Perspectives économiques de l'OCDE, Volume 2020 Numéro 1
3. Évolution dans les pays membres de l’OCDE et dans certaines économies non membres
Tunisie
La crise du COVID-19 a porté un coup dur à l'économie, avec des conséquences préjudiciables sur l’activité, l’emploi et les revenus. La baisse des recettes du tourisme, des envois de fonds des travailleurs émigrés et de la demande d’exportations ajoute à l’impact des mesures de confinement strictes sur la demande et l’activité au plan intérieur. Le vaste train de mesures budgétaires visant à protéger les populations et l’emploi, les financements d’urgence en provenance des institutions multilatérales, la formation d'un nouveau gouvernement qui a permis de réduire les incertitudes politiques, la baisse des prix du pétrole et à la mise en service du champ gazier Nawara, sont autant de facteurs qui vont soutenir la croissance et contribuer à atténuer les coûts sociaux de la crise. Dans le scénario de deux chocs successifs qui voit une résurgence de la pandémie avant la fin de l’année, le PIB devrait selon les prévisions chuter de 8.2 % en 2020. Dans le scénario du choc unique, moins alarmant puisqu’il prévoit qu’un nouvel épisode épidémique pourra être évité, la baisse serait de 6 %.
La politique monétaire pourrait être encore assouplie, sur fond de modération de l’inflation. Les mesures budgétaires d’urgence à court terme devraient continuer de soutenir les personnes et les entreprises touchés par la crise. Pour renforcer la croissance économique et mettre les finances publiques sur une trajectoire plus viable, les autorités et les partenaires sociaux devraient dès maintenant s’engager en faveur d'un nouvel agenda de réforme structurelle à mettre en œuvre à un horizon de moyen terme. Il s’agirait notamment de supprimer les subventions à l’énergie, compte tenu du faible niveau des prix du pétrole, et de maîtriser la masse salariale dans la fonction publique afin de ménager une marge d'action en faveur d'un soutien plus ciblé sur les ménages. Il conviendrait de simplifier encore les procédures administratives et l’environnement réglementaire des entreprises pour favoriser un rebond de l’investissement, permettre à l’économie de mieux tirer profit de la relocalisation d’usines appartenant à des groupes internationaux et créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité.
Le gouvernement a réagi promptement pour empêcher la propagation du virus
Du fait de son importante diaspora et du nombre de touristes visitant le pays, la Tunisie était très vulnérable à la pandémie de COVID-19. Le premier cas confirmé a été détecté le 2 mars. La mise en place rapide de mesures aux frontières et d’un confinement strict ont permis d'aplatir la courbe des infections, avec moins de 10 nouveaux cas par jour depuis le début du mois de mai, et d'atténuer les tensions sur le système de santé. Des cas d'infection au virus du COVID-19 ont été rapportés dans tous les gouvernorats, mais la plupart des cas concernent la capitale. Les dépenses de santé publique par rapport au PIB et le nombre de lits d’hôpitaux par habitant sont plus élevés en Tunisie que dans des pays ayant un niveau de développement comparable. Quasiment tous les citoyens bénéficient d'une assurance maladie. Pourtant, le secteur de la santé a souffert d'une pénurie de matériel médical, notamment de kits de dépistage et d'équipements de protection, particulièrement dans les régions reculées.
Réagissant rapidement pour éviter une transmission du virus à partir de l’étranger, le gouvernement a fermé ses frontières terrestres, aériennes et maritimes à la mi-mars. Un dispositif de chômage partiel a été mis en place pour les travailleurs du secteur public. Les entreprises ont dû demander une autorisation spéciale pour poursuivre leurs activités avec des capacités réduites. Pour limiter encore la propagation du virus, le gouvernement a pris le 22 mars des mesures très strictes de confinement, prévoyant notamment un couvre-feu. Il a également interdit les déplacements entre gouvernorats en avril pour limiter la transmission d'une région à l’autre. La stratégie de déconfinement a commencé le 4 mai, avec la réouverture progressive des activités mais le maintien de mesures sanitaires rigoureuses et de règles strictes de distanciation sociale.
Le tourisme, l’industrie et les exportations ont gravement souffert
Depuis mars, la crise du COVID-19 a mis à mal les activités touristiques et industrielles ainsi que les exportations. Alors qu’elles avaient connu une période de croissance régulière, les recettes du tourisme se sont effondrées. Les exportations de marchandises ont chuté, malgré la bonne performance du secteur agro-alimentaire (en particulier en ce qui concerne l’huile d’olive et les tomates). L’investissement dans les secteurs de l’industrie et des services, y compris l’investissement direct étranger, a plongé. Les créations d’emplois ont été gelées ; le taux de chômage a augmenté, malgré la mise en place du dispositif de chômage partiel et en dépit des subventions versées par le gouvernement pour couvrir une partie de la masse salariale des entreprises privées et éviter des licenciements dans le secteur formel. Les mesures d’endiguement et de distanciation physique ont pesé sur la consommation des ménages, qui augmente d’habitude pendant le mois de ramadan (qui a débuté le 23 avril cette année). Les prix de l’alimentation ont connu une poussée à la hausse au printemps, en grande partie à cause des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement alimentaire.
Le gouvernement a pris des mesures pour aider les citoyens et les entreprises
Le gouvernement a adopté une série de mesures de soutien représentant au total 3 milliards TND (soit l’équivalent d’environ 2.6 % du PIB) pour atténuer les conséquences économiques et sociales de la crise du COVID-19. Les premières mesures étaient destinées à faciliter la montée en puissance des ressources de santé, notamment les équipements hospitaliers, les kits de dépistage et les équipements de protection, afin de pouvoir faire face aux contaminations avérées et de préparer l’avenir. Le deuxième volet de mesures vise à soutenir les revenus des catégories les plus vulnérables, notamment les personnes à faible revenu, les familles et les personnes âgées. Pour protéger l’emploi, le gouvernement s’est engagé à ce que l’État prenne à sa charge une partie de la masse salariale des salariés inscrits à la sécurité sociale. Pour réduire les difficultés de trésorerie des entreprises, il s’est aussi engagé à avancer le remboursement des crédit d'impôts et à différer le paiement des obligations fiscales. Pour faciliter l’accès au crédit des petites entreprises en quête de fonds de roulement et éviter les défaillances d’entreprises, il a créé un fonds de soutien à l’intention des petites et moyennes entreprises, assorti d'un mécanisme de garantie de prêts. La Banque centrale de Tunisie a abaissé son taux directeur de 100 points de base, le ramenant à 6.75 %, et a demandé aux banques de repousser les remboursements d’emprunts de particuliers et de rééchelonner les prêts aux entreprises arrivant à échéance dans les six prochains mois. Enfin, le ratio prêts/dépôts devant être respecté par les banques a été assoupli.
La baisse des cours du pétrole et la mise en service d'un vaste champ gazier permettront d'amortir la chute de l’activité
Les mesures officielles de confinement strict sont progressivement levées depuis le 3 mai. L’ouverture, dont la vitesse et l’ampleur varient d'un secteur et d'une région à l’autre, a été conduite en trois phases, du 4 mai au 14 juin. Lors de la phase initiale, du 4 au 25 mai, les services, l’industrie et les secteurs publics ont été autorisés à reprendre leurs activités à 50 % de leurs capacités, tandis que les travailleurs indépendants et le commerce de détail ont été autorisés à réouvrir complètement. La stratégie de déconfinement prévoit que toutes les activités, y compris culturelles, sportives, de loisirs et de tourisme, pourront reprendre pleinement d’ici la mi-juin. Outre la pandémie de COVID-19, quatre grands facteurs affectent l'activité économique. Premièrement, la Tunisie est importatrice nette de pétrole et bénéficie donc de la baisse des cours internationaux. Deuxièmement, le champ gazier Nawara a ouvert en mars 2020, ce qui devrait doper le PIB d’environ 1 % d’ici la fin de 2021 et permettre de réduire les importations énergétiques. Troisièmement, la formation d'un nouveau gouvernement en février, après une longue période d’incertitude politique, a un effet positif sur la confiance des investisseurs. Enfin, quatrièmement, la décision de la Commission européenne de retirer la Tunisie de la liste noire des pays exposés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme contribuera également à redynamiser l’investissement.
Le secteur industriel va pâtir de la baisse de la demande d’exportations de la part de ses principaux partenaires commerciaux européens (la France, l’Allemagne et l’Italie représentent environ 60 % des exportations tunisiennes). La crise liée au COVID-19 frappera durement le secteur du tourisme, qui contribue à hauteur de 5 % environ au PIB et représente une part significative du total de l’emploi. Le chômage pourrait augmenter et le déficit des comptes courants se creuser, du fait d’une ouverture tardive des déplacements internationaux par les pays européens, qui comptent pour une large proportion dans les recettes du tourisme, et de l’éventualité d'une deuxième vague épidémique d’ici la fin de 2020. La consommation et l’investissement privés souffriront également de la chute prévue des envois de fonds de la part des travailleurs émigrés, qui ont représenté 5 % du PIB en 2019. Dans le scénario de deux chocs successifs, il est prévu que le PIB recule de 8.2 % en 2020, alors qu’il fléchirait de 6 % dans le scénario plus optimiste ne prévoyant pas de résurgence de l’épidémie. Le déficit budgétaire, déjà ample, va gonfler, du fait des mesures budgétaires prises par les pouvoirs publics et de la baisse des recettes fiscales sur fond de diminution de l’activité. De ce fait, le ratio de la dette des administrations publiques au PIB restera supérieur à 70 %. Les engagements de financements d’urgence émanant des institutions multilatérales représentent plus de 5 % du PIB et s’accompagnent d’aides de la part de donneurs bilatéraux. Ces financements sont souvent assortis de conditions préférentielles, si bien que la hausse des coûts du service de la dette sera limitée. Le dinar tunisien est resté relativement stable depuis le début de l’année. Cependant, comme la dette extérieure représentait 90 % du PIB à la fin de 2019 et qu’elle est en grande partie libellée en devises, les vulnérabilités extérieures pourraient augmenter.
Des réformes structurelles s’imposent pour relancer une croissance inclusive à moyen terme
La priorité à court terme consiste à soutenir les revenus des catégories les plus vulnérables et à assurer la survie des entreprises. Il est vital de promouvoir l’accès aux financements des petites entreprises, qui représentent une large part de l’emploi et doivent souvent emprunter pour financer leur fonds de roulement. Le gouvernement devrait s’assurer du bon fonctionnement des mécanismes de garantie sur l’accès au crédit des entreprises, et procéder aux ajustements nécessaires le cas échéant. Pour protéger l’emploi, les pouvoirs publics pourraient envisager d'aller au-delà du report des impôts pour les entreprises et abaisser temporairement les impôts sur les salaires, qui sont très élevés en comparaison de ceux prélevés dans des pays de même niveau de revenu. À moyen terme, la priorité devra consister à lever les obstacles à la croissance. Insuffler une nouvelle vigueur à l’investissement et maîtriser la hausse du ratio dette publique au PIB, déjà élevé, nécessiteront un nouveau pacte entre le gouvernement et les partenaires sociaux, passant par une réforme des entreprises publiques, une réduction de la masse salariale de la fonction publique et le remplacement des subventions énergétiques par une aide au revenu plus équitable. L’inflation étant clairement sur une trajectoire descendante depuis 2018, la politique monétaire pourrait être encore assouplie pour réduire le coût de l’investissement. Des mesures visant à améliorer le climat des affaires permettraient d’exploiter les possibilités offertes par la relocalisation probable d’usines appartenant à des groupes internationaux, et de créer davantage d’emplois. La Tunisie est déjà activement intégrée dans plusieurs chaînes de valeur mondiales, dont celles des produits pharmaceutiques et de l’automobile. Sa proximité avec les marchés européens et africains, de même que la relative bonne qualité de ses infrastructures et le niveau d'instruction plutôt satisfaisant de sa population, constituent autant d'avantages comparatifs qui pourraient être mieux exploités.