Suresh Chandra Babu
Institut international de recherche sur les politiques alimentaires
Coopération pour le développement 2024
21. Une agriculture et des systèmes alimentaires climato-intelligents conçus pour réduire la pauvreté et la faim
Copier le lien de 21. Une agriculture et des systèmes alimentaires climato-intelligents conçus pour réduire la pauvreté et la faimAbstract
Les communautés pauvres dont les moyens de subsistance dépendent du bon fonctionnement des systèmes alimentaires sont très vulnérables face aux effets dévastateurs du changement climatique, alors même que les systèmes agroalimentaires émettent d’importantes quantités de gaz à effet de serre. Le présent chapitre propose un examen des solutions permettant de déployer à plus grande échelle des technologies et des pratiques innovantes en vue de transformer les systèmes alimentaires et de tirer parti de l’action climatique pour réduire la pauvreté, la faim et la malnutrition, conformément aux Objectifs de développement durable y afférents. En s’appuyant sur l’expérience de différents pays – Inde, Myanmar, République démocratique populaire lao et Tadjikistan – en matière de stratégies intégrées, les auteurs étudient de quelle manière les stratégies climatiques telles que les contributions déterminées au niveau national peuvent être alignées sur les stratégies nationales agricoles et de lutte contre la pauvreté ; la nécessité d’une action et d’une participation multisectorielles et multipartites ; les difficultés liées aux financements conjoints à l’appui de l’action climatique et des objectifs de lutte contre la pauvreté et la faim ; et l’adaptation des systèmes des États et des donneurs afin de coordonner la mise en œuvre.
Messages clés
Copier le lien de Messages clésEn 2022, 2.4 milliards de personnes n’avaient pas un accès régulier à une alimentation adéquate. Les effets dévastateurs du changement climatique sur les systèmes alimentaires pourraient rendre les objectifs d’élimination de la faim, de la malnutrition et de la pauvreté encore plus inaccessibles.
La transformation des systèmes alimentaires est un levier essentiel pour atteindre les objectifs de neutralité carbone, car ils sont responsables de près de 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Les technologies et pratiques agroalimentaires innovantes et éprouvées peuvent permettre de réduire les émissions, d’accroître les rendements et de renforcer la résilience, et devraient dès lors être déployées à plus grande échelle.
Des mesures d’action publique, des initiatives et des financements alignés, intégrés et coordonnés dans les domaines du climat, de la pauvreté, de la faim et de la malnutrition sont les mieux à même d’aider les communautés pauvres particulièrement vulnérables, dont les moyens de subsistance dépendent du bon fonctionnement des systèmes alimentaires.
Les partenaires au développement devraient recourir à des plateformes multipartites au niveau des pays afin de coordonner les engagements, les plans d’action et les investissements axés sur les questions liées au climat ; cela permettrait de garantir une mobilisation optimisée des ressources limitées mises au service de la coopération pour le développement, ainsi qu’une amélioration de différents résultats en matière de développement.
Défaillance des systèmes alimentaires, changement climatique et pauvreté : briser les cercles vicieux
Copier le lien de Défaillance des systèmes alimentaires, changement climatique et pauvreté : briser les cercles vicieuxMalgré de récents progrès dans la lutte contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition au niveau agrégé, 739 millions de personnes ont été confrontées à la faim en 2022, 2.4 milliards n’avaient pas accès à une alimentation adéquate et plus de 3.1 milliards n’avaient pas les moyens d’avoir une alimentation saine (FAO, 2023[1]). La sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des plus pauvres restent fragiles face aux conditions météorologiques et aux événements induits par la crise climatique, et les impacts de ces événements extrêmes sur les systèmes alimentaires aggravent d’autres facteurs de perturbation, comme la pandémie de COVID‑19 et les difficultés connexes pesant sur les chaînes d’approvisionnement, les tensions géopolitiques et la volatilité des prix des denrées alimentaires. Pris dans leur ensemble, tous ces facteurs menacent de faire échouer les initiatives visant à atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) 1 et 2, qui ont pour finalité d’éliminer la pauvreté et de mettre un terme à l’insécurité alimentaire, à la faim et à la malnutrition, et d’enrayer la dégradation des ressources naturelles d’ici à 2030.
Les systèmes agricoles et alimentaires sont à l’origine de près de 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, dont 45 % proviennent des systèmes de production, 34 % des systèmes antérieurs et postérieurs à la récolte, et 21 % des changements d’utilisation des sols (World Bank, 2024[2]). La transformation des systèmes alimentaires jouera donc un rôle essentiel dans la réalisation des objectifs de neutralité carbone. De nombreuses innovations pourraient être déployées à plus grande échelle, dont : l’amélioration de la gestion des éléments nutritifs des sols afin de réduire la surconsommation d’engrais chimiques ; la réduction des émissions de méthane provenant des systèmes de riziculture inondés grâce à des pratiques de substitution ; une meilleure gestion des systèmes d’élevage en vue de réduire la fermentation entérique ; la réduction des émissions de CO2 au niveau de tous les maillons de la chaîne de valeur ; la réduction des pertes et du gaspillage alimentaires grâce à la production de biomasse ; et l’investissement dans l’utilisation efficace des énergies renouvelables, notamment de l’énergie solaire, au service de la production alimentaire et agricole (COP28, 2023[3]). Investir dans des technologies économes en eau peut également permettre de réduire les quantités d’électricité et d’eau utilisées dans l’agriculture, aidant ainsi à gérer la rareté des ressources en eau provoquée par l’épuisement des nappes phréatiques et à faire face aux pénuries d’eau pendant les périodes de sécheresse. La résilience des systèmes alimentaires passe également par la reconnaissance des pratiques agricoles numériques et l’investissement en faveur de leur déploiement à grande échelle.
... les moyens de subsistance des communautés pauvres sont 15 fois plus susceptibles d’être affectés par des catastrophes naturelles telles que des tempêtes, des vagues de chaleur et des inondations, que ceux des communautés non pauvres …
Un système alimentaire qui fonctionne bien et subvient aux besoins de ceux qui en dépendent pour leur subsistance constitue, pour les populations les plus vulnérables, un rempart essentiel contre les répercussions du changement climatique. En effet, d’après le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les moyens de subsistance des communautés pauvres sont 15 fois plus susceptibles d’être affectés par des catastrophes naturelles telles que des tempêtes, des vagues de chaleur et des inondations, que ceux des communautés non pauvres (2023[4]). Les ménages pauvres consacrent une part plus importante de leur revenu à l’alimentation, ce qui les rend plus vulnérables face à l’insécurité alimentaire induite par le climat. En outre, les systèmes agroalimentaires occupent une place centrale dans l’économie de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire, représentant une part conséquente de leur produit intérieur brut (PIB). Ainsi, en 2022, l’agriculture comptait pour 16 % du PIB en Inde et 51 % du PIB en Sierra Leone. Au niveau régional, par exemple, au Sahel et en Afrique de l’Ouest, elle représente 35 % du PIB régional et constitue un moyen de subsistance pour les deux tiers de la population (SWAC/OECD, 2021, p. 9[5]).
Trois types de méthodes pratiques de prévention et d’adaptation à l’appui des communautés pauvres
La première de ces méthodes consiste à cibler la réduction des risques posés par le caractère imprévisible des régimes météorologiques et des catastrophes climatiques extrêmes. Il s’agit notamment d’investir dans des innovations technologiques et numériques qui aident les agriculteurs à accéder, d’une part, à des variétés végétales et des races animales améliorées, capables de résister aux sécheresses, et, d’autre part, à des informations actualisées sur les technologies, les prix et la disponibilité des intrants. En outre, des pratiques intégrées de gestion des sols, de l’eau et des éléments nutritifs fondées sur l’agriculture régénérative, l’agriculture de précision et les cultures sans travail du sol peuvent accroître la résilience des systèmes agricoles. De même, investir dans des systèmes d’alerte précoce permet de prévenir les agriculteurs en cas de catastrophes climatiques imminentes et de leur fournir les informations dont ils ont besoin pour prendre des mesures visant à réduire les risques (Leow et al., 2023[6]). Améliorer la précision et l’actualité des prévisions météorologiques peut amener des millions de petits exploitants à obtenir de meilleurs rendements et revenus, et les aider à s’adapter aux urgences climatiques en instaurant des systèmes de gestion des risques et des mécanismes d’assurance.
Le soutien en faveur des communautés pauvres peut également prendre la forme d’interventions visant à assurer la continuité de la génération de revenus en cas de chocs climatiques. L’initiative HarvestPlus, lancée après l’absence de pluie dans la majorité des régions de l’État indien du Bihar en juillet 2023, en est un exemple (Giri et al., 2023[7]). La majorité des pépinières de riz n’ayant pas survécu en raison du moment inadapté des plantations, les communautés ont reçu des semences biofortifiées de millet perlé pour les semer sur les terres accueillant normalement la culture du riz, et les groupes d’entraide féminins qui ont transformé le millet perlé ont trouvé un débouché commercial à cette céréale. Le programme a non seulement aidé les communautés à s’adapter à des évolutions météorologiques imprévisibles dues au changement climatique, mais il a aussi permis aux femmes de gagner en autonomie et de répondre à leurs besoins nutritionnels et de subsistance. Le retrait du riz du système de culture a également contribué de manière significative à réduire les émissions de méthane provenant des rizières inondées. La diversification des cultures, visant à passer de la monoculture à des cultures multiples, est une autre stratégie qui pourrait accroître la résilience face aux régimes pluviométriques irréguliers.
Le soutien en faveur des communautés pauvres peut également prendre la forme d’interventions visant à assurer la continuité de la génération de revenus en cas de chocs climatiques.
Enfin, des interventions sur mesure sont nécessaires dans les situations d’urgence pour veiller à ce que les communautés aient accès à des aliments sûrs, nutritifs et variés. La dernière édition du manuel Standards for Supporting Crop-related Livelihoods in Emergencies, consacré aux normes pour un appui aux moyens d’existence en rapport avec les cultures dans les situations d’urgence, fournit les lignes directrices nécessaires pour les interventions d’urgence liées aux cultures. Par exemple, ces lignes directrices recommandent des normes minimales relatives aux semences lorsque des mesures d’urgence sont mises en œuvre pour les cultures, de façon à ce que les agriculteurs ne soient pas exposés à des risques provenant d’une autre source. De même, le manuel Livestock Emergency Guidelines and Standards, qui présente des normes et directives pour l’aide d’urgence à l’élevage, fournit des orientations pour les interventions liées à l’élevage en cas de catastrophe climatique. Ainsi, l’application de ces normes et directives pour la reconstruction des abris pour animaux après une catastrophe peut contribuer à accroître la productivité des systèmes d’élevage à mesure qu’ils se rétablissent (SEADS, 2022[8] ; LEGS, 2024[9]). Des programmes de filet de sécurité complémentaires sont nécessaires parallèlement aux interventions : ils contribuent à la réalisation des objectifs en matière d’accessibilité financière des denrées alimentaires.
Pour répondre à l’appel du GIEC en faveur d’une action climatique équitable, les administrations nationales, les partenaires au développement et les autres parties prenantes au système alimentaire sont mis au défi de recenser et déployer à grande échelle tous ces types d’interventions qui produisent des résultats multiples. De telles interventions nécessitent plusieurs changements fondamentaux dans la façon dont les systèmes politiques, institutionnels, de gouvernance, de redevabilité et de capacité fonctionnent aux niveaux national et mondial. Par exemple, les politiques et stratégies nationales doivent être alignées sur les investissements et les dotations budgétaires, les cadres institutionnels et les réglementations doivent appuyer la mise en œuvre des politiques et des programmes pour que leurs objectifs soient réalisés, et les systèmes de gouvernance et de redevabilité doivent être en mesure d’atteindre les objectifs en matière d’action publique. C’est encore plus saisissant pour les stratégies agricoles qui associent des objectifs de sécurité alimentaire et d’action climatique, comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Tirer parti de l’action climatique aux échelons international, national et local pour réduire la pauvreté et la faim
Copier le lien de Tirer parti de l’action climatique aux échelons international, national et local pour réduire la pauvreté et la faimAfin d’opérer une transition vers des systèmes alimentaires plus équitables et responsables au niveau local, il est indispensable d’élaborer des stratégies propres à chaque pays, en fonction de leur économie politique, de leur cadre d’action publique et de leur structure de gouvernance et de redevabilité, ainsi que de renforcer les capacités au niveau local. Ces méthodes locales devraient être guidées par un ensemble de principes communs visant à évoluer de la reconnaissance des difficultés vers la mise en œuvre d’approches intégrées pour les surmonter.
Intégrer l’action climatique internationale et nationale aux stratégies de lutte contre la faim et la pauvreté
Les organisations internationales progressent à grands pas dans l’intégration des mesures climatiques proposées aux objectifs de réduction de la pauvreté, de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition. Une feuille de route mondiale à l’appui de l’ODD 2, par exemple, appelle à transformer les systèmes alimentaires afin d’atteindre le double objectif consistant à limiter la hausse de la température mondiale à 1.5 °C et à éliminer la faim (FAO, 2022[10]). Elle propose des mesures visant à accroître la productivité, à gérer la durabilité des ressources naturelles, à réduire les pertes et le gaspillage alimentaires et à promouvoir la diversité alimentaire en vue d’atteindre les objectifs en matière de climat et de biodiversité. L’accent mis sur la sécurité alimentaire en tant que droit met en lumière la vulnérabilité particulière des communautés pauvres face aux défaillances des marchés. Toutefois, comme l’indique un rapport de référence de l’Alliance mondiale pour l’amélioration de la nutrition (GAIN, 2023[11]), les engagements climatiques prennent rarement la nutrition en compte, et le financement accuse un retard par rapport aux engagements en matière d’action publique, ce qui démontre une fois de plus la nécessité d’intégrer l’action climatique aux stratégies de lutte contre la faim et la pauvreté.
Le cycle de mise à jour 2025 des contributions déterminées au niveau national (CDN) offre une formidable occasion d’intégrer ces stratégies. Par exemple, par le biais de la nouvelle Alliance des champions de la transformation des systèmes alimentaires (Alliance of Champions for Food Systems Transformation) (2024[12]), le Brésil, le Cambodge, la Norvège, le Rwanda et la Sierra Leone se sont engagés à mettre à jour et à aligner leurs CDN, leurs plans nationaux d’adaptation, leurs stratégies à long terme de développement à faible émission, leurs stratégies et plans d’action nationaux en faveur de la biodiversité et, surtout, leurs trajectoires nationales de transformation des systèmes alimentaires d’ici à 2025.
... les engagements climatiques prennent rarement la nutrition en compte, et le financement accuse un retard par rapport aux engagements en matière d’action publique, ce qui démontre une fois de plus la nécessité d’intégrer l’action climatique aux stratégies de lutte contre la faim et la pauvreté.
Par ailleurs, des exemples d’intégration à l’échelon national se font jour. Une étude consacrée aux avantages potentiels dans le contexte du Tadjikistan a conclu que l’intégration des stratégies climatiques et agricoles peut contribuer à économiser des ressources rares et aider les économies en développement et leurs communautés à faire face à différents chocs, à accroître leur productivité, à améliorer la qualité de leur alimentation et à renforcer leur capacité de résilience pour gérer les chocs futurs (Babu et al., 2024[13]). À titre d’exemple, le cheptel laitier est une source essentielle de protéines en milieu rural et un élément d’absorption des chocs en matière de sécurité alimentaire lorsque les cultures produisent de faibles rendements en raison des aléas climatiques. Les pratiques de gestion des élevages au niveau des exploitations pourraient être associées à la gestion des effluents d’élevage en vue de réduire les émissions de méthane ; pour cela, il conviendrait de mettre en place des biodigesteurs rentables au service de la gestion de l’énergie dans les zones rurales éloignées. La République démocratique populaire lao, dont le plan de mise en œuvre de la CDN englobe les secteurs de l’agriculture, de l’énergie, de l’environnement, des ressources en eau et de la foresterie, en raison de leur contribution à l’adaptation au changement climatique et aux objectifs de neutralité carbone, offre un exemple de ce type d’intégration à l’échelon national (Lao Poeple's Democratic Republic, 2021[14]).
Une action multisectorielle et multipartite pour tirer parti de l’action climatique
Des démarches intégrées dans les domaines de l’action climatique et de la lutte contre la pauvreté et la faim peuvent améliorer l’efficience globale, mais la conception et la mise en œuvre des interventions doivent également transcender les frontières sectorielles. Des analyses ciblées au niveau des pays peuvent aider à recenser les lacunes institutionnelles, analytiques et en matière d’investissement, qui doivent être comblées en vue de mener une action multisectorielle et, par ailleurs, la mise en place d’un cadre d’action et d’investissement peut faciliter le suivi des initiatives en faveur de la résilience climatique dans le cadre de l’élaboration des politiques et des stratégies au niveau national. Lorsque les chercheurs ont appliqué ce cadre à la stratégie de développement agricole du Myanmar, ils ont constaté que le fait d’associer les objectifs liés aux systèmes alimentaires à ceux liés au climat peut aider à mettre au point, d’une part, des interventions d’atténuation visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre issues des systèmes alimentaires et, d’autre part, des stratégies d’adaptation pour protéger les pauvres et les populations vulnérables en cas de chocs climatiques, le tout dans le contexte de la transformation des systèmes alimentaires. Ainsi, l’analyse a révélé qu’une approche systémique de l’objectif relatif à la sécurité alimentaire pouvait aider à répertorier un ensemble de facteurs multidimensionnels, à différents niveaux de prise de décision et de coordination des actions visant à protéger les pauvres et les populations vulnérables (Babu et al., 2019[15]).
Les approches multisectorielles sont particulièrement utiles au niveau des administrations nationales et locales décentralisées, où les mesures d’adaptation mobilisent de multiples secteurs, dont l’agroalimentaire, l’irrigation, les ressources en eau, la météorologie et l’exploitation forestière. Une analyse et des stratégies globales suivies d’initiatives ont montré que les approches multisectorielles pouvaient optimiser les investissements et accroître l’efficience des ressources des donneurs mobilisées dans les domaines de l’alimentation et du climat. Les investissements dans une agriculture résiliente face au changement climatique constituent un bon point de départ.
Des consultations inclusives et la coordination des donneurs, bien que souvent négligées, sont des aspects essentiels d’une action intégrée
La diversité, l’inclusivité et l’équité apparaissent aujourd’hui comme des dimensions jouant un rôle déterminant dans l’obtention de résultats positifs à partir de l’action climatique. Pourtant, les consultations avec les pays ont révélé que, dans de nombreux cas, les processus consultatifs laissent de côté les principales parties prenantes. Il est important à plusieurs égards d’opérer une transition juste vers une économie verte. Si la coopération et la coordination internationales se sont améliorées au fil des ans grâce aux plateformes multipartites mondiales, à l’image du processus de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, il reste encore beaucoup à faire aux échelons national et local (Davey, 2023[16]). Les initiatives nationales entreprises par les partenaires au développement, par exemple, doivent être coordonnées. Première étape importante, il convient de recenser les principaux acteurs impliqués dans le processus d’élaboration des politiques relatives au changement climatique, et de déterminer leurs rôles en termes de soutien technique et d’engagements financiers à l’appui de diverses activités liées au climat (Babu, Tohirzoda et Srivastava, 2024[17]). Ce recensement peut servir de référence aux organismes de coordination de l’administration nationale, leur permettant de suivre et d’évaluer les progrès qu’ils accomplissent et de garantir la redevabilité des administrations nationales dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. S’agissant de la réalisation des objectifs climatiques mondiaux au niveau des pays, l’expérience du Tadjikistan montre que ce recensement inclusif des parties prenantes est un processus de longue haleine, mais qu’il pourrait accélérer la phase d’élaboration de l’action climatique fondée sur des données probantes en répertoriant les différents rôles et stratégies des principaux partenaires (Babu et Srivastava, 2024[18]). Dans ce pays, il a fallu près de deux ans pour codifier l’organisation des systèmes relatifs à l’action publique en vue de fixer les priorités d’action parmi les CDN, de créer des connexions entre les secteurs axés sur le climat, notamment les systèmes agroalimentaires, dans l’optique de mener des actions conjointes, et de renforcer les capacités nationales affectées à l’élaboration des plans d’investissement climatique. Les consultations multipartites peuvent contribuer au processus de transition juste, en réduisant les inégalités et en favorisant une transformation inclusive et résiliente des systèmes alimentaires.
Financements conjoints à l’appui de l’action climatique et des objectifs en matière de lutte contre la pauvreté et la faim
Des modèles de financement qui associent les objectifs d’adaptation et de résilience au changement climatique aux résultats en matière de lutte contre la pauvreté et de nutrition continuent d’apparaître ; ils doivent être évalués et transposés à plus grande échelle. La mobilisation de financements à l’appui de ces actions intégrées exige des efforts coordonnés de la part du secteur public, des partenaires au développement, du secteur privé et des organisations non gouvernementales locales et internationales. Par exemple, dans la majorité des pays en développement, des comités de coordination des donneurs sur l’environnement (Donor Coordination Committees on Environment) s’occupent des investissements et des financements liés au climat, tandis que des comités similaires gèrent les questions de sécurité alimentaire et de nutrition. Des réunions mixtes impliquant ces comités contribueront à mettre en évidence les recoupements possibles en vue d’optimiser l’utilisation des ressources et d’obtenir des résultats communs en matière de résilience climatique et de sécurité alimentaire. Une coordination intersectorielle du même type est également nécessaire pour répertorier les lacunes sur le plan de la mise en œuvre, qui résultent des limites du financement. Une action multisectorielle et multipartite inclusive, ainsi que des financements conjoints, des mesures de coordination et l’intégration des stratégies peuvent jouer un rôle déterminant dans l’optimisation des fonds mobilisés à l’appui de l’action climatique.
Adapter les systèmes des États et des donneurs afin de coordonner la mise en œuvre
Les administrations nationales devraient être les coordinateurs ultimes des investissements et des programmes soutenus par les partenaires au développement, encourageant ainsi les synergies et tirant parti de l’action climatique et de l’aide au développement pour atteindre les différents objectifs en matière de développement. On observe souvent une absence de convergence entre les priorités des donneurs et les besoins stratégiques des administrations, faute d’une coordination efficace. Une telle coordination devrait commencer au sein du système public, où les différents secteurs sont réunis pour dresser le bilan des actions climatiques et de leurs implications pour les ministères concernés par les questions climatiques. Dans la majorité des pays, le ministère de l’Environnement est le chef de file des politiques et stratégies de lutte contre le changement climatique, mais des obstacles d’ordre bureaucratique freinent son influence sur d’autres secteurs liés au climat. Une coordination efficace et régulière des différents secteurs est nécessaire afin de promouvoir des interventions véritablement intégrées, qui abordent les questions climatiques, les systèmes alimentaires et la pauvreté. L’architecture institutionnelle, dont la mise en place conditionne l’adéquation de l’intégration et de la coordination, est propre à chaque pays et à chaque contexte, et elle doit être envisagée comme telle. Toutefois, comme vu plus haut, une coordination étroite des initiatives menées par les institutions publiques et les donneurs peut être utile. Au Tadjikistan, par exemple, le cadre élaboré dans le contexte des consultations multisectorielles régulières aide les secteurs à se préparer à prendre en compte des priorités communes, telles que les travaux relatifs aux objectifs de réduction du méthane, en adhérant au Pacte mondial sur le méthane.
Pour mener une action intégrée de lutte contre le changement climatique, la faim et la pauvreté, les partenaires au développement et les administrations nationales des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire devront également modifier leurs propres systèmes. Il est fondamental de parvenir à coordonner les politiques, les stratégies et les plans à différents niveaux si l’on veut atteindre les objectifs communs de l’action climatique et des mesures de lutte contre la pauvreté, les inégalités et la faim. Dans un premier temps, quelques initiatives ont été déployées pour combiner les objectifs sectoriels grâce à une coordination multisectorielle, mais à grande échelle, les succès ont été rares. Par exemple, en collaboration avec des organisations comme le NDC Partnership (Partenariat sur les contributions déterminées au niveau national), la Comprehensive Action for Climate Change Initiative (initiative d’action de grande ampleur en faveur de la lutte contre les changements climatiques) soutient les capacités multisectorielles au niveau national afin de rassembler les pouvoirs publics et les systèmes des donneurs aux fins de la prise en charge systématique des mesures prioritaires relatives à la lutte contre les changements climatiques1. On ne saurait trop insister sur ces processus de renforcement institutionnel et sur le rôle crucial de la mise en œuvre des programmes au niveau des pays, ainsi que de l’apprentissage tiré de ces programmes, dans l’optique de les transposer à plus grande échelle.
Références
[12] Alliance of Champions for Food Systems Transformation (2024), « Transforming food systems for people, nature and climate », web page, https://allianceofchampions.org.
[15] Babu, S. et al. (2019), « Tracking climate resiliency actions in national strategies: A policy and investment framework and application to Myanmar », dans Anbumozhi, V., J. Gross et S. Wesiak (dir. pub.), Towards a Resilient ASEAN Volume 2 : Advancing Disaster Resilience and Climate Change Adaptation : Roadmap and Options for Implementation, Economic Research Institute for ASEAN, Indonesia, https://www.eria.org/uploads/media/Books/2019-vol2-Towards-a-Resilient-ASEAN/09_Disaster-Climate-change-vol.2-Chapter-4.pdf.
[18] Babu, S. et N. Srivastava (2024), « An evidence-based approach to climate change in Central Asia: Tajikistan and the Global Methane Pledge », IFPRI Blog, https://www.ifpri.org/blog/evidence-based-approach-climate-change-central-asia-tajikistan-and-global-methane-pledge.
[13] Babu, S. et al. (2024), « Integrating the development program for agri-food system with climate change policies and commitments in Tajikistan », Central Asia Working Paper, n° 5, International Food Policy Research Institute, Washington, DC, https://hdl.handle.net/10568/138815.
[17] Babu, S., S. Tohirzoda et N. Srivastava (2024), « Stakeholder mapping for climate change action in Tajikistan », Central Asia Working Paper, n° 4, International Food Policy Research Institute, Washington, DC, https://www.ifpri.org/publication/stakeholder-mapping-climate-change-action-tajikistan.
[3] COP28 (2023), Declaration on Sustainable Agriculture, Resilient Food Systems, and Climate Action, United Nations Climate Change, New York, NY, https://www.cop28.com/en/food-and-agriculture (consulté le 6 mai 2024).
[16] Davey, E. (2023), « Commentary: 6 major food breakthroughs at COP28 – and what comes next », World Resources Institute, Washington, DC, https://www.wri.org/insights/food-system-breakthroughs-cop28-whats-next.
[1] FAO (2023), The State of Food and Agriculture 2023: Revealing the True Cost of Food to Transform Agrifood Systems, Food and Agriculture Organization, Rome, https://doi.org/10.4060/cc7724en.
[10] FAO (2022), Achieving SDG 2 Without Breaching the 1.5°C Threshold: A Global Roadmap, Part 1, Food and Agriculture Organization, Rome, https://openknowledge.fao.org/items/b86cd543-e8ca-4e95-b5d2-06ea6af23842 (consulté le 6 mai 2024).
[11] GAIN (2023), Accelerating Action and Opening Opportunities: A Closer Integration of Climate and Nutrition, Global Alliance for Improved Nutrition, Geneva, https://www.gainhealth.org/resources/reports-and-publications/accelerating-action-and-opening-opportunities-closer-integration-climate-and-nutrition.
[7] Giri, R. et al. (2023), « HarvestPlus transforming lives by addressing climate change, gender equality and nutrition in Bihar », https://www.harvestplus.org/harvestplus-transforming-lives-by-addressing-climate-change-gender-inequality-and-nutrition-in-bihar.
[4] IPCC (2023), AR6 Synthesis Report: Climate Change 2023, Intergovernmental Panel on Climate Change, Geneva, https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-cycle.
[14] Lao Poeple’s Democratic Republic (2021), Nationally Determined Contributions, Government of Lao Poeple’s Democratic Republic, Vientiane.
[9] LEGS (2024), Livestock Emergency Guidelines and Standards: Third Edition, Practical Action Publishing, Ltd., Warwickshire, United Kingdom, https://www.livestock-emergency.net/legs-handbook-third-edition (consulté le 6 mai 2024).
[6] Leow, A. et al. (2023), Better Weather Forecasting: Agricultural and Non-Agricultural Benefits in Low- and Lower-Middle-Income Countries, Rethink Priorities, San Francisco, CA, https://rethinkpriorities.org/publications/better-weather-forecasting.
[8] SEADS (2022), Standards for Supporting Crop-related Livelihoods in Emergencies: 2022 Edition, Humanitarian Standards Partnership, https://handbook.hspstandards.org/en/seads/2022/#ch001 (consulté le 6 mai 2024).
[5] SWAC/OECD (2021), « Food system transformations in the Sahel and West Africa: Implications for people and policies », Maps & Facts, n° 4, OECD, Paris, https://www.oecd.org/swac/maps/Food-systems-Sahel-West-Africa-2021_EN.pdf.
[2] World Bank (2024), Recipe for a Livable Planet: Achieving Net Zero Emissions in the Agrifood System, World Bank, https://hdl.handle.net/10986/41468.
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