Shashwat Koirala
Direction de la coopération pour le développement, OCDE
Cian Montague
Direction de l’environnement, OCDE
Shashwat Koirala
Direction de la coopération pour le développement, OCDE
Cian Montague
Direction de l’environnement, OCDE
La transition climatique modifie profondément les modes de production et de consommation. Le caractère équitable de la gestion de ces perturbations – la répartition des coûts et des avantages – conditionne sa viabilité et son efficacité. C’est fondamentalement ce qui motive les appels à une transition juste. S’appuyant sur le projet horizontal de l’OCDE sur la résilience climatique et économique (Zéro émission nette+) et d’autres travaux de l’Organisation, ce chapitre dresse le bilan de l’expérience des pays de l’OCDE en matière de transition juste, des ressemblances ou divergences éventuelles entre la trajectoire bas carbone des pays en développement et ces approches, et du rôle que la coopération pour le développement peut jouer à l’appui d’une transition juste à l’échelle planétaire, adaptée au contexte de chaque pays en développement, et d’une prise en compte systématique des retombées transnationales des politiques climatiques des économies avancées sur leurs homologues en développement.
Les contours du concept de transition juste sont vastes et propres à chaque contexte. Les avantages d’une telle transition doivent être équitablement partagés et ses coûts atténués, et des mesures d’indemnisation doivent être proposées pour les parties prenantes qui en subissent les effets à la fois au sein des pays et entre eux. Cela permet d’en accroître l’acceptabilité politique et de la rendre viable et résiliente dans les faits.
Si les enseignements tirés de l’expérience des pays de l’OCDE permettent de gérer les conséquences de la transition climatique au sein des pays en termes de redistribution, des différences fondamentales sur le plan des ressources et des capacités ne sont pas à négliger dans la définition des mesures à prendre par les pays en développement.
Pour pouvoir garantir une transition juste à l’échelle planétaire, les économies avancées doivent cerner et gérer les répercussions de leurs politiques climatiques sur les pays en développement.
En respectant certains principes établis tels que l’appropriation nationale et l’importance accordée à une plus grande cohérence des politiques, les fournisseurs de coopération pour le développement peuvent instaurer une confiance mutuelle, améliorer les initiatives de développement en lien avec le climat et produire des résultats mutuellement bénéfiques à l’appui de transitions justes à l’échelle mondiale.
À l’instar de l’industrialisation, de l’automatisation et d’autres transformations économiques, la transition climatique entraîne des bouleversements qui modifient profondément les modes de production et de consommation. Selon les groupes concernés au sein d’une même société, elle peut être soit bénéfique, soit préjudiciable. L’action climatique est par ailleurs indispensable au développement : elle limite les coûts socioéconomiques potentiellement énormes du changement climatique et ouvre de nouvelles perspectives économiques aux pays en développement.
Tout le défi consiste donc à savoir comment gérer les perturbations liées au processus de transition de manière équitable et juste. Cette question – à laquelle les pays en développement et les pays de l’OCDE sont confrontés – a des implications pratiques pour la viabilité de la transition climatique. À la différence d’autres transformations économiques, la transition climatique est largement déterminée par l’action publique (OCDE, 2024[1]), et son aboutissement est donc conditionné par le soutien du public, qui repose sur l’équité et la justice perçues. Concept né dans les pays de l’OCDE, la transition juste n’a pas toujours été envisagée sous l’angle spécifique de ses répercussions sur les pays en développement, mais il est de plus en plus admis qu’il est nécessaire d’aborder l’idée de justice à l’échelle planétaire tout au long de la transition (OCDE, 2024[2] ; Wang et Lo, 2021[3]). En d’autres termes, pour être considérée comme réussie, une transition climatique doit impérativement être juste. Mais de quoi est-elle réellement synonyme pour les pays en développement1 ?
Bien qu’une transition juste soit communément mise en avant en tant que principe directeur de toute politique climatique, elle ne répond à ce jour à aucune définition précise. Ce concept est né de l’activisme syndical des années 1980, aux États‑Unis, autour de la protection des travailleurs dans les secteurs soumis à des normes environnementales plus strictes. Il a depuis évolué pour englober un large éventail de préoccupations socioéconomiques liées à la transition vers des économies bas carbone et économes en ressources (OCDE, 2024[2])2. Les pays développés comme les pays en développement expriment de plus en plus leur volonté d’adopter une démarche globale selon laquelle la justice est envisagée à l’échelle planétaire.
Les appels en faveur d’une transition juste soulignent combien il est nécessaire de tenir compte des perspectives ouvertes par cette transformation des sociétés et des économies à l’échelle planétaire, mais aussi de ses répercussions, notamment sur les marchés du travail, ainsi que sur les coûts économiques et l’accès des ménages à l’énergie. Toutefois, dans le cadre d’une transition juste, le type de justice envisagé et la nature de la transition diffèrent considérablement selon le contexte (Encadré 18.1). En fonction des contours de la définition d’une transition juste, ce ne seront pas toujours les mêmes parties prenantes qui auront voix au chapitre et endosseront la responsabilité de cette transition. Par exemple, les lignes directrices fournies par l’Organisation internationale du travail (OIT, 2016[4]) s’adressent principalement aux responsables de l’action publique et ciblent les questions relatives au travail, tandis que le Centre de l’OCDE pour la conduite responsable des entreprises s’intéresse surtout aux initiatives menées par les entreprises (OCDE, 2024[5]).
Le concept de transition juste est de plus en plus abordé en termes de justice non seulement au sein des pays (par exemple la gestion de l’évolution du marché du travail national résultant de la décarbonation de l’économie), mais aussi entre les pays. Bien souvent, lorsqu’un pays met en œuvre des politiques en matière d’action publique visant à lutter contre le changement climatique, elles ont des répercussions au-delà de ses frontières, comme en témoignent les retombées des mesures prises par les pays développés sur le climat dans les pays en développement.
Le concept de transition juste est de plus en plus abordé en termes de justice non seulement au sein des pays (par exemple gestion de l’évolution du marché du travail national résultant de la décarbonation de l’économie), mais aussi entre les pays.
En résumé, les contours du concept de transition juste sont vastes et spécifiques à chaque contexte. Dans les faits, ils englobent la nécessité de gérer les effets redistributifs de la transition, de veiller à ce que les avantages soient équitablement partagés, d’atténuer les coûts et de proposer des mesures d’indemnisation pour les parties prenantes qui en subissent les effets à la fois au sein des pays et entre eux.
En vue de définir le concept d’une transition juste, il convient de bien comprendre la nature de la justice et de la transition en question, et ces deux aspects peuvent différer selon le contexte.
Pour être considérée comme juste, une transition doit concentrer les différentes dimensions de la justice, notamment : distributive (mesure dans laquelle les avantages ou les inconvénients des transitions profitent, entre autres, à des groupes sociaux, des zones géographiques, des secteurs économiques particuliers) ; procédurale (caractère équitable, transparent et inclusif du processus par lequel les transitions se déroulent) ; fondée sur la reconnaissance (respect des diverses valeurs, expériences, identités culturelles et héritages des différentes communautés) (OCDE, 2024[2]). Un amalgame est parfois fait entre une transition juste et les concepts connexes, mais bien distincts, de justice climatique et de justice environnementale. Ces trois concepts se recoupent en de nombreux points et mettent l’accent sur les principes d’équité et de justice, faisant ressortir les différences entre les communautés sur les plans des vulnérabilités et des charges supportées. Mais on constate toutefois des disparités majeures. Par exemple, il est plus probable de voir les questions liées aux pertes et préjudices résultant des effets du changement climatique et les défis environnementaux hors dérèglement climatique être couverts respectivement par les concepts de justice climatique et de justice environnementale, plutôt que par une démarche de transition juste (OCDE, 2024[2]).
La nature de la transition varie en fonction du contexte, et chaque transition nationale sera parfaitement unique. Les politiques mises en œuvre par les administrations publiques et les secteurs les plus touchés dépendent nécessairement des structures économiques et des profils d’émissions des pays. Par exemple, en Amérique latine et dans les Caraïbes, les émissions liées aux combustibles représentent 43 % des émissions nettes de gaz à effet de serre, soit bien moins que la moyenne de l’OCDE (84 %). L’agriculture représente 25.0 % des émissions nettes de cette région, contre 8.5 % en moyenne dans la zone OCDE. En revanche, l’utilisation des terres, le changement d’affectation des terres et la foresterie représentent 20 % des émissions totales de la région, alors qu’elles constituent un puits net pour l’OCDE (2023[6]). De ce fait, les effets relatifs de la transition sur les différents secteurs varieront considérablement d’une région à l’autre. Les préoccupations concernant l’accès à l’énergie, dont le poids est tout aussi important lors de la définition d’une transition juste, prendront une teinte différente (même si, souvent, elles pèseront encore fortement) dans les pays riches en ressources énergétiques (qu’il s’agisse de combustibles fossiles ou d’énergies renouvelables) et dans ceux qui dépendent plus massivement des importations. Ainsi, la nature et les démarches adoptées à l’appui de la transition varieront à la fois entre les pays développés et en développement, et entre les pays de ces deux catégories, selon leur expérience propre.
Source : OCDE (2024[2]), Justice environnementale : Contexte, défis et approches nationales, https://doi.org/10.1787/d96d644d-fr ; OCDE (2023[6]), Environment at a Glance in Latin America and the Caribbean: Spotlight on Climate Change, https://doi.org/10.1787/2431bd6c-en.
L’expérience des pays de l’OCDE illustre les conséquences plurielles de la transition climatique en termes de redistribution au sein des pays, mais ce sont les points de départ différents des transitions qui déterminent les trajectoires des pays en développement. Malgré un tableau global nuancé, les données provenant des pays de l’OCDE relatives aux conséquences de la transition verte sur les marchés du travail donnent à penser que celle-ci entraîne une dégradation des perspectives d’emploi pour les ouvriers et les travailleurs agricoles (Graphique 18.1), une charge plus importante en termes de reconversion pour les travailleurs peu qualifiés, et la concentration des avantages associés aux professions vertes sur les emplois hautement qualifiés (OCDE, 2024[1])3. Les effets de la transition sont également hétérogènes d’une région à une autre : les risques sont élevés dans les zones qui concentrent beaucoup de secteurs à forte intensité d’émission, et les avantages s’accumulent dans les zones dotées du capital humain (OCDE, 2023[7]) et des ressources (minéraux critiques par exemple) (OCDE, 2023[8]) nécessaires à la transition climatique. Au niveau des ménages, les dispositifs de tarification du carbone ont tendance à constituer une régression en l’absence de mesures correctives (Immervoll et al., 2023[9] ; OCDE, 2024[1]). Parallèlement, les politiques climatiques sont susceptibles de faire peser des charges plus lourdes aux petites et moyennes entreprises (PME), par exemple parce que ces dernières sont moins à même de se conformer aux normes et obligations en matière d’information4 (OCDE, 2023[10]).
Dans une certaine mesure et à des degrés divers, ces problématiques auxquelles les pays de l’OCDE sont confrontés trouvent un écho dans les pays en développement, où la transition n’a pas nécessairement les mêmes répercussions sur l’ensemble du marché du travail. Dans les principaux pays en développement producteurs de combustibles fossiles, par exemple, les effets négatifs sur les travailleurs dont l’emploi est directement ou indirectement lié au secteur de l’énergie sont particulièrement prononcés (OCDE, 2022[12]). Ainsi, en Asie du Sud-Est, on observe souvent une forte concentration des chaînes de valeur de l’extraction du charbon dans quelques régions, ce qui accroît le risque de voir les inégalités régionales amplifiées par la transition (OCDE, 2024[13]). De la même manière, par exemple dans les économies en développement reposant sur les industries extractives, les réformes des subventions aux énergies fossiles peuvent avoir des effets redistributifs négatifs, en particulier pour les ménages qui consacrent une part relativement plus importante de leurs dépenses totales à l’énergie (OCDE, 2022[12]).
La transition verte entraîne une dégradation des perspectives d’emploi pour les ouvriers et les travailleurs agricoles, une charge plus importante en termes de reconversion pour les travailleurs peu qualifiés, et la concentration des avantages associés aux professions vertes sur les emplois hautement qualifiés.
Toutefois, les pays en développement se heurtent par ailleurs à des problèmes distincts. Dans les pays dotés de systèmes énergétiques naissants, par exemple, la transition climatique suppose de lutter contre la pauvreté énergétique au moyen de sources renouvelables (OCDE, 2023[14]), ce qui fait de l’accès à l’énergie une variable majeure lors de l’évaluation des inégalités. De façon plus générale, les projections relatives aux implications de la transition – qui restent à ce jour incomplètes dans les pays de l’OCDE5 – sont encore plus vagues dans les pays en développement en raison du manque de financement et de données, des contraintes en termes de capacités humaines et des problèmes de gouvernance (OCDE, 2023[15]). Avant de mettre au point et de promouvoir une transition juste dans les pays en développement, il convient au préalable d’investir dans ces travaux de diagnostic, et d’y apporter un concours.
On peut observer que les conséquences en termes de redistribution revêtent plusieurs dimensions et, partant, requièrent des mesures différentes en matière d’action publique. Concernant l’évolution des marchés du travail, les travaux de recherche de l’OCDE mettent en avant le rôle majeur des politiques de l’éducation et des compétences, ainsi que des mécanismes de protection sociale (assurance des salaires, par exemple) dans le lissage des coûts liés à la transition (OCDE, 2023[11] ; 2023[7] ; 2024[1]). Les transferts publics compensatoires peuvent aussi aider à neutraliser les évolutions régressives résultant des dispositifs de tarification du carbone (Immervoll et al., 2023[9] ; OCDE, 2024[1]). En outre, l’apport d’un soutien financier et technique, associé à l’élaboration de normes adaptées à la situation propre aux PME6, peut contribuer à alléger les contraintes pesant sur elles (OCDE, 2023[10]).
La disponibilité d’informations détaillées – non seulement sur les conséquences de la transition7, mais aussi sur les éléments qui font obstacle aux solutions en matière d’action publique ou qui les favorisent – est précieuse, et constitue un fil conducteur dans les travaux de recherche. Par exemple, dans les pays de l’OCDE, la participation à des programmes de formation reste faible parmi les travailleurs qui occupent des emplois à forte intensité d’émission et sont exposés au risque de suppression de leur emploi (OCDE, 2023[7]). Afin d’élaborer des politiques efficaces relatives aux marchés du travail, il est crucial de bien cerner les obstacles internes (la motivation, par exemple) et externes (les coûts, par exemple) qui empêchent ces travailleurs de s’inscrire à de tels programmes (OCDE, 2023[16] ; 2023[11]). Le dialogue social et son rôle fondamental constituent un autre élément transversal. Les conséquences en termes de redistribution font des gagnants et des perdants : dans ce contexte, l’expérience de l’OCDE montre que le dialogue et l’inclusivité des processus décisionnels peuvent atténuer le ressentiment, renforcer la confiance et améliorer l’acceptation par le public des politiques climatiques8.
Le secteur informel limite également la capacité des régimes de protection sociale à réduire les coûts de transition. Dans les faits, les travailleurs du secteur formel sont deux fois plus susceptibles de cotiser aux régimes de protection sociale et/ou d’en bénéficier.
Les différences fondamentales, notamment en termes de ressources et de capacités, influent sur le degré de transposabilité aux pays à faible revenu des mesures prises par les économies de l’OCDE. Dans les pays en développement, les contraintes budgétaires (OCDE/Commission de l’Union africaine/African Tax Administration Forum, 2023[17] ; Commission de l’Union Africaine/OCDE, 2023[18]) et les déficits de financement (voir, par exemple, le Graphique 18.2 pour la situation en Afrique), associés aux capacités limitées des pouvoirs publics (OCDE, 2022[12]) sont souvent un obstacle à la mise en œuvre de vastes programmes de dépenses publiques en faveur de la protection sociale et des dispositifs de reconversion9. Le secteur informel limite également la capacité des régimes de protection sociale à réduire les coûts de transition. Dans les faits, les travailleurs du secteur formel sont deux fois plus susceptibles de cotiser aux régimes de protection sociale et/ou d’en bénéficier (Kolev, La et Manfredi, 2023[19]). Le manque de confiance compte parmi les obstacles à la transition verte dans les économies non avancées (OCDE, 2024[20] ; Cologna et Siegrist, 2020[21]). Le dialogue social y est également plus difficile, car les systèmes de gouvernance participative et les processus délibératifs auxquels les pays de l’OCDE ont recours (tels que les mécanismes de dialogue tripartite et les conventions citoyennes)10 sont généralement plus fragiles dans les pays en développement.
Le consensus est grandissant sur un point : une transition juste suppose de prendre en compte les effets induits non seulement au sein des pays, mais aussi entre les pays et tout au long des chaînes de valeur internationales. Entre autres fils conducteurs, les travaux de l’OCDE font ressortir le fait que les politiques environnementales et climatiques menées par les pays développés influent souvent sur les modes de calcul appliqués aux transitions spécifiques des pays en développement11.
Les délocalisations d’émissions de carbone comptent parmi les retombées potentielles majeures. On parle de délocalisation d’émissions de carbone lorsque les émissions de pays étrangers augmentent sous l’effet de la mise en place ou de l’intensification des politiques climatiques menées dans un pays donné (OCDE, 2020[22]). Les délocalisations induites par les pays développés vers les pays en développement peuvent survenir au travers des échanges et de l’investissement si des politiques climatiques plus strictes dans les premiers, sans contrepartie dans les seconds, augmentent les coûts supportés par les entreprises et réduisent le retour sur investissement. Malgré les données ex post limitées à ce jour concernant ces délocalisations, on estime que cet effet d’entraînement pourrait aussi donner lieu à une évolution des processus de production – dont la relocalisation d’industries à forte intensité d’émission et très polluantes comme les produits chimiques, le ciment et l’acier – vers les pays en développement, vérifiant alors le phénomène de « refuge pour les pollueurs » (Prag, 2020[23]). Dans le même temps, les efforts unilatéraux déployés pour remédier à d’éventuelles délocalisations d’émissions de carbone, comme les ajustements carbone aux frontières et les exigences de contenu local, peuvent avoir des répercussions sur la concurrence et les échanges internationaux. Lors de l’élaboration de ces instruments, il est indispensable de veiller tout particulièrement à ce qu’ils appuient les efforts d’atténuation, tout en maintenant des règles du jeu équitables et sans privilégier les économies avancées, notamment par rapport aux pays en développement qui ont des processus de production à plus forte intensité de carbone et des capacités moindres pour répondre aux exigences en matière de mesure et de notification.
Parmi les autres exemples de mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques susceptibles d’avoir des répercussions, on peut citer les trains de mesures mis en œuvre dans les économies avancées ces dernières années au titre des politiques industrielles vertes à grande échelle, comme la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act) aux États-Unis et le plan d’investissement du Pacte vert de l’Union européenne. Ces mesures peuvent fortement stimuler des industries bas carbone et, sous l’angle de l’économie politique, elles peuvent aussi jouer un rôle majeur en soutenant les emplois et les industries sur le marché intérieur. Les avantages qu’elles procurent au niveau national peuvent toutefois avoir un coût pour les pays en développement, qui n’ont généralement pas les capacités et les financements nécessaires pour lancer des programmes aussi vastes (à l’exception de la République populaire de Chine, de l’Indonésie et de quelques autres grandes économies émergentes). Il existe un risque que les pays en développement ne bénéficient pas des trains de mesures relevant des politiques industrielles vertes, qui orienteraient plutôt les investissements bas carbone vers les économies avancées, creusant ainsi le déficit déjà considérable dans ce domaine (Montague, Raiser et Lee, 2024[24]). De même, on pourrait voir les acteurs des pays en développement être de plus en plus exclus des chaînes d’approvisionnement lorsqu’ils ne sont pas en mesure de respecter les normes requises pour bénéficier des mesures publiques de soutien adoptées au titre des politiques industrielles.
Il existe un risque que les pays en développement ne bénéficient pas des trains de mesures relevant des politiques industrielles vertes, qui orienteraient plutôt les investissements bas carbone vers les économies avancées, creusant ainsi le déficit déjà considérable dans ce domaine (Montague, Raiser et Lee, 2024[24]).
Les efforts déployés récemment par l’Union européenne (UE) pour mettre un terme aux importations de bois et de produits agricoles contribuant à la déforestation, en vertu du règlement de 2023 relatif à la lutte contre la déforestation, ont suscité de vives critiques de la part de certains pays en développement producteurs, qui estiment que cette réglementation est inéquitable et pèse lourdement sur eux. Plusieurs de ces pays ont fait part de leurs préoccupations concernant, d’une part, les atteintes à la réputation découlant du fait d’être considérés comme à risque élevé au regard de ce règlement et, d’autre part, les effets de contagion pour ce qui concerne l’accès aux marchés et les niveaux d’exportation. L’UE a finalement décidé de reporter la mise en œuvre de ce système de classification (Bounds, Hancock et Beattie, 2024[25]).
C’est l’ensemble des instruments de coopération pour le développement qui est nécessaire afin de soutenir les pays en développement dans leurs efforts de gestion d’une transition juste. Cela passe notamment par le fait de rendre les ressources financières disponibles, accessibles et abordables pour les pays partenaires, d’aider ces derniers à mettre en place des cadres réglementaires et d’action publique adaptés, et de soutenir le développement des capacités requises (OCDE, 2019[26]). L’objectif poursuivi devrait être de permettre aux pays partenaires de déterminer dans un premier temps la nature exacte de leur transition climatique, y compris les éventuels points de friction et perspectives, puis de prendre des mesures concrètes afin de mettre en œuvre leurs priorités.
... compte tenu de la nature transversale de la transition climatique, la coopération pour le développement a tout à gagner à adopter une démarche systémique, consistant à appréhender les effets de la transition dans leur globalité et à favoriser la coordination entre les ministères et les autres parties prenantes.
Les principes de développement aujourd’hui bien établis peuvent être adaptés au contexte climatique afin d’apporter un soutien efficace aux pays partenaires. Toute démarche au regard d’une transition juste étant propre à chaque contexte, les efforts en matière de coopération pour le développement dans ce domaine doivent faire l’objet d’une démarche d’appropriation par les pays partenaires et être orientés par les réalités de ces derniers. Éléments déjà bien connus, les principes relatifs à l’efficacité de l’aide – à savoir l’appropriation par les pays partenaires, l’orientation vers les résultats, les partenariats inclusifs à l’appui du développement, ainsi que la transparence et la redevabilité mutuelle (GPEDC, 2024[27]) – doivent guider l’aide au développement liée au climat. De façon plus générale, et compte tenu de la nature transversale de la transition climatique, la coopération pour le développement a tout à gagner à adopter une démarche systémique, consistant à appréhender les effets de la transition dans leur globalité et à favoriser la coordination entre les ministères et les autres parties prenantes.
Miser en priorité sur la cohérence des politiques peut accroître l’efficacité du soutien apporté en faveur du développement. L’action climatique relève d’un engagement planétaire et, partant, ses conséquences transcendent les frontières et diffèrent au sein des pays et entre eux. Une vision planétaire est indispensable pour apporter un véritable soutien aux pays en développement dans la perspective d’une transition juste. Pour les fournisseurs de coopération pour le développement, cela implique de suivre et d’évaluer les effets transnationaux de leurs politiques publiques (OCDE, 2019[28]) et de promouvoir des solutions climatiques qui tiennent compte de ces effets. Ces actions, notamment si elles s’inscrivent dans le cadre de consultations avec les pays en développement, peuvent renforcer la confiance mutuelle, faire en sorte que les démarches des fournisseurs en matière d’action climatique accentuent leurs efforts de développement liés au climat au lieu de les en détourner, et favoriser une transition juste à l’échelle mondiale.
[25] Bounds, A., A. Hancock et A. Beattie (2024), « EU delays stricter rules on imports from deforested areas », Financial Times, https://www.ft.com/content/8dab4dc6-197b-4a2f-86f0-d5e83ce00b09.
[21] Cologna, V. et M. Siegrist (2020), « The role of trust for climate change mitigation and adaptation behaviour: A meta-analysis », Journal of Environmental Psychology, vol. 69, p. 101428, https://doi.org/10.1016/j.jenvp.2020.101428.
[18] Commission de l’Union Africaine/OCDE (2023), Dynamiques du développement en Afrique 2023 : Investir dans le développement durable, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/3269532b-en.
[27] GPEDC (2024), Les principes d’efficacité, Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement, https://www.effectivecooperation.org/landing-page/effectiveness-principles#.
[9] Immervoll, H. et al. (2023), Who pays for higher carbon prices?: Illustration for Lithuania and a research agenda, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/8f16f3d8-en.
[19] Kolev, A., J. La et T. Manfredi (2023), Extending social protection to informal economy workers: Lessons from the Key Indicators of Informality based on Individuals and their Household (KIIbIH), Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/ca19539d-en.
[24] Montague, C., K. Raiser et M. Lee (2024), Bridging the clean energy investment gap: Cost of capital in the transition to net-zero emissions, Éditions OCDE, Paris.
[5] OCDE (2024), Advancing Robust, Credible and Just Transition Plans, Éditions OCDE, Paris, à paraître.
[20] OCDE (2024), Government at a Glance: Latin America and the Caribbean 2024, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/4abdba16-en.
[2] OCDE (2024), Justice environnementale : contexte, défis et approches nationales, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/57616eb4-en.
[1] OCDE (2024), Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2024 : Transition vers la neutralité carbone et marché du travail, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/ac8b3538-en.
[13] OCDE (2024), Towards Greener and More Inclusive Societies in Southeast Asia, Études du Centre de développement, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/294ce081-en.
[16] OCDE (2023), Assessing and Anticipating Skills for the Green Transition: Unlocking Talent for a Sustainable Future, Getting Skills Right, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/28fa0bb5-en.
[15] OCDE (2023), Capacity Development for Climate Change in Small Island Developing States, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/888c870a-en.
[6] OCDE (2023), Environment at a Glance in Latin America and the Caribbean: Spotlight on Climate Change, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/2431bd6c-en.
[7] OCDE (2023), Job Creation and Local Economic Development 2023: Bridging the Great Green Divide, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/21db61c1-en.
[8] OCDE (2023), Mining Regions and Cities in the Region of Antofagasta, Chile: Towards a Regional Mining Strategy, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9836e155-en.
[10] OCDE (2023), Perspectives de l’OCDE sur les PME et l’entrepreneuriat 2023, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/342b8564-en.
[11] OCDE (2023), Perspectives de l’OCDE sur les compétences 2023 : Les compétences au service d’une transition écologique et numérique résiliente, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/fe76e556-fr.
[14] OCDE (2023), Supporting developing countries’ energy transition: Analytical elements to facilitate policy dialogue on a DAC approach, OCDE, Paris.
[12] OCDE (2022), Equitable Framework and Finance for Extractive-based Countries in Transition (EFFECT), OECD Development Policy Tools, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/7871c0ad-en.
[22] OCDE (2020), Climate Policy Leadership in an Interconnected World: What Role for Border Carbon Adjustments?, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/8008e7f4-en.
[26] OCDE (2019), Aligning Development Co-operation and Climate Action: The Only Way Forward, Objectif développement, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/5099ad91-en.
[28] OCDE (2019), Recommandation du Conseil sur la cohérence des politiques au service du développement durable, https://legalinstruments.oecd.org/fr/instruments/oecd-legal-0381.
[17] OCDE/Commission de l’Union africaine/African Tax Administration Forum (2023), Statistiques des recettes publiques en Afrique 2023, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/15bc5bc6-en-fr.
[4] OIT (2016), Principes directeurs pour une transition juste vers des économies et des sociétés écologiquement durables pour tous, Organisation internationale du Travail, Genève, https://www.ilo.org/fr/publications/principes-directeurs-pour-une-transition-juste-vers-des-economies-et-des.
[23] Prag, A. (2020), The climate challenge and trade: Would border carbon adjustments accelerate or hinder climate action?, background Paper for the 39th Round Table on Sustainable Development, OECD, Paris, https://www.oecd.org/sd-roundtable/papersandpublications/The%20Climate%20Challenge%20and%20Trade...%20background%20paper%20RTSD39.pdf.
[3] Wang, X. et K. Lo (2021), « Just transition: A conceptual review », Energy Research & Social Science, vol. 82, p. 102291, https://doi.org/10.1016/j.erss.2021.102291.
← 1. Ce chapitre est une contribution au projet horizontal de l’OCDE « Zéro émission nette + : Résilience climatique et économique dans un monde en mutation », dans le cadre de ses travaux transversaux sur les perspectives des pays en développement en matière d’action climatique. Ses auteurs s’appuient sur les discussions d’un groupe de réflexion composé d’experts de l’OCDE, de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). Ils souhaitent remercier Ida Mc Donnell, Jens Sedemund, Eleanor Carey et Kilian Raiser pour leurs conseils et leurs commentaires. Ils souhaitent également remercier leurs collègues des directions de l’OCDE suivantes : Secrétariat général (Joscha Rosenbusch), Centre pour l’entrepreneuriat, les PME, les régions et les villes (Marija Kuzmanovic, Marco Marchese), Direction des affaires financières et des entreprises (Noemi Gietemann, Sophia Gnych, Iris Mantovani, Benjamin Michel), Direction de la coopération pour le développement (Özlem Taskin), Direction de l’éducation et des compétences (Diana Figueroa Toledo), Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales (Katharine Mullock), Direction de l’environnement (Yuko Ishibashi), Direction de la science, de la technologie et de l’innovation (Alice Holt), et Centre de développement (Luis Cecchi, Andrea Cinque, Olivia Cuq, Juan De Laiglesia, Jason Gagnon, Lahra Liberti, Arthur Minsat, Jan Rielaender). Ils souhaitent en outre remercier l’IDDRI (Henri Waisman) et l’AIE (Jane Cohen).
← 2. Plusieurs pays de l’OCDE ont formalisé leurs engagements en faveur d’une transition juste dans le cadre de leurs efforts relevant de l’action climatique. À titre d’exemple, le Costa Rica a intégré les principes d’une transition juste dans ses contributions déterminées au niveau national, en vertu de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), et le pays a fait de ce concept une composante à part entière de la planification de son propre développement. Si la mise en œuvre de ce plan a été pour l’essentiel pilotée par le ministre de l’Environnement et de l’Énergie, le processus prévoit la participation d’un large éventail de parties prenantes, y compris des groupes vulnérables. Dans le même esprit, en Nouvelle‑Zélande, l’équipe du partenariat pour des transitions justes (Just Transitions Partnership), qui fait partie du ministère de l’Innovation des entreprises et de l’Emploi, intervient dans l’ensemble des ministères et des organismes publics et collabore avec des partenariats régionaux afin de planifier et gérer la transition d’une manière juste et équitable, tout en veillant à son alignement sur les objectifs de l’administration centrale, voir https://doi.org/10.1787/79ff43a3-fr.
← 3. Par exemple, selon l’édition 2024 à paraître des Perspectives de l’emploi de l’OCDE, pour ce qui concerne les emplois verts, les travailleurs hautement qualifiés bénéficient d’une majoration salariale importante, alors que les travailleurs peu qualifiés sont généralement moins bien rémunérés que ceux qui occupent des emplois peu qualifiés dans d’autres secteurs.
← 4. Le coût unitaire plus élevé de l’énergie et l’accès limité aux incitations fiscales vertes, ainsi que les conditions d’éligibilité à ces incitations, impliquent également que la transition climatique représente une charge disproportionnée pour les PME. Pour de plus amples détails, voir https://doi.org/10.1787/6813bf38-en.
← 5. Pour un examen des limites liées aux données lors de la cartographie des implications de la transition verte sur les marchés du travail dans les pays de l’OCDE, voir par exemple https://doi.org/10.1787/fe76e556-fr.
← 6. Les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales sur la conduite responsable des entreprises préconisent des mesures d’atténuation proportionnées et fondées sur les risques. Ils invitent les entreprises à adapter et ajuster leur devoir de diligence en fonction de leur taille, de leur implication dans tout impact négatif et de la gravité de cet impact, afin de s’assurer que les attentes en matière diligence raisonnable sont réalisables. Voir https://doi.org/10.1787/0e8d35b5-fr.
← 7. Même parmi les pays de l’OCDE, on observe une hétérogénéité notable de l’offre sous-jacente de compétences vertes et, de ce fait, du potentiel de redéploiement de la main-d’œuvre. Pour un examen plus approfondi, voir https://doi.org/10.1787/6813bf38-en.
← 8. Voir, par exemple, les travaux de l’OCDE, https://doi.org/10.1787/4abdba16-en, https://doi.org/10.1787/34a56a87-fr et Dechezleprêtre et al. https://doi.org/10.1787/3406f29a-en.
← 9. Par exemple, dans la région Amérique latine et Caraïbes (ALC), seuls 15 % des travailleurs ont la possibilité de suivre une formation, sous une forme ou une autre, contre 56 % de leurs homologues dans les pays de l’OCDE. Voir https://doi.org/10.1787/3d5554fc-en.
← 10. À titre d’exemple, dans plusieurs pays européens, le tripartisme est inscrit dans la législation sociale, voir https://www.imperial.ac.uk/grantham/publications/briefing-papers/towards-a-just-and-equitable-low-carbon-energy-transition.php. Des processus de consultation sous-tendent également les stratégies d’abandon progressif des combustibles fossiles tels que le charbon, voir https://doi.org/10.1787/21db61c1-en. D’autres exemples de processus délibératifs utilisés dans les pays de l’OCDE pour aborder les questions liées au climat sont étudiés au sein de l’OCDE, https://doi.org/10.1787/34a56a87-fr.
← 11. L’inverse peut également être vrai, par exemple dans le cas des restrictions à l’exportation mises en œuvre par des pays en développement possédant d’importantes réserves de minéraux critiques, voir https://doi.org/10.1787/c6bb598b-en. Cette question est également abordée dans un document de l’OCDE à paraître sur les effets des restrictions à l’exportation sur les échanges et les marchés intérieurs, qui s’appuie sur des études de cas consacrées au cobalt, au lithium et au nickel.