Ce chapitre propose un tour d’horizon du rôle des politiques et des institutions à l’appui d’un bon fonctionnement du marché du travail. Il s’articule autour des trois grandes dimensions de la nouvelle Stratégie pour l’emploi : i) la quantité et la qualité des emplois ; ii) l’inclusivité du marché du travail ; et iii) la résilience et l’adaptabilité. Une analyse plus détaillée et les données utilisées sont présentées dans les parties II à IV de la présente publication.
Des emplois de qualité pour tous dans un monde du travail en mutation
Chapitre 4. Les politiques et les institutions à l’appui de l’amélioration des performances du marché du travail
Abstract
Introduction
Pour assurer le bon fonctionnement du marché du travail, il est crucial non seulement de concilier quantité et qualité des emplois mais aussi d’assurer l’inclusivité, ce qui n’est pas facile. Or pour obtenir de bons résultats dans tous ces domaines, il est impératif que les marchés du travail fassent preuve de résilience (c’est-à-dire qu’ils limitent les pertes d’emplois pendant les récessions et se redressent rapidement après un choc économique) et s’adaptent aux défis et aux opportunités associés aux mégatendances comme les progrès technologiques rapides, la mondialisation et l’évolution démographique. Il est aussi essentiel d’assurer une cohérence entre les politiques et les institutions de sorte que les actions menées pour améliorer les résultats dans l’une de ces dimensions ne compromettent pas d’autres résultats sur le plan économique ou du marché du travail. C’est pourquoi il est capital d’adopter une démarche à l’échelle de l’ensemble de l’administration.
Ce chapitre examine le rôle des politiques et des institutions à l’appui d’un bon fonctionnement du marché du travail. Il s’articule autour des trois grandes dimensions de la nouvelle Stratégie pour l’emploi : i) la quantité et la qualité des emplois ; ii) l’inclusivité du marché du travail ; et iii) la résilience et l’adaptabilité. D’une manière générale, l’analyse porte sur l’impact global des moyens d’action utilisés au regard des différentes dimensions afin d’adopter une vue d’ensemble et d’éviter toute conclusion pouvant prêter à confusion. Une analyse plus détaillée et les données utilisées sont présentées dans les parties II à IV de la présente publication.
Le reste du chapitre s’organise comme suit. La section 4.1 analyse en quoi la croissance de la productivité, le partage des gains de productivité par le plus grand nombre et l’accès à l’emploi influent sur l’amélioration de la quantité et de la qualité des emplois. La section 4.2 étudie les mesures prises en faveur de l’inclusivité du marché du travail, y compris celles qui visent à atténuer l’influence du milieu socioéconomique sur la réussite professionnelle, celles qui favorisent les possibilités d’avancement professionnel, et celles qui portent sur les impôts et les prestations. La section 4.3 examine comment les politiques et les institutions peuvent encourager la résilience et l’adaptabilité pour faire en sorte que le marché du travail soit à même d’encaisser les chocs économiques et les mutations structurelles et de tirer le meilleur avantage des opportunités qui en découlent.
4.1. Des emplois plus nombreux et de meilleure qualité
Cette partie examine la contribution des politiques et des institutions à l’augmentation du nombre d’emplois et à l’amélioration de leur qualité, en accordant un intérêt particulier à la façon dont des synergies entre ces deux objectifs peuvent être obtenues tout en atténuant les éventuels arbitrages. Elle s’intéresse d’abord au rôle des politiques et des institutions dans l’instauration d’un environnement propice à des emplois de qualité. Elle présente ensuite une analyse du marché du travail du côté de l’offre, notamment des politiques et des institutions qui renforcent l'efficacité de l'offre de main-d’œuvre et la qualité des emplois en rendant le travail plus accessible, attrayant et durable.
Favoriser l’instauration d’un environnement propice à des emplois de qualité
Pour obtenir de bons résultats sur le marché du travail, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, il faut que la demande de main-d’œuvre soit assez forte pour garantir l’existence d'emplois de qualité en nombre suffisant pour tous ceux qui souhaitent travailler. Pour ce faire, il faut encourager les compétences et la productivité, et veiller dans le même temps à diffuser largement les gains découlant de la croissance de la productivité et à limiter les coûts non salariaux du travail.
Des compétences plus pointues et bien adaptées sont essentielles à des emplois plus nombreux et de meilleure qualité
Les interventions publiques doivent veiller à ce que les travailleurs soient dotés des compétences pertinentes pour réussir sur le marché du travail. Les individus munis des qualifications voulues ont plus de chances de trouver un emploi et, lorsqu’ils travaillent, occupent généralement des emplois de meilleure qualité. Une main-d'œuvre qualifiée facilite également l’innovation et l’adoption de technologies et de pratiques d'organisation du travail nouvelles, stimulant ainsi la productivité et la croissance. Pour que les compétences acquises dans le système d'éducation et de formation correspondent aux besoins du marché du travail, et ainsi éviter les problèmes majeurs que soulèvent l’inadéquation des qualifications et un passage insatisfaisant de l’école à la vie active (pénuries de main-d’œuvre comprises), il convient de renforcer les liens entre le monde de l’éducation et de la formation d’une part, et celui du travail d’autre part. Pour y parvenir, il convient notamment d’encourager la formation en milieu professionnel, la participation des partenaires sociaux à l'élaboration et à l’organisation de programmes d’enseignement correspondant aux besoins du marché, et le partage des coûts pour le financement du développement des compétences. On peut aussi améliorer la pertinence des enseignements spécialisés moyennant des dispositifs et des outils suffisamment éprouvés pour évaluer et anticiper les besoins, associés à des mécanismes et procédures efficaces qui garantissent que ces informations alimentent la prise de décision et les orientations fournies tout au long de la vie, ainsi que l’élaboration des programmes d’enseignement et de formation. Les politiques de compétences doivent également tenir compte des variations régionales de l’offre et de la demande de qualifications, ce qui appelle une étroite collaboration entre les employeurs et le secteur de l’éducation au niveau régional et local.
Favoriser la productivité de la main-d’œuvre dans les entreprises et le redéploiement efficace des ressources entre ces dernières
La croissance de la productivité est le moteur essentiel de l’augmentation des salaires et des revenus, et donc de la hausse des niveaux de vie. De bons salaires et de bonnes conditions de travail peuvent, à leur tour, favoriser le développement de la productivité car ils stimulent la motivation, les efforts des travailleurs, l'utilisation des compétences et les incitations à l’apprentissage et à l'innovation. L’instauration d’une dynamique positive entre les résultats des marchés du travail et ceux de l’ensemble de l'économie passe par des mesures qui laissent une marge de manœuvre suffisante pour assurer le redéploiement efficace des travailleurs entre les entreprises et les secteurs, et par des dispositions qui favorisent des conditions propices à l'apprentissage et à l'innovation en milieu professionnel. Dans les pays émergents, un enjeu majeur consiste également à concevoir des politiques et des institutions visant à remédier au problème du travail informel généralisé, lequel est associé à la fois à une faible productivité et à une mauvaise qualité des emplois.
Encadré 4.1. Réduire le taux d’emplois de faible qualité en limitant le travail informel
Dans de nombreux pays émergents, l’une des principales caractéristiques des marchés du travail consiste en un taux élevé de travail informel. L’emploi dans le secteur informel va généralement de pair avec un faible niveau de productivité, en partie en raison d'un investissement moindre dans le capital humain, de moins bonnes pratiques de gestion et de contraintes de crédit. Il tend également à être de qualité nettement inférieure à l’emploi formel et réduit l’inclusivité du marché du travail. Des mesures efficaces dans plusieurs domaines s’imposent pour encourager la création d’emplois de qualité et accroître la productivité du travail dans les économies émergentes :
Les entreprises et les travailleurs doivent clairement constater les avantages du passage à l’emploi formel. Les autorités doivent améliorer la qualité des services publics qu’elles fournissent et, s’il y a lieu, consolider le lien entre cotisations et prestations dans les régimes d’assurance sociale.
Il convient d’abaisser les coûts du passage au secteur formel pour les employeurs et les travailleurs indépendants. La simplification des régimes fiscaux et administratifs, l’harmonisation des procédures d’enregistrement et la réduction des formalités sont des mesures capitales en ce sens.
Il faut renforcer les moyens utilisés pour faire respecter la loi. L’inspection du travail doit disposer de ressources suffisantes pour s’acquitter efficacement de sa mission et les inspecteurs du travail doivent avoir les qualifications requises. Surtout, les mesures d’exécution qui sont prises doivent être transparentes et rigoureuses, mais pas trop strictes, afin d'éviter d'aggraver encore la situation des travailleurs vulnérables.
Il convient d’encourager le perfectionnement des compétences. En rehaussant la productivité des travailleurs, les compétences peuvent compenser le surcoût des emplois formels et améliorer l’accès à l’emploi dans le secteur formel.
Offrir de bonnes conditions de travail et des possibilités d’avancement professionnel peut favoriser l'apprentissage et l'innovation sur le lieu de travail. De bonnes conditions de travail et des possibilités d’avancement professionnel influent directement sur le bien-être des salariés, mais peuvent aussi concourir à la productivité en renforçant l'attachement des travailleurs à leur entreprise, en diminuant le taux de renouvellement des effectifs, en encourageant l’utilisation des compétences sur le lieu de travail et en confortant les incitations des entreprises et des travailleurs à investir dans la formation et l'acquisition de qualifications. Les entreprises ont ainsi souvent tout intérêt à offrir des conditions de travail de qualité car celles-ci se traduisent à terme par une hausse de la productivité et de la rentabilité. Dans la pratique, de bonnes conditions de travail de qualité associées à un rendement élevé vont souvent de pair avec une gestion de qualité et ce qu’il est convenu d’appeler des pratiques professionnelles performantes, qui mettent généralement en avant le travail d’équipe, l’autonomie, la liberté d’action, le mentorat, la rotation des emplois, et l’utilisation de nouveaux outils et technologies. L’adoption de ces pratiques dépend dans une large mesure de la technique de production des entreprises, en particulier de l’importance des qualifications, mais aussi de leur taille puisque celle-ci détermine en grande part les ressources dont elles disposent pour les mettre en œuvre.
Un cadre réglementaire solide, associé à un dialogue social efficace et à des services d’information ciblés, peuvent favoriser l'apprentissage et l'innovation au travail. Un cadre réglementaire solide prévoit des normes de conditions de travail adéquates fondées sur des règlements en matière d’hygiène et de sécurité du travail afin de réduire les risques pour la santé physique et mentale. Il s’appuie également sur des règlements relatifs au temps de travail qui limitent les horaires de travail excessifs et les postes de nuit et établissent le droit à des pauses et à des congés payés. Il convient aussi de mettre en place des dispositions équilibrées en matière de protection de l’emploi qui mettent les travailleurs à l’abri d’abus éventuels sans toutefois empêcher la redistribution des emplois. Il peut également prévoir un salaire minimum fixé à un niveau qui évite d’exclure les travailleurs faiblement rémunérés de l’emploi. Des institutions de négociation collective qui fonctionnent bien, surtout lorsqu’elles vont de pair avec un taux de couverture élevé, peuvent aussi s’avérer utiles. Elles autorisent une plus grande différenciation en matière de salaires et de conditions de travail que des dispositions légales, sont susceptibles de favoriser le perfectionnement et l’utilisation des compétences sur le lieu de travail, et permettent la diffusion effective de bonnes pratiques de travail. Enfin, les pouvoirs publics peuvent indirectement encourager une gestion et des méthodes de travail à haut rendement par la diffusion d’informations et des conseils sur les pratiques optimales, et en facilitant l’accès aux formations en gestion.
La réallocation efficace des ressources est fonction de la flexibilité des entreprises et de la mobilité des travailleurs. Cela englobe la facilité dont disposent les entrepreneurs pour créer une activité ou la liquider, celle dont disposent les entreprises pour adapter leurs effectifs en fonction de l'évolution de l’activité, et celle des salariés à changer d’entreprise et de lieu géographique pour trouver des emplois correspondant mieux à leurs compétences et à leurs ambitions de manière à améliorer leurs perspectives professionnelles. L’efficience de cette réaffectation est dans une large mesure déterminée par le fonctionnement et la réglementation des marchés de capitaux, du logement et de produits, notamment par les mesures qui influent sur les entrées et les sorties d’entreprises. Les politiques et les institutions du marché du travail jouent aussi un rôle central du fait qu’elles déterminent la flexibilité dont bénéficient les entreprises pour adapter leurs effectifs (protection de l’emploi par exemple) et de la facilité pour les travailleurs de changer d’entreprise. Cette dernière dépend dans une large mesure de la possibilité de transférer les compétences et de la portabilité des prestations, de l'existence de services de l'emploi efficaces et de programmes actifs du marché du travail pour faciliter la transition vers un nouvel emploi. La mobilité des travailleurs suppose aussi des incitations salariales pour encourager les travailleurs à quitter les entreprises peu productives pour d’autres très productives ; il importe donc de laisser aux entreprises une marge de manœuvre suffisante pour ajuster les salaires à la conjoncture, surtout dans les pays où la négociation collective intervient essentiellement au niveau national ou sectoriel.
La législation sur la protection de l'emploi joue un rôle de premier plan pour prévenir les abus et éviter les licenciements inefficients, mais des coûts de rupture de contrat excessifs et/ou incertains gênent le redéploiement efficace de la main-d’œuvre. Les règles relatives au licenciement et à la rupture de contrats sont conçues pour protéger les travailleurs contre les abus en matière d’embauche et de licenciement, et peuvent éviter le renouvellement excessif des effectifs en préservant entre les travailleurs et les entreprises une adéquation viable à plus long terme, les entreprises tenant compte du coût social des licenciements au moment de prendre leur décision (à savoir les conséquences sociales et budgétaires d’un accroissement du chômage). Les règlements qui limitent l’écart de protection entre les salariés titulaires d’un contrat à durée indéterminée et les travailleurs temporaires peuvent également parer à la rotation excessive du personnel en empêchant le recours abusif aux contrats à durée déterminée. Cela aura sans doute pour effet de stimuler l’apprentissage et l’innovation sur le lieu de travail en renforçant les incitations des entreprises à investir dans leur capital humain. Or, des coûts de licenciement excessifs et incertains découragent le recrutement dans le cadre de contrats à durée indéterminée, et compromettent le redéploiement efficace des ressources et la mise en adéquation des compétences, ce qui pèse sur la croissance de la productivité et l’efficience. Par ailleurs, de fortes disparités légales des coûts de licenciement selon les types de contrat entraînent des inégalités en matière de sécurité de l'emploi et créent des clivages persistants entre les travailleurs réguliers et non réguliers, notamment parce que les définitions restrictives d'un licenciement équitable ne peuvent s’appliquer dans la pratique aux travailleurs non réguliers. Il faudrait donc recourir à une définition étroite du licenciement abusif, circonscrite au licenciement pour motifs fallacieux, pour motifs sans lien avec le travail, pour des raisons de discrimination et pour des raisons interdites. Un préavis prévisible, des indemnités de licenciement ordinaires et des taxes de licenciement – dont le montant pourrait dépendre du motif de licenciement – permettraient d’éviter des licenciements inefficients et de dédommager les salariés en cas de cessation d’emploi involontaire sans lien avec leur travail.
Encadré 4.2. Réduire le taux d’emplois de faible qualité en limitant le travail informel
Dans de nombreux pays émergents, l’une des principales caractéristiques des marchés du travail consiste en un taux élevé de travail informel. L’emploi dans le secteur informel va généralement de pair avec un faible niveau de productivité, en partie en raison d'un investissement moindre dans le capital humain, de moins bonnes pratiques de gestion et de contraintes de crédit. Il tend également à être de qualité nettement inférieure à l’emploi formel et réduit l’inclusivité du marché du travail. Des mesures efficaces dans plusieurs domaines s’imposent pour encourager la création d’emplois de qualité et accroître la productivité du travail dans les économies émergentes :
Les entreprises et les travailleurs doivent clairement constater les avantages du passage à l’emploi formel. Les autorités doivent améliorer la qualité des services publics qu’elles fournissent et, s’il y a lieu, consolider le lien entre cotisations et prestations dans les régimes d’assurance sociale.
Il convient d’abaisser les coûts du passage au secteur formel pour les employeurs et les travailleurs indépendants. La simplification des régimes fiscaux et administratifs, l’harmonisation des procédures d’enregistrement et la réduction des formalités sont des mesures capitales en ce sens.
Il faut renforcer les moyens utilisés pour faire respecter la loi. L’inspection du travail doit disposer de ressources suffisantes pour s’acquitter efficacement de sa mission et les inspecteurs du travail doivent avoir les qualifications requises. Surtout, les mesures d’exécution qui sont prises doivent être transparentes et rigoureuses, mais pas trop strictes, afin d'éviter d'aggraver encore la situation des travailleurs vulnérables.
Il convient d’encourager le perfectionnement des compétences. En rehaussant la productivité des travailleurs, les compétences peuvent compenser le surcoût des emplois formels et améliorer l’accès à l’emploi dans le secteur formel.
Veiller à ce que les gains de productivité soient partagés avec les travailleurs, surtout les moins qualifiés
Les salaires réels sont le mécanisme le plus direct qui permet de transférer les avantages d’une croissance de la productivité aux travailleurs et à leur famille. Ces vingt dernières années, néanmoins, la progression du salaire médian réel dans la plupart des pays de l’OCDE a été dissociée de la hausse globale de la productivité du travail. Cela tient à la fois au recul de la part du travail (découplage entre le salaire moyen et la productivité) et au creusement des inégalités salariales (découplage entre le salaire médian et le salaire moyen). Les gains de productivité ne semblent plus se traduire par une augmentation des salaires profitant à l’ensemble des travailleurs.
Le découplage entre les salaires médians réels et la productivité est en partie dû aux mégatendances mondiales, mais sa forte hétérogénéité selon les pays semble indiquer que les politiques et institutions nationales interviennent également. Il apparaît que les progrès technologiques qui valorisent le capital et la montée en puissance des chaînes de valeur mondiales ont favorisé ce découplage en réduisant la part du travail (découplage entre les salaires moyens réels et la productivité) et en accentuant les inégalités salariales (découplage entre les salaires médians et les salaires moyens). Or, certains éléments indiquent aussi que les politiques nationales portant sur les compétences, les marchés des produits et les marchés du travail ne sont pas seulement un facteur déterminant de la croissance de la productivité, mais peuvent aussi garantir une large répartition des avantages que celle-ci procure. Les politiques en matière de compétences peuvent contribuer à distribuer plus largement les gains de productivité en limitant la substitution du capital au travail en réaction aux mégatendances mondiales, tandis que des politiques favorables à la concurrence sur les marchés de produits limitent l’ampleur des rentes captées par le capital. Les politiques et institutions du marché du travail peuvent contribuer à une distribution plus équitable des gains de productivité en agissant sur le coût relatif de la main-d’œuvre – et ainsi sur le degré de substitution du capital à certaines formes de travail – et en influant sur la répartition des rentes du marché des produits.
Un salaire minimum obligatoire peut garantir que les travailleurs situés au bas de l’échelle salariale tirent également profit de la prospérité économique croissante, notamment en l’absence de minima salariaux fixés par des conventions collectives. Ces derniers peuvent être considérés comme l’équivalent fonctionnel d’un salaire minimum fixé par la loi, dans la mesure où ils couvrent la majorité des travailleurs, sinon la totalité. Néanmoins, plusieurs pays de l’OCDE complètent les conventions collectives sur les salaires par un salaire minimum garanti. Quand les salaires minimum sont modérés et bien conçus, on peut éviter leurs effets négatifs sur l'emploi. Les principes énoncés ci-après peuvent contribuer à améliorer la mise au point de systèmes de salaire minimum. En premier lieu, il faut que le salaire soit rémunérateur, mais que son niveau n’empêche pas les travailleurs peu qualifiés de trouver un emploi ; pour ce faire, il convient d’examiner attentivement ses interactions avec le système de prélèvements et de transferts. Par exemple, en diminuant les cotisations sociales pour les salaires proches du minimum, il est possible d’accroître l’efficacité du salaire minimum en tant qu’instrument de lutte contre les bas salaires et la pauvreté et de limiter simultanément la hausse des coûts de main-d’œuvre pour les employeurs. Deuxièmement, il faut que le salaire minimum soit révisé régulièrement, sur la base d’informations et de conseils précis, actualisés et impartiaux, qui prennent soigneusement en compte la situation régnant sur le marché du travail et l’avis des partenaires sociaux et des experts (commissions indépendantes par exemple). Troisièmement, il convient d’instaurer un salaire minimum variable en fonction des groupes (si les écarts en termes de productivité ou d’obstacles à l’emploi sont importants) et/ou des régions (en cas de différences importantes en matière de situation économique). Quatrièmement, il faut améliorer la couverture et le respect de la législation relative au salaire minimum.
Les institutions de négociation collective et le dialogue social peuvent favoriser une large distribution des gains de productivité, y compris avec les travailleurs qui se trouvent au bas de l’échelle, assurer la représentation des salariés et fournir aux employeurs et aux employés un outil pour remédier aux problèmes communs. Pour promouvoir des emplois de qualité pour tous les travailleurs dans un monde en mutation, les systèmes de négociation collective doivent avoir un taux de couverture élevé, et accorder suffisamment de flexibilité aux entreprises.
La présence de partenaires sociaux bien organisés comptant de nombreux adhérents est le meilleur moyen d’assurer la représentativité des négociations collectives. Le dialogue social peut ainsi être étendu dans l’entreprise, entre organisations de travailleurs et employeurs, et basé sur des partenaires sociaux représentatifs aux niveaux supérieurs (par ex. secteur, pays). Pour élargir le dialogue social à tous les pans de l’économie, petites entreprises et formes atypiques d’emploi comprises, les pouvoirs publics doivent établir un cadre juridique qui favorise ce dialogue dans les grandes entreprises comme dans les petites et qui permette aux relations du travail de s’adapter aux nouveaux enjeux. En l’absence de partenaires sociaux diversifiés, un autre moyen d’accroître la représentativité de la négociation collective consiste à faire appel à des extensions administratives qui étendent la portée des accords collectifs, au-delà des membres des syndicats et organismes patronaux signataires, à tous les travailleurs et à toutes les entreprises d’un secteur. Pour éviter que les extensions ne nuisent aux perspectives économiques des entreprises en phase de démarrage, des petites d'entreprises et des travailleurs vulnérables, il importe que les parties qui négocient les accords représentent les intérêts collectifs de toutes les catégories d’entreprises et de salariés. Cet objectif est réalisable si l’on assujettit les demandes d’extension à des critères de représentativité raisonnables et à un critère d'intérêt public incontestable, et si l’on établit des procédures bien définies concernant les exemptions et les dérogations accordées aux entreprises en cas de difficultés économiques.
Les systèmes de négociation collective qui interviennent essentiellement au niveau des branches doivent offrir aux entreprises et aux pays une marge de manœuvre économique suffisante. L’introduction d’une marge de manœuvre dans des systèmes qui interviennent essentiellement au niveau des branches a souvent été considérée comme nécessitant le passage de la négociation du niveau des branches à celui des entreprises. S’il est vrai qu’un tel passage offrirait plus de flexibilité aux entreprises, il risque cependant de réduire la couverture conventionnelle et de compromettre ainsi l’inclusivité du système. L’expérience de plusieurs pays de l’OCDE prouve que des options moins radicales sont également possibles, fondées sur des dérogations limitées ou le recours à des accords de branche qui prévoient explicitement des possibilités d’adaptation à l’échelon de l’entreprise ou de l’individu. En principe, ces instruments préservent l’intégrité de la négociation sectorielle, tout en rapprochant la productivité et les conditions de travail au niveau de l’entreprise. Cependant, le degré de souplesse ainsi procuré aux grandes sociétés dépend en très grande partie de l’existence de niveaux élevés de représentation collective des travailleurs dans toutes les entreprises. La souplesse d’adaptation à la conjoncture macroéconomique peut être favorisée par une coordination effective des résultats des négociations entre les différentes unités concernées (secteurs ou entreprises). Une étude récente de l’OCDE indique que la coordination peut favoriser de meilleurs résultats du marché du travail en ménageant une plus grande souplesse d’adaptation à la conjoncture macroéconomique (voir chapitres 8 et 13 du présent rapport). Cette coordination est réalisable dans le cadre de négociations menées au plus haut niveau, les confédérations nationales de syndicats et d’employeurs présentes guidant les travaux des parties négociatrices aux échelons inférieurs. Les négociations pilotes offrent une autre possibilité, en vertu desquelles un secteur phare fixe les objectifs – généralement le secteur manufacturier exposé aux échanges internationaux – et les autres suivent le mouvement.
Les systèmes de négociation collective diffèrent considérablement d’un pays à l’autre, que ce soit sur le plan du taux de couverture, de la flexibilité qu’ils assurent aux entreprises, ou de leur organisation institutionnelle propre, différences qui sont généralement profondément ancrées dans le tissu socioculturel national. Les traditions nationales dans ce domaine sont importantes. Cela ne veut pas dire pour autant que ces systèmes ne peuvent et ne doivent pas s’adapter à l’évolution de la conjoncture économique. À vrai dire, l’un des traits les plus marquants des systèmes de négociation collective performants réside peut-être dans leur aptitude à s’adapter graduellement à l’évolution des conditions économiques dans le cadre de leur tradition nationale de relations industrielles. Cette aptitude dépend au premier chef de la qualité des relations industrielles, mais suppose aussi la présence d’un gouvernement qui laisse la place à la négociation collective et au dialogue social tout en en fixant les limites.
Accroître la quantité et la qualité des emplois en maintenant les coûts non salariaux du travail à un faible niveau
Les impôts sur le travail, sous la forme d’impôt sur le revenu des personnes physiques et de cotisations sociales, constituent une source importante de recettes pour l’État, mais peuvent avoir une incidence négative sur l'emploi, les revenus d’activité et l'inclusivité s’ils sont trop élevés. Dans l’OCDE, ils représentent en moyenne un tiers environ des coûts du travail.
Des modifications dans la composition de la fiscalité sur le travail visant à élargir l’assiette fiscale et à augmenter la progressivité de l’impôt peuvent favoriser un meilleur comportement du marché du travail. Elles pourraient par exemple revêtir la forme d’une diminution de la part des cotisations sociales et d’une augmentation de celle de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, quand il existe déjà un faible lien entre les cotisations personnelles et les droits (assurance-maladie, allocations familiales). Cette opération allégerait le poids de la fiscalité sur le travail en élargissant l'assiette de l'impôt, car l'impôt sur le revenu des personnes physiques ne porte pas uniquement sur les revenus d’activité des travailleurs salariés. Elle réduirait en outre les différences de traitement fiscal selon la situation sur le marché du travail et la source de revenu, et atténuerait de ce fait les éventuelles incitations fiscales indésirables au travail indépendant ou à l'emploi dans le secteur informel. Si l’impôt sur le revenu des personnes physiques est plus progressif que les cotisations sociales, comme c'est généralement le cas, la progressivité globale de la fiscalité du travail s’en trouvera probablement renforcée, avec des conséquences positives pour l’inclusivité. En outre, contrairement aux cotisations sociales, les régimes d’imposition du revenu des personnes physiques de nombreux pays prévoient des crédits d’impôt ou des déductions fiscales qui se traduisent par des taux effectifs quasiment nuls, voire négatifs pour les faibles revenus, ce qui pourrait également favoriser l’emploi. Cette évolution pourrait aussi renforcer l’efficacité d'autres instruments d’action. Par exemple, un déplacement partiel vers l'impôt sur le revenu des personnes physiques pourrait renforcer l’efficacité du salaire minimum obligatoire à l’appui de la rémunération des travailleurs faiblement productifs (qualité de l’emploi), et atténuer en même temps les effets négatifs potentiels sur l'emploi (nombre d’emplois). Le même argument vaut pour les salaires planchers convenus dans le cadre de négociations collectives1.
Diminuer la charge fiscale globale sur le travail en optant pour des impôts qui pèsent moins directement sur le travail peut favoriser l'emploi et le salaire net. Ce serait par exemple le cas des impôts fonciers. Ce choix serait efficient, compte tenu du caractère fixe des biens immobiliers, mais favoriserait en outre l'inclusivité puisque les ménages à faible revenu possèdent généralement moins de biens fonciers que les ménages à revenu plus élevé et plus riches. Il existe aussi des arguments en faveur du renforcement de l’imposition des revenus du capital à l’échelon individuel et d’un recours plus intensif aux taxes sur la consommation et aux taxes environnementales.
Mettre en place des marchés du travail stables en protégeant les travailleurs et en supprimant les obstacles au travail
Comme la création d'emplois de qualité et une forte croissance de la productivité exigent un marché du travail suffisamment souple, ce qui expose les travailleurs au risque de perdre leur emploi, il faut également, pour obtenir de bons résultats dans ce domaine, instaurer des marchés du travail stables en offrant aux travailleurs une garantie de revenu en cas de perte d’emploi et en supprimant les obstacles au travail. Plus généralement, la création d’emplois de qualité doit être associée à des mesures visant à rendre le travail accessible, attrayant et durable afin d’assurer une offre effective de main-d’œuvre.
Des filets de protection sociale efficaces contre les chocs du marché du travail améliorent la qualité de l'emploi
Des dispositifs de protection sociale efficaces atténuent les craintes pour la sécurité de l’emploi, ce qui a des conséquences importantes pour le bien-être des salariés. Par ailleurs, l’accès à une assurance-chômage et à d'autres prestations sociales appropriées – assurance-maladie, assurance-invalidité, indemnité pour famille monoparentale et aide sociale notamment – améliore la qualité de l'emploi en protégeant les travailleurs contre des chocs individuels sur le marché du travail (comme une perte d'emploi) et en lissant la consommation entre les périodes de chômage et les périodes d’emploi. Si une protection de l’emploi modérée a également un rôle à jouer, l’assurance-chômage couplée à une aide efficace au retour à l’emploi offrent généralement une plus grande sécurité aux travailleurs. Des taxes de licenciement modérées ou la modulation des impôts qui servent à financer les politiques actives et passives du marché du travail en fonction des antécédents des employeurs peuvent ensuite être utilisées pour inciter les employeurs à avoir moins recours aux licenciements ou à assumer une plus grande part de la responsabilité du coût social du chômage, de la maladie et de l’invalidité (en termes de hausses des dépenses publiques, de baisse des recettes fiscales, de perte de capital humain, de conséquences sur la santé, etc.). Il faut toutefois prendre garde de ne pas pénaliser excessivement certains types d’entreprises et de travailleurs, et de minimiser les conséquences involontaires sur le comportement d’embauche-débauche des entreprises, par exemple en prévoyant des exemptions pour les employeurs qui engagent des travailleurs malades, handicapés ou des chômeurs de longue durée.
Des dispositifs de protection sociale adéquats doivent aller de pair avec des politiques visant à minimiser les contre-incitations au travail et à encourager une recherche effective d’emploi. Dans la plupart des économies avancées, les filets de protection sociale appropriés comportent plusieurs niveaux, notamment : i) des prestations d'assurance-chômage pour ceux qui satisfont à certaines exigences minimales en matière de cotisations ; et ii) des allocations de chômage et une aide sociale universelles, mais de montant modéré, accessibles à toutes les personnes dépourvues d’emploi, sous condition de ressources. Les prestations doivent cependant s’accompagner d’incitations fortes visant à encourager la recherche effective d’un emploi afin de parer au risque de dépendance à l’égard des prestations et, partant, à un accroissement du chômage et une hausse des coûts pour les finances publiques. Des principes d’obligation mutuelle défendus par des services de l’emploi efficaces, dont l’aide à la recherche d’emploi et des possibilités de perfectionnement professionnel, des programmes actifs et des obligations strictes en matière de recherche d’emploi, sont indispensables.
Dans les pays émergents, la mise en place de filets de protection sociale efficaces est particulièrement difficile compte tenu de l’emploi informel généralisé.
Encadré 4.3. Réduire le taux d’emplois de faible qualité en limitant le travail informel
Dans de nombreux pays émergents, l’une des principales caractéristiques des marchés du travail consiste en un taux élevé de travail informel. L’emploi dans le secteur informel va généralement de pair avec un faible niveau de productivité, en partie en raison d'un investissement moindre dans le capital humain, de moins bonnes pratiques de gestion et de contraintes de crédit. Il tend également à être de qualité nettement inférieure à l’emploi formel et réduit l’inclusivité du marché du travail. Des mesures efficaces dans plusieurs domaines s’imposent pour encourager la création d’emplois de qualité et accroître la productivité du travail dans les économies émergentes :
Les entreprises et les travailleurs doivent clairement constater les avantages du passage à l’emploi formel. Les autorités doivent améliorer la qualité des services publics qu’elles fournissent et, s’il y a lieu, consolider le lien entre cotisations et prestations dans les régimes d’assurance sociale.
Il convient d’abaisser les coûts du passage au secteur formel pour les employeurs et les travailleurs indépendants. La simplification des régimes fiscaux et administratifs, l’harmonisation des procédures d’enregistrement et la réduction des formalités sont des mesures capitales en ce sens.
Il faut renforcer les moyens utilisés pour faire respecter la loi. L’inspection du travail doit disposer de ressources suffisantes pour s’acquitter efficacement de sa mission et les inspecteurs du travail doivent avoir les qualifications requises. Surtout, les mesures d’exécution qui sont prises doivent être transparentes et rigoureuses, mais pas trop strictes, afin d'éviter d'aggraver encore la situation des travailleurs vulnérables.
Il convient d’encourager le perfectionnement des compétences. En rehaussant la productivité des travailleurs, les compétences peuvent compenser le surcoût des emplois formels et améliorer l’accès à l’emploi dans le secteur formel.
Dans le cas de l'assurance-chômage, par exemple, l'obligation de ne pas exercer un emploi formel pour pouvoir prétendre à des allocations risque d’inciter fortement à travailler dans le secteur informel tout en bénéficiant de prestations. En outre, les travailleurs qui ne perçoivent pas les éventuels avantages de l’aide sociale peuvent y renoncer et opter pour un emploi informel, ce qui peut être préjudiciable à leur bien-être à long terme et nuire à la croissance économique et à la viabilité financière des systèmes de protection sociale. Pour remédier à ces deux problèmes, plusieurs économies émergentes ont introduit des régimes d'auto-assurance chômage obligatoire fondés sur des comptes d'épargne individuels, en veillant néanmoins à ce que certains dispositifs de garantie de ressources soient disponibles pour ceux dont l’épargne est insuffisante. En principe, un tel système pourrait servir à assurer les travailleurs indépendants contre le chômage.
Pour renforcer les incitations au travail, l'employabilité et l’égalité des chances, une stratégie d’activation de portée générale s’impose…
Pour être efficace, une stratégie d'activation doit cibler tous les obstacles à l’emploi, et coordonner à cette fin un large éventail de politiques et de services. Les chômeurs et les individus en marge de l’emploi se heurtent souvent à de multiples écueils pour s’intégrer au marché du travail et trouver un emploi de qualité. Certains de ces écueils sont parfois dus à l’incidence de régimes de prestations mal conçus sur les incitations des bénéficiaires à rechercher activement un emploi. Néanmoins, les individus en marge du travail sont généralement confrontés à de nombreux autres obstacles qui peuvent les empêcher de rechercher activement un emploi et/ou d’en trouver un qui leur soit adapté. Ces obstacles sont particulièrement importants pour certains groupes – notamment les travailleurs seniors, les mères de jeunes enfants, les travailleurs découragés et les personnes handicapées. Pour accroître le taux d’activité et améliorer la situation en matière d'emploi – tant sur le plan quantitatif que qualitatif – il faut donc une stratégie d’activation globale qui rende le travail plus accessible. Pour ce faire, il convient de s’attaquer aux différents obstacles à l’emploi en assurant la coordination, à l’échelon national et régional, des services de l'emploi, des services de santé et des services sociaux, de l'administration de programmes actifs du marché du travail et de l’élaboration des politiques fiscales et sociales. Une stratégie d'activation efficace doit associer des mesures visant à inciter les chômeurs à rechercher activement un emploi et à accepter ceux qui leur sont adaptés (des dispositifs de prélèvements et de transferts appropriés par exemple), des actions destinées à leur offrir plus de débouchés (comme l’aide à la recherche d'emploi, l’orientation directe, et les emplois subventionnés) et des interventions visant à renforcer l'employabilité des moins aptes à l'emploi (programmes de formation et stages d’insertion professionnelle par exemple).
Des services de l'emploi efficaces et des programmes actifs du marché du travail sont des éléments essentiels à la réussite d'une stratégie d'activation de cette nature. Dans le cas des travailleurs difficiles à placer, ces services peuvent englober une activité de conseil intensive et faire appel à des conseillers individuels chevronnés, et sont d’autant plus performants que le nombre de dossiers à traiter par agent est faible. Compte tenu du caractère limité des ressources, des outils de profilage efficaces doivent être utilisés dès les premières phases de la période de chômage de manière à diriger les demandeurs d'emploi vers les catégories de services appropriées (avec une prise en charge plus ou moins intensive). Il convient également de veiller à ce que les bureaux locaux de l’emploi aient une expérience suffisante du marché du travail local pour trouver un emploi adapté aux personnes qu’ils doivent placer. Les prestataires privés pourraient apporter une assistance utile en vue d’améliorer la prestation et le ciblage des services de l’emploi ou pour remédier à l’insuffisance des moyens, sous réserve d’une gestion des performances appropriée. Il faut en outre procéder à des évaluations rigoureuses des programmes actifs et mettre rapidement terme à ceux qui s’avèrent inefficaces.
… qui associe des politiques actives à un régime d’impôts et de prestations approprié, dans le cadre d’un dispositif d’« obligations mutuelles »
Les services de l'emploi et les programmes actifs du marché du travail doivent être associés à des mesures portant sur les impôts et les prestations. Pour être efficace, l’activation doit s’accompagner d'un mécanisme d'indemnisation du chômage et d’un régime d’aide sociale qui revêtent un caractère global et soient modérément généreux, et ce pour deux raisons. Premièrement, lorsque des dispositifs satisfaisants de contrôle et de sanction sont en place dans un cadre d'« obligations mutuelles » - en vertu duquel les pouvoirs publics ont pour devoir de fournir des services et des prestations aux demandeurs d'emploi afin de leur permettre de trouver du travail, les bénéficiaires étant pour leur part tenus d’effectuer des démarches actives pour trouver du travail ou améliorer leur employabilité - la menace d'éventuelles sanctions sous la forme d’un retrait des prestations accroît considérablement l'incitation financière à rechercher et accepter un emploi rémunéré et à participer sérieusement à des programmes actifs2. Deuxièmement, les prestations de chômage et d'aide sociale sont l’instrument principal qui établit un lien entre les chômeurs d’une part, et les services de l'emploi et les programmes actifs du marché du travail d’autre part. Dans un cadre d'« obligations mutuelles », les bénéficiaires de prestations sont dirigés vers les services de l'emploi, qui leur apportent une assistance à la recherche d'emploi ou, selon leur profil, les orientent vers des programmes plus intensifs, et assure en parallèle un suivi de leurs démarches pour trouver un emploi ou de leurs progrès en termes de réinsertion. En l'absence de prestations de chômage et d'aide sociale, par contre, il est souvent difficile d’entrer en contact avec les individus confrontés à de multiples obstacles à l'emploi, qui courent ainsi un risque d’exclusion. S’il est vrai que des prestations sociales modérément généreuses et complètes renforcent l’efficacité des mesures d’activation, en l’absence de politiques actives du marché du travail efficaces, ces prestations risquent de réduire les incitations au travail et d’aggraver l’exclusion du marché du travail. Par conséquent, les politiques passives et actives doivent être conçues ensemble plutôt que séparément.
Bien ciblées, des prestations permanentes liées à l’exercice d’un emploi peuvent valoriser le travail. Associées à des politiques actives et à des dispositifs de sécurité sociale, des prestations permanentes bien ciblées liées à l’exercice d’un emploi peuvent donner aux travailleurs faiblement rémunérés des incitations à travailler et à monter dans l’échelle des salaires, et soutenir dans le même temps le niveau de vie des ménages à faible revenu. Il faut cependant que les bénéficiaires potentiels comprennent correctement ces incitations ; autrement dit, les dispositifs simples et transparents sont généralement les plus efficaces. Étant donné qu’ils exercent généralement une pression à la baisse sur les salaires, il est possible de rehausser leur efficacité en y associant des salaires planchers obligatoires fixés à un niveau approprié, pas trop élevé. Enfin, les dispositifs de prestations liées à l’exercice d’un emploi sont plus efficaces s'ils sont combinés à une imposition individuelle, car les régimes d’imposition familiale ont souvent un effet dissuasif important sur les deuxièmes apporteurs de revenus. Comme ces derniers sont souvent des femmes, les inégalités existantes entre hommes et femmes sur le marché du travail s’en trouvent accentuées.
Améliorer la durabilité du travail en offrant un environnement professionnel sain, productif et de qualité
Une politique d'activation globale suppose aussi de rendre le travail durable tout au long du cycle de vie grâce à des mesures qui améliorent la qualité de l’environnement professionnel. Des mesures visant à prévenir les risques pour la santé et la sécurité ou à y remédier peuvent favoriser l’instauration d’un environnement de travail sain. Si, dans la plupart des économies avancées, les dangers physiques liés au travail sont souvent bien pris en charge par les politiques en vigueur, ils demeurent une source de préoccupation dans de nombreux pays émergents. Par ailleurs, les législations et incitations en matière de santé et de sécurité de la plupart des pays de l’OCDE ont mis du temps à entériner le fait que les risques pour la santé physique sont en recul, alors que ceux concernant la santé mentale progressent rapidement : l’expertise psychosociale est limitée dans les inspections du travail, de même que dans les services de santé professionnelle, lorsqu’ils existent. Comme le souligne le Conseil de l’OCDE dans sa Recommandation sur une politique intégrée de la santé mentale, des compétences et de l’emploi (OCDE, 2015[1]), une approche globale permet de diminuer les risques pour la santé mentale sur le cycle de vie. Cela suppose l'application et le contrôle du respect d'une législation rigoureuse en matière d'évaluation et de prévention des risques psychosociaux, la mise en place d'incitations financières appropriées pour encourager l’adoption de pratiques d’organisation et de gestion du travail à haut rendement et réduire le risque que le travail porte atteinte à la santé des salariés, et une utilisation plus efficace des incitations de marché pour faire valoir les avantages des modèles d’organisation et de gestion du travail qui se traduisent par une amélioration des conditions pour les salariés3. La participation des partenaires sociaux est essentielle pour assurer la mise en œuvre effective des mesures d'incitation, des réglementations et des lignes directrices. Les initiatives qui visent à améliorer la qualité des conditions de travail faciliteront également le prolongement de la vie active, ce qui revêt une importance cruciale dans le contexte du vieillissement démographique rapide.
4.2. Accroître l’inclusivité du marché du travail
De fortes inégalités peuvent éroder la confiance dans les institutions et, partant, nuire à la cohésion sociale. Elles peuvent aussi venir faire obstacle à la croissance économique et au bien-être, notamment en diminuant la capacité des personnes modestes à investir suffisamment dans le capital humain de leurs enfants. Néanmoins, des inégalités prononcées des revenus et des chances ne sont pas inévitables, et force est de constater que, malgré leur progression généralisée, des différences importantes persistent à cet égard entre les pays. Les pouvoirs publics ont à leur disposition toute une gamme instruments pour lutter contre les inégalités ou promouvoir l'égalité des chances. Les solutions qu’ils retiennent pour faire face à ces enjeux sont fonction du contexte national, notamment des valeurs sociétales concernant l'importance de la solidarité, de la redistribution et de l'égalité. Dans la droite ligne de l’Initiative et du cadre de l’OCDE pour une croissance inclusive, cette partie analyse les choix stratégiques opérés pour remédier aux inégalités en renforçant l’inclusivité du marché du travail, et examine par ailleurs leurs conséquences pour la croissance économique. Une importance particulière est accordée aux politiques susceptibles d’améliorer la situation des salariés à bas revenus d’activité et de leurs familles, d’une part parce que la faiblesse des revenus va de pair avec des enjeux sociaux, d’autre part parce qu’il est reconnu qu’elle découle généralement de plusieurs problèmes spécifiques au marché du travail. Remédier à ces problèmes améliore l'insertion et la cohésion sociales, mais peut également favoriser la croissance économique.
Promouvoir l’égalité des chances
La gravité et la persistance des inégalités économiques reflètent le degré de mobilité sociale entre les générations et sur la durée d'une vie. Une faible mobilité sociale témoigne de l'incidence du milieu socio-économique sur la façon dont chacun entre sur le marché du travail (mobilité intergénérationnelle) et l’existence de différents obstacles au développement professionnel une fois arrivé sur ce marché (mobilité intragénérationnelle). Pour lutter contre des inégalités profondes et persistantes, il faut donc des politiques qui offrent aux personnes défavorisées une éducation et des soins de qualité et des débouchés professionnels.
Favoriser la mobilité sociale entre les générations
L'importance du milieu socioéconomique pour les résultats futurs du marché du travail tient en grande partie aux difficultés que les individus issus de milieux socioéconomiques et/ou de quartiers pauvres rencontrent pour acquérir de solides compétences professionnelles. C’est aussi l’un des principaux vecteurs par lequel une forte inégalité des revenus peut réduire la croissance économique. En offrant de nouvelles possibilités, la mobilité sociale peut également renforcer les incitations à l'innovation et à l'entrepreneuriat, et accroître leur incidence potentielle sur la croissance économique.
Les investissements publics visant à améliorer les résultats des personnes issues de milieux socioéconomiques défavorisés en matière d’éducation ont une importance primordiale pour promouvoir la mobilité sociale. Il ressort d’éléments factuels que les interventions menées tôt, comme l'amélioration de l'accès à des programmes préscolaires de qualité pour les enfants issus de milieux défavorisés, sont les plus efficaces par rapport aux coûts. Néanmoins, des mesures destinées aux élèves plus âgés, pour diminuer l’abandon scolaire par exemple, s’imposent également. Cela suppose des mécanismes permettant de repérer rapidement les jeunes en risque de décrochage scolaire, associés à des mesures de soutien éducatif. Les pouvoirs publics peuvent diminuer l’échec et l’abandon scolaires en éliminant les pratiques qui portent atteinte à l’équité à l’échelle du système, comme le redoublement et l’orientation précoce, en veillant à ce que les choix scolaires n’accentuent pas les inégalités économiques ou spatiales, et en créant d’autres filières dans le deuxième cycle du secondaire pour améliorer les taux d’achèvement des études. Les personnes sorties du système éducatif avec un très faible niveau de qualification peuvent, si on leur offre une deuxième chance, éviter de tomber dans le piège manque de qualifications/échec économique. Les pays doivent également veiller à assurer l’égalité d’accès à l’enseignement postsecondaire. Les dispositifs de financement peuvent jouer un rôle important dans la lutte contre les inégalités, en particulier après la scolarité obligatoire, en empêchant que les considérations d’ordre financier soient un obstacle au perfectionnement des compétences.
Les réformes des régimes fiscaux et de prestations sociales peuvent aussi atténuer l’incidence de l'origine socioéconomique sur les résultats éducatifs et sanitaires des enfants. Les transferts monétaires ou les dégrèvements fiscaux en faveur des ménages modestes ou des ménages avec enfants (comme les prestations/indemnités versées à la famille ou aux enfants) peuvent améliorer les résultats ultérieurs de leurs enfants sur le marché du travail. Cette aide sera d’autant plus efficace qu’elle sera subordonnée au comportement des bénéficiaires en matière d'éducation (fréquentation scolaire, par exemple) et de santé (examens médicaux), comme c’est le cas dans les programmes de transferts monétaires conditionnels mis en place dans de nombreux pays émergents et dans quelques pays avancés. Pour assurer l’efficacité de ces transferts, il convient de les associer à des investissements dans la qualité des services éducatifs et de santé.
Améliorer la mobilité ascendante et l'avancement professionnel tout au long de la vie
Des efforts supplémentaires s’imposent pour aider les jeunes à prendre un meilleur départ sur le marché du travail et éviter ainsi de médiocres parcours professionnels caractérisés par l’alternance de périodes d’emploi faiblement rémunéré et de chômage. Le Plan d'action de l'OCDE pour les jeunes recommande un ensemble de mesures pour remédier au chômage élevé des jeunes ; il s’agit de renforcer le système d’éducation et de préparer tous les jeunes au monde du travail, d’encourager les employeurs à développer les programmes de formation en entreprise et en milieu professionnel (notamment des programmes d’apprentissage ou de stage de qualité), d’élargir les stratégies actives du marché du travail en vue d’améliorer l'employabilité et de multiplier les débouchés professionnels, et d’éliminer les obstacles à un emploi stable et rémunérateur. Les autorités doivent aussi veiller à ce que le coût lié à l’embauche de jeunes corresponde à leur productivité en assurant le versement de subventions salariales, des coûts non salariaux appropriés ou l’instauration d'un salaire inférieur au minimum. Les employeurs doivent aussi être fortement incités à convertir les contrats temporaires en contrats à durée indéterminée, afin qu’ils servent de tremplin vers plus de stabilité dans l’emploi sans faire obstacle à l’avancement professionnel.
Les travailleurs doivent également avoir la possibilité de perfectionner leurs compétences, de les entretenir et de les remettre à niveau à tout âge, pour limiter le risque de se trouver pris au piège du chômage ou des emplois de faible qualité et pour être en mesure de s’adapter rapidement à l’évolution de la demande de compétences dans les emplois existants et nouveaux. Malgré les avantages notables que présente l’investissement dans l'apprentissage des adultes pour les entreprises et les individus, plusieurs raisons font que ces investissements sont en réalité inférieurs au niveau optimal dans de nombreux pays, surtout chez les travailleurs peu qualifiés et les personnes défavorisées, et dans les petites et moyennes entreprises. Le taux de probabilité que les personnes les moins qualifiées participent à des programmes d’apprentissage et de formation pour adultes représente un tiers seulement de celui des personnes les plus qualifiées dans la plupart des pays de l'OCDE. Les autorités nationales et locales remplissent donc une fonction cruciale en aidant les individus et les entreprises à surmonter ces obstacles. L’action publique devrait plus précisément viser à : i) amplifier et faire valoir les avantages de l'apprentissage des adultes (en améliorant la reconnaissance des compétences acquises pendant la vie active et pas seulement durant le programme de formation par exemple) ; ii) aider les individus et les entreprises à faire face à leurs éventuelles difficultés financières (par exemple en leur proposant des accords de cofinancement) et aux contraintes non financières (moyennant des prestations souples par exemple) ; iii) aider les individus à faire de bons choix en matière d'éducation et de formation professionnelle en leur fournissant des informations, des conseils et des orientations de qualité ; et iv) encourager entre les entreprises et les établissements éducatifs des partenariats plus solides qui garantissent que les programmes de formation correspondent aux besoins des employeurs. Ces mesures doivent notamment viser les moins qualifiés et les PME. Les partenaires sociaux ont aussi un rôle déterminant à jouer pour inciter les populations sous-représentées à participer davantage aux activités de formation.
De bonnes conditions de travail sont essentielles à une vie professionnelle longue, saine et productive. Les conditions de travail ne doivent pas influer négativement sur la santé des actifs et l'organisation du travail devrait s'adapter aux atouts et aux besoins de ces derniers, de façon à tirer le meilleur parti possible d’une main-d'œuvre diversifiée, notamment du point de vue de l’âge et du sexe (Encadré 4.4). Ainsi, il convient de tenir compte de la manière dont les obligations familiales varient tout au long de la vie professionnelle et en fonction des situations individuelles, ainsi que des différences entre individus en termes de maturité, d'expérience et d'aptitude à effectuer des tâches physiquement et mentalement plus exigeantes. Un environnement de travail propice à l’évolution professionnelle, à l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée et à une bonne santé physique et mentale permet d’éviter l’accumulation de difficultés au cours de la vie active. De fait, les ennuis de santé et les problèmes rencontrés pour concilier vie professionnelle et vie familiale figurent parmi les principales raisons à l’origine d’un retrait de la vie active, en particulier chez les travailleurs seniors et les femmes. Si les conditions de travail et l'organisation du travail sont principalement déterminées par les employeurs, souvent de concert avec les syndicats ou d'autres formes de représentation des salariés, les politiques et les institutions peuvent fournir des incitations et des outils pour les améliorer.
Encadré 4.4. Réduire les inégalités entre les sexes sur le marché du travail
Les inégalités entre les sexes compromettent l’inclusivité du marché du travail, et nuisent en outre aux résultats économiques. Les analyses de l'OCDE montrent que si la proportion de ménages dans lesquels une femme travaille était restée aux environs du niveau affiché en 1990, l’inégalité des revenus dans la zone de l'OCDE - mesurée au moyen du coefficient de Gini - aurait été de près de 1 point de pourcentage plus élevée en moyenne qu’elle ne l’est actuellement. De même, si le pourcentage de femmes travaillant à temps plein et l'écart salarial entre hommes et femmes étaient restés constants aux niveaux enregistrés en 1990, l'inégalité des revenus serait supérieure d’un point de pourcentage. Le relèvement du niveau d’études des femmes, l'augmentation du taux d’activité féminin et l'amélioration des perspectives de carrière pour les femmes favorisent également l’amélioration des résultats économiques et la hausse des niveaux de vie. Malgré des progrès notables, d'importantes disparités subsistent entre les sexes. Comme le soulignent la Recommandation du Conseil sur l'égalité hommes-femmes dans la vie publique (OCDE, 2015[2]) et la Recommandation du Conseil sur l'égalité entre hommes et femmes en matière d'éducation, d'emploi et d'entrepreneuriat (OCDE, 2013[3]), les pays doivent redoubler d’efforts pour que les politiques publiques favorisent véritablement des marchés du travail inclusifs sur lesquels les hommes et les femmes peuvent s’épanouir pleinement.
Les stéréotypes sexuels, qui peuvent influer sur les choix éducatifs, doivent être pris en compte dès le plus jeune âge, car ils ont des conséquences importantes pour les choix éducatifs et professionnels des filles. Celles-ci sont ainsi toujours beaucoup moins nombreuses dans les filières STIM (sciences, techniques, ingénierie et mathématiques), et les femmes ont moins de chances de trouver un emploi, généralement bien rémunéré, dans ces secteurs. Les programmes d'orientation professionnelle et les campagnes d’information visant à promouvoir l'égalité des sexes dans les filières STIM devraient s’adresser aux parents, aux enseignants et aux élèves.
Les mesures visant à faciliter un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie familiale revêtent également une importance cruciale pour permettre aux hommes et aux femmes de participer au marché du travail sur un pied d’égalité. Les difficultés rencontrées pour concilier responsabilités familiales et professionnelles obligent très souvent les femmes à travailler à temps partiel, voire à quitter purement et simplement la vie active. Le congé parental, l’accueil des enfants, la prise en charge en dehors des heures de classe et l’aménagement du temps de travail figurent parmi les politiques susceptibles d’aider les parents de jeunes enfants. L’instauration de congés exclusivement réservés aux pères ou l’octroi de mois de « bonus » lorsque les couples partagent leurs droits à congé permettraient de mieux répartir les responsabilités parentales.
Si le travail à temps partiel permet de concilier les responsabilités professionnelles et les responsabilités familiales, il risque de compromettre les perspectives de carrière et de rémunération à long terme. Il contribue également au plafond de verre auquel se heurtent les femmes pour parvenir aux échelons supérieurs de leur profession. Afin de renforcer la représentation des femmes dans les postes décisionnels, certains pays ont introduit des quotas obligatoires, fixé des objectifs, pris des mesures de communication des informations et établi des procédures de suivi.
Il est possible de stimuler l’entrepreneuriat féminin en diminuant les inégalités femmes-hommes en matière d’accès aux financements et de compétences en gestion d’entreprise, de réseaux et de qualifications dans le cadre, par exemple, de programmes de formation, d’accompagnement et de mentorat.
Les disparités entre les sexes en termes de résultats sur le marché du travail sont en général plus marquées dans la plupart des pays émergents que dans l’ensemble de l’OCDE. Ces pays sont confrontés à d’autres difficultés pour résorber ces disparités ; il leur faut notamment combler les écarts subsistant dans le domaine de l'éducation, faciliter l'accès des femmes au crédit, lutter contre la discrimination sur le marché du travail et faire reculer l'emploi informel
Encourager des résultats plus équitables sans porter atteinte à l’emploi et à la croissance
Des chances plus égales aboutissent à des résultats plus égaux, mais une plus grande égalité des résultats aboutit aussi à une plus grande égalité des chances en égalisant les règles du jeu. En fait, c'est l’action en retour de l’inégalité de résultats sur l’inégalité face à l'éducation et la santé qui crée une relation négative entre l’inégalité et la croissance économique. Des politiques visant à réduire directement l’inégalité de résultats paraissent donc tout à fait justifiées, à condition qu'elles ne compromettent pas inconsidérément les incitations à investir dans les compétences, le travail et l'entrepreneuriat. Outre le rôle de l'éducation et des compétences, déjà examiné plus haut, cela concerne principalement le régime fiscal et social et, dans une moindre mesure, les politiques de fixation des salaires.
Des institutions bien conçues de fixation des salaires peuvent jouer un rôle dans une stratégie plus générale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion du marché du travail
Des politiques de fixation des salaires, sous la forme de salaire minimum légal ou de négociation salariale collective, réduisent les inégalités dans ce domaine mais ne devraient guère contribuer à faire reculer la pauvreté. Si la pauvreté active est associée à des niveaux de salaire peu élevés, un nombre non négligeable de travailleurs rémunérés au salaire minimum vivent dans des ménages dont le revenu est supérieur au seuil de pauvreté, et un certain nombre de pauvres ont des salaires supérieurs au salaire minimum mais vivent dans des ménages relativement nombreux sans autre apporteur de revenu. Cependant, un salaire minimum modéré peut contribuer à améliorer l’efficacité des compléments de revenu d’activité, conçus pour faire face aux faibles revenus du travail. La négociation salariale collective agit potentiellement sur un plus grand nombre de salariés à faible revenu risquant de tomber dans la pauvreté, mais tend aussi à avoir un impact plus marqué sur les salariés qui vivent dans des ménages dont le revenu est supérieur au seuil de pauvreté, surtout quand il existe un salaire minimum légal. Par ailleurs, si ces politiques sont mal conçues, le risque existe que les avantages liés au recul de la pauvreté active suite à l’instauration d’un salaire minimum légal ou fixé dans le cadre de négociations collectives soient neutralisés par l’augmentation de la pauvreté parmi les ménages de chômeurs si elles diminuent les perspectives d’emploi des travailleurs faiblement productifs. Les principales caractéristiques de politiques en matière de salaire minimum et de systèmes de négociation collective bien conçus sont analysées dans le contexte de la création d’emplois de qualité ci-dessus.
La redistribution au travers du système d’impôts et de prestations est déterminante pour atténuer les difficultés financières
La redistribution au travers du système d’impôts et de prestations peut apporter une contribution cruciale à l’instauration de marchés du travail plus inclusifs en garantissant une large distribution des fruits de la croissance économique dans la population, y compris parmi les familles à faible revenu. Son effet redistributif tient pour l’essentiel aux transferts monétaires – à hauteur de deux tiers environ dans les pays de l’OCDE –, les impôts progressifs représentant le tiers restant. La redistribution s’effectue également au travers de la fourniture de services publics, notamment dans les domaines de l'éducation et de la santé. Les mesures visant à accroître la portée et l'efficacité de la redistribution ne doivent pas perdre de vue les possibles retombées négatives sur les incitations au travail, en particulier chez les familles à faible revenu. Leur conception est le facteur déterminant de leur efficacité à réduire les inégalités et à dépasser les arbitrages avec l'emploi et la croissance économique.
À l’extrémité inférieure du spectre des revenus, les transferts publics ont un rôle essentiel à jouer pour soulager les ménages modestes de leurs difficultés financières, mais ils doivent s’accompagner de mesures destinées à favoriser l’autonomie et à éviter toute dépendance durable à l’égard des prestations. Même à budgets constants, il serait possible de renforcer l’efficacité des mesures de lutte contre le creusement des inégalités, par exemple en faisant appel aux prestations liées à l’exercice d’une activité plutôt qu’aux prestations de non-emploi afin d’encourager les individus à accepter un travail rémunéré et d’apporter une aide financière complémentaire aux ménages à faible revenu. L'assurance-chômage peut aussi sensiblement contribuer à la redistribution puisque le risque de chômage est en général fortement concentré au bas de l'échelle des salaires. L’élargissement de la couverture de l’assurance-chômage est une piste prometteuse pour renforcer la sécurité sur le marché du travail et l’inclusivité, à condition qu’il s’accompagne de l'application rigoureuse du cadre d'« obligations mutuelles » afin de préserver les incitations à travailler. Ce point est particulièrement important pour les travailleurs atypiques, qui ne sont pas toujours admissibles aux allocations de chômage, ainsi que pour les chômeurs de longue durée qui ont épuisé leurs droits à prestation.
Il est également possible de renforcer le rôle redistributif de la fiscalité de manière à ce que chacun apporte sa juste contribution, surtout ceux qui se situent au sommet de l’échelle des revenus. Au cours des dernières décennies, les hauts revenus ont augmenté beaucoup plus rapidement que les autres dans la plupart des pays de l'OCDE, alors que les taux marginaux d'imposition effectifs sur les hauts revenus sont restés stables, et ont même diminué parfois. Les autorités doivent donc veiller à ce que les plus riches assument une part équitable de la charge fiscale, notamment en améliorant la discipline fiscale, en réduisant les allégements fiscaux et en réévaluant le rôle des impôts fonciers et successoraux, tout en prenant en compte l’incidence des différentes réformes envisageables sur les incitations au travail, à l’effort et au perfectionnement des compétences. Il convient plus particulièrement de veiller à ce que les bénéfices des entreprises, notamment des multinationales, soient imposés là où le chiffre d’affaires est réalisé (OCDE, 2017[4]).
Réduire les inégalités spatiales et soutenir les régions en perte de vitesse
D’importantes disparités régionales en termes d’emploi et de revenu, dans nombre de pays de l’OCDE et d’économies émergentes, peuvent être partiellement comblées en favorisant la croissance et la compétitivité dans les régions en retard. Cela suppose, au minimum, des services publics de qualité, notamment des services publics d’éducation, de santé, de transport et d’emploi, dans les régions à la traîne. Cependant, pour libérer le potentiel de croissance de ces régions, des investissements publics supplémentaires dans l’éducation, les transports et l’infrastructure pourraient être nécessaires dans certains cas. À condition d’être bien conçus, ils sont susceptibles d’améliorer la compétitivité régionale et faciliter la diffusion de l’innovation et des bonnes pratiques dans toutes les régions et dans les différents secteurs et entreprises. L’action publique peut aussi apporter un appui particulier à la création d’entreprises et d’emplois dans les régions frappées par des chocs technologiques ou commerciaux, moyennant une aide adaptée à l’innovation, l’amélioration de l’accès aux financements et le soutien à des pépinières d’entreprises bien conçues notamment.
Mais empêcher les régions à la traîne de perdre encore plus de vitesse suppose également des mesures spéciales pour aider les travailleurs ayant perdu leur emploi et les groupes défavorisés. Si la libéralisation des échanges et les progrès technologiques sont porteurs d’importants avantages pour les pays, certaines régions peuvent être durement touchées en raison de leur structure industrielle. Les politiques de l’emploi et les politiques sociales locales doivent s’attaquer aux problèmes sociaux liés à la concentration locale du chômage, de l’exclusion sociale et de la pauvreté par les moyens suivants : la mise en place de programmes de lutte contre la pauvreté accessibles ; la création de centres sociaux et l’utilisation de projets de régénération urbaine ; les programmes de recyclage, d’initiation pratique au travail ou d’entrepreneuriat qui aident les travailleurs ayant perdu leur emploi à s’adapter à d’autres activités ou à s’installer dans des régions offrant des débouchés satisfaisants. Certaines régions devront éventuellement obtenir un soutien spécial pour les minorités linguistiques, mais aussi promouvoir l’acquisition de nouvelles compétences et de nouveaux métiers pour les autochtones dont les modes traditionnels de subsistance sont menacés dans un monde de plus en plus moderne et interdépendant.
La prise en main des besoins des régions en perte de vitesse suppose une bonne coordination des politiques nationales, régionales et locales. Les collectivités territoriales jouent un rôle important dans le choix de projets d’investissement public, le développement d’infrastructures locales et l’élaboration des politiques régionales d’éducation, d’emploi et sociales. Tous les niveaux de l’administration, y compris l’administration centrale, devraient cependant collaborer de manière coordonnée pour contribuer efficacement au développement régional. Compte tenu des capacités limitées de recouvrement de l’impôt des régions à la traîne pour financer les services publics de base, ainsi que de la nécessité de mesures supplémentaires d’aide aux travailleurs dans ces régions, un certain degré de redistribution budgétaire interrégionale s’impose. Une démarche coordonnée suppose en outre des actions en faveur du renforcement des moyens à la disposition des administrations régionales et locales pour gérer et mettre en œuvre efficacement les grands projets d’investissement, les programmes pour l’éducation et les programmes pour l’emploi.
Des politiques spécifiques sont nécessaires pour éviter l’exclusion des groupes sous-représentés et défavorisés
L’action publique doit aussi veiller à ce que les groupes les plus susceptibles d’être défavorisés sur le marché du travail n’en soient pas exclus. Un certain nombre de groupes sont pleinement intégrés au marché du travail et ne reçoivent pas leur juste part des fruits de la croissance. Dans les pays de l'OCDE, par exemple, le taux d'emploi des personnes handicapées est inférieur de 44 % en moyenne à celui des hommes d’âge très actif. En outre, le taux de bas revenus des ménages dont le chef de famille est un immigré est supérieur de 21 % à celui observé pour les ménages moyens. Par ailleurs, les mères en couple avec de jeunes enfants n’ont souvent pas d’emploi ou sont des deuxièmes apporteurs de revenu, et contribuent pour moins de 30 % au revenu du ménage dans de nombreux pays.
Pour aider les groupes défavorisés il faut, dans certains cas, adapter les interventions aux besoins et aux obstacles à l’emploi qui leur sont spécifiques, et qui sont souvent très hétérogènes, non seulement d’un groupe à l’autre, mais en leur sein. Par exemple, pour accroître l'insertion des femmes qui ont des responsabilités familiales, il faut encourager les hommes à prendre un congé parental, élargir l'accès à des services d’accueil abordables, développer les dispositifs d’aménagement du temps de travail (Encadré 4.2) et supprimer les contre-incitations fiscales au travail pour les deuxièmes apporteurs de revenu. Dans le cas des familles monoparentales, cependant, une stratégie globale d'activation doit être mise en place moyennant la promotion d’un cadre d'obligations mutuelles qui prévoit une aide à l'emploi et à la garde d’enfants (y compris leur prise en charge en dehors des heures d’école) en contrepartie d’un travail et d'un véritable effort de recherche d'emploi. L’aide publique à la garde d’enfants doit être conçue de manière à ce que le travail reste rémunérateur une fois les impôts, les prestations et les frais de garde pris en compte, sans aggravation du risque de pauvreté. De même, une politique du marché du travail plus inclusive pour les immigrés suppose de combattre la discrimination, d'assurer l'égalité d'accès aux politiques actives du marché du travail, d'évaluer et de reconnaître les qualifications et les compétences acquises à l'étranger et de fournir aux immigrés des possibilités de formation spécifiques correspondant à leurs besoins, notamment des cours de langue. Dans le cas des femmes immigrées avec enfants, l'égalité d'accès aux services sociaux et d’accueil pour enfants (qui comprend la fourniture effective d'informations sur ces services) joue un rôle primordial. Enfin, pour favoriser l'insertion des personnes handicapées, il faut s’employer à supprimer les éléments faisant obstacle, dans chaque cas, à leur employabilité et veiller à ce que les incitations fournies à tous les acteurs concernés – les bénéficiaires des prestations de maladie et d'invalidité, les employeurs, les autorités, les prestataires de services et le corps médical – soient compatibles avec cette stratégie.
Les politiques en faveur de l’entrepreneuriat peuvent aussi ouvrir des débouchés aux groupes défavorisés. Elles doivent donc être conçues de manière à être inclusives et à garantir à chacun, y compris aux membres des catégories défavorisées, la possibilité de créer et de gérer une entreprise ou de travailler pour son propre compte. Cela suppose des mesures adaptées aux difficultés particulières auxquelles se heurtent ces différents groupes, éventuellement réunies sous forme de programmes de manière à s’attaquer à tous les obstacles simultanément, leur application étant confiée à des organismes spécialisés afin de garantir leur efficacité. Les mesures fondamentales pour favoriser et encourager un entrepreneuriat inclusif sont des programmes de formation, d’accompagnement et de mentorat dans ce domaine, la facilitation de l’accès aux financements, et la création de réseaux d’entreprises.
4.3. Favoriser des marchés du travail résilients et adaptables pour faire face au monde de demain
Les économies et les marchés du travail sont en mutation constante, témoignant du processus de destruction créatrice inhérent aux économies de marché performantes et des fluctuations conjoncturelles. La destruction créatrice suppose le redéploiement efficace de la main-d’œuvre et du capital, vers leurs utilisations les plus productives, et favorise la productivité globale, l’accroissement des salaires et de la qualité des emplois. L’action publique peut favoriser l’adaptabilité des marchés du travail en encourageant une réaffectation efficace, qui devient particulièrement importante lorsque les économies sont exposées à des évolutions séculaires, comme les progrès technologiques, la mondialisation et le changement démographique. L’action publique, en particulier sous forme de cadre d’action macroéconomique solide, peut également rendre les économies plus résilientes aux fortes fluctuations conjoncturelles (c'est-à-dire renforcer leur aptitude à limiter les fluctuations de l'emploi ou du chômage et à rebondir rapidement au lendemain de chocs multiples). Outre la réallocation efficace des ressources et des politiques macroéconomiques solides, la résilience et l’adaptabilité appellent toutefois des mesures complémentaires en matière de compétences, de protection sociale, d’activation et de dialogue social, afin de maintenir, voire d’améliorer le comportement du marché du travail face aux évolutions conjoncturelles. Ces dernières, outre qu’elles contribuent à améliorer le redéploiement de la main-d’œuvre, qui stimule la productivité et prévient les pertes individuelles et sociales liées au chômage prolongé, favorisent d’autres objectifs, comme la qualité des emplois et l’inclusivité du marché du travail. Il faudra combiner judicieusement les politiques en place pour influer sur la forme que revêtira le travail de demain et transformer les menaces potentielles découlant des évolutions séculaires en possibilités qui seront équitablement partagées entre tous les acteurs de la société.
Les politiques structurelles et macroéconomiques et les institutions peuvent renforcer la résilience et améliorer les résultats à long terme du marché du travail
La grande récession de 2008-09 et la lenteur de la reprise qui a suivi dans de nombreux pays ont montré que les ralentissements marqués de l’activité peuvent avoir des effets économiques et sociaux très négatifs et durables. Les politiques publiques qui renforcent la résilience du marché du travail, c'est-à-dire son aptitude à limiter les fluctuations de l'emploi et à rebondir rapidement à la suite de chocs multiples, sont essentielles pour limiter le coût social à court terme des ralentissements économiques, mais aussi pour faciliter le fonctionnement du marché du travail et de l’économie à moyen et long termes. Elles peuvent en particulier atténuer les conséquences des hausses du chômage conjoncturel en termes de progression du chômage structurel, de baisse du taux d’activité et de ralentissement de la croissance des salaires et de la productivité.
Les politiques macroéconomiques jouent un rôle de premier plan dans la stabilisation du marché du travail et la prévention du phénomène d'hystérèse au lendemain de chocs multiples. La politique monétaire peut être déployée rapidement et, en agissant sur les anticipations d’inflation, avoir des effets immédiats sur le taux d'intérêt réel et la demande globale. Même quand les taux d’intérêt ne peuvent plus être abaissés, pendant les périodes de fort ralentissement économique, on peut recourir à des mesures non conventionnelles pour assouplir la politique monétaire, ce qui doit s’accompagner de mesures budgétaires vigoureuses. Laisser jouer les stabilisateurs automatiques et les compléter par des mesures discrétionnaires – privilégiant de préférence les investissements publics de qualité qui attirent l’investissement privé et augmentent le potentiel de croissance à long terme de l’économie – pendant les périodes de profond marasme revêt une importance primordiale à cet égard. Il apparaît que la politique budgétaire est particulièrement efficace pendant les phases de décélération économique et lorsque le niveau initial d’endettement public est faible, ce qui semble indiquer que les effets défavorables d’une politique budgétaire énergique efficace sur la viabilité des finances publiques pendant ces périodes seraient limités, surtout quand une marge de manœuvre budgétaire suffisante est constituée pendant les périodes de relance de l’économie. Il importe donc de maintenir la dette publique à des niveaux prudents quand la conjoncture est bonne et d’établir des règles budgétaires suffisamment souples.
Les politiques du marché du travail doivent être suffisamment réactives à l’évolution des besoins en matière d’aide publique. Un dispositif de garantie des ressources, associé à une stratégie d’activation efficace, doit absolument être en place pour les chômeurs, même avant qu’un ralentissement de l’activité intervienne. Néanmoins, dans les pays où la durée maximale des prestations de chômage est faible et où les chômeurs ont un accès limité aux prestations de second rang (comme l’aide sociale), le prolongement de la durée maximale de versement des allocations pendant une récession peut se justifier. Par ailleurs, une gestion énergique des dépenses au titre des politiques actives du marché du travail s’impose en cas de hausses du chômage conjoncturel afin de favoriser un retour rapide à l’emploi et de préserver le principe d’obligations mutuelles propre aux régimes d’activation. Cela renforcerait en outre les stabilisateurs budgétaires automatiques. Une difficulté majeure dans ce contexte consiste à développer rapidement les capacités tout en préservant la qualité des services. Une autre est de maintenir l'efficacité dans un climat d’atonie de l’emploi. Les régimes d’activation devront peut-être mettre provisoirement l’accent sur la formation plutôt que sur le retour au travail, notamment pour les chômeurs auxquels il est difficile de trouver un emploi.
Les dispositifs de chômage partiel peuvent renforcer la résilience en préservant les emplois vulnérables viables à long terme. Dans plusieurs pays de l’OCDE, les dispositifs de chômage partiel ont sensiblement contribué à limiter les pertes d’emploi pendant la grande récession. Pour que ces dispositifs soient opérationnels avant que les pertes d'emploi interviennent, il convient de les mettre en place pendant les phases d’activité normale de manière à pouvoir les activer et les amplifier rapidement en début de récession. En conjoncture normale, ils doivent toutefois rester limités ou en veilleuse car ils risquent de compromettre la réaffectation efficace des ressources entre les entreprises et, partant, la croissance de la productivité. Pour éviter qu’ils ne restent trop longtemps en place durant une reprise, les pouvoirs publics pourraient exiger des entreprises qu’elles participent à leur coût et limiter leur durée maximale.
Des politiques structurelles et des institutions du marché du travail qui ne changent pas au cours du cycle économique agissent aussi sur la résilience de ce marché. Les dispositions relatives à la protection de l’emploi des travailleurs réguliers, si elles assurent un niveau de protection adéquat, peuvent stimuler la résilience du marché du travail en préservant des emplois qui risquent d’être supprimés mais qui sont viables à moyen terme. Néanmoins, des dispositions trop rigoureuses peuvent aller à l’encontre de l’effet recherché : elles risquent d’une part d’encourager en phase de haute conjoncture le recours à des contrats temporaires auxquels il est aussi plus facile de mettre terme en phase de contraction de l’activité, ce qui accroît le nombre de suppressions d’emplois dans le sillage d’un ralentissement économique, d’autre part de ralentir la création d'emplois réguliers en période de reprise. Il apparaît en outre que des systèmes de négociation collective bien conçus accentuent la résilience du marché du travail en facilitant les ajustements des salaires et du temps de travail. Cet objectif peut être atteint moyennant la coordination efficace des résultats des négociations au niveau des entreprises et des secteurs et en donnant aux entreprises une marge de manœuvre suffisante pour aligner les salaires avec la productivité, y compris par le recours à des clauses dérogatoires en cas de difficultés économiques.
Les politiques macroéconomiques et de l’emploi qui accentuent la résilience du marché du travail peuvent aussi avoir une incidence positive sur la croissance à long terme, la situation de l'emploi et l'inclusivité. La stabilisation de la situation sur le marché du travail pendant les périodes de marasme économique diminue le coût social du ralentissement de l’activité, mais aussi le risque que la hausse temporaire du chômage se traduise par une progression structurelle du chômage et une baisse structurelle du taux d’activité. De surcroît, c’est sans doute aux travailleurs les plus vulnérables, notamment les jeunes, les personnes exposées au risque de chômage de longue durée et les travailleurs titulaires de contrats temporaires, qu’une plus forte résilience du marché du travail sera de loin le plus bénéfique.
Les mutations structurelles rapides accentuent l’importance d’une réaffectation efficace de la main-d’œuvre et de mesures visant à aider les travailleurs ayant perdu leur emploi à retrouver rapidement du travail
La mondialisation, les progrès techniques et l'évolution démographique ont des conséquences considérables sur l'offre et la demande d'emplois, puisqu’ils en créent de nouveaux dans des secteurs émergents et en détruisent dans les secteurs en déclin. Ces évolutions modifient aussi la nature des emplois, la manière dont les tâches sont exécutées et les caractéristiques de ceux qui les exécutent. Pour transformer les menaces qu’elles représentent en débouchés et faire bénéficier les travailleurs des gains de productivité tout en limitant le risque de chômage technologique, la dégradation qualitative de l’emploi, l’aggravation de l’inadéquation des compétences, et la montée des inégalités de longue durée, les marchés du travail devront faire preuve d’adaptabilité.
L’adaptation à la mondialisation, aux progrès technologiques et à l’évolution démographique exigera plus que jamais des politiques qui favorisent le redéploiement efficace des salariés qui travaillent dans des entreprises, des secteurs et des régions peu performants vers d’autres, plus dynamiques – et aident en parallèle les régions en difficulté à combler leur retard. Il s’agira notamment de politiques des marchés du travail et de produits qui ne limitent pas l’entrée et la sortie des entreprises ni la mobilité des travailleurs d’une entreprise et d’une région à l’autre. Si les formes de travail souples, en particulier celles associées à l’économique numérique, connaissent une expansion rapide, il sera particulièrement important de garantir la portabilité des droits acquis et des protections pour toutes les formes de travail afin d’éviter que la perte de ces droits ne vienne faire obstacle à la mobilité de l’emploi. Les politiques du logement pourraient aussi favoriser la mobilité géographique des travailleurs en aidant ces derniers à s’installer dans les régions qui offrent les meilleurs emplois. Un moyen de réaliser cet objectif consisterait à mieux adapter l’attribution des logements sociaux aux besoins des personnes en provenance de régions en déclin et à réduire les obstacles au développement de marchés locatifs privés. La baisse des coûts de transaction – par l’intensification de la concurrence entre intermédiaires notamment– favoriserait aussi la mobilité des propriétaires, surtout dans les pays où le taux de propriété est élevé. Le versement de subventions aux travailleurs sans emploi pour couvrir leurs frais de déménagement serait un moyen économique d’accroître la mobilité de la main-d’œuvre et d’aider les travailleurs ayant perdu leur emploi à retrouver du travail. Dans certains pays, les licences professionnelles ont fait obstacle à la mobilité, sans apporter d’avantages manifestes en termes d’amélioration de la qualité des services, de la santé ou de la sécurité des consommateurs. Ces licences doivent être utilisées judicieusement, et les normes les régissant doivent être harmonisées, dans toute la mesure du possible, entre les régions. Plus généralement, la mobilité de la main-d’œuvre entre les entreprises, les secteurs et les régions doit s’accompagner de politiques efficaces en matière de compétences, d’une protection sociale adaptée et d’un dialogue social constructif.
L’adaptabilité suppose aussi des politiques ciblées qui aident les travailleurs ayant perdu leur emploi à retrouver rapidement du travail. Pour ce faire, les politiques d’activation habituelles risquent de s’avérer insuffisantes. Il est essentiel d’intervenir au plus tôt car on a constaté que c’est là le moyen le plus efficace et économique d’apporter un appui aux travailleurs ayant perdu leur emploi. Une nouvelle étude de l’OCDE met en relief l’importance de règles qui exigent un préavis de licenciement (chapitre 14). Elles permettent aux travailleurs concernés et aux autorités du marché du travail de se préparer sans tarder à un ajustement en douceur. Dans certains pays, il faudra éventuellement modifier les modalités de protection des travailleurs de manière à ce que la période de préavis se substitue à l’indemnité de licenciement, dans le but d’empêcher l’absence de préavis de devenir un obstacle à la redistribution des emplois. Si bon nombre de travailleurs ayant perdu leur emploi ont sans doute simplement besoin d'être rapidement orientés ou incités à rechercher activement un emploi, d’autres sont exposés à un risque de chômage de longue durée et d'épuisement des prestations. Des outils de profilage sont donc nécessaires pour identifier au plus tôt ces derniers et leur apporter un appui ciblé, ce qui évite de fournir des services d'assistance spéciale intensifs (et coûteux) aux demandeurs d'emploi qui n'en ont pas besoin. Il est particulièrement utile de procéder sans tarder à des évaluations systématiques des besoins, surtout lorsqu’elles se traduisent par la formulation d'un plan d'action individuel susceptible de conduire à des interventions rapides lorsque des obstacles spécifiques au retour à l'emploi ont été décelés. Il importe aussi que les services soient accessibles à tous les travailleurs ayant perdu leur emploi, et pas uniquement à ceux qui sont touchés par des licenciements collectifs dans les grandes entreprises.
Les formes de travail atypiques contribuent à l'adaptabilité des marchés du travail, mais suscitent aussi des inquiétudes quant à la qualité des emplois
Dans tous les pays avancés et émergents, diverses formes atypiques de travail (travail temporaire et emploi indépendant) coexistent déjà avec les contrats permanents plus classiques. Par ailleurs, les progrès techniques favorisent l'émergence de nouvelles formes de travail, comme le « crowd work » (travail mutualisé organisé par une plateforme internet), le « gig work » (travail à la tâche) et d'autres formes de travail indépendant à la demande qui, même si elles ne représentent actuellement qu'un faible pourcentage des emplois, pourraient sensiblement se développer dans un avenir proche.
Les formes de travail atypiques peuvent favoriser l’adaptabilité des marchés du travail mais, dans certains cas, amènent aussi à s’inquiéter pour la qualité de l’emploi. Les formes atypiques de travail peuvent représenter une importante source de flexibilité pour les travailleurs et pour les employeurs, ce qui favorise le développement de nouveaux modèles d’activité, l'innovation et la productivité. Elles peuvent aussi faciliter l’intégration au marché du travail de groupes sous-représentés (et donc améliorer l'inclusivité) en aidant certains individus à surmonter les obstacles à l’insertion dans la vie active. Dans certains cas, elles permettent de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle. Pour de nombreux individus, l’emploi atypique est donc un choix. Cela dit, la situation des travailleurs atypiques sur le marché du travail est très variable, notamment en ce qui concerne la rémunération, la sécurité du travail et la protection sociale. En outre, ces travailleurs sont moins susceptibles d’être couverts par les dispositifs de négociation collective et/ou certaines réglementations du travail, et ne sont pas forcément admissibles aux programmes du marché du travail ni aux aides. De plus, ils perçoivent en général une rémunération inférieure, reçoivent moins de formation et souffrent davantage de tensions au travail. Comme certaines catégories de la population y sont surreprésentées (en général, les femmes, les jeunes, les travailleurs les moins qualifiés, les salariés de petites entreprises et les immigrés), ces formes de travail risquent de créer des inégalités d’accès aux emplois de qualité (certains groupes étant confinés aux tâches les moins intéressantes), et de provoquer ainsi une segmentation du marché du travail. Les inquiétudes relatives à la faible qualité des emplois et à la segmentation du marché du travail s’accentuent quand l’emploi atypique est involontaire et résulte d’une situation de vulnérabilité sur ce marché.
La difficulté pour les autorités consiste à accompagner la création et l'utilisation de modalités d'emploi atypiques tout en évitant les abus, à instaurer des conditions de concurrence équitables pour les entreprises, et à offrir une protection adéquate à tous les travailleurs. Les différences de traitement fiscal et réglementaire entre les emplois traditionnels et les autres formes d'emploi peuvent favoriser des arbitrages inefficaces, certains employeurs et salariés optant pour des contrats atypiques uniquement pour contourner les taxes et les règlements applicables aux contrats réguliers. Des lacunes et des ambiguïtés réglementaires donnant lieu à une classification erronée des salariés peuvent accroître ce type d’arbitrage. Cela transfère injustement les risques et les coûts des employeurs aux salariés, et fausse en outre la concurrence. La réussite et l’expansion des entreprises doivent être fondées sur la qualité supérieure de leur technologie, de leur rentabilité et de leurs services, et non sur un arbitrage réglementaire. Les autorités doivent donc diminuer les différences de traitement entre les diverses formes de travail, éliminer les lacunes et les ambiguïtés réglementaires et assurer l’application effective des réglementations existantes (moyennant le recours aux sanctions pertinentes le cas échéant) - tout en préservant les caractéristiques des modalités d’emploi non conventionnelles qui contribuent à la flexibilité et sont utiles aux travailleurs et aux employeurs. Elles doivent également s'efforcer d’offrir une protection adéquate à tous les travailleurs. Dans le domaine de la protection sociale, et selon les circonstances, il leur faudra éventuellement adapter ou élargir les régimes d'assurance sociale existants de manière à couvrir des catégories de travailleurs précédemment exclus, compléter l'aide sociale par des régimes non contributifs, instaurer un seuil de prestations sociales et/ou assurer la portabilité des droits acquis en matière de protection sociale (c'est-à-dire associer les droits aux individus plutôt qu'aux emplois). Elles doivent toutefois aussi s’employer à accorder d’autres formes de protection aux travailleurs atypiques, à savoir, entre autres : le salaire minimum (à titre de protection contre les bas salaires) ; des protections contre les licenciements abusifs, les discriminations, et les risques pour la santé et la sécurité. Enfin, si les employeurs et les salariés eux-mêmes doivent trouver les moyens de concilier flexibilité et protection dans le cadre de négociations collectives, les autorités peuvent contribuer à l’établissement de conditions propices à un dialogue constructif, notamment en mettant en place un cadre juridique qui facilite l’adaptation des partenariats sociaux de manière à donner aux salariés atypiques la possibilité de faire entendre leur voix. Ces questions devraient gagner en importance avec le développement du travail à la demande.
Les défis que pose le travail de demain pourraient impliquer un remaniement en profondeur des politiques du marché du travail, des politiques en matière de compétences et des politiques sociales, et pas seulement des réformes successives des dispositifs en place.
Les pertes d’emploi associées à des périodes antérieures de bouleversement technologique ont généralement été de courte durée et ont ouvert la voie, à long terme, à la création d’emplois plus productifs et plus gratifiants. Néanmoins, la vitesse et l’ampleur escomptées des changements qui interviennent sur le marché du travail, ainsi que les données en provenance de plusieurs pays de l’OCDE démontrant que les avantages dérivant des gains de productivité ne sont plus largement partagés avec les travailleurs, font craindre que la situation ne soit cette fois-ci différente. Si cette crainte se confirme, le seul remaniement des systèmes existants n’apportera pas de réponse aux problèmes à venir concernant les compétences, le marché du travail et la protection sociale, qui appelleront une réorientation plus fondamentale. À vrai dire, certains de ces problèmes sont déjà visibles dans les données disponibles, et exigeront des mesures immédiates. Par exemple, de nombreux salariés atypiques n’ont pas accès aux différentes assurances (vieillesse, accident, chômage ou maladie). La majorité des individus sont dépourvus des compétences numériques de base nécessaires pour évoluer dans un environnement de travail à forte composante technologique. Le taux de syndicalisation a considérablement diminué dans plusieurs pays, ce qui nuit à l’efficacité de la négociation collective. Parallèlement, la polarisation des marchés du travail s’accentue et les inégalités sont à leur plus haut niveau depuis un demi-siècle. D’autres problèmes vont surgir, dont les conséquences pour l’action publique restent incertaines. Il en ressort que les mesures visant les marchés du travail devront être orientées vers l’avenir et avoir une certaine souplesse pour permettre de dégager des enseignements, d’expérimenter et d’adapter. Dans ce contexte, il est particulièrement utile de tirer des leçons de l’expérience d’autres pays, certains étant peut-être mieux préparés aux mutations à venir que d’autres.
Il faudra élargir et adapter les régimes de protection sociale, voire les repenser complètement. Alors que de nombreux pays éprouvent déjà des difficultés à assurer une protection sociale convenable aux salariés titulaires de contrats non conventionnels, l'avènement de l’économie des plateformes aggrave ces difficultés ; en effet, un nombre grandissant de personnes ne travaillent qu'occasionnellement et/ou ont de multiples emplois et sources de revenus, et passent fréquemment d’un emploi salarié à un travail indépendant ou à des périodes sans travail. Nombre d'entre eux n'ont même pas le statut de salarié. Ces nouvelles méthodes de travail créent donc de nouveaux problèmes pour les systèmes de sécurité sociale existants, qui sont encore souvent largement fondés sur l'hypothèse d'un contrat à durée indéterminée, à temps plein et régulier auprès d’un employeur unique. Certains salariés risquent ainsi de ne pas être couverts – bien qu’il soit difficile de prévoir à ce stade l’ampleur future du problème. Dans certains cas, il faudra préciser ou adapter la réglementation du travail pour tenir compte des nouvelles formes d'emploi, mais les systèmes de prélèvements et de prestations eux-mêmes devront aussi être élargis ou adaptés pour que tous les travailleurs bénéficient d'un régime de protection minimal. La portabilité des droits de sécurité sociale doit être encouragée, quand ce n’est pas déjà le cas, pour empêcher la perte de prestations lorsque les salariés changent d’emploi. Par ailleurs, les pouvoirs publics devront éventuellement faire une place plus importante aux régimes non contributifs. Plusieurs pays expérimentent différentes formes de dispositifs de revenu minimum, qui présentent l’avantage, outre celui de la simplicité, de n’exclure personne. Néanmoins, le versement inconditionnel à chacun d’une somme de montant raisonnable, mais viable en termes budgétaires exigerait une hausse des impôts et une baisse des prestations (souvent ciblées) existantes, et serait souvent inefficace dans la lutte contre la pauvreté. De surcroît, certaines catégories défavorisées seraient perdantes une fois que les prestations en place seraient remplacées par un revenu minimum, ce qui montre les inconvénients d’un régime de protection sociale dénué de toute forme de ciblage.
L'élargissement de la protection sociale devrait aller de pair avec des mesures de renforcement des structures d'activation. Les nouvelles formes de travail peuvent porter atteinte à la capacité des pays à faire appliquer le principe d'obligations mutuelles car elles risquent de compliquer la surveillance de l'activité professionnelle. Plus généralement, il existe un risque de fragilisation des stratégies d’activation si un pourcentage croissant de chômeurs ne peut plus prétendre à des allocations et passe ainsi sous le radar des autorités. À bien des égards, cette situation ressemble à celle à laquelle doivent déjà faire face de nombreux pays émergents en raison de l'existence de vastes secteurs informels ; les pays plus avancés ont donc beaucoup à apprendre de leur expérience. Un domaine particulier dans lequel les économies émergentes ont pris de l'avance est celui de la mise en place de garanties d'emploi – c'est-à-dire la promesse d'un emploi assorti d’un salaire minimum à quiconque est désireux et capable de travailler. Les garanties d’emploi correspondent mieux que les régimes de revenu minimum au principe d’« obligations mutuelles », en vertu duquel la responsabilité qui incombe à la société d'aider ceux qui en ont besoin va de pair avec le devoir des individus concernés d'apporter une certaine contribution en retour. Elles ont aussi l'avantage d’aller au-delà de la mise à disposition de ressources et, en fournissant un emploi, aident les individus à se (re)connecter avec le marché du travail, à renforcer leur estime de soi et à valoriser leurs aptitudes et compétences. En établissant et maintenant un stock régulateur de travailleurs en activité (qui devrait augmenter en période de récession et diminuer pendant les phases d'expansion), elles devraient aussi contribuer à la résilience du marché du travail. Dans les économies plus avancées, par contre, les programmes d'emploi précédemment conduits dans le secteur public ont montré que ce type d’aide n’a qu’un effet négligeable sur la situation des participants une fois le programme terminé, et qu’il convient donc de les considérer comme une forme d’aide au revenu plutôt que comme une mesure favorisant l’autonomie.
Le travail de demain pourrait également soulever des problèmes épineux pour la réglementation du marché du travail actuelle − notamment la législation sur la protection de l'emploi, les lois sur le salaire minimum et les règlements relatifs au temps de travail et à la protection de la santé et de la sécurité au travail. La progression du travail atypique s’accompagnerait d’un amenuisement de la sécurité de l'emploi pour de nombreux salariés car ils ne seraient pas protégés par les règles de recrutement et de licenciement établies pour les contrats de durée indéterminée. Souvent, des règles moins rigoureuses s’appliqueraient (en cas de travail temporaire, de travail intérimaire ou de travail non salarié dépendant par exemple) tandis que, dans d'autres cas, les travailleurs seraient totalement exclus de la législation sur la protection de l'emploi (les travailleurs indépendants par exemple). Pour certaines des nouvelles formes de travail, on ne sait même pas précisément quel est le statut des salariés, qui est leur employeur et quelles règles doivent leur être appliquées. Les pays devront donc impérativement examiner leur cadre juridique pour définir s'il doit être actualisé et/ou adapté afin d’offrir à tous les travailleurs, sous une forme ou une autre, une protection minimale de l'emploi. L’utilité d’une politique de salaire minimum pourrait aussi être remise en question dans le monde du travail à venir. La législation en vigueur dans ce domaine n’est sans doute pas applicable à la plupart des nouvelles formes d'emploi, qui ont pour caractéristiques que les travailleurs deviennent des fournisseurs indépendants, ont plusieurs clients et sont souvent rémunérés à la tâche. Les pays sont aussi confrontés à des difficultés en ce qui concerne les règlements visant à améliorer la sécurité et la santé sur le lieu de travail. De nouvelles formes d'emploi, notamment l’externalisation ouverte, transfèrent en général les responsabilités en matière de santé et de sécurité professionnelles des employeurs aux travailleurs individuels, qui n'ont souvent ni la formation ni les ressources nécessaires pour prendre les mesures voulues et assurer la sécurité des conditions et de l’environnement de travail. Parfois, une forte concurrence entre travailleurs peut entraîner des accommodements et une prise de risques inutiles, alors que, dans le même temps, les inspections du travail ne sont souvent pas bien préparées à faire face à ces nouvelles formes d'emploi. De ce fait, il faudra éventuellement adapter ou préciser les règlements, et renforcer et améliorer les mécanismes de suivi et de contrôle.
Le développement des modalités d'emploi atypiques constituerait aussi un défi majeur pour les systèmes de négociation collective. Les nouvelles formes de travail compliquent l’organisation des travailleurs, qui sont de plus en plus isolés, éloignés sur le plan géographique, et séparés par la langue et le statut juridique. Parois, d’importants obstacles réglementaires doivent également être levés. Dans certains pays, par exemple, il est illégal pour les travailleurs indépendants de se syndiquer car cette démarche serait assimilée à la constitution d’une entente, et donc irait à l’encontre du droit de la concurrence. Des solutions novatrices commencent toutefois à apparaître : les employés atypiques créent de nouveaux syndicats et les syndicats « traditionnels » cherchent à améliorer la couverture des formes de travail non conventionnelles. Parfois, les entreprises étendent de leur propre chef les dispositions des conventions collectives aux travailleurs atypiques et/ou participent à des négociations collectives. Les autorités doivent mettre en place un cadre réglementaire favorable, qui autorise l’émergence de formes efficaces de représentation des travailleurs, afin que travailleurs et entreprises profitent de la souplesse procurée par les modalités d’emploi atypiques.
Les besoins en compétences de demain appelleront un renforcement substantiel des programmes de formation des adultes et la mise au point de nouveaux instruments pour encourager l’investissement dans les compétences. Un problème fondamental tient à ce que de nombreux travailleurs sont dépourvus des compétences numériques de base nécessaires pour survivre dans un environnement de travail à forte composante technologique. Face à ce défi, le développement rapide et à grande échelle des programmes d’apprentissage pour adultes pourrait s’imposer. Les formes atypiques de travail ne font qu’aggraver le problème, car les travailleurs concernés sont moins susceptibles de bénéficier d’une formation (les travailleurs indépendants prenant en charge leur propre formation). Il faut donc mettre en place de nouveaux instruments pour encourager l’investissement dans la formation (comme les comptes personnels de formation ou les droits à la formation continue), ainsi que des mécanismes visant à assurer la portabilité des droits de formation d’un employeur à l’autre. Il se peut en outre que des modifications doivent être apportées aux mesures financières plus classiques qui favorisent l’accès aux programmes d’apprentissage, comme les bourses et les prêts, de manière à ce que les adultes de tous âges puissent en bénéficier ; par ailleurs, l’organisation des programmes d’enseignement et de formation doit être assouplie pour permettre aux adultes d’y participer sans que les contraintes temporelles et les responsabilités familiales y fassent obstacle. Plus généralement, les infrastructures de formation continue existantes ne sont sans doute pas adaptées aux mutations majeures qui s’annoncent. L’enjeu fondamental tient à ce que : i) la majeure partie des travailleurs exposés aux transformations profondes et rapides qui s’opèrent sur le marché du travail ont déjà achevé leur formation initiale, ii) les compétences de ces travailleurs deviendront rapidement obsolètes sous l’effet de l’évolution technologique rapide ; iii) ils seront obligés de rester plus longtemps en activité. Une expansion considérable des programmes de formation pour adultes pourrait donc s’imposer. Pour ce faire, les pays doivent pleinement exploiter les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies, qui permettent de développer massivement l'accès aux cours pour un coût très inférieur à celui des formations classiques ; il convient toutefois de veiller à ne pas marginaliser ceux qui sont dépourvus des compétences numériques élémentaires.
Conclusions
Pour promouvoir des emplois plus nombreux et de meilleure qualité et un meilleur accès au marché du travail pour les groupes sous-représentés, la nouvelle Stratégie pour l’emploi repose sur une action à l’échelle de l’ensemble de l’administration, articulée autour de trois grands principes :
Favoriser l’instauration d’un environnement propice à des emplois de qualité
Cela suppose un cadre macroéconomique solide, un environnement favorable à la croissance et des compétences qui évoluent en phase avec les besoins du marché. L’idée nouvelle qui ressort est qu’il est parfois utile, pendant les phases de marasme économique, d’orienter les ressources budgétaires vers des dispositifs de chômage partiel visant à préserver les emplois vulnérables viables à long terme. Par ailleurs, il est crucial d’assurer un juste équilibre en matière de protection de l’emploi entre les différents types de contrats de travail. Le fait de libéraliser l’utilisation de contrats temporaires tout en maintenant un niveau élevé de protection de l’emploi pour les travailleurs disposant de contrats à durée indéterminée peut en effet aboutir à un recours excessif aux contrats temporaires, nuire à la qualité des emplois, et générer des disparités prononcées et un faible degré de résilience, sans avantage manifeste pour le nombre total d’emplois.
Prévenir l'exclusion du marché du travail et protéger les individus contre les risques liés à ce dernier
Il est toujours essentiel d’aider les demandeurs d’emploi à (re)trouver rapidement du travail, notamment au moyen de dispositifs d’assurance chômage et d’aide sociale qui assurent une bonne couverture et une application rigoureuse des obligations mutuelles. Mais la nouvelle Stratégie insiste sur la nécessité d’anticiper les éventuels problèmes en œuvrant à la promotion de l’égalité des chances et adoptant une vision couvrant l’ensemble du cycle de vie afin d’éviter une accumulation de handicaps individuels nécessitant de coûteuses interventions ultérieures. Il faut, pour cela, veiller à ce que le milieu socioéconomique n’influe pas démesurément sur la réussite professionnelle, et investir dans des politiques publiques couvrant l’ensemble du cycle de vie et axées sur la promotion de la formation des adultes, l’optimisation de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée et la réduction du risque de problèmes de santé liés au travail.
Se préparer aux possibilités et aux défis futurs d’une économie et d'un marché du travail en mutation rapide.
Le dynamisme des marchés du travail et de produits sera un élément indispensable pour faire face à la mutation rapide des économies. Pour autant, il convient de doter les travailleurs des compétences requises dans un contexte où la demande en la matière évolue rapidement. Il faut aussi préserver la protection des travailleurs contre les risques du marché du travail dans un monde où les formes de travail flexibles pourraient se développer. Cela passe par la protection sociale et la réglementation de base du marché du travail mais peut-être aussi par une plus grande place octroyée aux régimes non contributifs, l’instauration d’un niveau minimum de prestations sociales et l’amélioration de la portabilité des droits à la protection sociale.
Références
[4] OCDE (2017), Cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS, http://www.oecd.org/tax/beps/inclusive-framework-on-beps-progress-report-july-2017-june-2018.pdf (accessed on 2 November 2018).
[5] OCDE (2017), OECD/G20 Inclusive Framework on BEPS, http://www.oecd.org/tax/beps/inclusive-framework-on-beps-progress-report-july-2017-june-2018.pdf (accessed on 2 November 2018).
[2] OCDE (2015), Recommandation du Conseil sur l’égalité hommes-femmes dans la vie publique, https://one.oecd.org/document/C(2015)164/CORR1/en/pdf.
[1] OCDE (2015), Recommandation du Conseil sur une politique intégrée de la santé mentale, des compétences et de l’emploi, https://one.oecd.org/document/C(2015)173/CORR1/en/pdf.
[3] OCDE (2013), Recommandation du Conseil sur l’égalité entre hommes et femmes en matière d’éducation, d’emploi et d’entrepreneuriat, https://one.oecd.org/document/C/MIN(2013)5/FINAL/en/pdf.
Notes
← 1. Dans le cas de l’assurance chômage, maladie, et invalidité, il serait éventuellement fondé d’accroître la part de responsabilité des employeurs pour le coût de la protection sociale en renforçant le lien entre les cotisations patronales et les dépenses (voir « Mettre en place des marchés du travail stables » ci-après pour en savoir plus).
← 2. Un cadre rigoureux d’« obligations mutuelles » devrait dans la mesure du possible être appliqué à tous les types de prestations pour éviter toute substitution entre prestations assorties de conditions plus ou moins strictes.
← 3. Par exemple, en précisant les obligations de l'employeur en matière d'évaluation et de prévention des risques psychosociaux, en définissant le rôle des représentants des travailleurs, et en fournissant des outils et une assistance pour permettre aux employeurs d'adapter l'environnement psychosocial au travail. Des mesures s’imposent également pour améliorer les mesures prises par la direction pour remédier aux problèmes de stress professionnel et de santé mentale – moyennant par exemple la formation des cadres et des autres intervenants dans les domaines de la santé mentale et de la prévention du stress, et la mise à la disposition des responsables opérationnels d’outils et de directives sur la façon de faire face aux éventuels problèmes de santé.