L'évolution des marchés du travail à la suite de la crise financière mondiale de 2008-09 a été très variable suivant les pays. Cela tient en partie aux différences d'ampleur et de nature des chocs économiques sous-jacents subis par les différentes économies. Néanmoins, les disparités observées entre pays concernant la résilience du marché du travail, c'est-à-dire la capacité d'une économie à limiter les fluctuations de l'emploi et à rebondir rapidement, ont également pesé dans la balance. Nous analysons dans ce chapitre la façon dont les politiques macroéconomiques anticycliques, les politiques sociales et de l'emploi modulables en fonction des circonstances, ainsi que les politiques structurelles peuvent renforcer la résilience du marché du travail.
Des emplois de qualité pour tous dans un monde du travail en mutation
Chapitre 13. Favoriser la résilience du marché du travail
Abstract
Les données statistiques concernant Israël sont fournies par et sous la responsabilité des autorités israéliennes compétentes. L'utilisation de ces données par l'OCDE est sans préjudice du statut des hauteurs du Golan, de Jérusalem-Est et des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie aux termes du droit international.
Introduction
La crise financière mondiale de 2008-09 et la lenteur de la reprise qui l'a suivie dans de nombreux pays ont souligné l'importance de la résilience du marché du travail, autrement dit de la capacité de limiter les fluctuations de l'emploi et de rebondir rapidement à la suite de chocs économiques. La résilience du marché du travail est cruciale non seulement pour limiter les coûts sociaux à court terme, mais aussi pour contribuer au bon fonctionnement du marché de l'emploi et aux résultats économiques dans une perspective de moyen à long terme. Des marchés du travail résilients réduisent notamment la mesure dans laquelle des augmentations du chômage conjoncturel se transforment en chômage structurel, en réduction du taux d'activité et en ralentissement de la croissance des salaires.
La résilience des marchés du travail à la suite de la Grande Récession a été très variable suivant les pays, ce qui tient en partie aux différences d'ampleur et de nature du choc économique initial. Dans un certain nombre de pays, notamment en Allemagne et au Japon, les pertes d'emplois ont été limitées et de courte durée, l'emploi ayant retrouvé son niveau d'avant la crise au bout de 2 à 3 ans. Dans d'autres pays, tels qu'un certain nombre de pays d'Europe du Sud, les destructions d'emplois ont été nombreuses et plus persistantes. Alors que certains pays ont connu des reculs seulement transitoires de la demande extérieure, d'autres ont subi en outre des crises financières, de la dette souveraine et de balance des paiements. Ainsi, l'Allemagne et le Japon n'ont été confrontés qu'à des baisses fortes mais brèves de leurs exportations, tandis que divers pays de la zone euro, comme l'Espagne, la Grèce et l'Italie, ont connu de surcroît des crises bancaires et de la dette souveraine, ainsi des inversions soudaines des flux de capitaux.
Néanmoins, les disparités observées entre pays en matière de résilience du marché du travail tiennent aussi aux différences de politiques macroéconomiques ainsi que de politiques structurelles et de cadre institutionnel. Les réactions des autorités monétaires et budgétaires au choc économique initial ont été très variables suivant les pays, expliquant en partie les différences d'ampleur et de durée des pertes de production constatées au niveau national (OCDE, 2010[1]). Même une fois prises en compte les différences de pertes de production entre pays, les disparités observées en termes de situation du marché du travail restaient considérables. Dans certains pays, l'ajustement du marché de l'emploi à la baisse de la demande globale a essentiellement pris la forme d'une réduction du nombre d'emplois, tandis que dans d'autres, ce sont le nombre d'heures travaillées ou les salaires qui ont diminué. Ces différences de marge d'ajustement tiennent dans une certaine mesure aux politiques structurelles et aux institutions (OCDE, 2017[2]).
Le reste de ce chapitre est structuré comme suit : la section 13.1 porte sur la résilience du marché du travail dans les différents pays de l'OCDE, tandis que la section 13.2 traite du rôle des politiques publiques et des institutions.
13.1. La résilience du marché du travail pendant et après la crise de 2008‑09
Dans ce chapitre, la résilience du marché du travail est définie comme la capacité de ce marché à limiter les écarts persistants de l'emploi par rapport à son niveau tendanciel d'avant la crise à la suite de chocs négatifs affectant la production (autrement dit de récessions)1. Cette définition englobe l'évitement des fluctuations excessives de la situation du marché du travail ainsi que la rapidité de son rebond.
L'évolution de la production a été très contrastée dans les pays de l'OCDE à la suite de la crise économique et financière (Graphique 13.1, partie A). Dans les pays ayant enregistré des pertes annualisées de production par habitant supérieures ou égales à 12 %, notamment en Estonie, en Grèce et en Lettonie, les pertes cumulées subies sur la période 2008-15 représentent au moins une année de revenu perdu. Plusieurs autres pays ont soit été peu affectés par la Grande Récession (comme Israël), soit compensé en partie les pertes de production subies par rapport à son niveau tendanciel à la suite de la Grande Récession en enregistrant une croissance supérieure à son rythme tendanciel au cours des années ultérieures (on peut citer à cet égard l'exemple de l'Allemagne).
Les différences d'évolution de la production – qui tenaient aux différences de nature et d'ampleur du choc économique initial et à la disparité des mesures macroéconomiques adoptées pour y faire face – expliquaient environ la moitié des écarts de résilience du marché du travail. Les pays caractérisés par d'amples écarts de production par habitant par rapport au niveau tendanciel d'avant la crise, comme la Grèce, l'Espagne et l'Irlande, qui ont subi des crises majeures bancaires, de la dette souveraine et de balance des paiements, ont généralement enregistré de forts écarts du taux de chômage par rapport à son niveau tendanciel d'avant la crise (Graphique 13.1, partie B). Le contraire était vrai pour les pays caractérisés par des écarts modestes de la production par habitant par rapport à son niveau tendanciel d'avant la crise, tels que l'Allemagne et le Japon, qui ont subi une baisse transitoire de la demande extérieure. Néanmoins, les différences d'évolution de la production ne peuvent totalement expliquer les disparités constatées en matière d'évolution du marché du travail, ce qui laisse à penser que les politiques publiques et les institutions influant sur les différentes marges d'ajustement du marché du travail ont également pesé dans la balance (OCDE, 2017[3]).
13.2. Les enseignements de la crise mondiale
Nous analysons dans cette section les enseignements à tirer de la crise mondiale en matière de politiques macroéconomiques, de politiques sociales et de l'emploi modulables en fonction des circonstances et de politiques structurelles du marché du travail.
Le rôle des politiques macroéconomiques
En stabilisant l'inflation et la demande globale, la politique monétaire contribue de manière importante à stabiliser le marché du travail et à prévenir des phénomènes d'hystérèse à la suite de chocs globaux. La politique monétaire peut être utilisée immédiatement, avec des effets rapides sur les taux d'intérêt réels et la demande globale (Ramey, 2016[4]). Même lorsque les taux d'intérêt à court terme ne peuvent être réduits au cours de phases de fléchissement marqué de l'activité économique, il est possible de procéder à un assouplissement monétaire en recourant à des mesures non conventionnelles qui influent directement sur les taux d'intérêt à long terme, tels que l'assouplissement quantitatif et les indications prospectives. Les risques pesant sur la stabilité financière du fait des hausses de prix des actifs qui en résultent peuvent être limités par la réglementation financière, notamment des mesures micro- et macroprudentielles telles que des tests de résistance des banques judicieusement conçus et des ratios de fonds propres adéquats. Pour limiter davantage ces risques, il faut réduire progressivement l'orientation expansionniste de la politique monétaire à mesure que la situation économique se normalise.
Pour être efficaces, les interventions des autorités monétaires doivent s'accompagner d'une politique budgétaire anticyclique, notamment dans un contexte de faiblesse persistante de l'inflation et des taux d'intérêt nominaux (OCDE, 2016[5]). Le maintien de l'inflation à un bas niveau au cours de la dernière décennie, malgré une politique monétaire très accommodante mise en œuvre sur une période prolongée, laisse à penser que le fardeau de la stabilisation ne peut reposer uniquement sur les autorités monétaires. La politique budgétaire peut contribuer à atténuer les chocs via le jeu des « stabilisateurs automatiques » et l'adoption de mesures discrétionnaires. Pendant la Grande Récession, la politique budgétaire a contribué de manière significative à la résilience du marché du travail. Des analyses récentes laissent à penser qu'au cours de la période 2008-15, la politique budgétaire a réduit l'écart annualisé du taux de chômage par rapport au taux de chômage non accélérateur de l'inflation (NAIRU) d'avant la crise, en le ramenant de plus de 4 points de pourcentage à environ 1 point pour la zone OCDE considérée dans son ensemble (OCDE, 2017[2]), malgré des différences marquées entre pays (Graphique 13.2).
Il faut laisser fonctionner les stabilisateurs budgétaires automatiques, et les autorités pourraient les renforcer dans un certain nombre de pays en rendant les dépenses relatives aux programmes sociaux et du marché du travail, tels que les dispositifs d'assurance chômage et les programmes actifs du marché du travail, plus modulables en fonction de la situation économique générale (voir ci-après). Pendant les phases de fléchissement marqué de l'activité économique, le fonctionnement des stabilisateurs budgétaires automatiques peut être complété par des mesures discrétionnaires opportunes et de haute qualité – axées de préférence sur des dimensions telles que l'investissement public, qui renforcent la demande tout en rehaussant le potentiel de croissance à long terme de l'économie. Il est possible de contourner dans une certaine mesure le problème des délais d'exécution de ces mesures discrétionnaires en identifiant des projets bien avant les phases descendantes du cycle économique, de manière à disposer d'un réservoir de projets rapidement réalisables lorsqu'on en a le plus besoin (OCDE, 2015[6]).
La politique budgétaire est particulièrement efficace en phase de fléchissement de l'activité économique et lorsque le niveau initial de la dette publique est bas (Auerbach and Gorodnichenko, 2012[7]; Auerbach and Gorodnichenko, 2013[8]; Ilzetzki, Mendoza and Végh, 2013[9]). Une action collective internationale est également bénéfique (OCDE, 2016[5]). Par ailleurs, il faut maintenir la dette publique à des niveaux prudents en phase ascendante du cycle économique, afin d'accroître les marges de manœuvre budgétaires disponibles pour soutenir l'activité en phase descendante du cycle (OCDE, 2010[1]). À cet égard, des règles budgétaires anticycliques qui soient suffisamment souples pour permettre de relancer temporairement l'économie en période de fléchissement marqué de l'activité, mais imposent de constituer des marges de manœuvre budgétaires en période de conjoncture haute, sont préférables à des règles strictement axées sur le solde budgétaire de base ou sur la dette publique.
Le rôle des politiques sociales et de l'emploi modulables en fonction des circonstances
Les politiques sociales et de l'emploi sont en partie déterminées par les besoins et comportent donc un élément d'adaptabilité aux circonstances. Une question clé est de savoir dans quelle mesure il est souhaitable d'accentuer leur réactivité aux fluctuations du cycle économique, de manière à renforcer à la fois leur efficacité en phase de fléchissement de l'activité et la stabilisation budgétaire automatique. Dans cette sous-section, nous examinons la contribution des dispositifs de chômage partiel à la préservation des emplois en période de crise, la contribution des régimes de prestations de chômage au lissage de la consommation et au soutien de la demande globale, ainsi que la contribution des politiques d'activation au retour à l'emploi des personnes ayant perdu leur travail.
Les dispositifs de chômage partiel préservent les emplois en temps de crise, mais ils peuvent devenir un obstacle au changement structurel en période de conjoncture favorable
Une leçon importante de la crise mondiale réside dans le rôle positif que peuvent jouer des dispositifs de chômage partiel judicieusement conçus, en atténuant les effets d'aggravation du chômage induits par les fléchissements marqués de l'activité économique. Les programmes de chômage partiel sont des dispositifs publics destinés à préserver les emplois dans les entreprises qui sont temporairement confrontées à une demande faible en favorisant le partage du travail, tout en apportant une garantie de revenu aux travailleurs dont la durée de travail est réduite en raison d'un raccourcissement de la semaine de travail ou pour cause de chômage technique. Un aspect crucial de tous les dispositifs de chômage partiel réside dans le fait que la relation contractuelle entre le salarié et son entreprise est préservée pendant la période de chômage partiel ou de suspension du travail. Le principal objectif des dispositifs de chômage partiel est d'éviter des licenciements « excessifs », c'est-à-dire la mise à pied définitive de travailleurs en période de fléchissement de l'activité économique, alors que leur emploi serait viable sur le long terme. Dans un environnement où les entreprises sont neutres à l'égard du risque, et peuvent pleinement assurer leurs salariés, les licenciements excessifs sont de fait exclus (Burdett and Wright, 1989[10]). Néanmoins, dans un environnement où les entreprises sont soumises à des contraintes financières, comme en période de contraction du crédit, un dispositif de chômage partiel judicieusement conçu peut contribuer à renforcer le bien-être (Braun and Brügemann, 2014[11]). En outre, les dispositifs de chômage partiel peuvent aussi contribuer à rendre le fonctionnement du marché de l'emploi plus équitable en répartissant de manière plus égale la charge de l'ajustement entre les actifs (OCDE, 2009[12]).
Vingt-cinq pays de l'OCDE ont mis en œuvre des dispositifs de chômage partiel pendant la crise financière mondiale, sachant que leurs caractéristiques institutionnelles étaient très diverses (Hijzen and Venn, 2011[13]). Ces différences institutionnelles concernaient la fourchette de réductions possibles du temps de travail (« conditions de partage du travail »), les conditions que devaient satisfaire les employeurs et les salariés pour bénéficier du dispositif (« critères d'admissibilité »), la conduite attendue des entreprises et des salariés pendant (ou après) leur participation au dispositif (« conditionnalité ou obligations comportementales ») et la façon dont le coût du chômage partiel était réparti entre les pouvoirs publics, les entreprises et les salariés (« générosité »). Toute la difficulté pour les responsables de l'action publique est de concevoir des dispositifs de chômage partiel garantissant un juste équilibre entre un niveau de participation adéquat à ces dispositifs et leur efficience économique. Celle-ci dépend de l'ampleur des effets d'aubaine, c'est-à-dire de la mesure dans laquelle des aides sont versées pour préserver des emplois qui l'auraient été en tout état de cause, et des effets de substitution, c'est-à-dire de la mesure dans laquelle des aides sont versées pour préserver des emplois non viables, même à long terme, ralentissant le processus de redéploiement des ressources.
On dispose maintenant d'une quantité considérable d'éléments démontrant que les dispositifs de chômage partiel ont contribué à préserver des emplois à la suite de la crise financière mondiale (Hijzen and Martin, 2013[14]; Hijzen and Venn, 2011[13]; Cahuc and Carcillo, 2011[15]; Boeri and Bruecker, 2011[16]). C'est en Allemagne, en Italie et au Japon qu'ils ont eu l'effet le plus important (Graphique 13.3). Les résultats des analyses fondées sur des données par entreprise sont généralement plus mitigés en raison de la difficulté d'éliminer le biais de sélection lié aux programmes de chômage partiel (Bellmann, Gerner and Upward, 2012[17]; Boeri and Bruecker, 2011[16]; Calavrezo, Duhautois and Walkowiak, 2010[18]). Lorsque les travaux de recherche effectués ont été conçus de manière crédible, les analyses de données par entreprise confirment l'effet positif qu'ont eu les dispositifs de chômage partiel sur l'emploi au cours de la première phase de la crise (Cahuc, Kramarz and Nevoux, 2018[19]). Néanmoins, il est également probable que le recours persistant à ces dispositifs pendant la reprise ait exercé une influence négative sur la vigueur du redressement de l'activité, en limitant les créations d'emplois et la croissance de la production (Hijzen and Martin, 2013[14]; Cahuc, Kramarz and Nevoux, 2018[19]). Il faudrait donc réduire l'utilisation des dispositifs de chômage partiel pendant les périodes de conjoncture favorable afin d'éviter qu'ils ne nuisent au redéploiement efficient des ressources et, partant, à la croissance de la productivité.
Pour que les dispositifs de chômage partiel puissent être mis en œuvre rapidement, il est souhaitable de les concevoir lorsque la situation économique est normale. Les dispositifs de chômage partiel qui ont été créés ex nihilo à la suite de la récession de 2008-09 ont généralement été peu utilisés, et n'ont donc guère eu d'impact, tandis que les dispositifs qui existaient déjà avant la crise de 2008-09 se sont généralement caractérisés par des taux de recours plus élevés (OCDE, 2010[20]). Cela peut tenir au manque de familiarité des entreprises avec ces nouveaux dispositifs ou simplement au fait qu'ils sont devenus opérationnels trop tard, alors qu'ils avaient dans une large mesure cessé d'être nécessaires. Des données relatives à la France laissent à penser que la familiarité avec les programmes constitue de fait un déterminant essentiel de leur utilisation (Cahuc, Kramarz and Nevoux, 2018[19]). Cela souligne l'importance de fournir des informations claires et aisément accessibles sur leurs modalités d'utilisation.
Une autre possibilité consisterait à mettre en place un dispositif latent modulable en fonction des circonstances, pouvant être activé en temps de crise. La Suède, qui n'avait pas de dispositif public de chômage partiel pendant la crise, en a adopté un 2013. Il peut être activé en cas de grave crise économique avec l'accord du gouvernement et des partenaires sociaux, et il est strictement limité dans le temps (Ibsen, 2013[21]). L'avantage de ce dispositif latent est qu'il peut être étoffé plus rapidement qu'un mécanisme entièrement nouveau. En outre, la forte présence des partenaires sociaux dans le monde du travail suédois est susceptible de faciliter grandement son application2.
Les caractéristiques institutionnelles des dispositifs de chômage partiel peuvent également contribuer à garantir qu'ils soient essentiellement utilisés en temps de crise et démantelés progressivement de manière rapide lorsque l'économie se redresse. Une option envisageable consiste à assouplir temporairement les critères d'admissibilité et la conditionnalité du dispositif ou à accroître la générosité des aides publiques en temps de crise, tout en durcissant ses conditions d'application et en réduisant sa générosité en période de conjoncture favorable. La plupart des pays qui étaient déjà dotés d'un dispositif de chômage partiel avant la crise ont pris des mesures pour les rendre temporairement plus attrayants (OCDE, 2009[12]). D'autres mesures pouvant contribuer à garantir que le recours au chômage partiel soit temporaire consistent à limiter la durée maximale de versement des indemnités de chômage partiel, et à les cibler sur les entreprises confrontées à des difficultés temporaires. De manière plus générale, les entreprises devraient être tenues de contribuer à la prise en charge du coût du chômage partiel, ce qui est le cas dans la moitié environ des pays dotés d'un tel dispositif (Hijzen and Venn, 2011[13]), de manière qu'elles soient uniquement incitées à y participer si elles souhaitent véritablement préserver des emplois et s'attendent à une amélioration de la situation.
Les dispositifs de garantie de ressources sont cruciaux pour atténuer les difficultés financières des personnes ayant perdu leur emploi et soutenir la demande globale
La crise de 2008-09 a constitué un rude « test de résistance » pour les systèmes de protection sociale des pays de l'OCDE. La récession a entraîné une forte hausse des taux de chômage et en particulier du nombre de chômeurs de longue et de très longue durée. L'augmentation de la proportion de travailleurs sans emploi traversant de longues périodes de chômage d'une durée d'un an ou plus a été particulièrement prononcée dans un certain nombre de pays qui ont été très durement touchés par la crise (tels que l'Irlande, les États-Unis et l'Espagne). La montée du chômage de longue durée accentue le risque qu'une part grandissante des chômeurs n'épuisent leurs droits à prestations. En outre, dans les pays caractérisés par un marché du travail à deux vitesses, il est probable que les pertes d'emploi touchent principalement les personnes ayant des formes d'emploi flexibles (telles que le travail temporaire, le travail intérimaire ou le travail pour compte propre), qui sont moins susceptibles d'avoir droit aux prestations d'assurance chômage, soit parce qu'elles ne satisfont pas aux conditions de durée minimale de cotisation, soit parce qu'elles ne sont pas couvertes par le système d'indemnisation du chômage. Les conditions de durée minimale de cotisation peuvent aussi être trop exigeantes pour les jeunes chômeurs et autres personnes entrées depuis peu sur le marché de l'emploi sans expérience professionnelle récente.
L'efficacité des systèmes de protection sociale en termes de garantie de ressources pour les chômeurs et de stabilisation économique à la suite de la baisse de la demande globale est donc susceptible de différer grandement suivant les pays (Price, Dang and Botev, 2015[22]; OCDE, 2010[20]). Les pays dotés de systèmes universels de prestations versées sous conditions de ressources (tels que l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni) fournissent en principe une garantie de ressources à toutes les personnes ayant perdu leur emploi qui se trouvent en difficulté financière, mais ces systèmes peuvent aller de pair avec une forte baisse de revenus et des stabilisateurs automatiques faibles. Les pays caractérisés par des systèmes complets associant assurance chômage et aide sociale (tels que le Danemark, la Norvège et la Suède) sont ceux qui soutiennent le plus efficacement les chômeurs et tendent à avoir des puissants stabilisateurs automatiques. Néanmoins, les systèmes généreux de garantie de ressources comportent également un risque de remise en cause des incitations au travail, s'ils ne sont pas intégrés de manière satisfaisante dans une stratégie efficace d'activation, fondée sur un cadre rigoureux d'obligations réciproques.
Pour renforcer l'impact des prestations de chômage en termes de stabilisation à court terme, tout en limitant leurs effets sur les incitations au travail, il pourrait être rationnel d'accroître temporairement leur générosité en période de fléchissement de l'activité économique. Les coûts de l'assurance chômage en termes de réduction des incitations au travail et ses avantages en termes de lissage de la consommation varient au cours du cycle économique (voir le chapitre 9). Pendant les récessions économiques, la consommation globale peut s'effondrer en l'absence de prestations suffisantes, tandis que les coûts comportementaux du mécanisme assurantiel sont limités par le manque de perspectives d'emploi. Inversement, pendant les phases d'expansion économique, ces coûts comportementaux peuvent être considérables si des prestations généreuses dissuadent un trop grand nombre de personnes d'accepter des offres d'emploi (Schmieder, von Wachter and Bender, 2012[23]; Kroft and Notowidigdo, 2016[24]; Mitman and Rabinovich, 2015[25])3.
Conformément aux arguments militant en faveur d'une assurance chômage modulable en fonction des circonstances, la majorité des pays de l'OCDE ont pris des mesures complémentaires à la suite de la crise de 2008-09 pour renforcer les systèmes de protection sociale des chômeurs. Celles-ci visaient généralement à combler les lacunes observées en termes de couverture en assouplissant temporairement les règles d'admissibilité ou en allongeant la durée maximale de versement des prestations de chômage. Un certain nombre de pays, notamment le Canada, le Chili et les États-Unis, sont dotés de règles (semi-) automatiques, en vertu desquelles la durée maximale de versement des prestations de chômage augmente temporairement lorsque le taux de chômage dépasse un certain seuil. Afin de favoriser le retour à l'emploi, il faudrait que l'allongement de la durée maximale de versement des prestations de chômage s'accompagne d'une intensification des mesures d'activation, en particulier si les systèmes d'activation sont aujourd'hui insuffisamment développés. Comme indiqué précédemment, dans la mesure où il n'est pas évident d'étoffer temporairement les systèmes d'activation, il convient d'évaluer avec soin le risque d'accentuation de la persistance du chômage en cas de renforcement marqué de ces systèmes.
Les prestations de chômage doivent aller de pair avec des mesures d'activation efficaces s'inscrivant dans un cadre d'obligations réciproques strictement appliqué, suivant lequel le soutien apporté par les pouvoirs publics aux bénéficiaires de prestations est subordonné à leur recherche active d'emploi et/ou leur participation à des programmes améliorant leurs perspectives de trouver du travail (chapitre 9). Même si le nombre de possibilités d'emploi est réduit en temps de crise, il est important de préserver dans toute la mesure du possible le principe d'obligations réciproques. Il importe également que les conditions d'accès à une retraite anticipée et aux prestations d'invalidité ne soient pas assouplies. Remettre en cause le principe d'obligations réciproques ou atténuer les pressions qui s'exercent sur le marché du travail en faisant basculer des chômeurs dans un régime d'invalidité ou de retraite anticipée peut avoir des effets durables sur l'offre effective de main-d'œuvre, ainsi que des conséquences graves pour la croissance économique et la viabilité des finances publiques. Ainsi, il a été établi qu'un assouplissement des obligations de recherche d'emploi imposées dans le cadre du régime d'assurance chômage, ou l'application de critères sanitaires d'admission au bénéfice du régime d'assurance invalidité moins rigoureux, avait provoqué une baisse de l'âge effectif de la retraite à la suite de récessions antérieures (OCDE, 2009[12]).
Pour que les aides au retour à l'emploi et à la formation demeurent efficaces pour tous les demandeurs d'emploi au chômage, il faut que les services publics de l'emploi étoffent sensiblement leurs capacités en période de grave récession (OCDE, 2009[12]). Ce renforcement des capacités passe par un surcroît de ressources financières. Cela contribuerait également à rendre la politique budgétaire plus anticyclique. Reste qu'en pratique, les ressources financières consacrées aux politiques actives du marché du travail ne réagissent que modestement aux variations du nombre de personnes auxquelles elles sont destinées (Encadré 13.1). Une façon particulièrement efficace d'accroître les dépenses d'activation en période de fléchissement de l'activité économique consisterait à fonder leurs augmentations sur des règles déterminées au préalable. En Australie, au Danemark et en Suisse, par exemple, les dépenses d'activation sont ajustées en fonction des prévisions officielles de chômage du gouvernement (OCDE, 2009[12]). Néanmoins, le renforcement des capacités n'est pas seulement affaire de ressources financières ; cela exige également de recruter du personnel supplémentaire et d'étoffer les capacités des programmes. Une question essentielle à cet égard est de savoir s'il est possible de le faire suffisamment vite et si la qualité de service peut être préservée ce faisant. Une option envisageable pour atténuer les contraintes de capacités consiste à faire à appel à des prestataires privés pour fournir les services d'aide au retour à l'emploi et de formation. Il faut cependant se garder de sous-estimer la difficulté de le faire efficacement, étant donné que la mise au point de ce type de système peut prendre plusieurs années, et qu'il exige une gestion rigoureuse des performances de la part des pouvoirs publics (OCDE, 2005[26]).
Encadré 13.1. La modulation des politiques actives du marché du travail au cours du cycle économique
Les dépenses consacrées aux politiques actives du marché du travail (PAMT) n'ont réagi que faiblement à la montée du chômage à la suite de la Grande Récession (Graphique 13.4). Une augmentation de 1 % du nombre de chômeurs s'est accompagnée d'un accroissement de 0.4 % des dépenses actives pour l'emploi. Cela représente certes un quasi-doublement par rapport aux précédents épisodes de crise, mais cette hausse des dépenses moindre que celle du nombre de chômeurs ne s'en est pas moins traduite par une forte diminution des ressources par demandeur d'emploi. D'après OCDE (2012[27]), la valeur des ressources par chômeur a baissé de 20 % entre 2007 et 2010 en moyenne dans la zone OCDE. Une progression plus sensible des dépenses sera donc sans doute nécessaire pour préserver le principe d'obligations réciproques qui sous-tend les régimes d'activation. Cela revêt une importance toute particulière dans les pays qui versent des prestations de chômage relativement généreuses et mettent fortement l'accent sur les mesures d'activation pour préserver les incitations au travail, ainsi que dans les pays caractérisés par un régime de prestations de chômage peu généreux, mais dont la portée a été élargie temporairement compte tenu de l'augmentation des besoins consécutive à la crise.
Lier les crédits budgétaires affectés aux politiques du marché du travail à la situation de ce marché soulève un certain nombre de questions pratiques de mise en œuvre, notamment celle de savoir si les variations de ces ressources devraient être déterminées au cas par cas ou de manière automatique. Des règles automatiques peuvent constituer un instrument efficace pour rendre les dépenses actives pour l'emploi plus réactives au cycle économique, en permettant que leur ajustement soit plus opportun, plus prévisible et plus transparent. Néanmoins, les règles automatiques présentent aussi des inconvénients. Elles comportent un élément de rigidité dans la façon dont l'action publique s'ajuste à l'évolution des circonstances, dans la mesure où elles sont par nature déterminées par des événements antérieurs et peuvent donc se révéler sous-optimales face à une nouvelle situation. Une autre possibilité consisterait à mettre en place des mécanismes semi-automatiques déclenchant un ajustement de l'action publique lorsque des conditions prédéfinies sont réunies, mais laissant une certaine latitude aux pouvoirs publics quant à la détermination de cet ajustement. Divers pays de l'OCDE sont déjà dotés de règles automatiques ou quasi automatiques destinées à rendre les dépenses actives pour l'emploi plus réactives à l'évolution de la situation du marché du travail, notamment l'Australie, le Danemark et la Suisse.
Une difficulté particulière tient au fait qu'il ne va pas forcément de soi de traduire des financements supplémentaires en renforcement des capacités à court terme1. Les pays qui versent des prestations plus généreuses, et s'appuient davantage sur le principe d'obligations réciproques, sont probablement ceux qui sont le plus incités à conserver un niveau de ressources par chômeur peu ou prou constant en période de chômage conjoncturel élevé. En outre, il est plus probable qu'il s'agisse de pays dotés des infrastructures nécessaires pour traduire rapidement ces financements supplémentaires en renforcement des capacités, tout en préservant la qualité des services fournis. La difficulté d'étoffer les capacités des programmes du marché du travail peut expliquer pourquoi les dépenses consacrées aux aides à l'embauche (« incitations à l'emploi »), qu'il est facile d'accroître, ont augmenté plus fortement que les autres catégories de dépenses actives pour l'emploi.
1 Cela peut expliquer pourquoi l'existence de règles automatiques concernant les dépenses actives pour l'emploi n'a guère contribué à enrayer la baisse des ressources disponibles par demandeur d'emploi au chômage pendant la crise.
En période de fléchissement de l'activité économique, il peut s'avérer nécessaire de réorienter les politiques actives du marché du travail de l'aide à la recherche d'emploi, qui en constitue le cœur, vers la formation. Parallèlement à la diminution de la demande de main-d'œuvre, la charge de travail des conseillers des services publics de l'emploi s'alourdit, tandis que les possibilités d'emploi se raréfient, ce qui peut réduire l'efficacité d'une approche centrée sur le placement des chômeurs. En outre, les récessions réduisent le coût d'opportunité du temps consacré à la formation (Lechner and Wunsch, 2009[28]) et accélèrent souvent les changements structurels, renforçant du même coup la nécessité pour les travailleurs d'acquérir de nouvelles compétences et de changer de métier. Par conséquent, en phase descendante du cycle économique, il peut être nécessaire d'axer les politiques actives du marché du travail sur l'orientation des travailleurs vers des programmes de formation adéquats. Il serait préférable de concevoir et d'évaluer ces programmes bien avant qu'une crise ne se produise, afin de prendre en compte les besoins du marché du travail à moyen et long terme. En dernier recours, les programmes d'emplois publics peuvent être utilisés pour faire en sorte que les demandeurs d'emploi difficiles à placer conservent des liens avec le marché du travail (Gregg and Layard, 2009[29]), même si les données disponibles laissent à penser que ces programmes sont coûteux et qu'ils n'ont guère permis à leurs bénéficiaires de trouver des emplois permanents sur le marché du travail normal.
Il est également rationnel de soutenir la création d'emplois en étoffant temporairement les aides à l'emploi en période de fléchissement de l'activité économique (OCDE, 2010[20]). Il peut s'agir d'aides globales à l'emploi, telles que des allègements de cotisations de sécurité sociale, ou d'aides visant spécifiquement les nouvelles embauches (aides à l'embauche brute) ou seulement les nouvelles embauches associées à des créations nettes d'emplois (aides à l'embauche nette). Les aides globales peuvent contribuer à renforcer l'emploi, mais elles sont coûteuses et se traduisent par des effets d'aubaine, car elles s'appliquent parfois à des emplois qui auraient aussi existé en leur absence. Les aides à l'embauche brute risquent moins de créer des effets d'aubaine et se caractérisent donc par une plus grande efficience économique, mais les entreprises peuvent en bénéficier « abusivement » en accroissant la rotation de leurs effectifs, au lieu de procéder à des embauches nettes, pour engranger ces aides. Des analyses empiriques récentes portant sur la France et les États-Unis tendent à indiquer que des aides brutes à l'embauche temporaires peuvent constituer un moyen économiquement efficient de soutenir l'emploi en période de récession, mais que leur efficacité peut diminuer rapidement en phase ascendante du cycle économique, dans la mesure où ces aides peuvent entraîner une hausse des salaires plutôt que de l'emploi (Cahuc, Carcillo and Le Barbanchon, 2018[30]; Neumark and Grijalva, 2017[31]). La façon la plus économiquement efficiente de subventionner l'emploi en période de fléchissement de l'activité économique consiste à octroyer des aides à l'embauche nette, leur inconvénient étant que ces dispositifs sont complexes et généralement difficiles à gérer, tant pour les pouvoirs publics que pour les entreprises (ce qui explique en partie leur faible utilisation).
Le rôle des politiques structurelles et des institutions
Les politiques structurelles peuvent contribuer de manière importante à déterminer la réaction du marché du travail aux périodes de fléchissement de l'activité économique, notamment la façon dont le coût de l'ajustement est réparti entre les entreprises et les actifs, ainsi qu'entre les différentes catégories de travailleurs. Cette sous-section porte principalement sur le rôle de la négociation collective et de la législation sur la protection de l'emploi, mais aborde également brièvement le rôle joué par plusieurs autres politiques structurelles et institutions.
La négociation collective peut contribuer à l'ajustement aux chocs temporaires en facilitant les réductions du temps de travail
Des systèmes de négociation collective judicieusement conçus peuvent améliorer la résilience du marché du travail en facilitant les ajustements des salaires et du temps de travail. Les ajustements du temps de travail se caractérisent par un potentiel d'absorption des chocs nettement plus important que les ajustements des salaires, mais ils ne sont efficaces que dans le contexte de chocs temporaires4.
Une coordination entre unités de négociations (les entreprises et/ou branches d'activité) peut favoriser un bon fonctionnement du marché du travail en permettant un ajustement aux variations de la situation macroéconomique (OCDE, 2017[2]). Parmi les pays où il existe une coordination efficace en matière salariale figurent ceux où les négociations se déroulent essentiellement au niveau des branches d'activité, en particulier les pays nordiques, l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas et la Suisse, ainsi que le Japon. Des négociations menées au plus haut niveau permettent d'obtenir cette coordination efficace, sous réserve qu'il existe des confédérations nationales de syndicats et d'employeurs, qui guident les travaux des parties négociatrices aux échelons inférieurs. Une autre possibilité réside dans les négociations pilotes, suivant lesquelles un secteur phare fixe les objectifs – généralement le secteur manufacturier exposé aux échanges internationaux – et les autres suivent le mouvement. La présence de fortes organisations représentatives des employeurs et des salariés constitue une condition préalable au bon fonctionnement de la coordination des négociations salariales (OCDE, 2018[32]). La coordination salariale exige un niveau élevé de confiance dans les partenaires sociaux et entre eux, la disponibilité d'informations objectives et partagées sur la situation du marché du travail, ainsi que des organes de médiation fonctionnant bien (Ibsen, 2016[33]).
Les pays où les négociations se déroulent de manière prédominante au niveau des branches d'activité peuvent aussi améliorer la résilience du marché du travail en offrant une certaine flexibilité au niveau des entreprises dans le cadre des accords de branche, afin de permettre des ajustements du temps de travail et des salaires sous certaines conditions, notamment via le recours à des clauses dérogatoires en cas de difficultés économiques. On trouve en particulier ce type de mécanisme en Allemagne, où les accords salariaux de branche permettent des réductions du temps de travail à l'initiative des employeurs. Ces accords fixent généralement une marge de fluctuation autour de la durée hebdomadaire normale du travail, dans laquelle les employeurs peuvent faire varier le nombre d'heures travaillées tout en maintenant la rémunération horaire au même niveau (OCDE, 2010[20]). Cela vise à améliorer la capacité des employeurs de s'adapter aux fluctuations temporaires de la demande de leurs produits, tout en garantissant une forte sécurité de l'emploi. Selon Bach et al. (2009[34]), ces réductions du temps de travail à l'initiative de l'employeur ont représenté environ 40 % de la réduction du temps de travail ayant eu lieu au cours de la récession de 2008-09. Des dispositions similaires ont également contribué de manière importante à limiter les pertes d'emplois en Suède (Ibsen, 2013[21]).
Pour éviter des pertes d'emplois excessives et un redressement limité de l'emploi, il faut équilibrer les règles de protection de l'emploi entre les différents types de contrat
Un niveau adéquat de protection de l'emploi des travailleurs réguliers peut améliorer la résilience du marché du travail, en préservant des postes bien pourvus qui risquent d'être supprimés alors qu'ils sont viables à moyen terme. Néanmoins, une législation sur la protection de l'emploi excessivement stricte risque d'aboutir à l'effet inverse de celui recherché, en renforçant les incitations à recourir aux contrats temporaires en période de conjoncture favorable, sachant qu'ils sont aussi plus faciles à résilier en période fléchissement de l'activité économique (Blanchard and Landier, 2002[35]; Boeri, 2011[36]; Cahuc, Charlot and Malherbet, 2016[37]). Cela peut amplifier les réductions d'emplois à la suite des phases descendantes du cycle économique, et ralentir les créations de postes associées à des contrats réguliers en période de reprise (OCDE, 2012[27]; 2017[2])5.
Tout l'enjeu pour les pouvoirs publics est de concevoir des règles de protection de l'emploi garantissant un juste équilibre entre deux impératifs : préserver les emplois viables pourvus de manière adéquate et éviter une segmentation du marché du travail (Chapitres 7 et 10). Pour ce faire, on pourrait se garder de fixer à des niveaux excessivement élevés la durée des préavis et le montant des indemnités normales de licenciement pour les travailleurs sous contrat régulier. Il serait possible de réduire l'insécurité juridique liée aux licenciements de travailleurs sous contrat régulier en adoptant une définition étroite des licenciements abusifs, circonscrite aux licenciements pour motifs fallacieux, sans lien avec le travail ou prohibés et aux licenciements à caractère discriminatoire. Dans le même temps, il pourrait être envisageable de durcir les règles applicables à l'utilisation des contrats temporaires tout en renforçant leur application.
Les politiques structurelles ne concernant pas directement le marché du travail
Les politiques structurelles n'entrant pas dans le périmètre du marché du travail peuvent contribuer à sa résilience en limitant les fluctuations de la production, et en réduisant du même coup le fardeau qui pèse sur les politiques macroéconomiques (OCDE, 2017[38]). Des infrastructures juridiques et judiciaires solides, fondées sur des institutions de haute qualité, renforcent à la fois la croissance et la résilience, notamment en favorisant une diversification des sources de financement caractérisée par une réduction de la place du secteur bancaire au bénéfice des marchés de capitaux. En revanche, une libéralisation de ces marchés et une déréglementation des mouvements de capitaux tendent à renforcer la croissance, mais aussi à accentuer les risques de crise bancaire et de crise monétaire, qui peuvent être atténués dans une certaine mesure par des politiques prudentielles efficaces et coordonnées dans le domaine financier.
Conclusion
Nous avons mis en évidence dans ce chapitre le fait que la résilience du marché du travail contribue de manière essentielle à limiter les coûts sociaux des périodes de fléchissement de l'activité économique, et la mesure dans laquelle les fluctuations cycliques de l'emploi influent de manière négative sur le fonctionnement du marché du travail et les résultats économiques dans une perspective de moyen à long terme. Nous avons souligné que les politiques monétaire et budgétaire anticycliques peuvent être très efficaces pour amortir l'impact des chocs économiques négatifs sur le fonctionnement du marché du travail, mais qu'une intervention vigoureuse en période de fléchissement de l'activité économique nécessite la constitution préalable de marges de manœuvre budgétaires en période de conjoncture haute. Un certain nombre de politiques structurelles et d'institutions peuvent contribuer à limiter les fluctuations de l'emploi et à favoriser un rebond rapide. Des prestations sociales adéquates permettent non seulement de soutenir les personnes qui perdent leur emploi en période de fléchissement de l'activité économique, mais contribuent aussi à stabiliser la demande globale. Les politiques actives du marché du travail peuvent favoriser un retour rapide à l'emploi parallèlement à la normalisation de la situation économique, tandis que les dispositifs de chômage partiel peuvent prévenir les pertes d'emploi en amont, en favorisant un ajustement du temps de travail plutôt que des effectifs employés. Un niveau de protection de l'emploi des travailleurs réguliers limitant la segmentation du marché du travail peut restreindre les pertes massives d'emplois parmi les travailleurs non réguliers en période de fléchissement de l'activité économique, et favoriser la création d'emplois réguliers en phase de reprise.
Si elles sont judicieusement conçues, les politiques et les institutions renforçant la résilience du marché du travail sont également propices au bon fonctionnement structurel de ce marché. De fait, les pays dotés de marchés de l'emploi très résilients se caractérisaient également par un faible taux de chômage moyen avant la crise (OCDE, 2012[27]). Des politiques macroéconomiques anticycliques vigoureuses peuvent aider les pays à ne pas se laisser enfermer dans le piège d'une croissance faible, caractérisé par un investissement atone, un chômage élevé et une faible croissance des salaires et de la productivité (OCDE, 2016[5]). Un système de prestations de chômage ayant une vaste couverture, qui permette aux travailleurs de disposer de suffisamment de temps et de ressources financières pour chercher un emploi en adéquation avec leurs compétences, ne réduit pas nécessairement les incitations au travail, en particulier en période de faiblesse de la demande globale. Conjuguées à des mesures d'activation adéquates s'inscrivant dans un cadre d'obligations réciproques strictement appliqué, ces prestations peuvent même contribuer à un appariement plus productif entre offres et demandes d'emploi. Des dispositifs de chômage partiel judicieusement conçus peuvent éviter que des emplois occupés de manière productive ne soit supprimés, préservant du même coup les compétences des travailleurs et la productivité de la main-d'œuvre à moyen terme. De même, un niveau de protection de l'emploi des travailleurs réguliers empêchant une segmentation du marché du travail peut améliorer la productivité de la main-d'œuvre, notamment en renforçant les incitations à investir dans les compétences des travailleurs (Bassanini, Nunziata and Venn, 2009[39]).
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Notes
← 1. Suivant cette analyse, aucune distinction n'est établie entre les sources des fluctuations de la production (tels que les chocs subis par la demande, affectant l'offre ou de nature financière).
← 2. Outre le fait qu'ils connaissent bien les modalités des dispositifs publics de chômage partiel, les partenaires sociaux ont également acquis pendant la crise une expérience précieuse de l'utilisation des dispositifs privés de chômage partiel non subventionnés par les pouvoirs publics (Ibsen, 2013[21]). Il est possible de mettre en place ce type de dispositif en invoquant les clauses de sauvegarde des conventions collectives de branche.
← 3. Ce raisonnement repose également sur l'hypothèse que l'élasticité du chômage par rapport à l'allongement de la durée de versement des prestations est plus faible à l'échelle macroéconomique que pour un individu donné, compte tenu du fait que les demandeurs d'emploi sont en concurrence les uns avec les autres lorsqu'ils cherchent du travail (Landais, 2015[41]; Landais, Michaillat and Saez, 2018[42]). Néanmoins, la validité de cette hypothèse est sujette à controverse dans les travaux publiés sur la question (Hagedorn, Manovskii and Mitman, 2015[43]).
← 4. En cas de choc durable, en revanche, il faut généralement que l'ajustement du niveau général des salaires corresponde à l'évolution de la productivité globale.
← 5. De même, Sutherland and Hoeller (2013[40]) montrent que des règles strictes de protection de l'emploi applicables aux travailleurs réguliers vont de pair avec une persistance plus forte des récessions et une croissance plus faible de la productivité, ce qui tient en partie à des effets négatifs induits sur le redéploiement des ressources et l'adéquation entre compétences et emplois disponibles.