La pandémie de COVID‑19 a rapidement provoqué une urgence sanitaire mondiale, qui s’est transformée en une crise économique et sociale inédite depuis des générations. Cela a également illustré, une fois de plus, les contributions essentielles des immigrés au bon fonctionnement de nos sociétés. Pendant le confinement, les travailleurs nés à l’étranger étaient fortement représentés dans les activités essentielles telles que la santé, les commerces alimentaires et dans certains des emplois difficiles que les natifs évitent, comme la cueillette de fruits. Même lorsque les voyages et l’admission étaient strictement limités, la plupart des pays se sont rendu compte qu’ils devaient faire des exceptions pour certains immigrés dans ces secteurs.
Les travailleurs immigrés sont en première ligne face à la crise de la COVID‑19 : dans le secteur de la santé, ils représentent 24 % des médecins et 16 % des infirmières. Plus généralement, comme il est vu dans le chapitre spécial de cette publication, « Comment les migrations façonnent-elles le paysage sectoriel », les immigrés sont surreprésentés dans les secteurs des services domestiques et de l’entretien, dans l’agriculture saisonnière, ainsi que dans le secteur des transports. Leurs contributions à ces secteurs devraient au moins être reconnus, sinon récompensées.
Les immigrés sont également fortement exposés aux conséquences sanitaires et économiques de la pandémie, en raison à la fois de leur présence dans les emplois en première ligne et de leurs vulnérabilités spécifiques, liées par exemple à leurs conditions de logement, exposant les immigrés et leurs familles à la COVID‑19, souvent avec un taux de mortalité supérieur, même dans les pays ayant un accès universel aux traitements contre la COVID‑19.
Les immigrés ont également été exposés de manière disproportionnée aux conséquences économiques de la pandémie. Beaucoup travaillent dans les secteurs les plus touchés, tels que l’hôtellerie-restauration et le tourisme. Beaucoup également détiennent des contrats de travail temporaires, dont un certain nombre ont expiré pendant la crise et n’ont pas été renouvelés. Aux États-Unis, par exemple, entre août 2019 et août 2020, le taux de chômage des personnes nées à l’étranger est passé de 3.1 % à 10.2 %, alors qu’il est passé de 3.9 % à 8.1 % pour les natifs. Des tendances similaires sont observées dans la plupart des pays européens, malgré l’utilisation à grande échelle de programmes de maintien de l’emploi qui ont contribué à préserver de nombreux emplois.
Si on se tourne vers l’avenir, les dernières projections de référence de l’OCDE suggèrent que dans la plupart des économies, le niveau de production à la fin de 2021 devrait être comparable ou inférieur à celui de fin 2019 et considérablement plus faible que prévu avant la pandémie. Le taux de chômage est déjà monté en flèche, passant d’une moyenne de 5.2 % en décembre 2019 à 8.6 % en avril 2020, avant de baisser légèrement en juillet à 7.7 %. Il devient de plus en plus évident qu’un certain nombre de pays sont dans une deuxième vague, quoique moins prononcée et avec moins de décès que la précédente. Dans ces circonstances, les pays de l’OCDE ne seront pas revenus au niveau d’emploi d’avant la crise, même d’ici fin 2021.
Alors même que les immigrés contribuaient à l’économie de leurs pays d’accueil, la crise de la COVID‑19 a entraîné une chute brutale des flux migratoires vers les pays de l’OCDE. Selon nos estimations préliminaires, les flux ont diminué de moitié au premier semestre 2020. Les fermetures de frontières, la suspension des services nationaux et consulaires, les restrictions liées à la COVID‑19 sur les voyages et l’admission au séjour, les perturbations sur les vols commerciaux internationaux expliquent cette tendance, ainsi que les préoccupations des employeurs et des immigrés eux-mêmes quant aux voyages. Même si les flux migratoires devraient rebondir avec la réouverture de l’économie, des signaux forts indiquent qu’ils n’atteindront pas les niveaux antérieurs pendant un certain temps, en raison d’une demande de main-d’œuvre plus faible, des restrictions de voyage en cours et des alternatives à la mobilité liée, par exemple, à l’utilisation généralisée du télétravail chez les travailleurs hautement qualifiés et de l’apprentissage à distance par les étudiants.
La migration, en revanche, continuera d’avoir un impact important sur les pays d’origine. Les envois de fonds devraient diminuer et les opportunités d’emploi se raréfier. Alors que les pays traditionnels de destination des migrations se concentrent davantage sur la lutte contre les mouvements irréguliers, que les canaux légaux de migration rétrécissent et que les restrictions de voyage restent en place, nous pouvons nous attendre à de plus grandes frictions entre les intentions de migration et les opportunités réelles, frictions qui risquent de susciter de la frustration dans les pays d’origine.
La dernière décennie a vu des progrès encourageants en matière de politiques migratoires et d’intégration, et aussi sur le plan de la coopération internationale sur la gestion des migrations. Bien que de nouvelles améliorations significatives soient nécessaires, d’importants succès ont été enregistrés tant au niveau mondial qu’au niveau régional, dans le contexte des Nations Unies, du G20 et de l’OCDE. La toute première réunion ministérielle consacrée aux questions de migration, qui s’est tenue au début de 2020, a reconnu que « le dialogue et la coopération internationaux contribuent à préparer les politiques de migration et d’intégration tournées vers l’avenir ». Nos indicateurs sur l’intégration des immigrés montrent également que, dans la plupart des pays de l’OCDE, l’accès à l’emploi a progressé pour les immigrés et que les résultats sur le marché du travail ont tendance à s’améliorer avec la durée du séjour dans le pays d’accueil et d’une génération à l’autre. Avant la pandémie, nous espérions voir ces résultats progresser encore.
Aujourd’hui, il existe un risque que la pandémie et ses conséquences économiques annihilent une partie des progrès accomplis en matière de migration et d’intégration. La pandémie a créé de nombreux défis en matière de politique publique et l’opinion publique et l’attention des politiques sont peut-être davantage concentrées sur d’autres questions nationales clés. Les dépenses publiques d’intégration, qui devraient être vues comme des investissements à long terme, peuvent se raréfier dans certains pays à un moment où elles devraient être renforcées face à la crise globale de l’emploi qui se profile.
Garantir la santé et la sécurité de tous les travailleurs dans les activités essentielles – nés dans le pays comme immigrés – ainsi que soutenir tous ceux qui en ont besoin est une priorité essentielle. Néanmoins, il ne faut pas oublier que la plupart des migrations sont effectuées par des familles, des personnes en quête de protection internationale et des personnes se déplaçant dans des zones de libre circulation. Il y aurait lieu de s’inquiéter si les restrictions de voyage et la fermeture des frontières se prolongeaient au-delà de ce qui est nécessaire pour empêcher la propagation du virus, afin de rassurer le public sur l’impact présumé de la migration sur l’économie nationale. Plus généralement, il faut se garder d’actions unilatérales remplaçant à nouveau le dialogue et la concertation sur les questions de migration.
Il n’est pas possible de savoir aujourd’hui si ces risques se matérialiseront, mais leurs conséquences seraient sans nul doute dramatiques. Nous devons réaffirmer que les migrations font partie intégrante de notre vie et qu’elles nous unissent. S’il y a une chose que nous avons apprise du confinement et de l’isolement, c’est à quel point nous avons besoin de « l’autre ». Cela est vrai au niveau mondial autant qu’au niveau local. Des mesures sont nécessaires pour protéger les progrès de la dernière décennie en matière de migration et d’intégration, avec la contribution active de toutes les parties prenantes et de la société civile. Protéger ces réalisations et progresser dans ces domaines sont des éléments clés d’une stratégie globale visant à « reconstruire en mieux » alors que nos économies et nos sociétés entament le chemin de la reprise.
Stefano Scarpetta,
Directeur de la Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales,
OCDE