Carolina Guerra
Direction de la coopération pour le développement, OCDE
Danielle Mallon
Direction de la coopération pour le développement, OCDE
Isabel Davis
Direction de la coopération pour le développement, OCDE
José Suárez Sarrazin
Direction de la coopération pour le développement, OCDE
Le présent chapitre a pour objet d’examiner comment les membres du CAD priorisent, définissent, mettent en œuvre, suivent et évaluent leurs politiques de réduction de la pauvreté et des inégalités dans le cadre de la coopération et de partenariats pour le développement. À partir d'exemples concrets et des conclusions tirées d’une récente enquête et de recherches qualitatives sur les approches suivies par les membres du CAD pour combattre la pauvreté et les inégalités, ce chapitre décrit les possibilités à explorer et les difficultés à surmonter pour mettre en œuvre efficacement les priorités et les programmes de lutte contre la pauvreté et les inégalités, et fait met en avant les domaines dans lesquels de nouvelles orientations du CAD pourraient appuyer l’action collective, l’amélioration de l’efficacité et la mise à profit des enseignements tirés des bonnes pratiques.
La plupart des membres du CAD (12 sur 21) ont affirmé intégrer la lutte contre la pauvreté dans leurs initiatives portant sur le climat et l’environnement (Encadré 12.1), mais ils sont seulement 7 sur 20 à le faire pour la réduction des inégalités. Par ailleurs, 9 membres sur 21 ont déclaré tenir compte partiellement des objectifs en matière de pauvreté dans le cadre de leurs activités en faveur du climat et de l’environnement, tandis que 13 membres sur 20 prennent partiellement en compte la problématique de la réduction des inégalités.
Compte tenu de l'importance des engagements explicites et clairs inscrits dans les programmes d’action internationaux, il y a amplement matière à faire converger les initiatives à visées climatiques et environnementales et les efforts de lutte contre la pauvreté et les inégalités dans le cadre de la coopération pour le développement. L’Encadré 12.1 présente plusieurs exemples illustrant comment les membres du CAD parviennent à faire coïncider ces différents axes de travail.
La Commission européenne prend en compte de façon systématique les problématiques de la pauvreté et des inégalités dans l’ensemble de ses initiatives à visées climatiques et environnementales. D’une part, elle applique un Marqueur d'inégalité aux interventions de la Direction générale des partenariats internationaux (DG INTPA) dans tous les secteurs, y compris ceux du climat et de l’environnement. La conférence internationale sur les inégalités, le travail et la nature, organisée conjointement en Afrique du Sud par l’Agence française de développement (AFD) et la Commission européenne, manifeste une véritable détermination à continuer à œuvrer pour une prise en compte plus systématique de la réduction des inégalités dans les initiatives en faveur du climat et de l’environnement. D’autre part, en ce qui concerne la pauvreté et le développement durable, la Commission européenne a publié un document de référence de portée générale contenant des orientations sur l’intégration de la durabilité environnementale, du changement climatique et de la biodiversité dans les Objectifs de développement durable (ODD).
La stratégie pour le climat de l’Agence des États-Unis pour le développement international a vocation à viser les structures de pouvoir bien établies qui créent et entretiennent les inégalités. La finalité globale est d’aider les partenaires à produire des changements systémiques qui renforcent la participation réelle et le rôle actif dans l’action climatique des populations autochtones, des communautés locales, des femmes, des jeunes et d’autres groupes marginalisés et/ou sous-représentés. Le Programme pour le changement (« Agenda for Change ») promeut l’égalité entre les genres et une participation accrue des femmes et des populations autochtones à l’exercice des responsabilités et aux processus décisionnels dans le domaine de la conservation de la biodiversité, vise à renforcer les droits légaux et traditionnels aux terres et aux ressources des communautés et des populations autochtones, et a pour but de mettre en place des partenariats novateurs avec les secteurs privé et public, la société civile et le monde universitaire. Le but est de mobiliser des ressources, d’améliorer les compétences et d’accroître les retombées tout en évitant les doubles emplois.
La France considère que la lutte contre la pauvreté et les inégalités et le financement des biens publics mondiaux au service de l’action climatique sont des questions liées, et non pas contradictoires, et fait figurer ces priorités au centre de sa diplomatie internationale et de ses programmes bilatéraux. Le dispositif « d'analyse et d'avis développement durable » est au centre de l’approche de l’Agence française de développement visant à garantir l’impact sur le développement durable de l'ensemble de ses projets à un stade précoce. Cet outil permet de noter, ex ante et de façon indépendante, les projets au regard de plusieurs dimensions en encourageant le dialogue entre les équipes. Il consolide également l’ancrage d’une culture du développement durable au sein de l’AFD, que la France a portée lors du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial de juin 2023 et qui sera aussi au cœur du Pacte de Paris pour les Peuples et la Planète.
L’Agence italienne de coopération pour le développement a mis au point des outils opérationnels à toutes les étapes du cycle de vie des projets afin d’évaluer les effets de la coopération pour le développement sur les liens entre pauvreté et inégalités dans le contexte environnemental et climatique. Ceux-ci permettent de s’assurer que les mesures d’atténuation et d’adaptation peuvent avoir des effets positifs sur les groupes les plus vulnérables dans les pays partenaires. Parmi les outils adoptés, figurent par exemple des lignes directrices sur la prise en compte systématique de la dimension environnementale et un indicateur spécifique servant à évaluer les retombées positives directes et mesurables sur la réduction de la pauvreté d'initiatives axées sur des objectifs environnementaux à court, moyen et long terme
Dans sa programmation à l’échelle du pays, la Corée s’attache à renforcer la résilience face au changement climatique en mettant en œuvre un programme agricole tenant compte de la problématique climatique au Kenya. L’objectif est de concentrer l'effort sur les inégalités géographiques en améliorant l'autonomisation des populations rurales et de cibler les personnes victimes d’inégalités fondées sur l’appartenance à un groupe (notamment les réfugiés, les femmes et les jeunes) et de s'attaquer aux inégalités économiques. Ce programme a permis de restaurer des pâturages et de développer les cultures résistantes à la sécheresse, de façon à améliorer la résilience des populations et la sécurité alimentaire face aux chocs climatiques.
La stratégie de financement climatique de l’Irlande met principalement l'accent sur l’adaptation au changement climatique pour accompagner les populations les plus vulnérables confrontées aux effets du changement climatique, et elle assure l'acheminement de la majorité des fonds vers les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement. Cet engagement est conforme à l’objectif principal de la politique irlandaise de développement international pour un monde meilleur, intitulée « A Better World », qui a été mise en place pour orienter les initiatives de coopération pour le développement de façon à aider en premier les plus défavorisés.
Source : analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
La plupart des membres du Comité d’aide au développement (CAD) interrogés dans le cadre de l’enquête considèrent la réduction de la pauvreté et des inégalités comme une priorité majeure dans le cadre de la coopération pour le développement et ont pris des engagements explicites au regard de la lutte contre la pauvreté et les inégalités dans leurs politiques et leurs législations en matière de développement international.
Tous les membres ayant répondu à l’enquête ont indiqué que la lutte contre les inégalités subies par les femmes et les filles était une priorité majeure, suivie de près par la lutte contre les inégalités dont sont victimes les réfugiés et les personnes déplacées.
Les membres du CAD privilégient des définitions, des indicateurs et des dimensions différentes de la pauvreté et des inégalités et combinent des approches diverses dans le cadre de leurs activités de coopération pour le développement, ce qui peut limiter le champ de l’action collective et son impact.
Faute d’orientations et de stratégies précises sur ce point, les objectifs en matière de pauvreté et d'inégalités ne sont pas intégrés de façon efficace dans les programmes de coopération pour le développement et les travaux sur le climat et l’environnement.
Les nouvelles orientations à venir du CAD de l’OCDE peuvent accompagner les membres dans leur démarche visant à mieux intégrer et mieux cibler la pauvreté et les inégalités dans le cadre de la coopération pour le développement.
L’éradication de la pauvreté et la réduction des inégalités sont des objectifs essentiels de la coopération internationale pour le développement. Néanmoins, de nouvelles priorités et de nouvelles crises de portée mondiale, au premier rang desquelles la crise climatique, appellent également l’attention des donneurs et entrent en concurrence pour l’obtention de financements concessionnels à l’appui du développement qui se font rares. Dans une enquête menée aux fins du présent rapport, la plupart des membres du CAD ont déclaré s’être explicitement engagés à lutter contre la pauvreté et les inégalités. Néanmoins, tous ne retiennent pas les mêmes définitions, priorités et indicateurs concernant la pauvreté et les inégalités. Les interprétations sélectives les amènent à axer leurs efforts sur certaines dimensions de la pauvreté et des inégalités plutôt que sur d’autres, ce qui peut restreindre le champ d’action. Garder le cap sur ces questions est un défi et il est urgent de mieux coordonner les efforts déjà déployés et d'en maximiser l'impact.
La réaffirmation des engagements pris au regard des Objectifs de développement durable (ODD), et en particulier de l’ODD 1 (« Éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde ») et de l’ODD 10 (« Réduire les inégalités »), comme annoncé lors de la Réunion du Conseil de l’OCDE au niveau des Ministres de 2023, constitue une étape importante. Dans le même esprit, lors de la dernière Réunion à haut niveau du CAD qui s’est tenue en novembre 2023, les membres du Comité ont renouvelé leur promesse d’adopter des mesures globales visant tout à la fois à éradiquer la pauvreté et à réduire les inégalités, notamment en actualisant les Lignes directrices du CAD pour la réduction de la pauvreté datant de 2001 (OCDE, 2001[1]). Entre autres initiatives, le Forum politique de haut niveau 2024 et le Groupe des Vingt (G20), sous la présidence du Brésil, mobilisent aussi des soutiens politiques et suscitent de nouveaux engagements à accélérer les actions destinées à faire reculer la pauvreté et les inégalités (voir également le Chapitre 1).
Les membres du CAD, tant individuellement que collectivement, doivent redynamiser la lutte contre la pauvreté et les inégalités en maximisant l’impact de leurs activités de coopération pour le développement et en optimisant l’utilisation des ressources dont ils disposent. Les résultats examinés dans le présent chapitre sont tirés des réponses communiquées par les 24 membres du CAD (sur 32) ayant participé à l’enquête et par les 23 membres ayant pris part à l’étude qualitative sur les approches suivies par les membres du Comité1.
Parallèlement à leurs engagements pris collectivement en termes de lutte contre la pauvreté et les inégalités, les membres du CAD, à titre individuel, placent généralement cet objectif en tête des priorités de leur politique de coopération pour le développement. La plupart de ceux qui ont répondu à l’enquête (19 membres sur 24) ont indiqué que leurs politiques et leurs législations prévoient un engagement explicite à faire reculer à la fois la pauvreté et les inégalités (voir également les Profils de la pauvreté et des inégalités 2024 (OCDE, 2024[2])). Les membres du Comité sondés n’ont toutefois pas tous mis en place des stratégies ou des cadres spécifiques pour traduire leurs engagements en actions concrètes. Ils n’ont pas la même définition de la pauvreté et n’axent pas leur action sur les mêmes types d’inégalités, de sorte que certaines dimensions se trouvent privilégiées par rapport à d’autres. Une interprétation sélective, conjuguée à l'existence de priorités concurrentes, peut donner lieu à un phénomène d’ « évaporation des politiques », se traduisant par le fait que des objectifs sont fixés, mais qu'ils ne sont pas pleinement mis en œuvre. Les membres qui ont répondu à l’enquête ont également exprimé la crainte que leurs outils de suivi, de mesure et d’évaluation des impacts de leurs actions de lutte contre la pauvreté et les inégalités ne soient pas adaptés aux buts poursuivis. Nombre de leurs réponses donnent aussi à penser que ces outils ne sont pas toujours pensés en fonction du type de pauvreté ou d’inégalités auquel ils sont appliqués.
Les résultats de l’enquête ont été examinés à la lumière des principes énoncés dans les Lignes directrices pour la réduction de la pauvreté adoptées par le CAD en 2001 (Encadré 12.2). Même si elles constituent une référence utile, ces lignes directrices doivent être actualisées pour tenir compte des nouvelles réalités et priorités du monde d’aujourd’hui, comme en témoigne l’engagement pris lors de la Réunion à haut niveau du CAD d’œuvrer, avec les partenaires, à formuler de nouvelles orientations concrètes visant la réduction de la pauvreté et des inégalités2.
Les Lignes directrices pour la réduction de la pauvreté adoptées par le CAD en 2001 ont constitué un point de départ pour l’adoption d’une stratégie globale de lutte contre la pauvreté et s'articulent autour de plusieurs piliers et engagements clés, qui sont présentés ci-après. Il est primordial de revoir ce document fondamental pour élaborer de nouvelles lignes directrices qui couvrent également les inégalités et tiennent compte des défis associés à une transition juste et verte. Les Lignes directrices de 2001 insistent sur le fait, pour tous les partenaires au développement, de partager une même conception de la pauvreté et de ses multiples dimensions est un point capital pour pouvoir élaborer et mettre en œuvre un programme d’action commun. Les notions fondamentales qui doivent guider les initiatives visant à réduire la pauvreté sont les suivantes :
Le caractère multidimensionnel de la pauvreté. La pauvreté recouvre diverses formes de privation et renvoie à des aspects distincts des capacités de l’homme telles qu’économiques (revenu, moyens de subsistance, travail décent), humaines (santé, éducation), politiques (moyens d’action, droits, possibilité de faire entendre sa voix), socioculturelles (statut, dignité) et défensives (insécurité, risque, vulnérabilité). La lutte contre la pauvreté exige des stratégies intégrées qui prennent en compte toutes ces dimensions dans le cadre de la durabilité environnementale. Il est également crucial de réduire les inégalités entre les genres car elles se répercutent sur toutes les dimensions de la pauvreté.
Une croissance économique favorable aux pauvres. Il est primordial de promouvoir une croissance économique rapide, inclusive et durable, ce qui nécessite une bonne gestion des affaires publiques, des marchés concurrentiels et une participation équitable des personnes en situation de pauvreté dont les droits et les opinions devraient être davantage pris en considération dans les processus décisionnels. Il convient de s’attaquer à l’inégalité des chances dont sont victimes les personnes en situation de pauvreté en améliorant leur accès aux services sociaux de base, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé, un tel investissement dans le capital humain étant essentiel pour asseoir largement la croissance. Il est capital que la croissance soit équitable car la réduction de la pauvreté est plus lente et plus difficile dans les pays caractérisés par de fortes inégalités.
La coordination, les partenariats, une meilleure gestion de l’aide et l’appropriation locale. Une réduction effective de la pauvreté passe par un engagement à long terme et des partenariats solides entre les pouvoirs publics, la société civile, le secteur privé et les organismes d’aide au développement. Ceux-ci seront confortés par l’harmonisation des exigences administratives et financières, la réalisation d’activités conjointes et la mise en commun des ressources au service d’une plus grande efficacité. Les partenaires extérieurs devraient également accompagner les stratégies de développement pilotées par les pays et définies au niveau local en s'appuyant sur le dialogue, la confiance mutuelle et la responsabilité conjointe.
Une répartition de l’aide répondant aux besoins. L’aide devrait être orientée vers des pays se caractérisant par une forte concentration de pauvreté et vers des pays en proie à des conflits et/ou de graves problèmes en matière de gouvernance. Les efforts de lutte contre visant la pauvreté doivent donner lieu à un suivi et des évaluations permanents destinés à garantir l'efficacité, à assurer la reddition de comptes et à faciliter l’apprentissage et l’adaptation.
Source : OCDE (2001[1]), La réduction de la pauvreté, Lignes directrices du CAD, https://doi.org/10.1787/9789264294776-fr.
Les membres du CAD inscrivent leurs priorités dans leur politique globale et leurs engagements en matière de coopération pour le développement. Sur les 24 membres ayant participé à l’enquête, 19 ont déclaré que leur législation nationale ou leur politique globale de coopération pour le développement comporte un engagement explicite à réduire à la fois la pauvreté et les inégalités dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire ; cinq ont indiqué avoir seulement pris un engagement explicite concernant la réduction de la pauvreté (Graphique 12.1). Aucun des engagements et aucune des législations des membres ayant répondu ne vise exclusivement à faire reculer les inégalités, et seul un petit nombre de membres du Comité considèrent la réduction de la pauvreté et/ou des inégalités comme l’unique objectif de leur politique de coopération pour le développement. La politique de l'Irlande en matière de développement international, par exemple, est conçue de manière à englober ces deux dimensions à la fois. L'objectif global, résumé sous le titre A better world (Un monde meilleur), est d’« aider en premier les plus défavorisés », en envisageant cette catégorie dans une perspective multidimensionnelle de façon à embrasser des formes de pauvreté et d’exclusion qui se recoupent3.
Note : Le graphique illustre les réponses des 24 membres du CAD (sur 32) ayant participé à l’enquête menée par l’OCDE.
Source : analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
Les déclarations de portée générale sur les objectifs et les engagements posent les fondements permettant une prise en compte délibérée et effective des priorités dans les politiques de développement. Comme indiqué dans les Lignes directrices pour la réduction de la pauvreté adoptées par le CAD en 2001, la cohérence des politiques et la clarté des engagements sont également importantes pour garantir une synergie entre toutes les politiques, propre à en maximiser les effets.
Les objectifs de réduction de la pauvreté et des inégalités ne sont que deux des nombreuses priorités concurrentes des administrations des membres du CAD. Il ressort de l’étude qualitative sur les approches suivies par les membres du Comité que les initiatives de coopération pour le développement visant à lutter contre la pauvreté et les inégalités se heurtent souvent aux obstacles que constituent des problèmes considérés comme plus urgents dans les priorités des pouvoirs publics.
[...] les initiatives de coopération pour le développement visant à lutter contre la pauvreté et les inégalités sont souvent entravées par des obstacles inhérents au fait que certaines problématiques sont considérées comme plus urgentes dans l'ordre des priorités des pouvoirs publics.
Les réponses à l’enquête illustrent la variété des stratégies suivies pour l'élaboration de programmes de lutte contre la pauvreté et les inégalités. Certains membres du CAD ont indiqué mettre en œuvre des programmes distincts, explicitement axés sur la lutte contre la pauvreté ou la lutte contre les inégalités, tandis que huit répondants sur 23 ont déclaré intégrer systématiquement la réduction de la pauvreté et des inégalités dans leurs programmes en tant qu’objectif transversal de la coopération pour le développement4. L’Agence japonaise de coopération internationale (JICA), par exemple, considère les inégalités entre les genres comme une question transversale et a produit un ensemble de documents d’orientation par secteur sur la prise en compte systématique de la problématique du genre5. Dans ses lignes directrices relatives à la prise en compte systématique de la problématique du genre dans le développement agricole et rural, la JICA a placé l’objectif d'éradication de la pauvreté au cœur de l'effort engagé en faveur d'une intégration des questions de genre, en se dotant de cadres d’action reposant sur des stratégies de développement destinées à éradiquer la pauvreté qui soient favorables aux pauvres et de nature à promouvoir l'égalité entre les genres6. Au Danemark, le ministère des Affaires étrangères intègre aussi systématiquement la lutte contre la pauvreté et les inégalités dans son portefeuille d'activités de coopération pour le développement, cette démarche étant confortée par l’inclusion de critères relatifs à la pauvreté dans l’évaluation des programmes. Le ministère britannique des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement (Foreign, Commonwealth & Development Office, FCDO), quant à lui, applique une approche spécifique aux programmes de lutte contre la pauvreté, en mettant en place des programmes et une politique dédiés englobant la protection sociale, le développement humain et la croissance inclusive, ainsi qu’avec un programme de recherche indépendant sur la pauvreté visant à recueillir des données relatives à la pauvreté, à agir sur les déterminants de la pauvreté et à trouver des méthodes efficaces pour la faire reculer7. L’un des programmes du FCDO vise par exemple à combattre la pauvreté au moyen de l’éducation des filles marginalisées en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud.
Les membres du CAD qui ont répondu à l’enquête suivent des approches institutionnelles différentes pour définir la pauvreté, et 15 membres sur 21 font référence au fait que la pauvreté présente plus d'une dimension. L’Islande, par exemple, a précisé que la définition de la pauvreté qu’elle retient au niveau institutionnel repose sur une conception tenant compte des droits humains, de la notion de privation importante de ressources monétaires ainsi que d’autres facteurs multidimensionnels8. De même, la moitié des répondants (10 sur 20) ont déclaré utiliser plus d’un indicateur de pauvreté. Dans le cadre de l’enquête, les membres ont donné de multiples définitions écrites qui ont été interprétées et classées par catégorie. S’agissant de la pauvreté, la majorité d'entre eux privilégient des définitions multidimensionnelles (10 membres) ou s’appuient sur des définitions de la pauvreté reconnues institutionnellement, comme celles des ODD ou de l’Organisation des Nations Unies (ONU), du CAD de l’OCDE ou de la Banque mondiale (10 membres). En outre, sept membres ont précisé que leur définition de la pauvreté correspond à celle de la pauvreté monétaire. Les définitions fondées sur les droits humains (deux), la notion de « personnes les plus défavorisées » (une) ainsi que d’autres notions sont moins utilisées. Pour ce qui est des indicateurs de pauvreté, le seuil de pauvreté de la Banque mondiale était le plus cité (11 mentions), suivi des indicateurs des ODD (7 mentions), de l’Indice mondial de la pauvreté multidimensionnelle ou de l’Indice de pauvreté humaine des Nations Unies (4 mentions) et des indicateurs de la pauvreté fondée sur l’appartenance à un groupe (2 mentions).
Les programmes des membres du CAD visant à faire reculer les inégalités sont également élaborés selon des approches et des axes différents. Ainsi, parmi les membres ayant répondu à l’enquête, 7 (sur 16) ont évoqué l'existence de plus d’une définition des inégalités9. Les plus citées sont les définitions concernant la réduction des inégalités d’accès aux ressources ou les inégalités des droits (six mentions) et les inégalités pluridimensionnelles (cinq mentions). Les définitions des inégalités verticales et les approches intersectionnelles (deux mentions et une, respectivement) sont moins fréquemment citées. Concernant les indicateurs mesurant les inégalités, 7 membres sur 14 en utilisent plus d’un. Les indicateurs privilégiés sont les indicateurs pluridimensionnels (huit mentions) et ceux liés au genre (quatre mentions), les indicateurs relatifs au handicap n’ayant été évoqués qu’une seule fois.
L’ensemble des 24 membres du CAD interrogés ont indiqué cibler les inégalités horizontales, et 20 d’entre eux en font une priorité de haut rang (Graphique 12.2). Cependant, relativement peu de membres du Comité étendent cette priorité au-delà de la question du genre, bien que certains fournisseurs disposent de plans détaillés pour lutter contre différentes dimensions des inégalités horizontales10. Cibler les inégalités verticales, ou économiques, est une priorité de rang élevé pour 11 membres. La publication de stratégies, de politiques ou d’orientations sur les inégalités verticales est une tendance relativement nouvelle, qui semble indiquer une volonté croissante d’accorder davantage d’importance aux inégalités de revenu dans le domaine de la coopération pour le développement11. L’Agence suédoise de coopération international au développement (Sida) applique un cadre d’analyse de la pauvreté multidimensionnelleau niveau des pays, qui guide l’élaboration de ses stratégies nationales et enrichit les évaluations ex ante des programmes. Tous ses programmes doivent obligatoirement tenir compte des conclusions formulées à l’issue des analyses conduites en référence à ce cadre et contenir une explication claire de ce qu’ils apporteront aux personnes en situation de pauvreté.
La publication de stratégies, de politiques ou d’orientations sur les inégalités verticales est une tendance relativement nouvelle, qui semble indiquer une volonté croissante d’accorder davantage d’importance aux inégalités de revenu dans le domaine de la coopération pour le développement.
Bien que presque tous les membres du CAD interrogés (19 sur 24) aient mentionné la lutte contre les inégalités territoriales comme étant un domaine modérément ou hautement prioritaire dans le cadre de leur politique de coopération pour le développement (Graphique 12.2), il semble qu’il n’existe aucune stratégie spécifiquement axée sur cette dimension12.
Note : le graphique a été établi à partir des réponses d'un échantillon de 24 membres du CAD.
Source : analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
Indépendamment des différentes formes d’inégalités horizontales, le niveau de priorité accordé aux groupes marginalisés ou aux personnes victimes d’inégalités est très variable. L'ensemble des 24 membres du CAD ayant participé à l’enquête ont indiqué considérer les inégalités que vivent les femmes et les filles comme un domaine hautement prioritaire, suivi de près par les inégalités dont sont victimes les réfugiés et les personnes déplacées13. Comme le montre le Graphique 12.3, la hiérarchisation des priorités et le choix de cibler les inégalités horizontales subies par d’autres groupes, comme les enfants et les personnes handicapées, ne sont pas des constantes. De même, il ressort de l’étude qualitative sur les approches suivies par les membres du Comité que la plupart d’entre eux ont élaboré des orientations spécifiquement axées sur l’égalité entre les genres, que certains ont élaboré des orientations sur le handicap, et qu'un petit nombre d'entre eux ont adopté des orientations spécifiques concernant les enfants et les jeunes, les personnes LGBTQIA+ et les communautés autochtones14. L’Agence des États-Unis pour le développement international, par exemple, a mis en place une politique de promotion des droits des populations autochtones15.
L'ensemble des 24 membres du CAD ayant participé à l’enquête ont indiqué considérer les inégalités que vivent les femmes et les filles comme un domaine hautement prioritaire, suivi de près par les inégalités dont sont victimes les réfugiés et les personnes déplacées.
Note : le graphique a été établi à partir des réponses d'un échantillon de 24 membres du CAD.
Source : analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées sur la pauvreté ou lls inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
Certains membres du CAD ont indiqué que leurs actions ne portent pas prioritairement sur une dimension spécifique des inégalités, mais obéissent plutôt à une vision intersectionnelle consistant à identifier et à cibler les populations subissant des formes de discrimination qui se recoupent. Il est possible d'ancrer de manière plus systématique des approches intersectionnelles dans les politiques des membres du CAD en matière de développement (Encadré 12.3).
Le terme « intersectionnalité » a été créé dans les années 80 pour désigner la double peine dont sont victimes les femmes et les filles noires confrontées simultanément à des préjugés raciaux et sexistes ainsi que la manière dont, à l’intersection entre race et genre, différentes formes de discrimination et d’oppression s'exercent (Crenshaw, 1989[3]). Les femmes et les filles peuvent pâtir d’autres dimensions de la vulnérabilité qui coïncident avec le genre, y compris celles liées à l’origine ethnique et nationale, au statut de minorité ou de membre d'une population autochtone, à la foi ou la religion, au niveau d’études, à la classe sociale, au statut socio-économique, à la caste, à la localisation, à l’âge, au handicap, à l’orientation sexuelle, à l’identité de genre et aux caractéristiques sexuelles, ou encore au statut de migrant. Il est primordial de prendre en compte comment ces différentes formes de discrimination se cumulent pour combattre plus efficacement les inégalités entre les genres ainsi que la pauvreté.
De nombreux membres du CAD élaborent des politiques et des stratégies visant à ancrer des approches intersectionnelles dans leur coopération pour le développement. Un examen réalisé par le Réseau du CAD sur l’égalité hommes-femmes a montré que la moitié des membres du Comité font explicitement référence à l’adoption d’une approche intersectionnelle, qu’ils relient au genre, dans leurs stratégies de développement, leurs cadres d’action ou dans d’autres types d'outils ou d'orientations pratiques1. Plusieurs autres systématisent leur approche institutionnelle de l’intersectionnalité. Si certains membres n’emploient pas explicitement le terme « intersectionnalité », ils appliquent néanmoins les principes qui en découlent en traçant des cadres contenant des formules telles que « soutenir les femmes et les filles dans toute leur diversité », « mettre fin aux inégalités cumulées et complexes » et « ne laisser personne de côté ». Les membres définissent également les groupes marginalisés de diverses manières, conscients qu’il peut s'agir de groupes différents selon le contexte national. Cette souplesse permet d’éviter l’établissement de listes rigides des groupes marginalisés et de garantir l’inclusivité et l’adaptabilité en fonction de la diversité et de l'évolution des besoins.
1. Analyse de l’OCDE (2024) réalisée à partir d’entretiens inductifs auprès de membres du CAD portant sur leurs approches de l’intersectionnalité et du genre.
Dans le cadre de leurs travaux visant à faire reculer à la fois la pauvreté et les inégalités, les membres du CAD définissent le plus souvent comme domaines d’action prioritaires les inégalités entre les genres, les infrastructures et les politiques sociales, la gouvernance, les systèmes alimentaires et la protection de l’environnement (Graphique 12.4). Le Canada par exemple, dans le droit fil de sa Politique d’aide internationale féministe, contribue au Fonds Égalité, qui applique un modèle de financement novateur afin de procurer des financements à long terme, durables et flexibles aux mouvements féministes dans le monde entier et aux organisations de défense des droits des femmes, ce qui est crucial pour faire progresser l’égalité entre les genres et faire reculer la pauvreté. Le ministère australien des Affaires étrangères et du Commerce articule sa coopération pour le développement autour du développement rural et agricole, comme en témoigne son programme mis en œuvre en Indonésie qui mobilise des investissements du secteur privé à l'appui d'innovations agricoles bénéficiant aux petits exploitants. Le Fonds Huruma, premier fonds à impact social en Espagne, contribue à combler la pénurie de financement dont pâtissent les petites exploitations agricoles et les exploitants marginalisés dans les pays partenaires en utilisant des ressources publiques pour attirer des investissements privés dans des domaines à haut risque, mais ayant un impact important sur la pauvreté.
Il est à noter que la politique fiscale, le développement rural et agricole et le développement économique sont des sujets jugés moins prioritaires dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités, même si, dans les ouvrages publiés, ils sont largement considérés comme des axes favorables aux personne en situation de pauvreté de la coopération pour le développement (voir les Chapitres 2 et 10). Seuls sept membres du CAD ont cité la politique fiscale parmi les priorités guidant leur action en matière de développement, malgré les liens qui la relient aux inégalités verticales.
Dans leurs réponses à l’enquête, les membres ont également nommé des politiques menées, en dehors du cadre de leurs activités de coopération pour le développement, qui ont des effets positifs notables sur la pauvreté et les inégalités dans les pays partenaires. Il s'agit notamment de mesures dans les domaines de la santé, de l’environnement, du commerce, des migrations et de l’agriculture – autant de domaines dont on considère qu'ils comptent particulièrement dans la perspective de la cohérence des politiques au service du développement durable16. Les politiques suivies dans les domaines du numérique, de la défense et de la fiscalité sont jugées moins importantes17. L’amélioration de la cohérence des politiques, tant dans le cadre de la coopération pour le développement qu’au-delà, peut atténuer les incidences négatives sur la pauvreté et les inégalités que pourraient avoir les choix de portée plus générale des membres du CAD concernant par exemple le climat et l’environnement, la fiscalité, les échanges, la défense et les migrations18. La politique norvégienne de coopération pour le développement comporte un volet consacré à la cohérence des politiques au-delà de coopération pour le développement qui impose au ministère des Affaires étrangères de dialoguer en permanence avec les autres ministères pour suivre les répercussions possibles de leurs politiques et de rendre compte chaque année au Parlement du contenu de ces échanges19. Afin de garantir la cohérence de son portefeuille d’activités, Enabel, l’Agence belge de développement, a mis au point un outil permettant de déterminer si les initiatives proposées et les programmes élaborés peuvent avoir des effets indésirables entraînant une aggravation des inégalités20.
Note : le graphique a été établi à partir des réponses d'un échantillon de 24 des 32 membres du CAD.
Source : analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
Les membres du CAD ont recours à diverses méthodes pour transposer les politiques visant à faire reculer la pauvreté en actions concrètes. D’après les résultats de l’enquête et l’étude qualitative, certains ont mis en place des projets ou des programmes spécifiques portant sur différentes dimensions de la pauvreté, qui prévoient des initiatives adaptées au contexte sectoriel, thématique ou géographique. D’autres axent leurs efforts sur une seule dimension, comme la pauvreté liée au genre ou la pauvreté envisagée sous l’angle des droits humains. La plupart des membres ont fait savoir que leurs efforts se focalisent sur des dimensions non monétaires de la pauvreté, telles que l’éducation, la santé et la sécurité. Ceux qui ciblent la pauvreté monétaire prennent également en compte d’autres dimensions, comme l’illustrent les exemples ci-après.
L’Agence suédoise de coopération pour le développement international (Sida) fait de la création d’emplois une priorité majeure de son action au service de la lutte contre la pauvreté multidimensionnelle. En favorisant la création d’emplois productifs et l’employabilité, elle se donne pour but d’améliorer le fonctionnement du marché du travail et d’assurer aux travailleurs des conditions de travail décentes, de manière à produire des résultats durables en matière d’emploi et à faire reculer la pauvreté à grande échelle.
Le projet pour la réduction des inégalités dans le monde conçu par l’Allemagne a permis d’apporter aux pays partenaires des compétences intersectorielles sur mesure, d’accroître leurs capacités et de favoriser les échanges entre pairs pour placer la lutte contre les inégalités au cœur de l’élaboration des politiques publiques, en expérimentant différents modèles de collaboration avec les pays partenaires.
La Belgique œuvre en faveur du déploiement d’un régime de protection sociale en matière de santé à l’échelle nationale couvrant les personnes employées dans le secteur informel dans des pays à faible revenu d’Afrique subsaharienne.
Si la plupart des membres du CAD ont pris des engagements explicites au regard de la pauvreté et des inégalités, ceux-ci ne sont toutefois pas toujours assortis de cadres, de stratégies, d’orientations ou de boîtes à outils pour en assurer la concrétisation21. Seuls cinq membres ont affirmé avoir défini une stratégie dédiée sur les inégalités ou la pauvreté, quatre œuvrent actuellement à l’élaboration de nouvelles stratégies, et deux n’ont ni stratégie, ni projet d’élaboration d’une stratégie22.
De même, les membres n’ont pas tous développé une théorie du changement, qui constitue pourtant un outil important pour orienter l’élaboration de stratégies23. Même si de nombreux membres du CAD ont défini des stratégies ou des politiques tenant compte des facteurs à l’origine de la pauvreté et des inégalités, 14 (sur 23) seulement se réfèrent à une théorie du changement exposée de façon détaillée24.
Le Graphique 12.6 met en évidence les principaux défis cités par les membres du CAD en matière de programmation, à savoir : le caractère inapproprié des données, des mesures, des diagnostics et des évaluations, notamment en ce qui concerne les inégalités ; la difficulté à concevoir des cadres de résultats permettant de suivre efficacement l’évolution des inégalités, et en particulier le recul de la pauvreté ; et la difficulté à évaluer l’impact des actions engagées.
Notes : P&I = pauvreté et inégalités. Note : le graphique a été établi à partir des réponses d'un échantillon de 24 membres du CAD. Les membres ont été invités à choisir dans une liste d’obstacles qui leur a été fournie.
Source : analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
Si certains membres du CAD déclarent rencontrer des difficultés au niveau de l’évaluation, plus de la moitié des répondants (16 sur 23) ont mis en place des processus pour évaluer de manière critique, ex ante, dans quelle mesure les propositions soumises servent la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Ces processus reposent notamment sur l’utilisation de marqueurs ou d’autres outils de notation permettant d’apprécier jusqu’à quel point les divers aspects de la pauvreté et des inégalités sont pris en considération dans les propositions25. L’Allemagne, par exemple, s’assure que l’objectif central et intersectoriel consistant à faire reculer la pauvreté multidimensionnelle est pris en compte dans toutes les stratégies régionales ou par pays, dans les politiques suivies tous secteurs confondus, et tout au long du cycle de programmation des projets26. Elle utilise à cette fin un marqueur de pauvreté (hors CAD) qu’elle a créé pour suivre la mise en œuvre de la réduction de la pauvreté en tant qu’objectif primaire ou secondaire de ses projets.
On dénombre aussi des exemples d’intégration efficace de certains aspects de la réduction de la pauvreté et des inégalités dans des cycles de programmation. En Suisse, par exemple, la Direction du développement et de la coopération a pris des mesures pour atteindre l’objectif de « ne laisser personne de côté » dès la phase de programmation. Il faut pour cela comprendre les facteurs à l’origine de l’exclusion, en tenir compte au stade de la conception des actions qui seront engagées, notamment pour l’élaboration de théories du changement, exercer un suivi constant et adapter en permanence les programmes en fonction des effets directs et indirects produits par les activités menées27. Des initiatives de partage des connaissances entre les pays et un soutien au renforcement des capacités à l’appui des travaux d’analyse sur la pauvreté et les inégalités réalisés au niveau local peuvent accompagner ces efforts, et ainsi permettre aux membres du CAD de travailler en collaboration avec les pays partenaires et la société civile pour élaborer des programmes reposant davantage sur des données probantes (Encadré 12.4).
Il est capital de favoriser le partage de connaissances entre les pays pour obtenir des informations plus détaillées et fondées sur des données probantes sur les facteurs qui sont responsables de la pauvreté et des inégalités dans le monde, et pour trouver et mettre en commun des solutions. Les travaux d’analyse menés au niveau local sont également essentiels pour comprendre les dynamiques qui sous-tendent la pauvreté et les inégalités et varient d’un pays à l’autre. Les budgets de recherche des membres du CAD peuvent concourir à l’exécution de ces travaux. Parmi les initiatives de partage des connaissances à l’échelle d’un pays figurent la Facilité de recherche sur les inégalités de l’Union européenne et de l’Agence française de développement et l’initiative intitulée « Data and Evidence to End Extreme Poverty » (sur le recueil d’informations et de données factuelles pour mettre fin à l’extrême pauvreté ») financée par le ministère britannique des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement. Ces deux initiatives de recherche doivent avant tout permettre de combler le déficit de connaissances sur la lutte contre la pauvreté et les inégalités. À eux deux, ces projets ont donné lieu à une collaboration avec des partenaires locaux et nationaux dans plus de 25 pays qui ont contribué à la conception de solutions aux problèmes posés par la pauvreté et les inégalités au niveau des pays.
Les initiatives de recherche de portée mondiale sont pour les acteurs de la coopération pour le développement un moyen de favoriser l’adoption de politiques de réduction de la pauvreté et des inégalités plus adaptées aux différents contextes. À condition de tenir compte de la diversité et de combler les écarts, en termes de connaissances, existant entre les pays, les travaux de recherche collectifs offrent la possibilité d’accroître nettement la production de connaissances reposant sur es données probantes au niveau local au service de la définition de politiques plus efficaces de réduction de la pauvreté et des inégalités.
La majorité des membres ayant répondu à l’enquête (20 sur 24) ont déclaré que la réduction de la pauvreté et/ou des inégalités est prise en considération ou considérée comme un objectif explicite dans les décisions d’affectation de l’aide publique au développement (APD) tandis que les quatre autres estiment que seule la pauvreté est un objectif explicite (Graphique 12.5). Au Canada par exemple, la Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement officielle impose que la totalité de l’APD canadienne à distribuer soit principalement orientée vers la réduction de la pauvreté, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains. La France et le Royaume‑Uni se sont tous deux fixé pour objectif d’allouer 50 % de leur APD bilatérale aux pays les moins avancés ; du côté britannique, cette approche est motivée par le constat que ces pays affichent des taux plus élevés de pauvreté et présentent de niveaux élevés de fragilité, d’exposition à des conflits et de vulnérabilité face au changement climatique28.
S’agissant des dotations en faveur des groupes vulnérables, neuf membres ont indiqué se servir des outils et marqueurs du CAD de l’OCDE afin de suivre le volume d’APD alloué aux objectifs liés au genre et au handicap. Certains membres se servent d’autres outils de mesure, de leurs propres marqueurs ou des codes-objet sectoriels du CAD comme variables de substitution pour évaluer les actions axées sur la réduction de la pauvreté et des inégalités. La Nouvelle-Zélande par exemple s’est dotée d’un marqueur du bien-être des enfants et des jeunes et d’un marqueur des droits humains ; l’Allemagne et l’Autriche ont toutes deux élaboré un marqueur de la pauvreté29. La Suisse évalue les progrès accomplis vers la réalisation des ODD en rattachant ces derniers à des marqueurs de l’OCDE (l’ODD 10.2 au marqueur du CAD relatif au handicap, par exemple) et en associant les ODD 1 et 10 à certains codes-objet sectoriels du CAD correspondant à des secteurs dont le rôle dans la réduction de la pauvreté et des inégalités a été prouvé, comme la protection sociale30. La Finlande cible également les inégalités horizontales dans ses initiatives de coopération pour le développement, en utilisant les marqueurs du CAD de l’OCDE ainsi que d’autres outils pour s’assurer que les projets respectent les normes minimales sur l’égalité entre les genres et l’inclusion du handicap.
Huit membres ont affirmé exercer un suivi, dans la pratique, du montant d’APD effectivement alloué à la réduction de la pauvreté et des inégalités (Graphique 12.6). Une étude qualitative sommaire menée auprès de 23 membres du CAD a montré que la plupart d’entre eux ont pris des mesures pour intégrer au moins une dimension de la pauvreté et/ou des inégalités dans leurs processus de suivi. Les approches suivies sont très variées et vont de l’élaboration de marqueurs pour le suivi des objectifs des projets à la collecte de données quantitatives et qualitatives destinées à alimenter l’évaluation des résultats31.
Note : le graphique a été établi à partir des réponses d'un échantillon de 24 membres du CAD. Deux membres n’ont pas répondu à la question concernant le suivi de l’APD.
Source : analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
La plupart des membres du CAD interrogés (19 sur 24) ont affirmé s’assurer occasionnellement ou systématiquement que les personnes victimes de pauvreté ou d’inégalités sont représentées pendant les phases de définition, de conception et d’exécution du cycle des programmes, ou y participent32. Ils ne sont cependant que quatre à avoir confirmé leur participation, ou leur représentation, au stade de la reddition de comptes, laquelle englobe le suivi, l’évaluation et l’apprentissage33. Un petit nombre de membres du CAD se sont efforcés d’accroître la participation des parties prenantes à la phase de reddition de comptes, preuve qu’il existe des possibilités d’intensifier l’action. La Direction suisse du développement et de la coopération par exemple a publié des orientations sur la manière de réaliser des évaluations auprès des bénéficiaires de façon à associer aux processus d’évaluation les personnes qui risquent d’en être exclues34. De son côté, la Slovénie soumet ses projets au principe de l’appropriation au niveau local et favorise la redevabilité mutuelle en veillant à ce que le suivi des projets soit exercé par des partenaires locaux, des organisations non gouvernementales slovènes et des représentants du coordinateur/ministère national35.
L’enquête comparative et l’étude qualitative menées auprès des membres du CAD sur leurs stratégies approches en matière de réduction de la pauvreté et des inégalités montrent qu’il existe de nombreuses pistes pour mettre davantage l’accent sur la pauvreté et les inégalités et de traduire plus efficacement les engagements en actions concrètes. L’adoption de nouvelles orientations peut aider les membres du Comité à renforcer l’intégration de la lutte contre la pauvreté et les inégalités dans leur coopération pour le développement, à contribuer à l’amélioration de la qualité, de l’efficacité et de l’impact des politiques, des pratiques et des financements qu’ils mettent en œuvre pour s’attaquer à ces problématiques, et à favoriser des avancées sur la voie de la concrétisation de l’engagement de ne laisser personne de côté. La présente section porte sur quelques-unes des possibilités qui s’offrent aux membres et sur les moyens à mettre en œuvre pour en tirer parti et avancer à l’avenir.
La réduction de la pauvreté et des inégalités entre souvent en concurrence avec d’autres priorités comme le changement climatique, la stabilité macroéconomique et les urgences sanitaires (voir également les Chapitres 14 et 26), ce qui peut donner lieu à une évaporation des politiques, un phénomène qui voit les engagements initiaux en matière de réduction de la pauvreté et des inégalités perdre de leur importance entre la phase de planification et la phase de mise en œuvre. Ce risque est accru quand ces objectifs ne sont pas pleinement intégrés dans les politiques et les stratégies de développement de portée plus générale des membres du CAD.
Pour atténuer le risque de dilution des politiques, des orientations claires peuvent être adoptées pour préserver la focalisation sur la réduction de la pauvreté et des inégalités dans l’ensemble des programmes et tout au long du cycle de programmation. L’ancrage des objectifs de lutte contre la pauvreté et les inégalités dans tous les domaines d’action pertinents garantit qu’ils resteront une priorité, et l’instauration de cadres de mise en œuvre clairs assortis d’objectifs précis et de mécanismes de suivi efficaces facilitent le maintien du cap et la reddition de comptes. Par ailleurs, l’apprentissage au contact des pairs et les échanges de connaissances ainsi que le partage de pratiques exemplaires et de stratégies avec d’autres membres et partenaires peuvent servir à enrichir les connaissances ainsi que les orientations visant à maintenir les objectifs de réduction de la pauvreté et des inégalités au premier plan de la coopération pour le développement.
Le manque de personnel peut également limiter la capacité des membres du CAD à prendre pleinement en compte les considérations relatives à la pauvreté et aux inégalités dans l’ensemble des activités composant leur portefeuille et à créer des synergies (voir également le « Point de vue » d’Amitabh Behar, d’Oxfam International, au Chapitre 13). L’étude qualitative des approches des membres du CAD révèle que certains peinent à mettre à profit les possibilités de réduction de la pauvreté et des inégalités dans toute leur étendue, faute d’effectifs suffisants. D’après les résultats de l’enquête, la plupart des membres du Comité comptent au moins un membre du personnel dont le travail porte principalement sur la réduction de la pauvreté et des inégalités, et la taille des équipes est très variable. Employer du personnel spécialisé pourrait permettre d’améliorer les connaissances disponibles et les processus décisionnels à l’appui des efforts engagés.
Les définitions de la pauvreté et des inégalités ont une importance au sens où elles peuvent déterminer à quoi, comment et à qui les ressources sont allouées ainsi que les actions mises en œuvre. La diversité des définitions et des indicateurs utilisés par les membres du CAD pour décrire la pauvreté et les inégalités offre une compréhension plus nuancée de ces questions et se prête à une adaptation aux contextes locaux. Elle complique toutefois aussi l’adoption d’une approche cohérente des travaux sur la pauvreté et les inégalités à l’échelle mondiale. Les définitions et les cadres de mesure doivent faire l’objet de réflexions plus approfondies, en particulier dans le contexte des transitions écologiques et compte tenu des leurs implications sur la politique, la programmation et le financement de la coopération pour le développement (voir les Chapitres 2 et 14). L’alignement sur les priorités des pays partenaires des mesures et des définitions peut également concourir à un meilleur ciblage des actions et des ressources sur la réduction de la pauvreté et des inégalités.
Les membres du CAD ont exprimé le souhait de pouvoir se référer à d’autres orientations portant sur la façon d’aborder et de cibler des formes différentes et nouvelles d’inégalités, comme les vulnérabilités liées au changement climatique, les inégalités d’accès au numérique et les questions d’économie politique. La plupart des membres se focalisent sur les inégalités horizontales, notamment celles liées au genre, plutôt que sur les inégalités verticales ou géographiques. Il est possible d’élargir le champ des inégalités visées tout en promouvant une croissance économique inclusive et en incluant différents groupes subissant des inégalités, sans laisser personne de côté. De nouvelles orientations pourraient aider les membres du CAD à adopter une perspective intersectionnelle dans leurs actions en faveur du développement, y compris en collaboration avec la société civile et des organisations multilatérales. Celles-ci pourraient en outre faciliter le suivi et l’évaluation des résultats permettant d’en apprécier l’impact sur différents profils de personnes. Enfin, elles pourraient être utiles pour définir des cadres stratégiques et des cadres d’action plus adaptés aux contextes propres aux institutions des membres du CAD et des pays bénéficiant de leur soutien.
L’APD peut contribuer, directement ou indirectement, au recul de la pauvreté et des inégalités plus ou moins selon les dimensions prises en compte et les groupes ciblés (par exemple, les 40 % les plus pauvres ou « les plus pauvres d’entre les pauvres »). Les membres ayant répondu à l’enquête ont indiqué que les données factuelles sur la pauvreté et les inégalités n’infléchissent pas toujours leurs décisions concernant les dépenses d’APD et leur ventilation selon les pays prioritaires, les secteurs et les modalités. L’étude qualitative sur les approches des membres du CAD donne à penser qu’une analyse plus explicite et détaillée des effets sur la pauvreté et les inégalités des décisions d’affectation de l’APD pourrait les aider à transposer plus efficacement leurs objectifs généraux de réduction de la pauvreté et des inégalités en priorités précises en termes de dépenses. Il en découle que les membres du Comité ont peut-être manqué des occasions d’investir leur APD dans les activités ayant le plus d’impact sur la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Il est même possible qu’ils optent sans le vouloir pour des investissements ayant des effets préjudiciables, par exemple si l’APD est allouée à des projets entraînant le creusement des écarts de revenu.
L’amélioration de la cohérence des politiques, tant dans le cadre de la coopération pour le développement qu’au-delà, peut atténuer les incidences négatives sur la pauvreté et les inégalités que pourraient avoir les choix de portée plus générale des membres du CAD concernant par exemple le climat et l’environnement, la fiscalité, le commerce, la défense et les migrations. Les membres du Comité se sont engagés à assurer la cohérence des politiques et des stratégies au-delà de leurs programmes d’APD, notamment au titre de la Recommandation du Conseil de l’OCDE sur la cohérence des politiques au service du développement durable (OCDE, 2019[4]), dans laquelle l’importance de tenir compte de la réduction de la pauvreté dans l’ensemble des cadres visant à améliorer la cohérence des politiques publiques est reconnue. Cette recommandation invite également à adopter une approche intersectionnelle de la gouvernance et à analyser les interactions entre l’égalité, l’inclusion et d’autres objectifs aux stades de la conception et de la mise en œuvre des politiques afin d’appréhender les différentes incidences qu’une politique peut avoir sur des groupes défavorisés sur le plan social. Cependant, d’après des analyses indépendantes et de récents examens par les pairs réalisés par le CAD de l’OCDE, tous les membres couverts par l’étude qualitative sur les approches suivies continuent de se heurter à des difficultés sur le plan de la cohérence des politiques.
Les conclusions de l’enquête ont mis en évidence le besoin, exprimé par les organismes d’aide au développement, de bénéficier de conseils pour l’établissement de cadres d’évaluation fiables destinés à permettre d’accroître l’efficacité de leurs efforts à l’appui de la réduction de la pauvreté et des inégalités. Une coopération pour le développement efficace nécessite également de disposer de données appropriées, de définir précisément des objectifs et d’appliquer les critères d’évaluation raisonnés pour renforcer la qualité et l’utilité des évaluations (OCDE, 2023[5]). Plusieurs membres du CAD ont mis au point des outils et des méthodes d’analyse de la pauvreté et des inégalités utilisables dans des contextes spécifiques ou au niveau infranational36. Les membres ont toutefois insisté sur le fait que le manque de données, de mesures et de diagnostics appropriés est l’un des problèmes majeurs qui freinent leurs initiatives en matière de développement37. Si certains disposent de systèmes pour évaluer les programmes chaque année au regard de critères de qualité spécifiques (concernant notamment le genre et le handicap)38, nombreux sont ceux qui rencontrent cependant des difficultés liées aux possibilités limitées qu’offrent les cadres existants. Ces contraintes de capacités empêchent une analyse et une évaluation efficaces des effets des initiatives multidimensionnelles sur la pauvreté et les inégalités, et compromettent la mise en œuvre des ajustements nécessaires.
Renforcer la participation des personnes victimes de la pauvreté et des inégalités pendant les phases de suivi et d’évaluation du cycle de vie des programmes tout en assurant en priorité la sécurité des participants est une tâche délicate et complexe pour les acteurs du développement. Pourtant, un développement piloté à l’échelon local et l’intégration des parties prenantes locales dans les processus décisionnels permettent souvent de définir des programmes plus pertinents, plus en phase avec le contexte culturel et plus durables (OCDE, 2023[6]).
Certains fournisseurs renforcent la participation des parties prenantes à la phase de reddition de comptes, ce qui démontre qu’il est possible d’intensifier leur action. En Islande par exemple, la coopération pour le développement repose sur une approche fondée sur des programmes au niveau des administrations locales consistant à accompagner les efforts de décentralisation déployés au niveau national et à appuyer un développement piloté au niveau local. Les partenariats à long terme avec les autorités de district des pays partenaires ont permis d’améliorer les résultats et l’acheminement des services, en s’attaquant à la pauvreté et aux inégalités au sein de la population. Parallèlement, les programmes de développement doivent être en phase avec les dynamiques, sociales, économiques et politiques à l’œuvre au niveau local lorsqu’ils mettent à contribution des acteurs locaux39, pour ne pas accentuer, sans le vouloir, les inégalités dans les pays partenaires. Un risque particulier surgit lorsque le soutien financier ou les possibilités de partenariat à l’échelon local bénéficient aux détenteurs de pouvoirs et de privilèges plutôt qu’aux personnes subissant la pauvreté et les inégalités. Les nouvelles orientations que le CAD envisage d’élaborer sur la pauvreté et les inégalités et le rapport de synthèse de l’OCDE à venir (2024) sur le développement piloté à l’échelon local pourront également éclairer la formulation de stratégies qui atténuent le risque de cumul des inégalités et promeuvent des processus inclusifs de collaboration au niveau local dans le cadre de travaux menés en partenariat avec des acteurs locaux aux fins de l’établissement de programmes de lutte contre la pauvreté et les inégalités.
En mettant à profit l’expérience acquise, les enseignements qui en sont tirés et les connaissances partagées par d’autres, les membres du CAD peuvent s’enrichir mutuellement des pratiques et des analyses des uns et des autres, et ainsi resserrer au maximum leur collaboration pour faire face aux défis à relever et éviter les doubles emplois40. Les membres qui ont répondu à l’enquête se sont montrés désireux de partager plus systématiquement les données probantes relatives aux politiques et aux programmes les plus efficaces et aux moyens d’en accroître les retombées. Les travaux d’analyse menés au niveau local et les conclusions des travaux de recherche offrent également des données détaillées extrêmement précieuses pour guider l’élaboration de politiques plus efficaces contre la pauvreté et les inégalités. En plus du partage de connaissances entre les membres du CAD, les mécanismes institutionnels de coordination entre différents organismes mis en place par tel ou tel membre peuvent servir de modèle et contribuer à remédier aux éventuelles divergences et incohérences entre différentes priorités stratégiques et budgétaires. L’Encadré 12.5 décrit comment la Communauté de pratique du CAD sur la pauvreté et les inégalités contribue au partage de connaissances.
La Communauté de pratique du Comité d’aide au développement (CAD) sur la pauvreté et les inégalités (CoP-PI) soutient le partage de connaissances entre les membres du CAD et une communauté élargie de parties prenantes, en encourageant l’apprentissage au contact des pairs, les échanges de connaissances inclusifs et la réalisation d’analyses des moyens d’accentuer la focalisation des activités de coopération pour le développement sur la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Depuis sa création en 2021, la CoP-Pi soutient les membres du Comité à traduire leurs engagements en matière de réduction de la pauvreté et des inégalités en actions concrètes tout au long du cycle d’élaboration des politiques et des projets, ainsi qu’à orienter et suivre l’affectation des crédits d’aide publique au développement à l’appui de ces objectifs. C’est en vue de fournir des orientations plus détaillées que le Secrétariat de la CoP-PI réalise un travail d’analyse destiné à tirer des enseignements des bonnes pratiques des membres et décrypte les principales difficultés qui s’opposent à l’application du prisme de l’élimination de la pauvreté et des inégalités à l’ensemble de leurs activités de coopération pour le développement. Les échanges au sein de la CoP-PI ont aussi porté sur les liens d’interdépendance complexes qui existent entre la pauvreté, les inégalités et des enjeux majeurs en matière de développement, comme la sécurité alimentaire, l’action climatique, la mobilisation de ressources nationales et la protection sociale.
En intégrant et en prenant systématiquement en compte les considérations relatives à la pauvreté et aux inégalités dans les stratégies et dans l’appui aux processus de transition écologique, les acteurs de la coopération pour le développement peuvent faire en sorte que les initiatives pour le climat et l’environnement nous amènent sur la voie d’un avenir durable et de l’avènement de systèmes sociaux plus équitables. Ils peuvent aussi promouvoir des solutions globales aux défis à la fois environnementaux et socio-économiques, en garantissant que les progrès dans un domaine ne se concrétiseront pas au détriment d’avancées dans un autre domaine.
Les répondants à l’enquête ont souligné à quel point il importe de prendre en considération les populations marginalisées et vulnérables dans leurs politiques environnementales et climatiques ainsi que dans l’établissement de programmes par pays41. Selon les termes d’un membre : « Nous considérons que les activités en matière de climat et d’environnement et les efforts visant à réduire la pauvreté et les inégalités sont liés et se renforcent mutuellement. »42 Pourtant, l’intégration systématique des objectifs essentiels d’élimination de la pauvreté et de réduction des inégalités dans les programmes pour le climat et l’environnement n’est pas encore une pratique courante (voir les Chapitres 14 et 26). Les stratégies sont généralement définies sans qu’il soit fait grand cas des contradictions possibles entre l’affectation de crédits d’APD à des objectifs liés au climat et à la lutte contre la pauvreté et les inégalités, mais il existe des exemples de bonnes pratiques à suivre, à l’instar de celle proposé par le Luxembourg qui a pris l’engagement de ne pas comptabiliser ses financements climatiques dans son budget d’APD43.
Nous considérons que les activités en matière de climat et d’environnement et les efforts visant à réduire la pauvreté et les inégalités sont liés et se renforcent mutuellement.
En conclusion, les travaux de recherche mettent en évidence des pistes, pour les membres du CAD, de mieux intégrer la lutte contre la pauvreté et les inégalités dans leur coopération pour le développement. Les principaux enseignements à en tirer démontrent la nécessité de formuler des orientations stratégiques plus claires pour prévenir le risque de « dilution des politiques » en présence de priorités concurrentes, comme le changement climatique et les urgences sanitaires. Par ailleurs, il conviendrait d’affiner les définitions et les cadres de mesure pour améliorer la cohérence et l’alignement sur les priorités des pays partenaires, ce qui garantirait un meilleur ciblage des actions et des ressources. Pour élargir le champ de la lutte contre les inégalités, notamment pour combattre des formes nouvelles et intersectionnelles d’inégalité, il est nécessaire d’actualiser les orientations et les cadres stratégiques existants. L’élaboration de cadres d’évaluation solides et la participation de diverses parties prenantes tout au long du cycle de programmation sont des étapes essentielles vers une amélioration de la qualité et de l’impact des efforts de réduction de la pauvreté et des inégalités. À l’avenir, les nouvelles orientations communes qui auront été formulées pourront aider les membres à traduire leurs engagements essentiels et de portée générale en matière de coopération pour le développement en actions concrètes, contribuant efficacement à éradiquer la pauvreté et à faire en sorte de ne laisser personne de côté.
[3] Crenshaw, K. (1989), « Demarginalizing the intersection of race and sex: A black feminist critique of antidiscrimination doctrine », University of Chicago Legal Forum, vol. 1989/1, http://chicagounbound.uchicago.edu/uclf/vol1989/iss1/8.
[2] OCDE (2024), 2024 Poverty and Inequalities Profiles, https://one.oecd.org/document/DCD(2024)22/en/pdf.
[6] OCDE (2023), Framing DAC member approaches to enabling locally led development, OECD ONE Members and Partners, https://one.oecd.org/document/DCD(2023)47/en/pdf#:~:text=Locally%20led%20development%3A%20an%20ongoing,of%20international%20development%20co%2Doperation.
[5] OCDE (2023), Une application réfléchie des critères d’évaluation, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/716baf6e-fr.
[4] OCDE (2019), Recommandation du Conseil sur la cohérence des politiques au service du développement durable, OCDE, Paris, https://legalinstruments.oecd.org/fr/instruments/OECD-LEGAL-0381.
[1] OCDE (2001), La réduction de la pauvreté, Lignes directrices du CAD, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264294776-fr.
L’enquête a été conçue et réalisée par le Secrétariat de l’OCDE en février 2024, et diffusée à tous les membres du CAD. Le taux de participation a été de 75 %. Les 24 membres (sur 32) du CAD qui ont répondu à l’enquête sont l’Allemagne, l’Australie, la Belgique, le Canada, la Corée, le Danemark, l’Espagne, les États-Unis, la Finlande, la France, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, la République slovaque, le Royaume-Uni, la Slovénie, la Suède, la Suisse et l’Union européenne. L’OCDE a reçu au total 25 réponses, un membre du Comité en ayant envoyé deux, une par institution.
À la demande de la Communauté de pratique du CAD de l’OCDE sur la pauvreté et les inégalités (CoP-PI), une étude qualitative a été réalisée, de fin 2023 à début 2024, dans le prolongement de travaux exploratoires menés en 2022.
Cette étude documentaire a porté sur 23 membres du CAD, à savoir l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Canada, la Corée, le Danemark, l’Espagne, les États-Unis, la Finlande, la France, l’Irlande, l’Italie, le Japon, le Luxembourg, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse et l’Union européenne. La méthode suivie comprenait une analyse de documents accessibles au public ainsi qu’un examen de documents de fond de la CoP-PI. Le cas échéant, l’étude s’est également appuyée sur certaines données factuelles recueillies dans le cadre d’une étude exploratoire préliminaire menée en 2022. Elle a été complétée par des entretiens avec des spécialistes issus de huit pays membres du CAD, la priorité ayant été donnée à des pays qui n’avaient pas été couverts par l’étude préliminaire l’année précédente. Par ailleurs, des demandes de renseignements ont été envoyées par courriel à d’autres représentants des membres du CAD afin d’affiner les résultats et de préciser certains points.
← 1. Le chapitre repose sur l’enquête menée par le Secrétariat de l’OCDE au printemps 2024 sur les approches adoptées en matière de réduction de la pauvreté et des inégalités ainsi que sur l’étude qualitative réalisée en 2023 et 2024 (voir l’Annexe 12.A). Les auteurs remercient Polly Meeks pour son soutien et ses contributions à ces études ainsi que pour son travail de relecture.
← 3. Étude qualitative réalisée à la demande de la CoP-PI de l’OCDE (2024).
← 4. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 5. Voir : https://www.jica.go.jp/english/activities/issues/gender/materials.html et https://www.mofa.go.jp/policy/oda/page24e_000410.html.
← 6. Voir : https://www.jica.go.jp/Resource/english/our_work/thematic_issues/gender/c8h0vm0000f3jmj6-att/gender_mainstreaming_07.pdf
← 7. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 8. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 9. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 10. Étude qualitative réalisée à la demande de la CoP-PI (2024).
← 11. Étude qualitative réalisée à la demande de la CoP-PI (2024).
← 12. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 13. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 14. Étude qualitative réalisée à la demande de la CoP-PI (2024).
← 16. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 17. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 18. Voir, par exemple, https://one.oecd.org/document/DCD/DAC(2022)57/FINAL/fr/pdf, p. 24.
← 20. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 21. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 22. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 23. Voir : https://one.oecd.org/document/DCD/DAC(2022)57/FINAL/fr/pdf, p. 22.
← 24. Étude qualitative réalisée à la demande de la CoP-PI (2024). L’Agence belge de développement conduit également des analyses complètes des causes profondes des inégalités et formule des recommandations d’actions à caractère systémique reposant sur un cadre de protection des droits humains . Voir : https://www.enabel.be/app/uploads/2022/11/note_conceptuelle_inegalites_rapportcomplet.pdf.
← 25. Étude qualitative réalisée à la demande de la CoP-PI (2024).
← 26. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 27. Enquête auprès des membres du CAD sur leurs stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 29. Étude qualitative réalisée à la demande de la CoP-PI (2024).
← 30. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 31. Étude qualitative réalisée à la demande de la CoP-PI (2024).
← 32. La phase de définition consiste à recenser les obstacles, les besoins et les priorités et à poser les principes ; la phase de conception s’articule autour de la mise au point de stratégies, de partenariats, de programmes et de mécanismes de collaboration ; la phase d’exécution recouvre les processus de financement, de gestion et de mise en œuvre.
← 33. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 34. Étude qualitative réalisée à la demande de la CoP-PI (2024).
← 35. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 36. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 37. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 38. L’Australie par exemple note chaque année les programmes d’un montant supérieur à 3 millions AUD en fonction de quatre critères de qualité, qui incluent un critère relatif à l’égalité entre les genres et un critère sur l’équité envers les personnes porteuses de handicap. Les résultats font l’objet d’un suivi de la part du ministère des Affaires étrangères et du Commerce qui applique son propre cadre de performance.
← 39. Les acteurs locaux sont notamment des associations locales, des organisations ayant u ancrage local, des organisations non gouvernementales créées au niveau local, des administrations (nationales et infranationales), les parlements, les chefs traditionnels et spirituels, la sphère universitaire, les médias, et le secteur privé. Il peut d’agir aussi d’organisations, de confédérations, de coalitions et de réseaux régionaux si les organisations qui en sont membres conservent des systèmes de collecte de fonds et de gouvernance indépendants.
← 40. Pour en savoir plus sur les bénéfices retirés du partage de connaissances, voir le PMCED (2020), https://www.effectivecooperation.org/book-page/why-knowledge-sharing-matters-development-co-operation.
← 41. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement.
← 42. Analyse de l’OCDE (2024) fondée sur une enquête menée auprès des membres du CAD et portant sur les stratégies, axées plutôt sur la pauvreté ou les inégalités, suivies dans le domaine de la coopération pour le développement. Voir également, par exemple, le document de recherche de l’AFD sur la tension possible entre l’APD et le financement climatique en 2022 : https://www.afd.fr/fr/ressources/laide-publique-au-developpement-lage-des-consequences.