Un droit de la concurrence bien conçu et réellement appliqué peut avoir de multiples effets positifs : des prix plus bas, une meilleure qualité des produits et services, un enrichissement des choix à la disposition des consommateurs et, finalement, une croissance et un développement économiques plus soutenus. Pour que ces effets positifs se matérialisent, il faut que ce droit soumette aux mêmes règles tous les acteurs en concurrence sur un marché donné. Ce chapitre présente des questions susceptibles de faciliter l'analyse, des bonnes pratiques et des exemples qui illustrent la manière de mettre en œuvre la Recommandation sur la neutralité concurrentielle dans le cadre du droit de la concurrence et de son application.
Manuel sur la neutralité concurrentielle
3. Le droit de la concurrence et son application
Copier le lien de 3. Le droit de la concurrence et son applicationAbstract
Un droit de la concurrence bien conçu et réellement appliqué peut avoir de multiples effets positifs : des prix plus bas, une meilleure qualité des produits et services, un enrichissement des choix à la disposition des consommateurs et, finalement, une croissance et un développement économiques plus soutenus (OCDE, 2014[1]). Pour que ces effets positifs se matérialisent, il faut que ce droit soumette aux mêmes règles tous les acteurs en concurrence sur un marché donné. Exclure certaines entreprises du champ d'application du droit de la concurrence donne naissance à un environnement non neutre du point de vue concurrentiel, et cette inégalité des règles du jeu empêche les effets positifs de la concurrence de se concrétiser (OCDE, 2021, pp. 7-9[2]).
C’est pourquoi la Recommandation sur la neutralité concurrentielle dispose que les juridictions doivent garantir la neutralité concurrentielle dans leur droit de la concurrence et lors de son application.
Une série de questions permettant de repérer les mesures susceptibles de nuire à cette neutralité est présentée ci-après. Lorsqu’une mesure n’est pas en accord avec l’une au moins des questions ou des bonnes pratiques, elle risque de fausser la concurrence et devrait être analysée en détail. Le chapitre 8 décrit les principales étapes de l'analyse.
3.1. Adopter ou maintenir un cadre juridique respectueux de la neutralité concurrentielle et l'appliquer
Copier le lien de 3.1. Adopter ou maintenir un cadre juridique respectueux de la neutralité concurrentielle et l'appliquerLa Recommandation invite les pays à « adopter ou maintenir, selon le cas, un droit de la concurrence neutre du point de vue concurrentiel qui réprime les comportements anticoncurrentiels et qui englobe le contrôle des concentrations ». Cet aspect concerne avant tout la question de savoir qui est soumis au droit de la concurrence. Comme indiqué dans (OCDE, 2015[3]), le droit de la concurrence s’applique généralement « à toute “personne” ou “entreprise”, ce qui peut être interprété de manière large comme englobant n'importe quelle entité qui pratique une activité économique, quels que soient ses actionnaires, ses sources de financement, son statut juridique, son lieu d'activité ou sa nationalité »1.
La Recommandation invite donc les juridictions à veiller à ce que les règles relatives à la concurrence soient appliquées de la même façon à tous les concurrents de manière à ne pas fausser les règles du jeu. Il peut cependant y avoir des juridictions où le droit de la concurrence ne s'applique aux entreprises publiques que si elles sont constituées en société et ne vise pas les autres, même si elles ont des activités économiques. En outre, il arrive que certaines entreprises chargées de fournir certains services publics ne soient pas soumises au droit de la concurrence, quelle que soit leur structure de propriété.
La Recommandation énonce le principe selon lequel les pays devraient maintenir la neutralité concurrentielle lors de l'application du droit de la concurrence. EIle reconnaît que même des règles qui semblent neutres en droit peuvent, en pratique, se révéler discriminatoires, par exemple si elles conduisent à un traitement plus favorable aux entreprises publiques en matière de contrôle des concentrations ou d'application du droit de la concurrence. Les difficultés que pose l’application du droit de la concurrence dans le cas des entreprises publiques suscitent beaucoup d’intérêt. Ainsi, le document OCDE (2015[3]) analyse les difficultés de fond et les obstacles institutionnels et pratiques qui entravent l’application du droit de la concurrence. À titre d'illustration, il n’est pas toujours facile de déterminer si diverses entreprises publiques sont des entités séparées ou non. Il en résulte plusieurs conséquences, par exemple lorsqu'il s'agit de déterminer si des pratiques coordonnées entre entreprises publiques peuvent constituer une collusion ou si la concentration de deux entreprises publiques ou plus est soumise aux mécanismes de contrôle des concentrations. Sur le plan institutionnel, le risque existe que l’État exerce une influence indue sur l'autorité de la concurrence, malgré l’indépendance de celle-ci, lorsqu’une entreprise publique fait l’objet d'une enquête pour violation du droit de la concurrence. À cela s'ajoutent des difficultés pratiques liées aux enquêtes et à la collecte d'informations. Par exemple, des entités publiques peuvent être réticentes à répondre aux demandes d'informations dans certains pays.
Le droit de la concurrence et son application doivent être neutres, mais la Recommandation précise que ce principe « n’exclut pas des mesures visant à préserver la neutralité concurrentielle ». Autrement dit, elle permet l’adoption de règles applicables à certains types d’entreprises, comme les entreprises publiques, afin de garantir la neutralité concurrentielle. Certaines juridictions se sont dotées de cadres juridiques et de pouvoirs spécifiques pour favoriser la neutralité concurrentielle (voir Encadré 3.1).
Le principe de neutralité concurrentielle dans l'application du droit de la concurrence est consacré par la Recommandation sur la transparence et l’équité procédurale [OECD/LEGAL/0465], qui établit des normes en matière d'application impartiale et non discriminatoire du droit de la concurrence. Elle invite en particulier les juridictions à « mettre en œuvre le droit de la concurrence d’une manière raisonnable, cohérente et non discriminatoire, y compris sans préjudice des nationalités et de la propriété des parties faisant l’objet d’une enquête ».
Exemples
Les quelques exemples ci-après montrent que dans la plupart des juridictions, les entreprises publiques entrent dans le champ d'application du droit de la concurrence.
En 2008, le Tribunal chilien de la concurrence (TDLC) a estimé que la société des chemins de fer chilienne, qui est une entreprise publique, avait abusé de sa position dominante en appliquant des prix trop élevés. Il lui a ordonné de modifier ses tarifs et de veiller à ne pas pratiquer de discrimination arbitraire2. Cette affaire a permis d’affirmer clairement que le tribunal « peut imposer des sanctions à l’État quand celui-ci : (a) agit en qualité d'agent économique et (b) agit contrairement au droit de la concurrence » (OCDE, 2015, p. 3[4]). Cette décision a été confirmée par la Cour suprême chilienne en 20093.
En 2015, la Commission européenne a infligé des amendes à deux filiales des opérateurs ferroviaires historiques autrichien et allemand (les entreprises publiques Österreichische Bundesbahnen et Schenker, respectivement) pour entente sur les prix, répartition des clients et échange d'informations pendant près de huit ans. Swiss Kühne+Nagel, une entreprise privée, était aussi partie à l’accord mais a bénéficié d'une immunité d'amende en vertu du programme de clémence de l’UE (OCDE, 2016, p. 105[5])4.
En 2007, la Japan Fair Trade Commission (JFTC), l'autorité japonaise de la concurrence, a rendu une décision à l’encontre d’une entreprise publique du secteur des télécommunications. Cette entreprise avait fixé les prix demandés aux utilisateurs finals dans le marché d’aval à un niveau inférieur à ceux exigés de ses concurrents dans le marché d'amont, évinçant ainsi du marché d'aval les concurrents, c’est-à-dire les autres prestataires de services de télécommunication (OCDE, 2015, p. 3[6]).
En 2016, l'Autorité norvégienne de la concurrence a infligé une amende à Lindum AS, entreprise détenue à 100 % par la municipalité de Drammen, et à une entreprise privée, estimant qu’elles s'étaient rendues coupables de collusion illicite en soumettant une offre conjointe pour la collecte, le transport et le traitement des boues d’épuration dans la commune de Bergen (Autorité norvégienne de la concurrence, 2016[7]).
En 2008, l’Office of Fair Trading (OFT), l’un des organismes prédécesseurs de la Competition and Markets Authority (CMA) au Royaume-Uni, a prononcé une décision contre l’entreprise publique de transport par autobus Cardiff Bus, estimant qu’elle avait mis en œuvre une stratégie d'éviction pour éliminer un concurrent (OCDE, 2015, p. 5[8]).
Encadré 3.1. Juridictions dotées d’un cadre juridique relatif à la neutralité concurrentielle ou de dispositions spécifiques en la matière
Copier le lien de Encadré 3.1. Juridictions dotées d’un cadre juridique relatif à la neutralité concurrentielle ou de dispositions spécifiques en la matièreL'Australie dispose d’un cadre complet pour garantir la neutralité concurrentielle entre entreprises publiques et privées. Le gouvernement fédéral comme les gouvernements des États ont adopté en la matière des politiques et lignes directrices visant à garantir que les actes et décisions des pouvoirs publics ne favorisent pas les entreprises publiques par rapport à leurs concurrentes privées. Lorsqu’une entreprise publique bénéficie de conditions plus favorables, par exemple de taux d’emprunt plus bas, les règles appliquées en Australie prévoient un « ajustement de neutralité » pour contrebalancer cet avantage. Les plaintes pour infraction aux règles fédérales relèvent de l’Australian Government Competitive Neutrality Complaints Office (AGCNCO).
En Finlande, l’article 30a de la loi relative à la concurrence donne à l'Autorité de la concurrence et de la protection des consommateurs (FCCA) le pouvoir d’intervenir sur les marchés où des entreprises publiques ont des activités économiques si la pratique de l’entreprise ou sa structure faussent la concurrence sur le marché ou sont contraires à l’exigence de tarification sur la base des prix du marché contenue dans la loi sur les collectivités locales. La FCCA doit d’abord privilégier la négociation pour éliminer la distorsion de concurrence. En cas d'échec, elle doit interdire la pratique ou structure en cause ou imposer des conditions pour garantir la neutralité concurrentielle sur le marché.
En Lituanie, l'article 4 de la loi relative à la concurrence dispose que les administrations publiques doivent s’interdire d'accorder des avantages à des entreprises ou de prendre en leur faveur des mesures discriminatoires susceptibles de fausser la concurrence, sauf « lorsqu’il n’y a pas d'autres moyens de respecter les exigences législatives que d’instaurer des conditions de concurrence différentes ». Le Conseil de la concurrence est doté de pouvoirs d’exécution contre les décisions des autorités publiques à l’origine d’une différence de traitement entre entreprises concurrentes, que ces entreprises soient publiques ou privées.
En Suède, la loi sur la concurrence (chapitre 3, article 27) interdit aux entreprises publiques de se livrer à des activités de vente anticoncurrentielles. L’autorité de la concurrence peut ouvrir une enquête sur un comportement tombant sous le coup de cette disposition et demander au Tribunal des brevets et des marchés de rendre une décision interdisant « un certain comportement adopté par l’État, une commune ou un conseil régional dans le cadre d'activités de vente dès lors que ledit comportement empêche [...] une véritable concurrence sur le marché ». Contrairement aux règles générales relatives aux ententes et aux comportements unilatéraux, cette disposition trouve à s'appliquer même lorsque l’entité qui se livre à l’activité de vente n’est pas en position dominante.
Source : OCDE (2015[9]), OECD Roundtable on Competitive Neutrality in Competition in Competition Enforcement – Note by Australia https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/WD(2015)19/En/pdf ; OCDE (2021[10]), OECD Roundtable on the Promotion of Competitive Neutrality by Competition Authorities – Note by Finland, https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/GF/WD(2021)41/en/pdf ; OCDE (2021[11]), OECD Roundtable on the Promotion of Competitive Neutrality by Competition Authorities – Note by Lithuania, https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/GF/WD(2021)32/en/pdf.
3.2. Les exceptions éventuelles à l’application du droit de la concurrence devraient se limiter à celles indispensables pour atteindre des objectifs impérieux de politique publique
Copier le lien de 3.2. Les exceptions éventuelles à l’application du droit de la concurrence devraient se limiter à celles indispensables pour atteindre des objectifs impérieux de politique publiqueMalgré le principe général voulant que le droit de la concurrence et son application soient neutres du point de vue concurrentiel, certains pays accordent encore des exceptions à certaines entreprises, comme les grandes entreprises ou les champions nationaux. Ces exceptions ont pour effet de réduire le champ d'application du droit de la concurrence et peuvent se traduire par l’impunité de comportements anticoncurrentiels. De surcroît, le cadre juridique est moins contraignant pour les entreprises qui en bénéficient que pour leurs rivales et le coût du respect du droit de la concurrence est moins lourd. C’est pourquoi ces dérogations légales devraient rester limitées. Toutefois, certains pays en accordent encore à certaines entités. Ainsi, dans certaines juridictions, la loi relative à la concurrence confère à un ministre le pouvoir d’exempter une entreprise ou une activité particulière du champ d’application du droit de la concurrence. En outre, comme décrit dans la section 3.6, il arrive que certaines dispositions autorisent le gouvernement à intervenir dans le contrôle des concentrations au nom de la défense de l’intérêt général (OCDE, 2016[12]), ce qui revient en réalité à introduire une exception au principe de neutralité concurrentielle.
Pour que le droit de la concurrence soit neutre, il faudrait limiter les dérogations à celles qui sont indispensables pour atteindre les objectifs impérieux de politique publique d’un pays, comme le soulignent la Recommandation concernant une action efficace contre les ententes injustifiables [OECD/LEGAL/0452] et la Recommandation sur l’évaluation d’impact sur la concurrence [OECD/LEGAL/0455]. Le premier de ces instruments invite les juridictions à « restreindre les exclusions, le cas échéant, du champ d’application des législations réprimant les ententes injustifiables à celles indispensables pour atteindre leurs objectifs primordiaux ». Le deuxième préconise de garantir que « les exceptions au droit de la concurrence ne sont pas plus larges que nécessaire pour atteindre leur objectif d’intérêt public, et qu’elles donnent lieu à une interprétation étroite ».
Exemples
Les exemples ci-après illustrent les critères retenus par certaines juridictions pour déterminer les exceptions nécessaires pour atteindre certains objectifs de politique publique.
En Colombie, l’article 28 de la loi relative à la concurrence dispose que les règles sur les « pratiques anticoncurrentielles et en particulier celles applicables en matière de contrôle des concentrations » ne trouvent pas à s’appliquer lorsque la Direction générale des finances (SFC), autorité de réglementation financière chargée de la surveillance du respect du droit de la concurrence dans le secteur financier, impose des « mécanismes qui ont pour but de sauvegarder la confiance du public » Cette loi retient une définition étroite de ces mécanismes, les décrivant comme ceux nécessaires pour préserver la confiance du public à l’égard du système financier (OCDE, 2016, p. 90[13]).
Dans les États membres de l’UE et de l’Espace économique européen (EEE), il n’est pas prévu de dérogations aux règles relatives à la concurrence. Il existe néanmoins une certaine marge de manœuvre pour limiter leur application. Selon l’article 106 paragraphe 2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général (SIEG) sont soumises au droit de la concurrence dans la mesure où « l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement [...] de la mission particulière qui leur a été impartie ». Cette disposition vise aussi bien les entreprises publiques que les entreprises privées. Elle est appliquée de manière très étroite et dans le but de protéger des intérêts stratégiques particuliers (OCDE, 2012, p. 19[14]) (OCDE, 2012, p. 71[14]).
Aux États-Unis, dans une affaire datant de 2006, la cour d'appel pour le sixième circuit a estimé que la Tennessee Valley Authority, un gros fournisseur public d’électricité, bénéficiait d’une exemption implicite du droit de la concurrence pour un comportement particulier. La cour s’est fondée sur une loi fédérale autorisant expressément ce fournisseur à passer des contrats afin de « favoriser une utilisation plus grande et meilleure de l’électricité par les agriculteurs ou les ménages ou par les entreprises locales ou de petite taille » (OCDE, 2015, p. 5[15])5. Dans cette affaire, l’exemption était directement liée à un objectif spécifique de politique publique.
3.3. Toute dérogation légale au droit de la concurrence devrait être le fruit d'une procédure législative formelle et faire régulièrement l’objet d’une évaluation d'impact sur la concurrence
Copier le lien de 3.3. Toute dérogation légale au droit de la concurrence devrait être le fruit d'une procédure législative formelle et faire régulièrement l’objet d’une évaluation d'impact sur la concurrenceLes bonnes pratiques recensées révèlent que les éventuelles dérogations au droit de la concurrence doivent faire l’objet d’un large débat dans le cadre d’une procédure législative formelle. Ce processus permet qu’elles soient adoptées de façon transparente et soient publiquement connues. Il permet en outre que des discussions ouvertes s’engagent sur leur bien-fondé, que des objections soient formulées et que d'autres solutions soient proposées. Par ailleurs, ces dérogations légales devraient être réexaminées périodiquement au moyen d’une évaluation d’impact sur la concurrence fondée sur des critères transparents pour l'évaluation des autres solutions envisageables. Pourtant, comme souligné plus haut, dans certaines juridictions, le gouvernement peut exempter certaines entreprises du droit de la concurrence sans avoir à passer par une procédure législative ni à définir d’objectif clair de politique publique pour justifier sa décision.
Ces bonnes pratiques – transparence et réexamen régulier – sont conformes à la Recommandation de l’OCDE concernant une action efficace contre les ententes injustifiables [OECD/LEGAL/0452] et à la Recommandation de l’OCDE sur l’évaluation d’impact sur la concurrence [OECD/LEGAL/0455]. La première de ces recommandations invite les juridictions à faire « toute la transparence sur leurs exclusions et à les réévaluer périodiquement pour s’assurer qu’elles restent nécessaires et qu’elles ne vont pas au-delà de ce qui est indispensable pour atteindre leur objectif ». La seconde précise que toute nouvelle dérogation au droit de la concurrence devrait être « adoptée pour une période de temps limitée, généralement en prévoyant une date butoir, afin que l’exception ne soit pas maintenue plus longtemps que nécessaire pour atteindre l’objectif de politique publique identifié ».
Exemples
Les exemples qui suivent sont des exemples de dérogations accordées de manière transparente par la loi ou faisant l’objet d’une réévaluation.
Au Costa Rica, la loi relative à la concurrence accorde des dérogations à certaines entités, par exemple à certains concessionnaires de services publics et monopoles attribués par l’État. Dans un examen récent, l’OCDE a recommandé qu’elles fassent l’objet d'une réévaluation périodique visant à déterminer si elles restent justifiées et a souligné que par le passé, l’autorité de la concurrence avait déjà plaidé pour leur suppression (OCDE, 2020[16]).
En Israël, les accords restrictifs de concurrence peuvent ne pas tomber sous le coup du droit de la concurrence s’ils ont été établis par la loi (et non par une simple décision des pouvoirs publics ou de l'administration) et seulement dans le cas où l’application du droit de la concurrence entraînerait un conflit irréductible avec la loi en question (OCDE, 2011, p. 76[17]).
À travers la loi antimonopole et d'autres textes législatifs, le Japon accordait de multiples dérogations dans divers secteurs dont il entendait ainsi favoriser le développement et la croissance. Toutefois, la JFTC, en coopération avec divers ministères compétents, procède actuellement à une réévaluation pour déterminer si elles sont toujours justifiées. En 2021, il n’existait plus que 25 dérogations, prévues dans 18 lois, contre 89 dérogations dans 30 lois en 1996 (OCDE, 2021, p. 3[18]).
Aux États-Unis, dans une affaire opposant le service postal (USPS) et Flamingo Industries, un fournisseur de sacs postaux, ce fournisseur a fait valoir que USPS l’avait volontairement exclu du marché des sacs postaux. La Cour suprême a estimé que USPS n’était pas soumis au droit de la concurrence parce qu’il était considéré comme une composante de l’administration fédérale6. Par la suite, le Congrès a ouvert certains services postaux à la concurrence d’entités privées et a précisé que concernant ces services, USPS entrait dans le champ d’application du droit fédéral de la concurrence, tout comme ses concurrents privés (OCDE, 2015, p. 4[15]).
3.4. Une entreprise ne devrait pas pouvoir invoquer un moyen de défense tiré de critères tels que sa structure de propriété, sa nationalité ou sa forme juridique auquel d'autres entreprises n'ont pas accès
Copier le lien de 3.4. Une entreprise ne devrait pas pouvoir invoquer un moyen de défense tiré de critères tels que sa structure de propriété, sa nationalité ou sa forme juridique auquel d'autres entreprises n'ont pas accèsComme expliqué dans les sections 3.2 et 3.3, il peut arriver que l’application du droit de la concurrence ne soit pas neutre parce que certaines entreprises bénéficient de dérogations. De surcroît, certaines entreprises soumises au droit de la concurrence peuvent faire valoir des moyens de défense contre son application, c’est-à-dire chercher à prouver, dans une affaire d’infraction au droit de la concurrence dans laquelle elles sont mises en cause, que même si le droit de la concurrence est applicable, il ne devrait pas être appliqué en l’espèce (OCDE, 2021[2]).
Le moyen de défense tiré de la doctrine de l’acte d’État ou moyen de défense fondé sur une conduite réglementée, qui protège un comportement de l'application du droit de la concurrence lorsqu'il est exigé ou autorisé par la loi, en est un exemple. Il existe un risque que les entreprises présentes dans des secteurs stratégiques aient moins de difficultés que leurs rivales à justifier leurs actes en avançant qu’ils sont exigés ou autorisés par l’État. Ce risque est atténué par le fait que dans les juridictions où ce moyen de défense est accepté, les entreprises qui l’invoquent sont tenues de produire des preuves solides pour démontrer que leur comportement était imposé ou autorisé par l’État (OCDE, 2018[19]).
Il ressort des bonnes pratiques appliquées dans les juridictions que pour garantir la neutralité concurrentielle dans l'application du droit de la concurrence, il faut éviter les dispositions législatives qui réservent les moyens de défense à certaines entreprises. La définition de critères spécifiques pourrait permettre d’indiquer dans quelles circonstances un moyen de défense donné peut être invoqué.
Exemples
Les exemples ci-après en sont l’illustration.
En 2018, l’Administration d’État chinoise chargée du contrôle du marché (SAMR) a estimé que deux entreprises, associées à des entreprises publiques chinoises, avaient enfreint le droit de la concurrence pour s’être entendues sur les prix dans le secteur du transport de marchandises. Alors que les parties faisaient valoir qu’elles formaient une seule et même entité, la SAMR a considéré qu’elles fonctionnaient de manière indépendante. Elles soutenaient également que leurs stratégies tarifaires étaient ordonnées par l’État, mais la SAMR a écarté cet argument, faisant observer que même en présence d’une intervention de l’État, la collusion entre deux entreprises en concurrence était interdite (OCDE, 2018, p. 10[19]). Toutes les entreprises peuvent invoquer l’argument tiré de l’entité unique.
En Israël, le droit de la concurrence ne s'applique pas à un comportement qui s’inscrit dans le cadre d'une directive de l’État ne laissant aucune place « au choix individuel » de l’entreprise. Ce principe vaut pour n’importe quelle entreprise (OCDE, 2011, p. 76[17]).
Bien que cette pratique ne soit pas privilégiée, aux États-Unis, les États peuvent, dans certaines circonstances très précises, encadrer leur économie en adoptant des mesures qui mettent les comportements anticoncurrentiels à l'abri du droit de la concurrence fédéral. Un État qui agit en sa qualité d’État souverain peut imposer des restrictions à la concurrence, accorder des droits exclusifs ou partagés de dominer un marché ou limiter la concurrence d’une autre manière au nom d’objectifs de politique publique. Les acteurs privés, y compris les organes de réglementation dépendant de l’État mais administrés par des acteurs du marché, ne peuvent pas voir leur responsabilité engagée au titre du droit de la concurrence s’ils agissent en application d’une mesure décidée par l’État, expressément désignée comme telle et clairement formulée, et si leurs actes font l’objet d’une surveillance active de l’État, laquelle peut être assurée par un fonctionnaire ou par un organisme dépendant de l’État qui ne soit pas un acteur du marché réglementé. La première condition a pour but d’assurer que les mécanismes anticoncurrentiels adoptés par l’organisme public sont mis en œuvre en application d’une politique délibérément et intentionnellement adoptée par l’État. La deuxième condition – la surveillance active de l’État – vise à garantir que les organismes qui comptent parmi leurs membres des acteurs du marché restreignent la concurrence en vertu d’une mesure de l’État et non pour servir leurs propres intérêts. Dans le cas des organes de réglementation administrés par des acteurs du marché, l’État doit vérifier le bien-fondé des actes pour s'assurer qu’ils servent bien ses propres objectifs de politique publique. Bien que la Cour suprême se soit déjà penchée sur certains aspects du moyen de défense de « l’acte d’État » dans plusieurs affaires, dernièrement, dans une affaire qui a opposé le North Carolina State Board of Dental Examiners (NC Board) à la Federal Trade Commission (FTC) elle a précisé les circonstances dans lesquelles les actes d’un organe de réglementation incluant des acteurs du marché satisfaisaient les conditions requises pour que ce moyen de défense soit retenu. Dans cette affaire, le NC Board était un organisme de l’État chargé d’administrer et de faire respecter un système d'autorisations visant les dentistes. La règle restrictive de concurrence contestée interdisait aux prestataires n’ayant pas la qualité de dentiste de fournir des services de blanchiment dentaire en concurrence avec des dentistes titulaires d’une autorisation d’exercer. À noter que la majorité des membres du NC Board investis d'un pouvoir de décision étaient des dentistes en exercice, si bien qu’ils avaient un intérêt personnel à limiter la concurrence exercée par des prestataires n’ayant pas la qualité de dentiste. Le NC Board a invoqué la doctrine de l’acte d’État, faisant valoir que comme il était un organisme d’État, l’interdiction n’était pas contraire au droit de la concurrence. La Cour suprême a écarté ce moyen au motif que les actes du NC Board devaient faire l’objet d’une surveillance active de l’État du fait qu’une majorité de membres de cet organe étaient des acteurs du marché qu’il réglementait (OCDE, 2015, pp. 6-10[15])7.
3.5. Les sanctions ne devraient pas faire de distinction entre les entreprises sur la base de critères tels que la structure de propriété, la nationalité ou la forme juridique
Copier le lien de 3.5. Les sanctions ne devraient pas faire de distinction entre les entreprises sur la base de critères tels que la structure de propriété, la nationalité ou la forme juridiqueLes sanctions, y compris financières, font partie intégrante des règles du droit de la concurrence et ont une visée dissuasive. Bien que bon nombre de juridictions aient adopté des lignes directrices à des fins de transparence, la détermination des sanctions (en particulier des amendes) est encore en grande partie laissée à l'appréciation des autorités et des tribunaux (OCDE, 2018[20]), ce qui pourrait entraîner un traitement discriminatoire des entreprises en concurrence. Les sanctions devraient être fixées selon les mêmes critères pour toutes les entités qui ont une activité économique. Les éventuelles lignes directrices élaborées par les autorités de la concurrence ne devraient pas distinguer différents types de concurrents. Dans certaines juridictions, c’est aux tribunaux plutôt qu'à l'autorité de la concurrence qu’il revient de définir les sanctions applicables à certains types de comportements anticoncurrentiels. En pareil cas, il est possible que les orientations appliquées ne soient pas spécifiques aux affaires de concurrence et aient une application plus générale. En tout état de cause, même lorsqu’elles ne sont pas énoncées par les autorités de la concurrence, ces lignes directrices ou orientations doivent être respectueuses du principe de neutralité concurrentielle.
Il faudrait par exemple que les entreprises publiques reçoivent le même traitement que les entités privées. Il est important qu’un comportement anticoncurrentiel adopté par une entreprise publique fasse l’objet d’une sanction ou d’une mesure corrective appropriée pour que l’effet dissuasif soit réel (OCDE, 2021[2]). Toutefois, la mise en œuvre de ces sanctions et mesures peut poser des problèmes, en particulier dans le cas des entreprises publiques, par exemple lorsqu’il s'agit de déterminer le chiffre d'affaires à retenir pour calculer l'amende, si ces entreprises relèvent de normes financières différentes qui garantissent parfois une transparence plus faible que les normes applicables aux entreprises privées8. Par ailleurs, lorsque des amendes sont infligées à des entreprises publiques qui bénéficient de transferts de l’État et peuvent en répercuter le coût sur les contribuables, l’effet dissuasif de la sanction en est affecté. Certains de ces facteurs dépendent vraisemblablement des politiques publiques en général et de la configuration institutionnelle du pays et non du seul droit de la concurrence ou des lignes directrices de l'autorité de la concurrence en matière de sanctions financières.
Exemples
Les exemples ci-après illustrent ces bonnes pratiques dans ce domaine, en particulier concernant le traitement des entreprises publiques.
En 2016, le Conseil administratif de défense économique du Brésil (CADE) a sanctionné une entente internationale impliquant des entreprises brésiliennes et étrangères sur le marché des compresseurs utilisés dans la réfrigération. Les amendes infligées ont représenté 21 millions BRL et toutes les entreprises ont été sanctionnées sur la base des mêmes critères (OCDE, 2017[21]).
En 2013, la Commission indienne de la concurrence (CCI) a condamné l’entreprise publique Coal India Limited à une amende au motif qu’elle avait imposé des conditions discriminatoires dans ses contrats de fourniture d’énergie (OCDE, 2021, p. 5[22])9. Dans une autre affaire, elle a considéré que quatre compagnies d'assurance appartenant au secteur public s'étaient entendues pour faire augmenter la prime demandée à un assuré10 et a imposé une amende aux quatre entreprises. De même, en 2021, la CCI a estimé qu’une entreprise publique avait abusé de sa position dominante sur le marché de la minoterie et a rendu une ordonnance de cessation et d'abstention pour qu’elle mette fin à son comportement (OCDE, 2021, p. 6[22])11.
En 2013, à la suite d’une enquête pour pratiques discriminatoires et compression des marges, l’Autorité italienne de la concurrence et des marchés (AGCM) a imposé des engagements à l’opérateur public historique sur le marché des services de transport ferroviaire de voyageurs à grande vitesse. L’opérateur public n'a pas respecté ces engagements, si bien que l’AGCM a ouvert une autre enquête, en 2015 (OCDE, 2018, p. 17[19])12.
La Commission serbe pour la protection de la concurrence est intervenue à de multiples reprises contre des entreprises publiques, le plus souvent concernant des abus de position dominante dans les secteurs de l'énergie, du transport ferroviaire et des télécommunications. En général, elle ne « fait pas de distinction entre les entreprises publiques et les autres lorsqu’elle applique les règles relatives aux accords restrictifs de concurrence, à l’abus de position dominante et au contrôle des concentrations dans les divers secteurs de l’économie » (OCDE, 2021, p. 3[23]).
En Suède, dans le cadre d’une affaire de soumission concertée impliquant plusieurs entreprises du secteur de la construction, l'Administration nationale des routes a agi à la fois en qualité d'autorité adjudicatrice lésée et en tant que fournisseur d’asphalte impliqué dans l’entente. En 2009, le Tribunal de commerce suédois a considéré qu’un organisme public investi de multiples fonctions pouvait être considéré comme membre d’une entente en sa qualité de fournisseur et pouvait être tenu pour responsable de l’infraction au droit de la concurrence. L’Administration des routes a donc été sanctionnée selon les mêmes règles que celles appliquées aux autres participants à l’entente (Nilsson, 2009[24]).
En 2017, le Comité antimonopole d’Ukraine (AMCU) a infligé une amende à l’aéroport international public de Kiev-Boryspil, estimant qu’il avait abusé de sa position dominante sur le marché des services de manutention au sol en refusant d’approuver les demandes formulées par des candidats à l’entrée sur le marché (OCDE, 2018, p. 21[19]).
3.6. Les règles relatives au contrôle des concentrations devraient être neutres du point de vue concurrentiel, notamment en ce qui concerne l'établissement de la compétence sur les opérations
Copier le lien de 3.6. Les règles relatives au contrôle des concentrations devraient être neutres du point de vue concurrentiel, notamment en ce qui concerne l'établissement de la compétence sur les opérationsIl est de bonne pratique que les règles relatives au contrôle des concentrations s'appliquent de manière neutre à toutes les entités qui exercent une activité économique, à l’égard, par exemple, de leur structure de propriété et de leur nationalité. De ce point de vue, plusieurs problèmes se posent concernant la conception et l’application des règles qui encadrent ce contrôle. Ainsi, dans le cas des entreprises publiques, il peut être plus difficile d'apprécier si les deux parties candidates à la fusion peuvent être ou non considérées comme deux entités économiques distinctes. Il est en effet ardu de mesurer l’implication de l’État dans la prise de décision et de déterminer s’il peut à ce titre imposer ses décisions aux deux entités, auquel cas elles ne devraient pas être considérées comme distinctes. En conséquence, il peut aussi être compliqué de calculer le chiffre d’affaires à retenir pour déterminer si une opération de concentration doit être notifiée. Si le périmètre de l’entreprise est mal défini, des opérations qui ne devraient pas être notifiées parce que les deux entités appartiennent déjà au même groupe feront l’objet d’un contrôle ou, à l’inverse, des fusions risquent de ne pas être notifiées alors qu’elles concernent des entités économiques séparées.
Cette difficulté à définir correctement le périmètre d’entreprises publiques candidates à une fusion est aussi liée à leur structure de propriété et de gouvernance. Dans certains pays, une administration publique centrale est chargée de la gestion des participations détenues par l’État. En conséquence, lorsqu’elles évaluent une opération impliquant des entreprises publiques étrangères, les autorités de la concurrence doivent bien appréhender les singularités du pays pour pouvoir déterminer si les deux parties sont indépendantes ou si elles appartiennent à une unité économique plus vaste.
À cela s'ajoute le risque que les autorités de la concurrence soient encouragées ou se sentent encouragées à se montrer plus restrictives lorsqu’elles contrôlent une fusion impliquant des entités étrangères, en particulier lorsque des actifs publics ou des « champions nationaux » sont concernés.
Il peut arriver que le cadre juridique définisse des exigences différentes en fonction des entreprises ou qu’une pression s’exerce sur les autorités de la concurrence pour qu’elles traitent différemment certaines affaires quand elles interviennent pour faire respecter les règles. À titre d’exemple du premier cas de figure, dans un Adhérent, le régime de contrôle ex ante des concentrations prévoit une exception dans certains secteurs. Les fusions, les concessions, les transferts ou les changements de contrôle impliquant des agents économiques qui n’occupent pas de position dominante ne font pas l’objet d’un contrôle dès lors qu’ils respectent certaines obligations inscrites dans la loi. En outre, si l’autorité de la concurrence repère des problèmes pour la concurrence à la suite d’une fusion, elle ne peut pas imposer une cession d'actifs aux acteurs non dominants et ne peut intervenir qu’au moyen de la réglementation ou de mesures correctives comportementales.
Certaines opérations ont lieu dans des secteurs stratégiques, impliquent des considérations liées à la sécurité nationale ou à d'autres objectifs de politique publique tels que la préservation de la pluralité des médias, que les entités concernées soient des entreprises publiques ou privées, nationales ou étrangères. En pareil cas, il est possible que le cadre juridique autorise la prise en compte de ces considérations dans l’examen de la fusion par l'autorité de la concurrence ou – ce qui est plus fréquent parmi les Adhérents – par un autre organisme, souvent un service de l’administration. Toutefois, comme souligné lors de la Table ronde de l’OCDE sur les considérations d’intérêt public dans le contrôle des fusions (OCDE, 2016[12]), ces clauses d'intérêt public peuvent nuire à la prévisibilité et à la transparence. C’est pourquoi il est de bonne pratique de veiller à ce que « les pouvoirs publics n’interviennent que dans des circonstances exceptionnelles et en toute transparence, et à ce qu’un contrôle juridictionnel efficace permette de vérifier dans quelle mesure les préoccupations d’intérêt public spécifiques à une fusion l’emportent sur les entraves à la concurrence » (OCDE, 2016[25]). Enfin, d'autres outils peuvent être plus adaptés pour tenir compte d’objectifs liés à d'autres domaines que la concurrence, comme les mécanismes de sélection des investissements directs étranger (IDE), même si ces mécanismes peuvent eux-mêmes faire obstacle à la neutralité concurrentielle, par exemple s’ils ont été instaurés dans une optique protectionniste, pour empêcher les acquisitions par des entités étrangères.
Exemples
Les exemples ci-après sont l’illustration de ce type de bonne pratique.
Au Brésil, le CADE part du principe que le droit de la concurrence s'applique à tous dans tous les secteurs, ce qui signifie que le contrôle des concentrations qu’il réalise vise également les entreprises publiques. Il a ainsi contrôlé une opération impliquant deux banques publiques et l'a autorisée moyennant des mesures correctives (OCDE, 2015, p. 4[26]). Il a aussi contrôlé des fusions impliquant des entreprises publiques du secteur de l’énergie. Dans une de ces affaires, en 2007, il a imposé à la fois des mesures structurelles et des mesures comportementales (OCDE, 2015, p. 6[26])13.
Le règlement de l’UE sur le contrôle des concentrations s’applique à tous les types d’entreprises. Dans ses considérants et dans l’article premier, il souligne que certaines opérations sont de « dimension communautaire » et entrent donc dans le champ de compétence de la Commission dès lors que certains seuils de chiffre d'affaires sont franchis. Ces seuils sont calculés dans le respect du « principe de non-discrimination entre secteurs public et privé [...] indépendamment du mode de détention [du] capital [des entreprises] ou des règles de tutelle administrative qui leur sont applicables »14.
Plus précisément, le considérant 22 porte sur le calcul du chiffre d'affaires dans le cadre d'une concentration dans le secteur public, et précise que pour ce calcul, « il faut tenir compte des entreprises qui constituent un ensemble économique doté d'un pouvoir de décision autonome, indépendamment du mode de détention de leur capital ou des règles de tutelle administrative qui leur sont applicables ». En conséquence, en vertu de ce règlement, la Commission européenne apprécie si l’entreprise publique est dotée d'un pouvoir de décision autonome. Dans la négative, elle doit déterminer quelle est l’entité publique ultime qui détient ladite entreprise, éventuellement avec d'autres entreprises publiques détenues par la même entité.
Les opérations de ce type peuvent être analysées par la Commission ou renvoyées devant l’autorité de la concurrence d’un État membre dans le cas où une analyse préliminaire montre qu'une évaluation de l'autorité nationale de la concurrence est plus appropriée. Ainsi, en 2009, la Commission a évalué la fusion entre GDF Suez et EDF, deux entreprises dans lesquelles l’État français détenait une participation importante. Elle a constaté que la fusion comportait certains risques et l’a autorisée sous réserve d’engagements, en particulier d’une mesure de cession d'actifs15. En 1998, elle a contrôlé une fusion entre deux entreprises publiques finlandaises du secteur de l’énergie, Neste et IVO, et a autorisé l’opération sous réserve d’engagements de la part des deux entreprises et du gouvernement finlandais (OCDE, 2016, p. 109[5])16.
En Hongrie, la loi relative à la concurrence dispense certaines entreprises (principalement les entreprises publiques) de l’obligation de contrôle des fusions si elles ont une importance stratégique nationale et servent l’intérêt général. Cette disposition a été appliquée à plusieurs reprises, principalement dans le secteur des services d'utilité publique (OCDE, 2018, p. 8[19]). À titre d’exemple, elle a été utilisée dans le secteur de l'énergie pour que l'approvisionnement en énergie soit financièrement abordable pour les consommateurs et dans le secteur financier pour préserver des emplois. Ces dérogations ont été accordées pour atteindre des objectifs de politique publique et des objectifs stratégiques clairs et précis (Eötvös et Christoph, 2016[27]).
En 2022, l’Institut fédéral des télécommunications du Mexique (IFT) a évalué une opération impliquant un partenariat public-privé (PPP) conclu pour fournir des services de gros à des opérateurs de télécommunications présents sur le marché de détail. Le partenaire privé membre du PPP a informé l’IFT que ses actionnaires et la Banque mexicaine de développement allaient passer un accord financier et que l’État détiendrait 60 % des actifs. Dans son évaluation sous l'angle de la concurrence, l’IFT a cherché à déterminer qui seraient les parties prenantes et si elles étaient actrices du marché, de même qu’à évaluer la participation au capital et les droits des parties prenantes après la fusion (IFT, 2022[28]).
En 2021, la Commission nationale espagnole pour les marchés et la concurrence (CNMC) a appliqué les règles du droit de la concurrence à une entreprise étrangère impliquée dans une fusion relevant de sa compétence, infligeant une amende à une entreprise publique portugaise pour réalisation anticipée de l’opération de concentration (OCDE, 2021, p. 5[29])17.
Références
[7] Autorité norvégienne de la concurrence (2016), Fined for collusive bidding, https://konkurransetilsynet.no/fined-for-collusive-bidding/?lang=en.
[27] Eötvös, O. et H. Christoph (2016), « No merger control for concentrations of national strategic importance », International Law Office, https://www.lexology.com/commentary/competition-antitrust/hungary/schoenherr-attorneys-at-law/no-merger-control-for-concentrations-of-national-strategic-importance.
[31] Fox, E. et D. Gerard (2023), EU Competition Law: Cases, Texts and Context, Edward Elgar Publishing, https://www.e-elgar.com/shop/gbp/eu-competition-law-9781839104688.html.
[28] IFT (2022), El Pleno del IFT autoriza concentración en Altán y emite opinión en competencia económica para modificar el contrato APP de la Red Compartida Mayorista. (Comunicado 60/2022) 21 de junio, https://www.ift.org.mx/comunicacion-y-medios/comunicados-ift/es/el-pleno-del-ift-autoriza-concentracion-en-altan-y-emite-opinion-en-competencia-economica-para.
[24] Nilsson, D. (2009), The Swedish Market Court ends asphalt cartel case by increasing fines up to € 46 M, reaching the highest ever fine in a cartel case (NCC), https://www.concurrences.com/en/bulletin/news-issues/may-2009/The-Swedish-Market-Court-ends.
[30] OCDE (2022), Monitoring the Performance of State-Owned Enterprises: Good Practice Guide for Annual Aggregate Reporting, http://www.oecd.org/corporate/monitoring-performance-state-owned-enterprises.htm (consulté le 12 mai 2022).
[10] OCDE (2021), OECD Roundtable on the Promotion of Competitive Neutrality by Competition Authorities – Note by Finland, https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/GF/WD(2021)41/en/pdf.
[11] OCDE (2021), OECD Roundtable on the Promotion of Competitive Neutrality by Competition Authorities - Note by Lithuania, https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/GF/WD(2021)32/en/pdf.
[22] OCDE (2021), Roundtable on The Promotion of Competitive Neutrality by Competition Authorities - Note by India, https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/GF/WD(2021)28/en/pdf.
[23] OCDE (2021), Roundtable on The promotion of competitive neutrality by competition authorities - Note by Serbia, https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/GF/WD(2021)33/en/pdf.
[2] OCDE (2021), The Promotion of Competitive Neutrality by Competition Authorities, Discussion Paper, https://www.oecd.org/daf/competition/the-promotion-of-competitive-neutrality-by-competition-authorities-2021.pdf.
[18] OCDE (2021), The Promotion of Competitive Neutrality by Competition Authorities, Note by Japan, https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/GF/WD(2021)20/en/pdf.
[29] OCDE (2021), The Promotion of Competitive Neutrality by Competition Authorities, Note by Spain, https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/GF/WD(2021)39/en/pdf.
[16] OCDE (2020), Costa Rica: Assessment of Competition Law and Policy 2020, https://www.oecd.org/daf/competition/costa-rica-assessment-of-competition-law-and-policy2020.pdf.
[19] OCDE (2018), Le droit de la concurrence et les entreprises publiques, https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/GF(2018)10/fr/pdf.
[20] OCDE (2018), Pecuniary Penalties for Competition Law Infringements in Australia, http://www.oecd.org/daf/competition/pecuniary-penalties-competition-law-infringements-australia-2018.htm.
[21] OCDE (2017), Annual Report on Competition Policy Developments in Brazil - 2016, https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/AR(2017)19/en/pdf.
[13] OCDE (2016), Colombia: Assessment of Competition Law and Policy, https://www.oecd.org/daf/competition/Colombia-assessment-competition-report-2016.pdf.
[12] OCDE (2016), Public interest considerations in merger control, https://www.oecd.org/daf/competition/public-interest-considerations-in-merger-control.htm.
[5] OCDE (2016), State-Owned Enterprises as Global Competitors : A Challenge or an Opportunity?, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264262096-en.
[25] OCDE (2016), Synthèse de la Table ronde sur les considérations d’intérêt public dans le contrôle des concentrations, https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/WP3/M(2016)1/ANN5/FINAL/fr/pdf.
[3] OCDE (2015), « Discussion sur la neutralité concurrentielle », https://one.oecd.org/document/DAF/COMP(2015)13/FINAL/fr/pdf.
[8] OCDE (2015), Discussion sur la neutralité concurrentielle, Note du Secrétariat, https://one.oecd.org/document/DAF/COMP(2015)8/FINAL/fr/pdf.
[9] OCDE (2015), OECD Roundtable on Competitive Neutrality in Competition Enforcement - Note by Australia, https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/WD(2015)19/en/pdf.
[26] OCDE (2015), Roundtable on Competitive Neutrality in Competition Enforcement, Note by Brazil, https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/WD(2015)25/en/pdf.
[4] OCDE (2015), Roundtable on Competitive Neutrality in Competition Enforcement, Note by Chile, https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/WD(2015)40/en/pdf.
[6] OCDE (2015), Roundtable on Competitive Neutrality in Competition Enforcement, Note by Japan, https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/WD(2015)6/en/pdf.
[15] OCDE (2015), Roundtable on Competitive Neutrality in Competition Enforcement, Note by the United States, https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/WD(2015)42/en/pdf.
[1] OCDE (2014), Factsheet on how competition affects macroeconomic outcomes, https://www.oecd.org/daf/competition/factsheet-macroeconomics-competition.htm.
[14] OCDE (2012), Competitive neutrality: National practices, https://www.oecd.org/daf/ca/50250966.pdf.
[17] OCDE (2011), Competition Law and Policy in Israel, Examen du droit et de la politique de la concurrence, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264097667-en.
Notes
Copier le lien de Notes← 1. Schématiquement, une activité peut être considérée comme étant de nature économique si elle est exercée ou peut l’être sur un marché par des entreprises privées. Cette question peut être laissée à l'interprétation des tribunaux, comme l’illustre le fait que plusieurs affaires portées devant les juges de l’UE ont contribué à clarifier la définition. (Fox et Gerard, 2023, p. 28[31])
← 2. Décision 76/2008.
← 3. Affaire no 6978-2008, arrêt du 13 janvier 2009.
← 4. Décision de la Commission européenne du 15 juillet 2015, affaire AT.40098 – Trains-blocs.
← 5. McCarthy v. Middle Tennessee Electric Membership Corp., 466 F.3d 399, 414 (6th Cir. 2006).
← 6. US Postal Service v Flamingo Industries (USA), Ltd. (“Flamingo”) 540 US 736 (2004).
← 7. Affaire North Carolina State Board of Dental Examiners v. FTC (574 U.S.2015, No. 13-534).
← 8. Les travaux du Groupe de travail sur l’actionnariat public et la privatisation ont pour but de favoriser l’amélioration de la transparence concernant les performances financières et non financières des entreprises publiques, par exemple à travers un outil tel que (OCDE, 2022[30])
← 9. Maharashtra State Power Generation Company Ltd. v. Coal India Ltd. (affaire no 03, 11 & 59 de 2012).
← 10. National Insurance Company Ltd. v. CCI.
← 11. M/s MaaMetakani Rice Industries v. Odisha State Civil Supplies Corporation Ltd (affaire no 16 de 2019).
← 12. Autoritá Garante della Concorrenza e del Mercato, Bollettino settimanale Anno XXIII.
← 13. AC 08012.002820/2007-93.
← 14. Règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, considérant 22.
← 15. Affaire no COMP/M.5549 - EDF/ SEGEBEL.
← 16. Affaire no IV/M.931 - NESTE / IVO.
← 17. SNC/DC/048/21: DGTF/PARPÚBLICA/TAP.