La migration n'est pas un phénomène nouveau. Au cours des millénaires, les populations n’ont cessé de bouger, changeant de communauté, d’État ou de continent. Les flux migratoires ont augmenté au cours des dernières décennies et ne devraient pas diminuer dans les années à venir, compte tenu d’importants déséquilibres démographiques et économiques. En 2017, environ 258 millions de personnes dans le monde vivaient en dehors de leur pays de naissance et environ la moitié d’entre elles vivaient dans les pays de l'OCDE. En 2017, plus de 5 millions de nouveaux immigrés se sont installés dans les pays de l'OCDE. En outre, plus de 4 millions de travailleurs étrangers temporaires sont venus travailler dans les pays de l'OCDE en 2016 afin de combler des pénuries de compétences. Enfin, plus de 3 millions d'étudiants en mobilité internationale sont inscrits dans un établissement d'enseignement supérieur dans un pays de l'OCDE.
La vague de réfugiés de 2015/16, concentrée dans quelques pays européens, a mis à l’épreuve les systèmes d'asile, de migration et d'intégration. Malgré les efforts considérables déployés par certains pays européens, la crise des réfugiés a révélé un certain nombre de faiblesses dans la capacité des pays d'accueil à faire face à un afflux aussi important et imprévu de personnes ayant besoin de protection. Il était difficile d'anticiper ces flux, de coordonner la réponse au sein des différents niveaux de gouvernement et de partager les responsabilités entre les pays. Dans un certain nombre de cas, les migrants vulnérables récemment arrivés n'ont reçu de soutien que tardivement. Cependant, la crise a également entraîné d'importants changements dans les politiques. L'édition de cette année de Perspectives des migrations internationales rend compte de ces efforts de façon exhaustive. Au niveau régional, même si beaucoup reste à faire, les efforts déployés - notamment par la Commission européenne - pour coordonner efficacement et intensifier la réponse à la crise des réfugiés méritent d'être salués. Au niveau mondial, le sommet des Nations Unies de 2016, « Traiter les grands mouvements de réfugiés et de migrants », a débouché sur la Déclaration de New York et le développement de deux pactes internationaux, sur les réfugiés et les migrants, qui ont potentiellement la capacité de changer les règles du jeu.
Nous traversons une période complexe. D'une part, nous sommes confrontés à des incertitudes sans précédent sur les futures formes de migration, en raison de l'interconnectivité croissante et de la multiplicité des sources d'instabilité à court et à long terme, auxquelles s’ajoutent les changements géopolitiques, climatiques et démographiques. D'autre part, le niveau de coopération internationale est également sans précédent. Jamais auparavant nous n'avons été aussi conscients des opportunités et des défis associés aux migrations internationales.
Dans le même temps, toutefois, la crise des réfugiés a accru les préoccupations de l'opinion publique quant aux avantages supposés des migrations. Un nombre croissant de personnes se sont montrées préoccupées par les coûts de l'intégration des réfugiés et des autres migrants et par l'impact potentiel sur la main-d’œuvre dans certains bassins d’emplois où se concentrent beaucoup de réfugiés. Ces préoccupations doivent être prises en compte afin que les efforts actuels de la communauté internationale pour établir un dialogue international fructueux entre les pays d'origine, de transit et de destination et pour créer un nouveau cadre pour la gestion des migrations et la protection des réfugiés aient une chance d’aboutir.
Alors que nous nous éloignons du pic de la crise des réfugiés, période au cours de laquelle le principal défi consistait à apporter une aide d’urgence aux demandeurs d'asile et aux nouveaux réfugiés, et que nous entrons dans la phase complexe de promotion de l'intégration de ceux qui resteront, les décideurs politiques font face à deux principaux défis. Le premier est de gérer le processus d'intégration lui-même sans perturber le marché du travail. Le deuxième est de répondre aux préoccupations concernant l'utilisation abusive des canaux de migration et la perception qu'un nombre croissant de travailleurs étrangers séjournent ou travaillent illégalement dans les pays d'accueil. Ces deux défis sont discutés dans les chapitres spéciaux de cette édition des Perspectives.
Les Perspectives montrent que, pour l'ensemble des pays européens, l'afflux de réfugiés pourrait accroitre la population en âge de travailler de 0.4% d’ici décembre 2020. Cela dit, l'impact varie selon les pays européens et au sein de ceux-ci. Comme l'intégration prend du temps, l'afflux de réfugiés récemment arrivés peut contribuer à augmenter, au moins à court et à moyen terme, le nombre de personnes à la recherche d'un emploi. En Allemagne, par exemple, le nombre de chômeurs pourrait augmenter d'environ 6% d'ici 2020 (soit moins d'un demi-point de pourcentage de la population active). En outre, dans les pays où l'afflux de réfugiés est important, tels que la Suède, l'Allemagne et l'Autriche, l'impact sera plus marqué pour certains groupes de travailleurs locaux susceptibles de se trouver confrontés à une concurrence accrue de la part des migrants et réfugiés récemment arrivés. C'est le cas des hommes ayant un niveau d’éducation faible, pour lesquels l'effet de l’afflux de réfugiés peut augmenter l'offre de travail au maximum de 15% d'ici 2020 pour ce groupe de travailleurs. À court terme, le renforcement des politiques pour soutenir ce groupe sera probablement aussi important que le développement de mesures d'intégration efficaces pour permettre aux réfugiés récemment arrivés d'utiliser pleinement leurs compétences en fonction des besoins locaux du marché du travail. Cependant, les données historiques sur l'afflux massif de réfugiés d'Asie, des Caraïbes ou des Balkans vers les États-Unis ou l'Europe indiquent qu'à moyen et long terme, l'impact des réfugiés sur le marché du travail des personnes nées dans le pays est limité et, s’il y a un effet, celui-ci est positif.
Les Perspectives passent également en revue la question de l'emploi illégal de travailleurs étrangers. C'est une question cruciale dans la gestion des migrations, car le manque d'informations précises sur le nombre et les caractéristiques des personnes qui séjournent et travaillent illégalement dans les pays de l'OCDE alimente la peur de l'opinion publique sur la migration de manière plus générale. Ceci est clairement illustré par les résultats de la récente enquête Eurobaromètre qui indique que près de la moitié de la population européenne a la perception erronée qu'il y a au moins autant d'immigrés qui séjournent illégalement que légalement en Europe. Au total, 29% pensent qu'il y a plus de migrants en situation irrégulière que d’immigrés légalement installés, alors qu'aucun pays de l'OCDE ne se rapproche de ces proportions.
L'emploi illégal de travailleurs étrangers prend plusieurs formes. Il est communément appréhendé comme le fait pour des migrants de travailler sans disposer d’une autorisation de séjour dans le pays d'accueil. Mais il peut correspondre à d'autres formes d’infraction à la législation relative à l’immigration ou au travail. Les estimations suggèrent qu'il y avait environ 11 millions d'immigrés en situation irrégulière aux États-Unis et beaucoup moins en Europe. L'emploi illégal de travailleurs étrangers est susceptible d'affecter en premier lieu les jeunes hommes et est généralement concentré dans quelques secteurs, notamment l'agriculture, la construction et les services domestiques. Lutter contre l'emploi illégal de travailleurs étrangers devrait donc se traduire à la fois par des inspections du travail et des politiques migratoires afin de réduire l'emploi informel et faciliter les voies légales vers la résidence ou l'emploi. Cela sous-tend également des mesures spécifiquement conçues pour améliorer l’application des réglementations en vigueur, y compris sur le lieu de travail. Lorsque le problème est devenu important ou structurel, des programmes de régularisation ciblés pourraient être utilisés.
Ignorer l'inquiétude du public relative à l'impact économique et social de la migration, même si cet impact est statistiquement marginal, ou les craintes concernant le manque de contrôle sur la gestion des migrations, même si largement surestimé, pourrait nous empêcher de mener à bien l'agenda de la coopération dans un esprit pragmatique et constructif. C'est pourquoi les données fournies dans l'édition de cette année des Perspectives des migrations internationales viennent à point nommé et contribueront, espérons-le, à faire en sorte que le débat public soit plus étayé.
Stefano Scarpetta,
Directeur de la Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales, OCDE