Guide de politique publique sur les cadres légaux pour l'économie sociale et solidaire

Annexe C. Formes d’entités de l’économie sociale et solidaire

Associations

Une association ou une organisation bénévole est un organisme autonome, constitué de manière indépendante, composé de personnes qui se sont associées volontairement pour prendre des mesures au profit de la communauté. Ces entités sont établies sans but lucratif (OECD, 2003[1]). Lors de la mise en œuvre de lois statutaires spécifiques sur les associations, les décideurs politiques doivent tenir compte du fait que les associations sont caractérisées par une contrainte de non-distribution, interdisant aux associations de distribuer des bénéfices (ou le surplus de liquidation) à leurs membres. En général, les associations se composent d’un groupe très hétérogène d’entités, allant de groupes sportifs et de communautés locales aux grands prestataires de services (Gaiger, 2015[2]). Cette diversité, combinée à une forte concentration sur les associations en tant que forme juridique de l’ESS, pourrait entraîner des difficultés concernant la reconnaissance d’autres entités de l’ESS et compliquerait la mise en œuvre de réglementations obligatoires appropriées en matière de gouvernance.

Dans plusieurs pays, des débats sont en cours concernant la possibilité pour les associations d’entreprendre des activités économiques ou commerciales. Par exemple, en vertu de l’ancienne loi belge sur les associations et les fondations (jusqu’en 2019), les associations belges n’étaient pas autorisées à entreprendre principalement des activités économiques. Dans certains pays tels que le Danemark, la Finlande, l’Espagne et la Suède, les associations sont généralement plus limitées et sont considérées comme des organisations d’activités culturelles ou de loisirs, sans activités commerciales. Dans ces pays, le recours à des coopératives est privilégié lorsque des activités économiques sont envisagées. Dans d’autres pays tels que la Belgique, la France et le Luxembourg, les associations sont, pour des raisons historiques, les principaux acteurs de l’écosystème de l’ESS et bénéficient d’un régime juridique et fiscal spécifique lorsqu’elles développent des activités commerciales.

Coopératives

Une coopérative est une association autonome de personnes physiques et/ou morales volontairement réunies dans le but de satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et la gestion démocratique (International Cooperative Alliance, 1995[3]; ILO, 2018[4]). Les coopératives jouent un rôle important dans le renforcement de la puissance économique des travailleurs au sein des communautés locales et dans la réduction des inégalités de revenus, en offrant une alternative aux sociétés de capitaux. Les mécanismes de gouvernance démocratique distinguent les coopératives des entreprises plus traditionnelles (privées, familiales ou actionnaires). Ces mécanismes comprennent la limitation du nombre d’actions qu’un actionnaire peut détenir, l’adhésion volontaire et le principe « une personne, un vote » fréquemment adopté. En outre, les coopératives peuvent offrir une alternative solide aux groupes informels et aux organisations ayant des ambitions économiques.

Une loi statutaire sur les coopératives est recommandée à tous les décideurs politiques désireux de renforcer l’ESS. Toutefois, il est important de noter que certains pays avec une définition plus libérale de la coopérative ont expérimenté l’utilisation des coopératives comme forme flexible pour les sociétés de capitaux. Afin de prévenir ce risque de dénaturation des coopératives, il est conseillé de se référer aux principes coopératifs établis par l’Alliance coopérative internationale (1995[3]), qui comprennent : l’adhésion volontaire et ouverte, le contrôle démocratique par les membres, la participation économique des membres, l’autonomie et l’indépendance, l’éducation, la formation et l’information, la coopération entre les coopératives, et l’intérêt pour la communauté.

Les lois statutaires régissant les coopératives devraient conserver une approche ouverte, garantissant que l’ensemble des variantes de coopératives soit intégré au sein de la définition juridique. Une coopérative peut regrouper divers utilisateurs ou parties prenantes, permettant ainsi de distinguer quatre catégories principales : les coopératives de producteurs, les coopératives de travailleurs, les coopératives de consommateurs/utilisateurs et les coopératives multipartites (ILO, 2018[4]). Il est recommandé aux décideurs politiques de promulguer une loi « générale » applicable de manière universelle a toutes les formes de coopératives, complétée par des lois supplémentaires spécifiques applicables uniquement à certains types de coopératives. Cette approche personnalisée peut être utile pour mettre en œuvre d’autres mesures politiques et légales de soutien adaptées, par exemple, les coopératives de travailleurs peuvent présenter des besoins distincts de ceux des coopératives agricoles. En Corée, une législation spécifique a été mise en place pour différents types de coopératives, telles que les coopératives agricoles, les coopératives de pêche, les coopératives de crédit et les coopératives de consommateurs, ainsi qu’une loi-cadre complémentaire sur les coopératives établie en 2012. De même, l’Italie avec la loi 381/1991 sur les coopératives sociales de type A et de type B, la Grèce avec la loi 4430/2016 sur les coopératives sociales, et la Pologne avec sa loi sur les coopératives sociales [2006] réglementent les coopératives sociales comme un type distinct de coopérative.

Une législation sur les coopératives personnalisée peut renforcer l’émergence de nouveaux types de coopératives. Cela pourrait se réaliser en introduisant des labels ou des qualifications exclusivement réservés à des types spécifiques de coopératives.

• En 1999, l’Espagne a intégré les coopératives d’initiative sociale au sein du cadre législatif général des coopératives. Cette initiative visait à répondre aux « exigences sociales de solidarité et aux nouvelles activités destinées à résoudre les problèmes de chômage » (préface de la loi 27/1999 sur les coopératives).

• En Inde, une nouvelle génération de coopératives, dénommées Sociétés de Producteurs, a été introduite suite à l’adaptation de la Loi sur les sociétés de 1956 (Singh, Sukhpal and Singh, 2013[5]). Les coopératives traditionnelles, sont souvent perçues négativement, notamment en raison de leur cooptation par des partis politiques. Cette nouvelle forme juridique vise à permettre aux collectivités de se détacher de la réputation des « anciennes coopératives » et de leur accorder plus de légitimité et d’autonomie dans les milieux économiques et financiers (Singh, Sukhpal and Singh, 2013[5]; UNSRID, 2016[6]). Dans un avenir proche, il pourrait s’avérer nécessaire d’adapter la législation existante sur les coopératives afin de tenir compte des particularités et des besoins spécifiques des coopératives de plateforme.

• Aux États-Unis, contrairement à d’autres pays, les coopératives sont majoritairement composées de producteurs (coopératives de producteurs) plutôt que de consommateurs (coopératives de consommateurs) (Lane, 2012[7]). L’un des objectifs communs des coopératives de producteurs est d’aider les travailleurs et les producteurs de biens et de services à exercer un contrôle sur les prix de ces biens et services. Pour faciliter ce contrôle des prix par les producteurs, des exceptions pour les coopératives de producteurs ont été intégrées dans les lois antitrust fédérales des États-Unis. Les coopératives remplissant les conditions requises peuvent également bénéficier d’exonérations et d’avantages fiscaux au niveau fédéral. Aux États-Unis, la règlementation des coopératives est principalement dictée par la législation des États, qui peut varier significativement dans ses approches de formation. Certaines législations des États établissent des distinctions en fonction de l’orientation des coopératives vers la recherche de profit, alors que d’autres ne font pas cette distinction.

Fondations/trusts à but caritatif ou d’intérêt public

Les fondations sont des organisations philanthropiques, organisées et gérées principalement comme une collection permanente de fonds de dotation provenant d’un individu ou d’un groupe de personnes, dont les revenus sont dédiés au bénéfice à long terme d’une communauté géographique définie ou d’une activité du secteur à but non lucratif (Noya and Clarence, 2007[8]). Les fondations agissent à la fois comme des institutions qui octroient des subventions et comme des prestataires de services sociaux, de santé et culturels. Elles constituent donc un lien crucial entre le secteur privé et le secteur non lucratif, en tant que bénéficiaires de capitaux privés et bailleurs de fonds d’organisations non lucratives. Exemptes d’impôt, les fondations sont juridiquement constituées en sociétés à but non lucratif et bénéficient d’une autonomie organisationnelle (Noya and Clarence, 2007[8]).

La nécessité d’adopter des lois spécifiques pour les fondations ou les associations caritatives est moins pertinente. Selon les traditions juridiques nationales, les associations et les fondations sont parfois considérées de manière interchangeable concernant leurs activités dans l’ESS. Dans la plupart des pays, les associations constituent la principale forme organisationnelle des entités à but non lucratif. Une exception à cette règle peut être observée aux Pays-Bas, où la plupart des entités de l’ESS sont organisées sous forme de fondations. En outre, une fondation peut être un actionnaire majoritaire d’une autre entité de l’ESS et, en possédant la majorité des actions, garantir la mission sociale de l’entité contrôlée. Dans certaines juridictions, les fondations servent également à la planification successorale ou à la gestion d’actifs, ce qui peut compromettre leur crédibilité en tant qu’organisations de l’ESS (Thomsen and Hansmann, 2013[9]). En conséquence, la législation régissant les fondations devrait inclure des dispositions strictes sur la possibilité de modifier l’objet de la fondation « en cours de route » Il est essentiel de trouver un équilibre entre la difficulté de modifier l’objet de la fondation et la nécessité que cet objet puisse évoluer au fil du temps.

Les fondations ne sont dotées ni membres ni d’une assemblée générale, ce qui confère un pouvoir significatif au conseil d’administration. Souvent de nature perpétuelle, ce dernier possède la compétence de nommer ses nouveaux administrateurs. De ce fait, les fondations sont perçues comme moins démocratiques que les associations. Il conviendrait que les décideurs politiques fournissent des garanties légales pour assurer une bonne gouvernance, incluent des mécanismes de contrôle concernant le conseil d’administration et mettent en place de procédures judiciaires permettant de remplacer les membres du conseil d’administration en cas de comportement abusif, étant donné l’absence d’une assemblée générale ou de membres votants.

Sociétés mutualistes

Une société mutualiste est une entité possédée et administrée par ses membres, dont la vocation est de servir leurs intérêts collectifs. Les sociétés mutualistes peuvent prendre la forme de groupes d’entraide, de sociétés amicales et de coopératives. Elles excluent l’actionnariat, rassemblant des membres qui s’engagent à fournir un service commun dont tous bénéficient. Les sociétés mutualistes présentent des similitudes avec les compagnies d’assurance. Un aspect important est la confiance que les membres accordent aux sociétés mutualistes. En réponse à des abus commis dans le passé, certains pays ont adopté une réglementation stricte des sociétés de secours mutuel. Dans de nombreux pays, les sociétés de secours mutuel fonctionnent sous la forme de coopératives ou d’associations (Jenkins, 2021[10]).

Les cadres légaux relatifs aux sociétés mutualistes varient d’un pays à l’autre. Alors que certains pays, tels que le Brésil, le Canada, l’Inde, le Mexique et les États-Unis, n’ont pas de définition ou de cadre légal spécifique pour ces entités, d’autres disposent de réglementations spécifiques qui reconnaissent une association ou une coopérative comme une société mutualiste. L’absence de cadre légal spécifique pour les sociétés mutualistes est souvent due au chevauchement avec les coopératives de citoyens ou de consommateurs, telles que les coopératives d’assurance, les fonds de pension et les coopératives de crédit ou, dans une moindre mesure, les associations. À titre d’exemple, au Mexique, les sociétés mutualistes, sans disposer d’un cadre légal spécifique, elles sont définies comme un groupe de personnes qui mettent en place « un fonds d’assistance financière » (Conde Bonfil, 2015[11]).

Des pays comme la Belgique et la France, qui ont adopté des cadres légaux pour les sociétés mutualistes, orientent ces régulations principalement vers des entités actives dans des secteurs très spécifiques, notamment l’assurance et la santé (Noya and Clarence, 2007[8]). Belgique et le Luxembourg, par exemple, ont adopté de lois spécifiques sur les mutuelles d’assurance maladie.1 Ces cadres légaux se caractérisent par un haut niveau de régulation stricte, avec des restrictions en matière de gouvernance et de transparence, en particulier lorsque les sociétés mutualistes jouent un rôle clé dans l’État-providence.

Entreprises sociales

Une entreprise sociale est une entité qui commercialise des biens et des services tout en poursuivant un objectif sociétal. Son but principal n’est pas la maximisation du profit pour les propriétaires, mais son réinvestissement pour la réalisation continue de ses objectifs sociétaux (OECD, 2022[12]). Les entreprises sociales ont la capacité d’apporter des solutions innovantes aux problèmes sociaux, notamment l’exclusion sociale et le chômage (OECD, 1999[13]). La définition de l’OCDE considère que les entreprises sociales émergent de l’économie sociale et élargissent le champ de celle-ci au-delà de ses formes traditionnelles.

La Commission européenne a défini une entreprise sociale comme étant « un opérateur de l’économie sociale dont l’objectif principal est d’avoir un impact social plutôt que de réaliser un profit pour ses propriétaires ou ses actionnaires. Elle opère en fournissant des biens et des services sur le marché dans un esprit d’entreprise et d’innovation, et utilise ses bénéfices principalement pour atteindre des objectifs sociaux. L’entreprise sociale est gérée de manière ouverte et responsable, et implique notamment les salariés, les consommateurs et les parties prenantes concernées par ses activités commerciales » (European Commission, 2011[14]).

La nature hybride des entreprises sociales présente un défi quant au respect des trois éléments fondamentaux des entités de l’ESS : l’approche entrepreneuriale, la finalité sociale et la gouvernance inclusive. Les pays ont adopté diverses ’approches visant à garantir que ces entreprises sociales agissent conformément aux valeurs et principes fondamentaux de l’ESS. Cependant, la mise en œuvre de lois statutaires régissant les entreprises sociales peut susciter des controverses, en particulier dans la perception des entités « traditionnelles » de l’ESS (Ferreira and Almeida, 2021[15]) Au Portugal, cette sensibilité a abouti à l’exclusion des entreprises sociales de la législation-cadre (Ferreira, 2015[16]).

Les pays reconnaissent de plus en plus la contribution des entreprises sociales à la croissance économique, à la croissance inclusive et au développement durable. Actuellement, une forme de législation sur les entreprises sociales existe dans 16 pays de l’UE, et des politiques ou des stratégies explicites visant à stimuler leur développement sont en place dans les 11 autres pays de l’UE (OECD, 2022[17]) Il est recommandé aux décideurs politiques de considérer la création d’une forme légale spécifique pour les entreprises sociales, étant donné que la demande pour ces formes légales est signalée dans presque tous les pays (Ferreira and Almeida, 2021[15]; OECD, 2022[17]). Des travaux antérieurs de l’OCDE ont montré la coexistence de différentes tendances et options en matière de réglementation les entreprises sociales. Le manuel de l’OCDE sur l’élaboration de cadres légaux pour les entreprises sociales offre une vue d’ensemble et des orientations sur les différentes approches législatives concernant les entreprises sociales, ainsi que sur les avantages et les inconvénients de chaque option (OECD, 2022[17]).

Références

[11] Conde Bonfil, C. (2015), “Social Enterprise in Mexico: Concepts in Use in the Social Economy”, ICSEM Working Papers 22.

[14] European Commission (2011), Social Business Initiative. Creating a favourable climate for social enterprises, key stakeholders in the social economy and innovation.

[16] Ferreira, S. (2015), “New Paths for Third-Sector Institutions in a Welfare State in Crisis: The Case of Portugal”, Nonprofit Policy Forum. Ahead of Print., pp. 213-241, https://doi.org/10.1515/npf-2014-0025.

[15] Ferreira, S. and J. Almeida (2021), Social Enterprise in Portugal Concepts, Contexts and Models, Routledge, https://doi.org/10.4324/9780429055140.

[2] Gaiger, L. (2015), The legal framework for Solidarity Economic Enterprises in Brazil: backgrounds and perspectives, https://emes.net/content/uploads/publications/the-legal-framework-for-solidarity-economic-enterprises-in-brazil-backgrounds-and-perspectives/ESCP-5EMES-10_Lega_framework_solidarity_Economic_Entreprises_Brazil_Gaiger.pdf.

[4] ILO (2018), Guidelines concerning statistics of cooperatives.

[3] International Cooperative Alliance (1995), Statement on the Cooperative Identity.

[10] Jenkins, H. (2021), Guidelines for Local Governments on Policies for Social and, https://www.economiasolidaria.org/wp-content/uploads/2021/02/Report-Guidelines-for-Local-Governments-on-Policies-for-Social-and-Solidarity-Economy.pdf.

[7] Lane, M. (2012), Social Enterprise: Empowering Mission-Driven Entrepreneurs.

[8] Noya, A. and E. Clarence (eds.) (2007), The Social Economy. Building Inclusive Economies, OECD.

[19] O’Connor, V. (2012), Common Law and Civil Law Traditions, https://doi.org/10.2139/ssrn.2665675.

[17] OECD (2022), Designing Legal Frameworks for Social Enterprises: Practical Guidance for Policy Makers, Local Economic and Employment Development (LEED), OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/172b60b2-en.

[12] OECD (2022), Recommendation of the Council on the Social and Solidarity Economy and Social Innovation.

[18] OECD (2020), “Regional Strategies for the Social Economy: Examples from France, Spain, Sweden and Poland”, OECD Local Economic and Employment Development (LEED) Papers, No. 2020/03, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/76995b39-en.

[1] OECD (2003), The Non-profit Sector in a Changing Economy, OECD Publications Service.

[13] OECD (1999), Social enterprises, OECD Publishing.

[5] Singh, Sukhpal and T. Singh (2013), Producer Companies in India: Organization and Performance, https://books.google.fr/books?id=uvKgCgAAQBAJ&lpg=PP1&hl=fr&pg=PA1#v=onepage&q&f=false.

[20] Spear, R. (2014), The Social Economy in the UK, https://www.ess-europe.eu/en/publication/social-economy-uk.

[9] Thomsen and Hansmann (2013), “Managerial Distance and Virtual Ownership: The Governance of Industrial Foundation”, ECGI Working Paper Series in Finance.

[6] UNSRID (2016), Promoting Social and Solidarity Economy Through Public Policy, https://cdn.unrisd.org/assets/legacy-files/301-info-files/7E583F050CE1D2A4C125804F0033363E/Flagship2016_Ch4.pdf.

Note

← 1.  Loi du 6 août 1990 relative aux mutualités et aux unions nationales de mutualités (Belgique) ; Loi du 1er août 2019 relative aux mutualités (Luxembourg).