Le présent chapitre offre une vue d'ensemble des raisons pour lesquelles nous mesurons l'innovation dans l'éducation ainsi que des méthodes employées, établit des corrélations entre la méthodologie utilisée et d'autres mesures ou approches existantes, et présente un résumé des principales constatations de l'ouvrage. En guise de conclusion, il met en avant les prochaines étapes à envisager pour renforcer la mesure de l'innovation dans le secteur de l'éducation.
Mesurer l’innovation dans l’éducation 2019 (Version abrégée)
Chapitre 1. Vue d'ensemble
Abstract
Les raisons de la mesure de l'innovation dans l'éducation
Pour améliorer les méthodes éducatives, il est capital de comprendre ce qu'est l'innovation. Le renforcement de la capacité à mesurer cette innovation, ainsi que ses leviers et ses effets, constitue une première étape pour approfondir cette compréhension.
La base de connaissances internationales en matière d'éducation serait sensiblement élargie en assurant un suivi systématique de la manière dont les pratiques évoluent au sein des classes et dans les organismes éducatifs (si une telle évolution a bien lieu), dont les enseignants se perfectionnent sur le plan professionnel et utilisent les ressources pédagogiques, dont les établissements d'enseignement communiquent avec leur communauté, ainsi que du degré de corrélation entre les évolutions et l'innovation d'un côté et de meilleurs résultats en matière d'éducation de l'autre. Les décideurs politiques seraient ainsi à même de mieux cibler les interventions et les ressources, et d'obtenir rapidement un retour d'informations permettant de déterminer si les réformes ont modifié les pratiques éducatives conformément aux attentes. Par ailleurs, cela permettrait de mieux comprendre les conditions propices à l'innovation dans l'éducation ainsi que ses répercussions.
Pour traiter de ces questions, le projet de l'OCDE intitulé Mesurer l'innovation dans l'éducation utilisent les trois approches suivantes : 1) la comparaison entre l'innovation dans l'éducation et dans les autres secteurs (voir OCDE, 2014) ; 2) l'identification des innovations pertinentes dans les systèmes d’éducation ; et 3) l'élaboration d'indicateurs de mesure afin d'étudier le lien entre l'innovation dans l'éducation et l'évolution des résultats en matière d'éducation. La présente publication est principalement axée sur les deux dernières approches.
Ces activités ont également pour objectif d'établir les fondements d'un ensemble de travaux sur l'innovation dans l'éducation et sur les politiques publiques s'y rapportant, en fournissant aux pays des indicateurs qui peuvent être régulièrement mis à jour au fil du temps (ainsi qu'une méthodologie pour y parvenir). Si cela peut être fait au moins en partie en s'appuyant sur des ensembles de données internationales existants, ces travaux visent également à analyser et mieux comprendre les leviers de l'innovation dans le secteur de l'éducation (voir Vincent-Lancrin, 2017) et la situation des pays dans ce domaine, ainsi qu'à développer des méthodologies et des sources de données pour mesurer l'innovation de manière précise et exhaustive.
La définition de l'innovation dans l'éducation
Conformément à l'usage international, nous avons défini l'innovation comme « l'introduction ou l'amélioration d'un produit ou procédé (ou d'une combinaison des deux) qui est sensiblement différent du précédent produit ou procédé de l'unité et qui a été mis à la disposition d'utilisateurs potentiels (produit) ou mis en œuvre par l'unité (procédé) » (OCDE/Eurostat, 2018). En reconnaissant deux principaux types d'innovation, à savoir l'innovation de « produit » et l'innovation de « procédé », la nouvelle version du Manuel d'Oslo simplifie la précédente édition dans laquelle l'innovation était divisée en quatre catégories (innovation de produit, de procédé, de commercialisation et d'organisation). Il est facile de définir les deux catégories aujourd'hui retenues au regard de ces quatre anciens types d'innovation.
L'innovation de produit renvoie à l'innovation en matière de biens et de services, deux catégories parfois étroitement liées notamment dans le contexte de transformation numérique. L'innovation de procédé renvoie à l'innovation en matière d'activités ou processus de production, c'est-à-dire « toutes les activités sous le contrôle d'une unité institutionnelle qui a recours à des intrants (main-d'œuvre, capital, biens et services) pour produire des biens et des services ». En résumé, l'innovation de procédé renvoie principalement à l'innovation en matière de processus organisationnels, même si ces derniers peuvent avoir une portée plus large : « les procédés comprennent les politiques visant à établir une stratégie globale qui détermine les activités d'une unité, celles qui transforment les intrants en extrants ainsi que les procédures qui régissent toutes les étapes de cette transformation » (OCDE/Eurostat, 2018).
Les organismes éducatifs, par exemple les établissements scolaires, les universités, les centres de formation et les éditeurs de matériel éducatif, contribuent à l'innovation de produit lorsqu'ils instaurent des produits et services nouveaux, ou sensiblement différents (comme de nouveaux programmes de cours, manuels scolaires et ressources éducatives), ou des expériences d'apprentissage ou pédagogies nouvelles (par exemple l'apprentissage en ligne ou de nouvelles qualifications). Ils contribuent à l'innovation de procédé lorsqu'ils modifient sensiblement leurs processus organisationnels pour la production de leurs biens ou services d'éducation. Il se peut, par exemple, qu'ils modifient la façon dont les enseignants travaillent ensemble, dont ils regroupent les élèves et gèrent d'autres aspects de leur expérience d'apprentissage ; ou bien qu'ils collaborent avec d'autres entités, utilisent de nouvelles méthodes en matière de commercialisation et de relations extérieures, de nouveaux modes de communications avec les élèves et les parents, etc. Dans le cas des services tels que l'éducation, il peut être compliqué d'opérer une distinction entre les produits et les procédés.
Les pratiques nouvelles ou sensiblement modifiées visent à améliorer, d'une façon ou d'une autre, l'offre éducative et devraient donc être perçues comme des « améliorations » escomptées et non pas avérées. Si la définition de l'innovation proposée dans le Manuel d'Oslo renvoie à l'introduction ou « l'amélioration » de produits et de procédés, l'accent est essentiellement mis sur l'établissement de normes communes pour savoir dans quelle mesure les produits ou procédés sont « sensiblement différents » ou « nouveaux » (plutôt que sur le fait de démontrer qu'ils constituent des améliorations). Pour certains biens et services, notamment les produits manufacturés, il peut être facile d'observer et de documenter les améliorations techniques ou celles liées aux coûts. Cela n'est toutefois pas le cas de tous les biens et services, et la difficulté est encore plus grande s'agissant des procédés. Si l'innovation a généralement pour objet d'apporter une amélioration, par exemple au niveau des résultats financiers d'une entreprise ou des performances d'un bien, il n'existe aucune garantie qu'elle y parvienne. De fait, l'innovation n'est que l'introduction ou la modification significative d'un produit ou d'un service, et elle est mesurée en tant que telle, qu'elle constitue ou non une amélioration. Comme mentionné dans le Manuel d'Oslo, l'innovation ne se traduit pas nécessairement par des résultats souhaitables pour toutes les parties concernées. Certaines innovations peuvent également s'avérer bonnes ou mauvaises pour la société. Il faut généralement du temps avant de pouvoir déterminer avec un certain degré de certitude si des innovations particulières ont bel et bien constitué des améliorations.
Les différentes approches pour mesurer l'innovation dans l'éducation
Jusqu'à présent, deux grandes approches ont été utilisées en vue de mesurer l'innovation dans l'éducation, dans la continuité de celles déjà employées pour le secteur public.
La première desdites grandes approches consiste à adapter au domaine de l'éducation la méthodologie employée pour des enquêtes sur l'innovation à l'échelle nationale (l'Enquête communautaire sur l'innovation de l'Union européenne, par exemple). De telles enquêtes offrent des outils bien établis pour mesurer l'innovation et ont été utilisées depuis plusieurs décennies dans le secteur privé. Ces dernières années, des efforts ont été déployés en vue de les adapter à une utilisation pour le secteur public (par exemple, Bloch et Bugge, 2013).
L'ouvrage intitulé Measuring Innovation in Education: A New Perspective (OCDE, 2014, uniquement disponible en anglais) a examiné cette approche et a présenté des indicateurs fondés sur l'analyse de deux enquêtes interrogeant les diplômés sur l'innovation dans leur environnement de travail, conformément à la méthodologie conçue pour l'Enquête communautaire sur l'innovation. Contrairement à ce qui se fait habituellement, les enquêtes n'ont pas été menées auprès des représentants d'entreprises, mais auprès des employés travaillant dans différents secteurs de l'économie.
Cette approche axée sur les « enquêtes sur l'innovation » a récemment été appliquée en Hongrie pour mesurer l'innovation dans l'éducation. Une enquête sur l'innovation a été conçue et menée auprès de 5 000 structures éducatives provenant de l'ensemble des sous-systèmes (de l'enseignement préscolaire à l'enseignement supérieur), puis mise en rapport avec les performances des élèves grâce à des évaluations régulières à l'échelle nationale (Halász, 2018). L'enquête a fait état de bons niveaux d'innovation dans tous les systèmes et de puissantes corrélations entre l'innovation et les performances dans le cas des établissements affichant de faibles résultats. En Australie et en Nouvelle-Zélande, une enquête portant sur les innovations en matière de services et de gestion a été menée auprès d'universités en ayant recours à une méthodologie similaire (Arundel et al., 2016). Une approche comparable a été utilisée aux Pays-Bas pour analyser l'innovation dans l'enseignement secondaire (Haelermans, 2010).
La seconde grande approche utilisée pour mesurer l'innovation dans le secteur public (et dans celui des entreprises) s'inspire des enquêtes relatives aux changements organisationnels. Ces enquêtes mesurent généralement la diffusion de certaines innovations spécifiques liées aux pratiques de travail telles que l'utilisation des ordinateurs ou les pratiques organisationnelles (par exemple, Greenan et Lorenz, 2013 ; MEADOW Consortium, 2010).
L'ouvrage Measuring Innovation in Education: A New Perspective (OCDE, 2014) a également adapté cette approche et a mesuré l'innovation comme la mise en œuvre d'un procédé, d'une pratique, d'une méthode organisationnelle ou de commercialisation nouveaux ou sensiblement modifiés constatés au niveau systémique grâce à la collecte de données au sein des établissements d'enseignement. L'accent est particulièrement mis sur l'évolution des pratiques. Contrairement aux enquêtes axées sur les « changements organisationnels », l'évolution a été mesurée en comparant, à différentes périodes, les déclarations portant sur des pratiques similaires. La présente publication adopte également cette approche.
D'autres approches visant à identifier l'innovation (et non pas à la mesurer) ont également contribué à une meilleure compréhension des innovations spécifiques qui peuvent transformer l'éducation. Citons par exemple les rapports annuels « New Horizon » publiés par EDUCAUSE et auparavant par New Consortium Media (Adams Becker et al., 2018).
Les modalités de la mesure de l'innovation dans l'éducation dans cet ouvrage
Nous définissons l'innovation en tant qu'évolution significative de certaines pratiques (et palettes de pratiques) essentielles dans l'éducation. Afin d'identifier et d'examiner ces pratiques au sein des classes ou dans les établissements, nous utilisons les bases de données des enquêtes PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), TIMSS (Étude des tendances internationales en mathématiques et en sciences) et PIRLS (Programme international de recherche en lecture scolaire). La nature transversale et répétée de ces enquêtes permet de dégager des tendances au fil du temps. C'est pourquoi nous nous sommes concentrés sur des questions ayant été posées à l'occasion d'au moins deux vagues desdites enquêtes et nous avons élaboré des indicateurs qui permettent d'identifier l'ampleur des évolutions qu'ont connues les élèves dans un pays donné.
Nos indicateurs mesurent « l'innovation systémique ». Ils indiquent le pourcentage d'élèves dans un système qui sont exposés à une pratique donnée à plus ou moins dix ans d'intervalle (en fonction de nos sources de données). Nous déterminons si certaines pratiques ont gagné ou perdu du terrain au sein d'un système, et l'ampleur de cette progression ou de ce recul ; c'est-à-dire au sens propre si plus ou moins d'élèves ont été exposés à ces pratiques. Si une pratique donnée a progressé de manière significative dans un pays, par exemple l'utilisation d'un ordinateur pendant les cours de mathématiques, l'innovation a eu lieu : des observateurs qui se réveilleraient après une période de sommeil de dix ans constateraient que les élèves connaissent des méthodes d'enseignement extrêmement différentes. La même logique s'applique lorsque la pratique a connu un net recul. Si l'ampleur de l'évolution est significative, tant la progression que le recul d'une pratique correspondent à une innovation pour un système donné et pour ses élèves.
Quelle doit-être l'ampleur de l'évolution pour que celle-ci soit considérée comme significative ? Il n'existe pas de réponse précise à cette question. Le Manuel d'Oslo reconnaît qu'il s'agit là d'un défi capital en termes de comparabilité tant sur le plan national qu'international, et suggère qu'un point de référence commun soit communiqué aux répondants aux enquêtes sur l'innovation afin de déterminer ce qui peut être déclaré comme une innovation. La méthodologie que nous employons modifie la nature du défi. En effet, dans la mesure où l'innovation n'est pas directement signalée par un individu de manière rétrospective, mais déduite des déclarations d'un échantillon représentatif d'élèves, d'enseignants ou de chefs d'établissement sur la prévalence d'une même pratique à deux moments différents, le défi ne repose plus sur les répondants mais sur ceux qui interprètent les évolutions observées. Par exemple, du contexte dépendra dans quelle mesure l'adoption d'une pratique d'enseignement par au moins 10 % des enseignants peut être considérée comme une innovation. En effet, ce chiffre peut être perçu comme une évolution plus significative dans un pays où 10 % des enseignants utilisaient déjà cette pratique que dans un pays où ils étaient 70 % à y avoir recours. C'est pourquoi, si nous nous concentrons sur les évolutions et leur ampleur, nous communiquons également aux lecteurs la réelle prévalence d'une pratique.
Nous traduisons également ces évolutions exprimées en points de pourcentage en ampleur de l'effet afin d'aider les lecteurs à juger de la nature de la différence. L'ampleur de l'effet fournit une mesure normalisée de ces évolutions et contribue à l'interprétation de leur importance relative entre tous les indicateurs : plus l'ampleur de l'effet est considérable, plus l'évolution au fil du temps (et probablement sa « nature ») est importante. Conformément à l'usage, nous qualifions de « faible » une ampleur de l'effet inférieure à 0.2, de « modérée » si elle se situe entre 0.2 et 0.4, et de « majeure » si elle est supérieure à 0.4. Toutefois, il s'agit là d'un continuum et les lecteurs peuvent choisir leurs propres seuils.
Les pratiques éducatives prises en compte
La présente édition de l'ouvrage Mesurer l'innovation dans l'éducation est principalement axée sur l'innovation pédagogique dans l'enseignement primaire et secondaire. Sur les 158 pratiques éducatives prises en compte, la majorité d'entre elles (107) sont des pratiques pédagogiques utilisées par les enseignants pour enseigner la lecture, les mathématiques et les sciences dans l'enseignement primaire et secondaire. Ces innovations pédagogiques couvrent un large éventail de stratégies d'apprentissage et d'enseignement dans les disciplines précédemment citées, y compris l'utilisation des devoirs et des évaluations.
Le présent ouvrage aborde trois autres domaines d'intérêt : la présence de ressources d'apprentissage (livres et TIC), les pratiques de perfectionnement professionnel des enseignants (formation formelle et apprentissage par les pairs), les relations extérieures avec les différents acteurs (parents, grand public, autres agences de l'éducation). Toutes les pratiques abordées dans la présente édition peuvent donc être considérées comme des activités de « procédés opérationnels ». Parallèlement, s'agissant des services, les « services » et « procédés opérationnels » peuvent se chevaucher, et la distinction est bien plus évidente entre les innovations de « produit » et de « procédé opérationnel ».
Puisque nous nous appuyons sur des données internationales collectées en vue de replacer dans leur contexte les évaluations internationales menées auprès des élèves, la couverture des pratiques n'est pas aussi exhaustive qu'on aurait pu le souhaiter pour évaluer l'innovation sous toutes ses facettes et ne cible pas suffisamment les pratiques émergentes. En raison de la méthodologie employée, nous avons seulement pu aborder les pratiques dont la documentation était jugée importante il y a dix ans par les experts et les décideurs politiques. Compte tenu de la faible quantité d'informations comparatives dont nous disposons pour l'enseignement tertiaire, nous nous sommes concentrés sur l'enseignement primaire et secondaire.
Malgré ces limites, les pratiques examinées correspondent à des pratiques d'enseignement et d'apprentissage essentielles que les pays et une communauté d'experts internationaux ont jugé suffisamment importantes pour être documentées à plusieurs reprises, et ceci afin de comprendre les performances des systèmes d’éducation en termes de résultats d'apprentissage.
L'un des points forts de notre méthodologie est de savoir avec précision quelles sont les pratiques qui contribuent à l'innovation au sein d'un pays, tandis que la majorité des enquêtes dans ce domaine identifie l'innovation de manière générique (en fonction de principaux types d'innovation), sans mentionner nommément les différentes innovations. Autre avantage, nos indicateurs d'innovation synthétisent un grand nombre de pratiques de différents types, contrairement aux indicateurs composites qui portent généralement sur un nombre restreint de pratiques. Cela est d'autant plus important que l'on se concentre sur un secteur particulier (celui de l'éducation). Les enquêtes sur l'innovation visent habituellement à comparer différents secteurs de l'économie, ce qui complique l'identification des pratiques pertinentes.
Il est important d'avoir conscience de l'évolution des pratiques éducatives essentielles examinées dans la présente publication, que l'on s'intéresse ou non à l'innovation. La mesure du niveau et de l'évolution de ces pratiques au fil du temps informe les responsables politiques (et autres décideurs) de la situation quant aux pratiques éducatives auxquelles leurs élèves sont exposés. En l'absence de cette visibilité, ils ne sont pas en mesure de savoir si les pratiques pédagogiques actuelles correspondent à celles qu'ils aimeraient observer dans les classes de leur système d’éducation.
L'innovation est-elle nécessairement « innovante » ?
Peut-il y avoir de l'innovation systémique dans les pratiques traditionnelles ? À n'en pas douter. Bon nombre des pratiques abordées dans le présent ouvrage ne sont pas forcément celles qui viendraient à l'esprit lorsqu'on s'interroge sur l'innovation dans le secteur de l'éducation. Une pratique émergente telle que celle de la classe inversée, par exemple, n'est pas abordée. Bien qu'il serait certainement pertinent de mesurer la prévalence des pratiques introduites récemment dans le secteur de l'éducation, il n'existe aucun ensemble de données international (voire même national) qui traite de l'adoption de ces pratiques. En outre, l'identification de pratiques pertinentes à l'échelle internationale pourrait ne pas être chose facile. Cependant, une telle approche dépassait la portée de ce projet ainsi que son budget.
Évaluer la diffusion ou la disparition des pratiques éducatives demeure une mesure importante et valide de l'innovation systémique, même si cette méthode ne couvre pas tout l'éventail des innovations dans le secteur de l'éducation. Dans la mesure où l'enseignement et l'apprentissage sont une palette de différentes pratiques, l'apparition de pratiques nouvelles ou « innovantes » n'est pas nécessairement ce qui modifie le plus les processus éducatifs au sein d'un pays. Si l'apprentissage via la mémorisation est une stratégie pédagogique ancienne, sa disparition dans le cadre de l'éducation formelle constituerait une innovation manifeste pour les élèves dans la majorité des systèmes d’éducation. Une hausse significative du recours à cette pratique serait également une innovation : les élèves seraient alors exposés à des processus d'enseignement et d'apprentissage sensiblement différents. En résumé, ce qui constitue l'innovation n'est pas nécessairement la pratique en elle-même.
Dans notre contexte, le terme « innovant » peut être particulièrement trompeur. Ce que nous mesurons dans le présent ouvrage est l'ampleur des évolutions que les élèves ont connues dans leur environnement d'apprentissage sur une période de dix ans. Il y a innovation systémique lorsque nous pouvons observer une évolution significative. Cela ne signifie pas forcément que les nouvelles pratiques (ou palette de pratiques) sont plus innovantes que les précédentes, ni que les pays qui ont enregistré davantage d'innovation ces dix dernières années sont intrinsèquement plus « innovants » : de fait, ils ont seulement connu ces dix dernières années des mécanismes plus innovants selon lesquels l’enseignement est dispensé. Cette réalité a pu être différente dans le passé, et peut-être le sera-t-elle également à l'avenir, dans la mesure où l'innovation est souvent régie en fonction de cycles. Par ailleurs, la situation peut être différente pour d'autres types d'innovation.
Nous n'affirmons pas que l'innovation représente forcément une amélioration, mais il convient de signaler que, d'après les études spécialisées, la quasi-totalité des pratiques abordées dans la présente publication constituent des « bonnes » pratiques, même si leur portée est généralement trop étroite pour qu'elles soient considérées séparément. L'éducation est une combinaison de toutes ces pratiques d'enseignement. Les observations que nous formulons pour chaque pratique reposent sur les études spécialisées existantes, comme des données de méta-analyses (par exemple, Hattie, 2008 ; OCDE, 2010 ; Education Endowment Foundation, 2018). Nous signalons les quelques pratiques qui, fondamentalement, devraient être évitées.
L'innovation peut également être envisagée comme un ensemble de pratiques « alternatives » qui restent en marge des systèmes d’éducation, ou dont la progression demeure limitée (OCDE, 2013). Les indicateurs présents dans cette édition (ainsi que dans l'édition de 2014) fournissent aux lecteurs des informations sur certaines de ces pratiques, et leur permettent de différencier les pratiques « standards » des pratiques « alternatives ».
Les pays à l'étude
Les systèmes d’éducation couverts dans la présente édition
L'Afrique du Sud, l'Allemagne, l'Australie, l'Autriche, la Belgique, le Brésil, le Canada (Québec et Ontario), le Chili, la Chine, la Colombie, la Corée, le Danemark, l'Espagne, l'Estonie, les États-Unis (y compris le Massachusetts et le Minnesota), la Fédération de Russie, la Finlande, la France, la Grèce, Hong Kong, la Hongrie, l'Indonésie, l'Irlande, l'Islande, Israël, l'Italie, le Japon, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, le Mexique, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République slovaque, la République tchèque, le Royaume-Uni (Angleterre), Singapour, la Slovénie, la Suède, la Suisse et la Turquie.
Les systèmes d’éducation couverts dans les tableaux en ligne
L'Arabie saoudite, l'Argentine, l'Arménie, Bahreïn, la Bulgarie, la Croatie, l'Égypte, la Géorgie, la Jordanie, le Kazakhstan, le Koweït, le Liban, la Malaisie, Malte, le Maroc, le Monténégro, Oman, le Qatar, la République islamique d'Iran, la Roumanie, le Taipei chinois, la Thaïlande, la Tunisie, l'Ukraine et l'Uruguay.
L'innovation systémique dans l'enseignement primaire et secondaire
En moyenne, les pays de l'OCDE ont enregistré un niveau d'innovation modéré dans les pratiques éducatives dans l'enseignement primaire et secondaire. Au niveau systémique, les élèves ont connu une palette de pratiques d'enseignement et d'apprentissage différente par rapport à leurs pairs scolarisés au même niveau il y a dix ans. Comme en faisait déjà mention l'édition 2014 de l'ouvrage La mesure de l'innovation dans l'éducation, le niveau d'innovation dans l'enseignement primaire et secondaire est assez bon, et l'affirmation du contraire est à l'évidence sans fondement. Toutefois, comme l'innovation ne s'est pas avérée majeure ces dix dernières années et qu'elle est restée à un niveau modéré, elle demeure facilement identifiable, et ce même si l'éducation n'est plus tout à fait la même qu'avant.
L'indicateur moyen d'innovation pour les pays de l'OCDE s'est quelque peu amélioré pour 2005-2016, par rapport à la période 2001-2011, ce qui indique des évolutions significatives en matière de pratiques éducatives ces dernières années. La prudence est cependant de mise lors des comparaisons entre les deux éditions de cet ouvrage, du fait des modifications apportées au niveau de la méthodologie et des pays à l'étude. Ceci étant dit, les mesures de l'innovation répétées dans le temps pourraient nous donner une idée précise de l'intensification ou du ralentissement de l'innovation dans les pays de l'OCDE ou au sein de systèmes d’éducation spécifiques au cours d'une période donnée.
Dans l'ensemble, le degré d'innovation n'a que peu évolué dans les pays : la majorité d'entre eux se rapprochant de la moyenne de l'OCDE. On observe cependant quelques différences : certains systèmes d’éducation, comme au Japon, en Ontario (Canada) ou aux États-Unis, ont connu une stabilité de leurs pratiques éducatives ces dix dernières années, tandis que d'autres ont connu plus d'innovation, comme au Québec (Canada) ou en Slovénie. Comme ce fut le cas lors de la précédente édition, l'innovation n'a pas nécessairement concerné les mêmes pratiques éducatives dans les différents pays. Exception faite de l'augmentation des activités d'apprentissage mutuel pour les enseignants, de l'utilisation accrue des TIC pour le travail scolaire et d'un accès légèrement plus restreint à des ordinateurs, l'évolution des pratiques éducatives ne s'est pas avérée uniforme d'un pays à l'autre. Malgré le renforcement de l'apprentissage international entre les pays, il n'existe aucune convergence dans les changements adoptés.
L'innovation systémique a également fait l'objet de mesures distinctes entre l'enseignement primaire et secondaire, ainsi qu'entre différentes disciplines. Le niveau moyen d'innovation concernant les pratiques éducatives est à peu près le même dans l'enseignement primaire et secondaire, de sorte que les deux niveaux contribuent de manière équivalente à l'indicateur d'innovation général. Les variations entre les pays sont également similaires dans l'enseignement primaire et secondaire, allant de pays qui ont connu des niveaux d'innovation faibles à modérés dans leurs pratiques à l'échelle du système à des pays qui ont enregistré des niveaux d'innovation importants ou modérés à importants. Les pays pour lesquels il a été possible de calculer des indicateurs d'innovation tant pour l'enseignement primaire que secondaire ont enregistré des niveaux d'innovation similaires, ce qui porte à penser que l'innovation pourrait provenir des mêmes forces à l'échelle nationale (ou, du moins, qu'elle serait indissociable dans ces deux niveaux enseignement).
L'innovation pédagogique
L'innovation pédagogique dans l’enseignement des mathématiques, des sciences et de la lecture est le principal thème du présent ouvrage. En moyenne, cette innovation s'est avérée modérée ces dix dernières années. Quelles sont les pratiques qui ont fait l'objet d'une diffusion ou diminution significative ? La plus grande innovation réside dans l'acquisition indépendante de connaissances et dans les pratiques en matière de devoirs, suivies par l'apprentissage par cœur et les pratiques d'apprentissage actif.
La principale innovation en matière d'acquisition indépendante de connaissances concerne l'utilisation d'un ordinateur en cours en vue de rechercher des concepts et des données. En sciences et en lecture, cette pratique a augmenté d'environ 20 points de pourcentage en moyenne dans l'OCDE, mais concernait déjà 20 à 30 % des élèves au début de la période à l'étude. La réelle nouveauté porte sur les cours de mathématiques où cette pratique n'était que très peu utilisée il y a 10 ans : le pourcentage d'élèves utilisant un ordinateur à la recherche de concepts et de données est passé de 3 à 31 % dans l'enseignement primaire et de 5 à 23 % dans l'enseignement secondaire. Dans certains pays, comme aux États-Unis, en Australie ou en Nouvelle-Zélande, l'augmentation est encore plus spectaculaire.
Les pratiques en matière de devoirs constituent le deuxième grand domaine d'innovation pédagogique. Si en moyenne la fréquence des devoirs n'a pratiquement pas changé, la principale évolution stable au sein des pays s'est produite au niveau des discussions menées en classe par les enseignants du secondaire concernant les devoirs : entre 2007 et 2015, le pourcentage d'élèves ayant connu cette pratique dans tous les cours est passé, en moyenne, de 22 à 58 % pour les mathématiques et de 25 à 55 % pour les sciences. En Hongrie et en Lituanie, si la pratique n'en était qu'à ses débuts en 2007 elle s'est pratiquement généralisée en 2015.
L'apprentissage par mémorisation et par réalisation d'exercices d'automatisation est souvent opposé à l'apprentissage actif. Néanmoins, ils peuvent également aller de pair. Ces deux types de pratiques ont modérément été diffusés, bien qu'ils aient affiché une tendance à la hausse. La pratique consistant à mémoriser des règles, procédures et faits dans au moins la moitié des cours de mathématiques et de sciences a progressé. La proportion d'élèves concernés par cette pratique est passée de 22 à 43 % dans les cours de mathématiques de l'enseignement primaire, et a augmenté d'environ 15 points de pourcentage dans les cours de sciences de l'enseignement primaire et secondaire jusqu'à concerner pratiquement un élève sur deux. Concernant l'apprentissage actif en sciences, il s'est surtout diffusé dans les cours d'enseignement primaire. Par exemple, la proportion d'élèves devant planifier ou concevoir une expérience dans au moins la moitié de leurs cours est passée de 19 à 37 % dans l'enseignement primaire (contre 19 à 31 % dans l'enseignement secondaire).
Malgré une prise de conscience accrue de la nécessité de développer les compétences de niveau supérieur des élèves, il est intéressant de noter que les pratiques visant à améliorer ces types de compétences ont été relativement peu diffusées. Seules les pratiques encourageant le sens de l'observation en sciences ont augmenté de manière significative, tandis que les occasions offertes aux élèves d'expliquer leurs idées, tirer des conclusions ou effectuer des inférences sont restées stables et ont concerné relativement peu d'élèves.
L'innovation liée aux technologies
La plupart des gens associent l'innovation aux technologies (de l'information et de la communication), peut-être parce qu'il s'agit de la partie la plus visible dans un monde toujours plus numérique. Si l'innovation dans les pratiques éducatives n'est pas nécessairement liée aux technologies, l'innovation en termes de présence d'ordinateurs et d'utilisation des TIC dans le travail scolaire des élèves a constitué un vecteur de changement important ces dix dernières années.
Toutefois, dans la quasi-totalité des pays, l'accès des élèves à un ordinateur de bureau et une tablette pendant les cours de lecture, de mathématiques et de sciences a légèrement diminué ; il en va de même pour le nombre d'ordinateurs de bureau présents dans les établissements d'enseignement. La Fédération de Russie et la Nouvelle-Zélande sont les seuls pays à faire figure d'exceptions. Il s'agit là d'une tendance paradoxale, confirmée par plusieurs études nationales. L'accès à un ordinateur de bureau reste toutefois très élevé : en moyenne, 80 % des élèves de l'enseignement secondaire continuent d'avoir accès à un ordinateur de bureau à l'école, et un pourcentage croissant d'élèves ont eu accès à un ordinateur portable. En Suède et au Danemark où la proportion d'élèves de l'enseignement secondaire ayant accès à l'école à un ordinateur de bureau a chuté à environ 65 %, ils étaient 85 à 90 % en 2015 à avoir accès à un ordinateur portable à l'école. À l'inverse, le pourcentage d'élèves ayant accès à un ordinateur de bureau a considérablement baissé en Pologne et au Japon (environ 65 %) sans qu'il y ait pour autant d'augmentation notable dans l'accès à un ordinateur portable, indiquant que l'effet de substitution n'a vraisemblablement pas été important. La présence d'un ordinateur et d'une tablette pendant les cours a diminué pour les trois disciplines à l'étude. Plusieurs raisons éventuelles peuvent venir expliquer cette tendance à la baisse : l'évolution du rôle des ordinateurs à l'école en raison de la plus forte présence d'ordinateurs à la maison, l'utilisation de téléphones portables et ordinateurs personnels dans le cadre d'une politique consistant à « apporter à l'école son propre appareil », etc.
La plus faible présence d'ordinateurs est allée de pair avec un recours accru à l'informatique et à la technologie de l'information. Ce constat vaut pour l'ensemble des pays étudiés, à l'exception du Portugal, du Chili et, dans une moindre mesure, de l'Irlande. Un pourcentage plus élevé d'élèves ayant accès à un ordinateur l'utilise pendant les cours et pour faire leurs devoirs. En moyenne, dans les systèmes d’éducation des pays de l'OCDE, la proportion d'élèves utilisant un ordinateur au moins une fois par semaine pour mettre en pratique leurs compétences en mathématiques, et les procédures afférentes, a augmenté de 42 points de pourcentage dans l'enseignement primaire et de 23 points de pourcentage dans l'enseignement secondaire (pour atteindre, respectivement, 51 % et 32 %). En moyenne, la proportion d'élèves utilisant un ordinateur au moins une fois par semaine pour mettre en pratique leurs compétences en sciences, et les procédures afférentes, a augmenté de 17 points de pourcentage dans l'enseignement primaire et de 15 points de pourcentage dans l'enseignement secondaire (pour atteindre, respectivement, 22 % et 26 %). Pour ce qui est de la compréhension de l’écrit, la proportion moyenne d'élèves utilisant un ordinateur au moins une fois par semaine pour la rédaction d'histoires et de textes a augmenté de 10 points de pourcentage (pour atteindre 34 %). La recherche de concepts et de données sur ordinateur en mathématiques, en sciences et en compréhension de l’écrit constitue une nouvelle pratique qui s'est rapidement diffusée ces dix dernières années. Une augmentation significative équivalant à 27 points de pourcentage a été enregistrée pour les mathématiques dans l'enseignement primaire (passant, en moyenne, de 3 à 31 % des élèves concernés), contre environ 20 points de pourcentage dans l'enseignement secondaire (de 5 à 23 % des élèves concernés). S'agissant des sciences, cette pratique est passée de 22 à 39 % et de 17 à 38 % respectivement dans l'enseignement primaire et secondaire ; et elle est passée de 30 à 52 % pour l’apprentissage de la lecture dans l'enseignement primaire. Le recours à un ordinateur pour accéder à des informations est une pratique qui a donc continué à se développer dans les différents systèmes d’éducation et qui, s'agissant des mathématiques, s'est rapidement diffusée après avoir vu le jour.
L'innovation dans les pratiques de perfectionnement professionnel des enseignants
La façon dont les enseignants perfectionnent leurs connaissances professionnelles constitue l'une des innovations les plus notables pour les élèves. En résumé, le pourcentage d'élèves dont les enseignants ont pris part à des activités d'apprentissage entre pairs a considérablement augmenté, tandis que le pourcentage d'élèves dont les enseignants ont participé à une formation formelle ces deux dernières années est resté stable. Étant donné l'importance de l'apprentissage entre pairs pour le perfectionnement professionnel, il s'agit là d'une bonne nouvelle. Dans certains pays, la forte augmentation des activités d'apprentissage mutuel a semblé s'être accompagnée d'une diminution significative des activités de formation formelle des enseignants – une innovation plus compliquée à évaluer en tant que telle.
En moyenne, le pourcentage d'élèves dont les enseignants ont participé à un programme de formation formelle est resté relativement stable. La moyenne de l'OCDE montre généralement une légère diminution qui dépasse rarement les 10 points de pourcentage. S'il existe quelques exceptions, seules les formations relatives à l'intégration des technologies de l'information en mathématiques ont augmenté de plus de 4 points de pourcentage (avec une hausse équivalant à 7 points de pourcentage). Dans l'ensemble, cette évolution régulière à la baisse représente une innovation mineure pour les élèves. Toutefois, la stabilité moyenne peut parfois masquer un sens des évolutions contrasté au sein des pays. Par exemple, ces dix dernières années, le pourcentage d'élèves slovènes dans l'enseignement primaire dont l'enseignant a reçu une formation en mathématiques, en sciences, en pédagogie des mathématiques ou des sciences a considérablement diminué (respectivement de 43 à 20 %, de 63 à 24 %, de 35 à 17 %, et de 57 à 15 %). La Hongrie, la Turquie et la République slovaque ont également connu une baisse importante de certaines, voire de la totalité, de ces formations d'enseignants. À l'inverse, la pratique a considérablement augmenté en Pologne entre 2011 et 2015 : la proportion d'élèves dont l'enseignant a suivi une formation ces deux dernières années est passée de 32 à 56 % pour le contenu mathématique, de 34 à 74 % pour le contenu scientifique, de 31 à 69 % pour la pédagogie des mathématiques, et de 19 à 49 % pour la pédagogie des sciences. Certains pays ont également connu des évolutions importantes dans l'un ou plusieurs de ces domaines (comme l'Australie, la Suède et la Nouvelle-Zélande).
La diffusion du perfectionnement professionnel pour les enseignants par le biais d'activités d'apprentissage entre pairs a été (en moyenne) l'innovation la plus importante pour les élèves de l'OCDE, notamment dans l'enseignement secondaire. La proportion d'élèves dans l'enseignement secondaire dont l'enseignant a discuté de la manière d'enseigner un sujet spécifique en mathématiques ou en sciences a augmenté dans l'ensemble des pays à l'étude et, en moyenne, de 21 points de pourcentage (passant de 41 à 62 % en mathématiques et de 39 à 60 % en sciences). En Israël, la pratique s'est presque généralisée au cours des dix dernières années (passant de 35 à 78 % en mathématiques, et atteignant 83 % en sciences). La collaboration dans la planification et la préparation des cours est également devenue une pratique très répandue : la moyenne de l'OCDE étant passée de 40 à 56 % en mathématiques, et de 37 à 55 % en sciences. En Israël, en Italie et en Nouvelle-Zélande, cette pratique a constitué une évolution systémique majeure. Enfin, même si les élèves de l'enseignement secondaire n'étaient que 18 % en moyenne dans les pays de l'OCDE à avoir un enseignant qui se rendait dans la classe d'un collègue, cette pratique s'est considérablement développée ces dix dernières années : en effet, en 2007, seuls 3 à 4 % des élèves de l'enseignement secondaire avaient un enseignant de mathématiques ou de sciences à agir de la sorte. La plus forte augmentation a eu lieu en Corée (38 points de pourcentage en mathématiques et 35 en sciences), en Turquie (37 en mathématiques et 35 en sciences) et en Fédération de Russie (40 en mathématiques et 34 en sciences).
L'innovation et les performances des systèmes d’éducation
L'innovation devrait viser l'amélioration, et les pays devraient assurer un suivi de ces changements (ou de leur absence) notamment pour comprendre et surveiller si l'évolution des pratiques éducatives a mené à des progrès. Ils devraient également identifier les changements, ou ensembles de changements, qui ont conduit à une amélioration de certains résultats. À tout le moins, cela contribue à déterminer si les changements escomptés ont impliqué une réelle évolution des pratiques et si les politiques éducatives en faveur de l'innovation, lorsqu'elles existent, produisent les niveaux et types d'innovation attendus.
À ce stade précoce de nos travaux en matière de mesure, nous pouvons évaluer l'intensité des corrélations entre l'innovation et certains résultats dans le domaine de l'éducation et, plus important encore, nous pouvons commencer à formuler certaines questions et hypothèses sur le lien entre l'innovation et les résultats de l'éducation. Toute analyse plus approfondie nécessiterait une étude plus détaillée fondée sur des données longitudinales permettant de suivre au fil du temps les élèves, leurs résultats ainsi que l'environnement d'apprentissage et d'enseignement dans lequel ils évoluent. Une partie de ce travail est réalisée par le biais d'études spécifiques d'évaluation ou de « mise à l'échelle », mais très peu ont la portée suffisante pour nous fournir beaucoup d'indications concernant l'innovation sur le plan systémique. De nombreuses hypothèses sur l'éventuel impact de l'innovation globale dans l'éducation ou de l'innovation spécifique sur divers résultats de l'éducation restent encore à démontrer ou doivent faire l'objet d'un examen plus approfondi.
Ces dix dernières années, l'innovation dans l'éducation a été associée à l'amélioration des résultats d’apprentissage scolaire, tant dans l'enseignement primaire que secondaire. Dans les pays où les pratiques éducatives ont le plus évolué, les scores des élèves aux évaluations internationales ont, en moyenne, été plus élevés. Ce constat se vérifie également au niveau des disciplines. Davantage d'innovation dans l'enseignement des sciences est corrélée à de meilleurs résultats dans l'enseignement primaire et secondaire ; et les pays où l’enseignement de la lecture a le plus évolué dans l’enseignement primaire ont généralement enregistré de meilleurs résultats dans cette matière. Une corrélation positive existe également pour les mathématiques, même si cela ne concerne que l'enseignement primaire. D'autres résultats, comme la satisfaction des élèves ou le plaisir des sciences, se sont également davantage améliorés en présence de plus d'innovation. Toutefois, l'innovation ne s'accompagne pas toujours de meilleurs résultats. Dans l'enseignement secondaire, les pays qui ont connu le plus d'innovation n'ont pas été ceux qui ont enregistré les meilleurs résultats de l'apprentissage en mathématiques, et aucune corrélation n'a pu être établie avec la satisfaction des élèves.
L'innovation dans l'éducation devrait en principe n'être encouragée que lorsque ses bénéfices l'emportent sur ses coûts et qu'il s'agit d'une amélioration par rapport au système actuel. Si dans les faits cela est impossible en raison de la lenteur (et de la nature relativement aléatoire) de la production de données et d'analyses coûts-avantages, il n'en demeure pas moins un objectif important, et il conviendrait d'encourager des recherches supplémentaires sur les effets engendrés par certaines pratiques éducatives, ou palette de pratiques, à l'échelle locale, régionale, nationale et internationale. Dans notre rapport, nous avons observé une corrélation faible, voire inexistante, entre l'innovation ces dix dernières années et les dépenses en matière d'éducation (par élèves). Il serait prématuré de généraliser et d'affirmer que l'innovation ne nécessite aucun budget supplémentaire, mais cela montre que de nombreuses innovations, notamment celles de nature pédagogique, peuvent être mises en œuvre avec les ressources disponibles.
Les moteurs de l'innovation
L'innovation peut être le résultat de différents processus, notamment lorsqu'elle a lieu au sein des classes. Elle peut être rendue obligatoire ou encouragée par les autorités locales ou les exécutifs centraux dans le cadre de réformes ou de mesures règlementaires. Elle peut être adoptée de plein gré sans la présence de mesures incitatives ou de mandats émanant de la hiérarchie dans le cadre de la circulation des connaissances (formation, apprentissage par les pairs, apprentissage indépendant), des demandes subjectives des élèves et des parents, des boucles de retours d’information à partir de données, de la force de persuasion des « éléments probants », de l'introduction de nouveaux produits sur le marché de l'éducation, etc.
Les principaux facteurs d'innovation et d'amélioration dans l'éducation sont les suivants :
Les ressources humaines : pour qu'un écosystème propice à l'innovation soit pertinent, il convient que les acteurs du secteur de l'éducation, et notamment le corps enseignant, disposent des compétences nécessaires en matière d'innovation et fassent preuve d'ouverture d'esprit à cet égard.
Les organisations apprenantes : l'innovation et l'amélioration sont intimement liées à l'organisation du travail et à la possibilité pour les établissements d'enseignement et les professionnels de l'éducation d'assimiler et de générer de meilleures connaissances et pratiques.
Les technologies : l'application des technologies tout usage au secteur de l'éducation, et notamment les technologies numériques, se révèle prometteuse pour l'innovation et l'amélioration. En particulier, le développement et le recours à des systèmes d'information longitudinaux (et à leurs mégadonnées) sont potentiellement prometteurs pour introduire de l'innovation dans le secteur de l'éducation.
La réglementation et l'organisation systémique : l'innovation et l'amélioration ne prospèrent que lorsque des idées pertinentes peuvent être mises en application sans être occultées par des réglementations en matière de programmes ou d'évaluations qui témoignent d'une trop grande aversion pour le risque. Cela dépend également de l'esprit d'entreprise des différents acteurs, des mesures incitatives ainsi que de la disponibilité de fonds à consacrer à l'innovation dans l'éducation.
La recherche en éducation : l'investissement en matière de recherche et d'évaluation et l'utilisation de ces dernières sont au cœur d'un écosystème éducatif propice à l'innovation.
Le développement de l'éducation : à l'instar d'autres secteurs, une industrie de l'éducation devrait mettre en œuvre des outils, des organisations et des procédés innovants afin de modifier et d'améliorer les pratiques au sein du secteur de l'éducation.
Certains de ces différents piliers de l'innovation pourraient faire l'objet d'une évaluation et d'un suivi dans le temps à l'échelle nationale et, ainsi, ouvrir la voie à la création d'un « indicateur portant sur la capacité à innover » en matière d'éducation. Quoi qu'il en soit, cet indicateur pourrait permettre aux pays de mieux comprendre leurs forces et leurs faiblesses dans le développement de leurs systèmes d’éducation.
Vers un instrument d'enquête international sur l'innovation dans l'éducation
Tandis que des ensembles de données internationales existants nous renseignent déjà sur l'innovation systémique, de meilleurs outils de mesure de l'innovation dans l'éducation conduiraient à des études plus spécifiques. L'approche que nous privilégions à cette fin consisterait en la mise en œuvre d'une enquête internationale spécialisée, ou tout du moins d'un instrument d'enquête. Dans l'idéal, cette enquête devrait :
Adopter une approche de « changement organisationnel » et l'adapter par le biais d'enquêtes comparables auprès des employeurs, salariés et usagers.
Être administrée au niveau de l'administration centrale de l'éducation (ministères ou autorités locales compétentes) et au niveau des établissements d'enseignement primaire, secondaire et tertiaire.
Interroger trois types d'acteurs (les chefs d'établissement, le corps enseignant et les élèves et étudiants) sur la situation actuelle et sur les évolutions de leurs pratiques de travail et de leur environnement professionnel ou scolaire.
Déterminer l'ampleur de l’innovation en comparant les degrés et les fréquences d’utilisation de pratiques spécifiques au moment de l'enquête et, par exemple, il y a trois ans.
Récolter les avis des répondants concernant l'impact de ces pratiques (ou de l'évolution de ces pratiques) sur différents objectifs en matière d'éducation (par exemple, les résultats de l'apprentissage, l'équité, le rapport coût/efficacité).
Mettre en évidence les sources et objectifs des mesures prévues en matière d'innovation ; déterminer à quel point ces améliorations sont mises en œuvre et perçues sur le terrain ; et rendre compte de l'ampleur des innovations non planifiées.
Prendre en compte les grands domaines de l'innovation : les produits et services proposés par les organismes éducatifs à leurs usagers/clients (manuels scolaires et programmes d'études, par exemple) ; les pratiques pédagogiques (les pédagogies, l'introduction de nouveaux équipements destinés à l'enseignement ou à l'administration, par exemple) ; les pratiques organisationnelles (les procédures en termes d'organisation, les pratiques en matière de ressources humaines et de gestion des connaissances ; un appui en faveur de l'introduction de nouvelles idées et pratiques, la participation à des formations et à des cours de perfectionnement) ; les relations extérieures (celles avec les parents, employeurs, organismes de recherche et autres établissements académiques, mais également le recours aux pratiques publicitaires, par exemple).
Collecter des données sur le contexte plus global dans lequel ces pratiques surviennent, telles que la taille des établissements et des classes, le nombre de classes, la concurrence avec d'autres établissements dans le voisinage, la réglementation et les modifications qui concernent celle-ci.
Avec le soutien de la Commission européenne, le Centre pour la recherche et l'innovation dans l'enseignement de l'OCDE prévoit de poursuivre le développement de nouveaux instruments et méthodologies afin de remédier à cette insuffisance criante qui concerne l’élaboration des politiques publiques et de permettre aux pays d'assurer le suivi de leur écosystème d'innovation dans le secteur de l'éducation.
Références
Arundel, A., D. Bowen Butchart, S. Gatenby-Clark, et L. Goedegebuure (2016), Management and Service Innovations in Australian and New Zealand Universities – Preliminary report of descriptive results, juin 2016. Australian Innovation Research Centre, Hobart et LH Martin Institute, Melbourne.
Adams Becker, S., M. Brown, E. Dahlstrom, A. Davis, K. DePaul, V. Diaz, et J. Pomerantz (2018), NMC Horizon Report: 2018 Higher Education Edition, EDUCAUSE.
Bloch, C. et M.M. Bugge (2013), « Public sector innovation – from theory to measurement », Structural Change and Economic Dynamics, 27, 133-145.
Dumont, H., D. Istance et F. Benavides (2010), The Nature of Learning: Using Research to Inspire Practice, Éditions OCDE.
Education Endowment Foundation (2018), Teaching and Learning Toolkit, https://educationendowmentfoundation.org.uk/evidence-summaries/teaching-learning-toolkit.
Greenan, N. et E. Lorenz (2013), « Developing harmonized measures of the dynamics of work organizations and work », in F. Gault Ed., Handbook of Innovation Indicators and Measurement, Edward Elgar.
Haelermans, C. (2010), « Innovative power of Dutch secondary education », Innovation: management, policy & practice, 12: 154–165.
Halász, G. (2018), « Measuring innovation in education: The outcomes of a national education sector innovation survey », European Journal of Education, 1-17, https://doi.org/10.1111/ejed.12299.
Hattie, J. (2008), Visible Learning: A Synthesis of Over 800 Meta-Analyses Relating to Achievement, Routledge.
MEADOW Consortium (2010), The MEADOW Guidelines, Grigny, France, http://meadow-project.eu/images/2013/meadowguidelines.pdf
OCDE/Eurostat (2018), Oslo Manual 2018: Guidelines for Collecting, Reporting and Using Data on Innovation, 4th Edition, Mesurer les activités scientifiques, technologiques et d'innovation, Éditions OCDE, Paris/Eurostat, Luxembourg. https://doi.org/10.1787/9789264304604-en
OCDE (2013), Innovative Learning Environments, Éditions OCDE, Paris.
OCDE (2014), Measuring Innovation in Education: A New Perspective, Éditions OCDE, Paris
Vincent-Lancrin, S. (2017), « Understanding innovation in education: where do we stand? », in G. Johnes, J. Johnes, T. Agasisti et López-Torres (Eds.), Handbook of Contemporary Education Economics, 162-183, Edward Elgar.