Blandine Bouniol
Aurélie Beaujolais
Blandine Bouniol
Aurélie Beaujolais
L’engagement de ne laisser personne de côté offre l’occasion à l’ensemble des organisations qui luttent contre les inégalités et l’exclusion de renouveler leur approche. Ce chapitre montre comment l’organisation Humanité & Inclusion (anciennement Handicap International) a mis en œuvre cet engagement à travers une programmation plus souple et davantage fondée sur des données factuelles. Il décrit comment l’engagement de ne laisser personne de côté a été l’occasion, pour l’organisation, de se transformer et de forger une nouvelle théorie du changement articulée autour des facteurs croisés d’inégalité qui renforcent l’exclusion de certaines personnes par rapport aux services dont elles ont besoin. Elle a ensuite défini un cadre d’analyse fondé sur la perspective de l’accès universel aux services, qui permet de déterminer comment les services fonctionnent et où les obstacles se situent. Enfin, elle a élaboré une Politique institutionnelle en matière de handicap, de genre et d’âge, qui comprend des lignes directrices et des marqueurs visant à faciliter sa mise en œuvre et aide les équipes et les partenaires à apporter une réponse efficace dès lors que des personnes sont laissées pour compte en raison de leur handicap, de leur sexe ou de leur âge.
Les inégalités croissantes entre les pays, mais aussi au sein des pays, aggravent les conditions génératrices d’exclusion et de discrimination. Dans les situations d’urgence comme dans la vie courante, les personnes les plus marginalisées sont les plus durement touchées car elles rencontrent beaucoup plus d’obstacles – au plan juridique, financier, social et comportemental – lorsqu’il s’agit de participer aux différents aspects de la société.
Avec le Programme 2030 (ONU, 2015[1]) et le Programme d’action pour l’humanité, adopté lors du Sommet mondial sur l’action humanitaire de 2016 (ONU, 2016[2]), les pays se sont engagés à ce que leurs actions à l’appui du développement et leurs interventions d’urgence ne laissent effectivement personne de côté et atteignent d’abord les populations les plus défavorisées. Les pays ont plaidé pour l’inclusion en tant que moyen d’assurer l’égalité d’accès de tous aux droits fondamentaux et de bâtir des sociétés fortes et pérennes. Le principe de ne laisser personne de côté est un appel à œuvrer en faveur d’une transformation inclusive – en rupture avec le statu quo, porteur d’exclusion.
En 2018, le réseau Handicap International, créé 35 ans plus tôt, a répondu à cet appel en changeant de nom et en adoptant une nouvelle théorie du changement. Sous le nom désormais d’Humanité & Inclusion, l’organisation applique un Cadre d’analyse de l’accès aux services inédit, centré sur l’accès universel aux services. Ce cadre décrit les évolutions intermédiaires qui sont nécessaires pour lever les obstacles à l’inclusion et présente dans le détail les types d’actions à mener, en les adaptant à chaque contexte, secteur d’intervention et population ciblée.
La pauvreté, la marginalisation et la vulnérabilité sont accentuées dès lors que de multiples facteurs entrent en interaction. Au moins neuf facteurs renforcent les inégalités et l’exclusion du fait des perceptions, des conceptions et des rapports de force prédominants dans un contexte donné (Graphique 11.1). Il s’agit du handicap, de l’âge, du genre, de l’orientation sexuelle, du statut socioéconomique, de la situation géographique, de l’origine ethnique, de la religion et des opinions politiques. Ces facteurs n’ont pas les mêmes répercussions partout ; un âge avancé, par exemple, peut être source de légitimité pour l’exercice d’une autorité dans certains contextes, mais source d’isolement social et de marginalisation dans d’autres. D’une manière générale toutefois, les facteurs qui entraînent des inégalités ont tendance à se renforcer mutuellement lorsqu’ils se croisent et leur conjugaison donne lieu à des situations de discrimination, de vulnérabilité et d’exclusion multiples.
Les formes croisées de discrimination auxquelles les personnes handicapées sont confrontées, ainsi que d’autres facteurs d’exclusion, ont également tendance à entraîner des restrictions importantes en termes d’accès aux services. Or, ces personnes ont droit à ces services, et elles en ont besoin pour mener des vies dignes et épanouies – quand ce n’est pas pour survivre, tout simplement. Ces services sont des ressources qui sont destinées à satisfaire à l’ensemble des besoins des personnes, ainsi que le leur garantissent leurs droits fondamentaux (parmi lesquels figurent notamment le droit à la santé, à l’éducation, à l’eau, à l’assainissement, à la justice, à l’application de la loi et aux services sociaux).
Depuis 35 ans, la théorie du changement d’Humanité & Inclusion vise à répondre aux besoins essentiels, à améliorer les conditions de vie et à promouvoir le respect des droits fondamentaux et de la dignité des personnes handicapées et des populations vulnérables. De par son accent sur les personnes les plus exclues, l’objectif de ne laisser personne de côté fait partie intégrante, mais de façon implicite, de cette théorie du changement. Il devient plus explicite lorsqu’est mise en avant la nécessité de définir des politiques, des stratégies et des programmes inclusifs, conformément aux définitions et aux orientations du Comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies (CPRD) (Graphique 11.2).1
Nous sommes néanmoins constamment mis au défi de faire plus et mieux pour obtenir des résultats concrets et un réel changement, à travers notamment de nouvelles approches et l’analyse des succès remportés et des erreurs commises. Le Programme 2030 et le Programme d’action pour l’humanité ont été l’occasion de contribuer à une vision plus globale et plus ambitieuse, qui a exhorté les organisations actives dans le domaine humanitaire et du développement telles que la nôtre à adapter leur programmation et leurs réponses face aux grandes évolutions en cours.
Afin d’améliorer l’accès universel aux services, nous avons révisé notre théorie du changement, en nous appuyant sur une étude anthropologique montrant que le développement humain résulte des interactions entre les personnes et leur micro-, méso- et macro-environnement (Brofenbrenner, 1979[4]). Le risque d’être victime de discrimination ou d’exclusion est en effet plus important pour certains individus, ménages ou communautés en raison de l’incompatibilité entre leur environnement (physique et social) et leurs caractéristiques, identités, besoins et priorités propres. Ces situations renforcent le cercle vicieux de la pauvreté et dans certains cas représentent même un risque important pour la vie de ces personnes. Les menaces qui planent et compromettent le bien-être et l’épanouissement des personnes, des ménages et des communautés peuvent devenir de véritables causes de déficience, de handicap et de discrimination. Parmi ces menaces figurent les conflits, les blessures ou les traumatismes, les catastrophes naturelles, la malnutrition, les maladies (infectieuses, non transmissibles, congénitales ou chroniques), les accidents ou le vieillissement.
Au regard de cette analyse, nous avons décidé de concentrer notre action sur deux situations qui peuvent conduire à l’exclusion et à des discriminations, à savoir :
Les situations de vulnérabilité : c’est-à-dire les situations de forte exposition à un ou plusieurs types de menaces susceptibles de limiter ou d’entraver la satisfaction des besoins fondamentaux d’une personne ou d’une population de même que l’accès à ses droits fondamentaux, selon la capacité d’anticipation, de résistance ou de rétablissement de la personne ou de la population en question.
Les situations de handicap : c’est-à-dire les restrictions effectives à la participation des personnes qui présentent une déficience en raison d’interactions négatives avec l’environnement dans lequel elles vivent.
Dans l’une comme dans l’autre de ces situations, les programmes et les interventions d’Humanité & Inclusion doivent porter sur les personnes ou sur leur environnement mais aussi – et c’est essentiel – sur les interactions entre les deux. Il est donc capital d’analyser les facteurs qui influent sur ces interactions de manière à favoriser des changements qui permettront de réduire les risques, de renforcer les capacités des personnes et des communautés et de lever les obstacles existant dans leur environnement. Ainsi, elles pourront toutes participer pleinement et effectivement à la vie de la collectivité, au même titre que les autres.
Pour orienter nos interventions concrètes vers cet objectif d’assurer la participation pleine et effective de tous à la vie de la collectivité, en accordant une attention particulière aux personnes qui sont les plus exclues – les personnes handicapées et les populations vulnérables – nous avons élaboré le Cadre d’analyse de l’accès aux services. Ce cadre se fonde également sur les obligations des pays découlant des engagements souscrits au titre des programmes d’action mondiaux auxquels ils participent et des traités internationaux qu’ils ont signés, à l’instar de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.2
Plusieurs décennies d’expérience dans plus de 60 pays et dans diverses situations ont permis de recenser 8 grands types d’obstacles qui entravent l’accès des personnes handicapées et des populations vulnérables aux services (Encadré 11.1). En tenant compte de ces obstacles, le cadre d’analyse permet d’affiner l’analyse du fonctionnement des services et par conséquent d’arrêter le résultat attendu pour chaque intervention envisagée, au regard des deux dimensions importantes que sont la gouvernance et la qualité de service (Encadré 11.2. ).
Des politiques inadéquates : les politiques, pour autant qu’elles existent, ne sont pas dûment mises en œuvre, financées ni suivies.
Des services inadaptés : les services, pour autant qu’ils existent, pâtissent de la faible capacité des prestataires et des effectifs professionnels, et se heurtent à divers obstacles qui entravent leur prestation.
Des approches qui ne mettent pas suffisamment l’accent sur l’engagement et la participation : les personnes handicapées et les populations vulnérables ne sont pas consultées ni suffisamment représentées et ne participent pas à la prise des décisions les concernant.
Des attitudes négatives : les communautés, les sociétés, les institutions, voire l’État, stigmatisent les personnes handicapées et les populations vulnérables et adoptent des attitudes et des comportements négatifs à leur égard.
Des financements insuffisants et inadéquats : le financement, notamment en provenance de la coopération internationale, dont dépendent beaucoup de personnes handicapées et de populations vulnérables vivant dans des pays pauvres est insuffisant ou ne permet pas de répondre de manière adéquate à leurs besoins et priorités.
Des données insuffisantes : les données manquent pour mieux appréhender (et aider les autres à mieux appréhender) la situation des personnes handicapées et des populations vulnérables et apporter une réponse satisfaisante.
Des possibilités insuffisantes au niveau individuel : les personnes handicapées et les populations vulnérables n’ont pas suffisamment accès à des possibilités leur permettant d’acquérir les compétences et la confiance nécessaires pour agir en vue d’améliorer leur situation.
Des perturbations extrêmes de l’environnement : les crises humanitaires, liées à des catastrophes naturelles ou à des conflits armés, sont la cause de décès, de blessures, de déplacements de population et de destruction d’infrastructures, ou créent un climat qui favorise les tensions politiques ou l’expansion de la corruption.
Gouvernance du système de services, dans lequel interviennent plusieurs parties prenantes : il s’agit d’évaluer l’attention accordée aux services au niveau, d’une part, des pouvoirs publics (à travers la législation et la réglementation supervisant la prestation de services), d’autre part, de l’usager (en termes de demande de services).
Les décideurs doivent définir les orientations stratégiques et déterminer quelles sont les ressources nécessaires pour faciliter l’accès de tous aux services ; ils doivent aussi évaluer les besoins et les priorités des usagers et garantir et superviser la prestation de services.
Les prestataires de services doivent veiller à ce que les services qu’ils fournissent répondent aux besoins et aux priorités de leurs usagers, et doivent mettre à profit leur savoir-faire pour améliorer le système de services.
Les usagers des services doivent avoir la possibilité d’exprimer des demandes, des besoins et des priorités en termes de services, ainsi que leur opinion vis-à-vis de la qualité des services.
Qualité de service :
La qualité est évaluée à l’aune de dix critères :
la disponibilité
la participation et les approches participatives
la non-discrimination
l’accessibilité
la capacité d’adaptation
la capacité budgétaire
l’accent mis sur la personne
la responsabilité
la continuité
la qualité technique.
L’application systématique d’un cadre d’analyse unique pour mettre au jour les défaillances de tel ou tel système de services et évaluer les domaines dans lesquels une intervention s’impose, en déterminant les modalités pour ce faire, permet de renforcer la cohérence des interventions sur tout le continuum urgence-réadaptation-développement. Le cadre d’analyse permet d’adopter des modalités opérationnelles différentes selon le contexte et vise à faciliter la transition entre les interventions dans les situations de crise chronique, les interventions d’urgence, les activités de reconstruction et celles destinées à appuyer le développement. Le principe de continuité est un critère de qualité essentiel. Parallèlement, la capacité d’adaptation à chaque contexte est essentielle pour assurer un accès universel aux services et opérer les transformations intermédiaires, souvent ambitieuses, que suppose cet objectif. Il convient d’évaluer avec un soin particulier la manière dont les neuf facteurs d’inégalité interagissent dans les différents contextes, tout en accordant systématiquement une attention au handicap, au genre et à l’âge, notamment.
Le handicap, le genre et l’âge sont des déterminants universels qui interagissent sur la réalisation des droits de la personne. Il s’agit de normes issues d’une construction sociale qui peuvent se retrouver dans tout groupe humain et qui sont essentielles pour comprendre quels sont les capacités, les besoins et la vulnérabilité face aux risques de différentes personnes dans un contexte ou une situation de crise donnés. Ces normes doivent dont être systématiquement prises en compte, quel que soit le contexte. En 2018, nous avons élaboré une Politique institutionnelle en matière de handicap, de genre et d›âge, assortie de lignes directrices et de marqueurs visant à faciliter sa mise en œuvre, afin d’apporter des réponses les plus innovantes et les plus pertinentes possible dans les situations d’exclusion et de vulnérabilité.
D’un point de vue opérationnel, cette politique adopte une approche en deux volets de la lutte contre les inégalités fondées sur le handicap, le genre et l’âge, qui privilégie l’action visant à mettre fin aux inégalités dans toutes les interventions humanitaires et en faveur du développement, à tous les niveaux (y compris l’action publique et le financement), tout en appuyant les initiatives ayant pour objet d’autonomiser les groupes victimes de discrimination. Cette politique a pour conséquence principale de faciliter la détermination du niveau d’effet souhaité. Cet effet peut aller, par ordre croissant, de « l’absence de prise de conscience» quant au handicap, au genre et à l’âge, à la « conscience/sensibilité», la « réactivité» et l›« action transformatrice». Humanité & Inclusion a décidé, au minimum, d’être réactif à ces facteurs d’inégalité dans tous les domaines d’intervention et, dans la mesure du possible, d’être un agent de transformation (Graphique 11.3).
Être réactif dans tous les domaines d›intervention signifie élaborer systématiquement des solutions adaptées, pragmatiques et novatrices afin de veiller à ce que les personnes victimes de discriminations fondées sur le handicap, le genre et l’âge profitent sur un pied d’égalité des actions.
Cet objectif nécessite :
de renforcer les capacités des personnes victimes de discriminations fondées sur le handicap, le genre et l’âge
de renforcer l’application des principes directeurs en matière de participation, d’égalité et de non-discrimination3 , d’accès universel et de protection
de collaborer avec les prestataires de services et les décideurs pour lever les obstacles auxquels se heurtent les personnes victimes de discriminations fondées sur le handicap, le genre et l’âge de sorte qu’ils puissent avoir accès à l’ensemble des services, ce qui suppose de mettre en place des mesures spéciales, y compris des mesures d’action positive et d’aménagement raisonnable, tout en renforçant les capacités des décideurs et des prestataires de services.
Être un agent de transformation, chaque fois que cela est possible et pertinent, suppose de s’attaquer aux causes profondes des inégalités et aux obstacles systémiques qui se dressent au carrefour du handicap, du genre et de l’âge, et d’œuvrer en faveur de transformations durables, pour que les personnes qui subissent des discriminations bénéficient au même titre que les autres des possibilités qui s’offrent en matière de développement et des retombées de l’action humanitaire.
Être un agent de transformation repose sur les actions suivantes :
Donner aux personnes victimes de discriminations fondées sur le handicap, le genre et l’âge, ainsi qu’aux organisations qui les représentent, les moyens de participer de manière constructive et d’exprimer leurs intérêts, en :
renforçant les capacités individuelles, en favorisant le développement de la confiance en soi, du savoir-être et des compétences sociales et en facilitant le soutien par les pairs
favorisant l’autoreprésentation ainsi que l’établissement d’alliances et de mouvements locaux pour accroître la mobilisation aux niveaux local et national en faveur de réformes propices à la réalisation des droits fondamentaux.
Renforcer les capacités des personnes victimes de discriminations, des autorités et responsables de l’élaboration des politiques, des prestataires de services et des acteurs internationaux en vue :
de coordonner et d’améliorer la gouvernance d’un secteur ou d’un service, en offrant les mêmes chances à tous et en proposant des réponses adaptées aux besoins, aux intérêts stratégiques, aux capacités et aux priorités des femmes et des hommes handicapés de tout âge qui sont victimes de discriminations.
de garantir une participation effective, l’égalité et la non-discrimination, l’accès universel et l’existence de mesures de protection.
Influencer et promouvoir l’élaboration de politiques et de pratiques plus inclusives et veiller à ce qu’un suivi soit assuré concernant leurs répercussions sur différents groupes de personnes victimes de discriminations, ce qui suppose notamment de mettre en place des mécanismes appropriés de ventilation des données et de participation.
Remettre en question les systèmes de pouvoirs locaux et internationaux qui reposent sur des préjugés et des inégalités systémiques fondées sur le handicap, le genre et l’âge et qui entretiennent ces préjugés et ces inégalités.
Dans tous les cas, les choix de programmation devraient se fonder sur l’analyse des contextes, des capacités et des partenariats au plan local. Dans certains contextes (les conflits armés, par exemple), ou lorsque l’intervention est très brève, il arrive que les organisations ou les acteurs qui interviennent n’aient pas la capacité de faciliter des actions à visée transformatrice.
Pour mettre en œuvre cette nouvelle théorie du changement et cette stratégie, Humanité & Inclusion a entrepris de s’engager dans un processus qui nous permettra d’adapter nos projets et nos programmes de sorte qu’ils soient, au minimum, réactifs aux facteurs que sont le handicap, le genre et l’âge. Nous nous efforçons :
de renforcer les partenariats et toutes les formes de collaboration afin de supprimer les inégalités fondées sur le handicap, le genre et l’âge
de renforcer l’application des principes directeurs à tous les stades du cycle de projet ainsi que dans les cadres de programmation, ces principes étant les suivants : participation, égalité et non-discrimination, accès universel et protection
de mener une analyse différenciée par situation de handicap, genre et âge à tous les stades du cycle de projet ainsi que dans les cadres de programmation
de constituer une base de données solide sur les discriminations fondées sur le handicap, le genre et l’âge.
Des outils spécifiques doivent également être élaborés pour aider le personnel à adopter de nouvelles méthodes de travail, de sorte que les nouveaux engagements opérationnels puissent être mis en œuvre à chaque stade du cycle de projet et dans les cadres de programmation. Parmi ces outils figurent notamment un marqueur du handicap, du genre et de l’âge qui permet aux équipes d’évaluer si les programmes se caractérisent par une absence de conscience ou au contraire une conscience de ces facteurs, s’ils y sont réactifs ou s’ils ont un effet transformateur. Ce marqueur aidera les équipes à définir les ambitions d’une programmation réactive et transformatrice, à fixer des objectifs assortis de délais ainsi qu’à mener une réflexion et à tirer des enseignements en ce qui concerne le handicap, le genre et l’âge. Il facilitera en outre la réflexion et l’apprentissage au niveau macro-organisationnel, ce qui permettra d’alimenter et d’orienter l’effort mondial relatif au handicap, au genre et à l’âge.
Le projet « Ubuntu Care », qui vise à lutter contre les violences sexuelles commises à l’encontre des filles et des garçons, y compris les filles et les garçons handicapés, au Rwanda, au Burundi et au Kenya, a été lancé en 2013. Il a pour but de s’attaquer aux causes profondes et d’atténuer les conséquences de la violence à l’égard des enfants, en particulier des enfants handicapés.
Selon le marqueur du handicap, du genre et de l’âge utilisé par Humanité & Inclusion, ce projet entre dans la catégorie des interventions « réactives » aux situations dans lesquelles l’exclusion est motivée par ces trois facteurs. Et en effet, grâce au projet, des filles et des garçons handicapés sont désormais en mesure d’accéder à des services. Le projet a un effet transformateur à plusieurs égards :
Il renforce les capacités des filles et des garçons, qu’ils soient en situation de handicap ou non, de sorte qu’ils puissent devenir les propres agents de leur protection.
Il renforce les capacités des collectivités locales de sorte qu’elles puissent mettre en place leurs propres filets de protection des enfants.
Il renforce les capacités des services de santé publique, de justice, de police et d’éducation afin d’instaurer une gestion pluridisciplinaire des cas axée sur l’assistance et l’inclusion des survivants, y compris les survivants handicapés.
Enfin, il soutient les associations d’hommes qui s’emploient à promouvoir la masculinité positive en organisant des campagnes dans les villages afin de faire évoluer les mentalités vis-à-vis de la violence.
La mise en œuvre du principe de ne laisser personne de côté ne saurait se satisfaire d’un simple remaniement du système de distribution de l’aide au développement et de l’aide humanitaire. Il s’agit, en substance, de s’engager en faveur de l’inclusion. Pour concrétiser cet engagement, les organisations œuvrant dans le domaine humanitaire et du développement, à l’instar d’Humanité & Inclusion, doivent changer leur façon d’évaluer et de combattre l’exclusion et la discrimination. Elles doivent notamment :
s’attaquer à l’ensemble des facteurs croisés d’inégalité qui empêchent les personnes d’accéder aux services dont elles ont besoin et auxquels elles ont droit
remettre en question les cadres d’analyse en place et les hypothèses en vigueur, en se demandant s’ils orientent effectivement l’action vers la réalisation d’objectifs globaux et universels, tout en faisant preuve d’une capacité d’adaptation suffisante face à la diversité de contextes
décloisonner les domaines d’activité, en mettant l’accent sur l’engagement commun à agir pour éliminer, et transformer, les facteurs qui entraînent l’exclusion de tant de personnes.
Pour y parvenir, de nouveaux éléments probants et données sont nécessaires, ainsi que des projets novateurs et des systèmes de financement propres à s’adapter à ces nouvelles exigences – autant d’évolutions qui font partie intégrante de l’engagement de ne laisser personne de côté. La concrétisation de cet engagement a transformé notre organisation, avec pour conséquence des efforts plus résolument axés sur l’objectif de favoriser un développement humain inclusif.
[4] Brofenbrenner, U. (1979), The Ecology of Human Development: Experiments by Nature and Design, Harvard University Press, Boston.
[3] CRPD (2016), Observation générale n° 4 sur le droit à l’éducation inclusive, Comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies, New York, https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/CRPD/Pages/GC.aspx.
[2] ONU (2016), Agenda for Humanity: Annex to the Report of the Secretary-General for the World Humanitarian Summit, Nations Unies, New York.
[8] ONU (2015), Programme d’action d’Addis-Abeba, adopté à la troisième Conférence internationale sur le financement du développement, 13-16 juillet 2015, Addis-Abeba, Nations Unies, New York.
[1] ONU (2015), Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030, Nations Unies, New York.
[5] ONU (2008), Convention sur les armes à sous-munitions, signée les 3 et 4 décembre 2008, Oslo., Nations Unies, New York.
[11] ONU (2006), Convention relative aux droits des personnes handicapées, Nations Unies, New York.
[6] ONU (2003), Résolution adoptée par l’Assemblée générale 58/114, Renforcement de la coordination de l’aide humanitaire d’urgence fournie par l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, New York.
[10] ONU (1997), Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, signée les 3 et 4 décembre 1997, Ottawa, Nations Unies, New York.
[9] ONU (1995), Déclaration et Programme d’action de Beijing, adoptés à la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, Beijing, 4-15 septembre 1995, Nations Unies, New York.
[7] ONU (1991), Résolution adoptée par l’Assemblée générale 46/182, Renforcement de la coordination de l’aide humanitaire d’urgence de l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, New York.
[12] UNISDR (2015), Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe 2015-2030, Bureau des Nations Unies pour la prévention des catastrophes, Genève.
← 1. Cette valeur fondamentale figure au cœur de l’identité d’Humanité & Inclusion depuis que l’organisation a consacré le principe d’inclusion dans sa nouvelle dénomination, en 2018.
← 2. Humanité & Inclusion accorde également une attention particulière aux résolutions 46/182 et 58/114 de l’Assemblée générale des Nations Unies relatives à la coordination de l’aide humanitaire (ONU, 2003[7]) (ONU, 1991[8]), aux conventions d’Oslo et d’Ottawa sur les armes à sous-munitions et les mines antipersonnel (ONU, 2008[5]) (ONU, 1997[11]), au Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe (UNISDR, 2015[13]), à la Déclaration et au Programme d’action de Beijing pour l’égalité des sexes (ONU, 1995[10]) et au Programme d’action d’Addis-Abeba, adopté lors de la troisième Conférence internationale sur le financement du développement (ONU, 2015[9]).
← 3. Compilation non exhaustive d’instruments juridiques internationaux portant sur des questions relatives à l’inclusion, la participation, l’égalité et la non-discrimination en relation avec le genre, l’âge et le handicap :
Droit des droits de l’homme : Convention relative aux droits des personnes handicapées (ONU, 2006[12]), articles 9, 11, 19 et 32 ; Convention relative aux droits de l›enfant, articles 2, 6 et 23 ; Convention sur l›élimination de toutes les formes de discrimination à l›égard des femmes, article 2 ; Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, articles 3 et 23.
Droit humanitaire : Conventions de Genève,article 3 commun ; quatrième Convention de Genève, articles 16 et 17 ; Protocole additionnel I, articles 75, 76 et 77 ; Protocole additionnel II, articles 4 et 7.