Le présent chapitre traite du rôle de la réglementation du marché du travail pour garantir une protection adéquate aux travailleurs dans un monde du travail en mutation. Il met notamment l’accent sur le statut d’emploi – un aspect décisif étant donné qu’il détermine l’accès des travailleurs à certains droits et protections. Les mesures assurant une classification correcte des travailleurs sont donc une première étape essentielle pour garantir l’accès à la protection sociale et à celles assurées par le droit du travail, ainsi qu’à la négociation collective et à la formation continue. Toutefois, le statut d’emploi de certains travailleurs situés dans la « zone grise » entre salariat et travail indépendant souffre d’une réelle ambiguïté. Bien que ce chapitre préconise de réduire autant que possible cette zone grise, il examine le bien-fondé de l’extension de certains droits et protections à ces travailleurs, et les mesures envisageables à cette fin. Enfin, il traite du rôle de la réglementation pour lutter contre l’abus du pouvoir de monopsone et remédier aux déséquilibres entre employeurs et travailleurs en termes de pouvoir de négociation.
Perspectives de l'emploi de l'OCDE 2019
4. Réglementation du marché du travail 4.0 : protéger les travailleurs dans un monde du travail en mutation
Abstract
Les données statistiques concernant Israël sont fournies par et sous la responsabilité des autorités israéliennes compétentes. L’utilisation de ces données par l’OCDE est sans préjudice du statut des hauteurs du Golan, de Jérusalem Est et des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie aux termes du droit international.
En bref
La réglementation du marché du travail est fondamentale pour assurer la protection des travailleurs. Toutefois, elle est actuellement mise à rude épreuve par un certain nombre d’évolutions enregistrées sur le marché du travail. D’un côté, l’émergence de nouvelles formes de travail représente un défi pour la réglementation, qui a été en grande partie conçue pour des contrats de travail à temps plein, à durée indéterminée, avec un seul employeur. De l’autre, les recherches menées récemment ont dévoilé l’existence (et, parfois, la progression) de rapports de force déséquilibrés entre les travailleurs et leurs employeurs, ce qui impose un réexamen de la réglementation afin de traiter à la fois les conséquences et les sources de ces déséquilibres.
Ce chapitre examine le rôle joué par la réglementation du marché du travail pour assurer la protection des travailleurs vulnérables et veiller à ce que les entreprises qui respectent les règles en vigueur ne soient pas désavantagées. Plus précisément, il analyse comment la réglementation contribue à définir le statut d’emploi, à étendre la protection à tous les types de travailleurs, y compris aux travailleurs atypiques, et à rééquilibrer les relations de pouvoir entre les employeurs/clients et les travailleurs. Les principales conclusions qui se dégagent sont les suivantes :
Il est crucial de définir clairement dans la réglementation du travail le statut d’emploi des travailleurs (c’est-à-dire de faire la distinction entre les travailleurs indépendants et les travailleurs salariés), et de veiller à ce que cette réglementation soit bien respectée. Du statut d’emploi des travailleurs dépend en effet l’accès à certains droits et protections (y compris la protection sociale ainsi que celles accordées par le droit du travail, mais aussi l’accès à la formation et à la négociation collective) – voir les chapitres 5 à 7.
Les politiques publiques et l’application de la loi doivent faire en sorte de limiter les possibilités et les incitations à la classification erronée des travailleurs. Certains employeurs peuvent en effet répertorier délibérément les travailleurs dans une catégorie incorrecte pour essayer d’échapper à la réglementation du travail, à leurs obligations fiscales ou aux obligations relatives à la représentation des salariés, ainsi que pour transférer les risques sur les travailleurs et/ou obtenir un avantage concurrentiel. Dans le même ordre d’idées, les travailleurs peuvent choisir telle ou telle forme d’emploi de manière à bénéficier d’un régime fiscal plus favorable ou simplement à se soustraire à l’impôt – au risque toutefois d’être perdants sur le plan de la protection de l’emploi et de la protection sociale. Cette classification erronée porte donc préjudice non seulement aux individus mais aussi aux entreprises qui respectent les dispositions en vigueur en matière de classification des travailleurs et se trouvent donc désavantagées par rapport à la concurrence ; elle porte aussi atteinte aux finances publiques.
Il peut être nécessaire de clarifier, de réviser et/ou d’harmoniser les règlements ou les lignes directrices déterminant le statut d’emploi. Cela contribuerait à réduire la taille de la « zone grise » entre le statut de travailleur indépendant et celui de travailleur salarié – qui fait référence aux travailleurs partageant certaines caractéristiques de ces deux formes d’emploi. Un rétrécissement de la zone grise contribuerait à minimiser l’incertitude pour les travailleurs comme pour les employeurs, et à réduire le nombre de litiges.
Les pouvoirs publics devraient chercher à éteindre les droits et les protections dont bénéficient les travailleurs qui demeurent dans la « zone grise », dont le statut d’emploi reste véritablement ambigu. Ces travailleurs possèdent certaines caractéristiques des salariés, et comme eux, peuvent se trouver dans un rapport de force déséquilibré avec leurs employeurs, dans la mesure où ces derniers ont souvent davantage de contrôle que ces travailleurs sur la relation d’emploi. De même, ils peuvent être privés de la plupart des droits et protections normalement accordés aux salariés, du fait qu’ils sont généralement considérés comme des travailleurs indépendants.
La réglementation du marché du travail doit être adaptée de manière que les travailleurs indépendants vulnérables puissent bénéficier, du moins en partie, d’une juste rémunération, d’une réglementation du temps de travail, de la sécurité et hygiène du travail, d’une protection contre la discrimination et d’une protection de l’emploi. Pour ce faire, il faut déterminer quels travailleurs ont besoin d’être protégés, et qui doit assumer les responsabilités d’employeur vis-à-vis de ces travailleurs. Les droits et protections ne sont pas tous aussi faciles à appliquer à ceux qui se situent dans la zone grise entre salariat et travail indépendant. Les chapitres 5 à 7 examinent les moyens d’y parvenir dans les domaines de la protection sociale, de la négociation collective et de la formation.
Des rapports de force déséquilibrés entre employeurs et travailleurs (y compris de nombreux travailleurs indépendants) peuvent également se faire jour (ou s’aggraver) lorsque les travailleurs ont de faibles possibilités de sortie, voire aucune, et un pouvoir de négociation bien plus limité que celui des employeurs (situation habituellement qualifiée de monopsone sur le marché du travail). De plus en plus de données empiriques montrent que de nombreux marchés du travail sont en situation de monopsone et qu’une forte concentration du marché, partagé entre quelques entreprises, est associée à des conditions de rémunération et de travail sensiblement moins bonnes.
Ces difficultés peuvent être aggravées lorsque les travailleurs ne sont pas en mesure de s’organiser et de négocier de manière collective, ce qui est généralement le cas des travailleurs indépendants qui ne sont généralement pas autorisés à participer aux négociations collectives en vertu de la réglementation de la concurrence (voir chapitre 5).
Une amélioration de la réglementation et son application plus efficace peuvent remédier à l’abus du pouvoir de monopsone sur le marché du travail et éradiquer ses sources. Il s’agit notamment de : i) étendre la couverture de la réglementation du marché du travail afin d’éliminer les effets du monopsone sur le bien-être des travailleurs ; ii) faire appliquer plus rigoureusement l’interdiction des ententes sur le marché du travail ; iii) limiter la portée des clauses de non-concurrence ; et iv) s’appuyer sur la réglementation du marché du travail pour remédier aux problèmes d’asymétrie de l’information entre employeurs et travailleurs. Une stratégie d’action globale visant à réduire les frictions sur le marché du travail et à renforcer la mobilité professionnelle permettrait en outre de limiter les sources de monopsone.
Introduction
Les nouvelles formes de travail occupent une place de premier plan dans l’actualité médiatique, ainsi que dans les débats sur les considérations juridiques et sur l’action à mener – voir par exemple OIT (2019[1]). Pas un jour ne passe, ou presque, sans qu’un article ne fasse l’apologie ou au contraire le procès des emplois créés par l’économie des plateformes, et de nombreux conflits juridiques sont en cours du fait de travailleurs qui contestent leur statut professionnel – ce qui donne à penser que la réglementation du travail est de plus en plus obsolète et que les décideurs ne savent pas bien comment réagir. Une étude récente de l’OCDE confirme que, dans les pays membres, l’une des principales préoccupations des pouvoirs publics est de trouver comment remédier aux difficultés posées par les nouvelles formes de travail (OCDE, 2019[2]). Pour autant, ces débats ne portent pas uniquement sur les nouvelles formes d’emploi induites par la technologie (comme le travail via les plateformes en ligne), mais aussi sur d’autres modalités de travail atypiques comme le travail à la demande et le travail indépendant d’une manière plus générale (voir le chapitre 2 pour une brève définition des nouvelles formes de travail).
Ce qui sous-tend ces débats, c’est la crainte que le modèle d’emploi normal, à temps plein et salarié soit remis en question et qu’à l’avenir, de nombreuses personnes soient contraintes d’accepter des « modalités de travail flexibles » offrant une protection sociale et de l’emploi limitée, des droits et avantages restreints, et un accès réduit à la formation. Ceux qui partagent cette crainte considèrent que c’est la nature même des entreprises qui est elle aussi en train de changer, puisqu’un nombre croissant d’entre elles jouent le rôle « d’intermédiaires » dans la production et l’offre de produits et de services, sans assumer elles-mêmes la production desdits produits et services. En parallèle, les adeptes de cette théorie estiment que les entreprises vont adopter de nouveaux modèles économiques et s’engager dans un nivellement par le bas où la concurrence se jouera non plus sur la base de la qualité ou de la valeur des produits ou services fournis, mais sur celle des conditions de travail. Un tel scénario, s’il venait à se réaliser, remettrait en question nombre des piliers sur lesquels reposent les systèmes de protection sociale érigés au cours du siècle dernier, et impliquerait une refonte totale des politiques et des institutions du marché du travail, de la protection sociale et des compétences, ainsi que des modèles traditionnels des relations du travail et du dialogue social.
Cependant, les débats portent souvent sur des faits qui ne se sont pas encore produits, et les responsables de l’action publique doivent veiller à fonder leurs décisions non pas sur des anecdotes mais sur des données probantes, en prenant bien en compte l’ensemble des arguments avancés.
Tout d’abord, il est important de rappeler que les nouvelles formes de travail se développent souvent en réponse à des besoins réels exprimés aussi bien par les employeurs que par les travailleurs. Ainsi, les entreprises doivent bénéficier d’une flexibilité suffisante pour ajuster leur main-d’œuvre et le temps de travail en fonction d’une demande qui fluctue et qu’il est difficile d’anticiper. Les travailleurs peuvent rechercher une plus grande flexibilité afin de mieux concilier leurs obligations professionnelles et leurs responsabilités familiales et/ou leurs loisirs, dans l’objectif de parvenir à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Nombre d’entre eux recherchent aussi une plus grande indépendance dans l’organisation de leurs tâches et de leur temps de travail. La diversité des contrats de travail (et l’innovation constante dans ce domaine) permet aux employeurs et aux travailleurs d’échapper aux contraintes des modèles universels pour trouver des modalités servant au mieux leurs intérêts. Il est aussi essentiel de noter que les emplois atypiques ne sont pas nécessairement synonymes d’emplois de qualité médiocre. On trouve en effet des emplois « normaux » de mauvaise qualité, et des emplois atypiques de très bonne qualité. En fait, dans la zone OCDE, la plupart des personnes qui occupent des emplois temporaires ou à temps partiel bénéficient désormais de droits et avantages comparables à ceux des personnes qui occupent des emplois « traditionnels » (même si cela ne veut pas dire que les travailleurs temporaires ou à temps partiel ne se heurtent pas parfois à des obstacles pratiques pour exercer ces droits et accéder à ces avantages, et que leurs emplois ne sont pas plus précaires et de moindre qualité). Par ailleurs, de nombreux professionnels du secteur des hautes technologies proposent leurs services en qualité de prestataires indépendants, et les nouveaux intermédiaires numériques (comme les plateformes) leur permettent d’accéder immédiatement à un marché beaucoup plus vaste, souvent d’envergure mondiale.
Ensuite, même si certaines nouvelles formes d’emploi se sont développées rapidement, elles représentent encore une proportion limitée de l’emploi total (voir chapitre 2). L’emploi traditionnel, à temps plein et à durée indéterminée reste encore la norme dans les pays de l’OCDE (dans le sens où il représente la plus grande partie de l’emploi total), même si l’emploi atypique dans son ensemble peut représenter une proportion relativement importante de l’emploi total. Plusieurs facteurs contribuent à expliquer l’attrait que continuent à exercer les modalités d’emploi plus stables et à caractère permanent. Pour les travailleurs, ce type de contrat est moins incertain et leur permet de faire des projets à la fois sur le plan professionnel et sur le plan privé. Pour les entreprises, les contrats permanents leur permettent d’attirer et de fidéliser des travailleurs qualifiés, ce qui réduit les coûts liés à l’embauche et à la formation et accroît le rendement des investissements consentis dans la main-d’œuvre (avec à la clé une productivité plus élevée). Il n’y a donc a priori aucune raison de penser que l’emploi traditionnel va disparaître totalement dans un avenir proche.
Néanmoins, si la progression des emplois atypiques peut parfois avoir été surestimée, de même que les craintes quant à leur qualité, les responsables publics doivent apporter des réponses à certaines questions essentielles.
La première concerne le statut d’emploi. De nombreuses « nouvelles formes de travail » sont apparues dans la zone grise située entre le salariat et le travail indépendant. Cela pose la question de savoir quels droits et protections s’appliquent à ces travailleurs, le cas échéant, et de déterminer si ces formes de travail sont utilisées simplement pour éviter les coûts et les obligations réglementaires au détriment de la qualité des emplois. D’une manière plus générale, il existe un problème de vulnérabilité des travailleurs et de rapports de force avec les employeurs, indépendamment du statut d’emploi, et c’est la deuxième question clé à laquelle les pouvoirs publics doivent répondre. Les vulnérabilités inhérentes à toute relation d’emploi peuvent s’aggraver lorsque les travailleurs n’ont aucun moyen de s’organiser ni de mener des négociations collectives (voir chapitre 5), ainsi que sur les marchés du travail en situation de monopsone. La troisième et dernière question concerne la dimension internationale de certaines formes d’emploi de l’économie des plateformes qui, d’un côté, offrent des débouchés considérables à certains travailleurs mais, de l’autre, entraînent le risque d’un nivellement par le bas des conditions de travail pour d’autres.
Si un grand nombre de ces questions figurent aujourd’hui au premier rang des préoccupations sous l’effet de la montée en puissance de l’économie des plateformes, elles ne sont pas nécessairement nouvelles et concernent aussi de nombreuses formes de travail existantes. Les décideurs doivent donc s’assurer que les réformes envisagées couvrent aussi d’autres types d’emplois atypiques.
Ce chapitre passera en revue chacune de ces questions de politique publique. La section 4.1 examine les problématiques liées à la classification des travailleurs, ainsi que les solutions propres à remédier au problème du faux travail indépendant et à identifier les travailleurs situés dans la zone grise entre le salariat et le travail indépendant, pour lesquels une réelle ambiguïté persiste, avec toutefois la nécessité de leur permettre de bénéficier de certains droits et protections. La section 4.2 présente les moyens d’action disponibles pour étendre aux travailleurs atypiques la protection dont bénéficient les formes d’emploi traditionnelles. La section 4.3 analyse les rapports de force et le rôle du monopsone dans le marché du travail. La section 4.4 examine brièvement le rôle de la concurrence internationale dans l’économie des plateformes, tandis que la section 4.5 présente les conclusions et définit des orientations.
4.1. Le statut d’emploi détermine l’accès des travailleurs à certains droits et protections
La définition du statut d’emploi des travailleurs est une problématique qui a récemment fait l’objet d’une attention particulière de la part des médias, des milieux juridique et politique. En effet, des travailleurs ont contesté leur statut de « travailleur indépendant » devant les tribunaux dans le cadre d’un certain nombre d’affaires très médiatisées, réclamant plus de droits et d’avantages sociaux, conformes à ceux accordés aux salariés normalement.
Si le statut d’emploi est si crucial (et donc si les enjeux sont aussi importants dans ces affaires judiciaires), c’est parce qu’il détermine l’accès des travailleurs à certains droits, avantages et protections. Les salariés ont généralement droit à un salaire minimum (lorsqu’il existe), à la réglementation du temps de travail et à la rémunération des heures supplémentaires, à des congés, à une assurance maladie et accidents, à des allocations de chômage, et à une protection contre les licenciements abusifs et la discrimination1. Ce n’est généralement pas le cas des travailleurs indépendants (voir Graphique 4.1). Du point de vue des travailleurs, il est donc important d’avoir un statut d’emploi adéquat.
Il est également important pour les employeurs et la société en général de veiller à ce que les travailleurs soient répertoriés dans la bonne catégorie. Les employeurs souhaitent éviter les situations dans lesquelles des concurrents sont avantagés du simple fait qu’ils se soustraient à l’impôt et à la réglementation en déguisant leurs relations avec les travailleurs en travail indépendant. Du point de vue des gouvernements, l’emploi traditionnel est une source importante de recettes publiques, et représente une part plus importante de l’impôt par habitant que le travail indépendant. Une classification erronée de l’emploi peut donc se traduire par un manque à gagner important. Aux États-Unis par exemple, le Département du travail estime qu’entre 10 et 30 % des travailleurs sont mal répertoriés, ce qui pourrait avoir un impact non négligeable sur les recettes fiscales (Brumm, 2016[3]). Le Government Accountability Office estime le manque à gagner fiscal dû à une mauvaise classification des travailleurs à 44,3 milliards USD pour les exercices fiscaux 2008 à 2010 (GAO, 2017[4]). Au Royaume-Uni, Her Majesty’s Revenue and Customs (HMRC) estime qu’en termes d’impôt sur le revenu, sur 7 milliards GBP de manque à gagner fiscal, 5 milliards GBP sont imputables aux travailleurs indépendants – toutefois, cette somme tient également compte des effets de la sous-déclaration des revenus et des erreurs (Adam, Miller et Pope, 2017[5]). Une telle érosion de l’assiette fiscale aura un impact sur tous les membres de la société, y compris les entreprises qui tentent de réduire leurs obligations fiscales.
Cette section vise à clarifier quelque peu ces débats et à aider les responsables de l’action publique à réfléchir aux problématiques et aux réponses associées. L’une des principales conclusions est qu’il est important de faire la distinction entre les cas de faux travail indépendant et les cas où une véritable ambiguïté existe, car cela a des répercussions sur la manière dont les responsables de l’action publique doivent traiter la situation.
4.1.1. Lutte contre le faux travail indépendant : s’assurer que les travailleurs sont correctement répertoriés
Le faux travail indépendant (parfois qualifié de travail indépendant déguisé ou fictif) désigne des situations dans lesquelles des individus sont qualifiés de travailleurs indépendants, mais travaillent en réalité dans les mêmes conditions que des salariés (voir Graphique 4.1 ci-dessus). La classification délibérément erronée des travailleurs par les employeurs, dans le but de se soustraire à la réglementation du travail, à leurs obligations fiscales ou aux obligations relatives à la représentation des salariés, ainsi que de transférer les risques sur les travailleurs et/ou obtenir un avantage concurrentiel, doit être sanctionnée. De même, il faut empêcher les travailleurs de se répertorier abusivement dans la catégorie des travailleurs indépendants afin d’échapper à l’impôt. Comme on l’a vu plus haut, une classification erronée nuit aux individus, mais peut également désavantager les entreprises qui respectent les règles, et risque de porter préjudice aux finances publiques.
Pour lutter efficacement contre le faux travail indépendant, les entreprises et les travailleurs doivent avant tout être parfaitement au fait de la réglementation. La plupart des pays ont mis en place des critères pour évaluer les relations de travail (Encadré 4.1) et les pouvoirs publics doivent prendre les mesures qui s’imposent pour que les entreprises et les travailleurs aient connaissance de ces règles (et du contexte dans lequel elles ont été élaborées), et les comprennent. Par exemple, le département du Travail des États‑Unis a publié en 2015 des directives visant à faciliter la classification des salariés et des travailleurs indépendants2. L’Australie a mis en place un outil (Independent Contractors Decision Tool) pour aider les entreprises à déterminer si leurs travailleurs doivent être répertoriés dans la catégorie des indépendants ou des salariés, à partir d’une série de questions auxquelles elles doivent répondre.
Les pouvoirs publics doivent également envisager de prendre des mesures pour permettre aux travailleurs de contester plus facilement/à moindre coût leur statut d’emploi, par exemple en transférant la charge de la preuve à l’employeur (plutôt qu’au salarié)3, en abaissant les frais de justice4, en simplifiant les procédures5, en réduisant les risques pour les travailleurs et/ou en protégeant ces derniers contre d’éventuelles représailles. Certaines plateformes ont tenté de faire signer aux travailleurs des conventions d’arbitrage en vertu desquelles ils renoncent à leur droit de les poursuivre en justice. Aux États-Unis, le National Labor Relations Board avait initialement fait valoir que de telles clauses de renonciation étaient contraires au droit du travail (Waas et al., 2017[6]) – toutefois, la Cour suprême a récemment statué contre cette position, du moins en ce qui concerne les actions collectives6.
Il est important de permettre aux autorités du travail et/ou aux syndicats de porter les affaires en justice. Le dépôt d’une plainte auprès d’un tribunal est généralement coûteux pour une personne seule, et l’issue est incertaine. En outre, les travailleurs peuvent craindre des représailles de la part de leur employeur, et la perte de leur emploi. Certains pays ont accordé à leurs autorités du travail le pouvoir de faire respecter le droit du travail à cet égard – bien que ce pouvoir soit généralement limité et ne leur permette pas de former un recours civil ou de saisir un tribunal sans le consentement du travailleur lésé. En Australie, au Chili, en Pologne, en Espagne et aux États-Unis, toutefois, les autorités du travail peuvent intenter un recours en justice au nom des salariés lésés, même en l’absence de consentement, notamment dans les cas où des intérêts publics fondamentaux sont en jeu (OCDE, 2014[7]). En Suède, les syndicats peuvent poursuivre les employeurs en justice au nom du travailleur (Williams et Lapeyre, 2017[8]).
Encadré 4.1. Critères de détermination du statut d’emploi
Dans la pratique, la question de savoir si des individus doivent être traités comme des salariés ou des travailleurs indépendants est souvent tranchée par les tribunaux. Dans la plupart des pays, le terme « salarié » n’est pas défini légalement ou, même s’il l’est, laisse une importante marge d’appréciation au juge (Davidov, Freedland et Countouris, 2015[9]). Dans la plupart des cas, un salarié est défini comme « une personne au service d’un employeur ».
En général, l’octroi du statut de salarié est décidé sur la base du principe de « primauté des faits » – ce qui signifie que ce sont les réalités concrètes de la relation de travail qui déterminent si la personne est véritablement un travailleur indépendant ou non, indépendamment de ce qui est stipulé dans le contrat de travail (voir Graphique 4.1 ci-dessus)7. S’il est préférable d’examiner les réalités concrètes de la relation de travail plutôt que le contenu du contrat, c’est notamment en raison d’un rapport de force déséquilibré entre travailleurs et employeurs en termes de négociation – les employeurs étant plus susceptibles d’influencer le contenu du contrat de travail (voir section 4.3).
Un certain nombre de critères sont utilisés pour évaluer la relation de travail. Dans quelques pays de droit civil, ces critères sont définis par la loi, et une relation de travail est présumée dès lors que ces critères sont remplis. C’est à l’employeur qu’il incombe de prouver le contraire. Dans la plupart des pays, toutefois (y compris les pays de common law), les juges fondent leurs décisions sur certains critères établis par la jurisprudence.
Les différences se situent au niveau du nombre de critères utilisés. Au Canada par exemple, les tribunaux se fondent parfois sur un critère à quatre volets, alors qu’aux États-Unis, ils ont tendance à recourir à un critère à 13, voire 20 facteurs (Davidov, Freedland et Countouris, 2015[9]). La recommandation de l’OIT relative à la relation de travail énumère 14 facteurs.
Malgré ces différences, les critères effectivement utilisés sont très similaires d’un pays à l’autre8. La dépendance financière d’un individu vis-à-vis du client fait partie des aspects pris en compte. Toutefois, la dépendance financière n’est généralement pas suffisante pour établir le statut de salarié. Dans la plupart des pays, un élément de subordination (et de contrôle du travailleur par le client) est également nécessaire. Cela peut être évalué sur la base de plusieurs critères, comme : l’intégration du travailleur dans l’organisation ; le degré de contrôle du travailleur sur ses conditions de travail (notamment le lieu et le temps de travail) ; la fourniture des outils, le matériel ou les machines par l’employeur ou le travailleur ; la régularité des paiements ; la mesure dans laquelle le travailleur assume le risque financier/entrepreneurial ; et si le travail doit être effectué en personne par le travailleur, ou pas. Il existe des différences d’un pays à l’autre (mais aussi au sein d’un même pays, d’un juge à l’autre et au fil du temps) quant à l’importance relative accordée au critère de contrôle par rapport au critère de dépendance.
Le durcissement des sanctions pour les entreprises qui ne se conforment pas à la législation pourrait également contribuer à lutter contre le faux travail indépendant. Lorsque les abus ont peu de conséquences, les entreprises risquent d’être peu incitées à répertorier les travailleurs dans la bonne catégorie. Les actions envisageables sont les suivantes : requalification de la relation de travail ; paiement rétroactif des impôts et des cotisations de sécurité sociale ; application de sanctions plus lourdes si les entreprises récidivent ; et application des décisions de justice à l’ensemble du personnel et non plus aux seuls plaignants dans une situation similaire9. Lorsque la responsabilité est facilement transférable du fait de la présence de plusieurs clients ou travailleurs indépendants (par exemple dans des relations de travail multipartites), les pouvoirs publics peuvent tenir l’ensemble de la chaîne solidairement responsable (« responsabilité en chaîne ») en cas de violation de la réglementation du travail. C’est ce qui s’est passé aux Pays-Bas en 2016, lors de l’entrée en vigueur de la loi contre le faux travail indépendant10.
Les mesures visant à faciliter les recours en justice et à renforcer les pénalités doivent s’accompagner d’efforts pour consolider la capacité de l’inspection du travail à surveiller et à repérer les infractions, comme un renforcement des responsabilités et des ressources (du nombre d’inspecteurs notamment), des méthodes novatrices de contrôle des personnes travaillant à domicile/via des plateformes (nouveaux outils technologiques p. ex.) et des formations. Certains pays (comme l’Irlande, l’Espagne et la Grèce) concentrent également leurs efforts d’inspection sur des secteurs ou des zones géographiques particuliers dans lesquels le faux travail indépendant est réputé plus fréquent (OCDE, 2019[2]). Les coûts supplémentaires occasionnés doivent mis dans la balance avec les éventuelles recettes engendrées par la récupération des impôts et des cotisations de sécurité sociale perdus en raison de la mauvaise classification des travailleurs.
Étant donné que les autorités fiscales et de sécurité sociale sont fortement incitées à garantir une classification correcte des travailleurs, il pourrait également être judicieux de veiller à ce qu’elles coordonnent leurs efforts avec ceux d’autres autorités chargées de faire appliquer la loi. Aux États-Unis, par exemple, l’Internal Revenue Service a érigé au rang de priorité le respect des obligations en matière d’impôt lié à l’emploi, notamment la répression de la classification erronée des travailleurs dans la catégorie des indépendants, et coordonne ses actions avec celles du département du Travail (Internal Revenue Service, 2005[10] ; Keneally, Saleski et Engell, 2015[11]). De même, en Suède, l’administration fiscale a joué un rôle central en incitant de nombreuses plateformes à accepter le statut d’employeur (Söderqvist, 2018[12]).
Parallèlement au renforcement des pénalités en cas de classification erronée, les pouvoirs publics devraient s’efforcer de réduire toute incitation pour les entreprises et les travailleurs à classer à tort les relations de travail dans la catégorie du travail indépendant11. Dans certains pays, la réglementation en matière de fiscalité et/ou d’emploi a incité les employeurs et/ou les individus à passer d’une relation de travail classique à un travail indépendant ou à d’autres formes atypiques d’emploi. Par exemple, en Italie, il est possible que les lois adoptées en 1997 et 2003 pour légaliser le travail temporaire et les accords de collaboration aient induit une augmentation du nombre de travailleurs continuant en réalité de travailler pour la même entreprise, mais en qualité de travailleurs indépendants (OCDE, 2015[13]). En Australie, les employeurs sont incités à faire appel à des travailleurs occasionnels qui ont recours à des prestations financées par l’impôt plutôt qu’à des prestations financées par l’employeur (OCDE, 2018[14]). L’Encadré 4.2 examine d’autres exemples venus des Pays-Bas et du Royaume-Uni. Certaines de ces incitations n’étaient pas intentionnelles, mais de nombreux pays ont, par le passé, mis en place des avantages/prestations spécifiques afin d’encourager le travail indépendant/l’entrepreneuriat.
Certains pays ont tenté de s’attaquer à ces incitations afin de rendre le statut de travailleur indépendant plus neutre que celui de salarié. Par exemple, la République tchèque a entrepris une réforme fiscale en 2004 afin d’enrayer le développement du « faux » travail indépendant, bien que cette réforme ait été annulée en 2007. S’il reste difficile d’isoler l’effet des réformes politiques des autres facteurs, l’incidence du travail indépendant a moins augmenté en République tchèque qu’en République slovaque durant cette période (OCDE, 2008[15]). En Autriche, la crainte que les employeurs n’aient recours aux travailleurs indépendants (freie Dienstnehmer) pour se soustraire à l’impôt et aux réglementations a conduit le gouvernement à les intégrer progressivement au système de protection sociale et, depuis 2008, ils versent les mêmes cotisations de sécurité sociale que les salariés ordinaires (OCDE, 2018[14]). En Italie, les taux de cotisation de retraite des employeurs et des travailleurs indépendants économiquement dépendants (collaboratori) ont progressivement augmenté depuis 2012, afin de réduire les incitations à la classification erronée (OCDE, 2019[2]). En Lettonie, la taxe sur les microentreprises a été portée de 9 à 15 %, et le chiffre d’affaires maximum a été abaissé en 2018, pour tenter de mettre un frein au faux travail indépendant (Golubeva, 2018[16]).
Les responsables de l’action publique pourraient également envisager de prendre des mesures pour encourager l’embauche sur la base de contrats classiques, en les rendant plus attractifs par rapport à des relations de travail atypiques. Il est possible de rendre l’emploi classique plus attractif en assouplissant les obligations ou en renforçant la flexibilité des contrats classiques pour les employeurs – tout en garantissant un niveau de protection adéquat aux travailleurs. Par exemple, dans le cadre de sa réforme du marché du travail de 2015, l’Italie a annulé temporairement les amendes infligées aux employeurs, à condition qu’ils convertissent les contrats existants avec des travailleurs indépendants en contrats de travail à durée indéterminée classiques (Williams et Lapeyre, 2017[8])12. Aux Pays-Bas, le gouvernement vise à encourager les petites et moyennes entreprises à embaucher sous contrat à durée indéterminée en allégeant leurs obligations en matière d’indemnités de maladie (OCDE, 2019[2]).
Encadré 4.2. Hausse du travail indépendant induite par l’action publique : cas des Pays-Bas et du Royaume-Uni
Une étude récente de l’OCDE analyse le traitement fiscal des différentes formes d’emploi dans un groupe de huit pays, afin d’évaluer dans quelle mesure le système fiscal a contribué à la hausse de la part du travail atypique (Milanez et Bratta, 2019[17]). Les auteurs constatent que les différences de traitement fiscal entraînent des divergences entre le coût d’emploi total des salariés et celui des travailleurs indépendants. Par conséquent, les coûts non salariaux des salariés ordinaires sont souvent supérieurs à ceux des travailleurs indépendants et, par moments, cet écart peut être suffisamment important pour que l’employeur préfère recourir au travail indépendant.
Les Pays-Bas et le Royaume-Uni offrent deux études de cas illustrant comment les choix stratégiques ont créé de fortes incitations à privilégier le travail indépendant par rapport à d’autres formes d’emploi.
Aux Pays-Bas, les travailleurs indépendants ne sont pas soumis à la plupart des cotisations de sécurité sociale et prélèvements obligatoires non fiscaux (p. ex. cotisations au régime de retraite). En outre, les entrepreneurs individuels peuvent bénéficier de deux réductions de la base d’imposition du revenu des personnes physiques : i) une déduction de 7 280 EUR pour les indépendants qui travaillent plus de 1 225 heures par an (zelfstandigenaftrek) ; et ii) une exonération pour petite et moyenne entreprise égale à 14 % du bénéfice imposable net de la déduction pour travailleur indépendant susmentionnée (MKB winstvrijstelling). Par conséquent, à rémunération moyenne, le coût d’emploi total des salariés classiques est supérieur d’environ 30 % à celui des indépendants (Milanez et Bratta, 2019[17]).
Ce dispositif fait peser les coûts de retraite et d’assurance sur les individus. Bien que les travailleurs indépendants puissent s’assurer eux-mêmes en souscrivant une assurance privée ou en augmentant leurs cotisations de retraite, beaucoup ne le font pas. Aux Pays-Bas, par exemple, un travailleur sur trois seulement souscrit une assurance incapacité de travail (Ministerie van Financiën, 2015[18]). Outre cette incitation fiscale, jusqu’à récemment, les procédures de déclaration du statut d’emploi à l’administration fiscale favorisaient la croissance du travail indépendant. Les employeurs poussaient les travailleurs en position de faiblesse lors des négociations à se déclarer indépendants. Les risques étaient minimes puisque la responsabilité de l’exactitude de la déclaration du statut d’emploi incombait aux travailleurs. En vertu d’un nouveau système instauré en 2016, la responsabilité d’une classification erronée incombe désormais à l’employeur – tous les impôts et cotisations d’assurance seront à sa charge si le travailleur indépendant est reconnu salarié. Toutefois, la mise en œuvre de cette nouvelle mesure a été suspendue suite à la réaction très négative de diverses parties prenantes, y compris des indépendants eux-mêmes.
Au Royaume-Uni, le gouvernement finance une aide efficace au travail indépendant, d’un montant de 5,1 milliards GBP, soit 1 240 GBP par personne et par an (Parlement du Royaume-Uni, 2017[19]). Au départ, le différentiel de taxation visait à encourager l’entrepreneuriat – mais la mesure ne parvient pas à cibler efficacement cette population. Elle incite plutôt les individus à se déclarer indépendants pour faire des économies, sans réduction proportionnelle des prestations : au Royaume-Uni, la différence entre salariés et indépendants en termes de droits à prestations se limite à l’allocation de recherche d’emploi fondée sur les cotisations ou à l’allocation de maternité/paternité/adoption/allocation parentale partagée (voir également le chapitre 7). Cela signifie que les travailleurs réguliers subventionnent les travailleurs indépendants puisqu’ils paient des cotisations plus élevées sans bénéficier d’une hausse proportionnelle de leurs prestations (Adam, Miller et Pope, 2017[5]).
4.1.2. Travailleurs dans la zone grise entre salariat et travail indépendant
Les tribunaux sont en mesure de détecter relativement facilement la plupart des cas de faux travail indépendant à l’aide des critères énoncés à l’Encadré 4.1. Toutefois, il existe également des cas dans lesquels la situation est moins claire et une véritable ambiguïté peut subsister (voir Graphique 4.1 ci‑dessus). Certains travailleurs partagent des caractéristiques avec les travailleurs indépendants (p. ex. ils peuvent choisir leur lieu et leurs horaires de travail ; ils utilisent leur propre matériel) ; mais également avec les salariés (p. ex. ils ne peuvent pas fixer eux-mêmes leurs taux de rémunération, ils peuvent être obligés de porter un uniforme, ils ne peuvent pas se faire remplacer).
Cette problématique de la « zone grise » entre salariat et travail indépendant a gagné en importance ces derniers temps du fait de l’essor de l’économie des plateformes et des nombreuses affaires judiciaires qui en ont découlé13. Dans l’une de ces affaires, le juge a reconnu l’ambiguïté et a déclaré que « le jury[...] se verra remettre une cheville carrée et devra choisir entre deux trous ronds14. » Toutefois, cette problématique de la « zone grise » n’a rien de nouveau. Dès 1944, le juge Wiley Blount Rutledge, de la Cour suprême des États-Unis, déclarait que « peu de problèmes juridiques ont donné lieu à des demandes et des conflits plus divers que les affaires survenant à la frontière entre ce qui est clairement une relation employeur-employé et une relation clairement dénuée de lien de subordination15. » Certains spécialistes remontent même au droit romain (Rubinstein, 2012[20]). Selon toute vraisemblance, cette zone grise existera toujours – bien que ses contours et son envergure puissent varier au fil du temps à mesure que de nouveaux modèles commerciaux apparaissent, que la technologie progresse, que les pratiques judiciaires évoluent, et que des réformes politiques viennent interagir avec tous ces facteurs. En effet, si l’on avait l’espoir que la plupart des actions en justice contre les plateformes puissent régler la question une fois pour toutes, dans la pratique, les décisions rendues tant en Europe qu’aux États-Unis ont été incohérentes (Cherry et De Stefano, 2018[21]).
Du point de vue de l’action publique, cette zone grise est importante parce que les travailleurs qui s’y trouvent partagent certaines caractéristiques avec les salariés. De ce fait, ils partageront également certaines de leurs vulnérabilités. Toutefois, comme ces travailleurs sont généralement considérés comme des indépendants, ils ne bénéficieront pas de la plupart des droits et protections accordés aux salariés. Par conséquent, il apparaît que certains de ces droits et protections devraient être étendus aux travailleurs de la zone grise. En effet, les travailleurs en situation de dépendance et/ou de subordination se trouvent par définition dans une position de négociation inégale16, et l’un des principaux objectifs du droit du travail est de corriger cette inégalité (et/ou ses conséquences). Tout l’enjeu pour les responsables de l’action publique consiste à identifier les travailleurs qui se trouvent dans la zone grise et à décider quels droits légaux et protections doivent leur être accordés (et selon quelles modalités).
Dans un premier temps, il convient de maîtriser l’envergure de la zone grise et de la réduire. Dans certains cas, il peut être nécessaire de clarifier, de réviser et/ou d’harmoniser les règlements ou les lignes directrices déterminant le statut d’emploi17. Cela contribuerait à minimiser l’incertitude pour les travailleurs comme pour les employeurs, et à réduire le nombre de litiges (Linder, 1999[22]). Par exemple, ces dernières années, de nombreux pays ont défini des critères visant à mieux délimiter le statut de travailleur indépendant et à le distinguer de celui du travailleur salarié, comme la Belgique en 2006. Ce faisant, les pays sont confrontés à un arbitrage entre des règles simples et des directives générales (Encadré 4.3). Des règles simples permettent de prendre des décisions claires et sans équivoque relatives au statut d’emploi, mais elles risquent d’exclure certains travailleurs qui peuvent aussi avoir besoin d’une protection. Des directives générales laissent un pouvoir d’appréciation considérable aux arbitres (agents d’exécution de la loi ou juges), avec la possibilité d’étendre la protection à un groupe beaucoup plus large de travailleurs (mais au risque d’introduire une plus grande dose d’incertitude et d’arbitraire).
Encadré 4.3. Règles simples contre règles complexes pour la définition du statut d’emploi
Dans quelques pays, les critères utilisés pour déterminer le statut d’emploi définissent des règles très précises, simples et applicables sans ambiguïté. Par exemple, en Italie, il existe une présomption réfragable de relation d’emploi pour tous les contrats de services si au moins deux des conditions suivantes sont réunies : i) la relation s’étend sur plus de huit mois au cours d’une même année ; ii) la rémunération associée représente plus de 80 % de la rémunération totale perçue par le travailleur au cours d’une année ; et iii) le lieu de travail est fixé dans les locaux de l’employeur18. Si une relation satisfait au moins deux de ces critères, le contrat sera alors reclassé comme un contrat de travail et le travailleur aura tous les droits, avantages et obligations d’un salarié ordinaire19. De même, en Grèce, une personne travaillant pour un seul employeur sur une période de neuf mois consécutifs est réputée salariée.
Si des règles aussi simples que celles-ci permettent de déterminer relativement facilement le statut d’emploi, elles laissent inévitablement sans protection un certain nombre d’autres travailleurs partageant certaines caractéristiques des travailleurs salariés. En outre, des règles strictes sont plus faciles à contourner, et cette approche ne tient pas compte des nouvelles formes d’emploi susceptibles d’apparaître.
Dans la plupart des autres pays, les critères fixés par la loi, les lignes directrices à l’intention des autorités chargées de faire respecter la loi ou la jurisprudence sont plus complexes. La principale différence par rapport à des règles simples et automatiques réside dans le fait que l’ensemble des différents facteurs doivent être évalués conjointement, de manière holistique. Par exemple, au Canada, les inspecteurs du travail et les agents de santé et sécurité sont explicitement chargés d’examiner tous les aspects de la relation et de tenir compte des différents facteurs, en gardant à l’esprit qu’ils ne sont pas exhaustifs et que leur importance relative dépend des faits et circonstances propres à chaque cas (Emploi et Développement Social Canada, 2006[23]).
L’avantage d’une évaluation ex post et holistique des différents facteurs caractérisant les statuts de salarié et d’indépendant réside dans sa flexibilité, qui permet en pratique d’étendre la protection à un groupe bien plus vaste de travailleurs, qui ne partagent pas toutes les caractéristiques des salariés mais sont néanmoins assez proches. Il pourrait être en fait impossible de définir précisément un salarié20.
Toutefois, en laissant aux juges une grande latitude pour apprécier la spécificité de chaque cas et le poids à accorder aux différents facteurs, cette approche introduit inévitablement une certaine dose d’incertitude et d’arbitraire21. De fait, de nombreuses études empiriques mettent en évidence des différences d’appréciation persistantes entre les juges d’une même juridiction – voir par exemple Waldfogel (1998[24]) et Aizer et Doyle (2015[25]). Ainsi, si un même dossier avait été confié à un juge différent, il est très probable que l’issue n’aurait pas du tout été la même (Fischman, 2014[26]). Bien qu’il soit possible d’atténuer ce problème en ayant recours à des groupes de juges, les données dont on dispose donnent à penser qu’il persiste même au sein de groupes de juges nommés aléatoirement, et les affaires tranchées à l’unanimité ne prouvent en rien l’absence d’incohérence d’un groupe à l’autre (Fischman, 2011[27]).
Les juges en droit social et en droit du travail sont également confrontés à ces problèmes – voir p. ex. Autor et al. (2017[28]) ; Ichino et Pinotti (2012[29]) ; Breda et al. (2017[30]). En ce qui concerne la détection d’une classification erronée des travailleurs, étant donné l’ambiguïté réelle du statut des travailleurs mise en évidence par un grand nombre d’affaires judiciaires, il n’est pas surprenant que des situations en apparence similaires aient abouti à des résultats différents dans les mêmes juridictions (Davidov, Freedland et Countouris, 2015[9]). Ce contexte n’est probablement pas idéal pour les entreprises comme pour les travailleurs. Les employeurs seraient confrontés à une insécurité juridique relativement importante et, éventuellement, à des réformes inattendues des normes juridiques, d’où une hausse des coûts encourus. Les travailleurs constateraient que l’application de leurs droits dépendrait en partie d’événements aléatoires, comme la nomination d’un juge ayant une attitude favorable ou défavorable. Cela donne à penser que la protection des travailleurs ne devrait pas dépendre uniquement de l’octroi du statut de salarié par les juges et devrait être étendue, du moins partiellement, à toutes les situations dans lesquelles une véritable ambiguïté persiste (voir Graphique 4.1 ci-dessus).
Une mission tout aussi importante des responsables de l’action publique consiste à déterminer qui, dans le cadre de relations de travail triangulaires (comme celles impliquant une entreprise utilisatrice, un sous-traitant et un travailleur employé par ce dernier mais fournissant des services à la première dans ses locaux) ou impliquant des intermédiaires (comme c’est souvent le cas dans l’économie des plateformes), est l’employeur et qui, par conséquent, est chargé de faire respecter la réglementation du marché du travail. Dans de telles relations, il existe de solides arguments en faveur d’une clarification des obligations et, le cas échéant, de leur répartition entre plusieurs entités juridiques – par exemple en tenant les intermédiaires et les clients conjointement et solidairement responsables, ou en faisant reposer l’obligation sur l’intermédiaire, le client n’ayant qu’une responsabilité subsidiaire (Encadré 4.4).
Encadré 4.4. Identifier l’employeur
La majeure partie du débat sur les nouvelles formes de travail est centrée sur la question de savoir qui est salarié et qui ne l’est pas. Une question étroitement liée (quoique moins débattue) consiste à déterminer qui est employeur et qui ne l’est pas. Cela s’avère particulièrement compliqué dans les relations de travail multipartites (ou triangulaires), comme celles observées dans le travail intérimaire et la sous-traitance, mais aussi dans bon nombre des nouvelles modalités de travail qui font leur apparition dans le cadre de l’économie des plateformes.
Dans de tels contextes, il convient de déterminer qui est responsable des droits et de la protection des travailleurs. Dans le cas du travail intérimaire – qui était initialement interdit ou fortement restreint dans de nombreux pays (Countouris et al., 2016[31]) – on considère généralement qu’il existe une relation de travail entre le travailleur et l’agence d’intérim, et cette dernière est donc responsable de l’application du droit du travail. Cela dit, l’entreprise utilisatrice peut également être légalement tenue de garantir certains droits et protections aux travailleurs, notamment en matière de santé et de sécurité au travail, et d’être conjointement responsable des autres droits avec l’agence (OCDE, 2014[7]).
L’économie des plateformes a encore complexifié ce paysage, et on ne sait pas clairement dans quelle mesure il est possible de prendre exemple sur le travail intérimaire pour réglementer le travail de plateforme (Lenaerts et al., 2018[32]) – bien que le modèle du travail intérimaire semble accepté par de nombreuses plateformes en Suède (Söderqvist, 2018[12]) et que plusieurs plateformes à travers le monde aient pris l’initiative de traiter leurs travailleurs comme des salariés (Cherry et Aloisi, 2017[33]). Les plateformes font généralement valoir qu’elles ne sont pas des employeurs mais de simples intermédiaires qui fournissent l’infrastructure nécessaire au travailleur pour trouver des clients. Toutefois, il est parfois difficile d’affirmer que les clients eux-mêmes doivent être considérés comme l’employeur. Le travail de plateforme est typiquement associé à une multiplicité de clients et à des tâches de très courte durée, même si ces tâches sont parfois exécutées dans les locaux du client. Dans le même temps, de nombreuses plateformes exercent un contrôle important sur les travailleurs (systèmes de notation, gestion des paiements, rétention d’informations sur les clients, contrôle des modalités d’exécution du travail, désactivation des comptes, etc.)
Dans certains cas, lorsqu’il n’est pas possible de définir clairement les responsabilités, il peut donc y avoir lieu de proposer que les plateformes et les utilisateurs assument conjointement et solidairement la responsabilité des droits des travailleurs, de sorte qu’un travailleur puisse intenter une action contre les deux ou l’un d’entre eux. Dans d’autres cas, il est possible d’invoquer la responsabilité subsidiaire de l’utilisateur, ce qui signifie que le travailleur peut intenter une action contre l’utilisateur si la plateforme ne se conforme pas à la réglementation. Dans le même ordre d’idées, certains auteurs ont soutenu que la question de la responsabilité des droits et de la protection des travailleurs doit être analysée du point de vue des fonctions clés de l’employeur – de l’embauche des travailleurs à la fixation de leurs taux de rémunération (Prassl et Risak, 2016[34]). Une telle approche aurait également pour conséquence que les obligations en matière de droit du travail seraient réparties entre plusieurs entités juridiques, plutôt que d’incomber à un employeur unique au sens classique du terme.
Pour les travailleurs qui restent dans la zone grise (et sont donc généralement exclus dans une large mesure du champ d’application du droit du travail en vigueur), le législateur doit examiner les modalités selon lesquelles les droits et les protections du travail pourraient être étendus (et lesquels). En effet, il est peu probable qu’en clarifiant et en définissant le plus précisément possible le champ d’application de la loi, on élimine complètement la zone grise et donc l’incertitude pour les travailleurs et les employeurs. De nombreux pays ont identifié des groupes spécifiques de travailleurs auxquels certains volets du droit du travail doivent s’appliquer, mais en utilisant des approches différentes, chacune ayant ses avantages et ses inconvénients. Certains pays ont identifié des professions très spécifiques ; d’autres se sont concentrés sur les travailleurs indépendants économiquement dépendants ; d’autres encore se sont appuyés sur des définitions plus vagues (mais plus larges). Chacune de ces approches est examinée ci-dessous.
Certains pays ont identifié des professions très spécifiques auxquelles certains droits et protections des travailleurs ont été étendus. Par exemple, en France, les professions suivantes sont présumées entretenir une relation de travail sous certaines conditions : artistes du spectacle vivant (c’est le cas en Espagne également), mannequins, journalistes professionnels, représentants commerciaux et vendeurs itinérants (Pedersini, 2002[35] ; BIT, 2005[36]). Au Mexique, il existe des dispositions légales analogues pour les représentants commerciaux, les vendeurs d’assurance, les vendeurs itinérants, les promoteurs et les catégories similaires.
Dans plusieurs pays, les pouvoirs publics ont concentré leur attention sur les travailleurs indépendants « économiquement dépendants » (Encadré 4.5). Un seuil de revenu spécifique est généralement fixé. En Espagne, au moins 75 % des revenus d’un travailleur indépendant économiquement dépendant (trabajador autónomo económicamente dependiente – TRADE) doivent dépendre d’un seul client. Au Portugal, une personne est considérée comme un travailleur indépendant économiquement dépendant lorsque au moins 50 % de son revenu annuel provient d’un seul client (régime dos trabalhadores independentes e que prestam serviços maioritariamente a uma entidade contratante). En Allemagne, les travailleurs sont des personnes « assimilables à des salariés » (arbeitnehmerähnliche Person) si : i) ils travaillent pour d’autres personnes sur la base d’un contrat de service ou d’un contrat de travail et de services ; ii) ils exécutent leur travail en personne et pour l’essentiel sans collaborer avec les salariés ; et iii) 50 % de leurs revenus proviennent d’un seul client (33 % pour les artistes, écrivains et journalistes). Au Canada, il n’y a pas de seuil fixe, mais les « sous-traitants dépendants » relèvent de « relations de travail non salariées assorties d’une certain degré minimal de dépendance économique, qui peut être mis en évidence par une exclusivité complète ou quasi complète22. » De même, en Suède, il n’existe pas de définition précise, mais les sous-traitants dépendants (jämställda/beroende uppdragstagare) désignent « toute personne qui exécute un travail pour le compte d’une autre et qui n’est donc pas employée par cette autre personne mais qui occupe un poste essentiellement de même nature que celui d’un salarié » (Rönnmar, 2004[37]).
Encadré 4.5. Fréquence du travail indépendant économiquement dépendant
Les travailleurs indépendants « économiquement dépendants » sont généralement définis comme des personnes travaillant à leur propre compte et dont une grande partie du revenu provient d’un seul client/employeur. Il peut être utile de se concentrer sur cette catégorie afin d’étendre les droits et les protections en matière d’emploi à certains travailleurs de la zone grise. Mais quelle est l’importance de cette catégorie de travailleurs ?
Le travail indépendant économiquement dépendant est difficile à mesurer étant donné que : i) seuls quelques pays ont défini officiellement le travail indépendant économiquement dépendant et, lorsque des définitions existent, elles sont généralement différentes ; et ii) les enquêtes standards sur la population active et auprès des ménages ne permettent pas d’identifier ces travailleurs.
Sur la base d’un module spécial de l’Enquête européenne sur les forces de travail (EFT-UE), il est possible d’obtenir quelques estimations de la fréquence du travail indépendant économiquement dépendant, défini ici comme des travailleurs à leur propre compte ayant généralement un client dominant. Dans de nombreux pays, le travail indépendant économiquement dépendant représente une part non négligeable du travail indépendant total (16 % en moyenne) – Graphique 4.223. En outre, selon les données de l’Enquête européenne sur les conditions de travail, cette part a augmenté d’environ 20 % entre 2010 et 2015 dans les pays concernés par l’enquête.
Bien que la définition d’un travailleur indépendant économiquement dépendant soit la même dans tous ces pays, l’objectif de cette catégorie varie considérablement. Au Portugal, elle donne accès à la protection sociale (assurance chômage, prestations parentales, protection contre la maladie et l’invalidité, ainsi que pensions de vieillesse et de réversion). En Allemagne, les personnes assimilées à des salariés bénéficient de la liberté d’association, d’un droit à la négociation collective et d’un droit à un congé minimum de quatre semaines (Däubler, 2016[38]). Au Canada comme en Suède, les entrepreneurs dépendants bénéficient également d’un droit à la négociation collective et doivent bénéficier d’un préavis raisonnable en cas de cessation de la relation avec l’entreprise. En Espagne, la catégorie TRADE a accès à un large éventail de droits et de protections, comme : le salaire minimum, le congé annuel, des droits en cas de licenciement abusif, le congé pour raisons familiales ou de santé et le droit à la négociation collective (Cherry et Aloisi, 2017[33]).
D’autres pays s’appuient sur la définition plus vague d’une troisième catégorie intermédiaire à laquelle sont étendus certains droits et protections des salariés, mais pas tous. Ces catégories intermédiaires associent souvent des conditions de dépendance financière et des conditions de contrôle/subordination. Par exemple, au Royaume-Uni, la catégorie légale de « travailleur » (worker) a été instaurée pour élargir le champ d’application de la réglementation du travail et inclure les personnes qui s’étaient vu refuser le statut de salarié par un tribunal ayant une interprétation très étroite de ce terme. La catégorie des travailleurs n’est pas définie avec précision, mais vise à inclure toute personne travaillant dans le cadre d’un contrat de prestation de services à la personne, qu’elle soit titulaire ou non un contrat de travail. Ces travailleurs ont droit à une protection contre les discriminations en vertu de la loi sur l’égalité de 2010, qui implique également un droit à l’égalité de traitement avec les salariés ordinaires dans des conditions de travail de base. En outre, ils sont couverts par certaines réglementations du travail, notamment celles relatives au temps de travail, aux congés payés et au salaire minimum. Ils peuvent également avoir droit aux indemnités de maladie et de congé parental, bien qu’ils ne bénéficient pas de délais minimums de préavis, des dispositions en matière de santé et de sécurité, de la protection contre le licenciement abusif ni des indemnités de licenciement. En outre, ils sont responsables de leurs propres cotisations de sécurité sociale et de leurs impôts (à l’instar des travailleurs indépendants). Alors que cette catégorie visait initialement à étendre les réglementations protectrices à un plus grand nombre de travailleurs, la création de cette catégorie distincte de travailleurs a vraisemblablement modifié le dessein des actions en justice, qui visent désormais à obtenir le statut de simple travailleur plutôt que celui de salarié – comme on l’a vu récemment dans des affaires judiciaires concernant des services de covoiturage24.
En Italie, la catégorie des travailleurs « parasubordonnés » (lavoro parasubordinato) – qui couvre les contrats co.co.co et co.co.pro25 – a été initialement créée pour accroître la flexibilité sur le marché du travail et réduire le coût du travail. Il s’agissait de travailleurs indépendants présentant les caractéristiques suivantes : certaine continuité et durée de la relation de travail ; nature individuelle des prestations fournies ; et certain degré de subordination au client. Ces travailleurs avaient accès à une protection sociale (à taux réduit) financée par l’employeur. En outre, les règles de résiliation de ces contrats étaient moins strictes que celles applicables aux salariés (OCDE, 2014[7]). Dans le cas de l’Italie, la création de la catégorie des travailleurs parasubordonnés a clairement incité les employeurs à remplacer les travailleurs « ordinaires » par des travailleurs de la catégorie intermédiaire, moins protégée (et moins coûteuse) (Liebman, 2006[39] ; Muehlberger, 2007[40]). Face à cette situation, des réformes menées récemment en Italie ont pratiquement supprimé ces contrats (Cherry et Aloisi, 2017[33]). Les règles sont progressivement harmonisées avec celles applicables aux salariés sous contrat à durée déterminée, tant en termes de protection sociale que de résiliation.
Ces exemples de l’Italie et du Royaume-Uni mettent en évidence les risques inhérents à la création d’une catégorie intermédiaire de travailleurs lorsque les contours de cette catégorie sont mal définis, ou lorsqu’elle vise à instaurer plus de flexibilité sur le marché du travail. Les réformes des réglementations du travail et de la protection sociale doivent viser à étendre les droits et à élargir le champ d’application de ces réglementations aux travailleurs vulnérables qui étaient auparavant exclus, et non à donner la possibilité de retirer des droits et des protections aux travailleurs qui en bénéficiaient auparavant.
Il convient de tenir compte de ces éventuels écueils lors de la création d’une troisième catégorie de travailleurs dans le contexte de l’économie des plateformes, qui a modifié les contours et l’envergure de la « zone grise » entre salariat et travail indépendant, et a poussé certains à proposer la création d’une troisième catégorie pour prendre compte ces travailleurs. En particulier, la création d’une troisième catégorie de travailleurs aux contours flous engendrerait un risque important de déclassement. Aux États‑Unis, Harris et Krueger (2015[41]) ont plaidé en faveur d’une catégorie de « travailleurs indépendants » qui permettrait à un grand nombre d’entre eux – mais pas à tous – d’accéder à des avantages et protections dont bénéficient les salariés, y compris la liberté d’organisation et de négociation collective, la protection des droits civils, le prélèvement de l’impôt à la source et la prise en charge des prélèvements sur les salaires par les employeurs. Toutefois, ils n’auraient pas droit aux avantages liés au temps de travail, comme la rémunération des heures supplémentaires ou le salaire minimum, ni à des prestations d’assurance-chômage. En France, le gouvernement a lancé l’idée de chartes volontaires, élaborées par les plateformes, qui définiraient les droits et les protections des travailleurs de plateforme. Cette idée française est intéressante parce qu’elle laisse du temps aux pouvoirs publics pour décider des mesures à prendre, tout en garantissant plus de droits et de protections à ces travailleurs. Le risque, toutefois, est que ces droits et protections soient fixés unilatéralement par les plateformes (sans consultation des travailleurs) et n’offrent qu’un faible niveau de protection. En outre, l’absence de normes de protection communes à toutes les chartes peut réduire la mobilité et donc accroître le pouvoir de monopsone des plateformes et exercer une pression à la baisse sur les salaires (voir section 4.3 ci‑dessous). Autre inquiétude : si ces chartes ne sont pas limitées dans le temps, elles finiront par former une troisième catégorie permanente de travailleurs (ou, plutôt, plusieurs catégories) avec des droits réduits. Dans l’idéal, ces chartes devraient donc être considérées comme une expérience provisoire dont les gouvernements pourraient s’inspirer. À plus long terme, des solutions plus durables devraient être envisagées, ce qui écarterait le risque de créer une troisième catégorie permanente de travailleurs « de plateforme ». Les nouveaux règlements devront être souples et suffisamment larges pour englober différents types d’emplois, quels que soient les moyens par lesquels le travail est obtenu.
On pourrait également imaginer d’autres solutions pour étendre la réglementation du travail à un plus grand nombre de travailleurs de la zone grise. On pourrait par exemple définir le plus clairement possible ce que sont un « salarié » et un « travailleur indépendant », et traiter toute personne se trouvant dans la « zone grise » comme un « salarié » au regard du droit du travail (jusqu’à ce qu’il puisse être prouvé que ces travailleurs sont véritablement indépendants)26 27. C’est la voie suivie par la Cour suprême de Californie dans une affaire récente28. En outre, en Suède, une décision de la Cour suprême en date de 199629 a conclu qu’étant donné l’ambiguïté des circonstances et la difficulté à se forger clairement une opinion, la décision était rendue en faveur du plaignant, et l’on présumait l’existence d’une relation d’emploi (Åberg, 2016[42]). Cette position pourrait être celle adoptée par défaut, tout en laissant certains volets de la loi créer des exceptions pour les droits et protections plus difficiles (voire impossibles) à étendre aux travailleurs indépendants. Par exemple, s’il peut être relativement simple d’étendre les réglementations relatives à la santé et à la sécurité ainsi que les lois antidiscrimination à tous les travailleurs à leur propre compte, c’est beaucoup plus difficile dans le cas de la législation relative au salaire minimum et à la réglementation du temps de travail. Ces questions sont abordées plus en détail à la section 4.2 ci-dessous.
4.2. Étendre les droits et protections aux travailleurs atypiques
Les travailleurs indépendants ne bénéficient généralement pas des mêmes droits et protections que les salariés (voir Graphique 4.1 ci-dessus). Cela est principalement dû au fait que les indépendants sont considérés comme des entreprises, qui acceptent d’endosser les risques en contrepartie de la perspective de réaliser des bénéfices. En principe, ils sont totalement autonomes, ce qui n’est pas le cas des salariés. De fait, si les relations de travail sont habituellement régies par le droit du travail, c’est pour protéger les travailleurs contre un abus potentiel du pouvoir de négociation et le contrôle asymétrique des informations aux mains de l’employeur. Les travailleurs indépendants n’ont généralement pas non plus accès à la même protection sociale (par exemple, ils sont souvent exclus de l’assurance chômage) parce que la probabilité de perdre leur revenu dépend de leurs seuls efforts et décisions, et l’on considère donc qu’elle fait partie intégrante du risque entrepreneurial. Enfin, parce qu’ils sont considérés comme des entreprises, les travailleurs indépendants sont généralement exclus de la négociation collective. En effet, leur participation équivaudrait à une entente sur les prix en vertu du droit de la concurrence.
Toutefois, comme nous l’avons vu à la section 4.1.2, un certain nombre de travailleurs indépendants partagent certaines caractéristiques (mais pas toutes) des travailleurs salariés, et il pourrait donc être judicieux de leur accorder certains des droits et protections dont bénéficient les salariés (voir Graphique 4.1 ci-dessus). Les chapitres 5 à 7 traitent des modalités d’extension de la protection sociale et de la négociation collective mais également des programmes de formation à ces travailleurs. Le reste de la présente section traite de certains aspects essentiels de la réglementation du marché du travail, et de la mesure dans laquelle elle pourrait être étendue aux travailleurs de la « zone grise » (et selon quelles modalités). La section souligne que l’extension des droits et des protections en matière d’emploi à ces travailleurs pose d’importantes difficultés pratiques – bien que ces difficultés soient plus importantes pour certains volets du droit du travail que pour d’autres. Dans certains cas, il pourrait être nécessaire d’adapter la réglementation existante afin de la rendre applicable aux travailleurs de la zone grise. Plus généralement, ces mêmes enjeux stratégiques pourraient également concerner les salariés atypiques (comme ceux qui travaillent à la demande ou sous contrat zéro heure), qui sont en principe couverts par les protections du droit du travail, mais sont confrontés à des difficultés pratiques pour faire valoir leurs droits (voir Graphique 4.1 plus haut). Bien entendu, une approche équilibrée est nécessaire pour éviter que des réglementations excessivement lourdes ne finissent par freiner considérablement l’activité entrepreneuriale et l’innovation.
4.2.1. Équité en matière de rémunération
Pour les salariés bénéficiant d’un contrat de travail ordinaire, un salaire minimum juridiquement contraignant et des planchers salariaux négociés collectivement peuvent contribuer à prévenir l’exploitation et à lutter contre la pauvreté au travail. De nombreuses études sur les répercussions du salaire minimum révèlent que de légères hausses d’un salaire minimum initialement modéré n’ont aucun effet négatif sur l’emploi. Cette constatation va à l’encontre de la théorie classique mais est compatible avec le pouvoir de monopsone, et pourrait donner à penser qu’il est possible de fixer un salaire minimum supérieur au salaire qui serait autrement en vigueur sur le marché du travail, sans nuire aux niveaux d’emploi (Card et Krueger, 2015[43]) – voir également Annexe 4.A.
Pourtant, les travailleurs se trouvant dans la zone grise entre salariat et travail indépendant (et parfois, d’autres travailleurs atypiques) sont généralement exclus de ces dispositifs. Par exemple, les travailleurs indépendants, qui sont considérés comme des « entreprises » et sont souvent payés à la tâche (par opposition à la rémunération sur la base du temps de travail que perçoivent la plupart des salariés), ne bénéficient généralement ni d’un salaire minimum, ni de planchers salariaux négociés collectivement. Bien qu’il ne soit probablement pas approprié/nécessaire de mettre en place un salaire minimum pour la plupart des travailleurs indépendants (p. ex. les entrepreneurs, les indépendants bien rémunérés ou les « professions libérales »), de nombreux travailleurs faiblement rémunérés se retrouvent dans la zone grise et/ou sont confrontés à des situations de pouvoir de monopsone et d’asymétrie des négociations (voir sections 4.1.2 et 4.3). Dans ces circonstances, il pourrait être utile d’examiner comment leur appliquer les mécanismes en faveur d’une rémunération équitable.
Il serait possible étendre la législation relative au salaire minimum à ces travailleurs en identifiant un groupe de travailleurs de la zone grise (par exemple, les travailleurs indépendants économiquement dépendants ou certaines professions) et en obligeant les employeurs à payer l’équivalent du salaire minimum aux personnes rémunérées à la pièce. Dans de nombreux pays, la législation relative aux salaires minimum comporte déjà un volet relatif à la rémunération à la pièce, et oblige généralement les employeurs à verser aux travailleurs l’équivalent du salaire minimum, quelle que soit leur base de rémunération (c’est-à-dire par unité de temps ou par unité de production)30. Les employeurs doivent donc estimer la productivité moyenne des travailleurs rémunérés à la pièce, et veiller à ce qu’un individu moyen travaillant à un rythme moyen gagne l’équivalent du salaire minimum. Dans la plupart des cas, cette législation est restreinte aux travailleurs salariés, et l’enjeu consiste donc à l’étendre à d’autres travailleurs vulnérables, y compris ceux qui se trouvent dans la zone grise entre salariat et travail indépendant.
Des propositions visant à instaurer des taux minimums de rémunération pour certains groupes de travailleurs indépendants sont en cours d’examen dans un certain nombre de pays. Au Royaume-Uni, elles émanent à la fois de la Taylor Review (BEIS, 2017[44]) et de la Resolution Foundation (D’Arcy, 2017[45]). Aux Pays-Bas, une proposition de loi visant à instaurer un salaire minimum pour les travailleurs indépendants n’employant pas de salariés et à réviser la loi pour leur permettre de fixer collectivement des taux minimums a été déposée (PvdA, 2017[46]). En Allemagne, une motion relative au revenu des travailleurs indépendants sans personnel, qui prévoit également d’imposer une rémunération minimale, a été présentée au Parlement fédéral (Deutscher Bundestag, 2016[47]). En Pologne, la législation relative au salaire minimum a récemment été étendue (au 1er janvier 2017) au travail effectué dans le cadre d’accords de services (umowy zlecenia, umowy o świadczenie usług). Sont notamment concernées les personnes engagées dans le cadre de contrats de services et les prestataires de services indépendants qui ne sont pas eux-mêmes des employeurs ou qui ne sous-traitent pas de travail à d’autres parties. Toutefois, les personnes travaillant dans le cadre de contrats de mission spécifiques (umowy o dzieło) ne sont pas couvertes, pas plus que les prestataires de services de soins à la personne, ni les prestataires de services qui déterminent eux-mêmes où et quand ils vont effectuer leurs prestations, et travaillent à la commission (OCDE, 2019[2]).
Bien que l’extension de la législation relative au salaire minimum à certains sous-groupes de travailleurs indépendants semble à la fois souhaitable et (en théorie) faisable, elle pose d’importantes difficultés dans la pratique. Il est par exemple difficile de déterminer quels types de travailleurs indépendants doivent être inclus dans le champ d’application de la loi ; de définir qui est l’employeur (notamment dans les relations de travail triangulaires, voir Encadré 4.4 ci-dessus)31 ; de mesurer la productivité moyenne des travailleurs32 (en particulier pour les tâches non standards) ; de déterminer ce qui peut être considéré comme du travail33,34 ; et quel traitement accorder au travail effectué hors des frontières nationales (voir section 4.4 ci-dessous). Depuis janvier 2018, par exemple, la ville de New York impose une rémunération minimale des chauffeurs Uber et Lyft.
Un certain nombre de plateformes ont déjà délibérément pris des initiatives afin de fixer un seuil minimum de rémunération. Par exemple, Favor, un service de livraison à la demande aux États-Unis, garantit à ses chauffeurs un salaire horaire minimum. Bien que ses « coursiers » soient payés à la tâche, Favor comble la différence s’ils n’atteignent pas le salaire garanti (Kessler, 2016[48]). Upwork applique un salaire horaire minimum global de 3 USD aux tâches rémunérées à l’heure. Au Royaume-Uni, Prolific applique également un salaire horaire minimum. En Australie, la plateforme d’emploi en ligne AirTasker a passé un accord avec les syndicats pour recommander des taux minimums de rémunération à ses utilisateurs (Patty, 2017[49]) – même si la plateforme ne garantit pas ce salaire minimum (Kaine, 2017[50]). D’autres sites, comme le tchèque Topdesigner.cz et l’espagnol adtriboo.com, ont fixé un prix minimum, voire fixe pour certaines tâches, en fonction du nombre moyen d’heures que les travailleurs y consacrent (Parlement européen, 2016).
Toutefois, en raison des difficultés pratiques posées par l’extension de la législation relative au salaire minimum aux travailleurs indépendants, on pourrait chercher des solutions différentes (ou complémentaires) pour accroître la rémunération de ces travailleurs. L’une des voies les plus prometteuses consisterait à étendre les droits de négociation collective à certains groupes de travailleurs indépendants qui se trouvent dans la zone grise entre salariat et travail indépendant et, par conséquent, dans des situations d’inégalité des rapports de force. L’Allemagne, le Canada et la Suède font partie des pays qui ont opté pour cette solution. L’un des principaux défis consiste toutefois à veiller à ce que le marché du travail et la politique de la concurrence soient mis en conformité avec cette stratégie – ce point est examiné plus en détail au chapitre 5.
4.2.2. Réglementation du temps de travail
Les préoccupations relatives au temps de travail portent généralement sur la problématique du temps de travail excessif. C’est pourquoi le droit du travail définit généralement des règles limitant le temps de travail et imposant des périodes de repos et de récupération, notamment un repos hebdomadaire et des congés annuels rémunérés. Difficile d’imaginer comment étendre certaines de ces réglementations aux travailleurs pour leur propre compte qui, en théorie, choisissent leurs horaires de travail – même si, dans la pratique, nombre d’entre eux (y compris dans l’économie des plateformes) ne peuvent le faire que de manière limitée (Lehdonvirta, 2018[51]) Un faible pouvoir de négociation conjugué à une concurrence féroce entre les travailleurs peut obliger ces derniers à rester disponibles s’ils ne veulent pas être perdants lorsqu’un nouvel emploi ou une nouvelle tâche se présente. En outre, dans le cas de certaines plateformes de micro‑tâches, les travailleurs passent autant de temps à rechercher des missions qu’à les exécuter (Kingsley, Gray et Suri, 2015[52]). Certaines plateformes ont mis en place leurs propres limitations du temps de travail (par exemple, CloudFactory a défini des limites supérieures et inférieures quant au volume de travail que chaque travailleur peut effectuer en une semaine) et les travailleurs ont défini leurs propres pratiques informelles, comme des routines quotidiennes et des quotas, afin de gérer leur temps (Lehdonvirta, 2018[51]). Les données recueillies par l’intermédiaire des plateformes peuvent aider à surveiller le temps de travail. Toutefois, l’extension de la protection du temps de travail à ces travailleurs se heurte à de nombreuses complications, notamment du fait qu’un grand nombre d’entre eux ont plusieurs clients/employeurs à un moment donné et qu’il peut donc être très difficile, voire impossible, de contrôler le temps de travail global (et de répartir les responsabilités). Là encore, certaines exceptions pourraient être envisagées pour les travailleurs indépendants économiquement dépendants (par exemple, un congé minimum pour les personnes assimilées à des salariés en Allemagne) – mais cela risque d’exclure de nombreux travailleurs de plateforme puisqu’ils travaillent généralement pour plusieurs clients en même temps (sauf si les responsabilités des employeurs sont partiellement transférées aux plateformes – voir Encadré 4.4)35. Une autre solution consisterait à mettre l’accent sur certaines professions.
Pour certains travailleurs, l’imprévisibilité des horaires de travail et/ou la réticence des employeurs à garantir contractuellement un nombre fixe d’heures de travail, du fait qu’ils sont à la recherche d’un maximum de flexibilité pour répondre à la fluctuation de la demande, suscitent des inquiétudes. Cette problématique ne concerne pas seulement les travailleurs de la zone grise, mais également les contrats à horaires variables et zéro heure. De nombreux pays ont mené des réformes en la matière ces dernières années (Encadré 4.6).
Encadré 4.6. Réglementer les contrats à horaires variables et zéro heure
De nombreux pays disposent de formes particulières de contrats atypiques de travail à temps partiel (ou de clauses contractuelles atypiques) qui prévoient soit des temps partiels très courts, soit ne fixent pas un nombre minimal d’heures. Voici quelques exemples de ces formules atypiques de travail à temps partiel : travailleurs occasionnels en Australie, contrats à la demande (lavoro a chiamata o intermittente) en Italie, contrats minimum-maximum et zéro heure aux Pays-Bas, contrats à la demande en Nouvelle-Zélande, contrats zéro heure au Royaume-Uni, et contrats « if and when » et zéro heure en Irlande. Bon nombre de ces contrats atypiques à temps partiel ont enregistré une croissance rapide ces dernières années.
En réponse aux préoccupations relatives aux répercussions de l’imprévisibilité du temps de travail sur les revenus globaux des travailleurs, la volatilité de leurs revenus et leur capacité de planification, un certain nombre de réformes ont été entreprises ces dernières années, plus particulièrement en ce qui concerne les contrats dits « zéro heure ». Les réformes suivantes ont notamment été mises en œuvre : limiter le recours à ces contrats aux situations dans lesquelles les besoins de main-d’œuvre des employeurs varient réellement (Finlande) ; obliger les employeurs à donner des informations (comme le nombre minimal d’heures) en amont ou dans le contrat de travail (Finlande, Irlande et Norvège) ; imposer que les horaires de travail soient communiqués à l’avance (Finlande, Irlande, Norvège, Oregon aux États-Unis et Pays-Bas) ou ajuster les heures contractuelles en fonction des heures réellement travaillées (Irlande) ; autoriser les salariés à demander un contrat plus prévisible au bout d’un certain temps (Australie et Royaume-Uni) ; indemniser les travailleurs lorsqu’ils sont appelés puis renvoyés chez eux sans avoir travaillé (Irlande), ou s’ils doivent se tenir à disposition en dehors des heures garanties (Nouvelle-Zélande) ; et instaurer des dispositions relatives aux indemnités de maladie et de licenciement (Finlande). En outre, le Royaume-Uni a récemment organisé une consultation publique relative à l’instauration d’un salaire minimum plus élevé pour ces types de contrats afin de décourager leur (sur)utilisation (OCDE, 2019[2]).
Dans une large mesure, les préoccupations suscitées par les contrats à horaires variables/à la demande découlent des asymétries de pouvoir de négociation entre les travailleurs et les employeurs. C’est pourquoi certaines mesures visent à renforcer le pouvoir de négociation des travailleurs en interdisant, par exemple, les clauses d’exclusivité (des clauses contractuelles qui interdisent aux travailleurs de travailler pour d’autres employeurs – au Royaume-Uni, et en proposition aux Pays-Bas) ou en supprimant l’obligation pour un travailleur d’accepter une tâche lorsque l’employeur ne propose pas d’horaires garantis (p. ex. en Nouvelle-Zélande, où les entreprises doivent indemniser les travailleurs qui se tiennent à leur disposition). Toutefois, dans certains cas, les pays ont sapé le pouvoir de négociation des travailleurs – par exemple, en obligeant les chômeurs à accepter des contrats à horaires variables (ou zéro heure) pour avoir droit aux prestations de chômage (Kenner, 2017[53]).
4.2.3. Sécurité et santé au travail
Certaines problématiques relatives au temps de travail sont également valables pour la sécurité et la santé au travail (SST). La plupart des nouvelles formes de travail font porter la responsabilité en matière de SST non plus à l’employeur mais aux travailleurs individuels, qui n’ont souvent pas la formation ou les ressources nécessaires pour prendre les mesures appropriées pour garantir la sécurité de leurs conditions et de leur environnement de travail. Parfois, une rude concurrence entre les travailleurs peut être source de précipitation et de prise de risques inutiles. Dans le même temps, les inspections du travail sont souvent mal préparées à faire face à ces nouvelles formes d’emploi, qui sont souvent plus difficiles à contrôler, qui ne sont pas toujours clairement soumises à la législation existante, et qui bénéficient d’un moindre soutien des syndicats (Walters, 2017[54]). Cela permet à ces travailleurs de contourner plus facilement les réglementations existantes comme, par exemple, la nécessité d’obtenir des certificats médicaux pour exercer certaines professions. Là encore, cela est imputable dans une certaine mesure à un rapport de force déséquilibré entre employeurs et travailleurs en matière de négociation – bien que les individus eux-mêmes puissent également être peu clairvoyants et/ou chercher à contourner les coûts et les réglementations. En outre, l’identification de la partie responsable pose tout autant de difficultés du fait de la nature triangulaire de certaines relations et de la brièveté de certaines de ces missions.
Les nouvelles formes de travail se traduisent également par des risques inédits ou accrus. Par exemple, nombre de plateformes sont actives dans le secteur des transports, où le risque d’accident est important. Des données récentes donnent à penser que l’arrivée du covoiturage est associée à une hausse de 2 à 3 % du nombre d’accidents mortels en raison de la congestion et de l’utilisation accrues du réseau routier (Barrios, Hochberg et Yi, 2018[55]). Le travail en ligne comporte également des risques, tant physiques que psychosociaux, comme la fatigue visuelle ; les troubles musculosquelettiques ; le stress lié au travail ; l’insécurité chronique de l’emploi et des revenus ; et l’isolement.
Là encore, la question du statut d’emploi est cruciale, car la réglementation en matière de SST ne s’applique souvent qu’aux salariés. On pourrait envisager des dispositions spéciales pour les travailleurs indépendants économiquement dépendants ou certaines professions, tandis que des campagnes d’information et de formation pourraient contribuer à renforcer la SST auprès des travailleurs à leur propre compte plus généralement. En ce qui concerne la protection sociale, certains pays commencent à réfléchir à la manière dont l’assurance accidents du travail pourrait être étendue à certains travailleurs auparavant exclus. Par exemple, la France a récemment obligé certaines plateformes à fournir cette assurance à certains de leurs travailleurs : si les travailleurs gagnant plus de 5 100 euros par an choisissent de s’assurer contre le risque d’accident ou de maladie professionnels, la plateforme doit les rembourser. Les chartes volontaires envisagées par la France pourraient également conduire à une amélioration de la SST pour certains travailleurs de plateforme.
4.2.4. Lutte contre la discrimination
En raison de son impact potentiellement négatif sur l’intégration et les droits humains fondamentaux, mais aussi sur la productivité, des mesures de lutte contre la discrimination sur le marché du travail fondée sur l’origine ethnique, le sexe, la religion, les opinions politiques, le milieu socioéconomique, etc. ont été mises en œuvre dans l’ensemble des pays de l’OCDE (OCDE, 2008[15]).
L’émergence de l’économie des plateformes a un impact ambigu sur la capacité à protéger les travailleurs contre la discrimination. Dans la mesure où les plateformes favorisent l’anonymat, elles peuvent contribuer à lutter contre la discrimination. Toutefois, lorsque cet anonymat n’est pas garanti, la discrimination peut être pire du fait de l’absence de réglementation et de répression – voir Edelman, Luca et Svirsky (2017[56]) pour des données relatives à la discrimination raciale sur Airbnb ; Galperin et Greppi (2017[57]) pour la discrimination géographique sur Nubelo (une des plus grandes plateformes de travail en ligne de langue espagnole) ; et Galperin, Cruces et Greppi (2017[58]) pour des données relatives à la discrimination sexuelle, sur Nubelo également. En outre, bien que les algorithmes promettent l’élimination de tout jugement et préjugés humains lors de la prise de décision, des données montrent qu’en fait, ils sont susceptibles de renforcer ces préjugés et d’intégrer des biais qui leur sont propres – voir, par exemple, Sweeney (2013[59]) pour des données relatives aux annonces de Google AdSense.
Ces nouvelles données donnent à penser que les pouvoirs publics devraient réfléchir soigneusement à la manière dont les lois antidiscrimination pourraient être étendues aux plateformes en ligne et aux travailleurs indépendants en général. On pourrait par exemple demander aux plateformes de travail de recueillir (et de publier) des données relatives aux résultats de différents groupes. On pourrait également se concentrer sur certaines professions ou sur les travailleurs indépendants économiquement dépendants – voir section 4.1.2. Dans la plupart des pays européens, les lois antidiscrimination couvrent déjà les travailleurs indépendants, sauf en Lituanie et au Royaume-Uni, où ils ne sont pas totalement couverts (Commission européenne, 2017[60]).
4.2.5. Protection de l’emploi
Lorsque les travailleurs ont le statut de salarié, la législation relative à la protection de l’emploi les protège généralement contre la violation injustifiée des obligations contractuelles par les employeurs, et prévoit des recours en cas de licenciement abusif et de vol salarial. À de rares exceptions près, ces droits ne sont pas contractualisables, en ce sens que le salarié ne peut y renoncer à la signature de son contrat de travail – voir p. ex. OCDE (2013[61]).
Toutefois, les protections prévues par le droit du travail ne s’appliquent pas à la plupart des contrats de services et/ou d’intermédiation (comme les conditions d’utilisation des applications des plateformes), qui laissent beaucoup plus de latitude aux dispositions contractualisables. Pourtant, dans un certain nombre de cas, les salaires et les conditions de travail sont fixés unilatéralement par la plateforme (ou l’intermédiaire) ou le demandeur (c’est-à-dire la personne ou l’entreprise qui publie les tâches), sans que les travailleurs individuels aient la possibilité de négocier les conditions, qu’ils doivent accepter pour pouvoir commencer ou continuer à travailler36. Par exemple, sur certaines plateformes de micro-tâches, les demandeurs peuvent rejeter sans aucune justification des tâches exécutées, auquel cas le travailleur ne perçoit aucune rémunération – voir par exemple Kingsley, Gray et Suri (2015[52]). Même dans le cadre de transactions directes, sans intermédiation d’une plateforme, le non-paiement de tâches effectuées pose des difficultés à de nombreux prestataires de services professionnels – voir p. ex. Berg et al. (2018[62]). De même, les conditions générales des services d’intermédiation numérique disposent souvent que la plateforme peut désactiver le compte d’un travailleur sans justification, parfois même sans préavis – voir p. ex. Ross (2015[63]), Kingsley, Gray et Suri (2015[52]), Kaltner (2018[64]), et Marcano (2018[65]).
L’absence de mécanismes adéquats et simplifiés de règlement des différends renforce l’asymétrie du contrôle de la relation37. Le dépôt de plainte auprès des tribunaux est long et coûteux et n’est généralement pas intéressant pour les travailleurs en cas de petites créances. Dans le cas des plateformes de micro-tâches, ces obstacles sont tout à fait prohibitifs, puisque la valeur pécuniaire de chaque tâche est très faible.
Il serait donc souhaitable de mettre en place une sorte de système simplifié de règlement des différends pour les travailleurs des plateformes. Par exemple, ces dernières pourraient être tenues de mettre en place un processus de règlement des différends dans le cadre duquel il incomberait au client de prouver que le travail n’a pas été effectué (conformément aux normes applicables) et qui accorderait aux travailleurs un délai raisonnable pour refaire les tâches rejetées – voir p. ex. Silberman (2018[66]). De même, les plateformes pourraient être tenues de communiquer rapidement au travailleur la raison de la désactivation de son compte. L’exposé des motifs devrait indiquer les raisons objectives ayant motivé cette désactivation, sur la base des motifs énoncés préalablement dans les conditions générales de la plateforme, et faire raisonnablement référence aux circonstances spécifiques pertinentes qui ont conduit à cette décision. Cette déclaration pourrait également servir à délimiter les contours d’un éventuel différend juridique, en ce sens que la plateforme ne pourrait faire valoir aucun grief supplémentaire en cas de poursuite judiciaire38. Une proposition de règlement en ce sens est actuellement débattue au Parlement européen (Commission européenne, 2018[67]). Par ailleurs, dans une récente affaire judiciaire concernant un service de VTC39, la décision a stipulé que, désormais, les travailleurs seraient entendus par un juge avant tout licenciement (Kovács, 2017[68]).
Les systèmes simplifiés de règlement des différends doivent être conçus de manière à garantir l’impartialité. Toutefois, l’arbitrage extrajudiciaire privé tel qu’il se pratique habituellement n’est pas forcément une solution, car il existe un risque d’abus lorsque l’arbitre interagit fréquemment avec une partie, et l’avantage de la neutralité peut être perdu en raison d’un conflit d’intérêts (US House of Representatives, 2009[69])40. Cette situation est plus fréquente dans les affaires opposant des particuliers à de grandes entreprises, notamment parce que ces dernières sont davantage habituées au processus d’arbitrage41. Cela donne à penser qu’un système de règlement extrajudiciaire des différends pourrait être plus efficace s’il était assuré ou supervisé par un organisme administratif. À New York, par exemple, la loi Freelance Isn’t Free Act (FIFA) vise à protéger les travailleurs indépendants contre les impayés. Parmi les protections prévues par la FIFA, citons l’obligation pour les recruteurs d’établir un contrat écrit avec les indépendants pour toute mission rémunérée plus de 800 USD sur une période de 120 jours. Les indépendants peuvent porter plainte auprès d’une agence administrative, qui est habilitée à émettre des ordres de paiement et à prononcer des sanctions civiles. Par ailleurs, des systèmes simplifiés de règlement des différends pourraient s’appuyer sur les partenaires sociaux. Par exemple, il existe dans le secteur du travail temporaire un certain nombre de systèmes de médiation et d’arbitrage gérés par les partenaires sociaux sur lesquels il serait intéressant de prendre exemple dans le cas de relations tripartites (World Employment Confederation, 2018[70]). En effet, dans le secteur des plateformes, trois plateformes allemandes, ainsi que l’Association allemande du crowdsourcing (Deutscher Crowdsourcing Verband eV) ont rédigé, en 2015, un code de conduite du crowdsourcing et ont établi, en 2017, conjointement avec cinq autres plateformes et IG Metall, un « bureau du médiateur » afin de faire respecter ce code de conduite et résoudre les différends entre les travailleurs et les plateformes signataires – voir Berg et al. (2018[62]) et le chapitre 542.
4.3. Pouvoir de monopsone, efficience du marché du travail et vulnérabilité des travailleurs
De nombreux travailleurs, indépendants notamment, se trouvent dans un rapport de force déséquilibré avec leur employeur/client, ce qui les rend vulnérables et peut nécessiter des protections qui sont normalement accordées aux seuls salariés (voir section précédente). Si des rapports de force déséquilibrés apparaissent, c’est généralement parce que les employeurs et les clients exercent souvent un plus grand contrôle sur la relation d’emploi que les travailleurs (voir section 4.1.2 plus haut), et parce que ces derniers peuvent avoir peu ou pas de possibilités de sortie, ce qui donne lieu à une certaine situation de monopsone sur le marché du travail (voir Encadré 4.7). Dans de nombreuses situations, le pouvoir des employeurs (souvent appelé puissance d’achat dans la littérature en économie industrielle) n’est pas compensé par un pouvoir de négociation suffisant du côté des travailleurs, et peut donc entraîner une baisse de l’emploi et des salaires, ainsi qu’une dégradation des conditions de travail. Il s’agit là d’un enjeu particulier pour les travailleurs indépendants, qui sont souvent exclus de la négociation collective par le droit de la concurrence (voir chapitre 5).
Encadré 4.7. Ce que signifie un marché du travail en situation de monopsone dans la littérature en économie du travail
Les publications relatives à l’économie du travail définissent souvent une situation de monopsone sur le marché du travail comme une situation dans laquelle le pouvoir des employeurs en tant qu’acheteurs de services de main-d’œuvre n’est pas compensé par un pouvoir de négociation suffisant des travailleurs, dont les options de sortie sont limitées, voire inexistantes. Au sens strict, le terme « monopsone » désigne le cas extrême dans lequel un acheteur domine un marché spécifique en amont et peut fixer les achats et les prix des facteurs de production à un niveau inférieur à celui qui maximise le bien-être social, afin de maximiser ses bénéfices. Le terme « oligopsone » serait plus correct pour désigner les cas où un petit nombre d’entreprises dominent les achats sur un marché et peuvent influer sur les prix des facteurs de production en réduisant leurs achats sur ce marché. Dans le cas des plateformes, qui font face à un marché multilatéral, certaines études envisagent un concept opérationnel de « pouvoir d’intermédiation » (Bundesministerium für Wirtschaft und Energie, 2018[71]). Pourtant, la littérature économique utilise souvent le terme de monopsone pour qualifier un segment spécifique du marché du travail se trouvant dans l’une ou l’autre de ces situations (Manning, 2003[72] ; Bhaskar, Manning et To, 2002[73]). Voir également l’Annexe 4.A pour une analyse plus approfondie.
Des relations de pouvoir déséquilibrées affectent non seulement les travailleurs indépendants, mais tous les travailleurs en général – salariés compris (mais plus particulièrement les travailleurs occupant un emploi précaire). Un certain nombre de mesures sont envisageables pour lutter contre le déséquilibre des rapports de force dans l’emploi : i) la parole collective peut être renforcée ou étendue aux travailleurs précédemment exclus (voir chapitre 5) ; ii) la réglementation du marché du travail peut être utilisée pour contrer les effets négatifs des déséquilibres des rapports de force (comme nous l’avons vu dans la section précédente) ; et/ou iii) ces déséquilibres peuvent être traités directement, en luttant contre les abus du pouvoir de monopsone et ses sources. Ces trois options ne s’excluent pas mutuellement. Comme les deux premières options sont examinées par ailleurs, la présente section analyse brièvement la troisième option, en mettant l’accent sur les formes de travail atypiques – l’Annexe 4.A présente une analyse plus approfondie des données existantes relatives à la situation de monopsone sur le marché du travail, et des mesures permettant d’y remédier.
Un nombre croissant d’études montrent que, dans certains pays de l’OCDE, une proportion considérable de l’emploi se trouve sur des marchés du travail très concentrés – voir p. ex. Azar et al. (2018[74]), Abel, Tenreyro et Thwaites (2018[75]) et Martins (2018[76]). Sur des marchés du travail spécifiques de nombreux pays de l’OCDE, un grand nombre d’études ont également estimé de faibles élasticités résiduelles de l’offre de main-d’œuvre – qui mesurent la facilité avec laquelle les travailleurs changent d’employeur en réaction à l’évolution des salaires dans une entreprise donnée – qui sont généralement considérées comme un signe de monopsone sur le marché du travail – voir p. ex. Manning (2003[72]), Sokolova et Sorensen (2018[77]), et Naidu, Posner et Weyl (à paraître[78]). Bien que la plupart de ces données se rapportent généralement aux salariés, certaines études mesurent l’exposition des travailleurs pour leur compte propre, y compris les travailleurs de plateforme, au pouvoir de monopsone. Par exemple, Dube et al. (à paraître[79]) montrent que pour les personnes travaillant pour le Turc mécanique d’Amazon, un service de microtravail, l’élasticité résiduelle de l’offre de main-d’œuvre ne dépasse pas 0.1, tandis que Chevalier et al. (à paraître[80]) trouvent des valeurs comprises entre 1 et 2 pour les chauffeurs Uber. Ces deux estimations témoignent clairement d’un fort pouvoir de l’acheteur sur ces marchés du travail. Bien qu’on ait besoin de davantage de données sur le marché du travail de plateforme, lorsque l’on compare ces chiffres aux résultats des salariés de différents marchés du travail publiés antérieurement – voir Annexe 4.A, on peut penser que certains travailleurs de plateforme sont encore plus exposés à la situation de monopsone sur le marché du travail que la plupart des salariés ordinaires.
Un marché du travail en situation de monopsone (ou, plus généralement, un puissance d’achat excessive des employeurs sur le marché du travail) peut avoir un impact négatif sur les prix – c’est-à-dire les salaires et les avantages sociaux – et les quantités – l’emploi global. Des données récentes donnent à penser qu’une forte concentration sur le marché du travail fait baisser les salaires et creuse le fossé entre les salaires et la productivité. Un marché du travail en situation de monopsone semble également réduire de manière inefficiente la demande de main-d’œuvre et l’emploi, en particulier au bas de la distribution des salaires, bien que les données soient un peu plus indirectes (voir Annexe 4.A).
Un marché du travail en situation de monopsone est également une source de préoccupation pour les entreprises. D’une part, du fait d’un manque de concurrence sur le marché du travail (par exemple en raison de l’utilisation de clauses de non-concurrence abusives par les concurrents – voir section suivante), les entreprises innovantes peuvent se voir empêchées d’exploiter de nouveaux débouchés. D’autre part, une application insuffisante du droit de la concurrence peut désavantager les entreprises qui respectent les règles par rapport à leurs concurrents ayant des comportements illicites.
4.3.1. Appliquer la réglementation pour lutter contre la situation de monopsone sur le marché du travail
Il est possible de lutter contre un excès de pouvoir de monopsone en renforçant la réglementation et en l’appliquant plus efficacement. De fait, à ce jour, les organismes chargés de faire respecter la loi accordent moins d’attention aux positions dominantes sur le marché du travail et à la capacité des entreprises à offrir aux travailleurs une rémunération inférieure à leur productivité marginale qu’aux positions dominantes sur les marchés des produits.
La lutte contre la collusion sur le marché du travail est l’un des domaines dans lesquels des mesures supplémentaires sont nécessaires – voir Annexe 4.A pour un examen plus approfondi des réglementations existantes. Dans la plupart des pays, le droit de la concurrence interdit la collusion entre les acheteurs de biens ou de services intermédiaires, y compris de services de main-d’œuvre – voir p. ex. Blair et Wang (2017[81]). Il y a collusion illicite, par exemple, lorsque des entreprises en concurrence pour le même type de travailleurs s’entendent pour éviter d’embaucher les salariés des concurrents (accords dits de « non-débauchage ») ou, sauf dans le cadre de négociations collectives (voir chapitre 5), lorsque des entreprises concurrentes sur le même marché du travail conviennent d’appliquer une politique commune de rémunération aux employés ou aux travailleurs indépendants (collusion salariale).
Il est difficile de recueillir des statistiques générales sur la collusion, car on ne dispose généralement pas de chiffres sur les comportements illicites qui échappent aux enquêtes. Des données anecdotiques donnent toutefois à penser que le phénomène est loin d’être négligeable – voir p. ex. Krotoski et al. (2018[82]). On trouve des statistiques relatives aux clauses de non-débauchage incluses dans les contrats de franchise, auquel cas elles ne sont pas nécessairement illégales (voir Annexe 4.A). Selon les estimations de Krueger et Ashenfelter (2018[83]), plus de 50 % des grandes sociétés de franchise aux États-Unis ont recours à des clauses de non-débauchage dans leurs accords de franchise.
Il est essentiel de formuler des recommandations explicites concernant la collusion sur le marché du travail afin de guider des organismes chargés de faire respecter la loi, et définir leurs priorités. Par exemple, les autorités de la concurrence américaines ont publié des lignes directrices qui font explicitement référence à la collusion sur le marché du travail, présentent des exemples clairs de comportements illicites et soulignent l’importance de les combattre en raison de leurs répercussions sur le marché du travail (US Department of Justice et Federal Trade Commission, 2016[84]). Une application efficace de la loi nécessite également de protéger les lanceurs d’alerte, car la collusion est souvent découverte grâce aux informations transmises par les initiés (Dyck, Morse et Zingales, 2010[85] ; Yeoh, 2014[86]). Une protection spécifique est particulièrement indispensable dans le cas des travailleurs indépendants, qui ne sont généralement pas couverts par les dispositions de la législation en matière de licenciement relatives à l’alerte professionnelle – voir p. ex. OCDE (2014[7]) Enfin et surtout, les organismes chargés de faire respecter la loi doivent également être en mesure de prévoir des sanctions adéquates des comportements collusoires.
Toutefois, les entreprises potentiellement collusoires pourraient éviter une collusion illégale sur le marché du travail en fusionnant tout simplement, ce qui augmenterait leur puissance d’achat sur le marché du travail – voir p. ex. Marinescu et Hovenkamp (à paraître[87]) Plus généralement, si les entreprises parties à une fusion devaient s’allier pour devenir l’acheteur dominant sur le marché du travail, l’entité issue de la concentration utiliserait probablement sa puissance d’achat pour réduire les quantités et les prix sur ce marché, comme le feraient des entreprises non parties à la fusion. Toutefois, l’une des difficultés de l’évaluation de l’impact des fusions sur le pouvoir de l’acheteur sur le marché du travail tient au manque d’outils spécifiques d’analyse de la concurrence sur le marché du travail et, en particulier, à la délicate identification du marché concerné. Autre difficulté, l’évaluation des effets des fusions lorsque les parties à la concentration ne sont pas des concurrentes directes sur les marchés de produits en aval43. Il s’agit d’un domaine dans lequel des recherches plus approfondies sont nécessaires. Un renforcement des investissements des gouvernements et des organismes chargés de faire respecter la loi dans la conception d’outils adéquats serait bienvenu.
Autre domaine d’action possible sont les clauses de non-concurrence, des clauses contractuelles qui interdisent aux travailleurs de travailler pour un concurrent après leur départ d’une entreprise. Dans la plupart des pays, les accords de non-concurrence sont légaux et justifiés par la nécessité de protéger les secrets commerciaux et les investissements spécifiques de l’employeur dans la relation de travail (comme certains types de formation et d’investissement dans le savoir). Pourtant, des données récentes donnent à penser que les employeurs utiliseraient en réalité ces clauses pour limiter les possibilités de sortie de leurs travailleurs. Un certain nombre d’affaires, par exemple, concernent des travailleurs peu qualifiés impliqués dans la production de produits standardisés, comme la fabrication de sandwichs, et ayant peu accès aux connaissances tacites des entreprises. Starr, Prescott et Bishara (2018[88]) estiment que près de 30 millions de travailleurs américains sont actuellement couverts par des accords de non-concurrence, et que bon nombre de ces accords sont imposés à des travailleurs ayant un niveau d’étude inférieur au premier cycle de l’enseignement supérieur, un faible revenu ou n’ayant pas accès à des secrets commerciaux.
Les restrictions imposées à certains travailleurs de plateforme pour les empêcher de poursuivre une relation en direct avec leur client en dehors de la plateforme, à moins de payer des frais disproportionnés, constituent un type particulier de clause de non-concurrence (Berg et al., 2018[62]). Ces obligations sont particulièrement contraignantes en cas de modification unilatérale des conditions d’utilisation de la plateforme. En effet, la relation spécifique qui se crée parfois entre un travailleur et un client donnés sur certaines plateformes représente un coût d’opportunité élevé pour les travailleurs s’ils n’ont pas la possibilité de quitter la plateforme sans perdre leur clientèle, ce qui les force souvent à accepter des modifications des conditions de travail qui leur sont défavorables44.
Afin de lutter contre les accords de non-concurrence dans des situations où ils ne servent manifestement qu’à réduire les possibilités de sortie des travailleurs, les gouvernements pourraient envisager d’établir une présomption réfragable d’utilisation abusive (voire d’interdire ces accords) pour certains types de postes, niveaux de rémunération ou exigences de compétences, pour lesquels leur justification par un motif valable, comme la protection des secrets commerciaux, semble peu plausible. Lorsque les clauses de non-concurrence sont permises par la loi, les gouvernements pourraient également envisager d’interdire le « blue-pencilling » – c’est-à-dire les situations dans lesquelles les tribunaux ont la possibilité de reformuler des obligations non motivées afin de les rendre exécutoires. De fait, cette pratique crée des incitations à rédiger des clauses détaillées et inapplicables uniquement pour décourager les travailleurs non informés de chercher un emploi ailleurs. Enfin et surtout, étant donné que les travailleurs victimes d’abus intentent rarement des actions privées en dommages-intérêts, les organismes chargés de faire respecter la loi, notamment les inspections du travail, doivent jouer un rôle de premier plan et avoir la possibilité d’infliger des sanctions ou de porter l’affaire devant les tribunaux (voir Annexe 4.A pour un examen plus approfondi des pratiques et problématiques actuelles dans les pays de l’OCDE).
Enfin, l’une des raisons pour lesquelles les travailleurs ont souvent un faible pouvoir de négociation et peu d’options de sortie est qu’ils sont bien moins informés que les employeurs. Les travailleurs n’ont souvent qu’une vague idée de leurs droits, notamment lorsqu’ils ont signé un contrat atypique. Par exemple, lorsqu’ils signent un contrat (ou qu’ils acceptent des conditions générales), les travailleurs ne saisissent pas forcément tout ce à quoi ils s’engagent (ou les droits auxquels ils renoncent). La réglementation pourrait donc faire en sorte que toutes les parties contractantes soient pleinement conscientes de leurs droits et de leurs responsabilités. Par exemple, certains spécialistes ont suggéré que les gouvernements investissent dans un service dédié aux travailleurs indépendants, et en particulier aux travailleurs de plateforme, qui leur donnerait des conseils et des avis généraux sur leurs droits en matière d’emploi (Balaram, Warden et Wallace-Stephens, 2017[89]).
Le manque de transparence des salaires peut également accroître le pouvoir de monopsone. Le déficit d’information sur les autres possibilités d’emploi réduit la capacité des travailleurs à changer d’emploi ou à tirer parti des possibilités de sortie pour négocier des salaires plus élevés – et de meilleures conditions de travail (Harris, 2018[90]). Les technologies numériques ont le potentiel d’améliorer ce type d’asymétrie de l’information, car les travailleurs peuvent accéder à un grand nombre d’offres d’emploi et les comparer, ce qui réduit les coûts de recherche (voir ci-dessous). Pourtant, sur de nombreuses plateformes, les travailleurs disposent de peu d’outils pour rechercher d’autres tâches, et doivent consacrer beaucoup de temps à cette recherche (Kingsley, Gray et Suri, 2015[52] ; Berg et al., 2018[62]). Pour améliorer la transparence des salaires dans l’économie des plateformes, les employeurs et les plateformes pourraient être tenus de publier des informations sur la rémunération moyenne de chaque tâche, ainsi que sur le temps moyen nécessaire pour accomplir une tâche (ce qui aiderait les travailleurs à prendre des décisions plus éclairées quant aux tâches à accepter).
Une problématique spécifique en lien avec l’intermédiation numérique concerne les informations que les plateformes recueillent sur les travailleurs. Par exemple, la plupart des plateformes disposent d’un système de notation des travailleurs, qui évalue leurs antécédents et qui est censé améliorer la qualité du service pour le demandeur. Toutefois, les algorithmes de notation manquent souvent de transparence (Rosenblat et Stark, 2016[91]). Cette asymétrie d’information permet aux demandeurs ou aux plateformes d’écarter certains travailleurs de certaines tâches, en fonction de leur note, alors que les travailleurs n’ont pas la possibilité d’identifier et de refuser les tâches proposées par les mauvais demandeurs, qui ne paient généralement pas régulièrement ou ont coutume d’évaluer négativement les travailleurs (Kingsley, Gray et Suri, 2015[52]). Pour remédier à ces problèmes, les pouvoirs publics pourraient envisager de réglementer le système de notation en imposant aux plateformes une symétrie des notations (five-for-five policies) et la transparence des algorithmes.
4.3.2. Autres interventions pour réduire les frictions
Une situation de monopsone apparaît généralement sur le marché du travail dans les contextes où il y a un petit nombre de grandes entreprises et les frictions sur le marché du travail, qui empêchent les travailleurs de changer facilement d’emploi à la suite d’une révision des conditions de rémunération ou de travail, sont considérables – voir p. ex. Manning (2011[92]). Tous les types d’interventions non réglementaires visant à réduire les frictions sur le marché du travail sont susceptibles de contribuer à réduire le pouvoir de monopsone sur ce marché. Il convient d’élaborer une stratégie globale visant à éliminer simultanément tous les obstacles à une potentielle mobilité sur le marché du travail (OCDE, 2018[93]).
Les interventions en faveur de la mobilité géographique jouent un rôle crucial. Les données existantes donnent à penser que les marchés du travail sont généralement plus concentrés dans les zones rurales et/ou les zones où l’activité économique est plus dispersée (Azar et al., 2018[74] ; Rinz, 2018[94]). Par exemple, les politiques de logement pourraient promouvoir la mobilité géographique des travailleurs afin de les aider à s’installer dans les régions offrant les meilleurs emplois. De même, les licences professionnelles devraient être utilisées judicieusement et les régions (et pays, le cas échéant) devraient harmoniser leurs normes autant que possible, dans la mesure où, dans certains pays, les licences constituent un obstacle à la mobilité, et n’offrent aucun avantage clair en termes d’amélioration de la qualité de service, de santé ou de sécurité des consommateurs – voir OCDE (2018[93]) pour une analyse plus approfondie. Les mêmes arguments sont valables pour la reconnaissance nationale (et internationale) des compétences et acquis – voir chapitre 6.
Les progrès technologiques améliorent l’efficacité du processus d’appariement. De nombreux pays de l’OCDE enregistrent un fort taux de chômage alors que des entreprises se plaignent de ne pas réussir à trouver des travailleurs qualifiés pour pourvoir les postes vacants. Les plateformes numériques peuvent aider les employeurs à trouver des travailleurs pour exécuter des tâches que leurs salariés actuels ne sont pas en mesure d’accomplir, élargissant ainsi le marché du travail en multipliant les débouchés – voir chapitre 2. De même, les intermédiaires numériques, comme les sites d’emploi commerciaux, peuvent donner accès à un grand nombre de postes vacants et de profils de travailleurs, ce qui réduit considérablement les coûts de recherche, tant pour les travailleurs que pour les employeurs. Les technologies numériques donnent la possibilité de travailler à distance, ce qui permet aux travailleurs des zones rurales d’accéder à des emplois et des tâches dont ils étaient auparavant exclus. Toutefois, les interactions médiées par une plateforme présentent un risque d’antisélection et de dissimulation asymétrique de l’information, ce qui peut nécessiter la création d’organismes chargés de certifier les informations fournies par les utilisateurs (Autor, 2009[95]). En outre, dans certains cas, il existe un risque de nivellement par le bas en raison de la concurrence avec des régions du monde où les normes du travail et le niveau de rémunération en termes réels sont nettement inférieurs (voir section 4.4 ci-dessous)
La technologie numérique transforme également le mode de fonctionnement du service public de l’emploi (SPE) et d’autres prestataires de services de placement, en facilitant l’exploitation des informations relatives aux offres et aux demandeurs d’emploi, ce qui améliore le processus d’appariement et réduit les frictions sur le marché. En automatisant un certain nombre de tâches, la numérisation permet également au SPE de concentrer ses ressources sur des activités nécessitant des interactions personnelles et des actions plus arbitraires. Il y a toutefois des limites aux possibilités offertes par la numérisation dans ce domaine. S’il est facile de numériser les demandes de prestations et l’enregistrement des offres d’emploi, cela peut s’avérer plus difficile pour d’autres services, comme le conseil et la formation personnalisés. En outre, des garanties doivent être mises en place dans les nouveaux systèmes fortement numérisés afin d’éviter de créer une fracture numérique en handicapant les demandeurs d’emploi les plus défavorisés (OCDE, 2015[96]).
La promotion de la mobilité professionnelle nécessite également de rendre la protection sociale plus transférable et moins liée à un emploi ou à un employeur spécifique (voir chapitre 7). À cet égard, il ne serait peut-être pas judicieux, à long terme, de se baser sur les employeurs ou les intermédiaires comme les plateformes pour fournir une protection sociale adéquate (voir p. ex. la section 4.2 ci‑dessus). De fait, l’absence de transférabilité des régimes de protection sociale gérés par les employeurs peut réduire la mobilité et, par conséquent, accroître le pouvoir de monopsone des employeurs et des intermédiaires, ce qui exerce une pression à la baisse sur les salaires.
Les caractéristiques spécifiques de certaines plateformes peuvent également créer des obstacles à la mobilité professionnelle. Par exemple, le paiement ou la rémunération sous une forme démonétisée, en bitcoins et en bons par exemple, est relativement courant sur certaines plateformes (Kingsley, Gray et Suri, 2015[52]) et lie le travailleur à la plateforme. De même, les antécédents professionnels personnels, comme les notes obtenues, sont habituellement perdus lorsque l’on change de plateforme (Berg et al., 2018[62]). Étant donné que les plateformes favorisent de facto les travailleurs bien notés, la perte des notes individuelles représente un obstacle important à la mobilité des travailleurs et peut limiter la concurrence entre les plateformes. Les pouvoirs publics pourraient donc envisager d’autres interventions pour améliorer la mobilité des travailleurs d’une plateforme à l’autre, par exemple en réglementant les paiements démonétisés et en facilitant la transférabilité des notes personnelles.
4.4. Concurrence internationale
Le droit du travail s’applique généralement au marché du travail national ou régional, et se heurte à de sérieuses contraintes lorsque le travail est exécuté au-delà des frontières nationales. Pourtant, avec l’essor de l’économie des plateformes, un nombre croissant de travailleurs fournissent des services à l’échelle internationale. Comme le dit l’OIT, « les plateformes de travail numériques offrent de nouvelles sources de revenus à de nombreux travailleurs dans différentes parties du monde, mais du fait de la dispersion du travail entre les juridictions internationales, il est difficile de contrôler si le droit du travail en vigueur est bien respecté » (BIT, 2019, p. 44[1]). Les clients et les employeurs peuvent être basés dans un pays, la plateforme dans un autre et les travailleurs dans un autre encore. Dans ce cas, il n’est pas évident de déterminer quelle législation est applicable, si cette législation existe, ou quelles devraient être ses modalités d’application. En outre, lorsque les pays commencent à réglementer l’économie des plateformes, ils risquent s’y prendre très différemment les uns des autres, ce qui peut non seulement poser des difficultés aux plateformes elles-mêmes, mais pourrait également entraîner un nivellement par le bas dans les pays qui tentent d’attirer du travail par le biais de l’économie des plateformes (Cherry et De Stefano, 2018[21]). Dans un tel contexte, il devient très difficile de réglementer les conditions de travail, et la coopération internationale devient indispensable.
Dans le contexte de l’Union européenne (UE), il existe des précédents en matière de réglementation du travail transfrontalier. Alors que la législation européenne laisse le choix, la position par défaut consiste à appliquer la loi du pays dans lequel l’employé exécute le travail45. En outre, compte tenu du déséquilibre des rapports de force entre employeurs et salariés, le choix par les parties de la loi applicable « ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable, à défaut de choix » – Convention de Rome de 1980, Rome I, article 6(1). Pour résumer, le choix de la loi applicable offre une certaine souplesse, mais pas au détriment des droits des travailleurs.
Dans la plupart des cas, toutefois, les travailleurs de plateforme sont susceptibles d’être titulaires d’un contrat de services (et non de travail) – auquel cas les règlements ci-dessus ne s’appliquent pas. Dans le cas d’un contrat de services, le droit européen – article 4(1) de Rome I – donne encore la priorité à « la loi du pays dans lequel le prestataire de services a sa résidence habituelle » ou, à défaut, « la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle » – article 4(2). Toutefois, cela ne contribuera guère à protéger les conditions de travail des travailleurs de plateforme (à moins que les réglementations nationales ne contiennent des dispositions spécifiques).
Étant donné que les réglementations susmentionnées sont très limitées eu égard aux travailleurs de plateforme, certains ont plaidé en faveur d’un renforcement de la réglementation au niveau de l’UE, sous la forme d’une « directive sur le travail de plateforme » (Risak, 2018[97]). Cette directive établirait la liste des droits des travailleurs de plateforme, quel que soit leur statut d’emploi. Toutefois, une telle directive ne s’appliquerait qu’aux travailleurs basés dans l’UE, et ne résoudrait pas le problème d’un éventuel nivellement par le bas des conditions de travail, du fait de la concurrence avec les pays tiers. Il est également important de souligner qu’une telle réglementation serait moins utile pour nombre de travailleurs réellement indépendants et hautement qualifiés, car ils sont généralement moins vulnérables et leurs activités peuvent être véritablement considérées comme des échanges internationaux de services entre entreprises.
Les initiatives volontaires et/ou l’autorégulation pourraient être une solution pour les travailleurs indépendants les plus vulnérables de la zone grise (temporairement du moins). Certaines initiatives ont déjà vu le jour. Par exemple, les Dynamo Guidelines for Academic Requesters visent à encourager les universitaires qui utilisent le Turc mécanique d’Amazon à se comporter correctement et à verser des salaires équitables – mais il n’existe actuellement aucun moyen d’appliquer ces lignes directrices (Salehi et al., 2015[98]). En Allemagne, le code de conduite du crowdsourcing a été signé par huit plateformes, et il existe maintenant un bureau du médiateur auquel les travailleurs peuvent s’adresser s’ils estiment avoir été traités injustement par l’une des plateformes signataires de ce code de conduite – voir Silberman (2018[99]) et la section 4.2 ci-dessus. En ce qui concerne le Turc mécanique, il est également prévu de mettre en place un engagement non contraignant qui sera signé par les demandeurs, et qui apparaîtra sous la forme d’un badge à côté de leur nom afin d’être visible par les travailleurs. Au niveau international, les pays du G20 se sont engagés à « promouvoir le travail décent dans l’économie des plateformes » (Labour 20, 2018[100]). Bien que ces efforts n’en soient qu’à leurs premiers balbutiements, il est possible d’envisager un ensemble de lignes directrices auxquelles les pays et les plateformes pourraient adhérer, et qui pourraient avoir un impact similaire à celui des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, qui ont encouragé un comportement responsable des entreprises dans les chaînes logistiques mondiales46.
4.5. Conclusions
Dans le présent chapitre, nous avons examiné comment la réglementation du marché du travail pourrait être étendue et adaptée pour offrir une protection adéquate aux travailleurs dans un monde du travail en mutation, et faire en sorte que les entreprises qui respectent cette réglementation ne soient pas désavantagées par rapport à leurs concurrents. Le statut d’emploi détermine l’accès à divers droits et protections. Les mesures assurant une classification correcte des travailleurs sont donc une première étape essentielle pour garantir l’accès à la protection de l’emploi et à la protection sociale, à la négociation collective et à la formation continue. Toutefois, le statut d’emploi de certains travailleurs situés dans la « zone grise » entre salariat et travail indépendant souffre d’une réelle ambiguïté. Tout en exhortant les responsables de l’action publique à tenter de réduire autant que possible la taille de cette zone grise, le présent chapitre examine le bien-fondé d’une extension de certains droits et protections à ces travailleurs, et les mesures envisageables à cette fin. La lutte contre les déséquilibres de pouvoir entre employeurs/clients et travailleurs nécessite également de s’attaquer aux abus de pouvoir de monopsone, p. ex. en luttant contre la collusion des employeurs sur le marché du travail, en limitant la portée des clauses de non-concurrence et en corrigeant les inégalités d’information entre les employeurs et les travailleurs. Néanmoins, ces questions pourraient également être abordées dans le cadre du dialogue social et de la négociation collective (chapitre 5), des politiques en matière de compétences (chapitre 6) et des mesures de protection sociale (chapitre 7), ce qui contribuerait à améliorer la situation de nombreux travailleurs.
Bien que ce chapitre ait abordé les options stratégiques visant à étendre les droits et les protections des travailleurs au-delà des salariés ordinaires, il est important de souligner qu’une approche équilibrée est nécessaire. Les nouvelles formes de travail répondent souvent aux besoins réels des employeurs et des travailleurs. La diversité (et l’innovation continue) des contrats de travail donne aux employeurs et aux travailleurs la flexibilité nécessaire pour trouver des accords dans le meilleur intérêt de chacun. L’action publique devrait donc viser à s’adapter à ces changements sans perdre de vue la protection des plus faibles et la garantie de droits fondamentaux pour tous.
Encadré 4.8. Orientations stratégiques
Les pouvoirs publics doivent veiller à ce que tous les travailleurs aient accès à des droits et protections adaptés, indépendamment de leur statut d’emploi ou de leur type de contrat. Ils doivent également assurer des conditions de concurrence équitables pour les entreprises en empêchant certaines d’obtenir un avantage concurrentiel en échappant à leurs obligations et responsabilités.
S’agissant de la réglementation du marché du travail, il est recommandé aux pays :
de s’attaquer au faux travail indépendant :
en s’assurant que les employeurs et les travailleurs connaissent et comprennent la réglementation en vigueur ;
en permettant aux travailleurs de contester plus facilement et à moindre coût leur statut professionnel ;
en durcissant les sanctions appliquées aux entreprises qui fraudent sur la qualification du statut d’emploi des travailleurs ;
en renforçant la capacité des inspections du travail en charge du suivi et de la détection des infractions ;
en réduisant les incitations qui poussent les entreprises et les travailleurs à qualifier à tort leur relation d’emploi de travail indépendant dans le but d’échapper à ou de réduire certaines cotisations et règlementations.
de réduire la « zone grise » entre salariat et travail indépendant en révisant, en actualisant et/ou en harmonisant les définitions du salariat et du travail indépendant, afin qu’elles soient le plus claires possibles et de réduire ainsi les incertitudes à la fois pour les travailleurs et pour les employeurs.
d’étendre les droits et protections aux travailleurs qui demeurent dans la « zone grise » (c’est-à-dire ceux pour lesquels subsiste une réelle ambiguïté quant à leur statut d’emploi) :
en ciblant certaines catégories de travailleurs qui pourraient bénéficier de droits et de protections étendus ;
en décidant des droits et protections à étendre (du moins en partie) (par exemple en matière d’équité en matière de rémunération, de protection du temps de travail, d’hygiène et de sécurité au travail, de lutte contre les discriminations et de protection de l’emploi), et en déterminant s’il convient de les adapter et, si oui, selon quelles modalités ;
le cas échéant, en précisant les devoirs et responsabilités des employeurs et/ou en les attribuant, dans le cas de relations de travail triangulaires (y compris dans le cas du travail exercé par le biais de plateformes numériques), ce qui peut impliquer de répartir ces responsabilités entre plusieurs entités juridiques.
de s’appuyer, à l’échelle internationale, sur l’engagement récent pris par le G20 de promouvoir le travail décent dans l’économie des plateformes et d’étudier les moyens d’améliorer les conditions de travail des travailleurs avec peu de contrôle sur leur rémunération et sur leurs conditions de travail et qui fournissent des services dans le monde entier – y compris par le biais de principes ou de lignes directrices sur les pratiques les plus probantes, auxquels les pays et/ou les plateformes pourraient adhérer.
Pour équilibrer les rapports de force entre employeurs/clients et travailleurs, il convient également de renforcer la négociation collective et le dialogue social (voir Chapitre 5) et de lutter contre les cas de monopsone sur le marché du travail. Les options envisageables pour lutter contre l’abus du pouvoir de monopsone comprennent :
Lutter contre la collusion sur le marché du travail, par exemple en fournissant des indications explicites quant aux comportements illicites, en définissant les priorités pour les organismes chargés de faire respecter la loi et en assurant la protection des lanceurs d’alerte ;
Limiter la portée des clauses de non-concurrence, y compris dans les contrats de services – particulièrement pour certains types d’emplois, de niveaux de rémunération ou de compétences, où elles sont le plus susceptibles d’être utilisées pour réduire la concurrence sur le marché du travail ;
Limiter les incitations à établir des accords de non-concurrence de grande portée ou contraires à la loi, en éliminant la possibilité de faire retoquer les clauses excessives par un tribunal afin qu’elles soient applicables et en sanctionnant comme il se doit l’abus de clauses illicites ;
Faciliter l’élaboration de nouveaux outils et instruments en vue de mieux analyser les retombées des fusions et des comportements anticoncurrentiels sur le marché du travail ;
Remédier aux déséquilibres dans l’information accessible aux employeurs et aux travailleurs, en veillant à ce que ces derniers soient correctement informés de leurs droits et responsabilités, en améliorant la transparence sur le plan de la rémunération sur le marché du travail, et en assurant l’égalité de traitement des travailleurs et des demandeurs sur les plateformes numériques, notamment s’agissant des évaluations réciproques.
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Annexe 4.A. Marché du travail en situation de monopsone : données et réglementation
De nombreux travailleurs sont confrontés à un rapport de force déséquilibré avec leur employeur. Cela s’explique par le fait que les employeurs exercent davantage de contrôle sur la relation d’emploi que les travailleurs (les employeurs prennent les décisions d’embauche, de licenciement et d’autres décisions organisationnelles et peuvent souvent fixer les salaires et les conditions de travail), et que ces derniers peuvent avoir peu ou pas de possibilités de sortie. Dans de nombreuses situations, le puissance d’achat des employeurs n’est pas compensé par un pouvoir de négociation suffisant du côté des travailleurs – en particulier en l’absence de négociation collective – et peut donc entraîner une baisse de l’emploi et des salaires, ainsi qu’une dégradation des conditions de travail.
La littérature en économie du travail définit souvent une situation de monopsone sur le marché du travail comme une situation dans laquelle le pouvoir des employeurs en tant qu’acheteurs de services de main-d’œuvre n’est pas compensé par un pouvoir de négociation suffisant des travailleurs, dont les options de sortie, sont limitées voire inexistantes. Au sens strict, le terme « monopsone » désigne le cas extrême dans lequel un acheteur domine un marché spécifique en amont et peut fixer les achats et les prix des facteurs de production à un niveau inférieur à celui qui maximise le bien-être social, afin de maximiser ses bénéfices. Le terme « oligopsone » serait plus correct pour désigner les cas où un petit nombre d’entreprises dominent les achats sur un marché et peuvent influer sur les prix des facteurs de production en réduisant leurs achats sur ce marché. Dans le cas des plateformes, qui font face à un marché multilatéral, certaines études envisagent un concept opérationnel de « pouvoir d’intermédiation » (Manning, 2003[72] ; Bhaskar, Manning et To, 2002[73]).
La présente annexe résume brièvement les données existantes relatives à la situation de monopsone sur le marché du travail et examine les instruments permettant de lutter contre l’abus de puissance d’achat par les employeurs et ses sources. D’autres moyens d’action, dont le but premier n’est pas de lutter contre une situation de monopsone sur le marché du travail, pourraient néanmoins avoir un impact sur ses sources et/ou ses effets. Ces questions sont abordées à la section 4.3 du corps du présent chapitre et au chapitre 5.
Les analyses empiriques des situations de monopsone sur le marché du travail et de leurs effets
Un nombre croissant d’études démontrent que la concurrence sur le marché du travail est loin d’être parfaite. Les premières publications désignaient généralement la négociation collective et les institutions du marché du travail comme les principales responsables de la limitation de la concurrence sur le marché du travail – p. ex. OCDE (2019[101]) et chapitre 5. Toutefois, des travaux académiques récents ont commencé à mettre en évidence le rôle essentiel de la concentration du marché du travail et, plus généralement, du pouvoir de monopsone sur le marché du travail – notamment en l’absence de négociations collectives.
Un grand nombre d’études portant sur des marchés du travail spécifiques estiment que les travailleurs ne peuvent pas facilement changer d’employeur en réponse à des variations salariales dans une entreprise donnée (ce qui signifie que les élasticités résiduelles de l’offre de main-d’œuvre sont faibles) – voir p. ex. Manning (2003[72]), Webber (2015[102]), Naidu, Posner et Weyl (à paraître[78]), et les références citées dans ces publications. Ces études mettent généralement en évidence des élasticités résiduelles de l’offre de main-d’œuvre proches de 5 ou inférieures47. On observe généralement qu’elles sont plus faibles en Amérique qu’en Europe, mais quoi qu’il en soit, elles enregistrent généralement des valeurs à un chiffre (Sokolova et Sorensen, 2018[77]). On considère généralement les élasticités à un chiffre comme la preuve que le marché du travail est en situation de monopsone48. Bien que la plupart de ces données se rapportent aux salariés, certaines données indiquent que les élasticités résiduelles de l’offre de main‑d’œuvre sont encore plus faibles pour certains travailleurs indépendants, y compris certains travailleurs de plateforme – voir section 4.3 du présent chapitre.
Manning et Petrongolo (2017[103]) et Marinescu et Rathelot (2018[104]) ont montré que les marchés du travail britannique et américain sont très locaux, en ce sens que les recherches d’emploi diminuent rapidement avec la distance. À l’aide de données sur les offres d’emploi en ligne issues de milliers de sites Web, Azar, Marinescu et Steinbaum (2017[105]) et Azar et al. (2018[74]) observent que le marché du travail local moyen des États-Unis – un marché du travail local étant identifié par une zone d’emploi et une profession dotée d’un code à 6 chiffres dans la classification des professions SOC – est fortement concentré, ce qui signifie que sa concentration est supérieure au seuil faisant craindre une concurrence insuffisante selon les Horizontal Merger Guidelines des États Unis (US Department of Justice et Federal Trade Commission, 2010[106])49. Des données récentes du Portugal mettent en évidence des niveaux de concentration plus faibles dans ce pays (Martins, 2018[76]). Pourtant, les mesures les plus fiables donnent à penser que plus de 15 % de l’emploi portugais est exposé à un niveau de concentration du marché du travail supérieur au seuil susmentionné. D’autres études menées aux États-Unis et au Royaume-Uni se sont appuyées sur une définition du marché du travail local fondée sur le secteur et la zone d’emploi. D’après ces études, environ 25 % de l’emploi de ces deux pays se trouve sur un marché du travail local dont le niveau de concentration est proche du seuil de forte concentration ou supérieur (Hershbein, Macaluso et Yeh, 2018[107] ; Abel, Tenreyro et Thwaites, 2018[75] ; Rinz, 2018[94]).
Une position de force sur les marchés des facteurs de production (main-d’œuvre incluse) peut avoir un impact négatif sur les prix – c’est-à-dire les salaires et les avantages sociaux – et les quantités – l’emploi global, voir p. ex. Manning (2003[72]), Ashenfelter, Farber et Ransom (2010[108]) et Blair et Harrison (2010[109]). Azar, Marinescu et Steinbaum (2017[105]) et Azar et al. (2018[74]) observent que la concentration des employeurs pèse lourdement sur les salaires affichés, tandis que Hershbein, Macaluso et Yeh (2018[107]), Martins (2018[76]) et Qiu et Sojourner (2019[110]) constatent une corrélation négative entre la concentration et la rémunération en utilisant les salaires réels. Rinz (2018[94]) constate que cette corrélation est plus forte au bas de l’échelle des salaires, tandis que Webber (2015[102]) estime que les élasticités résiduelles de l’offre de main-d’œuvre sont plus faibles et ont un effet plus marqué sur les salaires au bas de l’échelle. Abel, Tenreyro et Thwaites (2018[75]) constatent que des niveaux supérieurs de concentration du marché du travail sont associés à des salaires inférieurs, surtout chez les travailleurs ne relevant pas d’une convention collective. Benmelech, Bergman et Kim (2018[111]) montrent que la corrélation négative entre la concentration et les salaires réels s’accentue avec le temps, tandis que le lien entre la croissance de la productivité et celle des salaires est plus fort lorsque les marchés du travail sont moins concentrés. Hershbein et Macaluso (2018[112]) constatent que les marchés du travail très concentrés enregistrent généralement une plus forte demande de main-d’œuvre qualifiée que non qualifiée. Qiu et Sojourner (2019[110]) estiment que les travailleurs des marchés du travail concentrés sont moins susceptibles d’être couverts par une assurance maladie financée par l’employeur. Enfin, les données relatives à l’impact nul ou limité du salaire minimum sur l’emploi (lorsque le salaire minimum n’est pas trop élevé) sont également considérées comme des preuves des effets négatifs de la situation de monopsone sur l’emploi, du moins au bas de l’échelle des salaires – voir p. ex. Manning (2011[92]) et Card et Krueger (2015[43]) .
Des recherches récentes ont également étudié le lien entre une position de force sur les marchés de produits et les marchés du travail, et ont constaté que la hausse des marges bénéficiaires s’est accompagnée d’une diminution de la part du travail dans les revenus et du pouvoir de négociation des travailleurs (De Loecker et Eeckhout, 2018[113] ; Barkai, 2017[114] ; Autor et al., 2017[115] ; Bell, Bukowski et Machin, 2018[116]), ce qui donne à penser que la puissance d’achat des employeurs sur le marché du travail pourrait être liée à une certaine position de force sur le marché des produits, et pourrait également avoir des répercussions sur le bien-être des consommateurs50.
Appliquer la réglementation pour lutter contre la situation de monopsone sur le marché du travail
À ce jour, les législateurs accordent moins d’attention au pouvoir sur le marché du travail et à la capacité des entreprises à offrir aux travailleurs une rémunération inférieure à leur productivité marginale qu’au pouvoir sur le marché des produits. On compte quatre domaines d’action dans lesquels les législateurs et les autorités chargées de faire respecter la loi (comme les inspections du travail et les autorités de la concurrence) pourraient envisager de jouer un rôle plus actif dans de nombreux pays : i) accords de non-débauchage et collusion salariale ; ii) clauses de non-concurrence ; iii) fusions ; et iv) asymétries d’information entre employeurs et salariés. Ils sont examinés un à un ci-dessous.
Accords de non-débauchage et collusion sur le marché du travail
Dans la plupart des pays, le droit de la concurrence interdit la collusion entre acheteurs de biens ou de services intermédiaires – voir p. ex. Blair et Wang (2017[81]). Le marché du travail ne fait pas exception à cette règle. Les entreprises peuvent s’entendre de plusieurs façons sur les marchés du travail. Par exemple, les entreprises en concurrence pour le même type de professionnels peuvent convenir de s’abstenir de recruter ou de débaucher les travailleurs employés par des concurrents (accords dits « de non-débauchage »), limitant ainsi les possibilités de sortie de leurs salariés ou travailleurs indépendants. Par ailleurs, les entreprises concurrentes sur le même marché du travail peuvent convenir d’appliquer une politique de rémunération commune aux salariés ou aux travailleurs indépendants, empêchant ainsi les forces du marché d’accroître les salaires par le jeu de l’offre et de la demande (collusion salariale). Toutefois, la collusion peut être plus subtile : par exemple, les acheteurs peuvent simplement se rencontrer et discuter des politiques de rémunération et d’embauche, passant de facto un accord non formalisé par une convention (US Department of Justice et Federal Trade Commission, 2016[84]). Un accord collusoire ne doit pas nécessairement concerner des concurrents directs sur le marché des produits en aval51, ni avoir une incidence négative sur les prix à la consommation finale52 pour être considéré comme illicite.
Il est difficile de recueillir des statistiques générales sur la collusion, car on ne dispose généralement pas de chiffres sur les comportements illicites qui échappent aux enquêtes. Des données empiriques donnent toutefois à penser que ce phénomène est loin d’être négligeable : Barry Nigro, sous-procureur général adjoint des États-Unis en charge des affaires civiles relevant du droit de la concurrence, a récemment déclaré qu’il trouvait « choquant de constater à quel point les accords entre entreprises pour ne pas solliciter ou embaucher les salariés des unes et des autres étaient devenus fréquents » – cité dans Krotoski et al. (2018[82]).
Seules quelques administrations ont été très actives dans la lutte contre la collusion sur le marché du travail. Un certain nombre d’affaires ont été jugées par les tribunaux et les autorités de la concurrence américaines ces dernières années – voir p. ex. Marinescu et Hovenkamp (à paraître[87]) pour quelques exemples. Dans quelques-unes de ces affaires, les accords illégaux concernaient une collusion en matière de rémunération des travailleurs indépendants ou de salariés relevant de contrats de travail très atypiques53. Des affaires similaires ont été jugées dans d’autres pays, notamment en France, aux Pays-Bas, en Espagne et au Royaume-Uni54. Toutefois, dans la plupart des pays de l’OCDE, les autorités chargées faire respecter la loi et les tribunaux se montrent plutôt moins offensifs dans la lutte contre la collusion sur le marché du travail – voir p. ex. Gurkaynak, Guner et Ozkanli (2013[117]) ; et Blair et Wang (2017[81]). Cette hétérogénéité pourrait être en partie liée à la difficulté inhérente à faire la distinction entre les accords de collusion tacites et la coordination légale entre employeurs dans les pays où la négociation collective est coordonnée ou se déroule au niveau des branches (Gurkaynak, Guner et Ozkanli, 2013[117] ; OCDE, 2017[118] ; 2019[101]).
Il est essentiel de formuler des recommandations explicites en ce qui concerne la collusion sur le marché du travail afin d’orienter et définir les priorités d’action des organismes chargés de faire respecter la loi. De fait, si le nombre d’affaires est plus important aux États-Unis, c’est probablement en raison des directives explicites établies par les autorités de la concurrence de ce pays (US Department of Justice et Federal Trade Commission, 2016[84] ; 2016[119]). Les lignes directrices publiées font explicitement référence à la collusion sur le marché du travail, présentent des exemples clairs de comportements illicites, et soulignent l’importance de lutter contre la collusion afin d’aider « les salariés actuels et potentiels en leur offrant des salaires plus élevés, de meilleurs avantages ou d’autres conditions d’emploi » (US Department of Justice et Federal Trade Commission, 2016, p. 2[84])55. En revanche, dans d’autres pays, les lignes directrices font généralement référence à tout type d’accords de coopération commune, avec des exemples de coopération en matière de production et d’achat de facteurs de production, au risque de diluer l’importance de la lutte contre les accords illicites sur le marché du travail56.
Une protection adéquate des lanceurs d’alerte est également essentielle à l’efficacité de l’action des organismes chargés de faire respecter la loi (Dyck, Morse et Zingales, 2010[85] ; Yeoh, 2014[86]). Étant donné que les informations permettant d’identifier les accords de collusion sont souvent confidentielles et ne peuvent être transmises à ces organismes que par des initiés, une protection des lanceurs d’alerte est nécessaire, en particulier dans le cas des travailleurs indépendants qui ne sont généralement pas couverts par les dispositions de la législation en matière de licenciement relatives à l’alerte professionnelle – voir p. ex. OCDE (2014[7]).
Les organismes chargés de faire respecter la loi devraient également être en mesure de prévoir des sanctions adéquates des comportements illicites. Il ne serait pas possible de dissuader les autres entreprises d’adopter des comportements collusoires à l’avenir si l’on se contentait d’ordonner aux coupables de mettre fin à leurs agissements. Néanmoins, des programmes de clémence adéquats, offrant l’immunité au premier membre de l’entente qui donne l’alerte, peuvent jouer un rôle important – voir p. ex. Luz et Spagnolo (2017[120]).
Les actions privées visant à obtenir réparation devant les tribunaux doivent être considérées comme un complément plutôt qu’un substitut aux actions publiques visant à dissuader les comportements collusoires. Outre les actions répressives des autorités de la concurrence, la plupart des législations de l’OCDE autorisent les actions en dommages-intérêts privées engagées par les victimes de comportements collusoires (Blair et Wang, 2017[81]). Dans la plupart des cas toutefois, les salariés ne disposent pas des ressources ou des incitations nécessaires pour poursuivre les employeurs coupables d’infraction aux règles de la concurrence, car une action de ce type est généralement beaucoup plus coûteuse que les préjudices subis individuellement. En revanche, les actions en réparation des préjudices subis du fait de pratiques anticoncurrentielles d’une entreprise rivale sont généralement engagées par de grandes entreprises, qui réclament alors des dommages-intérêts considérables. Par conséquent, les actions privées en dommages-intérêts à l’encontre d’une comportement collusoire sur le marché du travail devraient plutôt être collectives. Toutefois, dans la plupart des pays, les parties habilitées à engager une action collective privée sont souvent soumises à des critères stricts – par exemple, les associations et les organisations non gouvernementales n’ont généralement pas ce droit, voir p. ex. Haar (2018[121]) et Knable Gotts (2018[122]). Par conséquent, cela peut limiter la capacité des travailleurs indépendants à engager de telles actions en l’absence de syndicats représentatifs (voir également chapitre 5). Les actions collectives peuvent également représenter des coûts et des risques considérables pour les tierces parties à l’initiative de l’action ou les cabinets d’avocat si les autorités de la concurrence n’ont pas sanctionné les infractions déjà commises (Krueger et Posner, 2018[123]). Par conséquent, les actions collectives font généralement suite à une enquête des autorités de la concurrence.
Le développement des algorithmes et de l’intelligence artificielle ouvre la voie à de nouvelles possibilités de collusion, notamment sur le marché du travail. Les entreprises peuvent en effet concevoir indépendamment des algorithmes visant à signaler et coordonner une politique de rémunération commune, surveiller ceux qui ne la respecte pas et user de représailles à leur encontre, sans jamais communiquer explicitement (Capobianco et Gonzaga, 2017[124]). Cela est d’autant plus probable sur les marchés du travail des indépendants et les plateformes de travail. En effet, dans la quasi-totalité des pays, il n’existe aucune prohibition légale d’ajuster à la baisse la rémunération de tâches similaires au fil du temps. Toutefois, il n’est pas certain que les algorithmes aient nécessairement pour effet de faciliter la collusion. Par exemple, si l’utilisation d’algorithmes différents entraîne une asymétrie des coûts entre les entreprises, la collusion pourrait être difficile à maintenir, en raison des difficultés inhérentes à la recherche d’un point de convergence et, par conséquent, des faibles incitations des entreprises les plus efficaces à s’associer à la collusion (OCDE, 2017[125]). En outre, il n’est pas évident de savoir comment adapter la réglementation pour permettre aux organismes chargés de faire respecter la loi de lutter efficacement contre ce type de collusion sans freiner l’innovation et la croissance de l’économie numérique (Capobianco et Gonzaga, 2017[124]). Il convient de poursuivre les recherches dans ce domaine.
Reste à savoir si une clause de non-débauchage entre franchisés ne doit être considérée comme illégale. Krueger et Ashenfelter (2018[83]) estiment que plus de 50 % des grandes sociétés de franchise aux États‑Unis ont recours à des clauses de non-débauchage dans leurs accords de franchise. Les accords de collusion sont généralement définis comme des pactes illicites entre différentes organisations, alors que l’on considère généralement que les franchisés font partie de la même organisation. Pourtant, lorsque plusieurs franchisés sont l’employeur dominant sur un marché du travail, une règle de non-débauchage a des effets anticoncurrentiels clairs sur ce marché (Krueger et Posner, 2018[123]). Plusieurs affaires impliquant des franchisés sont en cours d’examen par les tribunaux américains, mais concernent généralement des situations dans lesquelles les franchisés sont totalement indépendants en termes de décisions de recrutement57.
Clauses de non-concurrence
Les clauses de non-concurrence sont des clauses contractuelles qui empêchent les travailleurs de travailler pour un concurrent après leur départ d’une entreprise (et doivent être distinguées des clauses de cumul d’emplois qui interdisent aux salariés de travailler pour un concurrent pendant toute la durée de leur contrat)58. Parfois, les publications établissent une distinction entre les clauses de « non-concurrence » et les clauses de « dispense de prestation », la différence étant que, dans ce dernier cas, le travailleur est indemnisé après avoir quitté l’employeur pendant toute la période de validité de la clause alors que, dans le premier cas, il ne l’est pas – voir p. ex. Nicandri (2011[126]). Étant donné dans de nombreux pays et États, une clause ne prévoyant aucune indemnisation des travailleurs n’est pas exécutoire – voir p. ex. Meritas (2017[127]), aux fins du présent chapitre, l’expression « clause de non-concurrence » ou « accord de non-concurrence » fait référence aux deux types de clauses.
Dans la plupart des pays, les accords de non-concurrence sont légaux et justifiés par la nécessité de protéger les secrets commerciaux et les investissements spécifiques de l’employeur dans la relation de travail (comme certains types de formation et d’investissement dans le savoir)59. On considère souvent que ces clauses ont un impact positif sur l’innovation, notamment lorsque les entreprises ne peuvent pas protéger leur investissement dans le savoir par des brevets ou d’autres types de contrats. Pourtant, la littérature est loin d’être probante sur la question, en particulier en raison de l’impact éventuel des clauses restrictives sur les externalités de savoir – voir p. ex. Rubin et Shedd (1981[128]) ; Motta et Rønde (2002[129]) ; Younge, Tong et Fleming (2014[130]) ; Rauch (2016[131]) et Wickelgren (2018[132]).
Toutefois, les clauses de non-concurrence peuvent également servir d’instrument juridique pour accroître le pouvoir de monopsone sur le marché du travail. Les données relatives aux litiges donnent à penser que les employeurs peuvent utiliser ces clauses afin de limiter efficacement les possibilités de sortie de leurs travailleurs, par exemple en les empêchant d’accepter des emplois similaires dans des entreprises avec lesquelles ils ne sont pourtant pas en concurrence dans la pratique60. Par conséquent, les clauses de non‑concurrence entraînent généralement une baisse des salaires et de la mobilité professionnelle – voir p. ex. Garmaise (2009[133]) ; Marx, Strumsky et Fleming (2009[134]) ; Marx (2011[135]); Starr, Prescott et Bishara (2016[136]) et Starr (à paraître[137]).
De manière surprenante, des affaires récentes concernent des travailleurs peu qualifiés impliqués dans la production de produits standardisés, comme la fabrication de sandwichs, et ayant peu accès aux connaissances tacites des entreprises61. Plus généralement, les données disponibles montrent que les clauses restrictives de non-concurrence sont omniprésentes dans les emplois peu spécialisés. Par exemple, selon Lipsitz et Johnson (2018[138]), les clauses de non-concurrence sont plus fréquentes chez les coiffeurs rémunérés au salaire minimum que chez ceux qui travaillent pour un salaire plus élevé. Plus frappant encore, Starr, Prescott et Bishara (2018[88]) estiment que près de 30 millions de travailleurs aux États-Unis sont actuellement couverts par des accords de non-concurrence, et que bon nombre de ces accords sont largement imposés à des travailleurs ayant un niveau d’études inférieur au premier cycle de l’enseignement supérieur, un faible revenu ou n’ayant pas accès à des secrets commerciaux. Cela pose d’autant plus de difficultés que les travailleurs peu qualifiés sont généralement plus vulnérables à une situation de monopsone que les travailleurs hautement qualifiés : en particulier, ils ont souvent moins de possibilités de sortie et moins de pouvoir de négociation puisqu’ils ont moins accès aux transports, aux marchés immobiliers bien situés et à des informations sur l’emploi – voir p. ex. Cahuc, Postel‑Vinay et Robin (2006[139]) et Caldwell et Danieli (2018[140]).
Afin de lutter contre les accords de non-concurrence dans les situations où ils ne servent manifestement qu’à réduire la concurrence sur le marché du travail, les gouvernements pourraient envisager de les interdire ou d’établir une présomption réfragable d’utilisation abusive pour certains types de postes, niveaux de rémunération ou exigences de compétences, lorsque leur justification par un motif valable, comme la protection des secrets commerciaux, semble peu plausible. Un certain nombre d’États des États-Unis ont mis en place ou envisagent de mettre en place une législation limitant le recours aux clauses de non-concurrence, en particulier pour les travailleurs à bas salaires. Par exemple, le Massachusetts a adopté une disposition de ce type pour toutes les conventions signées après octobre 2018 et concernant des salariés à bas revenu ou des emplois peu qualifiés, à quelques exceptions près62. Des dispositions similaires existent dans trois législations européennes (Autriche, Belgique et Luxembourg), où les clauses de non-concurrence sont interdites lorsque le salaire est inférieur à un seuil déterminé proche du salaire médian des salariés à temps plein, voire supérieur63. De même, au Royaume-Uni, la Small Business, Enterprise and Employment Act de 2015, en frappant d’illégalité les clauses d’exclusivité dans les contrats zéro heure, a semble-t-il entraîné l’interdiction des clauses restreignant les perspectives d’emploi futur dans ces contrats64. Toutefois, dans la plupart des pays et des États, bien que le champ d’application des clauses restrictives soit souvent restreint, notamment en termes de durée de validité et d’indemnisation des travailleurs pendant la période qui suit la séparation, une présomption (réfragable ou non) d’utilisation abusive n’est pas établie en fonction du type de poste, du niveau de rémunération ou des compétences requises pour le poste. Au lieu de cela, les tribunaux évaluent généralement le caractère raisonnable des accords de non-concurrence au cas par cas (Meritas, 2017[127]). En outre, les réglementations limitant l’applicabilité des clauses de non-concurrence ne concernent la plupart du temps que les relations de travail et ne concernent aucun type de contrat de services65.
Les actions privées engagées par les travailleurs eux-mêmes sont rares et peu dissuasives. Même lorsque les clauses restrictives sont inapplicables ou illégales en vertu de la loi ou de la jurisprudence, elles peuvent quand même être incluses dans les contrats d’emploi ou de services afin de faire pression sur les travailleurs non informés. De fait, les actions privées coûteuses pour les travailleurs donneraient lieu le plus souvent à une simple renonciation aux clauses illégales, et n’apporteraient rien de plus aux plaignants (Krueger et Posner, 2018[123]). Par conséquent, les actions privées sont généralement intentées par l’employeur dans le but de faire respecter une clause restrictive, plutôt que par les salariés dans le but de la faire supprimer. En outre, dans la plupart des cas, les travailleurs sont susceptibles de respecter ces clauses en renonçant à chercher certains emplois sans recourir à un avocat ou contester la clause devant les tribunaux. Par exemple, 19 % des salariés en Californie et dans le Dakota du Nord déclarent avoir signé une clause de non-concurrence, bien que ces clauses ne soient pas légalement exécutoires dans ces États (Prescott, Bishara et Starr, 2016[141]), ce qui donne à penser que les employeurs considèrent qu’elles ont un effet dissuasif sur la mobilité malgré leur caractère non exécutoire66. Les informations et conseil publics définissant, en termes simples, les conditions dans lesquelles une clause de non-concurrence est exécutoire et légale, peuvent partiellement pallier ce problème67.
Les gouvernements pourraient également envisager d’interdire le « blue-pencilling » – c’est-à-dire les situations dans lesquelles les tribunaux ont la possibilité de reformuler des obligations non motivées afin de les rendre exécutoires. Lorsque la législation autorise le « blue pencilling », les travailleurs n’ont pas la garantie que les clauses restrictives seront annulées en cas de litige, même lorsque ces clauses sont manifestement inapplicables sous leur forme actuelle. Dans de tels cas, les employeurs n’auraient plus qu’à insérer des clauses de non-concurrence excessives et de portée générale dans leurs contrats de travail afin de faire pression sur les salariés, et revenir ensuite à une interprétation plus étroite et plus raisonnable en cas de litige. Par exemple, une clause pourrait stipuler que le travailleur ne peut accepter un autre emploi dans une liste déraisonnablement longue de pays ou de régions, et le tribunal pourrait simplement en supprimer quelques-uns (ou demander à l’entreprise d’en supprimer quelques-uns) de la convention pour rendre la clause exécutoire68. Pour cette raison, le « blue pencilling » a été rejeté par les tribunaux de quelques juridictions, comme le Nebraska, le Vermont, la Virginie et le Wisconsin (Rosenthal, 2018[142]) et plus récemment, le Royaume-Uni69. Pourtant, c’est une pratique acceptable dans de nombreux autres pays, y compris un certain nombre de pays européens – voir p. ex. Adler (2006[143]).
Dans la mesure où les actions en justice privées ne semblent pas exercer un effet suffisamment dissuasif contre les clauses de non-concurrence abusives visant à restreindre la mobilité sur le marché du travail, les pouvoirs publics et les autorités chargées de faire respecter la loi devraient jouer un rôle de premier plan dans ce domaine. Par exemple, les procureurs généraux des États de New York et de l’Illinois ont récemment enquêté très activement sur les clauses restrictives déraisonnablement larges ou illégales, parvenant souvent à des ententes prévoyant des sanctions importantes avec les entreprises contrevenantes70. Dans tous les cas, pour être efficaces, les organismes chargés de faire respecter la loi, y compris les inspections du travail, devraient avoir la possibilité de prononcer des sanctions ou de porter l’affaire devant les tribunaux. En particulier, des sanctions administratives pourraient être envisagées en cas d’insertion de clauses de non-concurrence dans un contrat de travail pour un type d’emploi pour lequel elles sont explicitement interdites – par exemple pour les travailleurs et les entrepreneurs indépendants dont la rémunération est inférieure au seuil d’opposabilité dans les pays pour lesquels ce seuil est fixé par la loi (voir plus haut).
Fusions et pratiques anti-concurrentielles
Les fusions peuvent également avoir pour effet d’accroître le puissance d’achat des employeurs sur le marché du travail. De fait, si les entreprises parties à une fusion devaient s’allier pour devenir l’acheteur dominant sur le marché du travail, l’entité issue de la concentration utiliserait probablement sa puissance d’achat pour réduire les quantités et les prix sur ce marché, augmentant ainsi ses bénéfices. Pour que cela se produise, les parties à la fusion n’ont pas besoin de se faire concurrence sur le même marché de produits en aval. Par exemple, dans le cas extrême où les acheteurs locaux de facteurs de production parties à une fusion vendent leurs produits sur des marchés parfaitement concurrentiels, comme les marchés de biens homogènes pouvant faire l’objet d’échanges internationaux, où les prix sont fixés par l’offre et la demande mondiales (comme les marchés des matières premières), la fusion n’affecterait pas les prix en aval. Or, dans ce cas, la fusion peut entraîner d’importantes pertes de bien-être en raison de son incidence sur le marché des facteurs de production – voir p. ex. Dobson et Inderst (2007[144]) et Marinescu et Hovenkamp (à paraître[87]).
De manière plus générale, toutefois, l’entité issue de la fusion pourrait éventuellement répercuter une partie de la baisse du prix des facteurs sur les prix à la production en aval. La fusion profiterait ainsi aux consommateurs finaux, ce qui signifie que le gain de bien-être sur le marché des produits pourrait compenser la perte de bien-être sur le marché des moyens de production. Toutefois, la répercussion réelle de la réduction des prix des facteurs sur les prix à la production en aval dépendra d’un certain nombre de facteurs, notamment le degré de concurrence sur les marchés des produits, le degré de pouvoir de négociation des fournisseurs de facteurs de production et les options de sortie qui s’offrent à eux – voir p. ex. Inderst et Shaffer (2008[145]) et Carlton, Israel et Coleman (2014[146]). En particulier, il est indispensable que les travailleurs disposent d’un pouvoir de négociation ou de bonnes options de sortie pour que toute réduction des salaires se répercute sur les prix à la production en aval. Néanmoins, en l’absence de négociation collective, il est peu probable que ces conditions se maintiennent sur la plupart des marchés du travail71, du fait que les travailleurs ont des contraintes de capacité – ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas prolonger indéfiniment leur temps de travail – et sont fortement dépendants financièrement de leur employeur – voir p. ex. Inderst et Shaffer (2008[145]) et Naidu, Posner et Weyl (à paraître[78]).
Dans de nombreuses juridictions, les lignes directrices à l’intention des autorités de la concurrence font preuve de prudence lorsqu’elles examinent les effets des fusions sur les marchés de facteurs de production en fonction de leurs éventuels effets sur les prix et les volumes sur ces marchés, même lorsque les effets probables sur les marchés de produits en aval sont mineurs ou absents. Par exemple, les lignes directrices de l’UE donnent à penser que l’évaluation d’une fusion par les autorités de la concurrence doit se fonder sur ses éventuels effets sur le marché de produits finaux – voir p. ex. Commission européenne (2004[147]). Dans d’autres pays, les lignes directrices relatives aux fusions sont plus explicites quant au fait que les fusions entre les acheteurs de facteurs de production devraient être évaluées principalement en examinant leur impact sur le marché des facteurs concerné. Par exemple, les lignes directrices américaines relatives aux concentrations horizontales indiquent explicitement que les organismes d’application ne devraient pas « évaluer strictement, ni même principalement les effets des fusions sur la concurrence entre les acheteurs en fonction des effets sur les marchés en aval sur lesquels les parties à la fusion vendent leur production » (US Department of Justice et Federal Trade Commission, 2010, p. 33[106]). Les autorités de contrôle et les tribunaux américains ont appliqué ce principe dans quelques enquêtes portant sur des fusions d’acheteurs de produits agricoles72, mais les cas de fusions ayant des effets de monopsone présumés sur le marché du travail ont rarement été examinés – voir p. ex. Hovenkamp (à paraître[148]) et Naidu, Posner et Weyl (à paraître[78])73.
L’une des difficultés de l’évaluation de l’impact des fusions sur le pouvoir de l’acheteur sur le marché du travail tient au manque d’outils spécifiques d’analyse de la concurrence sur le marché du travail, et, en particulier, à la délicate identification du marché concerné. En revanche, de nombreux outils sont disponibles pour analyser la concurrence sur des marchés de produits spécifiques. Bien que des publications récentes proposent quelques méthodes pratiques – voir p. ex. Naidu, Posner et Weyl (à paraître[78]), il serait souhaitable que les gouvernements et les autorités chargées de faire respecter la loi approfondissent les recherches dans ce domaine et investissent davantage dans le l’élaboration d’outils adéquats.
L’évaluation de l’impact des fusions sur le pouvoir de monopsone sur le marché du travail pose une autre difficulté : l’évaluation de leurs effets sur les marchés en aval lorsque les parties à la fusion ne sont pas des concurrents directs sur ces marchés – voir p. ex. Marinescu et Hovenkamp (à paraître[87]) pour quelques exemples hypothétiques. Certains spécialistes laissent entendre qu’une fusion augmentant la concentration sur le marché du travail est susceptible de nuire au consommateur final, même si la concentration sur les marchés en aval ne dépasse pas le seuil à partir duquel des effets anticoncurrentiels sont visibles, bien que l’ampleur de l’effet soit difficilement identifiable. C’est pourquoi Krueger et Posner (2018[123]) proposent d’introduire dans la législation une présomption réfragable d’effets anticoncurrentiels sur le bien-être des consommateurs lorsqu’une fusion accroît la concentration sur le marché du travail au-delà d’un certain seuil. Un débat connexe – plus philosophique mais lourd de conséquences – porte sur la question de savoir s’il faudrait également inclure le bien-être des travailleurs dans la définition du « bien-être des consommateurs » (qui guide généralement les autorités de la concurrence) et, si la réponse est négative, dans quelle mesure les autorités chargées de faire respecter la loi devraient également prendre en compte des pertes de bien-être autres que celles qui concernent le consommateur final – voir p. ex. Bork (1993[149]) ; Schwartz (2004[150]) ; Werden (2007[151]) ; Salop (2010[152]) ; Jacobson (2013[153]) ; Sims (2018[154]) ; Chopra (2018[155]) et Hovenkamp (à paraître[148])74.
Enfin, il pourrait être plus difficile de s’attaquer efficacement à d’autres types de comportements de monopsone sur le marché du travail, comme la fixation de prix d’éviction75, notamment si les tribunaux et les autorités chargées de faire respecter la loi adoptent des comportements prudents pour éviter une dissuasion excessive, c’est-à-dire une dissuasion inefficace des comportements dont les effets anticoncurrentiels sont compensés par des gains d’efficience. Dans ce cas, les autorités de la concurrence et les tribunaux peuvent appliquer des critères très stricts qui peuvent s’avérer inefficaces en présence d’une situation de monopsone sur le marché en amont et d’un oligopole sur le marché en aval. Par exemple, si une entreprise prédatrice sur le marché des facteurs de production possède un pouvoir monopolistique sur le marché des produits, elle peut être en mesure de vendre sa production à un prix supérieur à ses coûts, même si ces coûts sont supérieurs à sa recette marginale sur le marché des facteurs de production sur lequel elle fixe des prix d’éviction. Dans ce cas, les gains de l’entreprise baissent temporairement, mais elle n’enregistre aucune perte. Le fait que des pertes temporaires soient nécessaires pour prouver la fixation de prix d’éviction76 risque de nuire à l’identification des cas les plus importants – voir p. ex. Harrison (2012[156]). Des recherches plus approfondies sont nécessaires dans ce domaine.
Asymétries d’information
Si les travailleurs ont généralement un faible pouvoir de négociation et peu d’options de sortie, c’est notamment parce qu’ils sont beaucoup moins informés que les employeurs. Les travailleurs n’ont souvent qu’une vague idée de leurs droits, et ne savent pas avec certitude ce qu’ils peuvent légitimement demander, en particulier lorsqu’ils relèvent d’un contrat atypique sur lequel les informations sont moins nombreuses. Par exemple, lorsqu’ils signent un contrat (ou qu’ils acceptent les conditions générales), les travailleurs ne comprennent pas toujours pleinement les contraintes auxquelles ils s’exposent (ou les droits auxquels ils renoncent). Même après avoir signé un contrat ou accepté une offre d’emploi, et donc dans certains cas après avoir refusé d’autres offres, les travailleurs peuvent être poussés à signer des clauses leur accordant des obligations spécifiques sans comprendre clairement leurs implications. Par exemple, sur la base d’une enquête menée auprès d’un millier d’ingénieurs américains, Marx (2011[135]) constate que plus de deux tiers de ceux ayant signé une clause de non-concurrence ont été invités à le faire seulement après avoir accepté l’offre d’emploi, et parfois après avoir commencé à travailler.
La réglementation pourrait donc faire en sorte que l’ensemble des parties contractantes soient parfaitement informées de leurs droits et responsabilités. Au Royaume-Uni, la réponse du gouvernement à l’étude Taylor (« Good Work ») (BEIS, 2017[44]) inclut des projets visant à garantir que tous les travailleurs reçoivent dès le premier jour des informations sur leur relation de travail et sur les droits dont ils disposent (OCDE, 2019[2]). Dans le même ordre d’idées, une proposition de règlement actuellement en discussion au Parlement européen prévoit que les conditions d’utilisation des services d’intermédiation doivent être rédigées dans un langage clair et non équivoque, facilement compréhensible par un utilisateur moyen (Commission européenne, 2018[67]). De même, dans l’Oregon, la réglementation dispose que les clauses de non-concurrence doivent clairement exposées avant de négocier la rémunération, afin que le renoncement à de futures possibilités d’emploi puisse être négocié contre rémunération (Marx et Fleming, 2012[157]). Et la Fair Work Week Act récemment adoptée par le même État dispose que les grandes entreprises de certains secteurs (commerce de détail, alimentation et hôtellerie) doivent fournir par écrit à tout nouveau salarié au moment de l’embauche une estimation honnête de son emploi du temps. Plus généralement, certains spécialistes ont suggéré que les gouvernements investissent dans un service dédié aux travailleurs indépendants, et en particulier à ceux qui vivent de petits boulots, qui leur donnerait des conseils et des avis généraux sur leurs droits en matière d’emploi (Balaram, Warden et Wallace-Stephens, 2017[89]).
Le manque de transparence des salaires peut également accroître le pouvoir de monopsone. Le déficit d’information sur les autres possibilités d’emploi réduit la capacité des travailleurs à changer d’emploi ou à tirer parti des options de sortie pour négocier des salaires plus élevés (et de meilleures conditions de travail) – voir p. ex. Harris (2018[90]). Les technologies numériques sont susceptibles d’améliorer ce type d’asymétrie de l’information, car les travailleurs peuvent accéder à un grand nombre d’offres d’emploi et les comparer, ce qui réduit les coûts de recherche. Pourtant, sur de nombreuses plateformes, les travailleurs disposent de peu d’outils pour rechercher d’autres d’emplois, et doivent consacrer beaucoup de temps à cette recherche (Kingsley, Gray et Suri, 2015[52] ; Berg et al., 2018[62]).
Pour améliorer la transparence des salaires dans l’économie des plateformes, les employeurs et les plateformes pourraient être tenus de publier des informations sur la rémunération moyenne de chaque tâche, ainsi que sur le temps moyen nécessaire pour accomplir une tâche (ce qui aiderait les travailleurs à prendre des décisions plus éclairées quant aux tâches à accepter)77. En outre, des outils pourraient être conçus pour aider les travailleurs à trouver des demandeurs qui paient bien et à éviter les mauvais payeurs. Toutefois, tout est une question de détails : publier des informations sur les politiques salariales sans les rendre facilement accessibles aux travailleurs pourrait faciliter la collusion entre les demandeurs, même en l’absence d’entente explicite entre eux (voir plus haut dans cette section). Dans la pratique, certains sites web et communautés en ligne ont déjà vu le jour afin d’aider les travailleurs à se mettre en relation avec les bons payeurs. Par exemple, les réseaux sociaux Turkopticon et TurkerView permettent aux « Turkers » (travailleurs participatifs proposant leurs services sur le Turc mécanique d’Amazon) de s’informer et de partager leurs expériences avec leurs employeurs (Irani et Silberman, 2013[158]).
Une problématique spécifique en lien avec l’intermédiation numérique concerne les informations que les plateformes recueillent sur les travailleurs. Par exemple, la plupart des plateformes disposent d’un système de notation des travailleurs, qui évalue leurs antécédents et qui est censé améliorer la qualité du service pour le demandeur. Toutefois, les algorithmes de notation, qui sont basés sur les données fournies par les demandeurs ou sur d’autres paramètres de productivité (comme les taux d’acceptation des tâches et les délais moyens de livraison), manquent souvent de transparence (Rosenblat et Stark, 2016[91]) et les travailleurs ne disposent parfois d’aucune information claire sur la manière d’améliorer leur note (Berg et al., 2018[62]). En outre, certaines plateformes ne permettent pas aux travailleurs d’évaluer les demandeurs et/ou de demander la raison d’une mauvaise évaluation. Cette asymétrie d’information permet aux demandeurs ou aux plateformes d’écarter certains travailleurs de certaines tâches, en fonction de leur note, alors que les travailleurs n’ont pas la possibilité d’identifier et de refuser les tâches proposées par les mauvais demandeurs qui ne paient généralement pas régulièrement ou ont coutume d’évaluer négativement les travailleurs, ce qui entraîne une baisse de rémunération moyenne et accroît le stress des travailleurs (Kingsley, Gray et Suri, 2015[52]). Même si les travailleurs ont récemment mis sur pied certaines initiatives collectives comme Turkopticon ou FairCrowdWork.org, qui visent notamment à remédier à ce problème, on pourrait envisager de réglementer le système de notation en imposant une symétrie des notations (politiques dites « five-for-five », en vertu desquelles travailleurs et employeurs se notent mutuellement sur la même échelle) et la transparence des algorithmes sur les plateformes.
Les informations accumulées par les plateformes pourraient également donner lieu à des pratiques d’exclusion illicites au regard du droit de la concurrence ou de la loi antidiscrimination. Par exemple, alors que les travailleurs indépendants devraient pouvoir travailler pour différentes plateformes, ces dernières, par le biais d’une surveillance numérique des travailleurs, peuvent sanctionner ceux qui travaillent également pour un concurrent, ou bien entreprendre de fixer des prix d’éviction en proposant à ces travailleurs des honoraires ou des rémunérations différents, ce qui peut avoir pour effet d’exclure les concurrents du marché du travail – voir p. ex. OCDE (2018[159]). Étant donné que les algorithmes de rémunération, de notation et de répartition des tâches ne sont pas transparents, ces comportements illicites pourraient être extrêmement difficiles à identifier par les autorités chargées de faire appliquer la loi (Herrera Anchustegui et Nowag, 2017[160]).
Notes
← 1. Ils ont également accès à des programmes de formation, à la liberté d’association et à la négociation collective.
← 2. Un guide similaire à visée fiscale est disponible sur le site Web de l’Internal Revenue Service des États‑Unis (Internal Revenue Service, 2005[10]).
← 3. Certains pays, comme la France (présomption de salariat) et les Pays-Bas, présument l’existence un contrat de travail lorsqu’un certain nombre de critères sont remplis. Aux Pays-Bas, par exemple, si un travailleur a travaillé régulièrement pour son employeur pendant trois mois (ou au moins 20 heures par mois), on présume automatiquement de l’existence d’un contrat de travail (Davidov, Freedland et Countouris, 2015[9]). En Belgique, il existe une présomption de contrat de travail (sous réserve de certains critères) dans certains secteurs « à risque » comme l’entretien/la sécurité, le bâtiment, les transports, le nettoyage, l’agriculture et l’horticulture. En Ontario (Canada), la Loi sur les normes d’emploi a été modifiée en 2017 pour transférer la charge de la preuve à l’employeur dans les cas où un travailleur indépendant prétend être salarié. Voir également l’annexe en ligne d’OCDE (2014[7]) pour d’autres exemples de présomption de relation de travail.
← 4. Au Royaume-Uni, par exemple, l’instauration en juillet 2013 de frais d’ouverture et d’audience d’un montant de 1 200 GBP en cas de saisie du tribunal du travail a entraîné une baisse de plus de 70 % du nombre de plaintes, ce qui a affecté de manière disproportionnée la partie inférieure de la distribution des plaintes (Adams et Prassl, 2018[182]).
← 5. Le Portugal a mis en place une nouvelle procédure judiciaire simplifiée pour endiguer la croissance du faux travail indépendant dans le cadre de réformes menées en 2013 et 2017. Elle permet aux travailleurs d’obtenir plus rapidement une décision de justice reconnaissant l’existence d’une relation de travail.
← 6. Epic Systems Corp. v. Lewis, 138 S. Ct. 1612 (2018).
← 7. Cela dit, la pratique des juges varie selon les pays et les périodes. Dans certains pays, par exemple, les tribunaux prêtent généralement davantage attention au contenu du contrat de travail (Davidov, Freedland et Countouris, 2015[9]).
← 8. En général, les différences entre les pays sont principalement imputables à des différences de pratique plutôt qu’à des différences théoriques (Davidov, Freedland et Countouris, 2015[9]).
← 9. Dans la plupart des cas, la décision d’un tribunal ne s’appliquera qu’au plaignant. Dans une certaine mesure, cela aura un effet dissuasif sur les entreprises, car cela est susceptible de créer un précédent qui aura un impact sur les affaires similaires à venir. Toutefois, cet effet dissuasif risque de rester limité si la décision de justice ne s’applique qu’aux quelques travailleurs qui ont porté l’affaire en justice en premier lieu (surtout parce que bon nombre de ces affaires sont réglées à l’amiable). L’effet dissuasif serait beaucoup plus important si, une fois une affaire tranchée, les personnes se trouvant dans la même situation pouvaient présenter une demande d’indemnisation qui s’appliquerait automatiquement.
← 10. Une stratégie complémentaire consiste à inciter les employeurs ayant répertorié les travailleurs dans la mauvaise catégorie à se signaler à l’administration en contrepartie d’un allégement partiel des pénalités. Aux États-Unis, par exemple, le Voluntary Classification Settlement Program (VCSP) accorde un allégement partiel non négligeable de l’impôt fédéral lié à l’emploi aux contribuables admissibles qui acceptent de reclasser prospectivement des travailleurs comme salariés. En contrepartie, l’employeur paie 10 % de l’impôt lié à l’emploi qui aurait été exigible si ces travailleurs avaient été répertoriés comme salariés au cours de l’année la plus récente. En outre, l’employeur n’est pas redevable d’intérêts et de pénalités sur l’impôt exigible, et n’est pas soumis à un audit fiscal eu égard à la classification des travailleurs au cours des années précédentes (Internal Revenue Service, 2012[170]).
← 11. Dans le cas présent, il est possible que les enjeux aillent bien au-delà du faux travail indépendant. Lorsque les incitations sont si fortes qu’elles conduisent à un niveau « élevé et inefficient » de travail indépendant, cela peut aboutir à une mauvaise affectation des ressources de main-d’œuvre, ainsi qu’à une dégradation des systèmes de protection sociale (en particulier lorsque les individus à faible risque choisissent de devenir indépendants et sont autorisés à se soustraire à certains volets du système de protection sociale, ce qui ne laisse que les « mauvais risques » et entraîne une dépendance accrue à l’aide sociale ; voir également chapitre 7). En outre, dans la mesure où les travailleurs indépendants se forment moins, des niveaux très élevés de travail indépendant peuvent freiner la productivité.
← 12. Toutefois, ces annulations sont problématiques car elles font attendre de nouvelles amnisties et peuvent donc encourager de futures irrégularités, sauf si elles s’accompagnent d’un véritable changement législatif qui fait reculer plus durablement les ententes fictives.
← 13. Voir p. ex. Berwick v. Uber Technologies, Inc., CGC‑15‑546378, Cotter v. Lyft, Inc., Dkt. no 94, 60 F. Supp. 3d 1067 (N.D. Cal. 2015) ; Dynamex Operations West, Inc. v. Superior Court, 4 Cal.5th 903 (2018) ; O’Connor v. Uber Technologies Inc., affaire no 14‑16078 (9th Cir. 2018) ; Uber B.V. & Ors v Aslam & Ors UKEAT/0056/17/DA ; Kaseris v Rasier Pacific V.O.F [2017] FWC 6610 ; ou Cass. soc., 28 novembre 2018, n° 17‑20.079.
← 14. Cotter v. Lyft, Inc., Dkt. no 94, 60 F. Supp. 3d 1067 (N.D. Cal. 2015).
← 15. NLRB v. Hearst Publ’ns, Inc., 322 U.S. 111, 121 (1944).
← 16. L’employeur rédige généralement le contrat et peut s’en servir pour refuser des droits à des personnes qui seraient sinon salariées (Davies, 2009[176]).
← 17. Si les pays appliquent plusieurs critères et/ou définitions de l’emploi, qui varient selon le domaine juridique/d’action (travail, fiscalité, protection sociale), il peut être intéressant de les harmoniser afin d’éviter toute confusion. Des différences mêmes minimes entre les critères peuvent engendrer des résultats très différents (Rubinstein, 2012[20]). Par exemple, aux États-Unis, les critères de définition du statut de salarié vont du critère le plus général (« suffer or permit ») au critère le plus étroit du common law, en passant par le critère hybride et le critère « ABC » (Waas et al., 2017[6]).
← 18. Comme instauré par la loi 92/2012.
← 19. Pendant un certain temps, l’Allemagne a également instauré une définition du salarié à l’usage de la sécurité sociale. Cette définition était fondée sur quatre critères. Si ces quatre critères étaient remplis, la personne était considérée comme un travailleur salarié ; si aucun critère n’était rempli, la personne était considérée comme un travailleur indépendant ; et si deux critères sur quatre était remplis, la personne était présumée salariée à des fins de protection sociale (Wank, 1999[161]).
← 20. Lord Wedderburn a utilisé l’expression « elephant test » pour qualifier les critères utilisés par les tribunaux pour identifier les salariés – « un animal trop difficile à définir mais facile à reconnaître quand on le voit » (Davidov, 2002[177]).
← 21. Le fait de laisser aux tribunaux une certaine latitude pour apprécier les relations d’emploi risque d’aboutir à des résultats qui ne conviendront pas forcément au législateur. Un exemple historique intéressant est la loi Taft-Hartley de 1947, adoptée par les parlementaires aux États-Unis en réaction à une série de jugements rendus par la Cour suprême entre 1944 et 1947, qui ont instauré un critère de réalité économique de la dépendance à la place du common law agency test (fondé sur le droit de contrôle) pour établir le statut de salarié (Davidov, Freedland et Countouris, 2015[9]). Ainsi, le nombre de travailleurs répertoriés dans la catégorie des salariés était très supérieur à ce que souhaitait le Congrès, et la définition du salarié inscrite dans la National Labour Relations Act a été modifiée par la suite pour exclure explicitement les travailleurs indépendants.
← 22. McKee v. Reid’s Heritage Homes Ltd., (2009) ONCA 916.
← 23. Soit 2.2 % de l’emploi total.
← 24. Jugement du 28 octobre 2010, Aslam v. Uber, London Employment Tribunal: 2202550/2015, paragraphe 97.
← 25. Contrat de collaboration coordonnée et continue (collaborazioni coordinate e continuative – co.co.co.) ; et contrat de collaboration à projet (contratto di collaborazione a progetto – co.co.pro., supprimé en janvier 2016).
← 26. Dans la pratique, cela reviendrait à définir la troisième catégorie de travailleurs comme une « catégorie résiduelle » regroupant les cas pour lesquels les critères relatifs ne permettent pas de tirer des conclusions claires concernant le statut d’emploi.
← 27. Une autre approche plus radicale a été proposée, mais elle se heurterait probablement à de plus grandes difficultés dans la pratique. L’idée consiste à ne plus rattacher la protection du travail au statut d’emploi, mais d’en faire bénéficier toute personne exécutant un travail (Freedland et Kountouris, 2011[175] ; Johnstone et al., 2012[169] ; Stewart et Stanford, 2017[162] ; Linder, 1999[22]).
← 28. Voir Dynamex Operations West, Inc. v. Superior Court, 4 Cal.5th 903 (2018), dans laquelle la Cour a établi que les chauffeurs-livreurs doivent être considérés comme des salariés si au moins l’un des critères ABC n’est pas rempli, ce qui va à l’encontre de l’approche standard du common law.
← 29. NJA 1996 s 311.
← 30. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas proposent deux variantes intéressantes. Au Royaume-Uni, le salaire minimum national offre déjà une certaine marge de manœuvre afin de permettre aux travailleurs plus lents de percevoir une « juste rémunération ». Les employeurs sont tenus de surveiller le nombre moyen de tâches effectuées/pièces produites par heure de travail, et de le diviser par 1.2. Le taux minimum de salaire horaire doit ensuite être divisé par ce nombre afin d’estimer le juste taux de rémunération pour chaque tâche accomplie. Aux Pays-Bas, lorsque le travail est difficile à superviser et que les salariés jouissent d’une certaine liberté dans l’organisation de leur travail, les employeurs peuvent demander à être exemptés de la loi sur la rémunération à la pièce, et payer à la place un forfait déterminé au niveau sectoriel.
← 31. Une solution consisterait à rendre toutes les parties conjointement et solidairement responsables de la garantie d’un salaire équitable au travailleur. Par exemple, aux Pays-Bas, la loi contre les formes d’emploi fictives (Wet aanpak schijnconstructies) est entrée en vigueur en janvier 2016. Cette loi dispose qu’en cas de pluralité de clients/donneurs d’ordre, l’ensemble de la chaîne est tenu de verser le salaire convenu (responsabilité de la chaîne d’approvisionnement).
← 32. Il s’agit d’un domaine où les progrès technologiques et la montée en puissance de l’économie des plateformes pourraient potentiellement apporter une solution, puisqu’ils offrent des possibilités sans précédent de collecter des données qui, à leur tour, pourraient être utilisées pour calculer la productivité moyenne. Cela permettrait de surmonter certaines des difficultés habituellement posées par la rémunération à la pièce.
← 33. Par exemple, faudrait-il rémunérer les travailleurs de plateforme en fonction de la durée pendant laquelle l’application reste ouverte et/ou pour le temps qu’ils passent à attendre/chercher des missions ? Bien que la réponse dépende probablement du type de travail concerné, elle est vraisemblablement négative – sinon, les travailleurs n’auraient qu’à se connecter à plusieurs plateformes en même temps et à se faire rémunérer leur temps d’attente sur chacune d’entre elles. Le salaire horaire des travailleurs de plateforme dépend également de la prise en compte ou non du temps consacré à des tâches rejetées par la suite (Hara et al., 2017[172]). Sur un marché qui fonctionne bien, ce temps serait pris en compte dans les tarifs des travailleurs vivant de micro-tâches et des indépendants, de sorte que les employeurs devraient probablement en tenir compte également dans le calcul des taux minimums de rémunération à la pièce. De même, les dépenses effectuées par les travailleurs de plateforme dans le cadre de micro-tâches devraient être indemnisées.
← 34. En Pologne, les parties à un contrat entrant dans le champ d’application de la nouvelle loi relative au salaire minimum peuvent convenir de la méthode de calcul du nombre d’heures travaillées par le prestataire de services. Si elles ne le font pas, c’est au prestataire d’indiquer le nombre d’heures travaillées. Toutefois, cette règle ne s’applique pas aux prestataires ayant le statut d’intérimaires, auquel cas le nombre d’heures travaillées est déterminé par l’entreprise utilisatrice.
← 35. Dans certains cas, lorsqu’il existe un risque spécifique de blessure pour le travailleur ou d’autres personnes, la réglementation du temps de travail a déjà été étendue aux travailleurs indépendants. Par exemple, conformément à la directive communautaire relative aux transports routiers, les chauffeurs indépendants sont soumis à la semaine moyenne de travail de 48 heures et à d’autres dispositions de la réglementation du temps de travail.
← 36. Ces conditions sont censées régir des questions comme les modalités de paiement des travailleurs participatifs, les modalités d’évaluation de leur travail et les recours dont ils disposent (ou pas) lorsque la situation se dégrade.
← 37. Cette asymétrie du contrôle de la relation peut à son tour renforcer le pouvoir de monopsone de la plateforme ou des demandeurs (voir section suivante).
← 38. C’est une pratique courante en cas de licenciement d’un salarié dans de nombreux pays – voir p. ex. OCDE (2013[61]).
← 39. O’Connor v. Uber Technologies, Inc.
← 40. Un arbitrage formel n’est pas nécessairement plus court et moins coûteux qu’une procédure judiciaire.
← 41. Voir p. ex. In re National Arbitration Forum Trade Practices Litig, 704 F. Supp. 2d 832 (D. Minn. 2010). Voir également Virtualpoint Inc. v. Poarch Band of Creek Indians, C.D. Cal., no 8:15-cv-02025, (2016).
← 42. Le bureau du médiateur est un comité composé de cinq personnes – un travailleur, un représentant syndical, un salarié de la plateforme, un représentant de l’Association du crowdsourcing et un président neutre – et règle les différends par consensus.
← 43. En outre, reste à savoir comment évaluer les effets sur les marchés du travail et des produits en aval, lorsqu’ils sont de signe opposé – voir l’analyse à l’annexe 4.A.
← 44. Ce fait n’est pas nouveau, ni propre aux plateformes. Il concerne en principe toute relation triangulaire entre un client, un intermédiaire et un entrepreneur indépendant, lorsque l’intermédiaire ne s’engage pas à maintenir les mêmes conditions de service, mais que le client et le travailleur indépendant s’engagent à ne pas entretenir de relation directe.
← 45. Lorsqu’il existe une relation de travail, l’article 6 de la Convention de Rome de 1980 permet aux parties de choisir la loi applicable et, à défaut d’un tel choix, « le contrat de travail est régi par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail […] ou si le travailleur n'accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, par la loi du pays où se trouve l'établissement qui a embauché le travailleur. »
← 47. Selon la plupart des études, les élasticités résiduelles de l’offre de main-d’œuvre sont généralement comprises entre 0.5 et 5 pour les salariés – voir p. ex. Sokolova et Sorensen (2018[77]) et Naidu, Posner et Weyl (à paraître[78]).
← 48. En revanche, sur un marché concurrentiel, l’élasticité résiduelle de l’offre de main-d’œuvre devrait être proche de l’infini.
← 49. Azar et al. (2018[74]) constatent que le niveau moyen de concentration (l’indice de Herfindahl-Hirschman) d’un marché défini par une zone d’emploi et une profession de niveau SOC‑6 pour un trimestre donné atteint 3953. Ce chiffre est nettement supérieur au seuil de 2500 faisant craindre un manque de concurrence selon les Horizontal Merger Guidelines des autorités de la concurrence américaines – département de la Justice, division de la concurrence, et Federal Trade Commission (US Department of Justice et Federal Trade Commission, 2010[106]). Certains spécialistes avancent même qu’en raison de frictions de recherche, en l’absence de pouvoir de négociation des travailleurs, le pouvoir de l’acheteur a, par rapport au pouvoir de marché des produits, des effets négatifs sur le bien-être à des niveaux de concentration inférieurs – voir p. ex. Carstensen (2012[179]), mais cette position est loin de faire consensus dans les études – voir p. ex. Schwartz (2004[150]).
← 50. Sur l’évolution des marges bénéficiaires, voir également Calligaris, Criscuolo et Marcolin (2018[180]).
← 51. Voir p. ex. California v. eBay, Inc., case No. 5:12cv05874, Document 85 (N.D. Cal. 2015) concernant un accord à l’amiable entre des cadres supérieurs de deux sociétés spécialisées dans des marchés différents (logiciels de comptabilité et de préparation fiscale et enchères en ligne), mais en concurrence pour la même main-d’œuvre.
← 52. Par exemple, la Cour de justice des Communautés européennes a condamné un accord de fixation des salaires passé par des opérateurs de télécommunications néerlandais, tout en soulignant l’absence de preuve d’un préjudice pour le consommateur final : « pour conclure qu’une pratique concertée a une visée anticoncurrentielle, il n’est pas nécessaire qu’il y ait un lien direct entre cette pratique et les prix à la consommation ». Affaire C‑8/08 T‑Mobile Netherlands BV v Raad van Bestuur van de Nederlandse Mededingingsautoriteit [2009] ECR I-4529, [39].
← 53. Voir p. ex. Your Therapy Source, LLC ; Neeraj Jindal ; et Sheri Yarbray , FTC File No. 171 – 0134, concernant des sociétés de recrutement de thérapeutes qui se sont entendues sur la rémunération des physiothérapeutes dans la région de Dallas/Fort Worth (décision rendue en juillet 2018) ; et Beltran v. Noonan et al, Civil Action No. 14‑cv‑03074, U.S. District Court D. Colo., concernant des organismes de parrainage qui se sont entendus pour fixer la rémunération des personnes au pair aux États-Unis (un règlement a été convenu en janvier 2019).
← 54. Voir p. ex. Cass. soc., 2 mars 2011, n° 09‑40.547 concernant l’accord de non-débauchage passé entre deux sociétés informatiques en France ; Cass., com., 13 février 2001, 98‑21.078, concernant un accord de fixation des salaires entre des agences françaises de travail temporaire ; JAR 2010/145, Gerechtshof’s‑Hertogenbosch 04‑05‑2010, BM3366, HD‑200.056.33, concernant des accords de ressources humaines passés par quelques hôpitaux néerlandais en vue de restreindre la concurrence pour recruter des médecins, y compris libéraux ; Expediente S/0120/08, concernant un accord de non-débauchage passé entre huit entreprises espagnoles du secteur du transport routier des marchandises ; et Kores Manufacturing Co Ltd v Kolok Manufacturing Co Ltd [1959] Ch.108, concernant un accord entre deux concurrents britanniques qui exigeait un consentement mutuel en cas de débauchage d’un salarié de l’un ou de l’autre. Voir également note 52.
← 55. Certains spécialistes affirment que la législation anticollusion pourrait toutefois être trop rigide, ce qui aurait des répercussions négatives à la fois sur les salaires et sur l’emploi, les entreprises pouvant être réticentes à divulguer leurs règles en matière de rémunération, même à leurs propres salariés. L’argument est que l’asymétrie d’information entre les employeurs et les travailleurs pourrait accroître le pouvoir de monopsone – voir p. ex. Harris (2018[90]) et l’analyse des asymétries d’information plus loin dans cette section.
← 56. Voir par exemple Korean Fair Trade Commission (2009[168]) et Commission européenne (2011[178]).
← 57. Voir p.ex. Yi v. SK Bakeries, LLC et al, U.S. District Court W.D. Wash., affaire no 3:18‑cv‑05627 ; Maurella v. H&R Block Inc. et al., U.S. District Court N.D. Ill., affaire no 1:18‑cv‑07435 ; et The State of Washington v. Jersey Mike Franchise System Inc. et al., KCSC, Wash., affaire no 18‑2‑25822‑7). Le procureur général de l’État de Washington est particulièrement offensif dans la lutte contre les accords de non-débauchage entre franchisés (Office of the Washington State Attorney General, 2018[164]).
← 58. Les clauses de cumul d’emplois sont valables dans la plupart des pays. Néanmoins, elles peuvent être particulièrement problématiques dans les contrats ne garantissant pas un minimum d’heures de travail, comme les contrats zéro heure.
← 59. La Californie, qui interdit totalement les clauses de non-concurrence, est l’exception la plus connue (Section 16600 du California Business and Professions Code). Des dispositions similaires existent dans quelques autres États américains, comme le Dakota du Nord et l’Oklahoma (Gomulkiewicz, 2015[174] ; Green, 2015[173]), et au Mexique (Association of Corporate Counsel, 2018[181]). Une loi similaire existait également dans le Michigan, mais elle a été abrogée en 1985 (Pynnonen, 1994[163]).
← 60. Voir par exemple Shores v. Global Experience Specialists, Inc., 134 Nev. Adv. Op. 61 (Aug. 2, 2018), concernant un agent commercial d’une société de gestion événementielle qui avait signé une clause de non‑concurrence l’empêchant d’accepter un emploi similaire dans tout autre État américain, y compris ceux dans lesquels la société n’avait pas de filiales.
← 61. Une affaire célèbre concerne une entreprise de restauration rapide qui interdisait à ses salariés d’occuper un emploi à quelque titre que ce soit dans un rayon de trois kilomètres autour de l’un de ses magasins chez un employeur « qui tirait au moins 10 % de ses revenus de la vente de catégories de produits comme des sandwiches de type ‘deli-style’, pendant deux ans [et] partout aux États-Unis ». (People v. Jimmy John’s Franchises LLC, Circuit Court of Cook County, 2016‑CH‑07746). La société a accepté un règlement et a supprimé la clause (Office of the Attorney General of the State of Illinois, 2018[165]).
← 62. Plus précisément, la Massachusetts Non-competition Agreement Act de 2018 dispose que les clauses de non-concurrence ne s’appliquent qu’aux salariés « exemptés » en vertu du Fair Labor Standards Act, ce qui signifie que leur salaire doit être supérieur à un certain seuil, qu’ils doivent bénéficier d’un salaire minimum garanti indépendamment des heures effectivement travaillées et exercer des fonctions exécutives, professionnelles ou administratives de haut niveau, avec des exceptions pour certains emplois.
← 63. Art. 1 § 36 Angestelltengesetz (AngG - Loi sur le personnel) en Autriche, art. 65 § 2 de la loi du 3 juillet 1978 en Belgique, et art. L 125 8 du code du travail au Luxembourg. Au Luxembourg, le code du travail ne réglemente en principe que les clauses qui interdisent aux salariés de créer une entreprise concurrente de celle de leur ancien employeur. Toutefois, une décision de la cour d’appel a effectivement étendu cette réglementation à d’autres types de clauses de non-concurrence en 2014 - Cour d’Appel de Luxembourg, arrêt du 13 novembre 2014 (no 39706 du rôle).
← 64. Les notes explicatives officielles qui accompagnent la réforme précisent que selon la loi, « une disposition d’un contrat zéro heure qui interdit au travailleur d’effectuer un travail en vertu de tout autre accord est inexécutoire », sans préciser si le travail en question est effectué pendant le contrat ou après sa résiliation (http://www.legislation.gov.uk/ukpga/2015/26/notes/division/5/11 note 844). Toutefois, reste à savoir comment les tribunaux interpréteront cette disposition dans la pratique.
← 65. Par exemple, la Massachusetts Non-competition Agreement Act de 2018 définit explicitement les clauses de non-concurrence comme des accords entre un employeur et un salarié, aux fins de la loi. Le principe standard de common law reste applicable aux travailleurs indépendants.
← 66. Voir également l’analyse dans Kolani v. Gluska, 75 Cal. Rptr. 2d 257 – Cal: Court of Appeal, 2nd Appellate Dist., 7th Div. 1998.
← 67. Comme l’ont fait, par exemple, les bureaux du procureur général des États de l’Illinois et de New York (Office of the Attorney General of the State of Illinois, 2018[165] ; New York State Attorney General, 2018[166]).
← 68. Voir p. ex. Cour d’Appel de Luxembourg, 6 avril 2017, no 39706 du rôle.
← 69. Voir p. ex. Egon Zehnder Ltd v Tillman [2017] EWHC 1278 (Ch).
← 70. Voir p. ex. People v. Check dans Cash of Illinois LLC, Circuit Court of Cook County, 2017‑CH‑14224 ; People v. Jimmy John’s Franchises LLC, Circuit Court of Cook County, 2016‑CH‑07746 ; ainsi qu’Illinois Attorney General (2018[171]), New York State Attorney General (2018[167]) et les affaires qui y sont citées.
← 71. Comme le montrent les faibles valeurs estimées de l’élasticité résiduelle de l’offre de main-d’œuvre – voir section précédente de la présente annexe. Lorsque les travailleurs ont la possibilité de négocier collectivement, les éventuels effets sur le bien-être dépendent de la capacité des parties à la négociation d’atteindre le résultat qu’obtiendrait une entreprise intégrée verticalement sur le marché en aval – un résultat qui peut dépendre d’un certain nombre de paramètres institutionnels – voir p. ex. Inderst et Shaffer (2008[145]) et OCDE (2017[118] ; 2019[101])
← 72. Voir p. ex. United States v. Cargill Inc. and Continental Grain Co., U.S. District Court D.D.C., affaire no 99‑1875 (GK), décision finale du 29 juillet 2000. La fusion de deux grands négociants en grains a été refusée malgré l’absence d’allégations de préjudice pour le consommateur final, puisque les prix d’achat du grain par les entreprises de transformation nationales sont déterminés sur les marchés internationaux.
← 73. Le marché du travail des professionnels de la santé représente l’exception la plus notable – voir p. ex. United States of America and the State of Texas v. Aetna, Inc. and The Prudential Insurance Company of America 1999 WL 1419046 (N.D. Texas) ; et United States v. Anthem, Inc., 855 F.3d 345, 356 (D.C. Cir. 2017).
← 74. La différence entre les lignes directrices américaines et communautaires sur les concentrations horizontales (voir plus haut) pourrait également résulter de réponses différentes données par les législateurs à ces questions (US Department of Justice et Federal Trade Commission, 2010[106] ; Commission européenne, 2004[147]). Voir également l’analyse ci-dessus concernant les normes de lutte contre la collusion et la littérature qui y est citée.
← 75. On parle de fixation de prix d’éviction lorsque l’acheteur dominant augmente temporairement le prix des facteurs de productions pour exclure les concurrents les plus faibles, puis recouvre ses coûts en l’abaissant.
← 76. Voir par exemple la doctrine imposée par la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Weyerhaeuser Company v. Ross‑Simmons Hardwood Lumber Company, 549 U.S. 312 (2007) en ce qui concerne la fixation de prix d’éviction.
← 77. Bien qu’elle ne concerne pas directement l’économie des plateformes, la législation existante relative au taux de rémunération à la pièce au Royaume-Uni impose déjà d’informer le travailleur par écrit avant le début de la période de référence de la rémunération, en indiquant clairement le taux de productivité horaire moyen attendu pour la tâche en question.