Wellington Dias
Ministre du Développement et de l’Assistance sociale, de la Famille et de la Lutte contre la faim, Brésil
Coopération pour le développement 2024
1. Point de vue : Cessons de pointer du doigt la complexité et agissons maintenant pour éliminer la pauvreté et la faim – nous savons déjà ce qu’il faut faire
Copier le lien de 1. Point de vue : Cessons de pointer du doigt la complexité et agissons maintenant pour éliminer la pauvreté et la faim – nous savons déjà ce qu’il faut faireNous sommes en 2015. Enhardie par la mise en œuvre réussie des objectifs du Millénaire pour le développement, la communauté internationale se fixe un nouvel ensemble de cibles. Les Objectifs de développement durable (ODD) incarnent la promesse d’un monde meilleur où la faim n’existe plus, d’un monde en passe de garantir à tous une vie digne tout en préservant notre planète et l’environnement et en en prenant soin pour les générations futures. La même année, le Programme d’action d’Addis-Abeba définit un plan pour accroître et aligner les financements et la coopération pour le développement afin d’atteindre les ODD.
Revenons maintenant à 2024. Au vu des tendances actuelles, l’ODD 1 (Pas de pauvreté) et l’ODD 2 (Faim « zéro ») seront loin d’être atteints. En ce qui concerne l’ODD 10 (Inégalités réduites), la situation est encore pire qu’en 2015 sur de nombreux points : les disparités au sein des pays sont en hausse constante et les inégalités entre les pays ont commencé à se creuser depuis 2020, défaisant ainsi les progrès accomplis par une génération entière.
Parallèlement, malgré un budget d’aide total plus important, la promesse du Programme d’action d’Addis-Abeba s’envole, laissant derrière elle un paysage du financement sollicité à l’excès, fragmenté et en grande partie dysfonctionnel pour ce qui concerne la lutte contre la faim et la pauvreté. Les ressources ne sont pas distribuées aux personnes qui en ont le plus besoin et atteignent rarement l’échelle requise pour induire des changements transformateurs. Les pouvoirs publics des pays à faible revenu et des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure sont confrontés à ce qu’on appelle généralement la prolifération de l’aide, à savoir un soutien aux interventions contre la faim et la pauvreté éparpillé en des milliers de petites transactions et de projets souvent mal coordonnés qui sont difficiles à transposer à grande échelle et qui court-circuitent les pouvoirs publics mêmes qui pourraient garantir leur pérennité. En même temps, les taux d’intérêt élevés et le service de la dette diminuent la marge de manœuvre budgétaire dont disposent les pays pour améliorer le sort de leur population et atteindre les ODD.
... malgré un budget d’aide total plus important, la promesse du Programme d’action d’Addis-Abeba s’envole, laissant derrière elle un paysage du financement sollicité à l’excès, fragmenté et en grande partie dysfonctionnel pour ce qui concerne la lutte contre la faim et la pauvreté.
Il est temps de se poser certaines questions : à quel moment avons-nous fait fausse route depuis 2015 ? Qu’en est-il du partenariat mondial pour le développement durable préconisé dans l’ODD 17 ? Pourquoi manquons-nous à nos promesses envers les 735 millions de personnes qui souffrent d’une faim véritablement dévastatrice, le milliard ou plus de personnes – dont la moitié sont des enfants – qui vivent dans une situation d’extrême pauvreté multidimensionnelle et les 2.4 milliards au moins de personnes confrontées à une insécurité alimentaire modérée ou aiguë ?
Certes, nous savons que les crises intersectionnelles comme le changement climatique, les conflits et les effets de la pandémie de COVID-19 rendent notre situation d’autant plus complexe. Mais il est temps d’arrêter de pointer du doigt la complexité et de passer à l’action. Éliminer la faim et l’extrême pauvreté n’est pas si difficile ni particulièrement coûteux, et c’est un moyen de progresser au regard d’autres cibles d’ODD, de contribuer à atténuer les crises actuelles et futures et d’en éviter de nouvelles, de freiner les migrations non maîtrisées et de renouveler la confiance de la population dans les institutions politiques et démocratiques.
Nous n’avons pas besoin de repartir de zéro – au Brésil, nous le savons bien. Plus de sept décennies de politiques et de programmes visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans de nombreux pays nous ont appris quelles stratégies sont les plus efficaces et les plus efficientes. Les mesures de protection sociale, à commencer par les transferts monétaires aux plus pauvres, sont les plus efficientes pour sortir les familles de la pauvreté ; elles peuvent avoir des effets directs sur la santé et l’éducation et peuvent être adaptées en fonction des urgences. Les programmes d’alimentation scolaire améliorent l’éducation, la santé et la nutrition et, lorsqu’ils sont bien mis en œuvre, promeuvent l’agriculture familiale. Les programmes d’inclusion socioéconomique, le soutien et le développement des petites exploitations et de l’agriculture familiale, ainsi que les programmes de résilience face au changement climatique destinés aux communautés les plus vulnérables sont autant d’investissements dont le rendement social et économique est rapide et avéré, et dont le coût est amplement amorti par l’édification d’une société plus résiliente et unifiée.
Les résultats obtenus au Brésil parlent d’eux-mêmes. Un an seulement après que notre gouvernement a réintroduit ou renforcé de telles politiques, qui avaient été supprimées ou réduites par les administrations précédentes, 24.4 millions de personnes sont sorties de l’insécurité alimentaire aiguë en 2023, soit une diminution de 74 % par rapport à 2022 (Ministry of Social Development and Assistance, Family, and Fight Against Hunger, 2024[1]). Nous sommes convaincus que nous pouvons à nouveau éliminer la faim au Brésil d’ici 2026.
Les mesures de protection sociale, à commencer par les transferts monétaires aux plus pauvres, sont les plus efficientes pour sortir les familles de la pauvreté ; elles peuvent avoir des effets directs sur la santé et l’éducation et peuvent être adaptées en fonction des urgences.
Si nous savons quelles mesures fonctionnent au Brésil et dans d’autres pays (nombre d’entre eux ont des expériences tout aussi précieuses à partager), une action concertée s’impose pour mieux appliquer ces enseignements ailleurs dans le monde, en recueillant les ressources et le savoir-faire là où ils se concentrent pour les mettre à profit là où ils sont le plus nécessaires. Cette édition du rapport Coopération pour le développement de l’OCDE plaide résolument en faveur d’une telle approche, mais les recommandations qui y sont formulées seront vaines si elles ne s’accompagnent pas de mesures décisives. Il ne s’agit pas, pour les donneurs, de se substituer aux autres pays pour mener à bien cette tâche essentielle, mais plutôt de mettre en place les conditions minimales pour que ces pays puissent l’accomplir eux-mêmes.
Pour promouvoir cette approche, le Président Lula a proposé de créer une Alliance mondiale contre la faim et la pauvreté, qui serait lancée lors du sommet du G20 en novembre. Cette alliance pourrait renforcer la cohésion entre les acteurs existants, ce qui favoriserait l’application et la mise à l’échelle rapides de politiques publiques fondées sur des données factuelles en faveur des populations pauvres, afin de progresser dans la réalisation des ODD 1 et 2. Un engagement résolu des membres du Comité d’aide au développement de l’OCDE sera essentiel à cet égard, en premier lieu pour tenir leurs engagements et combler le déficit de ressources financières allouées au développement et, en second lieu, pour assurer l’adéquation de ces ressources avec les initiatives de lutte contre la faim et la pauvreté.
Nous devons saisir cette dernière occasion avant 2030 pour mieux mobiliser, coordonner et aligner les ressources afin de réduire la fragmentation de l’aide à l’appui de politiques pilotées par les pouvoirs publics et fondées sur des données probantes dans les pays et les régions les plus pauvres. Certes, la situation semble particulièrement décourageante, mais le monde meilleur que nous avons promis de bâtir en 2015 n’est pas hors d’atteinte. Rejoignons l’Alliance mondiale contre la faim et la pauvreté !
Références
[1] Ministry of Social Development and Assistance, Family, and Fight Against Hunger (2024), More than 24.4 million people will escape hunger in Brazil in 2023, page web, https://agenciagov.ebc.com.br/noticias/202404/24-4-milhoes-de-pessoas-saem-da-situacao-de-fome-no-brasil-em-2023.