Après avoir esquissé à grands traits l’évolution de l’emploi indépendant, du travail pour compte propre et du travail de plateforme, ce chapitre présente une analyse approfondie des moyens de remédier aux problèmes liés à certaines de ces « nouvelles » formes de travail – elle couvre notamment la réglementation du marché du travail, la protection sociale, la fiscalité, le dialogue social et les compétences. L’objectif des responsables publics doit être de concilier innovation, entrepreneuriat et flexibilité d’une part, et qualité des emplois et droits et protection des travailleurs d’autre part. Ce dernier aspect est important pour les travailleurs, mais aussi pour assurer des conditions de concurrence égales entre les entreprises.
Des emplois de qualité pour tous dans un monde du travail en mutation
Chapitre 12. S’adapter au travail indépendant, aux nouvelles formes de travail et à l’économie des plateformes
Abstract
Les données statistiques concernant Israël sont fournies par et sous la responsabilité des autorités israéliennes compétentes. L’utilisation de ces données par l’OCDE est sans préjudice du statut des hauteurs du Golan, de Jérusalem-Est et des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie aux termes du droit international.
Introduction
Les innovations récentes dans le domaine de la technologie et des modèles économiques ont conduit à l’émergence de « l’économie de plateforme » et, de manière générale, à de nouveaux modes de travail. Du point de vue de l’emploi, ces évolutions ont été intéressantes en ce qu’elles ont favorisé des formes d’emploi plus flexibles qui ont été une aubaine pour les employeurs et pour de nombreux travailleurs.
D’aucuns craignent toutefois que ces nouvelles formes de travail n’offrent aux individus une protection de l’emploi limitée ou nulle, une protection sociale réduite, de mauvaises conditions de travail (y compris en termes de rémunération) et ne les mettent en position de faiblesse vis-à-vis des employeurs et des clients. Cela pose un problème aux travailleurs eux-mêmes, mais peut aussi créer des conditions de concurrence inéquitables si les entreprises essaient d’obtenir un avantage compétitif en esquivant purement et simplement leurs devoirs et responsabilités. Un enjeu fondamental pour les pouvoirs publics consiste donc à favoriser l’innovation, l’entrepreneuriat et la flexibilité et à renforcer en parallèle la qualité des emplois et les droits et protections des travailleurs.
L’économie de plateforme a suscité un regain d’attention pour ces questions, mais celles-ci ne sont en rien nouvelles. De nombreux travailleurs, comme les coiffeurs, les plombiers et les jardiniers, présentent des caractéristiques communes avec les travailleurs de plateforme et sont confrontés à des problèmes comparables. Plusieurs pays ont vu le nombre de travailleurs indépendants sans personnel (ou à leur propre compte) progresser par suite des incitations fiscales et réglementaires intégrées à leurs régimes plutôt que sous l’effet des mutations technologiques. L’augmentation structurelle générale des emplois dans le secteur tertiaire a également contribué à cette évolution.
Ce chapitre s’intéresse à ces formes atypiques de travail, et en particulier à la zone grise entre l’emploi indépendant et l’emploi salarié. Après un tour d’horizon de l’évolution de l’emploi indépendant, du travail pour compte propre et du travail de plateforme (section 12.1), le chapitre présente une analyse approfondie qui couvre la réglementation du travail, la protection sociale, la fiscalité, le dialogue social et les compétences (section 12.2). La dernière section en présente les conclusions.
12.1. Faits stylisés
Évolution de l’emploi indépendant, du travail pour compte propre et du travail de plateforme
L’apparition de nouvelles formes de travail est étroitement liée à l’irruption de l’économie de plateforme. Jusque récemment, les enquêtes sur la population active et les enquêtes auprès des ménages existantes ne permettaient pas de mesurer l’ampleur de ce phénomène. Diverses études ponctuelles s’y sont essayées mais, compte tenu des différences en termes de définition de la notion de plateforme, de période couverte, et de méthode d’enquête, il est difficile d’en comparer les estimations. À titre d’exemple, certaines ne couvrent que les revenus tirés des plateformes d’emploi (à savoir les technologies qui permettent aux usagers de vendre leur travail, comme le transport de particuliers ou la télésaisie de données), tandis que d’autres tiennent également compte des revenus dégagés des plateformes de capital (autrement dit les technologies qui permettent aux usagers de vendre ou de louer des biens, comme les appartements ou les biens d’occasion). Les données proviennent entre autres d’enquêtes en face-à-face, d’enquêtes téléphoniques, d’enquêtes en ligne, de données administratives comme les dossiers fiscaux ou les données bancaires et, plus récemment, de nouvelles questions ajoutées aux enquêtes sur la population active et aux enquêtes auprès des ménages. Globalement, les données les plus fiables indiquent que le travail de plateforme ne représente encore qu’un faible pourcentage de l’emploi total (moins de 1 %) (Katz et Krueger, 2016[1] ; Farrell et Greig, 2016[2] ; Jackson, Looney et Ramnath, 2017[3] ; Statistique Canada, 2017[4] ; Statistics Finland, 2018[5]). Il semblerait qu’il ait rapidement progressé mais, selon d’autres indices, cette croissance aurait récemment marqué le pas (Farrell et Greig, 2016[6]).
Il convient de souligner que le travail de plateforme n’est pas en soi une forme d’emploi, mais se rapporte plutôt au moyen par l’intermédiaire duquel ce travail est obtenu et (parfois) effectué. En théorie, les travailleurs de plateforme pourraient s’inscrire dans n’importe quel type de relation de travail. Dans la pratique, beaucoup d’entre eux sont (à juste titre ou pas) classés dans la catégorie des travailleurs indépendants et, en particulier, des prestataires indépendants (ou des travailleurs à compte propre ou travailleurs indépendants sans personnel). Bon nombre de ces derniers seront confrontés à des difficultés similaires à celles des travailleurs en plateforme ; il est donc intéressant de procéder à un examen plus général de cette catégorie de travailleurs – également parce que la croissance de l’emploi indépendant sans personnel dans certains pays a été davantage motivée par des décisions politiques (incitations fiscales et réglementaires) que par la technologie. Bien qu’aucune évolution claire de la proportion de travailleurs indépendants dans l’emploi total ne soit observable dans l’OCDE entre 1995 et 2016 (Graphique 12.1), celle-ci a sensiblement progressé dans certains pays comme les Pays-Bas, la République slovaque et le Royaume-Uni.
Le travail à compte propre pose un problème particulier lorsque les individus sont financièrement tributaires d’un employeur unique. Il s’agit des « travailleurs indépendants économiquement dépendants », qui tirent l’essentiel de leur revenu d’un seul client. La raison pour laquelle les responsables publics s’intéressent à cette catégorie tient à ce que ces travailleurs sont généralement en position de vulnérabilité vis-à-vis de leur client, et à ce que leur situation pourrait appeler la mise en place de protections particulières (d’autant plus qu’ils ne pourront bénéficier des prestations et protections dont les salariés bénéficient habituellement). Seuls quelques pays ont établi des définitions officielles (juridiques) du travail autonome dépendant, et celles qui existent diffèrent généralement. En Espagne, par exemple, le trabajador autónomo económicamente dependiente (travailleur indépendant économiquement dépendants, ou « TRADE ») est un travailleur établi à son propre compte dont 75 % des revenus moins dépendent d’un client unique. Au Portugal, ce statut s’applique à un travailleur indépendant dont 80 % au moins du revenu annuel repose sur un seul client (regime dos trabalhadores independentes e que prestam serviços maioritariamente a uma entidade contratante). Il est d’autant plus difficile d’estimer l’ampleur de l’emploi autonome dépendant que les enquêtes courantes relatives à la population active et auprès des ménages ne permettent pas de distinguer cette catégorie de travailleurs. Se fondant sur l’Enquête européenne sur les conditions de travail, le Graphique 12.2 examine l’évolution du travail autonome dépendant, défini comme correspondant aux travailleurs établis à leur propre compte qui n’ont en général qu’un client, entre 2010 et 2015. Il montre que dans deux tiers des pays environ, ce mode de travail a progressé durant cette période.
Une notion très proche de celle du travail autonome dépendant, mais distincte, est celle du faux travail indépendant. La définition exacte en variera également d’un pays à l’autre, selon les critères juridiques en place pour déterminer le statut professionnel. Dans la plupart des pays, la dépendance économique à l’égard d’un client unique (le travail autonome dépendant) ne suffira pas pour qu’un travailleur soit considéré comme un faux indépendant. En effet, on peut être financièrement tributaire d’un client tout en étant un véritable travailleur indépendant. En général, pour qu’une relation professionnelle soit qualifiée de faux travail indépendant, il faut aussi que le client/employeur exerce une certaine forme de contrôle qui ne laisse guère au travailleur la possibilité de décider de ses horaires, de la façon dont le travail est exécuté, du lieu de travail, etc. Autrement dit, les caractéristiques de la relation de travail doivent étroitement se rapprocher de celles d’une relation employeur-salarié. Il est en outre difficile d’obtenir des estimations du faux travail indépendant, et les comparaisons internationales sont encore plus délicates car les définitions du statut de salarié varient sensiblement d’un pays à l’autre. Le Graphique 12.3 s’efforce toutefois d’évaluer dans quelle mesure les travailleurs indépendants qui n’ont généralement qu’un client ne peuvent modifier au moins deux des éléments suivants de leur activité : i) l’ordre des tâches à accomplir ; ii) la méthode de travail ; et iii) le rythme ou la rapidité du travail. Il indique que le pourcentage des travailleurs dans cette situation a augmenté dans la majorité des pays de l’UE.
Quels ont été les moteurs de ces évolutions ?
Les entreprises s’efforcent constamment de trouver de nouveaux modèles économiques et des modes de production moins coûteux de biens et de services. Dans certains cas, cette quête les a conduits à faire davantage appel aux modalités atypiques d’emploi et à l’externalisation, et à transférer les coûts, les risques et les responsabilités des employeurs aux travailleurs. La technologie a accentué cette évolution en favorisant l’externalisation non seulement des emplois, mais de tâches particulières car elle a sensiblement diminué les coûts de transaction liés à cette façon de procéder et a même permis aux petites et moyennes entreprises d’y recourir. Elle a également permis aux individus de bénéficier d’une plus grande latitude quant à leur lieu et à leurs horaires de travail, et le développement des formes atypiques de travail s’explique peut-être en partie par leur désir de concilier de manière plus souple le travail et leurs autres responsabilités. Il apparaît par exemple que les applications de VTC ont réduit les obstacles à l’entrée sur le marché du travail pour les femmes, et que les conductrices apprécient particulièrement la souplesse qu’elles offrent (SFI, 2018[7]). Les évolutions structurelles en général, et le glissement vers les emplois tertiaires en particulier, ont favorisé cette tendance (OCDE, 2015[8]).
Quoi qu’il en soit, le taux d’emploi indépendant et son évolution varient considérablement selon les pays, ce qui laisse entendre que les décisions politiques, intentionnelles ou pas, peuvent amplifier ou atténuer l’apparition et/ou le développement de ces formes de travail. À titre d’exemple, l’expansion du travail indépendant a été favorisée par des réformes d’ordre réglementaire ou fiscal qui ont créé pour les employeurs et les salariés de très fortes incitations à préférer cette forme d’emploi à l’emploi dépendant. Une étude à paraître de l’OCDE (Milanez et Bratta, à paraître[9]) montre par exemple qu’aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, l’écart entre le coût total d’emploi d’un travailleur indépendant et celui d’un salarié est suffisamment important pour qu’employeurs et salariés optent pour le travail indépendant.
Avantages et inconvénients
Pour les entreprises, les modèles économiques fondés sur l’externalisation du travail à des travailleurs indépendants signifient en général de plus grandes possibilités d’ajuster la main d’œuvre en fonction de l’évolution parfois imprévisible de la conjoncture économique, et des économies substantielles. Pour les travailleurs, l’emploi indépendant peut représenter un moyen de mieux concilier travail et vie personnelle et, selon certaines données, le taux de satisfaction des travailleurs indépendants et des travailleurs de plateforme serait élevé (OCDE, 2000[10] ; Forde et al., 2017[11]). Il se pourrait que les avantages de ce système soient également ressentis de manière plus générale par la société (et par les consommateurs en particulier) dans la mesure où les biens et les services sont produits à moindre coût. De ce point de vue, l’apparition de l’économie de plateforme doit être saluée. En diminuant les barrières à l’entrée, en améliorant l’appariement entre travailleurs et employeurs, et en diminuant les coûts de transaction, l’économie de plateforme a abaissé les prix et élargi le choix offerts aux consommateurs, et a souvent répondu à une demande insatisfaite, ou même stimulé une nouvelle demande. Aux États-Unis, (Cohen et al., 2016[12]) constatent qu’Uber génère un surplus du consommateur considérable, et (Hathaway et Muro, 2016[13]) observent qu’en dépit de l’augmentation du nombre de travailleurs indépendants, l’emploi salarié (c’est-à-dire le nombre d’employés dépendants) dans les secteurs de l’économie de partage a également progressé.
Cela dit, le recours abusif à ce type de modèles économiques peut aussi avoir des retombées négatives – sur les employeurs, sur les travailleurs et sur l’ensemble de la société. En ce qui concerne les entreprises, la dépendance excessive à l’égard de personnel extérieur peut progressivement éroder leurs compétences propres, et il a été démontré que l’emploi atypique entraîne une baisse des investissements dans la formation (OCDE, 2014[14]) qui se traduit, à terme, par un ralentissement de la croissance de la productivité. Les entreprises auraient aussi intérêt à ce que les conditions de concurrence soient uniformes, et à éviter des situations dans lesquelles des firmes moins responsables gagnent un avantage compétitif pour la simple raison que leur modèle économique se fonde sur le contournement de la réglementation et/ou la réduction de leur facture fiscale. Qui plus est, de tels comportements d’évasion fiscale ont généralement pour effet d’augmenter la facture fiscale de toutes les autres entreprises si les travailleurs non protégés en sont réduits à faire appel aux régimes d’assistance sociale qui sont financés par les impôts généraux et non par les cotisations sociales. La classification délibérément erronée des travailleurs dans la catégorie des prestataires indépendants pose un problème particulier et représente un défi considérable pour les recettes publiques. Aux États-Unis, par exemple, le Department of Labor a estimé qu’entre 10 % et 30 % des travailleurs indépendants font l’objet d’une classification erronée, et que cela pourrait avoir des conséquences notables sur les recettes fiscales (Brumm, 2016[15]).
L’emploi indépendant peut aussi donner aux travailleurs plus de flexibilité, mais ils n’en tireront sans doute pas avantage si leur pouvoir de négociation vis-à-vis des clients et/ou intermédiaires est limité. Les travailleurs indépendants, surtout ceux qui n’ont pas de personnel, gagnent, en moyenne, beaucoup moins que les salariés (OCDE/UE, 2017[16]). L’emploi indépendant est en outre moins sûr que l’emploi salarié, et un nombre considérable de travailleurs indépendants mettent terme à leur activité dans les cinq ans (OCDE/UE, 2017[16]). Les travailleurs indépendants bénéficient d’une flexibilité et d’une autonomie qui se traduisent par des niveaux plus élevés de satisfaction à l’égard de la vie et du travail. Ils sont en revanche confrontés aux longues heures de travail, au stress et aux problèmes de santé potentiels qui caractérisent leurs conditions de travail (OCDE/UE, 2017[16]).
De nouvelles données relatives à l’économie de plateforme indiquent que les rémunérations des travailleurs y varient considérablement, ce qui tient à l’hétérogénéité du travail, mais que nombreux sont ceux dont le salaire est très bas, souvent nettement inférieur au salaire minimum national (CIPD, 2017[17] ; Lepanjuuri, Wishart et Cornick, 2018[18] ; Forde et al., 2017[11]).
La santé, la sécurité et les heures de travail sont aussi sources de préoccupations (Quinlan, 2015[19] ; Ticona et Mateescu, 2018[20]) – souvent liées à l’absence de réglementation du travail de plateforme (Garben, 2017[21]). D’aucuns ont fait valoir que la plus grande flexibilité offerte par l’économie de plateforme pouvait supprimer certains obstacles à la participation au marché du travail et permettre à des catégories habituellement sous-représentées de trouver plus facilement un emploi (voir plus haut les observations concernant les femmes et Uber). Si les travailleurs de plateforme présentent la même hétérogénéité que les plateformes elles-mêmes et que les emplois qu’elles proposent, ils sont dans l’ensemble plus jeunes, de sexe masculin, plus diplômés et plus susceptibles de vivre en milieu urbain (Balaram, Warden et Wallace-Stephens, 2017[22] ; Berg, 2016[23] ; Farrell et Greig, 2016[2] ; Bonin, 2017[24] ; Huws, Spencer et Joyce, 2016[25] ; Pesole et al., 2018[26]). En dehors des jeunes, il n’est donc pas certain que l’économie de plateforme ait à ce stade tenu sa promesse de réduire les écarts de taux d’emploi des catégories défavorisées.
12.2. Mesures prises par les pouvoirs publics
S’il convient d’encourager le travail indépendant et l’entrepreneuriat, les responsables publics doivent veiller à ce que la qualité de l’emploi de ces travailleurs soit optimisée. Ils doivent également éviter les situations dans lesquelles le choix de travailler à son propre compte tient exclusivement aux incitations fiscales et/ou réglementaires, et celles dans lesquelles les entreprises optent pour ces formes de travail de manière à transférer les risques et responsabilités aux travailleurs. Pour ce faire, ils sont confrontés à des arbitrages délicats : comment lutter contre le travail indépendant sans nuire au véritable entrepreneuriat (Kautonen et al., 2010[27]) ; comment réglementer sans étouffer l’innovation ; comment favoriser la qualité de l’emploi sans porter atteinte au volume d’emplois ?
Les pouvoirs publics peuvent agir sur plusieurs fronts : réglementation de l’emploi, compétences, dialogue social, fiscalité et protection sociale. La combinaison précise de réformes et d’interventions sera fonction des problèmes particuliers à chaque pays, de leur situation de départ, et de leurs spécificités nationales. Les responsables publics doivent en outre veiller à ne pas trop simplifier le contexte actuel. Par exemple, les plateformes fonctionnent et traitent leurs travailleurs de manières diverses ; l’adoption d’une approche binaire à la réglementation pourrait créer plus de problèmes qu’en résoudre.
Équilibrer les incitations
De nombreuses personnes préfèrent le statut de travailleur indépendant à celui de salarié parce qu’il leur donne plus de liberté et leur permet d’être leur propre patron, de mieux concilier travail et vie personnelle, voire de gagner davantage d’argent. De même, de nombreuses entreprises choisissent d’externaliser une partie de leurs fonctions et activités parce que cette stratégie est rentable pour elles. Dans la plupart des pays, les travailleurs indépendants paient moins d’impôts et de cotisations sociales que les salariés, ce qui tient à diverses raisons - soit qu’ils bénéficient en retour de moins de prestations sociales, soit que l’État souhaite encourager l’entrepreneuriat. De manière générale, les entreprises et les particuliers pèseront les avantages et les inconvénients du travail indépendant et/ou de l’externalisation des emplois.
Un problème surgit toutefois lorsque les incitations sont telles qu’elles se traduisent par un taux de travail indépendant élevé et inefficient. Cela risque d’aboutir à une mauvaise affectation des ressources en main d’œuvre et de fragiliser les régimes de protection sociale (surtout quand les personnes qui présentent peu de risques optent pour le travail indépendant et sont autorisées à ne pas cotiser à certains volets du régime ; celui-ci ne conserverait alors que les « mauvais risques », et on observerait une dépendance accrue à l’égard de l’aide sociale). Par ailleurs, dans la mesure où le travailleur indépendant suit moins de formations, un taux très élevé de travail indépendant risque de freiner la productivité. De surcroît, ces incitations, lorsqu’elles donnent lieu à un faux travail indépendant, peuvent avoir de lourdes conséquences sur les particuliers (en termes de protection de l’emploi, de protection sociale, de représentation des travailleurs, etc.), mais aussi sur les entreprises qui risquent d’être confrontées à la concurrence déloyale de celles qui essaient d’échapper à leurs devoirs et responsabilités.
Lorsqu’il existe des déséquilibres fiscaux et réglementaires prononcés entre les différentes formes d’emploi, les pouvoirs publics doivent s’efforcer de les réduire. Certains pays l’ont déjà fait. Une réforme fiscale a ainsi été introduite en République tchèque en 2004 pour mettre un terme au développement du « faux » travail indépendant. Bien qu’il soit difficile d’isoler l’effet des réformes de celui d’autres facteurs, le taux de travail indépendant a moins augmenté en République tchèque qu’en République slovaque au cours de cette période (OCDE, 2008[28]). En Autriche, la crainte que les employeurs ne fassent appel à des prestataires indépendants (freie Dienstnehmer) pour contourner la fiscalité et la réglementation en vigueur a conduit les autorités à intégrer progressivement ces derniers au régime de protection sociale et, depuis 2008, ceux-ci paient les mêmes cotisations sociales que les salariés.
Une mesure apparentée que les pays pourraient adopter consiste à encourager l’embauche dans le cadre de contrats ordinaires en rendant ceux-ci plus intéressants que les modalités atypiques d’emploi. Il s’agirait par exemple d’assouplir les obligations ou d’accroître la flexibilité associée aux contrats type pour les employeurs. Ainsi, dans le cadre de sa réforme du marché du travail de 2015, l’Italie a accordé une amnistie temporaire d’amendes aux employeurs qui acceptaient de convertir les contrats de travail indépendant existants en contrats de travail à durée indéterminée classiques (Williams et Lapeyre, 2017[29]).
Remédier au problème de la classification des travailleurs
Il est difficile, voire non souhaitable, de supprimer complètement les disparités fiscales et réglementaires entre les diverses formes d’emploi ; les incitations à classer les travailleurs dans une catégorie inappropriée existeront donc toujours, sous une forme ou une autre. C’est pourquoi il importe que la règlementation du travail définisse clairement les différentes formes d’emploi, que les employeurs et les travailleurs soient informés de la législation en vigueur, et que celle-ci soit correctement appliquée.
Dans certains cas, il se peut que la législation en vigueur soit adaptée, mais que les entreprises et les travailleurs la connaissent mal. L’action gouvernementale doit alors avoir pour objectif de les aider à définir leurs relations professionnelles, moyennant des orientations plus précises et des informations sur le statut contractuel par exemple. Aux États-Unis, le Department of Labor a publié en 2015 des lignes directrices portant sur la catégorisation des salariés et des prestataires indépendants. Si cette « interprétation officielle » adopte sans doute une vision élargie des relations de travail, elle n’en est pas moins compatible avec les décisions juridiques en la matière. En juin 2017, ce document a été révoqué par le nouveau gouvernement.
Les relations de travail sont généralement établies par les tribunaux sur la base du principe de « primauté des faits » : quelle que soit la façon dont les employeurs et les travailleurs décrivent leurs relations dans le cadre du contrat qui les lie, l’existence d’une relation de travail sera déterminée par les faits concrets – c’est-à-dire selon que certaines conditions objectives sont remplies. En particulier, le degré de subordination et de dépendance du travailleur à l’égard de l’employeur sera évalué à l’aune d’un éventail d’indicateurs qui peut varier d’un pays à l’autre, mais qui couvre généralement les éléments suivants : l’intégration du travailleur à l’entreprise ; la mesure dans laquelle le travailleur est maître de ses conditions de travail (notamment le lieu et le temps de travail) ; le fournisseur des outils, du matériel ou des machines ; la régularité des paiements ; et le degré de dépendance financière du travailleur vis-à-vis de l’employeur. Dans les pays de common law, les juges fondent leurs décisions sur certains critères établis par la jurisprudence. Dans les pays de droit civil, ces critères sont consacrés par la loi ; il y aura souvent présomption d’une relation de travail s’ils sont remplis, et il incombera à l’employeur de prouver le contraire.
Dans certains cas, il faudra éventuellement préciser, réviser ou actualiser la réglementation, notamment les définitions des relations de travail – comme la signification des termes « employé », « travailleur indépendant », ou même « employeur » (pour les relations tripartites et dans les cas faisant intervenir un intermédiaire, une plateforme par exemple). Certains pays ont ainsi une définition très large du terme « employé » qui couvre dans certains cas les prestataires indépendants (Suède, Canada). D’autres appliquent plusieurs critères et/ou définitions de l’emploi qui varient selon les domaines juridiques/de l’action publique (travail, fiscalité, protection sociale), ce qui peut créer une certaine confusion. Dans ces cas, une harmonisation se justifierait. Aux États-Unis, par exemple, les critères permettant de définir le statut d’employé vont du plus large, « suffer or permit »1 au plus étroit, le critère de common law2, en passant par les critères hybrides3 et « ABC »4 (Waas et al., 2017[30]).
Une catégorie intermédiaire de travailleurs pourrait offrir une solution au problème de la classification, mais elle en soulève d’autres. Certains pays ont établi une « catégorie tierce de travailleurs » afin de prendre en compte tous ceux dont on estime qu’ils se situent entre le prestataire indépendant et l’employé et de leur donner accès à un ensemble fondamental de droits, de prestations et de protections. Dans la plupart des cas, l’extension des droits aux travailleurs de cette catégorie intermédiaire a trait à la protection sociale, la résiliation d’un contrat restant expressément réglementée par le droit commercial. On citera pour exemples la catégorie « worker » au Royaume-Uni ; le travailleur « semi-subordonné » (lavoro parasubordinato) en Italie ; et les personnes « assimilées à des salariés » (arbeitnehmerähnliche Person) en Allemagne. La France n’a pas de catégorie tierce à proprement parler, mais le gouvernement a proposé d’autoriser les plateformes à signer une charte qui énonce leurs responsabilités envers les travailleurs et les droits de ces derniers. En contrepartie, les plateformes ne risquent pas de voir leurs travailleurs requalifiés en salariés. Dans la pratique, cette solution créerait donc une catégorie distincte de travailleurs.
Si une catégorie intermédiaire peut être utile pour certains travailleurs établis à leur propre compte, rien ne prouve qu’une catégorie tierce facilite la classification (De Stefano, 2016[31]). Certains employés risquent en outre de perdre leurs droits et protections si leur statut est rétrogradé. C’est ce qui est arrivé à certains en Italie, qui ont été transférés à la catégorie intermédiaire des « semi-subordonnés » (Liebman, 2006[32] ; Muehlberger, 2007[33]). On pourrait dans une certaine mesure prévenir ce type de rétrogradation en durcissant les critères de classement dans la catégorie intermédiaire, mais ceux-ci risquent alors de devenir trop complexes et laborieux, de sorte que peu de travailleurs seront finalement inscrits dans cette catégorie. C’est le problème observé en Espagne où, compte tenu des conditions rigoureuses régissant le classement dans la catégorie TRADE, peu de travailleurs y ont été inscrits. Enfin, dans le cas des travailleurs de plateforme, le problème est compliqué par le caractère tripartite de la relation de travail qui ne permet pas de définir clairement qui est l’employeur (s’il y en a effectivement un).
Même dans les cas où la législation en vigueur est appropriée et où les travailleurs et les entreprises sont bien informés, il peut être difficile et coûteux pour les travailleurs de contester leur statut au regard de l’emploi. Les autorités souhaiteront éventuellement faciliter cette démarche et en abaisser le coût, par exemple en imputant la charge de la preuve à l’employeur (plutôt qu’à l’employé), en réduisant les frais de justice, en atténuant les risques pour les travailleurs, et/ou en mettant ces derniers à l’abri d’éventuelles représailles. Dans la plupart des pays, il appartient au travailleur de contester son statut d’emploi mais, dans d’autres, les autorités du travail sont dans une certaine mesure habilitées à faire respecter le droit du travail – ce pouvoir étant toutefois limité et ne couvrant pas la possibilité d’intenter un recours au civil ou de saisir un tribunal sans le consentement du (des) travailleur(s) lésé(s). En Australie, au Chili, en Pologne, en Espagne et aux États-Unis, en revanche, les autorités du travail peuvent intenter une action au civil au nom des travailleurs lésés, même en l’absence de consentement de leur part, surtout lorsqu’il s’agit d’une question importante d’intérêt général. En Suède, les syndicats peuvent engager des poursuites contre un employeur au nom du travailleur (Williams et Lapeyre, 2017[29]). Certaines plateformes ont tenté de faire signer aux travailleurs des accords d’arbitrage en vertu desquels ils renonceraient au droit d’intenter des poursuites. Aux États-Unis, le National Labor Relations Board a statué que ces accords contrevenaient au droit du travail (Waas et al., 2017[30]).
Les autorités pourraient également renforcer les sanctions prévues pour les entreprises qui ne respectent pas la législation. En effet, lorsque les conséquences de leurs irrégularités sont minimes, les entreprises ne sont pas incitées à classer correctement les travailleurs. Les pouvoirs publics peuvent : requalifier la relation de travail ; imposer le paiement rétroactif des impôts et des cotisations sociales ; imposer des sanctions plus lourdes aux entreprises en cas de récidive ; et étendre l’application des jugements du tribunal au-delà des plaignants et à l’ensemble de la main d’œuvre se trouvant dans une situation similaire. Ces mesures pourraient être associées à des dispositions visant à rehausser la capacité de l’inspection du travail à surveiller et détecter les violations du droit, moyennant par exemple un accroissement de ses responsabilités et de ses ressources, l’instauration de méthodes d’inspection innovantes des travailleurs à domicile/sur plateformes, etc.
Réglementer le travail de plateforme
Les pouvoirs publics peuvent aussi essayer de réglementer le recours aux nouvelles formes de travail (tout comme le travail intérimaire et les contrats temporaires ont été réglementés par le passé), ce qui risquerait de limiter, voire d’interdire, leur utilisation. La réglementation du travail de plateforme, du point de vue des travailleurs, soulève des problèmes délicats car il se peut que bon nombre d’entre eux soient véritablement indépendants et ne possèdent donc pas de contrat de travail. La plupart des travailleurs de plateforme signent toutefois une convention d’utilisation de la plateforme, et pourraient faire l’objet d’une intervention réglementaire. Les pays pourraient par exemple interdire les accords d’arbitrage en vertu desquels les travailleurs renoncent à leur droit d’ester en justice, ou les clauses de non-concurrence qui leur interdisent de travailler pour d’autres plateformes. Néanmoins, les interventions réglementaires devront sans doute émaner d’autres champs de l’action publique que celui du travail, notamment de la politique commerciale et fiscale et de la politique de la concurrence, voire de réglementations sectorielles spécifiques (transport et logement par exemple). Quelques pays ont décidé d’interdire d’emblée certaines plateformes – souvent au motif de concurrence déloyale. La société de VTC Uber a été exclue (ou s’est volontairement retirée, en raison des restrictions légales) des pays et territoires suivants : Alaska, Oregon (à l’exception de Portland) aux États-Unis, Vancouver (Canada), Bulgarie, Danemark, Grèce, Hongrie, Italie, Allemagne, Territoires du Nord (Australie), Japon, et Taïwan5. De telles décisions ne doivent cependant pas être prises à la légère, et il convient d’en peser soigneusement les avantages et les inconvénients. L’exemple antérieur du travail intérimaire peut être utile : d’abord interdit dans de nombreux pays, il a offert aux travailleurs de nombreux débouchés intéressants dès lors qu’une réglementation adaptée a été élaborée.
Améliorer les conditions de travail
Pour améliorer les conditions de travail de ceux qui pratiquent ces nouvelles formes d’emploi, les autorités doivent avant tout veiller à ce que travailleurs et employeurs soient informés de leurs droits et responsabilités respectifs. En Autriche, par exemple, de nombreux employés de l’entreprise de livraison Foodora ignoraient les conditions précises de leurs contrats de travail (Johnston et Land-Kazlauskas, 2018[34]). Les pouvoirs publics peuvent organiser des campagnes publiques d’information et/ou imposer aux entreprises de fournir aux travailleurs des déclarations écrites précisant leur statut professionnel et les droits et protections qui lui sont associés. Au Royaume-Uni, par exemple, les autorités ont prévu, pour faire suite au rapport Taylor Review (« Good Work ») (HM Government, 2018[35]) des mesures afin que les travailleurs soient informés dès le premier jour de leur relation de travail et des droits dont ils bénéficient.
Les pouvoirs publics pourraient également examiner les moyens d’élargir les différents droits, prestations et protections aux nouvelles formes de travail. Dans de nombreux cas, les lois, les politiques et les institutions du travail ont été conçues en fonction du salarié à temps plein classique disposant d’un contrat à durée indéterminée. Il n’est pas toujours facile de les étendre, par exemple, aux travailleurs indépendants ; l’une des solutions proposées a donc consisté à instaurer une catégorie tierce, ou intermédiaire, de travailleurs, qui permettrait de bénéficier de certaines de ces prestations et protections (généralement celles dont la couverture peut facilement être étendue), mais pas d’autres (celles dont il est plus difficile d’élargir la couverture). Une meilleure solution pourrait toutefois consister à réexaminer chacune des grandes lois du travail séparément (même celles qui semblent au premier abord plus difficiles à appliquer aux travailleurs atypiques) et à analyser soigneusement les moyens de les adapter de manière à généraliser leur couverture, le cas échéant (Kennedy, 2016[36]). Par exemple :
Rémunération. Un salaire minimum obligatoire peut empêcher l’exploitation de salariés relevant de contrats de travail classiques et remédier au problème de la pauvreté active. Cette obligation ne s’applique cependant pas aux travailleurs indépendants, qui sont assimilés à des « entreprises » et sont souvent rémunérés à la tâche et non à l’heure. Or, bon nombre d’entre eux sont contraints d’accepter les tarifs qu’on leur propose (autrement dit, ils ne sont pas en position favorable pour négocier) et leur rémunération est très faible. Un moyen de remédier à cette situation pourrait consister à étendre l’application de la loi sur le salaire minimum en exigeant des employeurs ou des clients qu’ils paient l’équivalent de ce salaire aux travailleurs à la pièce. D’autres solutions envisageables sont les exemptions au droit de la concurrence6 afin de donner aux travailleurs indépendants le droit de négociation collective (voir plus loin) ou l’extension/adaptation de la législation en matière de travail à domicile (qui, dans de nombreux pays, réglemente la rémunération) à l’économie des « petits boulots ». Aux Pays-Bas, les autorités ont annoncé que tous les travailleurs indépendants dont la rémunération horaire se situe en-deçà d’un seuil donné (en toute probabilité entre 15 et 18 EUR) seraient automatiquement requalifiés en employés (sauf s’ils ne travaillent que pendant une brève période pour un employeur et n’accomplissent aucune tâche liée aux activités fondamentales de l’employeur/de l’entreprise).
Temps de travail. Les préoccupations relatives au temps de travail ont généralement trait au nombre excessif d’heures de travail. C’est pourquoi la législation du travail contient généralement des règles qui limitent ce dernier et exigent des périodes de repos et de récupération, y compris un repos hebdomadaire et des congés annuels rémunérés. Cette législation ne s’applique pas aux travailleurs indépendants, qui sont leurs propres patrons. Dans le cas de l’emploi autonome dépendant, toutefois, l’intervention des pouvoirs publics pourrait s’avérer nécessaire. En effet, de nombreux travailleurs indépendants de l’économie de plateforme n’ont guère de possibilité de choisir leurs horaires de travail (Lehdonvirta, 2018[37]). Étant donné la vive concurrence entre travailleurs sur certaines plateformes, ceux-ci doivent souvent rester disponibles à tout moment s’ils ne veulent pas manquer une offre de travail. Bien que certaines plateformes aient défini leurs propres limites (CloudFactory, par exemple, fixe le volume minimum et maximum de travail hebdomadaire que chacun peut accomplir), et que les travailleurs aient adopté leurs propres pratiques informelles (Lehdonvirta, 2018[37]), les pouvoirs publics pourraient examiner les moyens d’étendre la loi relative au temps de travail (y compris les droits à un congé annuel) à ces travailleurs (voir l’Encadré 12.1 pour une analyse corollaire sur les contrats de travail à horaires modulés et à la demande).
Encadré 12.1. Contrats de travail à horaires modulés et contrats de travail à la demande
Ce chapitre s’intéresse essentiellement aux travailleurs indépendants, mais plusieurs pays se sont heurtés à des problèmes concernant les contrats de travail dits « à horaires modulés » et « à la demande ». Ces contrats peuvent être à durée déterminée ou indéterminée, mais leur caractéristique tient à ce que les heures de travail ne sont ni prévisibles, ni garanties. L’employeur et l’employé peuvent convenir d’un nombre minimum d’heures garanties ; dans certains pays, ces contrats ne prévoient pas toujours d’heures garanties (contrats dits « zéro heure »).
Ces dernières années, diverses réformes ont visé à atténuer les conséquences de l’imprévisibilité des heures de travail sur le revenu global des travailleurs, sur la volatilité de leur revenu, et sur leur aptitude à planifier l’avenir, en particulier pour les contrats « zéro heure ». Ces réformes ont notamment : limité l’utilisation de ces contrats aux situations où les employeurs ont véritablement des besoins variables de main d’œuvre (Finlande) ; obligé les employeurs à fournir certaines informations (comme le nombre d’heures minimum) par avance, ou dans le contrat d’embauche (Finlande, Irlande et Norvège) ; imposé la communication préalable des horaires de travail (Finlande, Irlande, Pays-Bas, Norvège, et État de l’Oregon aux États-Unis) ou l’ajustement des heures contractuelles aux heures effectivement travaillées (Irlande) ; conféré aux employés le droit de réclamer un contrat plus prévisible à l’issue d’un délai donné (Royaume-Uni, Australie) ; imposé une indemnisation lorsque les travailleurs sont convoqués mais renvoyés chez eux sans avoir travaillé (Irlande) ou lorsqu’ils sont censé rester disponibles en dehors des heures garanties (Nouvelle-Zélande) ; et instauré des dispositions relatives aux indemnités de maladie et aux indemnités de résiliation du contrat de travail (Finlande). Le Royaume-Uni a par ailleurs récemment organisé une consultation publique portant sur l’instauration d’un salaire minimum plus élevé pour ce type de contrats de manière à décourager le recours (excessif) à ces derniers.
Les inquiétudes que suscitent les contrats de travail à horaires modulés et à la demande dérivent dans une large mesure des asymétries du pouvoir de négociation entre travailleurs et employeurs. C’est pourquoi certaines mesures visent à renforcer celui des travailleurs, comme l’interdiction des clauses d’exclusivité (des clauses contractuelles qui interdisent à l’employé de travailler pour d’autres employeurs – Royaume-Uni et Pays-Bas) ou la suppression de l’obligation faite aux employés d’accepter du travail lorsque l’employeur n’offre pas d’heures garanties (en Nouvelle-Zélande par exemple, où les entreprises doivent alors indemniser les travailleurs). Dans certains cas, toutefois, les pays ont fragilisé le pouvoir de négociation des travailleurs – par exemple lorsque, en application des mesures d’activation, les chômeurs sont censés accepter des contrats à horaires modulés (ou zéro heure).
Sécurité et santé au travail. Bon nombre des nouvelles formes de travail transfèrent les responsabilités en matière de santé et sécurité au travail de l’employeur aux travailleurs indépendants qui, souvent, ne disposent ni de la formation, ni des moyens leur permettant de prendre les mesures appropriées pour assurer la sécurité des conditions et de l’environnement de travail. Parfois, la concurrence féroce à laquelle se livrent les travailleurs les amènent à user d’expédients et à prendre des risques inutiles alors même que, en parallèle, les inspections du travail sont souvent mal préparées à gérer ces nouvelles formes d’emploi (et ne sont même parfois pas en mesure d’intervenir, le travail indépendant n’étant pas de leur ressort). Il faudra donc éventuellement adapter/clarifier les réglementations, et renforcer et améliorer les mécanismes de surveillance et de contrôle.
Mesures antidiscriminatoires. Étant donné ses répercussions potentiellement négatives sur l’inclusivité, mais aussi sur la productivité, les pays ont mis en place des mesures visant à lutter contre la discrimination fondée sur la race, le sexe, la religion, les opinions politiques, le milieu socioéconomique, etc. L’apparition de l’économie de plateforme a eu des retombées ambiguës sur la possibilité d’assurer la protection des travailleurs contre la discrimination. Dans la mesure où les plateformes encouragent l’anonymat, elles peuvent favoriser la lutte contre cette dernière. En revanche, lorsque l’anonymat n’est pas garanti, le risque de discrimination s’accentue étant donné l’absence de réglementation et de contrôle (voir Edelman, Luca and Svirsky (2017[38]) pour des preuves de la discrimination raciale ; Ajunma (2018) pour la discrimination fondée sur l’âge ; Galperin and Greppi (2017[39]) pour la discrimination géographique ; et Galperin, Cruces and Greppi (2017[40]) pour la discrimination fondée sur le sexe). Par ailleurs, alors que les algorithmes semblaient offrir la possibilité de formuler des décisions non influencées par le jugement humain, certains éléments montrent qu’ils risquent en fait de renforcer les préjugés humains et de comporter leurs propres biais (Sweeney (2013[41]). Ces nouvelles données laissent entendre que les pouvoirs publics doivent soigneusement examiner la façon dont les lois en matière de non-discrimination pourraient être appliquées aux plateformes en ligne. Une plus grande transparence de la part des plateformes de travail en termes de publication de données relatives aux résultats de différents groupes permettrait au moins de mettre en lumière les éventuels problèmes et leur ampleur.
L’amélioration des conditions de travail dans le cadre des nouvelles formes d’emploi passe également par une application satisfaisante de la législation. Dans de nombreux cas, cela supposera d’accroître la capacité de l’inspection du travail à procéder à des contrôles et à vérifier la conformité de ces nouvelles modalités aux réglementations en vigueur (renforcement des responsabilités et des moyens, méthodes d’inspection innovantes des travailleurs à domicile et de plateforme, etc.) et de donner aux travailleurs les moyens d’engager plus facilement des poursuites judiciaires (par exemple en diminuant les frais de justice, en mettant les travailleurs à l’abri des représailles, en imposant des sanctions plus lourdes aux entreprises récidivistes, en autorisant les recours collectifs).
Renforcer la protection sociale
Les travailleurs indépendants ont souvent un accès restreint à la protection sociale. Cela tient à deux raisons. Il y a d’abord le problème de l’accès légal à la protection sociale – autrement dit, ils sont officiellement exclus de certains volets du régime de sécurité sociale. Par ailleurs, même lorsqu’ils y ont accès, les prestations dont ils bénéficient effectivement sont parfois limitées parce qu’il leur est difficile de satisfaire aux critères d’admissibilité ou aux seuils de cotisation (accès effectif).
Les enjeux
Dans la plupart des pays, le régime de protection sociale a été en grande partie conçu pour des salariés permanents à temps plein. Si, dans certains pays, cela témoigne en partie d’une époque où les modalités d’emploi étaient moins diverses, l’absence de protection tient fondamentalement à ce que la couverture de certaines catégories de travailleurs atypiques soulève des difficultés considérables. Les lacunes de la couverture sociale concernent notamment les travailleurs indépendants (Spasova et al., 2017[42]), et sont particulièrement importantes en matière de prestations de chômage et de protection contre les accidents de travail et les maladies professionnelles. Cela tient essentiellement à ce que la mise en place d’une protection sociale (et des prestations de chômage en particulier) pour les travailleurs indépendants pose des problèmes substantiels d’aléa moral. Les travailleurs indépendants ne satisfont pas à plusieurs des conditions qui limitent généralement l’aléa moral lié aux prestations de chômage : les fluctuations de la demande concernant leurs services sont difficiles à distinguer de l’oisiveté volontaire puisqu’il n’y a pas d’employeur pour confirmer le licenciement, et leur recherche d’emploi est encore plus difficile à contrôler que celle des salariés. De ce fait, dans les pays où ils bénéficient d’une assurance-chômage, ils sont souvent assujettis à des conditions plus rigoureuses. En Suède, ils doivent fermer leur entreprise avant d’avoir droit aux prestations. En Autriche, ils ont six mois, à compter du démarrage de leur activité, pour adhérer à une assurance-chômage volontaire – cette décision les engage pour une période de huit ans. En Belgique, seuls ont droit aux prestations les travailleurs indépendants dont l’entreprise a fait faillite ou dont le revenu était si faible qu’ils ont été exemptés de cotisations sociales ou n’ont pas atteint le revenu minimum (13 000 EUR environ) pendant deux ans.
Même lorsqu’ils ont un accès légal à la protection sociale, les travailleurs indépendants risquent de ne pas satisfaire aux critères d’admissibilité pertinents. S’il est difficile d’estimer précisément le nombre d’individus qui ne satisfont pas à ces critères, il est possible de recenser ceux qui risquent de ne pas les remplir en raison de leur type de travail ou d’emploi. Une analyse en ce sens indique que, globalement, dans l’UE, 54.5 %, 37.8 % et 46.1 % of des travailleurs indépendants risquent de ne pas être admissibles aux prestations de chômage, de maladie et de maternité, respectivement (Matsaganis et al., 2016[43]). Même ces chiffres paraissent toutefois relativement faibles. En effet, des données récentes de l’OCDE laissent entendre que, dans l’ensemble des pays, moins d’un demandeur d’emploi sur trois perçoit des prestations de chômage (OCDE, 2018[44]). Si l’on dispose d’informations relativement limitées quant à la couverture sociale des travailleurs de plateforme, de nouveaux travaux indiquent une protection très lacunaire dans ce secteur (Forde et al., 2017[11]). L’absence de protection sociale des travailleurs atypiques n’est pas préoccupante pour eux seulement : le développement de l’emploi atypique risque aussi d’éroder la base contributive des régimes de protection sociale et d’avoir des retombées négatives sur le budget public.
Améliorer la protection sociale des travailleurs indépendants
La façon de procéder pour améliorer la protection sociale de tous les travailleurs, indépendants compris, variera d’un pays à l’autre en fonction des spécificités nationales (les préférences sociétales notamment), des calculs coûts/bénéfices, et des possibilités de financement. En effet, les disparités de couverture ne sont pas nouvelles et offrir le même niveau de protection sociale à chacun, indépendamment de son statut professionnel, n’est pas toujours possible, ni même souhaitable.
Dans certains cas, les pays pourront éventuellement élargir l’accès légal aux régimes de protection sociale existants aux travailleurs indépendants. En Norvège, par exemple, les prestations destinées aux aidants de personnes dépendantes ont été étendues de manière à couvrir également les travailleurs indépendants en 2015. En Autriche, les « nouveaux » travailleurs indépendants (conférenciers, artistes, scientifiques, journalistes, écrivains, etc. dont le travail s’effectue dans le cadre d’un contrat de services) bénéficient d’une couverture sociale (santé, retraite et accidents) depuis les années 90. L’Autriche est de fait l’un des pays qui offre aux travailleurs indépendants la couverture sociale la plus complète. En France, les plateformes sont censées prendre en charge l'assurance couvrant les risques d'accident du travail depuis le début de 2018.
Dans les cas où les travailleurs indépendants ont déjà un accès légal à la protection sociale, mais où la couverture est faible, l’accès effectif au régime pourrait être amélioré moyennant des modifications paramétriques, comme l’ajustement des règles et seuils des régimes/programmes existants (revenus/horaires/seuils de cotisation minimum ; autoriser les interruptions de cotisation) et la modification du mode de calcul des revenu des travailleurs indépendants (prise en compte des revenus annuels, et non mensuels ; cotisations forfaitaires ; etc.)7. Lors de la récente crise économique et financière, par exemple, le Portugal a assoupli les conditions d’ouverture des droits au régime ordinaire d’assurance chômage. Il a plus précisément ramené de 450 à 360 le nombre de jours de cotisations exigé sur les 24 mois précédents. Les données indiquent que, malgré une hausse substantielle du chômage entre 2011 et 2013, le taux de couverture des prestations de chômage s’est bien maintenu (OCDE, 2017[45]).
Lorsque les problèmes propres à l’emploi indépendant sont trop importants pour étendre la couverture des régimes de protection sociale existants, les pays peuvent mettre en place des régimes spéciaux. En Allemagne, par exemple, le régime d’assurance sociale des artistes est un régime spécial qui offre aux artistes et aux auteurs une assurance couvrant la maladie, la retraite et les soins de longue durée (mais pas le chômage). L’adhésion au régime est obligatoire (les artistes dont les revenus sont faibles et ceux qui disposent de revenus élevés ou d’une assurance privée peuvent toutefois en être exemptés). Les artistes et auteurs admissibles paient uniquement les cotisations salariales, qui constituent la moitié du budget du régime ; les institutions qui font appel à leurs services (éditeurs, théâtres, bibliothèques ou entreprises privées) versent des cotisations proportionnelles à l’utilisation qu’ils font de ces services, ce qui couvre 30 % du coût total. Les 20 % restants sont couverts par une subvention publique, justifiée par la consommation d’art et d’écrits des ménages8. Les régimes spéciaux de cette nature sont souvent destinés aux artistes, mais aussi aux agriculteurs – comme l’assurance vieillesse agricole en Finlande (dont peuvent aussi bénéficier les artistes) ; la caisse d'assurance vieillesse des agriculteurs en Allemagne ; et des régimes similaires en Grèce et en Pologne9.
Une mesure étroitement liée (déjà examinée dans une section antérieure) est l’instauration d’une catégorie tierce/intermédiaire de travailleurs. Souvent, ces catégories sont créées pour renforcer la protection sociale – soit dans le cadre du régime en vigueur (comme l’extension des prestations de chômage au travailleurs indépendants au Portugal en 2012 – quoique selon un modèle financier distinct), soit dans celui de régimes entièrement nouveaux [en Italie, par exemple, un nouveau régime spécial, appelé DIS-COLL, a été introduit en 2015 (Loi n° 22) pour les non-salariés dépendants travaillant dans le cadre de contrats de collaboration par projets (« co.co.pro »)].
Comme l’un des obstacles essentiels à la couverture sociale des travailleurs indépendants a trait au paiement des cotisations sociales, une solution pour les pays consisterait à amplifier le recours aux prestations universelles financées par les impôts généraux (voir également le chapitre 8). Cette mesure élargirait la couverture à tous les travailleurs atypiques et supprimerait la nécessité d’assurer le suivi des droits à prestation acquis dans le cadre des différents emplois et sur l’ensemble du cycle de vie. Certaines prestations – comme l’assurance maladie et les congés maternels ou parentaux – sont déjà universels dans plusieurs pays de l’OCDE. Dans certains, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les prestations de remplacement du revenu sont financées par les impôts (et assorties de conditions de ressources) – les paiements assurés par ces systèmes étant généralement inférieurs à ceux du régime d’assurance sociale.
Le financement de la protection sociale par la fiscalité générale risque d’affaiblir le lien entre les sommes versées et les prestations escomptées (ce qui pourrait encourager l’évasion fiscale et/ou réduire l’aide publique et, partant, limiter les possibilités de relever le montant des prestations). L’abandon des cotisations sociales pourrait donc être plus facile lorsque le lien entre cotisations et prestations est déjà ténu. En France, par exemple, des charges sociales sont perçues sur les revenus du capital, et il est envisagé d’instaurer une taxe à la valeur ajoutée (TVA) « sociale » (à savoir une hausse du taux de TVA pour financer le régime de sécurité sociale). L’évolution vers un régime de protection sociale financé en plus grande partie par les impôts généraux présenterait par ailleurs d’autres avantages (voir le chapitre 8 pour une analyse détaillée).
Solution extrême, le régime en vigueur pourrait être remplacé par un transfert public universel inconditionnel (revenu de base). Ce système a pour avantages d’être simple et de n’exclure personne. Néanmoins, comme des travaux de l’OCDE l’ont montré, le versement inconditionnel et universel d’une allocation de montant approprié mais réaliste sur le plan budgétaire exigerait une augmentation des impôts et une diminution des prestations existantes et, souvent, ne permettrait pas de réduire la pauvreté monétaire (OCDE, 2017[46]). En outre, le remplacement des prestations en vigueur par le revenu de base lèserait certaines catégories défavorisées, et ses retombées sur les incitations au travail sont ambiguës. Un certain nombre de pays expérimentent actuellement différentes formes de revenu de base (le Canada, la Finlande, les Pays-Bas, l’Italie et l’Écosse par exemple). Aucun de ces dispositifs n’est entièrement universel ou inconditionnel, mais il convient de suivre de près les résultats de leur évaluation.
Une autre solution que les pays pourraient envisager consiste à renforcer la portabilité des prestations de manière à que les droits qui leur sont associés ne soient pas perdus lorsque les individus changent de régime de sécurité sociale ou de situation professionnelle. Une manière de procéder serait de rattacher les droits aux personnes plutôt qu’aux emplois. Ces droits seraient inscrits dans un compte personnel qui prendrait en compte les travaux contractuels et les emplois occasionnels de courte durée et regrouperait en un seul lieu les droits acquis par les personnes qui cumulent plusieurs emplois. En Lettonie, le régime d’assurance sociale est entièrement individualisé, les cotisations de chacun étant inscrites sur un compte personnel. Aux États-Unis, il existe dans certains secteurs des régimes interentreprises (qui sont généralement le fruit de conventions collectives et ne s’appliquent que si les travailleurs restent dans le secteur) et, pour les prestataires et travailleurs indépendants, des régimes multi-employeurs (MEWA) (Katz et Krueger, 2016[1] ; Hill, 2015[47]). La portabilité ne suppose pas nécessairement l’abandon du système de partage des risques. En effet, il est possible de maintenir un régime collectif qui autorise la redistribution, et de simplement modifier son mode d’administration. En Belgique, les travailleurs indépendants qui étaient auparavant salariés conservent pendant huit ans les droits cumulés aux prestations de chômage.
L’apparition de nouvelles formes de travail, et de l’économie de plateforme en particulier, appelle des réformes en matière d’administration des prestations. Le suivi de l’activité professionnelle, notamment, pose de nouveaux problèmes, car il est plus facile pour les individus d’associer perception de prestations et travail informel dans l’économie de plateforme.
Définir une fiscalité équitable pour le revenu des travailleurs indépendants
Comme analysé plus haut, les différences de traitement fiscal entre les différentes formes d’emploi peuvent inciter les individus et/ou les employeurs à privilégier certaines de ces formes plutôt que d’autres. Ainsi, certains pays offrent des crédits d’impôt sur l’impôt sur le revenu des personnes physiques aux travailleurs indépendants non constitués en société (non applicables aux salariés) ; les cotisations au régime de sécurité sociale peuvent varier en fonction du type d’emploi, pour les particuliers comme pour les entreprises ; et quelques pays octroient des crédits d’impôts sur l’impôt sur les sociétés aux entreprises qui emploient certaines catégories de travailleurs.
Dans ce contexte, la notion de neutralité de l’impôt postule que les régimes fiscaux des pays ne doivent pas influencer les décisions des individus ou des entreprises en ce qui concerne les formes d’emploi. Or, comme celles-ci présentent aussi souvent des différences en termes d’accès à la protection sociale et de réglementation du travail, la neutralité fiscale n’est pas forcément un objectif souhaitable en soi. Les pouvoirs publics devraient plutôt veiller à ce que l’ensemble de prestations et protections auquel les travailleurs indépendants ont droit soit en rapport avec leurs impôts et leurs cotisations sociales de manière à éviter que leur choix en matière de forme de travail soit uniquement motivé par des différences de charges fiscales. Il existe d’autres raisons de remettre en cause la neutralité fiscale classique, comme le fait que les travailleurs indépendants prennent parfois plus de risques entrepreneuriaux. De surcroît, l’incidence réelle de l’impôt risque de varier selon les formes d’emploi.
Ces dernières années, de nombreux pays ont pris des mesures pour intégrer les travailleurs de plateforme au régime fiscal : simplification des procédures et automatisation des déclarations fiscales ; introduction de taux, déductions ou seuils d’imposition spéciaux ; accords avec les plateformes pour qu’elles déclarent les revenus des travailleurs et/ou retiennent directement les impôts à la source ; amélioration des directives et/ou des programmes éducatifs et campagnes visant à informer les travailleurs de plateforme de leurs obligations fiscales. En Estonie, par exemple, Uber communique les informations concernant les transactions financières entre clients et chauffeurs de manière à ce que les autorités fiscales puissent préremplir les déclarations fiscales des seconds (BEIS, 2017[48]). En Belgique, les autorités ont mis en place en 2016 un régime spécial pour les travailleurs de plateforme : ceux dont le revenu annuel à ce titre est inférieur à 5 000 EUR (indexés) peuvent déclarer des « revenus divers » et être assujettis à un taux d’imposition sur le revenu de 10 % au lieu de 33 %.
Renforcer les relations du travail et la représentation des travailleurs
Les travailleurs relevant des nouvelles formes d’emploi se heurtent parfois à des obstacles particuliers pour obtenir droit à la représentation collective. Le droit de la concurrence interdit ainsi aux prestataires indépendants de se syndiquer et de négocier collectivement. Dans l’économie de plateforme, les travailleurs d’une même plateforme ne sont pas forcément en contact les uns avec les autres s’ils travaillent seuls et dans des endroits distincts, voire dans des langues et des cadres juridiques différents. De surcroît, compte tenu du caractère triangulaire du travail dans cette économie (employeur-client-travailleur), et du fait que la plupart des travailleurs relèvent de la catégorie des indépendants, il est difficile de déterminer qui serait leur interlocuteur dans le cadre du dialogue social et de la négociation collective.
Cela posé, le dialogue social peut fortement contribuer à améliorer les conditions de travail de ces travailleurs. Les agences de travail intérimaire, par exemple, ont à l’origine été considérées comme tout aussi déstabilisantes que les plateformes d’aujourd’hui, ont suscité de vives controverses, et ont même été interdites dans plusieurs pays. Or, grâce au dialogue social, elles sont parvenues à se faire accepter et à améliorer les relations du travail, et ont participé à l’établissement de la réglementation sectorielle. De la même manière, les partenaires sociaux mettent actuellement en place des moyens innovants de représenter les travailleurs relevant des nouvelles formes de travail et de renforcer leur représentation (Keune, 2013[49]) –des améliorations peuvent par ailleurs être apportées aux conditions de travail même sans l’agrément des syndicats et sans faire appel aux méthodes de négociation collective (Johnston et Land-Kazlauskas, 2018[34]). Certains syndicats ont recouru à des stratégies juridiques - comme GMB, le syndicat des chauffeurs professionnels au Royaume-Uni, qui a contesté le statut d’emploi des chauffeurs des applications de VTC ; ou l’International Brotherhood of Teamsters, à Seattle, qui a fait campagne en faveur d’une nouvelle loi qui étendrait le droit à la négociation collective aux chauffeurs des entreprises de transport en réseau. Des initiatives ont également été menées en vue de créer :
De nouveaux syndicats (comme la New York Taxi Worker Alliance) et associations non affiliées (comme l’Independent Drivers Guild)
Des structures spéciales à l’intérieur des syndicats existants (par exemple pour les parasubordinati en Italie, ou pour les travailleurs établis à leur propre compte (ZZP) aux Pays-Bas)
Des coopératives de plateformes (l’Union Taxi Cooperative à Denver)
Des comités d’entreprise (en Autriche, les livreurs de repas Foodora se sont récemment regroupés pour constituer un comité d’entreprise avec l’appui de Vida, le syndicat autrichien des travailleurs des secteurs du transport et des services).
Les nouvelles technologies peuvent aider les travailleurs à organiser leur représentation, par exemple par le biais d’échanges entre pairs, d’échanges d’informations, de notation des employeurs/clients, etc. (système parfois connu sous le nom de « plateformes d’action collective »). Turkopticon, par exemple, permet aux travailleurs de Mechanical Turk de noter et d’évaluer les donneurs d’ordre ; Dynamo est un forum qui leur permet d’organiser des campagnes, mais aussi d’échanger des informations, de collaborer et d’établir des directives en matière de rémunération et de conception des tâches pour les donneurs d’ordre universitaires. Un autre site internet, Coworker.org, a établi des dispositifs qui permettent aux travailleurs de faire part de leurs préoccupations et d’organiser des campagnes pour modifier les pratiques des employeurs.
Il y a toutefois des limites à ce qui peut être réalisé sans l’agrément des syndicats et en dehors de la négociation collective. C’est pourquoi certains États cherchent à assurer le droit à la liberté syndicale et à étendre éventuellement le droit à la négociation collective. Dans la pratique, cela n’est pas toujours facile car le droit à la négociation collective pour les travailleurs indépendants est contraire à la politique de la concurrence dans la plupart des pays (Daskalova, 2017[50]). De manière générale, de telles règles se justifient puisqu’il s’agit de mettre les consommateurs à l’abri des ententes sur les prix et de leurs conséquences négatives. Néanmoins, une augmentation de la rémunération de certaines catégories de travailleurs indépendants qui sont obligés d’accepter les prix proposés serait sans doute fondée. Des mesures intéressantes ont été prises dans ce domaine :
Le Canada a créé une catégorie de prestataires dépendants aux fins d’admissibilité à la négociation collective au titre des lois provinciales du travail. Cette catégorie couvre les travailleurs juridiquement indépendants mais économiquement dépendants d’un employeur unique.
Aux États-Unis, le conseil municipal de Seattle, suite aux pressions exercées par le syndicat Teamster Union, a voté à l’unanimité, en 2015, une ordonnance qui a accordé aux chauffeurs de VTC le droit de se syndiquer et, partant, de négocier collectivement.
En Irlande, en 2017, le Parlement a adopté le Competition Amendment Act qui établit pour certains travailleurs indépendants – en particulier les artistes – des exemptions du droit de la concurrence qui leur donnent droit à la négociation collective. Cette loi autorise également les syndicats à demander l’ajout d’autres catégories de travailleurs à la liste des exemptions, sous réserve que cette mesure ait une incidence insignifiante ou nulle sur la concurrence au sein de la catégorie concernée. On ignore à ce stade si la décision irlandaise sera jugée contrevenir au droit européen de la concurrence. (O’Loughlin, 2017[51]).
Encourager l’investissement dans les compétences
Le travail indépendant crée d’autres complications pour la politique de développement des compétences car les travailleurs qui exercent ce type d’emploi sont moins susceptibles de suivre des formations.
Il conviendra éventuellement d’adapter les dispositifs de formation existants pour que chacun puisse en bénéficier quel que soit son statut à l’égard de l’emploi. Les pays doivent veiller à ce que les programmes de formation actuels s’adressent également aux travailleurs atypiques, indépendants compris. En France, par exemple, un décret récent stipule que les plateformes qui déterminent les caractéristiques du travail et fixent les rémunérations devront, dans certaines conditions, indemniser les travailleurs de la perte de revenus dans le cadre du parcours de validation des acquis de l'expérience (Donini et al., 2017[52]). L’organisation des programmes d’enseignement et de formation pourrait par ailleurs être assouplie pour permettre aux adultes d’y participer sans que les contraintes temporelles et les responsabilités familiales y fassent obstacle. Comme le soulignait le rapport Taylor Review au Royaume-Uni (BEIS, 2017[48]), le travail est devenu plus flexible, mais les politiques de formation et de développement des compétences ont eu des difficultés à accompagner cette évolution. Les pays pourraient notamment favoriser la mise en place de parcours de formation plus courts ou différents (apprentissage hybride, enseignement à distance, cours en ligne ouverts et massifs (MOOC), cours modulaires/superposables et micro diplômes) – tout en veillant à ce que cela ne désavantage pas les travailleurs peu qualifiés aux compétences numériques rudimentaires (National Academies of Sciences, Engineering, 2017[53]).
Cela dit, pour relever le défi posé par l’emploi indépendant, il conviendra également d’élaborer de nouveaux instruments en vue d’encourager l’investissement dans la formation (comptes de formation personnels ou droits à la formation tout au long de la vie par exemple) ainsi que des mécanismes assurant la portabilité des droits à la formation d’un employeur à l’autre. En France, par exemple, les comptes personnels de formation (CPF) couvrent toutes les personnes d’âge actif, y compris les travailleurs indépendants. Les CPF des travailleurs à temps plein sont crédités chaque année de 500 EUR jusqu’à un montant maximum de 5 000 EUR (800 EUR et 8 000 EUR, respectivement, pour les personnes peu qualifiées).
L’économie de plateforme promet de créer de nouveaux débouchés – les pouvoirs publics doivent toutefois veiller à ce que chacun soit doté des compétences numériques nécessaires pour trouver du travail par cet intermédiaire. Selon l’évaluation internationale des compétences des adultes, près de la moitié des adultes ne maîtrisent pas les compétences numériques de base dans l’OCDE (OCDE, 2013[54]). On ne saurait donc s’étonner que les travailleurs de plateforme soient dans l’ensemble plus qualifiés que le travailleur moyen. Certaines autorités prennent déjà des mesures pour aider les individus à trouver des débouchés dans l’économie de plateforme. L’Office of Economic and Workforce Development (OEWD) de San Francisco a établi un partenariat avec Samaschool en vue de lancer un programme pilote (Bridge to Employment) qui prête assistance à des candidats à l’économie des petits boulots. L’objectif est d’aider les individus à tirer profit des débouchés qu’offre ce secteur pour acquérir de l’expérience, développer leurs compétences et compléter leurs revenus.
Améliorer la collecte de données
Le manque de données fiables et actualisées sur le nombre de travailleurs et leur profil est souvent l’un des principaux obstacles à l’élaboration de mesures factuelles en réponse au développement des formes atypiques d’emploi. Ainsi, on ignore encore combien de travailleurs l’économie de plateforme compte et les travailleurs indépendants demeurent très difficiles à identifier dans la plupart des sources de données existants. Les autorités doivent donc s’efforcer d’améliorer les données dont disposent les responsables publics, et notamment : préciser les définitions (en quoi consiste le « travail de plateforme », par exemple) ; actualiser les enquêtes auprès des ménages et sur la population active existantes (moyennant l’ajout et/ou l’adaptation des questions) ; utiliser les sources de données administratives (comme les données fiscales et celles de la sécurité sociale) et les mettre en rapport avec les données des enquêtes dans la mesure du possible ; établir des partenariats avec le secteur privé afin d’obtenir et d’analyser les données dont disposent les plateformes et les employeurs ; et mettre au point de nouveaux exercices de collecte de données (dans le cadre d’enquêtes spéciales, ou par indexation et extraction de données web).
Conclusion
La progression de l’emploi indépendant et du travail à propre compte n’est pas un phénomène universellement observé dans les différents pays de l’OCDE, mais le problème de la catégorisation erronée des travailleurs dans ces formes d’emploi et, plus généralement, celui de la protection et de la qualité des travailleurs indépendants font l’objet d’une attention croissante des responsables publics dans de nombreux pays – attention en partie motivée par l’apparition de l’économie de plateforme. L’enjeu pour les responsables publics consiste à mettre en place des politiques et des institutions qui encouragent l’entrepreneuriat et la flexibilité d’une part, et garantissent la qualité des emplois et les droits et protections des travailleurs d’autre part. Ce chapitre a examiné certaines des solutions que les pays peuvent envisager pour relever ce défi. On ne saurait trop souligner que la réalisation de cet objectif appellera des mesures sur plusieurs fronts. Pour assurer une protection sociale adéquate aux travailleurs atypiques, par exemple, les responsables publics devront procéder à un examen des régimes de protection sociale et se livrer en outre à une analyse des questions liées à la catégorisation et à la fiscalité de ces travailleurs. Pour être fructueuses, les solutions devront faire appel à une approche mobilisant l’ensemble de l’administration.
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Notes
← 1. Le Fair Labor Standards Act (FLSA) donne une définition du terme « employer » qui comprend les mots « suffer or permit to work ». Cela signifie que si un employeur demande à un individu de travailler ou l’y autorise, celui-ci sera considéré comme un employé.
← 2. Le critère de common law dit « common-law control test » (parfois appelé 20-factor ou right-to-control test) est utilisé par l’Inland Revenue Service pour déterminer si un travailleur est un employé à des fins fiscales. Ce critère fait intervenir un certain degré de subjectivité, et même si l’on dispose de toutes les données concrètes, il peut être difficile d’établir si les services rendus l’ont été en qualité d’employé. Le constat qu’un travailleur est un employé revient à établir qu’il a été assujetti à un contrôle en ce qui concerne le moment, le lieu et la façon (les moyens et les méthodes) de réaliser le travail. Ce constat ne signifie pas que ce contrôle est effectivement exercé – seulement que l’employeur a le droit de l’exercer.
← 3. Les tribunaux utilisent souvent le critère des « réalités économiques », ou un critère hybride mêlant ce dernier au common‑law control test (voir plus haut), pour déterminer le statut de prestataire indépendant. Outre le degré de contrôle exercé par l’employeur, le critère des réalités économiques tient compte du degré de dépendance économique des travailleurs vis-à-vis de l’entreprise.
← 4. Le critère ABC est utilisé dans quelques États pour déterminer si un individu est un employé ou un prestataire indépendant, ceci afin de définir l’impôt sur le chômage de l’État. Certains des tribunaux qui font appel à ce critère vérifient si un travailleur satisfait à trois conditions distinctes pour être considéré comme un prestataire indépendant : i) le travailleur est-il libre d’effectuer le travail en dehors du contrôle et de la direction de l’employeur ? ; ii) le travail est-il effectué en dehors des activités habituelles de l’entreprise et à l’extérieur de ses locaux ? ; et iii) le travailleur exerce-t-il habituellement un métier, une profession, une activité ou un travail indépendants ?
← 6. Une autre solution serait d’appliquer le droit de la concurrence pour lutter contre un éventuel pouvoir monopsone. Un nombre croissant d’études indique que les marchés du travail sont souvent caractérisés par un pouvoir monopsone, ce qui peut avoir des retombées négatives sur les salaires et l’emploi (Azar, Marinescu et Steinbaum, 2017[59] ; Marinescu et Rathelot, 2018[55] ; Manning et Petrongolo, 2017[56] ; Benmelech, Bergman et Kim, 2018[58]).
← 7. Les travailleurs indépendants ont des revenus fluctuants, parce ce qu’ils sont payés à intervalles irréguliers, parce qu’il existe un décalage temporel entre le travail et la rémunération, et/ou parce que leurs services sont soumis aux aléas de la demande (AISS, 2012[60]). Ils risquent donc d’éprouver des difficultés à verser régulièrement des cotisations mensuelles.
← 8. À vrai dire, l’un des principaux obstacles à l’assurance sociale des travailleurs indépendants est que bon nombre d’entre eux ont de très faibles revenus et ne peuvent verser à la fois les cotisations salariales et patronales. L’État pourrait financer ces régimes, mais cette solution pose la question de l’égalité de traitement et risque de créer des désincitations pour les employeurs et les salariés. Si les emplois doivent être lourdement subventionnés, la question se pose de savoir s’il existe un avantage social justifiant cette subvention. Là où ils existent, ces régimes sont donc souvent restreints aux professions dont on estime qu’elles présentent un intérêt particulier pour le public, comme les professions artistiques.
← 9. Dans certains pays, les travailleurs indépendants ont établi leur propre régime. Aux Pays-Bas, par exemple, certains ont créé un fonds collectif (broodfonds) en vertu duquel ils conviennent de s’assurer mutuellement un revenu en cas d’incapacité à travailler. Il existe désormais 170 fonds de cette nature dans le pays (Kremer, Went et Knottnerus, 2017[57]).