiel des outils numériques avancés. Très peu de ressources basées sur l’IA sont mises à disposition dans les classes et, dans presque tous les pays, seuls les générateurs de texte par l’IA sont utilisés par les élèves, que ce soit avec l’accord ou non de leurs enseignants, et ce même si ces outils n’ont pas été conçus à des fins pédagogiques. Les systèmes adaptatifs d’apprentissage, d’évaluation, d’orientation pédagogique et professionnelle et d’alerte précoce font globalement défaut dans la plupart des systèmes d’éducation de l’OCDE. Quels que soient les outils numériques basés sur l’IA, la transformation numérique implique la collecte d’une quantité importante de données à l’échelle du système d’éducation. Si ces données ont tendance à remonter au niveau national ou de la juridiction, il est assez facile de rendre ces informations accessibles aux enseignants, élèves ou familles.
Jusqu’à présent, la gouvernance de la transformation numérique a été axée sur la volonté d’éviter les risques éventuels (ou au moins certains) de l’éducation numérique, plutôt que de réaliser pleinement son potentiel. Les pays pourraient prendre un ensemble de mesures pour y parvenir. En plus d’avoir une meilleure connaissance des outils et ressources numériques éducatifs existants pouvant d’ores et déjà être utilisés au sein de leurs systèmes d’éducation, les pays devraient avoir pour objectif prioritaire d’améliorer progressivement leurs processus éducatifs :
1. Recenser les possibilités d’utilisation. Comment les solutions numériques peuvent-elles contribuer à réaliser certains objectifs de leur politique d’éducation ? Nous avons présenté dans ce chapitre des exemples d’utilisation pour prévenir le décrochage scolaire, mais il existe nombre d’autres objectifs éducatifs auxquels le numérique peut répondre. Quelles données doivent être collectées pour améliorer les interventions en vue d’atteindre ces objectifs ? Ces données sont-elles déjà collectées quelque part ? Comment faire pour qu’elles soient mises à la disposition des bonnes personnes au bon moment ?
2. Améliorer les systèmes d’information scolaire ou leur utilisation. Les pays qui ne disposent pas encore de système d’information longitudinal devraient envisager sa mise en place. Ces systèmes sont plus efficaces lorsque les établissements sont également équipés d’un système de gestion de l’apprentissage capable d’échanger automatiquement des informations avec les outils numériques au niveau du système. Si cette structure peut prendre différentes formes, l’un des meilleurs moyens d’améliorer leur utilisation est de restituer aux professionnels les informations collectées, dans un format qui facilite la réflexion et la prise de décision.
3. Lancer des initiatives pour renforcer l’interopérabilité de l’écosystème d’éducation numérique. Pour renforcer l’efficacité et l’utilisation d’un écosystème numérique, il est recommandé d’améliorer l’interopérabilité pour que les données n’aient pas à être saisies plusieurs fois et qu’elles puissent être réutilisées à des fins administratives comme éducatives (dans le respect des réglementations de protection des données et de la vie privée). Améliorer l’interopérabilité n’est pas une tâche facile, car les normes techniques dans le numérique évoluent en fonction de la recherche et du développement plutôt que dans une perspective administrative, il existe cependant des moyens plus faciles d’améliorer l’interopérabilité sémantique. Il s’agit également d’un processus progressif qui n’exige pas une interopérabilité totale entre les outils numériques d’un écosystème.
4. Utiliser les marchés publics comme levier politique. Les pays utilisent déjà les marchés publics comme levier politique dans le secteur de l’éducation. Cependant, les procédures de passation continuent à recourir à l’approche traditionnelle de décentralisation des responsabilités, comme si elles étaient gravées dans le marbre. Si la décentralisation ne constitue pas en soi un obstacle à l’interopérabilité, elle oblige à mettre en œuvre davantage d’initiatives législatives et organisationnelles. Les contraintes qui pèsent sur les fournisseurs de technologies éducatives doivent être rééquilibrées par la dynamique de l’offre. Les attentes et les exigences peuvent augmenter avec le temps, et la commande publique peut être utilisée pour garantir un niveau minimal de performances des outils et ressources numériques, l’absence de biais et le respect de critères environnementaux.
5. Équilibrer les besoins par la réglementation. Même si la réglementation n’est pas toujours la meilleure solution, elle reste un levier important de l’action publique. Les réglementations en matière de protection des données et de la vie privée, par exemple, sont primordiales, mais doivent cependant s’accompagner de mesures de communication et de formation destinées au personnel des établissements scolaires et des administrations, ainsi que d’une approche proactive dans leur mise en œuvre. Il est également important d’éviter que les mécanismes de protection de la vie privée ne favorisent indirectement les inégalités et les discriminations à l’égard de certaines catégories de la population en développant des techniques permettant de détecter et d’éliminer les biais algorithmiques, par exemple. Les réglementations applicables à la passation de marchés publics et autres mécanismes doivent également être compensées par des mesures destinées au secteur privé incitant au développement de ressources et d’outils numériques pour l’éducation.
En plus de ces leviers politiques permettant de répondre aux enjeux au niveau du système, le Secrétariat de l’OCDE et l’Internationale de l’Éducation, fédération syndicale rassemblant des enseignants et d’autres personnels de l’éducation du monde entier, ont développé conjointement une série d’orientations visant à soutenir l’adoption de l’IA et d’autres outils numériques dans l’éducation. Ces opportunités, orientations et garde-fous ont pour objectif de faciliter les échanges entre les institutions nationales, les instances locales responsables de l’éducation et le corps enseignant (OECD; Education International, 2023[37]). Encadré 1.1 expose ces orientations, qui complètent les leviers politiques présentés ci-dessus.
Les Perspectives sur l’éducation numérique 2023, et le document connexe Gouvernance nationale et écosystèmes d’éducation numérique (OECD, 2023[5]), présentent la première analyse comparative internationale des pratiques et politiques des différents pays. Ces documents constituent une base de référence pour les travaux internationaux et présentent des exemples dont les pays peuvent s’inspirer mutuellement. Les travaux internationaux sont susceptibles de créer une dynamique visant à accélérer la réalisation d’une transformation numérique efficace et équitable.
Encadré 1.1. Opportunités, orientations et garde-fous pour une utilisation efficace et équitable de l'IA dans l’éducation
Copier le lien de Encadré 1.1. Opportunités, orientations et garde-fous pour une utilisation efficace et équitable de l'IA dans l’éducationLe chapitre « Opportunités, orientations et garde-fous pour une utilisation efficace et équitable de l'IA dans l’éducation » expose les travaux conjoints du Secrétariat de l’OCDE et de l’Internationale de l’Éducation concernant les évolutions et l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) et de l’éducation numérique. Cet encadré en présente les grandes lignes.
1. Égalité d’accès à une connexion abordable et de haute qualité. Les juridictions responsables de l’éducation devraient mettre en place des infrastructures numériques pour l’apprentissage au niveau du système qui soient accessibles à tous les apprenants et professionnels de l’éducation en milieu scolaire et extrascolaire. Ces infrastructures physiques stratégiques devraient permettre une transition rapide et équitable vers un apprentissage à distance le cas échéant.
2. Égalité d’accès et d’utilisation des ressources numériques d’apprentissage. Les juridictions responsables de l’éducation devraient offrir aux enseignants et aux élèves un ensemble de ressources numériques d’apprentissage de qualité, accessibles à l’école et à la maison. Les enseignants devraient pouvoir les utiliser quand ils le souhaitent dans le cadre des politiques de l’établissement et de la juridiction. Les juridictions devraient établir des directives relatives aux usages prévus, en consultation avec les enseignants et autres acteurs de l’éducation, afin que tous les apprenants, y compris les professionnels, bénéficient des mêmes possibilités de développer leurs compétences numériques. Ces infrastructures immatérielles, c’est-à-dire les ressources et outils pédagogiques numériques, pourraient offrir les conditions nécessaires à une transition rapide et équitable vers un apprentissage à distance le cas échéant.
3. Capacité d’agir des enseignants et formation professionnelle. Les usages pédagogiques et critiques des ressources numériques actualisées devraient devenir une partie intégrante des compétences professionnelles des enseignants, chefs d’établissement et autres professionnels de l’éducation, à la fois au niveau de la formation initiale, mais également dans le cadre des offres de formation continue et de collaboration professionnelle. La reconnaissance de l’importance de la capacité d’agir, de l’efficacité et de l’aptitude à diriger des enseignants est un élément clé pour leur donner les moyens d’utiliser de façon critique les ressources numériques pédagogiques et d’imaginer des scénarios d’apprentissage enrichissants.
4. Bien-être des élèves et des enseignants. L’utilisation et le développement des technologies basées sur l’IA impliquent une meilleure prise en compte des questions de bien-être et de santé mentale des enseignants et des apprenants, notamment en gardant à l’esprit la nécessité de trouver un bon équilibre entre les activités numériques et non numériques. Il faudrait élaborer, en partenariat avec les enseignants et leurs organisations professionnelles, des orientations éthiques relatives aux communications numériques qui mettent en avant la nature sociale et relationnelle de l’apprentissage impliquant des interactions humaines.
5. Cocréation d’outils pédagogiques numériques basés sur l’IA. Les juridictions devraient encourager l’implication des enseignants, apprenants et autres utilisateurs finaux en tant que co-concepteurs dans le processus de recherche et de développement technologique afin de garantir l’utilité et l’utilisation des outils numériques basés sur l’IA. Un écosystème propice à l’innovation, qui stimule une culture de l’amélioration permanente, devrait donner la possibilité aux développeurs d’expérimenter certains outils avec l’aide des enseignants et des élèves.
6. Innovation maîtrisée au service de la recherche et de la cocréation d’éléments probants. Les juridictions devraient favoriser la recherche portant sur les usages efficaces des outils numériques dans l’éducation, y compris les projets de recherche orientés vers la pratique, qui offrent aux enseignants la possibilité d’innover dans la salle de classe et de concevoir de nouveaux usages technologiques en partenariat avec les chercheurs pour mesurer et observer les conditions réelles dans lesquelles les solutions technologiques fonctionnent et qui peut en bénéficier. Les projets dirigés par des chercheurs peuvent mettre en lumière les usages les plus efficaces des technologies basées sur l’IA. En principe, la transformation numérique permet des boucles de rétroaction et d’amélioration plus rapides, ce dont les systèmes d’éducation devraient bénéficier grâce à une approche active axée sur la recherche.
7. Éthique, sécurité et protection des données. Les politiques de protection des données devraient garantir que la collecte des données contribue à assurer la sécurité de façon à la fois efficace et équitable au sein de l’éducation, tout en protégeant la vie privée des élèves et des enseignants. Les juridictions responsables de l’éducation doivent communiquer aux établissements et aux enseignants des directives claires en matière de protection des données et éventuellement fournir des modèles de contrats ou d’orientations applicables aux solutions commerciales. Elles devraient s’assurer que des tests sont effectués pour vérifier la sécurité et l’absence de biais algorithmiques, et que ces aspects sont pris en compte dans leurs politiques. Des directives éthiques claires devraient également être définies. L’utilisation éthique des données relatives aux enseignants devrait être négociée avec eux et leurs représentants dans le cadre des conventions collectives.
8. Transparence, redevabilité et négociation. Lorsque des outils numériques basés sur des technologies avancées sont utilisés pour des étapes de la scolarité dont les enjeux sont élevés pour les élèves, les enseignants ou les établissements d’enseignement, comme les évaluations sous forme numérique, les juridictions responsables de l’éducation devraient être transparentes concernant les objectifs et les procédures sur lesquels se fondent les recommandations formulées par les algorithmes. Ainsi, le recours à des outils numériques à forts enjeux devrait faire l’objet de discussions et de négociations avec l’ensemble des acteurs de l’éducation.
9. Assistance et alternative humaines. Étant donné que les outils numériques basés sur l’IA vont entraîner un accroissement des processus automatisés dans les procédures éducatives, c’est-à-dire les pratiques administratives comme pédagogiques, les juridictions devraient s’assurer que les apprenants, les enseignants et autres acteurs de l’éducation peuvent bénéficier d’une assistance humaine lorsqu’ils en ont besoin et, si nécessaire, d’une solution humaine alternative à utilisation de l’outil d’IA.
Remarque : cet encadré est une synthèse du texte intégral qui se trouve au chapitre 16 de cet ouvrage.
Source : OCDE et Internationale de l’Éducation.
Références
[20] Baker, R., A. Hawn et S. Lee (2023), « Algorithmic bias: the state of the situation and policy recommendations », dans OECD Digital Education Outlook 2023. Towards an Effective Digital Education Ecosystem, OECD Publishing, https://doi.org/10.1787/c74f03de-en.
[6] Belpaeme, T. et F. Tanaka (2021), « Social Robots as educators », dans OECD Digital Education Outlook 2021 : Pushing the Frontiers with Artificial Intelligence, Blockchain and Robots, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/1c3b1d56-en.
[7] Bowers, A. (2021), « Early Warning systems and indicators of dropping out of upper secondary school: the emerging role of digital technologies », dans OECD, Digital Education Outlook : Pushing the frontiers with AI, blockchain, and robots, OECD Publishing.
[14] Bowers, A. et R. Sprott (2012), « Examining the multiple trajectories associated with dropping out of high school: a growth mixture model analysis », The Journal of Educational Research, vol. 105/3, pp. 176-195.
[21] Cuban, L. (1986), Teachers and Machines: The Classroom of Technology Since 1920, Teachers College Press.
[18] D’Mello, S. (2021), « Improving Student Engagement in and with Digital Learning Technologies », dans OECD, Digital Education Outlook : Pushing the frontiers with AI, blockchain, and robots, OECD Publishing.
[35] Dellagnelo, L. (2023), « The role of support organisations in implementing digital education policies », dans OECD Digital Education Outlook 2023. Towards an Effective Digital Education Ecosystem, OECD Publishing, https://doi.org/10.1787/c74f03de-en.
[10] Dillenbourg, P. (2021), « Classroom analytics: Zooming out from a pupil to a classroom », dans OECD Digital Education Outlook 2021 : Pushing the Frontiers with Artificial Intelligence, Blockchain and Robots, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/336f4ebf-en.
[28] Foster, N. (2023), « Teacher digital competences: formal approaches to their development », dans OECD Digital Education Outlook 2023. Towards an Effective Digital Education Ecosystem, OECD Publishing, https://doi.org/10.1787/c74f03de-en.
[16] Fragoso, T. (2023), « Hardware: the provision of connectivity and digital devices », dans OECD Digital Education Outlook 2023. Towards an Effective Digital Education Ecosystem, OECD Publishing, https://doi.org/10.1787/c74f03de-en.
[30] Hooft Graafland, J. (2018), « New technologies and 21st century children: Recent trends and outcomes », OECD Education Working Papers, n° 179, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/e071a505-en.
[34] Molenaar, I. et P. Sleegers (2023), Multi-stakeholder collaboration and co-creation: towards responsible application of AI in education, OECD Publishing, https://doi.org/10.1787/c74f03de-en.
[8] Murphy, R., J. Roschelle, M. Feng, and C. A. Mason (2020), « Investigating Efficacy, Moderator, and Mediators for an Online Mathematics Homework Intervention », Journal of Research on Educational Effectiveness, vol. 13/2, https://doi.org/10.1080/19345747.2019.1710885.
[19] O’Neil, C. (2016), Weapons of math destruction: how big data increases inequality and threatens democracy, Crown Publishing.
[5] OECD (2023), Country Digital Education Ecosystems and Governance. A companion to Digital Education Outlook 2023, OECD Publishing, https://doi.org/10.1787/906134d4-en.
[24] OECD (2023), « Human resource policies for digital education », dans Shaping Digital Education : Enabling Factors for Quality, Equity and Efficiency, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/c7e31038-en.
[36] OECD (2023), Shaping Digital Education: Enabling Factors for Quality, Equity and Efficiency, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/bac4dc9f-en.
[2] OECD (2022), Education at a Glance 2022: OECD Indicators, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/3197152b-en.
[1] OECD (2021), OECD Digital Education Outlook 2021: Pushing the Frontiers with Artificial Intelligence, Blockchain and Robots, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/589b283f-en.
[11] OECD (2020), « The OECD Digital Government Policy Framework: Six dimensions of a Digital Government », OECD Public Governance Policy Papers, n° 02, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/f64fed2a-en.
[13] OECD (2019), « Using digital technologies to improve the design and enforcement of public policies », OECD Digital Economy Papers, n° 274, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/99b9ba70-en.
[37] OECD; Education International (2023), « Opportunities, guidelines and guardrails for effective and equitable use of AI in education », dans OECD Digital Education Outlook 2023. Towards an Effective Digital Education Ecosystem, OECD Publishing, https://doi.org/10.1787/c74f03de-en.
[22] Reich, J. (2020), Failure to Disrupt: Why Technology Alone Can’t Transform Education, Harvard University Press.
[31] Ronchi, E. et L. Robinson (2019), « Child protection online », dans Burns, T. et F. Gottschalk (dir. pub.), Educating 21st Century Children : Emotional Well-being in the Digital Age, OECD Publishing, https://doi.org/10.1787/b7f33425-en.
[9] Roschelle, J., M. Feng, R. Murphy, and C. A. Mason (2016), « Online Mathematics Homework Increases Student Achievement », AERA Open 2, vol. 4, https://doi.org/10.1177/2332858416673968.
[12] Smolenski, N. (2021), « Blockchain for Education: A New Credentialing Ecosystem », dans OECD Digital Education Outlook 2021 : Pushing the Frontiers with Artificial Intelligence, Blockchain and Robots, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/6893d95a-en.
[15] Thorn, W. et S. Vincent-Lancrin (2021), Schooling During a Pandemic: The Experience and Outcomes of Schoolchildren During the First Round of COVID-19 Lockdowns, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/1c78681e-en.
[26] Vidal, Q. (2023), « Digital assessment », dans OECD Digital Education Outlook. Towards an Effective Digital Education Ecosystem, OECD Publishing, https://doi.org/10.1787/c74f03de-en.
[33] Vidal, Q. (2023), « Public procurement: shaping digital education ecosystems », dans OECD Digital Education Outlook 2023. Towards an Effective Digital Education Ecosystem, OECD Publishing, https://doi.org/10.1787/c74f03de-en.
[4] Vidal, Q., S. Vincent-Lancrin et H. Yun (2023), « Emerging governance of generative AI in education », dans OECD Digital Education Outlook 2023. Towards an Effective Digital Education Ecosystem, OECD Publishing, https://doi.org/10.1787/c74f03de-en.
[25] Vincent-Lancrin, S. (2023), « Learning management systems and other digital tools for system and institutional management », dans OECD Digital Education Outlook 2023. Towards an Effective Digital Education Ecosystem, OECD Publishing, https://doi.org/10.1787/c74f03de-en.
[3] Vincent-Lancrin, S. (2022), How Learning Continued during the COVID-19 Pandemic: Global Lessons from Initiatives to Support Learners and Teachers, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/bbeca162-en.
[32] Vincent-Lancrin, S. et C. González-Sancho (2023), « Data and technology governance: fostering trust in the use of data », dans OECD Digital Education Outlook 2023. Towards an Effective Digital Education Ecosystem, OECD Publishing, https://doi.org/10.1787/c74f03de-en.
[17] Vincent-Lancrin, S. et C. González-Sancho (2023), « Education and student information systems », dans OECD Digital Education Outlook 2023. Towards an Effective Digital Education Ecosystem, OECD Publishing, https://doi.org/10.1787/c74f03de-en.
[29] Vincent-Lancrin, S. et C. González-Sancho (2023), « Interoperability: unifying and maximising data reuse within digital education ecosystems », dans OECD Digital Education Outlook 2023. Towards an Effective Digital Education Ecosystem, OECD Publishing, https://doi.org/10.1787/c74f03de-en.
[23] Vincent-Lancrin, S. et al. (2019), Measuring Innovation in Education 2019: What Has Changed in the Classroom?, Educational Research and Innovation, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264311671-en.
[27] Yu, J., Q. Vidal et S. Vincent-Lancrin (2023), « Digital teaching and learning resources », dans OECD Digital Education Outlook 2023. Towards an Effective Digital Education Ecosystem, OECD Publishing, https://doi.org/10.1787/c74f03de-en.