Catarina Tully
Piero Fontolan
Wiebke Bartz-Zuccala
Catarina Tully
Piero Fontolan
Wiebke Bartz-Zuccala
Afin d’élaborer des solutions durables qui veillent à ne laisser personne de côté, il convient de se pencher sur les différents scénarios d’avenir possibles qui se profilent devant nous. La prospective stratégique, c’est-à-dire une démarche de réflexion méthodique sur l’avenir, peut aider les acteurs de la coopération pour le développement à faire face à l’incertitude et à concevoir des solutions qui répondent aux besoins actuels, mais aussi futurs. Cette démarche leur permet de pressentir et de façonner l’avenir à mesure que celui-ci se dessine, tout en renforçant la résilience, en exploitant le potentiel des technologies émergentes et d’autres tendances, et en atténuant les risques futurs.
Ce chapitre examine les possibilités qui s’offrent à la communauté des acteurs de la coopération pour le développement de mettre à profit la prospective stratégique afin d’accroître l’efficacité des actions de développement, d’apporter un soutien aux gouvernements et aux citoyens des pays en développement et d’atteindre les objectifs du Programme de développement durable à l’horizon 2030 au bénéfice de tous, de manière durable et flexible. Il montre comment la prospective a déjà été mise à profit dans ce secteur et s’achève sur quelques pistes d’application concrète de cette démarche à la coopération pour le développement.
Ce chapitre présente également le point de vue d’Achim Steiner, Administrateur du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), qui explique pourquoi les mutations technologiques amplifient les enjeux liés à la concrétisation de l’engagement de ne laisser personne de côté.
La prospective stratégique ouvre la voie à des politiques meilleures… c’est une manière d’éclairer la prise de décisions judicieuses. Il s’agit de nous interroger sur nos attentes et de mettre nos espoirs à l’épreuve de la réalité. Il s’agit d’aller plus loin que la simple prévision pour explorer l’inattendu.
Angel Gurría, Secrétaire général de l’OCDE (Gurría, 2018[1])
[Nous avons] également besoin de renforcer [nos]capacités en ce qui concerne les méthodes et les stratégies prévisionnelles qui se fondent sur la volatilité et la complexité de la situation afin de recueillir les informations nécessaires pour prendre des mesures novatrices en faveur du développement durable pour tous.
Rapport du Secrétaire général des Nations Unies sur le Programme 2030 (ONU, 2017[2])
Les Objectifs de développement durable (ODD) ont fixé un cap particulièrement ambitieux à l’horizon 2030, esquissant une vision d’un monde durable, sûr, inclusif et ne laissant personne de côté. Les pays se sont engagés à « [mettre] en œuvre le Programme pour l’entier bénéfice de tous, pour la génération actuelle comme pour les générations futures » (ONU, 2015[3]). De toute évidence, une telle tâche impose de gouverner dans une perspective de long terme, c’est-à-dire d’explorer et de comprendre l’horizon 2030 mais aussi l’avenir plus lointain, ainsi que les conséquences de la transformation technologique (Encadré 12.2) et les évolutions mondiales au plan environnemental, démographique et géopolitique, lesquelles créent une nouvelle volatilité, avec les risques et les possibilités qui en découlent1 .
Ce chapitre examine comment la prospective stratégique peut permettre aux acteurs du développement de s’adapter à ce contexte en aidant les décideurs – et les communautés – à regarder systématiquement vers l’avenir afin d’anticiper des évolutions inattendues et de se préparer en vue de divers scénarios plausibles. La première partie recense les obstacles et les défis qui se posent en matière de coopération pour le développement, puis examine de plus près comment la démarche prospective peut faciliter l’adaptation de ce secteur. Sont présentés ensuite des exemples d’application de la démarche prospective dans le cadre de l’élaboration des politiques, notamment dans le domaine du développement. Enfin, la conclusion trace une feuille de route pour bâtir une coopération pour le développement parée pour l’avenir.
La coopération pour le développement se trouve confrontée à de multiples obstacles et défis simultanés, parmi lesquels la question de savoir comment s’adapter à de nouvelles problématiques et à de nouvelles technologies qui, comme le souligne Achim Steiner, Administrateur du PNUD, dans son « Point de vue », amplifient les enjeux liés à la concrétisation de l’engagement de ne laisser personne de côté. La coopération pour le développement est également mise au défi de s’adapter à un paysage mondial en mutation, d’établir des partenariats de meilleure qualité, d’améliorer la qualité du dialogue multipartite pour le rendre plus authentique et de faciliter des investissements durables au-delà du cycle électoral.
Dans une enquête réalisée par l’OCDE en 2015, les pays partenaires anticipaient une évolution significative des défis en matière de développement, les enjeux liés à la réalisation d’une croissance économique durable et équitable pour les plus pauvres, aux perspectives d’emploi, au changement climatique et à la productivité agricole étant les plus importants. Les pays souhaitaient également que les fournisseurs de coopération pour le développement s’affirment davantage en tant que facilitateurs pour permettre de relever ces défis pour l’avenir (Davies et Pickering, 2015[4]).
Achim Steiner, Administrateur du PNUD
Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 offre une occasion historique d’engager le monde sur la voie d’un avenir durable. Dans 12 ans, ce programme sera soumis à l’épreuve décisive de savoir si nous avons bien tenu notre promesse de « ne laisser personne de côté ». La réponse dépendra, dans une certaine mesure, de la manière dont nous nous serons adaptés à la quatrième révolution industrielle.
La rapidité des progrès dans ce domaine et l’omniprésence des nouvelles technologies ouvrent des perspectives inédites pour le développement durable, avec le risque néanmoins que les inégalités s’accroissent au sein des pays et entre les pays. Il incombe aux décideurs de mettre cette transformation à profit pour le bien de tous et d’en atténuer les risques.
L’intelligence artificielle peut améliorer la qualité et la portée des soins de santé, la moitié de la population mondiale n’ayant toujours pas accès aux services de santé de base. Les technologies numériques peuvent stimuler la productivité agricole. L’imagerie satellitaire peut contribuer à lutter contre la déforestation. L’analytique de données massives peut faciliter le recensement des besoins et le suivi des progrès en temps réel. Les drones peuvent distribuer du matériel et des fournitures essentiels. Quant à la finance numérique, elle peut favoriser l’adoption de nouveaux modèles de fourniture de services de base.
D’après les estimations, d’ici à 2022, 133 millions de nouveaux emplois pourraient naître des nouvelles interactions de l’homme et de la machine. Parallèlement toutefois, 75 millions d’emplois pourraient être supprimés. L’intelligence artificielle pourrait apporter jusqu’à 16 000 milliards USD supplémentaires à l’économie mondiale à l’horizon 2030, même si 70 % des gains devraient être concentrés en Amérique du Nord et en République populaire de Chine.
De nombreux pays n’ont ni les moyens ni l’infrastructure nécessaires pour tirer parti des évolutions technologiques. D’où le risque d’une grande disparité qui limite les possibilités d’opérer des transformations structurelles dans les pays en retard. Le développement fondé sur l’industrialisation classique risque de ne plus être adapté, alors que le secteur manufacturier continue de perdre son potentiel d’absorption de travailleurs agricoles ou du secteur informel.
À l’heure actuelle, un milliard de personnes dans le monde n’ont aucune culture ni compétences numériques. Moins de la moitié de la population mondiale utilise l’internet. Qui plus est, il existe un écart manifeste entre les femmes et les hommes : à l’échelle mondiale, on dénombre 200 millions de femmes de moins que d’hommes internautes.
Si l’on veut exploiter le potentiel du progrès technologique pour atteindre les ODD au bénéfice de tous, il faut de toute urgence passer à la vitesse supérieure. Nous avons besoin d’un nouveau type de mesures politiques et de décisions opérationnelles ayant pour principe directeur l’engagement de mettre fin à l’extrême pauvreté, de réduire les inégalités, de lutter contre les discriminations et d’accélérer les progrès en ce qui concerne les groupes les plus défavorisés.
Le PNUD offre un cadre permettant aux gouvernements et aux parties prenantes d’analyser comment les personnes et les populations sont laissées de côté sous l’angle de cinq facteurs : la discrimination, la mauvaise gouvernance, les chocs et la fragilité, la situation socioéconomique individuelle et le lieu de vie. Les responsables de l’action publique devraient prendre des mesures pour examiner en quoi ces personnes et ces populations sont désavantagées dans ces cinq domaines, donner des moyens d’action aux communautés pauvres et marginalisées pour leur permettre de participer véritablement à la prise de décision et adopter des politiques qui s’attaquent aux causes profondes des inégalités et de la pauvreté et exploitent le potentiel qu’a l’humanité de s’adapter de manière créative à de nouvelles réalités, y compris celles créées par les mutations technologiques.
Si les tendances générales de la quatrième révolution industrielle sont sans équivoque, personne ne sait quelle sera l’étendue réelle de leurs répercussions. Nous devons donc faire preuve de méfiance face aux recommandations d’action toutes prêtes et génériques. Le PNUD est déterminé à collaborer avec les pays, les entreprises et d’autres acteurs pour trouver des solutions taillées sur mesure – afin de contribuer à garantir que les bénéfices du progrès technologique parviennent jusqu’aux populations les plus défavorisées.
Or, malgré des progrès encourageants, les données montrent dans le même temps que la coopération pour le développement peine à s’adapter à un paysage du développement dynamique et en constante évolution, où l’effort concerté est nécessaire pour supprimer les blocages systémiques (OCDE-PNUD, 2016[5]). La coopération pour le développement a de plus en plus besoin de stratégies flexibles et réactives face à la rapidité des mutations et à un degré élevé d’incertitude. Les approches classiques, linéaires, de la planification, fondées sur les données historiques et des prévisions serrées, risquent de n’avoir qu’une utilité limitée dans des environnements en constante évolution ou en perpétuelle mutation, qui offrent aux planificateurs peu d’éléments de compréhension et sur lesquels les données manquent (PNUD-GCPSE, 2014[6])2 . On ne peut prédire l’avenir et il est risqué de se préparer uniquement à ce qui est attendu.
Le Programme 2030 a besoin des idées, des éclairages, des ressources, de l’action et de la supervision de toutes les catégories de la société et des communautés, afin de transformer et de redéfinir les politiques, de co-créer des stratégies et de garantir la mise en œuvre et la responsabilité (OCDE, 2018[7]). La concrétisation de l’engagement de ne laisser personne de côté repose notamment sur l’établissement de partenariats dynamiques et innovants, où les contributions combinées des divers acteurs du développement peuvent favoriser une plus forte inclusion (GPEDC, 2018[8]). Le Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement érige l’ouverture, la confiance, le respect mutuel et l’apprentissage en principes fondamentaux de partenariats efficaces et inclusifs, prenant acte des rôles variés et complémentaires que jouent les différents acteurs du développement : gouvernements, organisations bilatérales et multilatérales, société civile, secteur privé et représentants des parlements et des syndicats, entre autres parties prenantes (GPEDC, 2011[9]). Les données présentées dans le rapport intitulé Vers une coopération pour le développement plus efficace : Rapport d’étape 2016 (OCDE-PNUD, 2016[5]) montrent une évolution positive vers des partenariats plus inclusifs dans de nombreux pays, ainsi qu’une disposition à s’engager manifeste chez l’ensemble des parties. Toutefois, des contraintes persistent sur le plan de l’organisation3 . Afin de nouer des partenariats réellement inclusifs, la communauté du développement doit explorer de nouvelles voies pour renforcer le dialogue multipartite au niveau des pays, en reflétant pleinement la diversité des parties prenantes et en maximisant les synergies qui existent entre elles (OCDE-PNUD, 2016[5]).
Enfin, on est loin de savoir avec certitude si la sphère politique continuera d’apporter son appui à la réalisation des ODD jusqu’en 2030. Les cycles politiques entraînent un renouvellement des dirigeants et une modification des priorités, ce qui complique les efforts visant à maintenir le cap et les investissements sur des résultats et une vision de plus long terme. La poursuite des efforts de mise en œuvre des ODD au-delà du cycle électoral constituera un défi constant : les décideurs doivent trouver un équilibre entre le caractère intergénérationnel des ODD et les priorités à court terme en matière de développement (Davies et Pickering, 2015[4]).
La prospective stratégique n’est pas synonyme de prévision ou de prédiction, même si ces dernières constituent des contributions utiles à cet égard. Il s’agit d’un processus organisé, systématique, qui vise à faire face à l’incertitude et permet d’identifier les possibilités futures ainsi que les défis à venir dans un environnement complexe, changeant et porteur de perturbations (OCDE, 2018[10]). L’histoire est importante dans la démarche prospective, qui s’appuie également sur des données historiques, même si les leçons tirées du passé ne peuvent pas toujours être transposées au présent. Au lieu d’établir des prévisions en extrapolant à partir des grandes tendances passées, la prospective pose des questions qui peuvent aider les décideurs à comprendre et à forger l’avenir. Elle exploite la capacité de réflexion méthodique sur l’avenir afin d’éclairer les décisions prises aujourd’hui – une capacité développée au niveau individuel, mais aussi au sein des organisations et de la société dans son ensemble (Conway, 2015[11]). À ce titre, elle présente trois avantages principaux.
En premier lieu, la prospective stratégique permet de se préparer à différents scénarios d’avenir. En adoptant un raisonnement au conditionnel (« et si ? ») face à des situations précises, la prospective a le mérite d’élargir l’éventail des futurs plausibles au-delà de ceux qui sont le plus attendus, ce qui permet aux décideurs de mieux se préparer. La prospective permet de mettre au jour des hypothèses, d’examiner de nouveaux facteurs de changement, de recenser et d’analyser les tendances et de relier les attentes de parties prenantes multiples. Elle vise à définir les étapes qui doivent être suivies pour forger un avenir désirable ; toutefois, elle attire également l’attention sur les signaux faibles qui annoncent une éventuelle rupture par rapport au statu quo, ainsi que sur la possibilité de survenue d’événements imprévus (ce qu’on appelle des « cygnes noirs »)4 .
En deuxième lieu, la prospective stratégique aide les communautés, les organisations et les dirigeants à définir une vision et un but communs. La compréhension des autres avenirs possibles permet aux dirigeants et aux communautés de comprendre comment ces avenirs peuvent se réaliser, lesquels sont désirables ou, au contraire, peu souhaitables, et quelle est la marche à suivre pour donner corps à l’avenir auquel ils aspirent. Elle aide les parties prenantes à expliciter leurs hypothèses d’avenir, à les remettre en cause et à jouer avec des solutions de rechange, ce qui les aide à développer une compréhension commune du type d’avenir auquel elles aspirent – le fondement même d’une vision commune.
Enfin, la prospective stratégique peut contribuer à transformer l’élaboration des politiques de développement en un processus réactif et tourné vers l’extérieur qui reflète le monde changeant, interdépendant et incertain d’aujourd’hui (Davies et Pickering, 2015[4]). La démarche prospective permet de bâtir une culture organisationnelle tournée vers l’exploration, l’analyse et l’anticipation de l’inattendu, dans le cadre d’une planification stratégique (Mintzberg et Jorgensen, 1987[12]). Avec le temps, les individus et les organisations développent une « culture des futurs » (Miller, 2007[13]) et analysent leur environnement, en étant davantage attentifs aux évolutions possibles. Les stratégies et les notions en vigueur, ainsi que les capacités existantes, peuvent être mises à l’épreuve de différents scénarios possibles, et la démarche prospective peut faciliter la formulation d’idées neuves et fortes. La prospective stratégique aboutit lorsque les dirigeants et les organisations remettent en cause « l’avenir officiel », c’est-à-dire la vision implicite de l’avenir propre à l’organisation (généralement une continuation du statu quo).
Le monde n’est pas en voie d’atteindre les objectifs du Programme 2030 (OCDE, 2017[14]) (Ritchie, 2018[15]). Dans les 12 années qui restent, la trajectoire de progression vers les ODD devra opérer un virage transformationnel majeur. Comment les pays pourront-ils atteindre l’échelle requise et réaliser l’aspiration au changement nécessaire en ne laissant personne de côté ? Une vision commune, forte, d’un avenir auquel nous aspirons tous, définie de manière collective, peut contribuer à cet objectif. Le Programme 2030 constitue un point de départ pour réaliser cette vision – et la démarche prospective peut permettre de réunir les communautés, les entreprises et la société civile autour des gouvernements pour définir plus précisément les détails, les feuilles de route et la vision commune de cet idéal aux niveaux national et local, afin de créer une dynamique, de donner lieu à de nouveaux engagements et de mobiliser de nouvelles ressources, tout en formulant des idées radicalement neuves (Encadré 12.2).
La prospective stratégique n’est pas une solution miracle, mais une approche complémentaire potentielle pour la coopération pour le développement. Ses méthodes peuvent aider la communauté du développement à faire face à l’incertitude et à trouver des solutions qui répondent aux besoins de tous, qu’il s’agisse des besoins actuels ou futurs, favorisant ainsi les améliorations nécessaires en termes de qualité, d’efficacité et d’impact de la coopération pour le développement (PNUD-GCPSE, 2014[16]; Krake, 2018[16]). Elle peut contribuer à créer des institutions parées pour l’avenir, réactives, qui s’adaptent à mesure que l’avenir se forge, et faciliter la planification stratégique des pays tout en renforçant les capacités budgétaires. La communauté du développement peut s’en servir comme outil pour étudier délibérément la manière dont les évolutions (qu’il s’agisse de tendances lentes, annuelles, ou de changements soudains et perturbateurs) risquent de menacer le bien-être collectif et la réalisation des ODD.
Les prospectivistes affichent un état d’esprit qui embrasse, plutôt que maîtrise, l’incertitude. Ils s’efforcent notamment de rechercher les « poches d’avenir » ; or, celles-ci se situent souvent en périphérie, au sein de communautés qui vivent en marge du « centre » (Sharpe, 2013[17]) et qui, de fait, risquent d’être oubliées. Pour appliquer la démarche prospective aux ODD, il sera indispensable d’inclure tous ceux qui sont laissés de côté et dans l’impossibilité de tirer parti des bienfaits du développement. Lorsque tous les membres d’une communauté sont en mesure d’examiner collectivement les avenirs qui s’offrent à eux, les résultats peuvent être particulièrement émancipateurs et donner les moyens à ceux qui se trouvent en marge d’écrire « l’histoire des populations sans histoire ».5
S’il existe de nombreux outils de prospective stratégique, dont l’utilisation dépend du contexte et des ressources disponibles, les processus de planification stratégique comportent généralement cinq composantes essentielles. Celles-ci ne sont néanmoins pas nécessairement consécutives ; le processus prospectif est toujours itératif, l’avenir se construisant à la faveur du dialogue et non de rapports prescriptifs (Secrétaire général de l’OCDE (2018[1]).
Examiner le contexte stratégique. Analyser les tendances et les facteurs des contextes d’avenir possibles, ainsi que leurs interdépendances – qu’il s’agisse de la démographie, des nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle (IA), du numérique, des migrations intérieures et internationales, de la fragilité économique, des transitions géopolitiques ou des attitudes vis-à-vis de l’égalité des sexes et de la participation des femmes à la vie active. Assurer un suivi des chocs, des risques, des opportunités et des hypothèses, et identifier d’autres résultats en faisant preuve d’une capacité d’adaptation.
Intégrer ouvertement toute une diversité de points de vue. La prospective stratégique est participative et collaborative. Elle permet aux citoyens, aux communautés, aux entreprises et aux acteurs non traditionnels de participer à l’élaboration et à l’exécution du Programme 2030, en incluant les personnes vulnérables et les citoyens les plus pauvres. La diversité de points de vue permet de comprendre et de dissocier « le signal du bruit », d’acquérir une connaissance commune et de favoriser l’appropriation collective. Le dialogue et l’établissement de liens devraient être au cœur de l’analyse prospective et du réajustement des politiques. Remettre en question les idées reçues (par exemple l’idée que les tendances se poursuivront), examiner les dynamiques, envisager de multiples horizons temporels (1, 5, 15 ans, etc.) afin d’éclairer les décisions relatives à la planification budgétaire et opérationnelle, sans en subir les contraintes.
Définir d’autres futurs et tendances possibles. S’appuyer sur les scénarios et les hypothèses non seulement pour orienter la planification stratégique, mais, et surtout, pour éclairer la prise de décision actuelle. « Naviguer stratégiquement » en observant comment l’environnement se transforme, de manière à ce que les plans et les activités puissent être adaptés à mesure que le monde évolue – ce qui permettra à une équipe ou à une organisation dirigeante de piloter l’action en regardant vers l’avenir et non dans le rétroviseur des données historiques.
Mettre à profit les implications pour l’action publique. Examiner la teneur de réelles solutions de rechange et comprendre quels atouts, capacités et politiques peuvent contribuer à renforcer la résilience dans les autres futurs possibles, ainsi que la manière d’obtenir le résultat souhaité.
Adopter une démarche d’adaptation et d’innovation en matière d’examen, de suivi et de mise en œuvre. Développer la capacité institutionnelle d’apprentissage et d’adaptation (collecte de données, suivi et financement, ainsi qu’une approche de l’évaluation tolérante au risque). Effectuer des examens et un suivi en temps réel, dans la mesure du possible, y compris à travers l’évaluation des données afin d’assurer un suivi des hypothèses, des risques et des réussites. Déterminer l’intérêt d’une démarche d’adaptation dans le temps. C’est souvent à l’étape de la mise en œuvre que les problèmes surgissent ; aussi est-il important d’être aussi souple que possible.
Même si la prospective stratégique existe en tant que discipline depuis environ 70 ans, elle est jusqu’à récemment demeurée en marge des pratiques de gouvernance, d’élaboration des politiques et d’administration publique. À l’heure des crises financières, des nouvelles technologies de rupture telles que les chaînes de blocs (Encadré 12.2), des flux migratoires et de cours du pétrole fluctuants, il n’est peut-être pas surprenant que le secteur privé, le secteur public et le secteur à but non lucratif affichent un engouement soudain pour la prospective stratégique. Le Programme 2030 lui-même explique en partie l’intérêt accru des acteurs du développement international et d’autres sphères apparentées pour cette discipline, car il exige une réflexion de long terme et appelle à planifier l’avenir de manière stratégique et concertée afin de réaliser nos aspirations pour le monde et de ne laisser personne de côté.
Il est parfois difficile de prévoir quelles seront les innovations technologiques, et encore plus difficile d’imaginer quelles en seront les applications. En 1994, alors que naissait l’internet, qui aurait imaginé l’influence de sociétés comme Uber ou Google, l’essor de l’économie du partage ou l’émergence de technologies telles que la technologie des chaînes de blocs ? Le potentiel et les applications futures de la technologie pourraient donc se révéler beaucoup plus vastes que les exemples présentés ci-après, mais ce constat ne devrait pas empêcher la communauté du développement de tenter d’anticiper ou d’exploiter les technologies à l’appui du Programme 2030.
Les innovations technologiques ont montré une partie de leur potentiel à ouvrir des perspectives pour tous en remettant en question les modèles économiques établis. Le système de paiement mobile M-PESA, inventé au Kenya, constitue un exemple bien connu de la manière dont le téléphone portable peut faciliter l’accès de millions d’utilisateurs aux services bancaires dans divers pays en développement et marchés émergents (Banque mondiale, 2017[18]). Les progrès de la connectivité et des données permettent également d’accéder à moindre coût et plus rapidement à des informations propres à éclairer la prise de décisions, comme l’illustre l’utilisation des données mobiles pour les interventions de secours en cas de catastrophe ou le suivi des épidémies (OCDE, 2017[19]).
La technologie des chaînes de blocs offre un moyen sécurisé et décentralisé d’effectuer et d’enregistrer des transactions, sans que l’intervention d’une autorité centrale (un gouvernement, une banque) soit nécessaire. Popularisée par les monnaies virtuelles telles que le Bitcoin, la technologie des chaînes de blocs peut renforcer la transparence et la redevabilité, et réduire la corruption à travers des contrats juridiques décentralisés, le suivi de la chaîne d’approvisionnement, le suivi des paiements ou du financement et la transparence des données. L’identité numérique est un autre exemple d’utilisation prometteur. L’ODD 16, axé sur la paix, la justice et des institutions efficaces, énonce l’ambition de garantir à tous une identité juridique, notamment grâce à l’enregistrement de toutes les naissances. L’alliance ID2020 a été constituée afin d’examiner le potentiel qu’offrent des technologies comme les chaînes de blocs pour fournir des documents d’identité à tous, aider un plus grand nombre de citoyens à voter, accéder à des services financiers et bénéficier de soins de santé et d’autres services sociaux. D’autres applications propres à contribuer à la concrétisation de l’engagement de ne laisser personne de côté sont à l’étude dans des domaines comme l’éducation, la santé et l’accès à l’énergie.
L’analytique de données massives désigne une nouvelle manière d’exploiter et d’analyser les données numériques. Elle aide les pouvoirs publics à anticiper les besoins de ceux qui sont laissés de côté et à y répondre, en temps réel et à moindre coût. Ainsi, les gouvernements de pays comme le Bangladesh et la République-Unie de Tanzanie utilisent des ensembles de données géospatiales pour évaluer les niveaux d’alphabétisation ou l’accès aux moyens contraceptifs au sein de leur population (OCDE, 2017[19]).
L’intelligence artificielle (IA) « vise à doter les machines de capacités de raisonnement qui pourraient un jour surpasser celles des êtres humains » ((OCDE, 2016[20]). L’impact de l’IA sur l’emploi fait l’objet de maintes études, avec des points de vue contrastés et parfois totalement opposés sur le rôle que cette intelligence jouera dans le travail et la vie des humains : remplacera-t-elle ou augmentera-t-elle l’humain ? L’impact de l’IA sur la répartition des emplois à forte intensité de main-d’œuvre est une source de préoccupation particulière. Si, à en croire certaines analyses, l’automatisation risque de ne favoriser qu’un « chômage technologique » limité dans les pays en développement (CESAP, 2017[21]), selon d’autres, les marchés du travail seront incapables de s’adapter en suivant un rythme aussi rapide (CGD, 2017[22]). L’IA pourrait également offrir des avantages importants pour atteindre les ODD et ne laisser personne de côté. Ainsi, dans le secteur de la santé, elle pourrait permettre d’effectuer des diagnostics plus accessibles en analysant les informations pertinentes sous forme d’images (OCDE, 2016[20]) ou faciliter l’anticipation d’épidémies infectieuses en prédisant quels sont les porteurs potentiels (Fiorillo, Bocchini, & Buceta, 2018[23]) ; voir également (Furtkamp, 2017[24]) ; (de Jesus, 2016[25]) ;(Singer, 2013[26]).
Ces technologies et d’autres technologies émergentes, des biotechnologies et des matériaux avancés à la technologie des registres distribués et aux nouvelles formes de production d’énergie, peuvent perturber le statu quo dans les pays en développement en raison du « bond technologique » qu’elles peuvent provoquer grâce à des modèles économiques à faible coût et aux gains en termes d’efficience (OCDE, 2016[20]). Une approche proactive s’impose en matière d’innovation, et la prospective stratégique peut apporter une contribution utile à cet égard, car elle favorise l’anticipation en ce qui concerne la réglementation, la prise de décision et l’adoption de technologies, tout en permettant d’explorer les défis et les risques associés, alors que les décideurs du monde entier cherchent à réduire au minimum l’effet distributif ou négatif des technologies.
Dans les pays de l’OCDE, l’intérêt pour la prospective stratégique apparaît de manière manifeste dans les exercices nationaux de planification du développement, qui sont l’occasion d’élaborer un nombre croissant de « stratégies nationales » et d’adopter des approches transversales, intégrées, associant tous les niveaux d’administration, y compris au sein des organismes de financement du développement. De nombreux gouvernements dans le monde recourent à la prospective stratégique, mais à des fins différentes – éclairer les programmes d’action et définir de nouvelles solutions, renforcer la pertinence et l’efficacité des consultations, créer des liens pluridisciplinaires entre les différents domaines de l’action publique, traditionnellement cloisonnés, etc.
Dans des pays comme le Canada, la Finlande et la Slovénie, ces approches systémiques de l’avenir sont appliquées à l’échelle de l’ensemble de l’administration ; dans d’autres comme les Pays-Bas et le Royaume-Uni, elles relèvent de chaque ministère ; en Australie, le gouvernement mène cet effort avec l’appui des centres de recherche6 . De nombreux autres gouvernements nationaux réalisent qu’un processus d’élaboration des politiques efficace et inscrit sur le long terme exige d’introduire des innovations en matière de gouvernance, au niveau de l’exécutif, dans l’administration, au sein du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire, où sont créées maintes nouvelles unités, structures et fonctions – jusqu’à des ministres de l’Avenir7 . Dans certains cas, ce processus suppose d’élaborer des stratégies nationales de développement. Ainsi, la vision de la Finlande, consacrée dans le plan de mise en œuvre de la Commission nationale du développement durable, propose un cadre à long terme pour le développement durable. Parmi ses mesures prioritaires figurent l’alignement plus étroit des activités prospectives sur la mise en œuvre des ODD, le développement des compétences des agents publics et la création de conditions propices à des travaux de longue haleine.
En Allemagne, l’accord de coalition de 2013 a établi une activité intraministérielle plus systématique incluant notamment l’Agence allemande de coopération internationale, ainsi qu’un réseau interministériel dirigé par l’Académie fédérale pour la politique de sécurité. Le dernier accord de coalition a renforcé cette activité – malgré des pressions intérieures et extérieures de court terme, au rang desquelles figurent les migrations et les différends commerciaux – et a créé une unité de prospective au sein de la Chancellerie. Les organismes nationaux de développement ont également adopté des approches prospectives, que ce soit en Allemagne ou dans d’autres pays membres du Comité d’aide au développement (CAD) – au Royaume-Uni, en Suède et en Irlande par exemple.
À l’aide de méthodes comme l’analyse prospective ou l’analyse de scénarios, nous recensons [au sein du ministère] les tendances et les facteurs indicatifs des futurs possibles, afin de mieux appréhender les incertitudes et de mieux se préparer aux évolutions et futurs possibles. L’analyse qui en découle et l’ouverture à une multiplicité de solutions et de trajectoires forment un socle important pour la prise de décisions stratégiques et la planification de la politique de développement de l’Allemagne.
Michael Krake, Directeur du cabinet politique, ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du développement (2018).
Entre autres exemples, citons également le réseau de commissaires pour les générations futures, à l’œuvre dans 13 pays, la loi sur le bien-être des générations futures (pays de Galles), adoptée par l’Assemblée galloise en 2015 et qui a institué la fonction de Commissaire pour les générations futures, avec des obligations légales et des mesures incitatives (Future Generations Commissioner for Wales, 2015[27]), la campagne visant à établir une commission des Lords pour les générations futures au Royaume-Uni8 , ainsi que le Système européen d’analyse stratégique et politique (une collaboration entre les institutions européennes)9 . Cette approche intersystème, multipartite, de l’établissement d’institutions durables est absolument nécessaire si l’on veut créer un écosystème d’institutions de gouvernance qui soit suffisamment robuste pour résister à la pression constante du « tout-présent ».
Dans les économies émergentes également, les processus de planification du développement sont de moins en moins l’apanage d’un ministère unique (de la Planification ou des Finances), au profit d’une approche pluriministérielle s’inscrivant dans le cadre d’une compréhension plus large et à plus longue vue du contexte international. Dans certains cas, ces processus deviennent également plus souples, participatifs et itératifs, comme le montrent les exemples de la Colombie, du Costa Rica, de la Malaisie, du Pakistan, du Rwanda et de la Tunisie. Des exercices prospectifs ont été menés à l’échelle de villes et de régions, et le Brésil et l’Indonésie constituent à cet égard des exemples intéressants ; des engagements ont aussi été pris vis-à-vis d’institutions en vue d’introduire de nouvelles pratiques de planification, comme dans le cas de la Thaïlande ; enfin, des collaborations ont été instaurées, par exemple entre le Cameroun et l’Unicef (UNICEF, 2018[28]). Dans de nombreux pays, la prospective stratégique devient un moyen puissant et efficace de mettre à profit différents points de vue pour adopter une approche unifiée de la planification nationale – les ministères latino-américains de la Planification, ainsi que l’Afrique du Sud et Maurice, faisant preuve d’un esprit d’innovation et d’un engagement particuliers en la matière.
Nous devons revoir nos politiques et nos méthodes de planification et fixer des objectifs nationaux qui s’alignent sur les ODD mais aussi sur les priorités nationales de développement, afin d’assurer un développement plus global et plus durable pour le pays. À cette fin, la prospective et l’innovation pourraient constituer des outils efficaces pour mettre en place un cadre national de développement plus robuste et plus stratégique.
Niroshan Perera, ministre des Politiques nationales et des affaires économiques du Sri Lanka (Perera, 2016[29])
On a tendance à omettre et à méconnaître les exemples, pourtant porteurs de transformation, de démarche prospective émanant de la société civile. Parmi ceux-ci figurent les North Star Scenarios élaborés par l’initiative NADPI (Northern Areas People’s Development Initiative) pour Port Elizabeth, en Afrique du Sud (Reos Institute, 2013[30]) ; les travaux menés par la Société internationale pour le développement dans la Corne de l’Afrique depuis les années 90 ; ainsi que ceux de l’International Civil Society Centre (ICSC, 2018[31])10 et du réseau IARAN (réseau interinstitutionnel d’analystes régionaux)11 visant à réunir des acteurs du développement et de l’action humanitaire afin de déterminer les structures, les politiques et les mesures sectorielles nécessaires pour répondre aux besoins humanitaires futurs.
On observe également un renforcement de l’innovation et de la coopération dans le cadre d’initiatives de développement multipartites, notamment entre des organismes internationaux et multilatéraux, des ministères de pays donneurs membres de l’OCDE et d’autres acteurs du développement tels que des ONG internationales, des entreprises et des organisations de la société civile.
Dans le cadre des Nations Unies, les réformes engagées par le Secrétaire général et le Vice- Secrétaire général dans le domaine du développement soulignent l’importance du rôle que peuvent jouer les résidents coordonnateurs pour mettre à profit la prospective stratégique afin de promouvoir l’unité d’action des Nations Unies (« One UN ») dans les pays et d’aider les gouvernements à collaborer avec leurs partenaires au développement afin d’atteindre les ODD. D’autres exemples peuvent être cités :
Le Fonds monétaire international (FMI) a dernièrement recouru à l’analyse de scénarios dans le cadre de son programme pour l’Afrique, ainsi que pour renforcer la préparation et la capacité de réactivité de l’organisation face à de futures crises mondiales (FMI, 2009[32]).
Les « laboratoires de littératie du futur » et le réseau dédié de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) s’emploient à promouvoir la réflexion hors des sentiers battus et la recherche de solutions novatrices.
Les travaux menés par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) au Tadjikistan en vue d’intégrer systématiquement les aspects relatifs à l’appartenance ethnique, à la jeunesse et à l’emploi ont abouti à un niveau exceptionnel de participation des jeunes à la définition de leur avenir (UNICEF, 2018[28]).
Le projet mené par l’Organisation internationale du travail (OIT) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) sur l’avenir de l’emploi des jeunes en Égypte montre la force de la coopération entre les donneurs (Feki, 19 avril 2017[33]).
L’Organisation internationale des institutions supérieures de contrôle des finances publiques (INTOSAI) collabore avec des institutions nationales du domaine afin d’examiner le rôle qu’elles peuvent jouer pour garantir que les ministères publics élaborent des politiques axées sur le long terme.
Omidyar Network étudie le potentiel de conjuguer « design thinking », pensée systémique et prospective stratégique afin d’accélérer la transformation sociale dans le cadre des travaux qu’il soutient, au Nigéria et ailleurs.
La prospective occupe également une place de plus en plus centrale dans les travaux de l’OCDE (Encadré 12.3).
L’OCDE encourage l’adoption d’approches inclusives à l’échelle de l’ensemble de l’administration pour élaborer de nouvelles stratégies nationales de développement à long terme, et la prospective stratégique est un élément clé de cet effort. L’Organisation peut également offrir un cadre de discussion sur le rôle de la prospective stratégique dans la coopération pour le développement.
Au sein de l’OCDE, le renforcement de la capacité d’anticipation stratégique, ainsi que son intégration dans tous les axes de travail de l’Organisation, constituent une priorité. Non seulement les donneurs du secteur public reconnaissent-ils de plus en plus la nécessité de comprendre quel sera notre environnement futur, mais la capacité que possèderont les services de l’OCDE en matière de prospective stratégique est jugée déterminante pour faciliter l’articulation d’un programme d’action plus cohérent et interdépendant qui permette de relever des défis mondiaux. L’Unité de prospective stratégique au sein du cabinet du Secrétaire général aide les gouvernements, les directions de l’OCDE et l’Organisation dans son ensemble à renforcer leurs capacités d’anticiper des avenirs incertains, complexes et turbulents, et de s’y préparer. Elle est notamment chargée de diriger la Communauté de prospective publique, épicentre de l’expertise en matière de prospective stratégique dans l’administration nationale, qui s’emploie à renforcer les capacités dans ce domaine à l’échelle de l’Organisation tout entière, à aider les gouvernements à améliorer leur gouvernance anticipative et à introduire une démarche prospective dans le dialogue mondial sur les politiques.
Par ailleurs, en 2018, la Direction de la coopération pour le développement de l’OCDE a mis en place une unité de prospective dédiée afin de renforcer les connaissances dans ce domaine et de développer une culture du futur, le but étant de faire en sorte que les politiques de coopération pour le développement demeurent pertinentes et adaptées à l’avenir. L’unité collaborera avec le CAD afin de recenser les facteurs de changement et les mégatendances non linéaires et dynamiques qui influent sur la coopération pour le développement. Ces travaux éclaireront les discussions menées au sein du Comité sur l’avenir de cette coopération, et notamment sur les enjeux et les opportunités. L’OCDE mène d’autres projets dans le domaine de la prospective, à l’instar de l’examen des mégatendances à long terme dans le rapport Les grandes mutations qui transforment l’éducation (OCDE, 2016[34]), de l’analyse prospective effectuée par la Direction des statistiques et des données en vue d’établir de nouvelles mesures et de l’analyse de scénarios par pays réalisée dans le cadre des projets liés aux examens multidimensionnels par pays.
L’intérêt renouvelé pour la prospective s’accompagne d’une reconnaissance croissante de l’utilité, pour toutes les communautés et tous les pays, en tous temps, de mener une réflexion collective sur l’avenir – et d’en avoir la capacité. Cette réflexion est au cœur de l’acte de développement lui-même et est essentielle pour que le monde atteigne les ODD. Loin d’être un luxe, la prospective est une nécessité.
Alors que la communauté de la coopération pour le développement s’efforce d’accomplir des progrès réels pour ne laisser personne de côté, la prospective doit devenir une partie intégrante des politiques et de l’action. Afin d’améliorer leurs politiques et d’orienter l’impulsion stratégique dans la mise en œuvre des ODD au bénéfice de tous, les fournisseurs de coopération pour le développement peuvent mettre à profit la prospective stratégique de manière à être parés pour l’avenir et s’inspirer de ses enseignements pour explorer collectivement les avenirs qui s’offrent à nous.
Les points qui suivent présentent les possibilités et situations stratégiques et opérationnelles où la coopération pour le développement peut mettre à profit la prospective stratégique pour être davantage adaptée au but poursuivi :
Alors que les pays adoptent des approches de l’élaboration des politiques applicables à l’échelle de l’administration dans son ensemble et inscrites sur le long terme, la coopération pour le développement fera partie intégrante de ces nouvelles approches, car elle contribue à faciliter l’obtention de bénéfices mutuels. Par exemple, l’expertise en matière d’élaboration de politiques de développement relatives aux biens publics mondiaux et aux ODD peut apporter un concours important lorsque ces aspects sont absents du dialogue national.
Saisir les occasions d’investir dans l’analyse et le dialogue collectifs, prospectifs – à l’échelle des pays, autour d’ODD bien précis et sur les questions frontalières. Aider les pays en développement à effectuer des exercices de planification à long terme (visant l’horizon 2030, voire au-delà) et veiller à ce que les implications possibles des nouvelles technologies en matière de répartition, d’accès, de gouvernance et d’équité soient également examinées (voir le « Point de vue » d’Achim Steiner, Administrateur du PNUD).
Les interventions des donneurs du secteur public en faveur du développement devraient s’appuyer sur la prospective stratégique pour la conception et la mise en œuvre des programmes, afin d’être résilientes, participatives et transformatrices – et de ne laisser personne de côté. Les donneurs devraient fonder leurs processus de gestion des risques et de versement sur des tendances et des scénarios à long terme, de manière à s’assurer que les investissements en faveur du développement fassent, sur le temps long, bon usage des ressources ; ils devraient également intégrer la dimension de l’incertitude dans l’élaboration des politiques et leur mise en œuvre ; et mettre en place des mécanismes de gouvernance, de redevabilité et de consultation souples et modulables, qui privilégient la dimension locale et soient sensibles aux évolutions futures.
Revoir les approches traditionnelles des partenariats et de la collaboration avec d’autres acteurs du développement. Il y a matière à réunir les entreprises, les universitaires, les organisations de la société civile et d’autres institutions et organisations dans le cadre du dialogue sur la prospective aux fins de la coopération pour le développement, afin d’esquisser des visions d’avenir réellement porteuses de transformation et de mettre en évidence des idées totalement neuves et appropriées, ainsi que des ressources permettant de les concrétiser. L’idée de créer un espace d’échange multipartite sur un avenir commun est simple et forte, mais elle peut être complexe à concevoir et à mettre en œuvre. Il convient de déployer des efforts supplémentaires pour la concrétiser.
Appuyer les demandes d’expertise des gouvernements des pays en développement ainsi que leur capacité à faire participer les citoyens à l’échelle du pays, des villes et d’autres niveaux infranationaux à titre de composante fondamentale d’une réforme de la gouvernance et du secteur public. La capacité de l’exécutif à envisager de manière systématique le long terme, la formation des fonctionnaires, la mise en place d’institutions inclusives, l’appui au pouvoir législatif et aux processus des commissions de vérification des comptes et des organismes en charge des données sont autant de capacités essentielles pour les infrastructures de gouvernance.
Saisir les occasions de promouvoir et d’accroître le partage des connaissances et l’innovation entre les organisations de coopération pour le développement. Il est essentiel d’appuyer les efforts des différents acteurs du secteur du développement qui acquièrent de nouvelles capacités et produisent de nouveaux travaux, initiatives et instruments pour aider les pays à exploiter les nouvelles possibilités ou à répondre aux crises naissantes et, à terme, veiller à ne laisser personne de côté. Ces efforts sont constamment menacés par les convaincants appels à réduire les coûts, à privilégier les parties prenantes et les préoccupations actuelles et à se concentrer sur le court terme.
S’efforcer de repérer les signaux faibles qui peuvent être des indicateurs précoces d’événements profondément transformateurs – qu’ils s’agisse d’événements perturbateurs susceptibles d’entraîner un conflit ou une maladie (auquel cas il convient d’investir dans les solutions de prévention nécessaires) ou porteurs d’améliorations potentielles majeures pour le bien-être de l’humanité. Les mégatendances12 peuvent assombrir l’avenir proche, mais elles représentent aussi des bassins d’opportunités fantastiques qui permettent aux individus d’imaginer un avenir meilleur.
Adopter une démarche prospective pour prévenir les nuisances à effet lent. Dès lors qu’une nouvelle problématique d’avenir est analysée et cernée (par exemple, une crise humanitaire provoquée par de mauvaises récoltes ou la nécessité, pour un système de santé, de s’armer contre de nouveaux agents zoonotiques), la volonté politique doit être réunie pour investir dans des mesures de prévention qui empêchent la concrétisation de ces nuisances.
Adopter des démarches prospectives souples et modulables afin de promouvoir l’innovation dans le cadre de pratiques prospectives adaptées aux contextes de développement. De telles démarches doivent mettre rapidement à profit les enseignements tirés et favoriser la participation et l’action dans des situations caractérisées par un manque de ressources, de temps ou de capacités.
Élaborer des politiques et adopter des modes de gouvernance axés sur les générations futures qui reflètent les trajectoires d’évolution des diverses parties prenantes et du futur cadre institutionnel.
[18] Banque mondiale (2017), M-money channel distribution case – Kenya: Safaricom M-PESA, Société financière internationale, Groupe de la Banque mondiale, http://documents.worldbank.org/curated/en/832831500443778267/M-money-channel-distribution-case-Kenya-Safaricom-m-pesa.
[21] CESAP (2017), Artificial Intelligence in Asia and the Pacific, Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique, http://www.unescap.org/sites/default/files/ESCAP_Artificial_Intelligence.pdf.
[22] CGD (2017), Inability of labor markets in particular to adjust to rapid change, Centre for Global Development, Washington D.C., https://www.cgdev.org/publication/automation-ai-and-emerging-economies.
[11] Conway, M. (2015), Foresight Infused Strategy Development: A How-To Guide for Using Foresight in Practice, Thinking Futures, Melbourne, Australie.
[4] Davies, R. et J. Pickering (2015), « Adapter la coopération au développement aux défis du futur : enquête réalisée auprès des pays partenaires », OECD Development Co-operation Working Papers, no. 20, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/5js3bfxqd9ln-fr.
[25] de Jesus, C. (2016), « New AI can predict where the next disease outbreak may be », Futurism, http://futurism.com/new-ai-can-predict-where-the-next-disease-outbreak-may-be.
[33] Feki, F. (19 avril 2017), How Futures Foresight Informs Decision Making, http://blog.itcilo.org/how-futures-foresight-informs-decision-making.
[23] Fiorillo, G., P. Bocchini et J. Buceta (2018), « A predictive spatial distribution framework for filovirus-infected bats », Scientific Reports, vol. 8/1, p. p. 7970., https://www.nature.com/articles/s41598-018-26074-4.
[32] FMI (2009), Strategic Planning and Management: An Overview, document présenté au séminaire sur la planification et la gestion stratégiques, Fonds monétaire international, http://blog-pfm.imf.org/files/jai-seminar.pdf.
[24] Furtkamp, J. (2017), « Could artificial intelligence help us predict the next epidemic? », RESET, http://en.reset.org/blog/could-artificial-intelligence-help-us-predict-next-epidemic-06272017.
[27] Future Generations Commissioner for Wales (2015), Well-being of Future Generations (Wales) Act 2015, Future Generations Commissioner for Wales, http://futuregenerations.wales/about-us/future-generations-act.
[8] GPEDC (2018), Document final de Nairobi, Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement, Paris et New York, http://effectivecooperation.org/wp-content/uploads/2017/05/OutcomeDocumentFRfinal.pdf.
[9] GPEDC (2011), Accord de Partenariat de Busan, Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement, http://effectivecooperation.org/about/principles.
[1] Gurría, A. (2018), Emerging Markets Forum: Global Trends and Implications for Policy Today, OCDE, Paris, http://www.oecd.org/fr/developpement/emerging-markets-forum-global-trends-and-implications-for-policy-today-june-2018.htm.
[31] ICSC (2018), «Scanning the Horizon”, International Civil Society Centre, Berlin, http://icscentre.org/our-work/scanning-the-horizon.
[16] Krake, M. (2018), Development policy in 2032: Global trends and hypotheses on future development cooperation, Federal Ministry for Economic Cooperation and Development, Berlin, Allemagne, http://www.bmz.de/en/publications/type_of_publication/strategies/Strategiepapier445_02_2018.pdf.
[13] Miller, R. (2007), « Futures literacy: A hybrid strategic scenario method », ScienceDirect – Futures, vol. 39, pp. 341-362, http://ssrn.com/abstract=2541587.
[12] Mintzberg, H. et J. Jorgensen (1987), « Emergent strategy for public policy », Canadian Public Administration, vol. 30/2, pp. 214-229, https://doi.org/10.1111/j.1754-7121.1987.tb00079.x.
[10] OCDE (2018), Opportunities for All: A framework for policy action on inclusive growth, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264301665-en.
[7] OCDE (2018), Policy Coherence for Sustainable Development 2018:Towards Sustainable and Resilient Societies, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264301061-en.
[19] OCDE (2017), Coopération pour le développement 2017 : Données et développement, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/dcr-2017-fr.
[14] OCDE (2017), Measuring Distance to the SDG Targets: An Assessment of Where OECD Countries Stand, Éditions OCDE, http://www.oecd.org/fr/sdd/measuring-distance-to-the-sdgs-targets.htm.
[37] OCDE (2016), Better Policies for Sustainable Development 2016 : A New Framework for Policy Coherence, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264256996-en.
[34] OCDE (2016), Les grandes mutations qui transforment l’éducation, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/trends_edu-2016-fr.
[20] OCDE (2016), Science, technologie et innovation : Perspectives de l’OCDE 2016, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/sti_in_outlook-2016-fr.
[5] OCDE-PNUD (2016), Vers une coopération pour le développement plus efficace, Éditions OCDE, Paris, http://www.oecd.org/fr/cad/vers-une-cooperation-pour-le-developpement-plus-efficace-9789264277601-fr.htm.
[2] ONU (2017), Rapport du Secrétaire général, Repositionnement du système des Nations Unies pour le développement en vue de de la mise en œuvre du Programme 2030 : garantir à chacun un avenir meilleur, Assemblée générale de Nations Unies, New York, http://undocs.org/fr/A/72/124.
[3] ONU (2015), Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030, Assemblée générale des Nations Unies, New York, http://undocs.org/fr/A/RES/70/1.
[29] Perera, N. (2016), Statement by State Minister of National Policies and Economic Affairs for the National Summit on Foresight and Innovation for Sustainable Human Development, http://www.lk.undp.org/content/srilanka/en/home/presscenter/speeches/2016/Statement-by-the-State-Minister-for-National-Policies-and-Economic-Affairs.html.
[6] PNUD-GCPSE (2014), Foresight as a Strategic Long-Term Planning Tool for Developing Countries, PNUD-GCPSE, Global Centre for Public Service Excellence, Singapour, http://www.undp.org/content/dam/undp/library/capacity-development/English/Singapore%20Centre/GPCSE_Foresight.pdf.
[30] Reos Institute (2013), NorthStar Scenarios:A community-owned process to explore the future of the Northern Areas of Port Elizabeth, http://reospartners.com/wp-content/uploads/old/131027%20Scenarios%20Case%20Study%20-%20NorthStar%20.pdf.
[15] Ritchie, H. (2018), « Measuring progress towards the Sustainable Development Goals », SDG-Tracker.org, http://sdg-tracker.org.
[36] Secrétaire général de l’OCDE (2017), Unprecedented Unpredictability: Digital Transformation, http://www.oecd.org/science/gsg-future-of-jobs-in-digitalised-world-nov-2017.htm.
[17] Sharpe, B. (2013), Three Horizons: The Patterning of Hope, Triarchy Press, Charmouth, https://www.triarchypress.net/three-horizons.html.
[26] Singer, E. (2013), « AI could help predict which flu virus will cause the next deadly human outbreak », Wired, http://www.wired.com/2013/09/artificial-intelligence-flu-outbreak.
[35] Snowden, D. (2011), Risk and Resilience, YouTube, http://www.youtube.com/watch?v=2Hhu0ihG3kY.
[28] UNICEF (2018), UNICEF use cases: Child-centered foresight in practice, Fonds des Nations Unies pour l’enfance, http://www.unicef.org/policyanalysis/foresight/index_102325.html.
← 1. Voir (OCDE, 2018[7]) ; comparer également avec le Cadre de cohérence des politiques au service du développement durable (OCDE, 2016[37]), où les horizons de planification à long terme figurent parmi les huit éléments clés du cadre.
← 2. Voir également (Snowden, 2011[35]), « Risk and resilience », YouTube, www.youtube.com/watch?v=2Hhu0ihG3kY.
← 3. Seuls 51 % des pays disposent de tous les éléments nécessaires pour mener un dialogue digne de ce nom avec les organisations de la société civile, tandis que dans 63 % des pays, le manque de « champions » capables de faciliter un dialogue de qualité entre le secteur public et le secteur privé ne permet pas d’exploiter le potentiel existant (OCDE-PNUD, 2016[5]).
← 4. Les événements appelés « cygnes noirs » sont des événements inédits, imprévus, qui ont des effets majeurs et sont souvent, a posteriori, indûment rationalisés à la faveur du recul acquis. Le PNUD-GCPSE (2014[6]) les associe aux « inconnues que nous ne connaissons pas encore » (les situations que les planificateurs ne savent pas qu’ils ne connaissent pas) et aux « facteurs de rupture » (événements à fort impact dont la probabilité est très faible). Le Secrétaire général de l’OCDE Angel Gurría (2017[36]) emploie l’expression « un avenir difficile à prévoir » pour décrire le monde actuel, qui est confronté à des changements toujours plus instables, incertains, rapides et simultanés.
← 5. Cette notion (« stories for the storyless » en anglais) est couramment utilisée dans le domaine de la prospective. Elle est notamment mentionnée par l’International Futures Forum (voir www.internationalfuturesforum.com/iffblog).
← 6. L’Unité de prospective stratégique de l’OCDE aide les gouvernements, les directions de l’OCDE et l’Organisation dans son ensemble à renforcer leurs capacités d’anticiper des avenirs incertains, complexes et turbulents, et de s’y préparer.
← 7. Pour des exemples en la matière, voir www.government.se/government-of-sweden/prime-ministers-office/mission-the-future/council-on-the-future ou www.mocaf.gov.ae/en/area-of-focus/future-foresight.
← 12. Les mégatendances sont des forces de développement mondiales, durables et macroéconomiques qui influent sur les entreprises, l’économie, la société, la culture et la vie privée et qui, par conséquent, définissent notre monde futur et son rythme d’évolution, de plus en plus rapide.