Xiaoyun Li
Faculté des sciences humaines et des études de développement, Université agricole de Chine
Chuanhong Zhang
Faculté des sciences humaines et des études de développement, Université agricole de Chine
Xiaoyun Li
Faculté des sciences humaines et des études de développement, Université agricole de Chine
Chuanhong Zhang
Faculté des sciences humaines et des études de développement, Université agricole de Chine
Alors que les crises mondiales freinent ou inversent déjà les progrès accomplis en matière de réduction de la pauvreté dans le monde, le défi aujourd’hui est non seulement de redoubler d’efforts pour atteindre les objectifs de lutte contre la pauvreté, mais aussi de préserver les acquis. Le présent chapitre présente les enseignements tirés de la baisse spectaculaire du nombre de personnes vivant dans la pauvreté, observée sur une période de 40 ans, en mettant l’accent sur les politiques et les stratégies efficaces. Il commence par un examen de la transformation économique de la Chine en faveur des pauvres, avant d’examiner sa politique de développement qui a offert de nouvelles possibilités d’emploi en dehors du secteur agricole aux populations rurales pauvres. Il examine l’importance de la cohérence des politiques et des capacités institutionnelles pour continuer de mettre l’accent sur la réduction de la pauvreté et la suppression des obstacles structurels grâce à des systèmes de protection sociale étendus. Il se termine par une section consacrée au partage des connaissances dans le cadre de la coopération Sud-Sud, qui présente un exemple de projet de réduction de la pauvreté au niveau des villages mis en œuvre en République-Unie de Tanzanie.
La transformation économique des zones rurales de la Chine et les stratégies de développement ont permis à 770 millions de personnes de sortir de la pauvreté depuis 1978 et a été à l’origine de près des trois quarts de la réduction globale de la pauvreté à l’échelle mondiale depuis 1980. En 2021, la Chine a annoncé avoir éradiqué l’extrême pauvreté dans le pays.
L’expérience de la Chine en matière de lutte contre la pauvreté rurale est mise à profit dans le cadre de la coopération Sud-Sud engagée par le pays en Afrique et d’autres projets menés dans des pays d’Asie.
Le succès de la Chine dans la lutte contre la pauvreté a reposé principalement sur trois piliers : 1) l’accroissement du revenu des ménages ruraux en favorisant la croissance des emplois non agricoles et de l’industrie ; 2) l’accroissement de la productivité agricole ; et 3) l’investissement dans les infrastructures rurales.
La croissance et la transformation rapides de l’économie contribuent également à la réduction des inégalités de revenu. Parallèlement à un système de protection sociale étendu et à des politiques ciblées en faveur des pauvres, la croissance et la transformation de l’économie ont aidé ces derniers à devenir autonomes et à surmonter les obstacles à leur participation à l’activité économique.
Les crises successives de ces dernières années ont mis fin à 30 années de progrès constants dans la réduction de la pauvreté dans le monde. De 1990 à la veille de la pandémie de COVID-19, la part de la population mondiale vivant dans la pauvreté (avec un revenu inférieur ou égal à 1.90 USD par jour) est passée de 36 % à 10 % (Kharas et Dooley, 2022[1]). En 2024, des crises multiples – COVID-19, changement climatique, conflits de grande ampleur et tensions géopolitiques, entre autres – ont inversé la tendance. Le défi aujourd’hui n’est pas seulement de réduire la pauvreté, mais aussi de préserver les acquis. L’expérience de la Chine, qui a réussi à réduire considérablement la pauvreté au cours des quatre dernières décennies, offre de nombreux exemples de stratégies qui ont fonctionné.
La Chine est à la pointe de la lutte contre la pauvreté. Elle a contribué à près de 75 % de la réduction de l’extrême pauvreté à l’échelle mondiale entre 1981 et 2017 et a permis à 770 millions de personnes de sortir de la pauvreté depuis 1978. En 2021, la Chine a annoncé avoir éradiqué l’extrême pauvreté dans le pays (Banque mondiale, 2022[2]). Et même au cours des dernières années, lorsque des personnes vulnérables sont retombées dans la pauvreté dans de nombreuses régions du monde en raison de la récession économique provoquée par la pandémie, la Chine semble avoir évité un tel écueil (Roser et Arriagada, 2024[3]). La rapidité et l’ampleur sans précédent de la réduction de la pauvreté en Chine peuvent offrir des enseignements importants et des stratégies éprouvées à d’autres pays en développement et à la communauté internationale du développement. En outre, en tant que premier fournisseur de coopération Sud-Sud pour le développement (PNUD, 2016[4]), la Chine joue un rôle actif de premier plan dans les initiatives mondiales de réduction de la pauvreté, en s’appuyant sur sa propre expérience.
La transformation économique structurelle en faveur des pauvres a joué un rôle essentiel dans la croissance économique rapide et soutenue de la Chine, augmentant considérablement les revenus des pauvres et de la population dans son ensemble. La politique de réforme et d’ouverture introduite en 1978 a marqué le début de la transition d’une économie planifiée à une économie de marché, jetant les bases institutionnelles de l’expansion économique du pays. Elle a également élaboré des stratégies et des pratiques qui visaient à prévenir le creusement des inégalités dû à la croissance économique rapide en apportant un soutien considérable au développement agricole et rural à partir du début des années 2000. La Chine a totalement supprimé la taxe agricole depuis 2006 et lancé une campagne de construction dans les zones rurales au cours de la même période. Depuis 2004, vingt-deux « documents n° 1 »1 ont été publiés chaque année pour fournir des orientations stratégiques sur le développement agricole et rural et accroître les revenus des agriculteurs.
Une caractéristique distinctive de la croissance économique de la Chine par rapport à celle d’autres pays en développement est l’augmentation rapide du revenu des ménages ruraux. La pauvreté était largement concentrée dans les zones rurales dans les années 70, et plus des quatre cinquièmes de la population rurale totale vivait dans la pauvreté. L’augmentation des revenus agricoles, qui résulte principalement de l’accroissement de la productivité agricole au cours des premières années de l’ouverture et, plus tard, de l’expansion des secteurs non agricoles dans les zones rurales et urbaines, a contribué à réduire la pauvreté jusqu’en 2007. Les revenus réels par unité de travail dans le secteur agricole ont augmenté de 8 % par an entre 1988 et 1995, et une grande majorité de la main-d’œuvre rurale (plus de quatre travailleurs sur cinq) a continué à travailler dans l’agriculture (Banque mondiale, 2022[2]).
L’augmentation des revenus agricoles, qui résulte principalement de l’accroissement de la productivité agricole au cours des premières années de l’ouverture et, plus tard, de l’expansion des secteurs non agricoles dans les zones rurales et urbaines, a contribué à réduire la pauvreté jusqu’en 2007.
L’emploi dans les entreprises de bourgs et de villages (EBV), conjugué à l’exode rural vers les zones urbaines, a encore accru le revenu des ménages ruraux, contribuant à faire reculer durablement la pauvreté rurale. Les EBV ont joué un rôle particulièrement important (Encadré 10.1). Ces entreprises, généralement de l’industrie légère à forte intensité de main-d’œuvre peu qualifiée, ont fourni une autre source d’emploi local aux travailleurs agricoles qui ont été licenciés en conséquence de l’augmentation de la productivité agricole, permettant à ces derniers de continuer à gagner leur vie dans leurs villages ruraux. Les EBV ont contribué de manière importante au développement des infrastructures et des technologies dans les zones rurales et dans l’ensemble du secteur agricole chinois. Grâce à son processus particulier de modernisation – l’urbanisation de l’intérieur – la Chine a pu éviter la pauvreté urbaine à grande échelle.
Les entreprises de bourgs et de villages (EBV) sont nées des entreprises communautaires (shedui qiye) qui existaient avant la politique de réforme et d’ouverture de 1978. À l’époque, la valeur de leur production ne représentait que 37 % de la production agricole totale. En 1987, la production des entreprises de bourgs et de villages dépassait la production agricole totale, signe d’un changement structurel important en cours dans l’économie rurale de la Chine. En 2008, les EBV représentaient 71.2 % de la valeur ajoutée de la société rurale, et le nombre de salariés des EBV est passé de 28 millions en 1978 (9.2 % des travailleurs ruraux) à 154 millions en 2008 (29.3 % des travailleurs ruraux). En outre, entre 1978 et 2008, le revenu mensuel moyen des agriculteurs travaillant dans les EBV a été multiplié par plus de 150, passant de 10.74 CNY (yuans) en 1978 à 1 666 CNY en 2008, ce qui a entraîné une forte baisse du taux de pauvreté rurale parmi les travailleurs des EBV. Au cours de ces 30 années, les EBV ont contribué à hauteur de 433 milliards CNY au développement de la chaîne de valeur agricole.
Source : Ministère chinois de l’Agriculture (2009[5]), 60e anniversaire de la fondation de la nouvelle Chine : Réalisations dans le développement des entreprises de bourgs, https://www.moa.gov.cn/ztzl/xzgnylsn/gd_1/200909/t20090918_1353912.htm.
Pour pérenniser les progrès accomplis en matière de réduction de la pauvreté, la cohérence des politiques et une forte mobilisation des capacités des pouvoirs publics sont nécessaires. À cet égard, les stratégies et politiques nationales de la Chine ont longtemps donné la priorité aux « trois questions » (sannong wenti) des populations rurales, de la société rurale et de la production rurale. De 1982 à 1986, la politique et les programmes de développement agricole et rural2 ont été axés sur les problèmes liés à la réforme foncière, au développement de l’industrie et des services dans les zones rurales, à l’achat de céréales et aux relations entre zones rurales et zones urbaines – le tout dans le but d’améliorer les revenus et les moyens de subsistance des agriculteurs (Central Committee of China, 1982[6]). Depuis 2004, les plans ruraux annuels sont axés sur la réduction des écarts de revenu entre les zones rurales et les zones urbaines, l’accent étant mis sur l’investissement, la technologie et l’innovation agricoles, le développement vert et la construction rurale, et la sécurité alimentaire (Ministère de l’Agriculture, Chine, 2004[7]). L’un des objectifs spécifiques de la Stratégie de revitalisation rurale lancée en 2017 est de consolider et de pérenniser les progrès accomplis en matière de réduction de la pauvreté grâce à la modernisation de la production et au développement rural.
Le développement des systèmes de protection sociale et des politiques ciblées en faveur des pauvres ont contribué à lever les obstacles structurels et à rendre le développement économique du pays plus inclusif en renforçant la capacité et l’aptitude des populations pauvres à participer aux activités économiques. Les systèmes de protection sociale de la Chine comprennent l’assurance sociale, l’aide sociale, l’indemnisation et le traitement préférentiel, ainsi que les mutuelles, entre autres services. En mars 2021, 1.36 milliard de personnes étaient couvertes par le système de soins médicaux de base et plus de 350 millions par le système de protection sociale. Les politiques ciblées de réduction de la pauvreté mises en place en 2012 – comme les régimes de retraite dans les zones rurales et l’élargissement de la couverture sanitaire universelle à celles-ci – se sont également révélées efficaces et ont contribué à sortir 100 millions de personnes de la pauvreté au cours des huit premières années (Banque mondiale, 2022[2]). Les réformes dans ces domaines ont été progressives, ce qui a aidé les entreprises et la population à s’adapter aux changements.
La réduction régulière de la pauvreté dans le monde avant la pandémie de COVID-19 peut en grande partie être attribuée aux progrès durables en matière économique et en matière de développement réalisés par les marchés émergents et les économies en développement. Le succès de la Chine laisse à penser que des investissements dans la transformation économique et la protection sociale peuvent rendre ces réalisations durables. L’objectif premier de ces politiques est d’aider à exploiter le potentiel des régions touchées par la pauvreté et celui des personnes vivant dans la pauvreté, plutôt que de les considérer comme incapables d’autonomie. Cette expérience de la réduction de la pauvreté, et en particulier de la pauvreté rurale, offre des enseignements qui pourraient être partagés avec d’autres pays en développement qui sont confrontés à certaines des difficultés que la Chine a surmontées.
Deux grands enseignements peuvent être tirés :
1. Le succès peut être durable lorsque les pauvres ont la capacité d’être autosuffisants. Les politiques qui encouragent la participation des populations pauvres à l’activité économique garantissent que ces dernières sont les bénéficiaires du développement économique. La politique chinoise ne s’appuie pas sur des subventions directes ou des transferts monétaires aux pauvres : elle s’attache à encourager les individus à améliorer leurs moyens de subsistance.
2. Conjuguer efficience des marchés libres et efficacité de l’administration. Le marché a joué un rôle important dans la mise en place de stratégies de réduction de la pauvreté. Au cours des quatre dernières décennies de réforme et d’ouverture, la Chine a grandement bénéficié du libre jeu des mécanismes des marchés, en Chine comme dans le monde. Les mécanismes qui reflètent les lois du marché ont apporté une contribution fondamentale au développement des zones côtières.
Le succès de la Chine laisse à penser que des investissements dans la transformation économique et la protection sociale peuvent rendre ces réalisations durables.
La Chine s’est engagée à lutter contre la pauvreté dans le monde en s’appuyant sur la coopération internationale pour le développement. Dans le cadre de la coopération Sud-Sud, cette expérience est considérée comme une référence utile par d’autres pays en développement ayant une histoire et des trajectoires de développement similaires. D’autres fournisseurs testent également la faisabilité de l’approche de la Chine en matière de réduction de la pauvreté dans le cadre de leur coopération au développement, souvent en réponse à des demandes des gouvernements des pays partenaires. Des projets de réduction de la pauvreté au niveau des villages ont par exemple été mis en œuvre par l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est ainsi qu’en Afrique, comme indiqué dans l’Encadré 10.2.
Depuis 2011, une équipe de l’Université agricole de Chine travaille avec les autorités locales et une université agricole locale de la région de Morogoro en République‑Unie de Tanzanie pour accroître la productivité agricole et aider les petits exploitants agricoles à sortir de la pauvreté en utilisant des stratégies peu coûteuses qui ont été employées avec succès dans la Chine rurale. Exemple de coopération Sud-Sud efficace, le projet a bénéficié de l’expertise chinoise et des connaissances liées au contexte des parties prenantes locales.
Le projet visait à fournir des technologies simples, peu coûteuses et à forte intensité de main-d’œuvre aux agriculteurs pauvres qui ne disposaient pas de capitaux suffisants pour pouvoir utiliser des technologies et des méthodes plus sophistiquées. Il aide les agriculteurs à préparer les terres en vue de leur plantation, à utiliser des semences améliorées et à accroître la densité des plantes au moyen de l’éclaircissage, du désherbage et des cultures intercalaires. Grâce à ce projet, la production de maïs a doublé, voire parfois triplé, par rapport aux niveaux précédents, et les revenus des agriculteurs ont également doublé. Les cultures intercalaires de maïs et de soja ont permis de préserver la fertilité des sols, et la population locale a pu commencer à transformer la culture de soja en lait de soja. Le projet a ainsi contribué à la sécurité alimentaire et à une meilleure nutrition et a permis à de nouvelles petites entreprises de se créer dans le village, notamment des entreprises de transformation du lait de soja et des magasins de vente de lait de soja.
L’approche testée en Tanzanie s’inspire des pratiques utilisées dans les zones rurales de Chine dans les années 1970, lorsque les pouvoirs publics, ne disposant pas des infrastructures ni des capacités nécessaires pour investir des capitaux importants, ont réussi à accroître la productivité agricole en déployant à la place des technologies simples et à faible coût.
Source : Bureau des Nations Unies pour la coopération Sud-Sud (2021[8]), South-South in Action: China-Tanzania Cooperation through Agriculture and Poverty Reduction Partnerships, https://www.southsouth-galaxy.org/action/south-south-in-action-china-tanzania-cooperation-through-agriculture-and-poverty-reduction-partnerships.
[2] Banque mondiale (2022), Four Decades of Poverty Reduction in China: Drivers, Insights for the World, and the Way Ahead, Banque mondiale, https://doi.org/10.1596/978-1-4648-1877-6.
[8] Bureau des Nations Unies pour la coopération Sud-Sud (2021), Sud-Sud en action : coopération Chine-Tanzanie à travers des partenariats agricoles et de réduction de la pauvreté, Nations Unies, http://southsouth-galaxy.org/action/south-south-in-action-china-tanzania-cooperation-through-agriculture-and-poverty-reduction-partnerships/.
[6] Central Committee of China (1982), Central Document No. 1 of 1982: Minutes of the National Rural Work Conference Approved and Forwarded by the Central Committee of the Communist Party of China on January 1, 1982, https://www.crnews.net/zt/jj2023nzyyhwj/lnyhwj/952987_20230219022148.html.
[5] China Ministry of Agriculture (2009), 60th Anniversary of the Founding of New China: Achievements in the Development of Township Enterprises, https://www.moa.gov.cn/ztzl/xzgnylsn/gd_1/200909/t20090918_1353912.htm.
[1] Kharas, H. et M. Dooley (2022), The evolution of global poverty, 1990-2030, https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2022/02/Evolution-of-global-poverty.pdf.
[7] Ministère de l’Agriculture, Chine (2004), Central Document No. 1 of 2004: Opinions of the CPC Central Committee and the State Council on Several Policies to Promote Farmers’ Income Increase, https://www.moa.gov.cn/ztzl/yhwj/wjhg/201202/t20120214_2481181.htm.
[4] PNUD (2016), Fast Facts on China’s South-South and Global Cooperation, Programme des Nations Unies pour le développement, Beijing, https://www.undp.org/china/publications/fast-facts-chinas-south-south-and-global-cooperation.
[3] Roser, M. et P. Arriagada (2024), Was the global decline of extreme poverty only due to China?, Our World in Data, https://ourworldindata.org/data-insights/was-the-global-decline-of-extreme-poverty-only-due-to-china.
← 1. Les documents n° 1 présentent les principales orientations politiques et priorités formulées par l’administration centrale chinoise pour chaque année.
← 2. Chaque année depuis 1982, le Parti communiste chinois et le Conseil des affaires d’État définissent les politiques et priorités agricoles et rurales dans les « documents n° 1 ».