Pour certains volets des cadres d’intégrité des pays de l’OCDE, le déficit de mise en œuvre, c’est-à-dire l’écart constaté entre l’adoption et la mise en pratique des textes et des politiques, est important. En moyenne dans les pays de l’OCDE, le déficit de mise en œuvre des cadres d’intégrité publique et de lutte contre la corruption, c’est-à-dire l’écart entre la proportion moyenne de mesures réglementaires normalisées adoptées et la proportion moyenne de mesures réglementaires normalisées mises en œuvre en pratique, s’élève à 17 points de pourcentage. S’il est important que les pays de l’OCDE énoncent, dans leurs textes législatifs et réglementaires, des exigences ambitieuses et des méthodes de travail claires, ils devraient se garder de miser à l’excès sur la création de règles. Ce n’est qu’en assurant la mise en œuvre des textes en pratique qu’ils pourront atténuer les risques de corruption et faire respecter l’intégrité ; il pourra s’agir, par exemple, de sensibiliser les titulaires de charges publiques aux normes et processus d’intégrité ; de définir clairement à qui il appartient de superviser les différents volets du cadre d’intégrité ; ou encore de suivre et d’évaluer les performances des politiques et processus d’intégrité. L’existence d’une réglementation robuste mais non appliquée en pratique peut d’ailleurs susciter un sentiment d’impunité et faire baisser la confiance.
De plus, il est indispensable que les pays suivent mieux la mise en œuvre des principaux volets de leur cadre d’intégrité et de lutte contre la corruption. Ce suivi doit prendre la forme d’un processus continu, basé sur un recueil systématique de données sur des indicateurs prédéfinis permettant de déterminer le degré de réalisation des objectifs et les progrès accomplis. Or, de nombreux pays sont dans l’incapacité de fournir des éléments probants sur la mise en œuvre de volets cruciaux de leur cadre d’intégrité et de lutte contre la corruption. En effet, 60 % des pays de l'OCDE n'évaluent pas la mise en œuvre de leur stratégie d’intégrité et de de lutte contre la corruption. Du fait de l’absence de véritable suivi, il leur est impossible d’évaluer si, en pratique, leurs politiques et processus atténuent les risques de corruption et renforcent l’intégrité. Pourtant, pour assurer la robustesse des cadres d’intégrité, il est fondamental de recueillir des données sur leur mise en œuvre. Par conséquent, quand un pays ne dispose pas d’éléments probants sur les performances de volets importants de son cadre d’intégrité, il a tout intérêt à prendre des dispositions pour améliorer ses processus de suivi.
Les chapitres qui suivent détaillent ces constats et présentent les performances actuelles des principaux volets des cadres d’intégrité des pays de l’OCDE.
L’adoption d’une démarche stratégique peut permettre à un pays de passer de politiques éparses d’intégrité et de lutte contre la corruption à un système d’intégrité cohérent et exhaustif. Comme le montre le Chapitre 2, la majorité des pays de l’OCDE suivent désormais une démarche de ce type face à la corruption, avec la définition de stratégies adoptées au niveau de l’exécutif. Toutefois, ces stratégies ne sont pas aussi efficaces qu’elles pourraient l’être, car elles restent principalement axées sur les domaines traditionnels de la lutte contre la corruption. De plus, en moyenne, 67 % des activités prévues dans les stratégies nationales sont mises en œuvre en pratique. Les pays devraient donc avant tout œuvrer à élargir la portée de leur stratégie, en s’appuyant pour ce faire sur de meilleurs dispositifs de consultation et d’exploitation des éléments probants ; ils devraient également s’employer à renforcer la mise en œuvre, grâce à des plans d’action robustes et à des progrès sur les plans du suivi et de l’évaluation.
La mise en place de dispositifs efficaces d’audit interne et de gestion des risques permet de réduire le gaspillage de fonds publics et de limiter l’exposition aux risques de fraude et de corruption ; elle permet aussi de rassurer les responsables administratifs quant à la tenue des objectifs et à la maîtrise des risques. Le Chapitre 3 montre que les pays se sont dotés de textes robustes dans le domaine de la gestion des risques et du contrôle interne, mais qu’il convient de renforcer les règles relatives à l’audit interne. De plus, la mise en œuvre des pratiques de gestion des risques n’est pas encore arrivée à maturité, et l’audit interne reste un outil de gouvernance sous-exploité face à la corruption.
Les garde-fous érigés dans le domaine du lobbying font partie des éléments les moins robustes des cadres d’intégrité des pays de l’OCDE. Comme le montre le Chapitre 4, moins de la moitié des pays de l’OCDE ont mis en place les éléments de base des dispositifs recommandés en matière de lobbying. Les pays ne sont donc guère protégés face aux tentatives d’influence indue, alors même qu’ils sont exposés à de nouvelles menaces liées à la transition écologique, à l’intelligence artificielle et à l’ingérence étrangère. Ces risques sont aggravés par la faible transparence qui règne dans ce domaine et qui empêche les autorités de faire respecter les règles, et rend difficile pour la population de savoir qui exerce une influence sur l’action et les décisions publiques.
Les pays se sont dotés d’un arsenal réglementaire robuste en matière de gestion des conflits d’intérêts, afin d’éviter la captation de l’action publique par des intérêts privés. En moyenne, 76 % des critères définis par l’OCDE quant à la réglementation à adopter dans le domaine des conflits d’intérêts sont respectés. Toutefois, le Chapitre 5 montre que les défenses érigées par les pays dans ce domaine restent fragiles, car il faudrait améliorer nettement leur mise en œuvre ainsi que le suivi des déclarations obligatoires. Il serait possible de renforcer les processus de vérification de la sincérité des déclarations ainsi que les dispositifs prévus pour résoudre les conflits et infliger des sanctions en cas de manquement aux règles. Par ailleurs, même si certains mouvements entre le secteur public et le secteur privé peuvent permettre d’améliorer l’action publique grâce au partage de connaissances et de compétences, la plupart des pays de l’OCDE ne recueillent pas suffisamment de données sur ces mouvements pour pouvoir établir si les risques pour l’intégrité sont bel et bien atténués.
Les dons de nature politique constituent un moyen important d’exprimer son soutien à des candidats ou partis politiques, et il s’agit pour ceux-ci d’une ressource nécessaire, qui leur permet d’entrer dans la course et de représenter les intérêts de leur électorat. Toutefois, comme le montre le Chapitre 6, quand le financement de la vie politique n’est pas transparent, il existe un risque important que l’argent devienne un instrument d’influence indue et de captation de l’action publique. De nombreux pays interdisent les dons en provenance de sources étrangères ou d’entreprises publiques, mais les dons anonymes restent une source majeure d’inquiétude dans de nombreux pays de l’OCDE. Plusieurs pays sont dépourvus de commission électorale centrale robuste, et de nombreux partis politiques ne respectent pas les règles de transparence édictées. Les textes et institutions qui existent en matière de financement de la vie politique ont été conçus, il y a de nombreuses décennies de cela, pour protéger la démocratie dans un contexte national ; depuis, ils n’ont pas évolué de manière à la préserver face à l’influence étrangère et aux risques de corruption transnationale. Il faut donc les actualiser.
Enfin, la transparence est un rouage essentiel du fonctionnement des démocraties, et elle repose sur le droit d’accéder à des éléments d’information sur les activités des pouvoirs publics et des institutions publiques. Le Chapitre 7 montre que, si la publication des données susceptibles de présenter un intérêt sur le plan de l’intégrité n’est pas systématique, les pays de l’OCDE se sont dotés de textes et d’institutions robustes pour favoriser la transparence. Il est important de noter que de nouveaux travaux d’analyse ont montré l’existence d’une corrélation positive significative entre la transparence concrète de l’information publique (mesurée comme le niveau de divulgation volontariste de séries de données clés) et l’élévation des niveaux de confiance à l’égard des institutions publiques dans les pays présentant un déficit de confiance.