Plusieurs pays de l’OCDE doivent non seulement composer avec de faibles gains de productivité, mais enregistrent également un ralentissement de la croissance des salaires réels par rapport à celle de la productivité, ce qui se traduit par une baisse de la part des salaires dans le PIB. De plus, la progression des salaires médians et des bas salaires est inférieure à la croissance moyenne de l’ensemble des salaires, d’où un creusement des inégalités. La conjonction de ces tendances a entraîné un découplage entre la croissance des bas salaires et des salaires médians d’une part et l’augmentation de la productivité d’autre part.
Ce chapitre permet de dresser le bilan des recherches effectuées récemment par l’OCDE sur les déterminants du découplage salaires-productivité et d’en examiner les conséquences en termes de politiques publiques. Les principaux résultats peuvent être résumés comme suit :
Dans un certain nombre de pays, le découplage est allé de pair avec une stagnation des salaires réels médians. Aux États-Unis, par exemple, la croissance annuelle des salaires réels médians s’est établie à environ ½ pour cent au cours des deux dernières décennies, alors qu’elle a atteint entre 1 ½ et 2 % dans des pays enregistrant une croissance de la productivité similaire mais sans découplage, comme la France, la Finlande et le Royaume-Uni.
Le progrès technologique et l’expansion des chaînes de valeur mondiales ont contribué au découplage entre croissance des salaires réels médians et gains de productivité, mais les dynamiques au niveau des entreprises sont très variables selon les pays. Dans les pays où la croissance des salaires réels médians s’est dissociée de la croissance de la productivité du travail, les entreprises situées à la frontière technologique, à faible part des salaires, se sont démarquées du reste des entreprises. Leur essor s’est accompagné d’une forte croissance de la productivité et d’un taux de rotation élevé à la frontière technologique, ce qui suggère que ce processus s’explique principalement par le dynamisme technologique.
Les politiques publiques et les institutions sont des déterminants importants du lien entre productivité et salaires. L’investissement dans les compétences peut contribuer à ce que les gains issus du progrès technologique soient largement partagés avec les travailleurs, le capital se substituant moins facilement à une main-d’œuvre qualifiée à mesure que le prix des nouvelles technologies diminue. Parallèlement, les politiques actives du marché du travail jouent un rôle utile en contribuant à préserver les compétences des travailleurs qui ont perdu leur emploi et à maintenir leurs liens avec le marché du travail. La mise en œuvre de réformes favorables à la concurrence sur les marchés de produits peut faciliter la transmission des gains de productivité aux salaires en comprimant les rentes qui, sur ces marchés, vont souvent au capital, mais elle peut également contribuer à creuser les inégalités salariales en accentuant la dispersion de la productivité et des salaires entre les entreprises. Dans les pays où les salaires minimums sont peu élevés ou dans lesquels les règles relatives à la protection de l’emploi sont particulièrement limitées pour certaines catégories de travailleurs, le relèvement des salaires minimums ou le renforcement de la protection de l’emploi pour ces travailleurs permettraient de compenser les effets négatifs d’une réforme des marchés de produits sur les inégalités de salaire. En revanche, dans les pays où une large part de la main-d’œuvre est couverte par des dispositions contraignantes en matière de salaire minimum et où les règles relatives à protection de l’emploi sont strictes, ces mesures risquent d’encourager la substitution du capital au travail.
Le reste de chapitre est organisé ainsi : la section qui suit décrit le cadre conceptuel utilisé pour examiner la mesure dans laquelle le découplage entre salaires réels médians et productivité peut être attribuée respectivement à l’évolution de la part du travail dans le revenu des facteurs et à celle des inégalités de salaire. Elle fournit également des éléments descriptifs fondés sur des données globales concernant le découplage dans les pays de l’OCDE couverts par l’analyse (Schwellnus, Kappeler et Pionnier, 2017). La section suivante récapitule les résultats d’études qui ont analysé les effets des tendances structurelles et de l’évolution des politiques sur la transmission des gains de productivité aux salaires réels médians au niveau des pays, des secteurs d’activité et des entreprises de la zone OCDE, en s’intéressant tout particulièrement aux dynamiques récentes à l’échelon des entreprises (Berlingieri, Blanchenay et Criscuolo, 2017 ; Pak et Schwellnus, 2018 ; Schwellnus et al., 2018).