par
Jorge Moreira da Silva, Directeur, Direction de la coopération pour le développement de l’OCDE
Ne laisser personne de côté, c’est pour les gouvernements et les sociétés partout dans le monde porter l’ambition au plus haut : en effet, les Objectifs de développement durable ne seront atteints que si les résultats sont au rendez-vous pour chacun, et en particulier pour ceux qui sont le plus loin derrière. En faisant leur, en 2015, l’engagement de ne laisser personne de côté, les États membres des Nations Unies se sont propulsés dans une nouvelle ère, tenue par un engagement en faveur d’un développement universel, équitable et durable pour tous. Donner corps à ce programme impose une réorientation et une réforme de fond des institutions et des politiques, aussi bien à l’échelle mondiale qu’au niveau local.
Honorer cet engagement essentiel du Programme de développement durable à l’horizon 2030 signifie extraire pas moins de 730 millions de personnes de l’extrême pauvreté – celles qui, en dépit de deux décennies de forte croissance économique, demeurent prises au piège de la pauvreté, pour la plupart en Afrique subsaharienne ou dans des contextes fragiles. Cela signifie également mettre un terme aux inégalités, aux discriminations et aux fragilités. D’après le World Inequality Lab, les inégalités laissent aux 50 % les plus pauvres de la planète moins de 9 % du revenu mondial. Les femmes et les filles, les groupes minoritaires et les populations vulnérables du monde entier sont en butte à des discriminations ou à des préjudices croisés. Selon les estimations, quelque 27 % de l’humanité devraient vivre en 2030 dans des contextes fragiles, sous l’effet de conflits, de déplacements forcés, de pandémies, de l’extrémisme violent, de famines ou de catastrophes naturelles, autant de défis qui se jouent des frontières. Le temps nous est pourtant compté : certaines régions sont même en recul – le nombre de mal-nourris s’est accru de 40 millions entre 2014 et 2017.
Atteindre les personnes qui se trouvent engluées dans cet entrelacs complexe de privations est encore plus difficile lorsque les pouvoirs publics et les acteurs privés comptent parmi les moins bien dotés en ressources. Pour leur apporter le soutien le plus efficient, les gouvernements, les partenaires internationaux et les fournisseurs de coopération pour le développement doivent étudier de près les atouts et les faiblesses de leurs politiques, de leurs investissements et de leurs instruments, y compris de notre système multilatéral fondé sur des règles, pour garantir qu’ils soient à même de contribuer au respect de cet engagement, au bénéfice des citoyens du monde entier.
De fait, lorsque son mandat a été révisé, en 2017, le Comité d’aide au développement de l’OCDE a affirmé son engagement à « soutenir les efforts déployés par les pays en développement pour améliorer les conditions de vie de leurs populations, en ne laissant personne de côté […] ». Cet appel faisait écho à la promesse explicite, inédite et sans équivoque qui est au cœur du Programme 2030, celle de concrétiser les Objectifs au bénéfice de tous – de tous les pays et de tous les citoyens.
Les fournisseurs de coopération pour le développement et d’aide publique au développement (APD) ont un rôle unique à jouer : leurs politiques et leurs ressources concessionnelles ont pour objectif d’améliorer le bien-être des citoyens dans les pays en développement, ce qui, par là même, contribue au bien-être global de notre monde interdépendant. La finalité de l’APD, mesure convenue de la coopération pour le développement, n’est pas de rechercher une rentabilité financière ou commerciale immédiate : elle peut se focaliser sur des résultats de long terme, investir patiemment dans des contextes où les recettes publiques augmentent lentement et irrégulièrement, et sensibiliser au sort des groupes et des régions les moins accessibles, ou les moins prioritaires dans les stratégies nationales de développement, afin de parvenir à les atteindre.
Cela étant, comme le montre cette édition du rapport Coopération pour le développement, les fournisseurs de coopération pour le développement doivent adapter leurs approches pour être à la hauteur de cette nouvelle ambition : d’abord en renouvelant leur discours, pour faire comprendre qu’il est essentiel pour le bien-être des citoyens au sein de chaque pays de cibler l’action sur ceux qui sont laissés de côté, car c’est également un levier au service d’intérêts stratégiques essentiels tels que la croissance économique, la recherche de la paix et la sécurité. Ensuite, les fournisseurs doivent faire de l’inclusivité, de l’accès universel et de l’égalité des chances une constante de leur portefeuille d’activités, en déterminant de façon systématique qui se trouve parmi les plus défavorisés et où ils se trouvent, et en assurant un suivi des progrès les concernant. Enfin, ils doivent accroître le financement public à l’appui du développement durable et améliorer les modalités d’affectation des ressources consenties afin d’atteindre les pays et les secteurs où les besoins sont les plus grands.
Ce rapport vise à étayer la réforme de la coopération pour le développement : il décrit l’engagement de ne laisser personne de côté selon les points de vue d’une pluralité d’acteurs, s’appuie sur les dizaines d’exemples de bonnes pratiques observées jusqu’ici, et met en avant les domaines où il convient d’agir en priorité. Et, point important, il donne un point de départ pour renouveler le dialogue, l’apprentissage entre pairs et l’exercice de redevabilité que l’OCDE est fière d’abriter et de faciliter.