La présente note contient des estimations de la part des travailleurs atypiques qui sont particulièrement exposés à une perte de revenu ou d’emploi du fait de la mise à l’arrêt généralisée de l’activité économique résultant des mesures d’endiguement du COVID-19. Elle s’intéresse plus particulièrement aux travailleurs atypiques, car ces derniers bénéficient souvent d’un moindre accès à la protection sociale et aux dispositifs de maintien dans l’emploi que les travailleurs traditionnels. La transformation de la nature du travail a entraîné au fil des ans une augmentation progressive de la part des formes d’emploi atypiques. Cette note analyse l’aide que peuvent apporter les pouvoirs publics aux travailleurs vulnérables pendant la crise du COVID-19, ainsi que les mesures qui ont été prises à cet effet1. Les informations essentielles sont présentées de manière succincte dans l’encadré 2.4.
Perspectives économiques de l'OCDE, Volume 2020 Numéro 1
Note de réflexion 4 : Risques de distribution associés au travail atypique : faits stylisés et considérations liées à l’action publique
Encadré 2.4. Informations essentielles
Dans les pays de l’OCDE, en moyenne, les secteurs dont on estime qu’ils risquent le plus d’être directement touchés par les mesures d’endiguement du COVID‑19 représentent environ 40 % de l’emploi total. Ces secteurs emploient une large proportion de travailleurs dits atypiques, c’est-à‑dire de travailleurs à temps partiel, indépendants ou en contrat à durée déterminée. Ils captent quelque 40 % de l’emploi en moyenne dans les pays européens de l’OCDE, et plus de 50 % en Italie, aux Pays‑Bas, en Espagne et en Grèce. D’une manière générale, c’est dans le secteur des spectacles ainsi que dans les hôtels et restaurants que cette proportion est la plus élevée.
Dans de nombreux pays, les travailleurs atypiques disposent d’un moindre accès à la protection sociale que les travailleurs à temps plein en contrat à durée indéterminée. Les carences de la protection sociale peuvent être importantes pour les travailleurs indépendants, qui ont rarement droit aux indemnités de maladie et aux allocations de chômage. Par rapport aux salariés permanents, les travailleurs temporaires risquent davantage de perdre leur emploi et ont moins de chances de bénéficier du chômage partiel. Bien que leur nombre soit difficilement quantifiable, les travailleurs de l’économie informelle sont encore plus vulnérables que les autres travailleurs en cas de maladie ou de perte d’emploi.
Des mesures doivent être prises par les pouvoirs publics pour protéger les travailleurs atypiques de toute conséquence néfaste en cas de maladie et apporter une aide au revenu à ceux qui accusent une perte d’emploi ou de revenu. Cela implique de remédier, temporairement du moins, aux disparités existant entre les travailleurs traditionnels et les travailleurs atypiques en termes de protection sociale, et de cibler les aides sur ceux qui risquent le plus de souffrir de la crise, comme les petits entrepreneurs appartenant aux secteurs les plus touchés, ainsi que les travailleurs à faible revenu et informels.
Les pays de l’OCDE ont pris des mesures pour soutenir les travailleurs atypiques pendant la crise du COVID-19 :
La moitié environ des pays de l’OCDE ont étendu ou assoupli l’accès au congé de maladie rémunéré à titre exceptionnel et la majorité d’entre eux ont autorisé ou renforcé l’accès aux allocations de chômage pour les travailleurs atypiques.
Certains pays ont ouvert les dispositifs de chômage partiel aux travailleurs temporaires.
La quasi-totalité des pays de l’OCDE ont pris des mesures pour soutenir l’activité des petites et moyennes entreprises, et plusieurs économies ont introduit des dispositifs temporaires de revenu de remplacement en faveur des travailleurs indépendants qui subissent une forte chute de leur revenu. Certains pays ont octroyé un soutien supplémentaire, sur le plan fiscal et en termes de crédit, aux petites entreprises des secteurs les plus durement touchés, comme le tourisme.
L’action des pouvoirs publics devrait empêcher les effets distributifs négatifs liés à la crise de s’inscrire dans la durée. La fluidité du redéploiement des travailleurs et de l’appariement entre ces derniers et les emplois passera par des politiques actives du marché du travail et des dispositifs de requalification efficaces, s’adressant à ceux qui en ont le plus besoin, et associés à une aide au revenu adéquate pour faciliter la recherche d’emploi.
À l’avenir, les pays devraient envisager de renforcer les dispositifs de protection sociale destinés aux travailleurs atypiques. Entreprendre des réformes dans ce domaine permettrait de réduire la segmentation du marché du travail et les inégalités qui s’y manifestent.
Vue d’ensemble : l’emploi dans les secteurs les plus touchés par les mesures d’endiguement
La propagation du virus du COVID-19 dans les différents pays a incité de nombreux gouvernements à prendre des mesures sans précédent pour contenir la pandémie. Celles‑ci ont conduit à la mise à l’arrêt temporaire de nombreuses activités économiques, entraînant une forte contraction du PIB, même s’il est extrêmement difficile de la quantifier à l’heure qu’il est (chapitre 2, note de réflexion 1). Les secteurs les plus touchés sont principalement les services, comme le tourisme, et ceux qui impliquent des contacts entre les consommateurs et les prestataires, tels les restaurants et les spectacles, ainsi que la construction dans certains pays. À la seule exception, peut‑être, de celui la construction, il s’agit de secteurs dans lesquels l’activité va probablement continuer de se ressentir de la crise pendant un temps assez long, même lorsque les fermetures généralisées cèderont le pas à une lente reprise. Les mesures d’endiguement créent de profondes perturbations sur le marché du travail, auxquelles sont directement exposés 40 % des travailleurs environ (graphique 2.19), sans tenir compte des effets indirects qui se manifestent à travers les liens entre les entrées et les sorties, et les chaînes de valeur mondiales.
Les calculs reposent sur l’hypothèse d’un confinement instauré à l’échelle nationale, et non exclusivement limité à certaines régions. Dans l’ensemble des pays, on suppose que toutes les activités de production directement touchées par les mesures d’endiguement ont été totalement mises à l’arrêt. C’est la raison pour laquelle les calculs et les chiffres sont basés sur l’emploi total dans les secteurs touchés, et non sur une partie de l’emploi total en fonction de la proportion qui est supposée être mise à l’arrêt. Il s’agit là d’hypothèses, et la situation réelle ainsi que ses répercussions sur le marché du travail sont susceptibles de varier d’un pays à l’autre, en fonction des mesures d’endiguement et des dispositifs de maintien dans l’emploi qui ont été adoptés.
La présente note se penchera ensuite sur les implications en termes de distribution en identifiant, dans les secteurs hypothétiquement touchés par les mesures d’endiguement, les travailleurs qui risquent le plus de perdre leur emploi ou leur revenu, de tomber malade ou d’être confrontés à la pauvreté. L’analyse porte plus particulièrement sur les travailleurs atypiques, c’est-à‑dire les travailleurs à temps partiel, indépendants ou en contrat à durée déterminée. Ces travailleurs sont davantage exposés aux effets distributifs négatifs de la crise du COVID-19, car ils peuvent ne pas disposer d’une protection adéquate de leur revenu et de leur emploi. En réalité, la probabilité que les travailleurs atypiques touchent une forme quelconque d’aide au revenu pendant les périodes hors emploi est inférieure de 40 % à 50 % à celle observée pour les salariés traditionnels, et lorsqu’ils perçoivent des prestations, celles‑ci sont souvent bien moins généreuses que celles octroyées aux salariés traditionnels (OECD, 2019).
Les travailleurs vulnérables dans les secteurs les plus durement touchés par les mesures d’endiguement
Combien dénombre-t‑on de travailleurs atypiques ?
Les travailleurs atypiques se définissent comme suit : i) travailleurs en contrat temporaire, ii) travailleurs à temps partiel et iii) travailleurs indépendants.
Dans les pays européens de l’OCDE, en moyenne, les travailleurs atypiques représentent environ 40 % de l’emploi total dans les secteurs qui ont le plus souffert des mesures d’endiguement, ce chiffre variant de quelque 20 % en Lettonie et en Lituanie à plus de 50 % en Italie, aux Pays‑Bas, en Espagne et en Grèce (graphique 2.20).
Dans la majorité des pays, la part des travailleurs atypiques est particulièrement élevée dans les secteurs des spectacles et des arts, même si dans certains pays (comme la Suède, le Danemark, la Pologne ou la Belgique), c’est dans les hôtels et les restaurants qu’elle est la plus importante. En règle générale, c’est dans le commerce de gros et de détail ainsi que dans la construction que les travailleurs atypiques sont le moins représentés.
Bien que les travailleurs atypiques des secteurs touchés représentent une part conséquente de l’emploi total dans de nombreux pays, leur importance est probablement sous‑estimée faute d’informations relatives au travail informel, lequel occupe selon les estimations une place relativement large dans certains pays d’Europe du Sud (OIT, 2018).
On note de profondes différences au regard du type de travail atypique exercé dans les différents pays européens (graphique 2.21) :
En moyenne, et dans la majorité des pays européens, les travailleurs indépendants représentent la principale catégorie de travailleurs atypiques dans les secteurs touchés. Leur part dans l’emploi atypique varie d’un quart environ en Norvège, en Suisse, en Autriche et en Allemagne à plus de la moitié dans la majorité des pays d’Europe de l’Est et du Sud, ainsi qu’en Lettonie et en Lituanie.
Les travailleurs à temps partiel, qui se définissent comme les personnes dont le temps de travail hebdomadaire est généralement inférieur à 35 heures, constituent la deuxième catégorie la plus importante dans la plupart des pays. Le travail à temps partiel est particulièrement répandu en Suisse, en Autriche et aux Pays‑Bas, et il est généralement moins fréquent en République slovaque, en République tchèque et en Pologne.
Les travailleurs temporaires représentent approximativement 15 % des travailleurs atypiques en moyenne, moyennant toutefois de profondes différences entre les pays : cette proportion varie de moins de 4 % de l’emploi atypique au Royaume-Uni et en Irlande à quelque 40 % en Pologne et au Portugal.
Aller dans le détail pour identifier les travailleurs vulnérables
Petits entrepreneurs
Les travailleurs atypiques se heurtent tous aux risques couramment associés au bouleversement du marché du travail dû à la crise du COVID-19, car ils sont souvent moins bien protégés contre le risque de perte d’emploi ou de revenu que les travailleurs traditionnels. Certains sont toutefois particulièrement vulnérables. Les petits entrepreneurs touchés par les mesures d’endiguement peuvent être particulièrement exposés en raison d’un accès souvent limité à la protection sociale, ainsi que des risques commerciaux découlant des restrictions concernant leur activité et/ou d’un manque temporaire de liquidités (chapitre 2, note de réflexion 2).
Dans les pays européens, en moyenne, les petits entrepreneurs représentent quelque 14 % de l’emploi dans les secteurs touchés, ce chiffre variant de moins de 7 % au Luxembourg et en Norvège à plus de 25 % en Grèce et en Italie (graphique 2.22).
Dans la plupart des pays, la proportion des petits entrepreneurs est particulièrement élevée dans le secteur de la construction et relativement faible dans les activités professionnelles et immobilières.
Travailleurs atypiques à bas salaire
Les salariés atypiques occupant des emplois faiblement rémunérés sont particulièrement exposés au risque de perte de revenu découlant de la crise du COVID-19. Ces travailleurs peuvent exercer une activité qui n’est qu’occasionnelle ou irrégulière, sans atteindre parfois le seuil d’heures ou de revenu fixé pour pouvoir prétendre aux prestations liées au travail. Des conditions d’accès à la protection sociale restrictives et un faible taux de remplacement des prestations pèsent relativement plus sur le niveau de vie au bas de l’échelle des salaires.
Les salariés atypiques à bas salaire représentent en moyenne 12 % environ de l’emploi salarié dans les secteurs touchés, les salariés faiblement rémunérés constituant pratiquement 25 % de l’ensemble des salariés en Italie et près de 20 % en Allemagne, en Irlande et au Royaume-Uni. Dans le cas de l’Allemagne, la forte proportion des salariés à bas salaire peut refléter en partie l’abondance des « Mini-Jobs », qui sont généralement exonérés de cotisations d'assurance sociale salariales (graphique 2.23).
Les pays baltes et d’Europe de l’Est (à l’exception de la Pologne) enregistrent un taux moins élevé de salariés atypiques à bas salaire dans les secteurs touchés. Toutefois, la part des salariés vulnérables pourrait être sous‑estimée en raison de la proportion relativement élevée des travailleurs informels qui ne sont pas pris en compte dans les données disponibles.
La proportion de salariés atypiques à bas salaire est particulièrement forte dans les hôtels et les restaurants et particulièrement faible dans la construction.
Exposition des pays aux risques de distribution associés au travail atypique
Le graphique 2.24 présente l’exposition relative des pays aux risques de distribution résultant de l’emploi atypique en comparant la part de l’emploi total qui est pénalisée par le confinement lié au COVID-19 et celle de l’emploi atypique dans les secteurs touchés. Les pays d’Europe du Sud (à l’exception du Portugal) sont particulièrement exposés aux risques de distribution découlant des mesures d’endiguement : la part de l’emploi total et celle de l’emploi atypique dans les secteurs hypothétiquement les plus touchés par ces mesures y sont supérieures à la moyenne et la proportion de travailleurs informels y est également importante (OIT, 2018). Les pays nordiques apparaissant dans le quadrant inférieur gauche semblent relativement moins exposés, tandis que les autres pays d’Europe se classent entre ces deux groupes, avec une part relativement importante de salariés atypiques à bas salaire (en Allemagne, par exemple) et de travailleurs à temps partiel subi (en France). Les pays d’Europe de l’Est ne comptent pas parmi les plus exposés du point de vue de l’emploi atypique total, mais les petits entrepreneurs y sont nombreux (graphique 2.22).
Défis se présentant aux pouvoirs publics pour soutenir les travailleurs atypiques pendant la crise du COVID-19
Les différentes formes du travail atypique représentent une part conséquente de l’emploi dans les secteurs les plus touchés par les mesures d’endiguement du COVID-19. Il existe de profondes différences entre les pays européens, même si on observe généralement une proportion relativement importante de travailleurs indépendants dans les secteurs qui ont le plus souffert. Cette catégorie de travailleurs atypiques est celle qui a le moins accès à la protection sociale (OCDE, 2020b ; tableau 2.4). L’assurance maladie obligatoire existe pour les indépendants dans 12 pays européens de l’OCDE, même si dans certaines économies (comme le Portugal ou la Slovénie), ces travailleurs sont moins bien protégés que les travailleurs traditionnels en raison de conditions d’accès plus strictes. En règle générale, les indépendants n’ont droit ni au congé de maladie rémunéré ni aux allocations de chômage en Italie et aux États‑Unis. L’accès aux indemnités de maladie est facultatif en Pologne, aux Pays‑Bas et en République tchèque.
Plus généralement, les systèmes de protection sociale sont moins généreux pour l’ensemble des catégories de travailleurs atypiques que pour les travailleurs traditionnels. On observe de profondes disparités entre les travailleurs traditionnels et les travailleurs atypiques au regard de la probabilité de percevoir une aide au revenu en cas de perte d’emploi. Même lorsqu’ils ont droit à une aide, les travailleurs atypiques touchent souvent des prestations nettement inférieures à celles des salariés traditionnels. Les travailleurs indépendants suscitent tout particulièrement des préoccupations, car ils bénéficient d’une protection limitée, voire nulle, contre le risque de perte d’emploi ou de revenu faute de droits correspondants (OCDE, 2019).
La majorité des pays de l’OCDE sont pourvus de dispositifs de chômage partiel, lesquels permettent aux entreprises de réduire le temps de travail et les coûts de main‑d’œuvre en cas de baisse temporaire de la demande et de la production, sans avoir besoin de licencier des salariés de valeur. Pendant la Grande crise financière, les dispositifs de chômage partiel ont été mis à contribution dans 25 des 33 pays de l’OCDE et ils ont permis d’atténuer la montée du chômage et de sauver des emplois (Cahuc et Carcillo, 2011). Néanmoins, l’accès à ces dispositifs peut être limité ou formellement exclu pour les salariés atypiques, notamment les titulaires d’un contrat temporaire ou à temps partiel, dès lors que l’accès au dispositif est subordonné à l’admission au bénéfice des allocations de chômage. Même lorsque cela est possible, les entreprises ne sont probablement guère incitées à faire bénéficier ces travailleurs des dispositifs de chômage partiel, car les coûts de participation peuvent être plus élevés que les coûts de recrutement et de licenciement. Par conséquent, lorsqu’approche la fin de leur contrat, les salariés temporaires risquent fortement d’être licenciés, au lieu de se voir proposer un renouvellement de contrat et l’affiliation à un dispositif de chômage partiel.
Les travailleurs informels sont ceux qui ont le moins de chances de percevoir une aide quelconque en cas de maladie ou de perte de revenu. Cela risque d’avoir des effets négatifs sur la distribution des revenus et de la santé dans les pays où on estime que ces travailleurs occupent une place plus importante. C’est le cas dans la plupart des économies émergentes, et dans des économies avancées comme les pays d’Europe de l’Est et du Sud, la Lettonie ou la Lituanie (Putniņš et Sauka, 2018).
Priorités de l’action publique et mesures prises pour soutenir les travailleurs atypiques pendant la crise du COVID-19
Confrontés au risque d’une grave récession, de nombreux pays ont mis en œuvre de vastes trains de mesures afin d’aider les travailleurs et les entreprises à rester à flot pendant la crise. La plupart des mesures initiales visaient à soutenir les entreprises et les travailleurs pendant la pandémie, associées à des mesures d’endiguement strictes sur le lieu de travail. Dans certains cas, les mesures prises s’adressaient directement aux travailleurs atypiques et/ou à certains secteurs touchés de plein fouet. On trouvera ci‑après, dans la présente note, une analyse des mesures introduites dans les pays de l’OCDE pour protéger les travailleurs atypiques face à la crise. Le tableau 2.4 présente un aperçu de ces mesures et l’encadré 2.5 une synthèse des mesures destinées à protéger les travailleurs atypiques pendant la crise du COVID-19.
Encadré 2.5. Mesures destinées à protéger les travailleurs atypiques pendant la crise du COVID‑19
Protéger contre les effets économiques négatifs encourus en cas de maladie :
Assouplir l’accès et la couverture du congé de maladie rémunéré pour que les travailleurs atypiques puissent en bénéficier et prolonger la durée d’indemnisation pour couvrir la période de guérison requise en cas de contamination par le coronavirus.
Promouvoir l’adoption de plans de congés de maladie rémunérés auprès des employeurs et soutenir ceux qui en proposent un à leurs salariés.
Faire face aux risques de pertes importantes d'emplois et de revenus :
Élargir l’accès aux allocations d’assurance chômage et prolonger la durée d’indemnisation pour les travailleurs atypiques ayant perdu leur emploi pendant la pandémie.
Promouvoir l’adoption de dispositifs de chômage partiel, qui autorisent les entreprises à modifier le temps de travail tout en préservant l’emploi et les revenus d’activité. Des subventions salariales directes peuvent apporter une aide aux entreprises et aux secteurs lorsque la poursuite de l’activité n’est pas possible. Encourager les entreprises à faire bénéficier de ces dispositifs tous les salariés de valeur, y compris les titulaires d’un contrat temporaire.
Lorsque le secteur informel est développé, introduire des transferts temporaires pour lutter contre le risque de pauvreté.
Aider les petites entreprises à faire face au recul de l’activité :
Octroyer une aide financière aux petites entreprises via un accès privilégié à des lignes de crédit, prêts ou subventions. Introduire une aide au revenu pour les travailleurs indépendants et les petits entrepreneurs contraints de cesser leur activité.
Atténuer les pressions sur la liquidité en autorisant les petites entreprises/petits entrepreneurs à différer le paiement de leurs cotisations de sécurité sociale et de leurs impôts, notamment dans les secteurs les plus touchés.
Réduire le risque de pérennisation des effets distributifs négatifs :
Envisager de mettre en place des régimes de protection sociale plus pérennes après la crise, prévoyant l’accès et l’affiliation des travailleurs atypiques. Assurer la portabilité des systèmes de prestations sociales, afin qu’ils puissent accompagner les travailleurs.
Développer les politiques actives du marché du travail et les programmes de formation, numériques notamment, et faire en sorte que ces programmes bénéficient aux travailleurs qui ont le plus besoin d’une requalification.
Accès au congé de maladie rémunéré et aux allocations de chômage
Pour faire face à la pandémie, la moitié environ des pays de l’OCDE ont étendu ou assoupli l’accès au congé de maladie rémunéré pour les travailleurs atypiques, à titre exceptionnel. Dans certains cas, les nouvelles mesures ont instauré des conditions d’accès moins restrictives, en levant l’obligation de présenter un certificat médical (en Autriche, par exemple) ou en réduisant le délai de carence précédant la perception des prestations (comme en Estonie ou au Royaume-Uni). Certains pays ont introduit un complément spécial pour combler les disparités existant entre les travailleurs traditionnels et les travailleurs atypiques en termes de couverture et de générosité. Au Portugal et en Suisse, par exemple, une nouvelle prestation est versée aux travailleurs indépendants qui doivent se placer eux‑mêmes en quarantaine. Aux États‑Unis, seuls 43 % des travailleurs à temps partiel sont couverts par un plan patronal de congé maladie rémunéré, contre 89 % des travailleurs à temps plein. Le taux de couverture chute à 31 % pour les bas salaires (BLS, 2019). La nouvelle loi intitulée « Families First Coronavirus Response Act » permet aux salariés à temps partiel des petites et moyennes entreprises ainsi qu’aux travailleurs de l’économie de la demande (et notamment aux indépendants) de bénéficier d’un congé de maladie rémunéré pendant deux semaines au plus.
Pour protéger la totalité des travailleurs qui risquent de perdre leur emploi du fait de la fermeture des entreprises, l’accès aux allocations de chômage a été autorisé ou renforcé pour les travailleurs atypiques dans une majorité de pays de l’OCDE, en raison des profondes disparités existant à cet égard en termes de protection sociale. Au Canada, un plan d’aide d’urgence a étendu les allocations de chômage aux travailleurs à temps partiel et indépendants. En Espagne, où la proportion de salariés temporaires est parmi les plus élevées dans les pays européens (graphique 2.21), les travailleurs temporaires dont le contrat a expiré pendant l’état d’urgence et qui n’avaient pas atteint la durée de cotisation minimum requise pour avoir droit à l’assurance chômage ont perçu une allocation temporaire exceptionnelle.
Protéger les travailleurs contre les pertes de revenu d’activité et d’emploi
Une partie des pays caractérisés par une proportion relativement élevée de salariés temporaires faiblement rémunérés ont pris des mesures pour ouvrir les dispositifs de chômage partiel aux travailleurs temporaires, du moins pendant la durée des fermetures d’entreprises. C’est le cas de la Belgique, de l’Allemagne, de la France et de l’Italie. Forts de l’expérience de la récession de 2008, les gouvernements ont encouragé le recours aux dispositifs de chômage partiel ou offert des subventions salariales aux entreprises, pour compenser les pertes de revenu subies par les travailleurs et, dans le même temps, éviter les destructions d’emplois. Ces mesures sont nécessaires car bien souvent, les salariés temporaires ne satisfont pas aux conditions requises pour bénéficier des dispositifs de chômage partiel, ou lorsqu’ils remplissent ces conditions, ils ont moins de chances d’y accéder du fait de l’instabilité de leur carrière.
Plusieurs pays de l’OCDE ont introduit des dispositifs temporaires de revenu de remplacement afin de soutenir les travailleurs indépendants accusant de lourdes pertes de revenu. Au Danemark, les travailleurs indépendants qui subissent une perte de revenu supérieure à 30 % peuvent percevoir une aide en numéraire correspondant à 75 % de cette perte pendant 3 mois maximum. Les indépendants du secteur informel et les travailleurs de l’économie à la demande sont particulièrement exposés à des pertes de revenu même temporaires, car leur épargne et leur accès à la protection sociale sont limités. Des mesures ont été prises dans plusieurs pays pour octroyer une aide au revenu exceptionnelle à ces catégories vulnérables, notamment en essayant de soutenir les travailleurs informels en Italie et dans les économies émergentes comme le Chili et la Turquie, qui comptent une large proportion de travailleurs indépendants et informels. L’Australie a étendu le dispositif d’indemnisation des demandeurs d’emploi (JobSeeker Payment) aux indépendants et aux salariés occasionnels ayant des antécédents professionnels minimum.
Au-delà des mesures destinées à protéger les indépendants des pertes de revenu, la quasi‑totalité des pays de l’OCDE ont adopté des mesures pour soutenir l’activité des petites et moyennes entreprises (PME), comme l’explique en détail l’OCDE dans l’une de ses publications (2020c). Certaines mesures ont été introduites pour permettre aux PME de reporter sans pénalité le paiement de leurs impôts, loyers, factures d’eau, de gaz et d’électricité, cotisations de sécurité sociale ou charges financières. De plus, de nombreux pays ont mis en place des facilités de crédit sans précédent, comme des lignes de crédit garanties par l’État, des concours directs ou des subventions.
Certains pays ont octroyé une aide supplémentaire aux petites entreprises appartenant aux secteurs les plus durement touchés, car celles‑ci sont exposées à un risque élevé de fermeture. Outre les prêts garantis mis à la disposition de la plupart des entreprises en difficultés, le Portugal a ouvert une ligne de crédit de 60 millions EUR exclusivement destinée aux micro-entreprises du tourisme. En Hongrie, le paiement des cotisations de sécurité sociale à la charge des employeurs est suspendu pour les entreprises des secteurs du tourisme, de la restauration, du transport et des spectacles.
Réduire le risque de pérennisation des effets distributifs négatifs
L’action des pouvoirs publics devrait contribuer à empêcher les effets distributifs négatifs liés à la crise de s’inscrire dans la durée, en évitant que les pertes d’emplois dues au COVID-19 n’entraînent un chômage à long terme et, partant, un phénomène de stigmatisation et une rupture des liens avec le marché du travail. Malgré la présence de subventions salariales pendant le confinement, certains travailleurs risquent de perdre leur emploi alors que l’aide au revenu correspondante est supprimée progressivement. Ce risque est plus marqué pour les travailleurs atypiques, notamment ceux qui sont peu qualifiés et qui travaillent dans les secteurs durement touchés, dont l’activité va probablement reculer même pendant la reprise. Ce pourrait être le cas du tourisme et des hôtels et restaurants. S’il est difficile de quantifier à ce stade l’ampleur des pertes d’emplois potentielles dans différents secteurs, certaines se produiront probablement en raison d’un recul de la demande à moyen terme. L’évolution du marché du travail pourrait imposer aux travailleurs d’abandonner les secteurs en déclin pour ceux qui se développent et pour de nouveaux emplois, à fort contenu numérique ou situés dans l’économie de la demande, par exemple.
Le redéploiement des travailleurs et l’appariement entre ces derniers et les emplois devraient être fluides et inclusifs, c’est‑à‑dire en réduisant au minimum la segmentation du marché du travail et les inégalités qui s’y manifestent. Cela passera par des politiques actives du marché du travail et des dispositifs de requalification efficaces, associés à une aide au revenu adéquate afin de faciliter la recherche d’emploi de l’ensemble des travailleurs. De nouveaux programmes de formation, proposés en ligne, pourraient être mis au point pour les doter des compétences requises pour différents postes. Les pays devraient aussi envisager de promouvoir le télétravail, par exemple en mettant un accès à haut débit et d’autres infrastructures à la disposition de l’ensemble des ménages et des entreprises.
De nombreux pays de l’OCDE ont étendu temporairement aux travailleurs atypiques les congés et les indemnités de maladie ainsi que les allocations de chômage. Il y a également lieu de réfléchir à l’introduction de régimes de protection sociale plus pérennes après la crise, ainsi qu’à la portabilité des systèmes de prestations sociales, afin qu’ils puissent accompagner les travailleurs. Garantir l’égalité d’accès à la protection sociale à différentes catégories de travailleurs permettrait de rehausser la qualité de l’emploi et de contribuer à la réduction de la segmentation du marché du travail et des inégalités présentes sur ce marché. Les réformes menées dans ce domaine seraient aussi porteuses de gains d’efficience et d’équité.
Références
BIT (2018), Femmes et hommes dans l’économie informelle: Un panorama statistique (Troisième édition), Bureau international du Travail.
BLS (2019), « Bureau of Labour Statistics, Workers’s Leave Benefit Access Table, March 2019 », https://www.bls.gov/ncs/ebs/benefits/2019/ownership/civilian/table31a.pdf.
Cahuc, P. et S. Carcillo (2011), « Is short-time work a good method to keep unemployment down? », Nordic Economic Policy Review, 1/1, pp. 133-164.
OCDE (2019), Perspectives de l'emploi de l'OCDE 2019 : L'avenir du travail, Éditions OCDE, Paris.
OCDE (2020a), « Risques de distribution associés au travail atypique : faits stylisés et considérations liées à l’action publique », série Les réponses de l’OCDE face au coronavirus (COVID-19), Éditions OCDE, Paris.
OCDE (2020b), « Supporting people and companies to deal with the Covid-19 virus: options for an immediate employment and social policy response », série Les réponses de l’OCDE face au coronavirus (COVID-19), Éditions OCDE, Paris.
OCDE (2020c), « SME Policy Responses », série Les réponses de l’OCDE face au coronavirus (COVID-19), Éditions OCDE, Paris.
Putniņš, T. et A. Sauka (2018), « Shadow Economy Index for the Baltic Countries », Stockholm School of Economics in Riga (SSE Riga).