Le monde du travail change sous l’effet des progrès technologiques, de la mondialisation et du vieillissement démographique. Par ailleurs, les nouveaux modes d'organisation des entreprises et l'évolution des préférences des travailleurs contribuent à faire émerger de nouvelles formes de travail. En dépit de l'inquiétude généralisée que suscitent les destructions d'emplois potentielles induites par la technologie et la mondialisation, une contraction brutale de l'emploi global semble peu probable. À mesure que certains emplois et certaines tâches disparaissent, d’autres voient le jour, avec à la clé une hausse de l’emploi. Face à ces transformations, l'une des principales difficultés consiste à faciliter la transition des travailleurs des secteurs d'activité et des régions en déclin vers les nouveaux débouchés professionnels qui s'offrent à eux. Des inquiétudes s’expriment également quant à la qualité des emplois. La flexibilité qu’offre la diversité des contrats de travail à nombre d’entreprises et de travailleurs est certes la bienvenue, mais d’importants obstacles doivent encore être surmontés pour assurer la qualité des emplois atypiques. Par ailleurs, les inégalités pourraient continuer de se creuser sur le marché du travail faute d’une action résolue des pouvoirs publics afin d’assurer un partage plus équitable des coûts associés aux ajustements structurels qui s’imposent dans le monde du travail. En dépit des risques qu’ils représentent, ces changements sont aussi porteurs de nombreuses opportunités, et l’avenir du travail n’est pas gravé dans le marbre. À condition de mettre en place les politiques et les institutions adéquates, le monde du travail de demain pourra être synonyme d’emplois plus nombreux et de meilleure qualité pour tous.
Perspectives de l'emploi de l'OCDE 2019
Résumé
S’ils ouvrent de nouvelles perspectives, l’essor du numérique, la mondialisation et le vieillissement démographique risquent aussi d’accentuer les inégalités sur le marché du travail
Dans la plupart des pays, la situation sur le marché du travail des jeunes sans diplôme de l’enseignement supérieur s’est détériorée
Ces dix dernières années, la situation sur le marché du travail des jeunes sans diplôme de l’enseignement supérieur s’est dégradée dans de nombreux pays : ils sont ainsi de plus en plus nombreux à être sans emploi ou en situation de sous‑emploi, ou, s’ils travaillent, à occuper des emplois peu rémunérés. Or il est peu probable que ces changements soient une conséquence passagère du ralentissement économique, ce qui représente un défi considérable à relever pour les pouvoirs publics dans les années à venir. Si l’on analyse la situation sous l’angle de la dimension hommes‑femmes, on constate que les hommes sont touchés par une hausse du chômage et du sous‑emploi dans un certain nombre de pays. Néanmoins, le sous‑emploi reste globalement plus répandu chez les femmes, qui sont aussi plus susceptibles que les hommes d’occuper un emploi faiblement rémunéré.
Il est impératif que tous les travailleurs, quel que soit leur statut d’emploi, aient accès à la protection de l’emploi
L’émergence de nouvelles formes de travail atypiques se révèle problématique pour la réglementation de l’emploi, dans la mesure où celle‑ci est essentiellement pensée pour les salariés à durée indéterminée travaillant pour un seul employeur. Du statut d'emploi des travailleurs dépend en effet l'accès à certains droits et protections. Les mesures visant à faire appliquer la qualification correcte du statut d’emploi sont donc cruciales pour veiller à ce que les travailleurs atypiques puissent accéder à la protection de l’emploi et à la protection sociale, à la négociation collective et à la formation continue. Toutefois, une réelle ambiguïté existe quant au statut d’emploi de certains travailleurs qui se situent dans une « zone grise » entre salariat et travail indépendant. S’il convient de réduire autant que faire se peut cette zone grise, il faut aussi étendre et adapter la réglementation du marché du travail afin de protéger correctement les travailleurs et de s’assurer que les entreprises respectueuses de la réglementation ne soient pas désavantagées. Pour équilibrer les rapports de force entre employeurs/clients et travailleurs, il convient également de pallier les abus de pouvoir de marché des employeurs, notamment en luttant contre les collusions d’employeurs sur le marché du travail, en limitant la portée des clauses de non‑concurrence et en remédiant aux asymétries d’information entre employeurs et travailleurs.
La négociation collective peut être un outil complémentaire et flexible au service de la construction du monde du travail de demain
La négociation collective peut aider travailleurs et entreprises à faire face aux opportunités et aux défis associés à la mutation du monde du travail. En tant qu’instrument à l’appui de la recherche de solutions flexibles qui fassent consensus, elle peut favoriser l’émergence de nouveaux droits, contribuer à encadrer l’utilisation des nouvelles technologies, ou promouvoir la sécurité sur le marché du travail et sa capacité d’adaptation. Toutefois, le manque d’organisation collective des travailleurs, en particulier de ceux qui occupent des emplois atypiques, pose de sérieux problèmes pour la négociation collective. Cela tient en partie aux obstacles juridiques auxquels se heurtent les travailleurs assimilés à des travailleurs indépendants, dont le droit à la négociation collective peut être considéré comme en infraction au droit de la concurrence. C’est pourquoi certains pays de l'OCDE ont étendu ponctuellement les droits à la négociation collective à certaines catégories de travailleurs atypiques. Mais des difficultés persistent dans la pratique. Les organisations patronales sont mises à l’épreuve par l’émergence de nouvelles formes d’activité. Les organisations syndicales bien établies élaborent quant à elles des stratégies pour s’ouvrir aux travailleurs atypiques, tandis que de nouveaux modèles de représentation des travailleurs voient le jour.
Le développement de la formation des adultes est essentiel pour aider les travailleurs à s’adapter avec succès aux changements en cours sur le marché du travail
Si elle est performante, la formation des adultes peut empêcher la dépréciation des compétences et faciliter la transition entre les emplois et secteurs en perte de vitesse et ceux qui sont porteurs. Pour être à même de récolter les fruits de la transformation du monde du travail, il est crucial de procéder à une refonte en profondeur des programmes de formation des adultes, afin d’étendre leur couverture et d’optimiser leur qualité. Dans tous les pays de l'OCDE, ce sont ceux qui en ont le plus besoin qui participent le moins aux activités de formation, notamment les travailleurs peu qualifiés, les travailleurs âgés, les personnes privées de leur emploi et les travailleurs atypiques. Ces populations doivent surmonter plusieurs obstacles pour pouvoir suivre une formation, parmi lesquels une offre de formation inadaptée et un manque de motivation, de temps, de financements ou de soutien de la part des employeurs. Plusieurs moyens d’action peuvent être envisagés par les pouvoirs publics : développer une véritable culture de la formation dans les entreprises et chez les individus, supprimer les contraintes de temps et de financements qui freinent la participation aux activités de formation, lutter contre les inégalités d'accès à la formation fondées sur le statut d'emploi, encourager les entreprises à former les catégories de travailleurs à risque, et assurer la portabilité des droits à la formation d’un emploi à l’autre. Pour qu’elles soient performantes, il convient aussi de veiller à la qualité des formations et à ce que leur contenu soit adapté aux besoins du marché du travail. Des financements adaptés et pérennes, partagés entre les parties prenantes en fonction des prestations reçues, sont donc indispensables, de même que des dispositifs de gouvernance permettant aux pays d’assurer une coordination efficace entre les différents volets des systèmes de formation des adultes.
La réforme des régimes de protection sociale ne doit pas se faire au détriment des groupes défavorisés
Les systèmes de protection sociale jouent un rôle stabilisateur précieux dans le contexte actuel, empreint d’incertitudes croissantes quant au rythme et à la portée des mutations qui s’opèrent sur le marché du travail. Mais pour les travailleurs qui occupent des formes d’emploi plus précaires, il peut être particulièrement difficile d’accéder à la protection sociale. Des parcours professionnels plus fluctuants ou la diversité croissante des formes d’emploi peuvent poser des problèmes à tous les régimes de protection sociale qui établissent un lien entre les droits à prestations ou la charge du financement et l’emploi antérieur ou actuel. Les systèmes de protection sociale existants ont de nombreux atouts et resteront viables, mais ils devront s'adapter à l'évolution des risques. Plusieurs priorités d’action se dégagent : la protection sociale doit être suffisamment souple pour s’adapter à l’évolution des besoins des bénéficiaires, la portabilité des droits acquis doit être assurée d’un emploi à l’autre, et le périmètre des mesures d’activation et d’aide à l’emploi doit être ajusté en fonction de l’évolution des modalités de travail. Pour assurer un niveau de financement adapté à l’évolution des besoins en matière de protection sociale, il faut aussi les anticiper en menant un débat sur les modalités de financement des initiatives nouvelles ou étendues.
Le moment est venu de définir un programme d’action à l’appui de la transition vers un monde du travail qui ne laisse personne de côté
Pour bâtir un monde du travail plus productif et plus inclusif, un programme d’action s’impose pour assurer une transition vers un monde du travail qui ne laisse personne de côté, fondé sur une approche à l’échelle de l’ensemble de l’administration qui cible les interventions sur les populations qui en ont le plus besoin. Certains moyens d'action envisagés ne devraient avoir que peu d'impact sur les finances publiques, et pourraient même favoriser une hausse des recettes fiscales. Toutefois, de nombreuses autres mesures, en particulier celles qui consistent à renforcer la protection sociale et la formation des adultes, mobiliseront d'importantes ressources supplémentaires. Il est possible d’améliorer grandement l’efficacité et la précision des politiques publiques clés en procédant à un examen minutieux des dépenses et en associant encore davantage les différents échelons de l’administration à la définition des objectifs et des moyens d’action. Mais il pourrait aussi être nécessaire d’optimiser les sources de recettes, ce qui suppose de mener une réflexion approfondie sur les systèmes fiscaux.