L’économie mondiale a amorcé un tournant, mais la route est encore longue pour parvenir à une croissance forte et durable. La croissance du PIB mondial a sensiblement ralenti tout au long de 2022, mais plusieurs des facteurs qui la brident encore commencent à s’estomper. Le recul des prix de l’énergie et de l’inflation globale, l’atténuation des perturbations de l’offre et la réouverture de l’économie chinoise sont autant de facteurs qui, conjugués à la vigueur de l’emploi et à la relative résilience des finances des ménages, contribuent à la reprise prévue. Celle-ci sera néanmoins timide par rapport aux rebonds observés dans le passé. D’après nos projections, la croissance mondiale s’établira à 2.7 % en 2023, avant de se redresser légèrement pour atteindre 2.9 % en 2024, soit bien en deçà du taux de croissance moyen enregistré durant la décennie qui a précédé la pandémie de COVID-19.
Les décideurs publics doivent agir avec détermination sur les leviers macroéconomiques et structurels pour asseoir une croissance plus forte et plus durable. La tâche est ardue : l’inflation sous-jacente est trop persistante, les niveaux d’endettement sont trop élevés et la production potentielle est trop faible.
Les autorités monétaires doivent négocier un virage délicat. Malgré la décrue de l’inflation globale due au recul des prix de l’énergie, l’inflation sous-jacente reste obstinément forte, en tout cas plus élevée qu’on ne l’avait anticipé. Les politiques monétaires doivent rester restrictives tant qu’aucun signe d’atténuation des tensions inflationnistes sous-jacentes ne sera clairement confirmé. De nouveaux relèvements des taux d’intérêt pourraient être nécessaires dans certaines économies en proie à une inflation sous-jacente résolument élevée. Les autorités doivent toutefois rester vigilantes compte tenu des conséquences incertaines du resserrement monétaire rapide et synchronisé opéré à l’échelle mondiale après une longue période de faibles taux d’intérêt. Ce changement de cap a déjà mis au jour certaines vulnérabilités sur les marchés financiers. Si les tensions devaient s’accentuer, les banques centrales devraient mobiliser divers instruments de politique financière pour accroître la liquidité et réduire autant que possible les risques de contagion. Elles devront à tout prix communiquer clairement pour éviter toute confusion quant au conflit potentiel entre le double mandat de stabilité des prix et de stabilité financière.
Les choix qui s’imposent aux autorités budgétaires sont plus évidents, mais pas plus faciles à mettre en œuvre, les décisions qui ont des effets redistributifs directs étant toujours politiquement sensibles. La politique budgétaire a joué un rôle essentiel en soutenant l’économie mondiale face aux chocs provoqués par la pandémie de COVID-19 et la guerre menée par la Russie en Ukraine. Cependant, la plupart des pays sont aujourd’hui aux prises avec des déficits budgétaires plus amples et un endettement public en hausse. La charge du service de la dette s’alourdit tandis que les tensions sur les dépenses liées au vieillissement démographique et à la transition climatique s’accentuent.
Alors que la reprise va s’installer, il faudra réduire et mieux cibler les mesures de soutien budgétaire. Les aides liées aux prix de l’énergie devraient être démantelées à mesure que ceux-ci diminueront. Les ménages vulnérables, dont la protection sociale est actuellement insuffisante, continueront d’avoir besoin d’aide, le niveau toujours élevé des prix de l’alimentation et de l’énergie pesant particulièrement sur les plus défavorisés. Les ressources disponibles, limitées, devraient être consacrées à celles et ceux qui en ont réellement besoin, ainsi qu’aux investissements hautement prioritaires propices aux gains de productivité, notamment ceux qui favorisent la transition écologique et améliorent l’offre de main-d’œuvre et les compétences. La suppression progressive des aides budgétaires permettra de moins solliciter les instruments de politique monétaire, de renforcer les marges de manœuvre pour affronter les crises futures, et de se préparer à faire face aux enjeux à plus long terme.
En raison du durcissement des conditions financières à l’échelle mondiale, les économies de marché émergentes traversent des difficultés, notamment un alourdissement du service de la dette, des sorties de capitaux ou une réduction de l’offre de crédit des prêteurs étrangers. Par ailleurs, la montée des tensions géopolitiques et les préoccupations grandissantes concernant la sécurité des chaînes d’approvisionnement ont incité plusieurs pays à prendre des mesures limitant les échanges et l’investissement. Des politiques commerciales de plus en plus restrictives risquent de réduire les gains tirés du commerce mondial et de compromettre les perspectives de développement des pays à faible revenu.
En définitive, seules des réformes structurelles ambitieuses peuvent améliorer durablement la croissance économique à long terme et la qualité de vie des populations partout dans le monde. Tout train de réformes structurelles doit impérativement viser à redynamiser les marchés du travail et des produits, à lever les obstacles aux échanges internationaux, à favoriser la concurrence et à adapter les politiques en la matière à l’ère numérique, ainsi qu’à renforcer les compétences.
Des investissements privés et publics dans le capital humain et les actifs matériels et immatériels seront indispensables pour permettre aux individus d’utiliser au mieux leurs compétences et aptitudes, et tirer parti des perspectives toujours plus nombreuses offertes par la transformation technologique. Il est primordial d’investir dans l’éducation et les compétences afin que chacun puisse s’épanouir dans l’économie future et récolter les fruits d’une productivité accrue.
Les décideurs publics vont devoir estomper les effets induits par une succession de chocs négatifs sur l’économie mondiale, et affronter pour cela une série de défis complexes. Il leur faut notamment ajuster les politiques monétaires et budgétaires de façon à réduire l’inflation et à reconstituer des marges de manœuvre budgétaires sans trop freiner la croissance. Pour améliorer durablement les taux de croissance, ils ne pourront se dispenser de mener des réformes structurelles audacieuses et novatrices qui nous permettront de mettre à profit les perspectives ouvertes par les progrès technologiques rapides, les évolutions démographiques et la transition climatique.
Le 7 juin 2023
Clare Lombardelli
Cheffe économiste de l’OCDE