Cette note porte sur les fragilités financières susceptibles d'affecter les sociétés non financières en raison des mesures de confinement mises en place dans la plupart des économies du monde face à la pandémie de COVID-19. Sur la base de simulations empiriques, les auteurs évaluent dans quelle mesure ces entreprises pourraient connaître une crise de liquidité et évoquent les initiatives que les gouvernements peuvent prendre immédiatement pour réduire les risques et la profondeur d’une telle crise et s'assurer qu’elle ne se transforme pas en crise de solvabilité.
Perspectives économiques de l'OCDE, Volume 2020 Numéro 1
Note de réflexion 2 : Fragilités des entreprises durant la pandémie de COVID-19 : évaluation et réponses des pouvoirs publics
Introduction
La crise sanitaire déclenchée par la pandémie de COVID-19 a conduit les pouvoirs publics à prendre des mesures inédites pour contenir la propagation du virus. Les fermetures administratives d’entreprises, les quarantaines, les restrictions de circulation et la distanciation sociale ont entraîné une mise à l'arrêt quasi-totale de vastes pans des économies (OCDE, 2020a). De nombreux secteurs d'activité ont vu leurs ventes s’effondrer. Dans le même temps, les engagements financiers envers les fournisseurs, les employés, les prêteurs et les investisseurs n’ont pas disparu, et les réserves de liquidités dans lesquelles les entreprises puisent pour y faire face diminuent rapidement. L’inversion brutale des prévisions de résultats des entreprises a nettement affaibli leurs anticipations en termes de ratios de rentabilité et de couverture des intérêts (OCDE, 2020b). Le fait qu’un grand nombre d’entreprises soient affectées simultanément constitue un défi majeur. Les producteurs de biens ou services intermédiaires ont subi eux aussi une chute de leurs ventes, même lorsque les mesures de confinement ne les contraignent pas à se mettre à l’arrêt. Alors que de nombreuses entreprises aux différents maillons des chaînes d'approvisionnement pâtissent d’un manque de liquidités, les pertes sur les crédits commerciaux pourraient s’accroître et renforcer encore les pressions sur les flux de trésorerie.
Cette crise de liquidité pourrait se transformer en une crise de solvabilité des entreprises à l'échelle mondiale. La diminution, sinon l'absence, de recettes sur une période prolongée, de même que la moindre capacité des entreprises à faire face à ce manque à gagner, pourraient compromettre leur viabilité à long terme et entraîner des fermetures volontaires et des faillites. Le capital humain et organisationnel subirait une érosion et pourrait disparaître avec la défaillance d’entreprises qui, avant la pandémie, étaient rentables et disposaient d'un bilan sain. Les chaînes de valeur mondiales seront perturbées si des entreprises très intégrées disparaissent du marché. Le degré élevé d’incertitudes entourant la trajectoire à venir de l’économie pèsera sur l’investissement des entreprises et la demande des consommateurs. Dans ce contexte, une crise de solvabilité des entreprises pourrait produire des effets négatifs à long terme sur les économies en freinant l’emploi, la productivité, la croissance et le bien-être.
Le risque d’une crise financière est élevé. En l'absence d’une réponse vigoureuse des pouvoirs publics, la multiplication des défaillances d’entreprise affaiblirait les bilans des banques et des investisseurs institutionnels, ce qui pourrait conduire à une fermeture des marchés de financement par la dette et les fonds propres, et amorcer une spirale baissière auto-entretenue au sein des entreprises, laquelle augmenterait sensiblement les probabilités d’une crise. En outre, l'association de faillites touchant un large éventail d’entreprises et du sauvetage d’entreprises systémiques par l’État pourrait nuire à la concurrence, ce qui affecterait la croissance future de la productivité.
Conscients de ces risques, les gouvernements ont adopté une série de mesures d’urgence visant à soutenir la trésorerie des entreprises. Outre le soutien apporté par les banques centrales au travers de leur politique monétaire, les autorités ont pris des mesures budgétaires comprenant le financement direct et indirect des salaires (y compris l'augmentation de la couverture et du taux de remplacement assuré par les allocations chômage, des dispositifs de chômage partiel et des indemnités de chômage temporaires), des reports d’impôt, des moratoires sur la dette et l’octroi de garanties de crédit.
La présente note évalue le risque d’une crise de liquidité généralisée au moyen d'un échantillon intersectoriel de près d’un million d’entreprises européennes, et présente les avantages et les inconvénients de différents types de mesures de soutien par l’État. L’analyse couvre l’ensemble des secteurs manufacturiers et des services non financiers1. La note se concentre sur les effets directs des mesures d’endiguement liées à la crise sanitaire (auxquels sont associés des chocs sectoriels), et fait abstraction des potentiels effets en cascade découlant des chaînes d'approvisionnement, des interdépendances financières des entreprises et des difficultés financières dans le système bancaire (i, ainsi que des ajustements structurels qui seront nécessaires dans une deuxième phase de réponse à la crise2.
Sur la base d’hypothèses fournies à titre d’illustration concernant l’évolution des ventes et l’élasticité des coûts par rapport aux ventes, la note met en lumière le risque de défaillance d’entreprise3. En comparant le pourcentage d’entreprises qui se retrouveraient à court de liquidités avec et sans intervention de l’État, les auteurs montrent que l’action des pouvoirs publics est décisive pour éviter des faillites massives et inutiles. Les principaux résultats de l'analyse sont résumés dans l’encadré 2.1.
Encadré 2.1. L'étude permet de tirer quatre conclusions principales
Sans aucune intervention des pouvoirs publics, 20 % des entreprises de l’échantillon utilisé se retrouveraient à court de liquidités au bout d’un mois, 30 % après deux mois et 38 % après trois mois. Cette proportion dépasserait les 50 % si les mesures de confinement duraient sept mois. Ces résultats s’expliquent avant tout par l'impact du confinement dans les secteurs les plus touchés.
Les entreprises courant un risque élevé de pénurie de liquidités sont pour la plupart rentables et viables. Cependant, une part importante d’entre elles ne possèdent pas les garanties suffisantes pour combler un déficit de trésorerie à l’aide de nouvelles dettes et/ou sont déjà trop endettées pour surmonter la crise en sollicitant de nouveaux prêts bancaires.
Parmi les mesures nombreuses et complémentaires mises en œuvre dans les pays de l’OCDE, les aides directes et indirectes au paiement des salaires semblent être les plus décisives pour endiguer la crise de liquidité, compte tenu du poids des coûts salariaux dans les dépenses totales.
En additionnant différentes mesures (report d'impôt, moratoire sur la dette et prise en charge de 80 % des salaires), la simulation laisse supposer que deux mois d’intervention de l’État réduiraient de 30 à 10 % le pourcentage d’entreprises se retrouvant à court de liquidités par rapport à un scénario n'incluant aucune intervention.
Un grand nombre d’entreprises courent un risque élevé de pénurie de liquidités
Les mesures de distanciation sociale et de restriction de la circulation ont un impact considérable sur les services nécessitant un contact direct entre clients et fournisseurs, sur les activités de réunion dans des lieux publics et privés, sur les voyages ainsi que sur les activités de production manufacturière non essentielle et de construction dans lesquelles les travailleurs sont en contact étroit. Les activités qui peuvent être exercées à distance ou automatisées sont relativement moins affectées, à condition que la chaîne d'approvisionnement ne soit pas interrompue et que la demande des consommateurs se maintienne au moins en partie. Il s’ensuit que la baisse d'activité devrait être variable selon les secteurs, mais identique d’un pays à l'autre.
Conformément à l'évaluation de l’OCDE (2020a) et à la Note 1 du Chapitre 2, les baisses de revenus sectorielles suivantes sont postulées : 100 % dans la fabrication de matériels de transport (CITIC V29-30), les activités immobilières (VL), les arts, spectacles et activités récréatives (VR) et les autres activités de services (VS) ; 75 % dans le commerce de gros et de détail (VG), les transports aériens (V51) et l'hébergement et la restauration (VI) ; et 50 % dans la construction (VF) et les activités spécialisées, scientifiques et techniques (VM)4. En ce qui concerne le reste des secteurs non financiers, l’estimation prudente d’une baisse de 15 % des revenus est retenue, les analyses de sensibilité faisant l’hypothèse d’un recul plus prononcé (choc de 30 % par exemple).
Trois scénarios alternatifs sont envisagés en ce qui concerne la durée du choc :
Un scénario de « confinement prolongé », qui prévoit l'évolution des positions de trésorerie des entreprises mois après mois depuis le début du confinement, sans préjuger de la durée de ce dernier ni modéliser de reprise ;
Un « scénario du choc unique », qui prévoit une forte baisse de l’activité durant deux mois, suivie d’une reprise progressive pendant quatre mois et d’un retour aux niveaux d'activité d'avant la crise à compter du septième mois après le début de la pandémie ;
Un « scénario de deux chocs successifs », qui est identique au scénario du choc unique durant les sept premiers mois mais qui prévoit ensuite un deuxième épisode épidémique à partir du huitième mois.
Les scénarios du choc unique et de deux chocs successifs ont l’avantage d’être potentiellement plus proches de l’évolution anticipée de la pandémie et du confinement dans la durée. Cependant, le scénario de confinement prolongé stylisé offre de manière plus simple une vue d’ensemble claire de la résilience des entreprises, en se fondant sur un plus petit nombre d’hypothèses concernant la trajectoire de la reprise ; il sert donc de scénario de référence tout au long de la présente note.
Une simulation comptable stylisée permet de calculer la proportion d’entreprises se retrouvant à court de liquidités mois par mois après la mise en place des mesures de confinement et ce, dans chaque scénario. Le choc économique produit par les mesures de distanciation sociale est modélisé en tant qu’évolution des flux de trésorerie d’exploitation résultant de la baisse des ventes et de la capacité limitée des entreprises à ajuster pleinement leurs frais d'exploitation. Puis, les liquidités disponibles pour chaque entreprise sont calculées en additionnant les réserves de trésorerie détenues au début de chaque mois et les flux de trésorerie ajustés en fonction du choc (encadré 2.2).
Encadré 2.2. Une méthodologie d'évaluation de la position de trésorerie des entreprises durant la crise du COVID-19
L’approche repose sur les états financiers des sociétés non financières de la base de données Orbis du Bureau Van Dijk, un cabinet de conseil qui recueille des informations bilantielles sur les entreprises cotées et non cotées à travers le monde. Une fois mises en oeuvre les procédures classiques d'épuration des données, et une fois exclues les petites entreprises (par exemple, celles qui comptent moins de 3 employés) de façon à dissiper les craintes sur la qualité des données, l'échantillon final compte 890 969 entreprises exerçant des activités dans le secteur manufacturier ou dans les services commerciaux non financiers.
Orbis est la plus grande base de données internationale sur les entreprises disponible et accessible à la recherche économique et financière. Néanmoins, l'étendue de la couverture varie fortement selon les pays. Pour parer à ces limites, la note se concentre sur 14 pays européens relativement bien couverts et évite à dessein les comparaisons approfondies entre pays ainsi que la présentation de chiffres absolus concernant l'ampleur agrégée du déficit de liquidités1. Par ailleurs, les entreprises incluses dans Orbis sont en moyenne beaucoup plus importantes, anciennes et productives que dans la population réelle, même au sein de chaque catégorie de taille. Il faut donc s’attendre à ce que la pénurie de liquidités susceptible, selon l'analyse, d'affecter les sociétés non financières corresponde à une borne inférieure.
L’étude part du principe que les dernières données disponibles pour chaque entreprise (celles de 2018) reflètent leur situation financière en temps normal, c’est-à-dire leurs chiffres moyens en termes de revenus, frais d'exploitation, paiements au titre de la dette et impôts. Le choc économique produit par les mesures de distanciation sociale est modélisé en tant qu'évolution des flux de trésorerie d’exploitation des entreprises. Pour refléter la capacité d'ajustement des entreprises, on postule, pour plus de simplicité, que l’élasticité des coûts intermédiaires par rapport aux ventes et l’élasticité de la masse salariale par rapport aux ventes sont identiques et constantes à travers les pays et les secteurs. Chaque mois, les flux de trésorerie des entreprises ajustés en fonction du choc (sur la base d’investissements nuls) sont déterminés de cette manière :
(1)
où , , renvoient respectivement à l’ampleur du choc dans le secteur s durant le mois t, à l’élasticitié des coûts intermédiaires par rapport aux ventes et à l'élasticité de la masse salariale par rapport aux ventes. Les ventes des entreprises, les coûts intermédiaires, la masse salariale, les impôts et les paiements au titre de la dette sont des valeurs annuelles qui ont été divisées par 12 pour obtenir des valeurs mensuelles moyennes.
L'élasticité des intrants intermédiaires par rapport aux ventes et l’élasticité de la masse salariale par rapport aux ventes sont estimées à l'aide d'une analyse de régression de panel fondée sur des données annuelles. La première est proche de 1, tandis que la seconde est estimée à 0.4 environ. Comme prévu, ces calculs laissent supposer que les entreprises sont mieux à même d'ajuster leur consommation de produits intermédiaires que l'apport de main d’œuvre. Pour tenir compte du fait que la capacité d'ajustement est inférieure s'agissant des chiffres mensuels par rapport aux chiffres annuels, les deux élasticités font l’objet, conformément à la méthode de Schivardi et Romano (2020), d’une réduction prudente à 0.8 et 0.2 respectivement.
Puis, les liquidités disponibles pour chaque entreprise sont calculées mois par mois en additionnant les réserves de trésorerie détenues au début de la période et les flux de trésorerie ajustés en fonction du choc, sous l’hypothèse d’une absence d’investissements :
(2)
où désigne les liquidités résiduelles du mois précédent et équivaut à la trésorerie détenue par l’entreprise dans la première période.
1. Les pays inclus dans l’échantillon sont : l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, le Royaume-Uni et la Suède.
Des principaux résultats de l’analyse (graphique 2.10, partie gauche), il semble ressortir qu’en l'absence d’intervention des pouvoirs publics, 20 % des entreprises de l’échantillon se retrouveraient à court de liquidités après un mois, 30 % après deux mois et environ 35-38 % (selon le scénario envisagé) après trois mois. Cette proportion dépasserait les 50 % si les mesures de confinement duraient sept mois (scénario de confinement prolongé). Par comparaison, en postulant une reprise progressive de l’activité économique après deux mois de confinement, comme dans les scénarios de choc unique et de deux chocs successifs, la proportion d’entreprises à court de liquidités atteindrait 40 % après sept mois. Cette proportion monterait à 45 % après 10 mois en cas de deuxième vague épidémique/confinement (scénario de deux chocs successifs)5. Le pourcentage d’entreprises se retrouvant à court de liquidités est sensiblement plus élevé dans le cas des secteurs les plus gravement affectés (graphique 2.10, partie droite). Ainsi, dans ces secteurs, le pourcentage d’entreprises manquant de liquidités atteindrait 70 % dans le scénario de confinement prolongé (50 % dans le scénario du choc unique ou de deux chocs successifs) après sept mois.
Il est important de garder à l’esprit que ces estimations représentent probablement une borne inférieure étant donné la composition de l’échantillon (entreprises plus saines) et les hypothèses prudentes en termes d'élasticité. Parallèlement, pour refléter la décision de la plupart des gouvernements d'apporter un soutien général aux entreprises dans la première phase de la crise, les simulations incluent également des entreprises qui, même en l’absence de la pandémie de COVID-19, auraient connu des pénuries de liquidités. Après un mois, le pourcentage d’entreprises dans cette situation est compris entre 1.5 et 6.5 %, selon leurs flux de trésorerie en temps normal. Par conséquent, même en considérant que l’estimation de 6.5 % constitue une borne supérieure, la crise du COVID-19 impliquerait un triplement du pourcentage d’entreprises manquant de liquidité au bout d’un mois.
Globalement, les résultats de l'analyse conduisent à penser qu’en raison de cette crise, un grand nombre d’entreprises par ailleurs rentables pourraient connaître une pénurie de liquidités susceptible d’entraîner leur faillite. Ce choc pourrait donc avoir des effets négatifs de grande ampleur et permanents.
Les entreprises encourant une pénurie de liquidités sont souvent solvables, mais pourraient peiner à contracter de nouveaux emprunts en raison de garanties limitées
Les entreprises peuvent connaître une pénurie de liquidités si leurs actifs ne sont pas suffisamment liquides pour couvrir leurs dépenses courantes. Elles peuvent toutefois rester solvables si la valeur de leurs actifs est supérieure à celle de leurs passifs ou, ce qui revient au même, si elles peuvent fournir des garanties pour obtenir de nouveaux financements bancaires (graphique 2.11, partie gauche)6. Seul un pourcentage relativement faible (10 % environ) des entreprises qui se retrouveraient à court de liquidités seraient proches de l’insolvabilité au regard de leur valeur nette globale. Cependant, les entreprises solvables pourraient peiner à obtenir de nouveaux financements bancaires : environ 28 % des entreprises se retrouvant à court de liquidités durant le confinement ne disposeraient pas des garanties nécessaires à l’obtention de nouveaux prêts. En outre, une baisse de la valorisation des actifs pendant le confinement diminuerait la valeur des garanties dont peuvent disposer les entreprises, ce qui constituerait un obstacle supplémentaire à l’obtention de financements. De la même manière, et malgré le développement qu’il a connu ces deux dernières décennies, le financement non bancaire fondé sur le marché pourrait être affecté car le prix des créances négociées augmente en période de tensions aiguës sur les marchés, comme le coût de financement des entreprises (OCDE, 2020c). Enfin, les entreprises très endettées ont tendance à présenter plus de risques d’une pénurie de liquidités. Cette tendance, couplée au niveau élevé d’incertitudes concernant les ventes et autres entrées de trésorerie à court terme, rend plus difficile l’obtention de nouveaux prêts (graphique 2.11, partie droite).
Si ces chiffres sont fondés sur plusieurs hypothèses et doivent être interprétés avec prudence, ils montrent l’intérêt d'une intervention rapide et décisive des pouvoirs publics pour protéger les entreprises et empêcher l’éventuelle faillite d’entreprises par ailleurs saines. Ce type d’intervention est indispensable pour éviter que le choc temporaire produit par la crise du COVID-19 ne porte atteinte de façon permanente au secteur des entreprises, ce qui aurait de graves conséquences pour la trajectoire de la reprise et les perspectives de croissance à long terme.
Politiques publiques visant à limiter les pénuries de liquidités et à réduire le risque de faillite
Les pays ont déjà mis en place un large éventail de mesures pour aider les entreprises à surmonter les perturbations entraînées par la crise du COVID-19 (encadré 2.3). Le modèle comptable simple décrit ci-dessus sert à illustrer l'impact attendu des interventions stylisées dans trois domaines :
Le report d’impôt. Pour aider les entreprises pendant la pandémie, plusieurs pays ont consenti des reports de paiement d’impôt. Ils sont modélisés comme un moratoire sur les paiements mensuels d'impôt (hypothétiques).
Le soutien financier au remboursement de la dette. De nombreux pays ont aussi établi des cadres législatifs autorisant provisoirement les entreprises à reporter les paiements au titre de leur dette, ou bien offrant des garanties de l’État pour faciliter l’accès à des facilités de crédit à court terme. L’impact potentiel de telles mesures est modélisé comme un moratoire sur la dette à court terme.
Le soutien temporaire au paiement des salaires. Une mesure cruciale pour éviter les pénuries généralisées de liquidités consiste à assouplir les engagements financiers des entreprises liés à leurs employés. Les pays ont ainsi mis en place des dispositifs tels que la réduction du temps de travail, des aides aux salaires, le chômage technique ou des congés maladie temporaires, dans diverses combinaisons. Toutes ces mesures permettent aux entreprises de réduire leurs frais salariaux. Elles sont modélisées de deux manières différentes : sous forme d’une réduction de 80 % sans condition de la masse salariale dans tous les secteurs7 ; et sous forme d’aide calibrée selon l'ampleur sectorielle du choc et modélisée en portant à 0.8 l'élasticité de la masse salariale par rapport aux ventes8.
Encadré 2.3. Mesures prises par les pays de l’OCDE pour soutenir les travailleurs et les entreprises face à la crise du COVID-19
Cet encadré donne quelques exemples des mesures concrètes prises par les économies de l’OCDE pour soutenir les travailleurs et les entreprises durant la crise du COVID-19. L’outil de suivi mis en place par l’OCDE fournit un panorama plus détaillé des mesures adoptées aux plans sanitaire et économique. La base de données sur les politiques fiscales menées en réponse à la pandémie regroupe les mesures prises spécifiquement dans le domaine fiscal (OCDE, 2020d). En outre, plusieurs économies de l’OCDE ont mis en œuvre des politiques dédiées aux PME (OCDE, 2020e).
De nombreux pays de l’OCDE subventionnent une réduction temporaire du temps de travail dans les entreprises affectées par le confinement. Les autorités autrichiennes, par exemple, prennent en charge jusqu’à 90 % du salaire net des travailleurs dans l’ensemble des secteurs (hors service public). Ce dispositif permet de réduire temporairement à zéro le nombre d’heures travaillées, même si les employés doivent travailler au moins 10 % du temps calculé sur l’intégralité de la période durant laquelle les entreprises bénéficient du soutien de l’État. Cette période peut durer jusqu’à trois mois (elle pourrait être allongée à six mois si nécessaire). Le montant total pris en charge par l’État dépend du salaire brut. Lorsque celui-ci ne dépasse pas 1 700 euros, les autorités paient 90 % du salaire net. Les employés dont les salaires sont inférieurs à 5 370 euros perçoivent 80 % de leur salaire, tandis que les salaires plus élevés ne sont pas subventionnés.
Un autre type de mesure consiste à apporter un soutien financier au remboursement de la dette. Au Canada, le Programme de crédit aux entreprises (PCE), par exemple, soutient de diverses manières l'accès des entreprises au financement durant la crise du COVID-19, dans tous les secteurs. Les petites entreprises dont l’ensemble des coûts salariaux ne dépassaient pas 1.5 million CAD en 2019 peuvent obtenir des prêts sans intérêts de 40 000 CAD maximum pour couvrir leurs frais d’exploitation (factures d’eau et d’énergie, salaires, loyers, service de la dette). Ces prêts bénéficient d’une garantie intégrale de l’État. Un quart de ces prêts seront annulés s’ils sont remboursés d’ici à la fin 2022. Dans le cas contraire, ils seront automatiquement convertis en prêts sur trois ans, assortis d'un taux d’intérêt de 5 %. Les grandes entreprises peuvent solliciter de nouveaux financements par emprunt bancaire à hauteur de 6.25 millions CAD, garantis jusqu’à 80 % par l’État. Ces prêts doivent uniquement servir à couvrir les coûts d’exploitation et ne peuvent pas être utilisés pour financer la distribution de dividendes, le rachat d’actions ou d'autres types de paiement à destination des actionnaires, ni pour augmenter la rémunération des dirigeants ou rembourser/refinancer la dette existante.
Outre les prêts garantis, quelques pays de l’OCDE subventionnent directement les coûts d’exploitation des entreprises. La Norvège, par exemple, aide les entreprises norvégiennes qui ont subi d’importantes pertes de chiffre d'affaires en raison de la crise du COVID-19. Toutes les entreprises imposables en Norvège, dans la plupart des secteurs (à l'exception du pétrole et du gaz, de l’industrie financière et des services aux collectivités), peuvent prétendre à cette aide à condition qu’elles n'aient pas déjà été en difficulté financière avant la crise.
La baisse temporaire des taux d’imposition, ou les reports d’impôt ou de paiement de sécurité sociale, constituent un autre moyen de prévenir les pénuries de liquidités à court terme. La Corée a ainsi mis en place jusqu’à la fin 2020 une réduction d’impôt spécifique pour les PME situées dans les zones affectées par le COVID-19. Les paiements de TVA ont également été réduits jusqu’à la fin 2020 pour les petites entreprises, c’est-à-dire celles dont le chiffre d'affaires annuel ne dépasse pas 80 millions KRW. Les petites entreprises peuvent en outre reporter leurs paiements d’impôt pendant un an au maximum et leurs versements au titre de la sécurité sociale durant trois mois maximum.
Outre les subventions, les garanties de prêt et les mesures fiscales, plusieurs économies de l’OCDE ont mis en place des dispositifs d'accompagnement pour assurer les remboursements et préserver la trésorerie d’exploitation des entreprises. En France par exemple, les autorités ont établi un service réactif, gratuit et rapide de médiation qui peut intervenir en cas de conflit relatif à un crédit entre acteurs privés. Les PME françaises peuvent aussi recourir à la médiation du crédit si elles rencontrent des difficultés avec un ou plusieurs établissements financiers. Par ailleurs, le ministère de l’Économie et des Finances a créé une cellule de crise dédiée au crédit inter-entreprises de façon à surveiller l’utilisation du crédit commercial.
Les graphiques 2.12 et 2.13 montrent à quel point chaque mesure réduit le risque d’une crise de liquidité par rapport à un scénario de non-intervention. Le graphique 2.12 en particulier représente les deux modalités de soutien temporaire au paiement des salaires dans le cadre du scénario de confinement prolongé. Le graphique 2.13 établit la distinction entre les scénarios du choc unique et de deux chocs successifs dans l’hypothèse d'une réduction sans condition de 80 % de la masse salariale dans tous les secteurs. Le dispositif de report d'impôt est celui qui a le plus faible impact sur la situation de trésorerie des entreprises, suivi des politiques de moratoire sur la dette. Les aides aux salaires semblent être la mesure la plus efficace (même si elle est potentiellement coûteuse), conformément au fait que les salaires constituent souvent une composante importante des dépenses d’exploitation. En additionnant les trois différentes mesures, une intervention des pouvoirs publics durant deux mois, par exemple, diminuerait de 30 à 10 % la proportion d’entreprises se retrouvant à court de liquidités.
Ces résultats mettent en lumière la nécessité d’une intervention publique massive, le soutien au paiement des salaires apparaissant comme la mesure la plus décisive au sein des différentes politiques de lutte contre les crises de liquidité. Cependant, plusieurs défis propres à la conception de ces mesures devront être relevés à l’avenir. Il s'agit en particulier :
Des aspects spécifiques aux pays. L'architecture institutionnelle propre à chaque pays est susceptible d’influencer la portée et l’efficacité des politiques menées. Compte tenu de l’importance des politiques du marché du travail, telle que soulignée dans cette note, il est probable que les pays possédant déjà des dispositifs avancés de soutien au marché du travail pourront apporter une réponse rapide, qui produira peu de distorsions.
De la conditionnalité des aides. Dans certains pays, la renégociation des prêts et les subventions salariales sont fonction de la réduction effective de la masse salariale et doivent servir uniquement à couvrir les coûts fixes ou à réintégrer après la crise des employés licenciés. Les mécanismes de transfert et les prêts subventionnés à destination des entreprises devraient être conçus de telle sorte que ceux-ci préservent autant que possible les emplois et ne soient pas utilisés à une fin d’intérêts exclusivement privés (par exemple, l’augmentation de la rémunération de leur dirigeant ou des paiements de dividendes).
Des mesures de court terme par rapport aux politiques de moyen terme. Dans bien des cas, compte tenu de l’urgence des mesures à prendre dans la « phase 1 » de la crise, les politiques n’ont pas été spécifiquement ciblées à court terme. À l'avenir, les politiques générales de court terme pourraient devoir être affinées et mieux ciblées de façon à garantir que l’État ne contribue pas à une mauvaise affectation des ressources, en soutenant par exemple des entreprises non viables. En outre, les politiques mises en place devront aussi être ajustées pour tenir compte de l’impact hétérogène du choc, car les entreprises ne seront pas sur un pied d'égalité face à la crise, dans des domaines autres que celui des liquidités, lorsque l'activité repartira légèrement à moyen terme.
La nouvelle normalité. L'étendue des perturbations que la crise du COVID-19 créera dans les économies est encore incertaine. Comme la demande pourrait baisser durablement dans certains secteurs, l'élaboration des politiques devrait viser à préserver les postes pourvus de manière adéquate avant la crise tout en permettant de pourvoir correctement de nouveaux postes au travers d’une réallocation de certains emplois. De la même manière, le report des paiements d’impôt et des remboursements de dette entraînera un bond de la dette des entreprises, qui se situait déjà à un niveau record. Par conséquent, il sera nécessaire pendant la reprise de trouver un juste équilibre entre la renégociation des dettes et les procédures de faillite.
Références
De Vito, A. et J.P. Gomez, (2020), « Estimating the COVID-19 Cash Crunch: Global Evidence and Policy », Journal of Accounting and Public Policy, à paraître.
OCDE (2020a), « Évaluer l'impact initial des mesures visant à limiter la propagation du Covid-19 sur l’activité économique », série Les réponses de l’OCDE face au coronavirus (COVID-19), Éditions OCDE, Paris.
OCDE (2020b), « Initial Impact of COVID-19 Pandemic on the Non-Financial Corporate Sector and Corporate Finance », à paraître.
OCDE (2020c), « Global Financial Markets Policy Responses to COVID-19 », série Les réponses de l’OCDE face au coronavirus (COVID-19), Éditions OCDE, Paris.
OCDE (2020d), « SME Policy Responses », série Les réponses de l’OCDE face au coronavirus (COVID-19), Éditions OCDE, Paris.
OCDE (2020e), « Italian regional SME policy responses », série Les réponses de l’OCDE face au coronavirus (COVID-19), Éditions OCDE, Paris.
Schivardi, F. et G. Romano (2020), « A Simple Method to Compute Liquidity Shortfalls during the COVID-19 Crisis with an Application to Italy », mimeo.