L’économie mondiale est confrontée à des difficultés grandissantes. La croissance s’est essoufflée, la forte inflation s’avère persistante, la confiance s’est affaiblie et l’incertitude est grande. La guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine a sensiblement fait monter les prix, en particulier ceux de l’énergie, accentuant les tensions inflationnistes à un moment où le coût de la vie augmentait déjà rapidement dans le monde entier. Les conditions financières mondiales se sont nettement durcies, sur fond de mesures particulièrement énergiques et généralisées prises par les banques centrales pour relever leurs taux d’intérêt directeurs ces derniers mois. Cela a pesé sur les dépenses qui sont sensibles aux taux d’intérêt et a accentué les tensions observées dans de nombreuses économies de marché émergentes. La situation des marchés du travail reste globalement tendue, mais la progression des salaires a été moins rapide que la hausse des prix, ce qui a réduit les revenus réels malgré les mesures prises par les pouvoirs publics pour atténuer l’impact du renchérissement des produits alimentaires et de l’énergie sur les ménages et les entreprises. La croissance du produit intérieur brut (PIB) mondial devrait être de 3.1 % en 2022, soit un taux inférieur de moitié à celui observé en 2021 pendant le rebond consécutif à la pandémie, et ralentir encore pour s’établir à 2.2 % en 2023, nettement en deçà du rythme prévu avant la guerre. En 2024, la croissance mondiale devrait s’établir à 2.7 %, soutenue par les premières baisses de taux d’intérêt directeurs adoptées dans plusieurs pays. Les perspectives mondiales deviennent par ailleurs de plus en plus déséquilibrées, les grandes économies de marché émergentes d’Asie représentant près des trois quarts de la croissance du PIB mondial en 2023, du fait d’une expansion soutenue, tandis que le ralentissement de l’activité devrait être marqué aux États-Unis et en Europe. Dans les grandes économies avancées, l’inflation globale mesurée par les prix à la consommation devrait refluer de 6.3 % cette année aux alentours de 4 ¼ pour cent en 2023 et de 2 ½ pour cent en 2024, à mesure que les effets du resserrement des politiques monétaires commenceront à se faire sentir, que les tensions exercées par la demande se dissiperont et que les coûts de transport et les délais de livraison se normaliseront, même si le rythme du recul de l’inflation variera selon les pays.
L’incertitude qui entoure les perspectives est élevée, et les risques sont davantage orientés à la baisse et plus prononcés. Les projections reflètent le tribut à payer des prix élevés de l’énergie au cours des deux prochaines années, mais les résultats pourraient être encore plus dégradés en cas de ruptures d’approvisionnement énergétique sur les marchés mondiaux qui feraient encore monter les prix, ou si un rationnement obligatoire s’avérait nécessaire pour réduire suffisamment la demande de gaz et d’électricité pendant les deux prochains hivers européens. La hausse des taux d’intérêt directeurs pourrait également entraîner un ralentissement de la croissance plus marqué que prévu. En effet, les décisions prises par les autorités sont difficiles à calibrer compte tenu des niveaux élevés d’endettement, et de l’étroitesse des liens commerciaux et d’investissement internationaux qui accentue les effets d’entraînement du fléchissement de la demande dans les autres pays. Un resserrement monétaire généralisé et rapide accentue également les vulnérabilités financières. Les stratégies financières adoptées pendant la période prolongée de taux d’intérêt extrêmement bas pourraient être remises en cause par une augmentation rapide des taux d’intérêt et exercer des tensions de manière inattendue. De nombreuses économies de marché émergentes pourraient aussi être confrontées à d’importantes difficultés, en particulier les économies importatrices de matières premières. La hausse des taux d’intérêt, l’appréciation du dollar des États-Unis et une dégradation des termes de l’échange accentuent les difficultés associées au service d’une dette extérieure élevée et à d’importants déficits extérieurs, en particulier en cas de ralentissement marqué de la croissance et de nouveau durcissement des conditions financières mondiales. Par ailleurs, des risques importants subsistent quant à l’expansion économique soutenue prévue en Chine, alors que l’atonie persistante des marchés immobiliers, l’augmentation des prêts non performants et les perturbations liées à la poursuite de la politique « zéro COVID » sont susceptibles de peser lourdement sur la demande intérieure et la croissance mondiale. À l’inverse, une réduction de l’incertitude, un assouplissement des conditions sur les marchés financiers ou une baisse des prix des matières premières atténueraient le ralentissement de la croissance.
Compte tenu de l’incertitude considérable, du ralentissement de la croissance, des fortes tensions inflationnistes et des conséquences persistantes de la guerre en Ukraine sur les marchés de l’énergie, les décideurs publics vont devoir faire face à des choix difficiles pour préserver la stabilité macroéconomique et améliorer les perspectives de croissance durable et inclusive à moyen terme.
Une poursuite du resserrement de la politique monétaire s’impose dans la plupart des grandes économies avancées pour ancrer les anticipations d’inflation et réduire l’inflation durablement. Les mesures prises au niveau national devront être soigneusement calibrées et adaptées au fur et à mesure des nouvelles données disponibles, compte tenu de l’incertitude qui entoure les perspectives de croissance, la vitesse à laquelle les hausses des taux d’intérêt produiront leurs effets, et les retombées potentielles des politiques restrictives mises en œuvre dans les autres pays. Le durcissement des conditions financières mondiales et la persistance des tensions inflationnistes imposeront aussi sans doute un nouveau resserrement de la politique monétaire dans de nombreuses économies de marché émergentes, et limiteront les possibilités d’assouplissement dans les pays où la croissance ralentit et où les taux d’intérêt ont déjà été nettement relevés.
Des aides budgétaires sont accordées pour amortir l’impact des coûts élevés de l’énergie sur les ménages et les entreprises. En l’absence de telles mesures, on observerait très certainement des baisses de production importantes dans de nombreux pays, avec toutes les conséquences négatives qui pourraient en résulter. Néanmoins, il est souvent nécessaire de mieux concevoir ces aides pour s’assurer qu’elles conservent un caractère temporaire et soient concentrées sur les ménages et les entreprises les plus vulnérables, qu’elles préservent les incitations à réduire la consommation d’énergie et qu’elles puissent être démantelées lorsque les tensions sur les prix de l’énergie se dissiperont. Ces mesures budgétaires à court terme prises pour préserver le niveau de vie doivent également tenir compte de la nécessité de se garder de stimuler encore la demande de manière persistante dans un contexte d’inflation élevée, et garantir ce faisant la cohérence entre politiques budgétaire et monétaire tout en évitant des effets négatifs sur la viabilité des finances publiques. Des cadres budgétaires crédibles contribueraient à fournir des orientations claires sur la trajectoire des finances publiques à moyen terme et à atténuer les préoccupations relatives à la viabilité de la dette, sur fond d’accentuation des tensions sur les dépenses et d’alourdissement de la charge future du service de la dette publique.
La guerre et la pandémie s’ajoutent aux difficultés soulevées de longue date en matière de croissance, de résilience et de bien-être par l’accélération de la transformation numérique, le vieillissement démographique et la nécessité de réduire les émissions de carbone. Des réformes efficaces et bien ciblées s’imposent pour renforcer la productivité et les compétences, réduire les inégalités et améliorer l’équilibre entre hommes et femmes, renforcer la résilience et rehausser les niveaux de vie. Des mesures judicieusement choisies, comme une augmentation des aides axées sur l’accueil des jeunes enfants et une réduction des coins fiscaux sur les bas salaires, pourraient aider les ménages à faible revenu à faire face aux pressions auxquelles ils sont soumis actuellement, tout en étant bénéfiques à moyen terme en matière d’emploi et d’inclusion. Le maintien de l’ouverture des frontières internationales sur le plan commercial, la levée des obstacles à un renforcement des migrations économiques internationales et l’adoption de mesures pour assurer une intégration plus rapide des immigrés sur le marché du travail contribueraient également à atténuer les tensions inflationnistes liées à l’offre à court terme. Les pouvoirs publics doivent par ailleurs veiller à ce que les objectifs de sécurité énergétique et d’atténuation du changement climatique soient en phase. Les efforts déployés pour préserver à court terme la sécurité énergétique et l’accès à l’énergie à un coût abordable au moyen d’aides budgétaires, ainsi qu’une diversification des approvisionnements et une diminution de la consommation d’énergie devraient s’accompagner de mesures plus vigoureuses destinées à renforcer l’investissement dans les technologies propres et l’efficacité énergétique.
Les retombées de la guerre continuent de menacer la sécurité alimentaire mondiale, en particulier si elles se conjuguent à de nouveaux phénomènes météorologiques extrêmes résultant du changement climatique. Il est nécessaire d’améliorer la coopération internationale pour préserver l’ouverture des marchés agricoles, faire face aux besoins alimentaires d’urgence et renforcer la production domestique. Une coopération internationale plus poussée en matière d’allègement de la dette, notamment via le Groupe des Vingt (G20), est également nécessaire pour réduire au minimum les conséquences économiques et sociales négatives que pourrait avoir un défaut de paiement, sachant que de plus en plus de pays en développement à faible revenu sont déjà en situation de surendettement et sont caractérisés par des secteurs bancaires fragilisés.