Après une longue période de croissance atone, l’activité économique mondiale croît enfin au rythme d’environ 4 %, qui correspond à la moyenne historique des dernières décennies.
C’est une bonne nouvelle, et qui apparaît encore meilleure lorsque l’on sait que ce rebond de la croissance de l’économie mondiale est, pour partie, le résultat d’un redémarrage opportun de l’investissement et des échanges mondiaux. La reprise de l’investissement mérite tout particulièrement d’être soulignée, sachant que l’avenir de l’expansion actuelle dépendra fortement de l’évolution de l’investissement.
Bien qu’anticipé depuis longtemps, le redressement de l’investissement demeure plus timide que lors des phases d’expansion passées. Il en va de même pour les échanges mondiaux, dont on attend qu’ils progressent à un rythme respectable, sans toutefois être spectaculaire, à moins que des tensions commerciales ne viennent les mettre en péril.
Cependant, contrairement à ce qui avait pu être observé précédemment, cette croissance mondiale de 4 % ne repose pas sur un accroissement des gains de productivité ou sur une évolution structurelle profonde. Cette fois, l’intensification de l’activité économique est dans une large mesure imputable au soutien procuré par les politiques monétaire et budgétaire.
Pendant de nombreuses années, la politique monétaire a été le seul levier utilisé. Durant la crise financière internationale, les banques centrales ont procédé à des réductions draconiennes des taux d’intérêt, elles ont injecté des fonds dans l’économie et acquis des actifs à un rythme sans précédent dans l’espoir de donner un coup de fouet à l’activité économique.
Dans la plupart des pays, en revanche, la politique budgétaire est restée guidée par la prudence, voire est devenue restrictive. Au demeurant, le niveau historiquement bas des taux d’intérêt offrait aux pouvoirs publics l’occasion d’employer la marge de manœuvre budgétaire dont ils disposaient pour contribuer à relancer la croissance, selon la position défendue avec force par l’OCDE en 2016. Un grand nombre de pays de l’OCDE suivent désormais ce conseil. Dans un premier temps, les États ont utilisé les ressources dégagées par la diminution des versements d’intérêts pour éviter d’avoir à comprimer les dépenses ou à augmenter les impôts. La situation économique s’améliorant, nombre d’entre eux se sont désormais engagés sur la voie d’un nouvel assouplissement budgétaire.
Maintenant que la politique monétaire commence enfin à revenir à la normale, les pouvoirs publics s’emploient à soutenir l’activité par la politique budgétaire. On peut dire que la politique budgétaire est le levier qui a désormais la faveur des pouvoirs publics : les trois quarts des pays de l’OCDE s’engagent à présent sur la voie d’un assouplissement budgétaire. La relance budgétaire est très ample dans certains pays, et moins ambitieuse dans d’autres. Pourtant, cet assouplissement budgétaire aura des répercussions importantes sur l’économie mondiale. À court terme, il renforcera la croissance. Cependant, les pays ayant connu de plus longues périodes d’expansion s’apercevront peut-être que cette relance budgétaire (lorsqu’on lui donne de l’ampleur) accentue également les tensions inflationnistes à moyen terme. Seul le temps nous dira si les gains à court terme seront contrebalancés par des effets douloureux à moyen terme. Ce qui compte, c’est que les responsables de l’action gouvernementale, au moment de choisir telle ou telle option, soient pleinement conscients de l’impact à moyen terme de leurs politiques, et ne se bornent pas à considérer uniquement les avantages à court terme de la relance budgétaire.
La forte croissance que nous observons va également de pair avec une création d’emplois vigoureuse dans de nombreuses économies. De fait, il est particulièrement satisfaisant de constater que dans la zone OCDE, le chômage devrait atteindre son plus bas niveau depuis 1980, même s’il reste élevé dans certains pays. Compte tenu de la vitalité de la création d’emplois et de l’accentuation des pénuries de main‑d’œuvre qui en résulte, nous prévoyons désormais une progression des salaires réels dans de nombreux pays. Cette hausse est encore assez timide, mais on perçoit des signes indiquant clairement que les salaires sont enfin sur une pente ascendante. Il s’agit d’une évolution importante, sachant que la crise mondiale avait eu de graves effets sur les revenus des ménages, en particulier pour les travailleurs peu qualifiés et à faible revenu.
Malgré toutes ces bonnes nouvelles, des risques assombrissent fortement les perspectives mondiales. Quels sont-ils ? D’abord et avant tout, une escalade des tensions commerciales, qui doit être évitée. N’oublions pas que, pour une part, un recours accru à des restrictions commerciales n’a rien de nouveau. La preuve en est que plus de 1 200 restrictions nouvelles ont été instituées par des pays du G20 depuis que la crise financière mondiale a éclaté en 2007. Au demeurant, comme indiqué dans le chapitre 2, parce que l’économie mondiale est beaucoup plus intégrée et interconnectée aujourd’hui que par le passé, une nouvelle escalade des tensions commerciales pourrait porter gravement atteinte à l’expansion de l’activité économique et déclencher des perturbations dans des chaînes de valeur mondiales essentielles.
Un autre risque important est lié à l’envolée des cours du pétrole. Ceux-ci ont augmenté de près de 50 % au cours de l’année écoulée. La persistance de cette tendance intensifiera les tensions inflationnistes et accentuera les déséquilibres extérieurs dans nombre de pays.
Ces dernières années, le niveau très bas des taux d’intérêt a encouragé les ménages et les entreprises à recourir à l’emprunt dans certains pays et a abouti à une surévaluation des actifs (notamment des logements et des actions) dans beaucoup d’autres. Dans ce contexte, un relèvement des taux d’intérêt pourrait mettre en difficulté les pays, les familles et les entreprises lourdement endettés. Certes, cette augmentation des taux d’intérêt a été largement anticipée et ne devrait donc pas induire de perturbations majeures. Néanmoins, si l’inflation augmente davantage que prévu et si les banques centrales sont contraintes de relever plus rapidement les taux d’intérêt, les perceptions sur les marchés pourraient s’inverser brusquement et conduire à un ajustement brutal des prix des actifs.
Une remontée plus rapide des taux d’intérêt dans les économies avancées pourrait également entraîner encore d’importants phénomènes de volatilité et de dépréciations des monnaies dans certaines économies de marché émergentes qui sont très tributaires des financements extérieurs et sont confrontées à des déséquilibres internes et externes. Les tensions géopolitiques pourraient également favoriser de brusques corrections du marché ou un nouvel essor des cours du pétrole. Le Brexit et l’incertitude autour de l’action gouvernementale qui sera menée en Italie ne font qu’ajouter aux pressions qui pèsent sur l’expansion dans la zone euro.
Que faut-il en déduire pour l’action publique ? Parce que la dette publique et la dette privée demeurent élevées dans certains pays, il est primordial de rehausser la productivité, de faire baisser les niveaux d’endettement et de constituer des marges de manœuvre budgétaires pour renforcer la résilience des économies. Étant donné que les politiques monétaire et budgétaire ne permettront pas d’alimenter indéfiniment l’expansion et pourraient même contribuer à accroître les risques financiers, il est absolument essentiel que la priorité soit donnée aux réformes structurelles. Ces dernières années, rares sont les pays qui ont engagé des réformes structurelles d’envergure. La plupart de ceux qui ont mené des réformes sont de grandes économies de marché émergentes, comme l’Argentine, le Brésil et l’Inde. Du côté des économies avancées, une importante réforme du travail a été adoptée en France et une réforme fiscale de grande ampleur est entrée en vigueur aux États-Unis. Cependant, comme souligné dans l’édition 2018 d’Objectif croissance, ces exceptions notables n’empêchent pas que les réformes ont pris du retard.
Pourquoi est-ce important ? Parce que le seul moyen d’entretenir l’expansion actuelle et de faire en sorte que la croissance bénéficie à tous consiste à entreprendre des réformes destinées à améliorer la productivité. Comme le montre l’OCDE dans de nombreux Examens des politiques nationales d'éducation et Stratégies nationales sur les compétences, il est primordial de repenser les cursus pour développer les compétences cognitives, sociales et émotionnelles indispensables à la réussite dans le monde du travail, et d’améliorer la qualité de l’enseignement ainsi que les ressources nécessaires pour favoriser une acquisition efficace de ces compétences. Dans beaucoup de pays, l’investissement dans une éducation de qualité pour les jeunes enfants ainsi que dans l’enseignement professionnel et l’apprentissage revêt une importance particulière. Il est en outre capital d’entreprendre des réformes du marché du travail propres à améliorer les compétences. Des réformes axées sur l’intensification de la concurrence, l’amélioration des régimes de faillite, l’abaissement des obstacles à l’entrée dans les secteurs de services et la simplification des procédures administratives sont aussi des ingrédients essentiels pour que nos économies deviennent plus dynamiques, plus inclusives et plus propices à l’entrepreneuriat. Les investissements dans les infrastructures numériques seront aussi fondamentaux à l’ère du numérique. Par ailleurs, il existe de vastes possibilités de réduction des coûts commerciaux sur les marchés de biens mais aussi et surtout de services, laissant entrevoir des perspectives de croissance et de création d’emplois dans le monde entier.
Malgré le regain de croissance, l’heure n’est pas à l’excès de confiance. Les réformes structurelles sont la clé de la poursuite de l’expansion actuelle et de l’atténuation des risques. C’est pourquoi, à ce point de bascule pour l’économie mondiale, il est véritablement capital de donner une chance aux réformes. Les politiques monétaire et budgétaire ayant rempli leur office, le moment est venu de faire en sorte que les réformes prennent le relais et qu’elles concourent à soutenir l’expansion, à améliorer le bien-être et à produire une croissance bénéfique pour tous.
30 mai 2018
Alvaro Santos Pereira
Chef économiste de l’OCDE par intérim