En 2023, les migrations vers les pays de l’OCDE ont atteint des niveaux record pour la deuxième année consécutive. Non seulement 6.5 millions de migrants permanents sont arrivés l’année dernière, mais le nombre de migrants temporaires et de demandeurs d’asile est monté en flèche.
Ces flux importants ont suscité une inquiétude généralisée quant à l’impact des migrants sur les économies et les sociétés des pays d’accueil, plaçant la gestion des migrations et le contrôle des frontières en tête des agendas politiques et au centre des intérêts des électeurs lors des élections de 2024. Reflétant des tendances structurelles plutôt que des soubresauts temporaires, ces flux migratoires croissants suscitent des inquiétudes légitimes, mais laissent également entrevoir des opportunités majeures. L’expérience des pays de l’OCDE montre que ces flux élevés peuvent être bien gérés par des politiques appropriées.
Tout d’abord, la forte demande de main-d’œuvre dans les pays d’accueil a été l’un des principaux moteurs des migrations au cours des deux dernières années. Dans de nombreux pays de l’OCDE confrontés à des pénuries de main-d’œuvre généralisées et à des changements démographiques imminents, l’augmentation du nombre de travailleurs migrants a contribué à une croissance économique soutenue. La migration de main-d’œuvre est une catégorie d’admission discrétionnaire sur laquelle les autorités du pays d’accueil exercent un contrôle quasi total. Améliorer l’accessibilité et la disponibilité des voies de migration professionnelle contribue non seulement à remédier aux pénuries de main-d’œuvre, mais est également essentiel pour renforcer le contrôle global des flux et gérer les migrations irrégulières.
Deuxièmement, la coopération internationale en matière de migration progresse. En 2022, les pays de l’UE ont coordonné leurs réponses à l’afflux soudain et sans précédent de réfugiés en provenance d’Ukraine à la suite de la guerre d’agression menée par la Russie, utilisant pour la première fois le statut de protection temporaire. Deux ans plus tard, en 2024, le Pacte européen sur les migrations et l’asile a fourni un ensemble complet de réglementations et de politiques visant à créer des processus de migration et d’asile plus efficaces et durables au niveau de l’UE.
Dans les Amériques, la Déclaration de Los Angeles de 2022 a jeté les bases d’une coopération régionale accrue en matière de migration. Dans l’esprit de cette déclaration, entre autres mesures, les États-Unis, le Canada, le Mexique et l’Espagne établissent des centres régionaux dans plusieurs pays d’Amérique centrale et du Sud afin de promouvoir une migration régulière, ordonnée et sûre. Face à l’afflux massif de personnes fuyant le Venezuela, les pays de destination sud-américains coordonnent étroitement leurs réponses dans le cadre du processus de Quito.
Malgré ces progrès, une coopération internationale plus forte et plus étendue est essentielle pour continuer à lutter contre les migrations irrégulières. Cela implique d’améliorer la communication entre les pays d’origine et de transit et de partager les informations et les attentes. Les voies d’accès complémentaires qui offrent des alternatives à la migration irrégulière sont un autre outil prometteur qui est encore sous-développé dans de nombreux pays et qui pourrait bénéficier d’un meilleur échange international. L’OCDE, en collaboration avec le HCR, assure un suivi complet de ces flux, jetant ainsi les bases de tels échanges. La coopération internationale devrait également aller au-delà de la gestion des migrations pour envisager l’intégration, notamment en ce qui concerne la question de la reconnaissance des qualifications étrangères dans les pays d’accueil.
Enfin, le fait que l’augmentation des flux d’immigration reflète une demande croissante de main-d’œuvre étrangère explique pourquoi ces augmentations se produisent en même temps que de bons résultats en matière d’emploi, tant pour les immigrés que pour les personnes nées dans le pays. En effet, la situation des immigrés sur le marché du travail n’a jamais été aussi bonne, les pays de l’OCDE enregistrant à la fois des taux d’emploi historiquement élevés et des taux de chômage faibles. Si cette situation reflète les bonnes conditions générales du marché du travail, elle met également en évidence le rôle croissant des immigrés dans la promotion de l’activité économique. Comme le souligne le chapitre spécial des Perspectives des migrations internationales de cette année, le rôle des immigrés dans la promotion des activités entrepreneuriales s’est considérablement accru dans les pays de l’OCDE. En 2022, plus d’un travailleur indépendant sur six dans les pays de l’OCDE était un immigré, ce qui représente une nette augmentation par rapport à un sur neuf en 2006. Ces personnes apportent une contribution de plus en plus importante à l’innovation et à la création d’emplois, tant pour les immigrés que pour les personnes nées dans le pays.
Ces tendances sont encourageantes et laissent entrevoir des perspectives d’avenir, surtout si elles sont soutenues par des politiques visant à améliorer l’adéquation sur le marché du travail et à développer les infrastructures.
Des voies d’accès régulières répondant aux besoins de main-d’œuvre, associées à une coopération internationale renforcée, sont essentielles au bon fonctionnement du système de gestion des migrations. Dans le même temps, le retour effectif et durable de ceux qui n’ont pas le droit de rester doit être inclus dans ce dispositif. Ici aussi, les pays de l’OCDE ont renforcé leurs efforts ces dernières années.
Si les migrations bien gérées contribuent et continueront de contribuer à la croissance économique, elles ont bien sûr des conséquences sur le logement, l’éducation, les transports et d’autres services publics. Garantir un accès adéquat à ces services devrait faire partie intégrante d’une migration bien gérée, et les migrants eux-mêmes peuvent contribuer activement à répondre à ces besoins. Par exemple, les immigrés sont surreprésentés dans le secteur de la construction dans la plupart des pays et font donc partie de la solution aux problèmes de logement. Les besoins en infrastructures doivent également être pris en compte dans la gestion des migrations, d’autant plus qu’il s’agit souvent d’emplois peu qualifiés pour lesquels les canaux de migration tendent à être plus restrictifs. Il est tout aussi important d’éviter les concentrations particulièrement fortes d’immigrants dans certaines régions, et l’une des approches consiste à mettre en place des incitations à s’installer dans des zones plus rurales ayant des besoins en main-d’œuvre, ce qui a été tenté dans certains pays de l’OCDE.
S’il s’agit là d’éléments essentiels au bon fonctionnement du système migratoire, une condition préalable essentielle à l’acceptation par la société du pays d’accueil est que la migration soit perçue par le public comme étant bien gérée et que les immigrants soient considérés comme apportant une contribution positive à la société du pays d’accueil.
Les sondages d’opinion sur la gestion des migrations suggèrent qu’il reste encore un long chemin à parcourir avant de combler le fossé entre la perception et la réalité. Nous espérons que les Perspectives des migrations internationales de cette année contribueront à relever cet important défi et à aider les décideurs politiques à tirer le meilleur parti des migrations internationales, tant pour les populations des pays d’accueil que pour les migrants.
Stefano Scarpetta,
Directeur de la Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales,
OCDE