« Le meilleur moyen de prédire l’avenir est de le créer »
- Alan Kay, Lauréat du prix Turing en 2003
« Le meilleur moyen de prédire l’avenir est de le créer »
- Alan Kay, Lauréat du prix Turing en 2003
S’il est synonyme de nombreuses opportunités, l’avenir du travail suscite aussi beaucoup d’inquiétude. Il est peu probable que les scénarios catastrophe deviennent réalité, mais des risques existent bel et bien. Beaucoup craignent que l’avenir du travail ne s’apparente à une dystopie où se côtoieraient chômage technologique de masse, précarité de l’emploi, pouvoir de négociation limité voire inexistant des travailleurs, et graves pénuries de compétences sous l’effet d’un vieillissement démographique rapide. Mais l’avenir du travail dépendra en grande partie des choix de politiques publiques opérés par les pays. Avec des politiques et des institutions adaptées, il est possible non seulement de saisir les opportunités créées par le numérique, la mondialisation et l’allongement de l’espérance de vie, mais aussi d’atténuer les risques qui en découlent.
À l’heure de la mondialisation, des nouvelles technologies et dans un environnement de plus en plus intégré, les possibilités de créer de nouveaux emplois, d’améliorer la qualité des emplois existants et d’assurer l’insertion professionnelle de groupes auparavant sous-représentés sur le marché du travail se multiplient. Les progrès technologiques et la mondialisation contribuent à créer des emplois en faisant baisser le prix des biens et des services, en optimisant leur qualité et, partant, en dynamisant la demande des consommateurs. Ils favorisent aussi la création d’emplois totalement inédits, comme ceux de gestionnaires de mégadonnées, d’ingénieurs en robotique, d’administrateurs de réseaux sociaux et de pilotes de drones, autant de métiers qui n’existaient pas il y a une génération. La qualité des emplois peut être améliorée : les tâches dangereuses ou répétitives peuvent être automatisées ; les travailleurs peuvent choisir quand et où travailler plus librement, ce qui leur permet de mieux concilier vie professionnelle et vie privée ; les conditions de sécurité et d’hygiène au travail s’améliorent ; et l’activité informelle peut être réduite. En éliminant les obstacles traditionnels à l’activité, des groupes auparavant sous-représentés peuvent accroître leur participation au marché du travail, ce qui génère une plus grande inclusivité. Dans un monde caractérisé par un vieillissement démographique rapide et l’allongement de la durée de vie, l’amélioration des conditions de travail ouvrira à son tour davantage de possibilités de continuer à travailler plus longtemps.
L’avenir du travail dépendra, dans une large mesure, des choix de politiques publiques que feront les pays.
S’il est porteur de nombreuses opportunités, l’avenir du travail suscite aussi beaucoup d’inquiétude. Il est peu probable que les scénarios catastrophe deviennent réalité, mais des risques existent bel et bien. Beaucoup craignent que le monde du travail ne s’apparente à une dystopie où se côtoieraient chômage technologique de masse, précarité de l’emploi, pouvoir de négociation limité voire inexistant des travailleurs, et graves pénuries de compétences sous l’effet d’un vieillissement démographique rapide. Le principal message qui ressort des Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2019 est que l’avenir du travail dépendra, dans une large mesure, des choix de politiques publiques que feront les pays. Même si le futur se joue dès aujourd’hui et si les marchés du travail ont déjà entamé leur mue, avec des politiques et des institutions adaptées, il sera possible non seulement de saisir les opportunités créées par le numérique, la mondialisation et l’allongement de l’espérance de vie, mais aussi d’atténuer les risques qui en découlent. Le reste de ce chapitre propose un tour d’horizon des Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2019. Il met en lumière certaines des principales inquiétudes suscitées par l’avenir du travail, en récusant les mythes le cas échéant, et en appelant à l’action face aux risques réels.
En dépit des incertitudes qui planent sur l’avenir, la disparition de l’emploi semble peu probable dans l’immédiat. Pour autant, il faut nous préparer à affronter des mutations structurelles profondes qui semblent inévitables. Pour faciliter les transitions et éviter un creusement des inégalités, il convient de mettre en œuvre des politiques publiques efficaces, dotées de moyens suffisants.
À mesure que la robotique, l’intelligence artificielle et la transformation numérique se diffusent dans le monde du travail et que l’intégration économique s’accentue à l’échelle de la planète, de nombreuses personnes s’inquiètent des conséquences de ces mégatendances sur la quantité d’ emplois disponibles. Certains dressent même un tableau particulièrement sombre du futur, et considèrent que l’automatisation pourrait détruire près de la moitié des emplois au cours des prochaines décennies.
Néanmoins, dans la plupart des pays de l'OCDE, les taux d’emploi sont orientés à la hausse. L’explication : le rythme des créations d’emplois dépasse celui des destructions d’emplois et de nouvelles possibilités s’ouvrent désormais sur le marché du travail pour de nombreuses personnes qui en étaient auparavant exclues. Les progrès technologiques et la mondialisation y contribuent en faisant baisser les coûts de production, en améliorant la qualité des produits, et en ouvrant de nouveaux marchés – autant d’éléments qui font grimper la demande, stimulent la productivité et, partant, sous-tendent les créations d’emplois.
En dépit de perspectives d’avenir incertaines, un chômage technologique de masse semble peu vraisemblable. Selon les estimations de l'OCDE, 14 % des emplois sont exposés à un risque élevé d’automatisation – ce qui est largement inférieur aux chiffres avancés par certains chercheurs. Par ailleurs, même si un emploi est automatisable en théorie, cela ne signifie pas qu’il le sera dans la pratique : l’automatisation n’est pas toujours rentable ni souhaitable, elle peut soulever des problèmes juridiques et éthiques, et elle dépend des préférences personnelles et des décisions politiques.
Néanmoins, même ceux qui conserveront leur emploi devront faire face à d’importants changements. Aux 14 % d’emplois exposés à un risque élevé d’automatisation s’ajoute un tiers supplémentaire d’emplois qui pourraient voir le contenu de leurs tâches et la manière dont elles sont réalisées profondément transformés. Le secteur manufacturier est particulièrement exposé, de même que de nombreux secteurs des services. Si le risque d’automatisation est faible dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la fonction publique, de nombreux travailleurs seront tout de même touchés car ces secteurs emploient une proportion importante de la population active. Ces changements devraient donc concerner de nombreux travailleurs, quel que soit leur secteur d’activité.
Selon les estimations de l'OCDE, 14 % des emplois sont exposés à un risque élevé d’automatisation – ce qui est largement inférieur aux chiffres avancés par certains chercheurs.
L’avenir sera également marqué par un renouvellement important des emplois – de nouveaux emplois différents remplaçant ceux qui sont détruits – avec à la clé des mutations structurelles et une évolution des besoins en compétences. On assiste à une polarisation des marchés du travail dans la quasi-totalité des pays de l'OCDE, avec une croissance sensible de la proportion d’emplois hautement qualifiés et une progression modérée des emplois peu qualifiés, qui s’accompagnent d’une contraction de la part des emplois moyennement qualifiés. Le secteur manufacturier est plus particulièrement touché par un déclin de longue date de l’emploi (avec un recul de 20 % entre 1995 et 2015), contrairement au secteur tertiaire où l’emploi ne cesse d’augmenter (+27 % sur la même période). Dans les économies émergentes, l’emploi dans le secteur agricole a accusé un net repli.
L’une des principales difficultés consiste à aider les travailleurs, les secteurs d’activité et les régions affectés par les mégatendances que constituent le progrès technologique et la mondialisation à saisir ces nouvelles opportunités. Employeurs et travailleurs devront aussi procéder à des ajustements au sein de l’entreprise, en adoptant de nouvelles technologies et de nouveaux modes de travail.
Cette transition sera souvent difficile, et certains travailleurs seront plus durement touchés que d’autres. La situation sur le marché du travail de nombreux jeunes, et en particulier de ceux qui ne sont pas diplômés de l’enseignement supérieur, a déjà commencé à se dégrader au regard de plusieurs dimensions. Ces dix dernières années, le risque de non-emploi et de sous-emploi a augmenté davantage pour les hommes que pour les femmes dans la plupart des pays, mais cette menace reste beaucoup plus importante pour les femmes. Ces dernières demeurent également plus susceptibles que les hommes d’occuper des emplois faiblement rémunérés et moins susceptibles d’occuper un emploi au salaire élevé. Si rien n’est fait pour résorber ces inégalités, l’avenir du travail sera placé sous le signe d’une aggravation des clivages sociaux, qui pourraient avoir des retombées négatives sur la productivité, la croissance, le bien-être et la cohésion sociale.
À ces défis s’ajoute celui du vieillissement rapide de la population dans de nombreux pays. En 2015, on comptait 28 personnes âgées de 65 ans et plus pour 100 personnes d’âge actif. D’ici à 2050, cette proportion devrait doubler. Les pays touchés par un vieillissement démographique rapide risquent d’être confrontés à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, le nombre de travailleurs âgés partant à la retraite étant supérieur à celui des jeunes arrivant sur le marché du travail. Ces pénuries pourraient à leur tour accélérer l’automatisation ou intensifier les pressions encourageant le recours à la main-d’œuvre immigrée. Le vieillissement démographique aura également des effets directs sur la demande de compétences et les types d’emplois disponibles, à mesure que la consommation de biens durables (comme les voitures) diminuera au profit des services (par exemple les soins de santé). Dans certaines économies émergentes, le défi consiste à intégrer les nombreux jeunes dans la population active. Ces pays devront mettre à profit ce dividende démographique pour dynamiser la croissance et préparer la transition vers une population beaucoup plus âgée.
Il est essentiel d’accompagner les travailleurs privés de leur emploi par la technologie et la mondialisation pour qu’ils retrouvent rapidement du travail, au moyen de services d’aide au retour à l’emploi à la fois efficaces et réactifs, ainsi que de mesures de prévention et d’intervention en amont. Un soutien au revenu adapté assorti d’incitations et d’aides à la recherche active d’emploi est essentiel pour réduire les coûts individuels et sociaux de ces processus d’ajustement. Il pourrait jouer un rôle précieux de stabilisateur dans le contexte actuel, empreint de vives incertitudes quant à l’avenir du travail. Pourtant, dans de nombreux pays, les systèmes d’indemnisation du chômage ne couvrent qu’une portion restreinte des chômeurs, et cette couverture pourrait se réduire encore si l’essor du travail atypique se poursuit.
La négociation collective et le dialogue social peuvent compléter les efforts déployés par les pouvoirs publics pour renforcer la capacité d’adaptation des marchés du travail et lutter contre la précarité de l’emploi. Dans certains pays de l'OCDE, les partenaires sociaux sont très impliqués dans les programmes d’accompagnement des travailleurs ayant perdu leur emploi, et contribuent à anticiper les besoins en compétences. La négociation collective et le dialogue social peuvent aider les entreprises à faire face aux évolutions démographiques et technologiques en leur permettant d’ajuster les rémunérations, le temps de travail, l’organisation du travail et les tâches à accomplir en fonction des nouveaux besoins, d’une manière plus flexible et plus pragmatique que ne le permet la loi (sans sacrifier à l’équité). Pourtant, la négociation collective recule depuis plusieurs décennies : compte tenu de la transformation rapide du marché du travail, ce déclin pose de grandes difficultés en termes de droits, d’avantages et de protection des travailleurs et peut aussi parfois laisser employeurs et organisations patronales sans contreparties clairement définies.
Des politiques efficaces en faveur des compétences joueront également un rôle déterminant pour aider les individus à limiter les risques et optimiser les avantages associés aux mutations en cours sur le marché du travail. Face à l’évolution des besoins en compétences, la formation des adultes peut empêcher la dépréciation et l’obsolescence des compétences, et faciliter le passage d’emplois et de secteurs en perte de vitesse vers des emplois et des secteurs porteurs.
Dans les pays de l'OCDE, la participation des adultes peu qualifiés aux activités de formation est inférieure de 40 points de pourcentage à celle des adultes hautement qualifiés.
Néanmoins, il est fréquent que les politiques en faveur des compétences ne profitent pas aux adultes les plus vulnérables face aux mutations à venir. En moyenne dans les pays de l’OCDE, la participation à la formation des adultes peu qualifiés – ceux qui en ont donc théoriquement le plus besoin puisque leurs emplois sont les plus exposés au risque d’automatisation – est inférieure de 40 points de pourcentage à celle des adultes hautement qualifiés. De la même manière, les travailleurs qui occupent des emplois exposés à un risque élevé d’automatisation ont une probabilité de suivre une formation inférieure de 30 points à celle de leurs homologues qui exercent une profession moins exposée. Même lorsque les travailleurs peu qualifiés et ceux qui exercent des emplois susceptibles d’être automatisés suivent des formations, ces dernières peuvent être de qualité médiocre et n’avoir que peu d’utilité.
Les travailleurs défavorisés se heurtent à de nombreux obstacles pour accéder à la formation. Souvent, les travailleurs peu qualifiés, ceux qui exercent des emplois à fort risque d’automatisation et les travailleurs qui perdent leur emploi ne sont pas motivés pour se former ou ne savent pas quelles formations pourraient leur être utiles. Même lorsqu’ils sont bien informés et motivés, certains travailleurs doivent surmonter d’autres difficultés, comme un manque de temps ou d’argent. Les employeurs sont quant à eux plus susceptibles d’investir dans leur main-d’œuvre hautement qualifiée, pour laquelle le rendement attendu de la formation est plus élevé.
Les systèmes de formation des adultes doivent être renforcés et adaptés afin d’offrir à tous les travailleurs, et en particulier à ceux qui sont les plus fragiles face aux mutations qui s’annoncent, des possibilités de réorientation tout au long de leur carrière. Les campagnes d’information et l’orientation professionnelle peuvent contribuer à sensibiliser la population aux avantages qu’apporte la formation. Toutefois, il faut aussi moduler davantage les programmes de formation de manière à ce qu’ils soient plus flexibles et puissent s’adapter aux horaires de travail et aux responsabilités familiales. Il faut veiller à ce que les acquis de l’expérience soient reconnus, et élaborer des incitations financières plus efficaces afin de réduire le coût de la formation supporté par les groupes les plus vulnérables. Par ailleurs, il est capital d’améliorer la qualité des programmes de formation et leur adéquation avec les besoins actuels et futurs du marché du travail, et de contrôler régulièrement leur efficacité. Les employeurs ont un rôle déterminant à jouer dans ce domaine et, avec l’aide des pouvoirs publics, doivent être incités à former les groupes à risque.
Si les « nouvelles » formes d’emploi atypiques ont progressé dans de nombreux pays, l’emploi permanent à temps plein est encore la forme d’emploi la plus répandue dans les pays avancés de l'OCDE (et devrait vraisemblablement le rester). Souvent, ces « nouvelles » formes d’emploi ne font qu’éclairer d’un jour nouveau des problématiques qui existent de longue date. Néanmoins, les droits et protections des travailleurs vulnérables qui n’entrent pas dans le périmètre du droit du travail et de la protection sociale actuels doivent être renforcés.
Dans la zone OCDE, l’emploi traditionnel, à temps plein et à durée indéterminée, demeure la norme. Plusieurs facteurs contribuent à expliquer l’attrait que continuent d’exercer les modalités d’emploi plus stables et à caractère permanent. Pour les travailleurs, ce type de contrat est moins incertain et leur permet de faire des projets à la fois sur le plan professionnel et sur le plan privé. Pour les employeurs, les contrats permanents leur permettent d’attirer et de fidéliser des travailleurs qualifiés, ce qui réduit les coûts liés à l’embauche et à la formation et accroît le rendement des investissements dans la main-d’œuvre (avec à la clé des gains de productivité).
Ces nouvelles formes d’emploi sont apparues sous l’effet de l’évolution des préférences, des nouveaux modèles économiques et des nouvelles modalités d’organisation du travail, ainsi que des progrès technologiques (et des choix de politiques publiques). Cela concerne notamment l’économie des plateformes, où les travailleurs fournissent des services par l’intermédiaire de plateformes numériques. De nombreux pays ont aussi enregistré une progression d’autres formes d'emploi atypiques, comme le travail à la demande ou les contrats zéro heure, ainsi que de diverses formes de travail indépendant. Ces modalités de travail plus flexibles se développent souvent en réponse aux besoins exprimés aussi bien par les employeurs que par les travailleurs. Les entreprises ont besoin de disposer d’une certaine marge de manœuvre pour ajuster leur main-d’œuvre et le temps de travail en fonction d’une demande qui fluctue et qu’il est difficile d’anticiper. Les travailleurs peuvent rechercher une plus grande flexibilité afin de mieux concilier leurs obligations professionnelles et leurs responsabilités familiales ou leurs loisirs, dans l’objectif de parvenir à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Pour certains, comme les jeunes et de nombreux travailleurs peu qualifiés, les formes de travail plus flexibles peuvent aussi être synonymes de nouveaux débouchés et de tremplin vers l’emploi à temps plein et à durée indéterminée.
Il faut cependant s’attaquer au problème du faux travail indépendant, qui désigne les situations où les modalités de travail sont, pour l’essentiel, comparables à celles de salariés alors que les personnes sont engagées en tant que travailleurs indépendants de manière à éviter les obligations réglementaires, fiscales et syndicales. Le faux travail indépendant porte préjudice non seulement aux travailleurs mais aussi aux entreprises qui respectent la réglementation. Il convient de supprimer toute ambiguïté en ce qui concerne la réglementation existante et de mieux l’appliquer. Les individus doivent pouvoir contester plus facilement leur statut d’emploi. Par ailleurs, les sanctions en cas de non-respect de la réglementation doivent être durcies. Les pouvoirs publics doivent veiller à ce que les différences de traitement fiscal et réglementaire entre les formes d’emploi ne favorisent pas une qualification erronée des contrats de travail. En effet, dans plusieurs pays, l’essor rapide des formes de travail atypiques est principalement motivé par les différences fiscales et réglementaires entre les formes d’emploi, qui favorise les arbitrages.
Certains travailleurs, véritablement difficiles à catégoriser, se situent dans la « zone grise » entre statut de salarié et statut de travailleur indépendant. Bien qu’ils soient officiellement considérés comme des travailleurs indépendants, certains travailleurs ont des caractéristiques communes avec les salariés (par exemple, ils ne peuvent pas fixer leur taux de rémunération, ils doivent porter un uniforme ou ils ne peuvent pas être remplacés par quelqu’un d’autre pour effectuer leur travail). Cela signifie que leur relation de travail comporte une dimension de dépendance et/ou de subordination, et que leur pouvoir de négociation est moindre. Pourtant, du fait de leur statut de travailleurs indépendants, ils ne bénéficient généralement ni de la protection assurée aux salariés par le droit du travail, ni de droit à la négociation collective, ni de protection sociale, ni d’égalité d’accès à la formation.
Tout d’abord, il faut contrôler cette zone grise afin de la réduire à un minimum. Dans certains cas, il pourrait être nécessaire de préciser, de revoir et/ou d’harmoniser la réglementation ou les lignes directrices utilisées pour déterminer le statut des travailleurs, et de les appliquer systématiquement. Cela contribuerait en effet à réduire les incertitudes pour les travailleurs comme pour les employeurs, et à limiter les litiges.
S’agissant des travailleurs qui demeurent dans la zone grise, les responsables de l’action publique devraient envisager de renforcer leurs droits et avantages : i) en ciblant certaines catégories de travailleurs indépendants qui doivent être mieux protégés (comme les travailleurs économiquement dépendants ou certaines professions spécifiques) ; ii) en décidant des droits et protections à étendre à ces travailleurs (assurance chômage, congés payés, droits à la négociation collective par exemple) et de quelle manière ; et iii) éventuellement en clarifiant et en définissant les devoirs et responsabilités des employeurs dans le cas de relations de travail triangulaires, comme celles qui caractérisent l’économie des plateformes (par exemple en imposant la responsabilité conjointe des plateformes et des clients, ou en tenant les plateformes responsables et en n’imposant qu’une responsabilité subsidiaire aux clients).
L’accès à la protection sociale est difficile pour tous les travailleurs qui occupent un emploi atypique. Les travailleurs indépendants sont souvent moins bien couverts par les régimes statutaires de protection sociale. Cette situation est particulièrement problématique pour les travailleurs indépendants qui n’ont pas réellement de maîtrise de leur rémunération ni de leurs conditions de travail et pour les risques qui ne sont pas d’ordre entrepreneurial par nature. Les autres formes d’emploi atypiques (comme l’emploi à temps partiel et l’emploi temporaire) sont, en théorie, bien couvertes, mais nombre de ces travailleurs peinent encore à accéder à ces régimes faute d’avoir cotisé suffisamment longtemps ou d’atteindre le seuil de revenu obligatoire. Dans certains pays, par rapport aux salariés traditionnels, les travailleurs atypiques ont 40 à 50 % de chances en moins de bénéficier d’une forme de garantie de revenu lorsqu’ils sont sans emploi. Quant à ceux qui bénéficient d’une aide au revenu pendant ces périodes, elle est souvent bien moins généreuse que celle octroyée aux travailleurs qui occupent un emploi « traditionnel ».
Dans certains pays, les travailleurs atypiques ont 40 à 50 % de chances en moins que les salariés traditionnels de bénéficier d’une forme de garantie de revenu lorsqu’ils sont sans emploi.
Une refonte des régimes de protection sociale s’impose afin d’assurer une meilleure couverture aux travailleurs occupant des emplois atypiques. Plusieurs pistes de réforme sont envisageables : i) garantir un traitement plus neutre des différentes formes d’emploi afin de prévenir les arbitrages ; ii) étendre la portée des systèmes de protection sociale existants afin qu’ils couvrent les nouvelles formes d’emplois ; iii) favoriser la portabilité des droits à prestations entre des programmes d’assurance sociale destinés à des catégories professionnelles différentes ; iv) assouplir les critères de ressources pour s’adapter aux besoins des personnes, par exemple en modifiant la période de référence sur laquelle repose l’évaluation des ressources et en pondérant de manière appropriée les revenus actuels ou récents de tous les membres de la famille ; et v) adjoindre aux mesures de protection sociale ciblées des aides plus universelles, sans conditions de ressource. Toutefois, des réformes plus radicales visant à remplacer des volets entiers des régimes traditionnels de protection sociale par un revenu universel de base seraient très coûteuses ou pourraient avoir des effets négatifs sur la distribution des revenus, au détriment des populations les plus vulnérables.
Les mesures conçues pour aider et encourager les demandeurs d’emploi à trouver du travail devront être ajustées. Les mesures d’activation, qui visent à maximiser les chances de retrouver un emploi et à minimiser les contre-incitations au travail, doivent être révisées. Ces mesures ont traditionnellement été pensées pour aider les travailleurs dans une relation d’emploi traditionnelle qui perdent leur emploi. Par conséquent, en cas de perte d’emploi, de nombreux travailleurs atypiques n’ont qu’un accès limité à la formation et à l’orientation professionnelle, ainsi qu’aux autres programmes d’aide au retour à l’emploi. Cela soulève des interrogations quant à la manière dont les mesures d’activation et les dispositifs de protection sociale axés sur l’emploi peuvent être adaptés pour répondre aux besoins des travailleurs atypiques.
Les politiques de formation devront également être adaptées aux besoins des travailleurs atypiques. Les travailleurs exerçant des emplois atypiques ont plus de mal à accéder à la formation en cours d’emploi. C’est notamment le cas des travailleurs temporaires et à temps partiel, et surtout des travailleurs pour leur propre compte (c’est-à-dire des travailleurs indépendants qui n’emploient pas de salariés). Si la plupart des pays de l'OCDE ont mis en place des clauses assurant l’égalité des droits, les droits à la formation s’accumulent souvent avec l’ancienneté et dépendent du nombre d’heures travaillées. C’est pourquoi, dans les faits, les travailleurs temporaires et à temps partiel ne peuvent parfois pas acquérir de droit à la formation. Les travailleurs pour leur propre compte sont encore très rarement couverts par la loi sur les droits à la formation. Plusieurs mesures sont envisageables, notamment celles qui consistent à étendre les droits à la formation aux travailleurs atypiques, à cibler certaines politiques de formation des adultes sur les travailleurs atypiques, et à assurer la portabilité des droits à la formation entre les différents statuts d’emploi, au moyen de comptes personnels de formation. Néanmoins, aucune de ces mesures n’apporte à elle-seule la solution à tous les problèmes.
Dans les économies émergentes, les nouvelles formes de travail liées à l’économie des plateformes peuvent offrir des possibilités de régularisation. Dans les pays où le secteur informel est très développé, le travail exercé par le biais des plateformes numériques peut offrir une voie d’accès à la régularisation des emplois étant donné qu’il réduit les coûts et optimise le suivi de l’activité économique grâce à la numérisation des transactions. Néanmoins, pour saisir ces opportunités, les économies émergentes devront veiller à mettre en place des dispositifs adaptés en matière de fiscalité et de protection sociale.
De nombreux travailleurs, et surtout les travailleurs atypiques, ont peu d’autres possibilités d’emploi et ne bénéficient que d’un pouvoir de négociation limité. Les taux de couverture conventionnelle et de syndicalisation sont en baisse dans la plupart des pays de l'OCDE, ce qui affaiblit encore le pouvoir de négociation des travailleurs. Ces rapports de force très favorables aux employeurs se traduisent souvent par une pression à la baisse sur la demande de main-d’œuvre et les salaires, mais l’action publique peut contribuer à restaurer l’équilibre et à améliorer à la fois l’équité et l’efficience.
Les taux de syndicalisation et de couverture conventionnelle sont en baisse dans de nombreux pays, ce qui affaiblit le pouvoir de négociation des travailleurs. Dans l'OCDE, la proportion de travailleurs couverts par des conventions collectives ne cesse de diminuer depuis trente ans, passant de 45 % en 1985 à 32% en 2016, avec à la clé dans de nombreux pays un pouvoir de négociation amoindri pour les travailleurs et une contraction de la part du revenu national qui va aux travailleurs.
Les taux de syndicalisation et de couverture conventionnelle sont encore plus bas parmi les travailleurs atypiques. La probabilité que les travailleurs atypiques soient syndiqués est inférieure de 50 % en moyenne à celle des travailleurs occupant un emploi traditionnel. Ce taux réduit de syndicalisation reflète les difficultés pratiques et juridiques à organiser les travailleurs atypiques. Cela pourrait aussi être le résultat du développement historique de l’activité syndicale autour des besoins des travailleurs traditionnels avant ceux des travailleurs atypiques.
La probabilité que les travailleurs atypiques soient syndiqués est inférieure de 50 % en moyenne à celle des travailleurs occupant un emploi traditionnel.
Pour de nombreux travailleurs situés dans la zone grise entre salariat et travail indépendant, il est particulièrement difficile de s’organiser et de négocier de manière collective. Traditionnellement, seuls les travailleurs dans une relation de subordination avec leur employeur (c’est-à-dire les travailleurs salariés) bénéficient d’un droit à la négociation collective. Les travailleurs habituellement considérés comme travailleurs indépendants sont généralement exclus en vertu du droit de la concurrence interdisant les ententes, qui les considère comme des entreprises. Cela peut convenir à de nombreux travailleurs indépendants qui ont des revenus élevés ou sont en mesure de négocier leurs tarifs avec leurs clients. Néanmoins, cela pose des problèmes d’efficience et d’équité pour ceux qui partagent certaines des caractéristiques et vulnérabilités des salariés et sont, à ce titre, dans un rapport déséquilibré avec leur employeur ou leur client.
Il semble donc parfaitement justifié d’étendre les droits à la négociation collective aux travailleurs situés dans la zone grise entre salariat et travail indépendant, ce qu’ont d’ailleurs déjà fait certains pays – mais le défis consiste à assurer la cohérence entre la situation du marché du travail et la politique de la concurrence. Les mesures visant à faire appliquer la qualification correcte des contrats de travail doivent marquer la première étape vers l’extension des droits à la négociation collective à autant de travailleurs que possible. Certains pays ont déjà étendu ces droits à (ou adopté des dérogations explicites à l’interdiction des ententes pour) certains travailleurs situés dans la zone grise entre salariat et travail indépendant ou à certaines catégories de travailleurs indépendants, comme les travailleurs économiquement dépendants ou ceux qui travaillent dans une profession ou un secteur où ils sont plus susceptibles d’être exposés à un déséquilibre de pouvoir très prononcé (comme les acteurs de doublage, les musiciens de studio ou les journalistes freelance).
Les pays devraient étudier la possibilité de favoriser l’émergence de nouvelles formes de dialogue social et d’épauler les syndicats et les organisations patronales dans leurs efforts déployés pour inclure les formes d’emploi et d’activité atypiques. L’influence du dialogue social et de la négociation collective sur l’avenir du travail dépend essentiellement de la capacité et de la volonté des travailleurs et des entreprises de coopérer et de négocier des accords contraignants qui répondent aux besoins de tous. Les exemples de négociations collectives réussies dans le secteur des agences de travail temporaire et celui de la culture et de la création, et ce même dans des pays où les syndicats sont faibles, montrent que les mécanismes de négociation collective, s’ils sont suffisamment flexibles, peuvent s’adapter à des relations d’emploi différentes et nouvelles.
L’absence de droit à la négociation collective peut accentuer les déséquilibres dans le rapport de force qui sont inhérents à toute relation d’emploi, pour éventuellement aboutir à une situation de monopsone sur le marché du travail. Les employeurs (ou les clients s’agissant de certains travailleurs indépendants) exercent souvent un plus grand contrôle sur la relation d’emploi que les travailleurs, dont les possibilités de sortie peuvent être limitées voire inexistantes. Cela peut aboutir à des relations de pouvoir déséquilibrées entre les parties concernées, avec à la clé un pouvoir de négociation plus grand pour les employeurs, qui peut leur permettre d’imposer des salaires moins élevés en diminuant la demande de main-d’œuvre sous son niveau d’équilibre – ce que l’on désigne généralement comme un marché du travail en situation de monopsone. Les conséquences de ces déséquilibres sur la rémunération et l’emploi sont souvent plus fortes lorsque les travailleurs ne sont pas en mesure de s’organiser et de négocier de manière collective. Lorsque les travailleurs négocient individuellement leurs conditions de rémunération et de travail, le pouvoir des employeurs n’est généralement pas compensé par un pouvoir de négociation suffisant du côté des travailleurs.
Un marché du travail en situation de monopsone a également des retombées négatives sur les entreprises. Les abus du pouvoir de monopsone peuvent être aussi source d’inquiétude pour les entreprises. D’un côté, l’absence de concurrence sur le marché du travail (liée par exemple au fait que certaines entreprises s’entendent ou ont recours à des clauses restrictives pour limiter la mobilité des travailleurs et leur pouvoir de négociation) peut empêcher les entreprises innovantes de tirer profit des nouvelles opportunités et de recruter le personnel le plus performant. D’un autre côté, les déficiences dans l’application du droit de la concurrence désavantagent les entreprises qui respectent la loi.
Au-delà de l’extension du droit à la négociation collective, une amélioration de la réglementation et son application plus efficace peuvent remédier à l’abus du pouvoir de monopsone sur le marché du travail et contrecarrer ses sources. Différentes mesures réglementaires permettent de lutter contre le caractère monopsonique du marché du travail : i) faire appliquer plus rigoureusement l’interdiction des ententes sur le marché du travail ; ii) limiter la portée des clauses restrictives, comme les accords de non concurrence ; iii) étendre la couverture de la réglementation du marché du travail afin de réduire les effets du monopsone sur le bien-être des travailleurs (par exemple en renforçant les normes relatives à la sécurité et à l’hygiène au travail) ; et iv) modifier la réglementation du marché du travail actuelle pour remédier à des situations d’asymétrie d’information entre employeurs et travailleurs (en veillant par exemple à ce que les obligations contractuelles soient rédigées en des termes simples et compréhensibles). Une approche équilibrée est néanmoins nécessaire pour éviter qu’une réglementation trop lourde ne finisse par freiner l’activité entrepreneuriale et l’innovation. Une stratégie d’action globale visant à réduire les frictions sur le marché du travail et à renforcer la mobilité professionnelle permettrait également de limiter le pouvoir de monopsone.
Les mesures requises pour bâtir un monde du travail plus productif et plus inclusif nécessiteront des ressources financières adaptées – en particulier pour renforcer la formation des adultes et la protection sociale. Compte tenu des contraintes que cela représente pour les finances publiques, il faudra repenser les méthodes traditionnellement utilisées pour mobiliser les ressources. Parallèlement, certains moyens d’action envisagés ne devraient avoir que peu d’impact sur les finances publiques, et pourraient même favoriser une hausse des recettes fiscales.
Un certain nombre des actions considérées impliquent un coût limité, voire nul, pour le budget public. Les réformes qui visent notamment à améliorer et à faire appliquer la réglementation du marché du travail, à renforcer la négociation collective et à assouplir l’offre de formation ne sont pas nécessairement synonymes de hausse des dépenses publiques. Dans le même ordre d’idées, l’application renforcée du droit de la concurrence pour limiter le pouvoir de monopsone suppose des ressources supplémentaires limitées.
Certaines mesures pourraient même déboucher sur une réduction des dépenses publiques et un accroissement des recettes fiscales. Ainsi, des services publics de l’emploi performants et des mesures d’activation efficaces et réactives qui aident les travailleurs à retrouver un emploi rapidement réduisent les coûts supportés par les régimes d’indemnisation du chômage et peuvent améliorer la productivité en optimisant la qualité de la mise en relation entre offres et demandes d’emploi. Certaines réformes peuvent aussi accroître directement les recettes fiscales en élargissant la base d’imposition (par exemple en assujettissant à l’impôt les transactions de l’économie numérique). D’autres mesures pourraient aussi doper les recettes fiscales, comme l’élimination des incitations fiscales fortuites au travail indépendant et la lutte contre le salariat déguisé.
Néanmoins, pour renforcer la protection sociale et la formation des adultes, d’importantes ressources supplémentaires devront être mobilisées, surtout s’il faut combler les déficits de couverture existants – et cela suppose que les pays revoient leurs priorités de dépenses et mènent une réflexion sur leurs régimes fiscaux. Si certaines interventions publiques peuvent s’autofinancer, nombre des actions proposées, plus particulièrement dans les domaines de la protection sociale et de la formation des adultes, nécessitent davantage de ressources. Dans de nombreux pays de l'OCDE et émergents, des investissements considérables devront être consentis pour pallier le manque de possibilités de formation et de systèmes de protection sociale adaptés. Certaines des ressources nécessaires pourraient être dégagées en optimisant l’efficience des dépenses actuelles et en les passant en revue afin de définir, dans le cadre d’une approche englobant l’ensemble de l’administration, quelles sont les priorités. Mais les gains d’efficience pourraient ne pas suffire. Les pouvoirs publics devront prendre des décisions quant aux modalités de financement des nouvelles initiatives ou de l’extension des dispositifs existants – et ils devront décider qui doit payer. Prendre ces décisions impliquera de débattre de ce qui est juste, de ce qui est rentable, et de prendre en compte une pluralité de points de vue sur les conséquences de la répartition des coûts et de l’accès aux programmes étendus en matière de performances économique globale - y compris la situation des entreprises, des travailleurs, des consommateurs et des citoyens de manière plus générale. Enfin, il sera nécessaire, pour trouver les modalités de financement appropriées, d’engager une réflexion et une action au niveau global.
Certaines interventions publiques peuvent s’autofinancer, mais d’autres actions proposées, plus particulièrement dans les domaines de la protection sociale et de la formation des adultes, nécessitent davantage de ressources.
Les pays doivent continuer d’évaluer les effets qu’ont le progrès technologique, la mondialisation et le vieillissement démographique sur le marché du travail, et d’étudier les moyens de favoriser des changements positifs au regard des ajustements à opérer en matière de politiques sociales, du marché du travail et de la formation. Bien qu’essentielles, les interventions publiques ne seront probablement pas suffisantes. Il faut mobiliser l’ensemble des parties prenantes, y compris les entreprises qui ont fortement besoin de travailleurs qualifiés et d’un environnement social et économique porteur. De nouveaux partenariats public-privé devront être mis en place pour apporter des réponses appropriées à la mutation du monde du travail. L'OCDE continuera d’épauler les pays en offrant un forum où les pouvoirs publics et les autres parties prenantes peuvent concilier leurs efforts, confronter leurs expériences, et rechercher des solutions communes. L’Organisation continuera d’évaluer les retombées des mégatendances sur la quantité et la qualité des emplois et l’inclusivité, et d’étudier les actions qui doivent être menées dans les pays pour renforcer la résilience et la capacité d’adaptation des marchés du travail afin que les travailleurs et les entreprises puissent opérer cette transition le plus sereinement possible, en optimisant les avantages qu’ils peuvent en tirer.
Pour profiter au mieux des opportunités à venir et veiller à ce qu’elles débouchent sur de meilleurs emplois pour tous, une action concertée s’impose dans divers domaines. Pour ce faire, il faudra assurer l’adéquation aux défis émergents de l’ensemble des politiques et institutions du marché du travail, aussi bien dans le domaine de la protection sociale que dans ceux des compétences, de la négociation collective et de la réglementation du marché du travail. Les moyens d’action précis utilisés dépendront des caractéristiques propres à chaque pays en termes d’organisation institutionnelle, de préférences sociales, de capacité administrative et de capital social, mais les orientations présentées ci-après pourraient étayer la réflexion menée par les responsables de l’action publique.
Les pouvoirs publics doivent veiller à ce que tous les travailleurs aient accès à des droits et protections adaptés, indépendamment de leur statut d’emploi ou de leur type de contrat. Ils doivent également assurer des conditions de concurrence équitables pour les entreprises en empêchant certaines d’obtenir un avantage concurrentiel en échappant à leurs obligations et responsabilités.
S’agissant de la réglementation du marché du travail, il est recommandé aux pays :
de s’attaquer au faux travail indépendant :
en s’assurant que les employeurs et les travailleurs connaissent et comprennent la réglementation en vigueur ;
en permettant aux travailleurs de contester plus facilement et à moindre coût leur statut professionnel ;
en durcissant les sanctions appliquées aux entreprises qui fraudent sur la qualification du statut d’emploi des travailleurs ;
en renforçant la capacité des inspections du travail en charge du suivi et de la détection des infractions ;
en réduisant les incitations qui poussent les entreprises et les travailleurs à qualifier à tort leur relation d’emploi de travail indépendant dans le but d’échapper à ou de réduire certaines cotisations et règlementations.
de réduire la « zone grise » entre salariat et travail indépendant en révisant, en actualisant et/ou en harmonisant les définitions du salariat et du travail indépendant, afin qu’elles soient le plus claires possibles et de réduire ainsi les incertitudes à la fois pour les travailleurs et pour les employeurs.
d’étendre les droits et protections aux travailleurs qui demeurent dans la « zone grise » (c’est-à-dire ceux pour lesquels subsiste une réelle ambiguïté quant à leur statut d’emploi) :
en ciblant certaines catégories de travailleurs qui pourraient bénéficier de droits et de protections étendus ;
en décidant des droits et protections à étendre (du moins en partie) (par exemple en matière d’équité en matière de rémunération, de protection du temps de travail, d’hygiène et de sécurité au travail, de lutte contre les discriminations et de protection de l’emploi), et en déterminant s’il convient de les adapter et, si oui, selon quelles modalités ;
le cas échéant, en précisant les devoirs et responsabilités des employeurs et/ou en les attribuant, dans le cas de relations de travail triangulaires (y compris dans le cas du travail exercé par le biais de plateformes numériques), ce qui peut impliquer de répartir ces responsabilités entre plusieurs entités juridiques.
de s’appuyer, à l’échelle internationale, sur l’engagement récent pris par le G20 de promouvoir le travail décent dans l’économie des plateformes et d’étudier les moyens d’améliorer les conditions de travail des travailleurs avec peu de contrôle sur leur rémunération et sur leurs conditions de travail et qui fournissent des services dans le monde entier – y compris par le biais de principes ou de lignes directrices sur les pratiques les plus probantes, auxquels les pays et/ou les plateformes pourraient adhérer.
Pour équilibrer les rapports de force entre employeurs/clients et travailleurs, il convient également de renforcer la négociation collective et le dialogue social (voir ci-après) et de lutter contre les cas de monopsone sur le marché du travail. Les options envisageables pour lutter contre l’abus du pouvoir de monopsone comprennent :
Lutter contre la collusion sur le marché du travail, par exemple en fournissant des indications explicites quant aux comportements illicites, en définissant les priorités pour les organismes chargés de faire respecter la loi et en assurant la protection des lanceurs d’alerte ;
Limiter la portée des clauses de non-concurrence, y compris dans les contrats de services – particulièrement pour certains types d’emplois, de niveaux de rémunération ou de compétences, où elles sont le plus susceptibles d’être utilisées pour réduire la concurrence sur le marché du travail ;
Limiter les incitations à établir des accords de non-concurrence de grande portée ou contraires à la loi, en éliminant la possibilité de faire retoquer les clauses excessives par un tribunal afin qu’elles soient applicables et en sanctionnant comme il se doit l’abus de clauses illicites ;
Faciliter l’élaboration de nouveaux outils et instruments en vue de mieux analyser les retombées des fusions et des comportements anticoncurrentiels sur le marché du travail ;
Remédier aux déséquilibres dans l’information accessible aux employeurs et aux travailleurs, en veillant à ce que ces derniers soient correctement informés de leurs droits et responsabilités, en améliorant la transparence sur le plan de la rémunération sur le marché du travail, et en assurant l’égalité de traitement des travailleurs et des demandeurs sur les plateformes numériques, notamment s’agissant des évaluations réciproques.
Chaque pays a un contexte et des traditions qui lui sont propres ; pour autant, un système de relations du travail performant peut contribuer à bâtir un avenir du travail plus productif et plus inclusif. En fonction du contexte national, les décideurs devraient prendre en considération les possibilités suivantes :
Encourager les discussions nationales sur l’avenir du travail avec les partenaires sociaux et les autres organisations représentant les travailleurs et les employeurs, afin de poser un diagnostic commun des enjeux, de partager les pratiques, et d’échanger par le biais de plateformes de connaissances communes sur les nouvelles initiatives, y compris celles faisant usage des innovations technologiques.
Laisser de la place pour la négociation collective et encourager l’autorégulation des acteurs sur ces questions par un usage limité mais stratégique de l’intervention législative (comme l’illustre l’exemple du secteur des agences de travail temporaire dans plusieurs pays).
Assurer un large accès à la formation et à l’apprentissage tout au long de la vie en faisant la promotion de la négociation collective sur ces questions.
Accompagner les syndicats et les organisations patronales dans leurs efforts déployés pour inclure les formes d’emploi et d’activité atypiques, sans freiner l’émergence d’autres modalités d’organisation.
Les mesures visant à faire appliquer la qualification correcte du statut d’emploi des travailleurs doivent marquer la première étape dans l’accès de tous à la négociation collective. Néanmoins, la réglementation existante pourrait être encore adaptée pour permettre aux travailleurs situés dans la zone grise et aux travailleurs indépendants qui n’ont qu’un pouvoir limité sur leurs dispositions contractuelles d’accéder à la négociation collective. Dans cette optique, il pourrait être envisagé :
d’élargir la définition du salariat dans le droit du travail, s’agissant de la réglementation des relations du travail, afin d’inclure certaines catégories de travailleurs situés dans la zone grise ; et
de prévoir des exemptions à l’interdiction de négocier collectivement pour certaines catégories de travailleurs ou certaines professions, lorsque les rapports de force sont susceptibles d’être trop déséquilibrés.
Une stratégie globale en matière de formation des adultes s’impose pour relever les défis posés par la transformation du monde du travail et veiller à ce que tous les travailleurs, et surtout les plus vulnérables, aient la possibilité de se perfectionner tout au long de leur carrière. Dans le cadre d’une telle stratégie, les pays devraient prendre en considération les pistes d’action suivantes :
Instaurer une culture de la formation à la fois dans les entreprises et chez les individus. Pour ce faire, différentes mesures peuvent être prises : renforcer l’offre de services d’orientation professionnelle pour tous les adultes ; lancer des campagnes publiques d’information pour sensibiliser aux avantages qu’offre la formation ; et s’assurer que les salaires reflètent davantage les gains de productivité qui résultent de la participation à la formation.
Limiter les obstacles à la formation :
en éliminant les contraintes de temps au moyen de programmes de formation modulables, de cours dispensés en dehors des heures de travail ou de cours en ligne, et en accordant aux travailleurs des congés de formation ;
en diminuant le coût de la formation grâce à des incitations financières destinées aux catégories de travailleurs les plus vulnérables sur le marché du travail ;
en réduisant les barrières à l’entrée dans les programmes de formation pour les travailleurs peu qualifiés grâce à une meilleure reconnaissance des acquis de l’expérience.
Inciter les employeurs à former les catégories de travailleurs à risque, par exemple en diminuant le coût supporté par les employeurs grâce à des incitations financières ciblées.
Cibler les mesures en faveur de la formation des adultes, comme les aides financières, et les services d’orientation professionnelle sur les groupes qui en ont le plus besoin, y compris les travailleurs atypiques.
Lutter contre les inégalités d’accès à la formation fondées sur le statut d’emploi. La plupart des pays ont mis en place des clauses d’égalité des droits afin de veiller à ce que les travailleurs atypiques, comme les travailleurs à temps partiel, en contrat à durée déterminée et intérimaires, aient accès à la formation. Toutefois, dans la pratique, ces travailleurs n’ont parfois pas la possibilité d’acquérir de droits à la formation, qui dépendent souvent de l’ancienneté dans l’emploi et du nombre d’heures travaillées. Par ailleurs, les travailleurs indépendants sont encore très rarement couverts par la loi sur les droits à la formation.
Assurer la portabilité des droits à la formation entre les différents statuts d’emploi. Quelques pays ont proposé et mis en œuvre des comptes personnels de formation, dans l’objectif de donner aux travailleurs les moyens d’acquérir et d’accumuler des droits à la formation indépendamment de l’entreprise où ils travaillent ou du fait qu’ils changent d’emploi ou de statut d’emploi. Toutefois, pour que les travailleurs vulnérables tirent pleinement profit de ces dispositifs, il convient de leur adjoindre un soutien individuel plus personnalisé assuré par des spécialistes de l’orientation professionnelle et étayé par des informations fiables sur les besoins du marché du travail.
Veiller à la qualité des formations et à ce que leur contenu soit adapté aux besoins du marché du travail au moyen de la collecte et de l’utilisation d’informations de qualité sur les besoins en compétences ; de l’agrément et la certification des organismes de formation ; et d’une véritable culture de l’évaluation de l’efficacité des politiques et des programmes.
Renforcer la gouvernance des systèmes de formation des adultes, en mobilisant l’ensemble des parties prenantes compétentes, afin d’assurer la cohérence et la coordination des politiques en faveur de la formation des adultes. La formation des adultes relève de la responsabilité commune de multiples parties prenantes, y compris de l’administration publique, des partenaires sociaux, des prestataires de formation et des adultes eux-mêmes, qui doivent toutes être mobilisées activement.
Mutualiser la charge financière associée au développement des systèmes de formation des adultes. Les changements nécessaires pour développer les systèmes existants de formation des adultes, élargir leur couverture et améliorer leur qualité impliqueront des ressources financières considérables. Pour y parvenir, il conviendra de faire appel à un co-financement entre l’État, les employeurs et les individus en fonction de leurs moyens financiers et des bénéfices obtenus.
Les pays doivent procéder à un examen minutieux de leurs systèmes de protection sociale afin de déterminer s’ils offrent une couverture fiable contre les risques sociaux et du marché du travail, qui ne cessent d’évoluer. Dans la plupart des pays, les systèmes de protection sociale sont fondés sur la conjugaison de différents principes, comme les conditions de ressources ou l’assurance sociale, et ces dispositions influent sur la manière dont l’essor du travail atypique se traduit par des obstacles spécifiques à l’accès à la protection sociale. Les régimes de protection sociale peuvent eux-mêmes contribuer à la montée en puissance de l’emploi atypique. Il faut renforcer, le cas échéant, les régimes de protection sociale afin d’assurer un soutien efficace en matière de revenu et d’emploi aux travailleurs qui n’ont pas les moyens de saisir les opportunités créées par les progrès technologiques et le dynamisme du marché du travail.
Pour adapter la protection sociale à la mutation du marché du travail, il faut adopter une approche à la fois proactive et itérative qui soit en mesure de s’attaquer aux problèmes existants tout en assurant un suivi et l’adaptation des politiques parallèlement à l’évolution du marché du travail. Certains problèmes existent depuis longtemps mais ils pourraient devenir plus pressants à mesure que les nouvelles technologies ouvrent la voie à d’autres formes de travail. Il est indispensable de veiller à ce que la qualification du statut d’emploi des travailleurs soit correcte afin qu’ils puissent bénéficier des protections et des prestations auxquels ils ont droit en fonction de leur situation et des risques auxquels ils sont exposés (voir ci-dessus).
Toutefois, même avec des catégories juridiques bien définies et respectées, les régimes de protection sociale peuvent comporter des carences pour les travailleurs traditionnels et, surtout, pour les travailleurs atypiques. Afin d’éliminer les obstacles à l’accès à la protection sociale pour les travailleurs atypiques et les travailleurs traditionnels, les décideurs devraient prendre en considération les pistes d’action suivantes :
Passer en revue les critères d’ouverture des droits à la protection sociale, comme les obligations d’emploi, les délais de carence et les dispositions qui régissent la possibilité ou non de percevoir des prestations pour les travailleurs occupant un emploi temporaire ou une autre forme d’emploi atypique ;
Permettre aux travailleurs indépendants d’accéder à des prestation de remplacement de revenus lorsqu'ils se trouvent sans emploi;
Assouplir les régimes de protection sociale en assurant la portabilité des droits acquis entre emplois et d’une forme d’emploi à l’autre ;
Consolider ou renforcer le partage des risques entre tous les groupes du marché du travail et toutes les catégories de revenus, en s’attaquant aux incitations financières qui favorisent le travail atypique, comme les allégements d’impôts/de cotisations ou l’adhésion volontaire ;
Assouplir les critères de conditions de ressources pour s’adapter aux besoins des personnes, par exemple en modifiant la période de référence sur laquelle repose l’évaluation des besoins et en pondérant de manière appropriée les revenus actuels ou récents de tous les membres de la famille ;
En fonction de la marge de manœuvre budgétaire disponible, renforcer les formes d’aide universelles et sans conditions de ressources, comme les allocations universelles pour enfant à charge, afin de compléter les mesures de soutien ciblées ou les dispositifs d’assurance existants.
L’automatisation sera synonyme de suppressions d’emplois pour de nombreux travailleurs. Par ailleurs, avec les nouvelles formes d’emploi, la distinction est plus floue entre ceux qui exercent un emploi et ceux qui sont sans emploi. Cela soulève de nouvelles interrogations quant au périmètre et à l’ambition des mesures d’activation et des dispositifs de protection sociale axés sur l’emploi. Les possibilités et priorités d’action sont notamment les suivantes :
Il est crucial de s’attaquer aux insuffisances constatées sur le front de l’aide au revenu, qui sert généralement de point d’accès aux programmes de réinsertion sur le marché du travail. Pour ce faire, il pourrait être nécessaire d’étendre ces aides aux « personnes en situation de chômage partiel » et aux autres demandeurs d’emploi qui travaillent sporadiquement ou occupent des emplois peu rémunérés ;
Il faut passer en revue les obligations imposées aux bénéficiaires, comme la recherche active d’emploi, afin de compenser l’extension des droits à prestations. Un tel examen devrait permettre de s’assurer que l’équilibre entre les aides et les obligations reste dans le droit-fil des objectifs quantitatifs et qualitatifs pour l’emploi. Par exemple, les pouvoirs publics doivent déterminer si, et quand, les services de l’emploi doivent inciter les personnes à se tourner vers des formes d’emploi qui pourraient se révéler précaires ;
Les pouvoirs publics doivent veiller à ce que le contenu des programmes actifs du marché du travail corresponde aux besoins et à la situation des bénéficiaires, qui ne cessent d’évoluer. Face à l’augmentation de la proportion de personnes au chômage partiel, un transfert des ressources pourrait être nécessaire des programmes d’insertion professionnelle ou de création directe d’emplois vers la formation personnalisée ou l’orientation professionnelle (voir aussi ci-dessus).
L’adaptation de la protection sociale au monde du travail de demain sera source de pressions supplémentaires en matière de financements, alors que les budgets alloués à la protection sociale sont déjà soumis à de fortes tensions dans de nombreux pays.
Pour assurer un niveau de financement adapté à l’évolution des besoins en matière de protection sociale, il faut adopter une approche résolue et coordonnée, fondée notamment sur une offre de services de protection sociale avec un bon rapport coût-efficacité, des technologies optimisées de collecte de recettes et une meilleure application de la législation en vigueur, et un juste équilibre des recettes entre la fiscalité du travail et les autres types d’imposition.
Pour veiller à la viabilité financière des systèmes de protection sociale, il faut aussi s’attaquer aux incitations involontaires qui faussent les décisions d’emploi ou d’embauche ou encouragent l’utilisation à mauvais escient des systèmes d’aide par les travailleurs et les employeurs.
Il faut plus particulièrement réexaminer les motifs qui justifient le caractère volontaire de l’adhésion aux systèmes de protection sociale à la lumière de l’évolution des marchés du travail. Si des formes d’emploi nouvelles et émergentes augmentent les possibilités de se retirer des régimes de protection sociale, la mutualisation des risques assurée par la protection sociale pourrait être compromise, et ses sources de financement pourraient s’éroder.
Les pouvoirs publics doivent également déterminer si les mécanismes de financement existants de la protection sociale assurent une juste répartition de la charge entre les différents employeurs, par exemple entre ceux qui n’ont que peu recours à l’automatisation et ceux qui remplacent une grande partie de leur main-d’œuvre par des robots ou l’intelligence artificielle.